Sommet Union Européenne-Afrique: L’Afrique renonce-t-elle à la mendicité ?

ue-afriqueA Bruxelles, ils étaient comme des rois. Ils y étaient au nom de l’Afrique, de sa souveraineté économique et politique. La quarantaine de chefs d’Etats et de gouvernements africains ayant répondu présents au sommet Union Européenne-Afrique avaient un mot d’ordre dont la force symbolise le courage d’une Afrique unie.

Plus d’un leader de cette horde présidentielle aura chanté sur nombre de médias que l’Afrique présente en Bruxelles était celle de la renaissance. Pas une Afrique de la mendicité.

Quoi de plus beau d’entendre avec virilité des chefs d’Etats annoncer qu’ils participent à un sommet pour discuter d’égal à égal avec une puissance occidentale. Une puissance occidentale dont la plupart des composantes furent les bourreaux coloniaux de l’Afrique.

A ses mots de la clique des pseudos démocrates et autres dictateurs éclairés du continent, le crime de l’africain lambda serait de marquer une indifférence. La fierté d’une Afrique désormais hostile à la mendicité économique ne pourrait être que le quotidien de tous sur le continent.

Mais hélas ! La prophétie de la fin de la mendicité africaine n’aura duré que le temps de quelques déclarations tonitruantes. Certes, elle peut bien être économique, même si les signaux d’une Afrique économiquement libérée du biberon occidental sont bien loin d’être visibles mais elle a encore tout d’une utopie sur le plan de la gouvernance démocratique et la résolution des nombreuses crises qui alarment le continent.

Et l’un d’entre ces dirigeants africains de la messe bruxelloise l’aura bien martelé. Les échanges avec « les partenaires » de l’Europe, bien qu’ils soient déteints de « toute mendicité » étaient destinés à explorer avec ces derniers de nouvelles pistes pour « nous développer »… Toujours est-il qu’il a eu le mérite de préciser que ces échanges devraient permettre à l’Union Européenne de résister à la crise.

Une Afrique au secours de l’Europe, trop juste pour être vrai. Trop juste pour sonner le glas de la légendaire mendicité « reconnue » au continent. Certes l’Afrique fait l’objet d’une grande convoitise internationale pour ses richesses naturelles et la vitalité actuelle de son économie en pleine croissance dans un monde agonisant.  Mais certains enjeux tels que ceux liés à la sécurité, la démocratie, les investissements, l’immigration font de cette prophétie un vœu pieux.

De mon intime conviction, l’espoir est permis. L’Afrique telle qu'elle se construit sur le plan économique, du moins dans certains pays avec une croissance économique au-dessus de la moyenne mondiale, a bien les bretelles pour s’extirper de cette malédiction vieille de plusieurs siècles.

Le malaise reste tout de même entier et presque insurmontable pour une partie du continent. Ces pays soumis au diktat économique de leur ancienne colonie avec un monopole indétrônable sur le contrôle de leur monnaie voire même leur vie politique ont tout pour être les maillons faibles de la chaîne de la renaissance de l’Afrique.

Par ailleurs, l’instabilité politique et sécuritaire ne donne en aucun cas l’assurance de la fin de la contestable hégémonie de l’occident sur l’Afrique. La stratégie de partenariat adoptée au dernier sommet de Libye qui dans les textes, accordait une marge de manœuvre à l’Afrique n’aura existé que dans les discours et les belles promesses. Faute aux troubles politiques nés du printemps arabe, des conflits, du terrorisme, royalement orchestrés dans nombre de pays du continent.

Mieux encore, décider d’une stratégie d’autonomisation et d’indépendance avec son « dominateur » a tout d’un trompe-l’œil. L’Afrique pourrait bien se défaire de l’étau européen mais le risque d’une domination des nouveaux empires asiatiques est autant élevé et dévastateur.

Renoncer à la mendicité de l’Afrique est bien mais s’y préparer est encore mieux…

De-Rocher Chembessi

UE-Afrique: une nouvelle donne?

La coopération économique entre l'Europe et l'Afrique s'opère dans un contexte historique et socio-politique très singulier, marqué en partie, par l'héritage de la période coloniale. Comme le souligne M. Damien Helly chercheur à l’Institut d’Etudes de Sécurité de L’Union Européenne, spécialiste de l’Afrique sub-saharienne et des relations Europe-Afrique, la situation postcoloniale continue d'avoir un fort impact dans l'élaboration des programmes politiques de l'Union Européenne et ce par le biais des anciennes puissances coloniales. Les rapports que les entités occidentales, en général, entretiennent avec le continent noir ont toujours été influencés par des dispositions inconscientes et psychologiques très puissantes autant du coté des européens qu'africain, poursuit M. Helly. Ces dispositions ont tendances à déplacer les relations sur le champ de l'émotion, de l'affect ou plus encore, des représentations imaginaires.

Il convient alors de gérer la méfiance et les a priori réducteurs, les réputations d'arrogance, les accusations d'illusion, d'omnipotence, d'agenda caché, les ambiguïtés de l'égalité des relations interraciales. Cette entreprise commence par une mise en garde des médias qui contribuent encore largement à la pérennité des clichés, du "barbare" au "bon sauvage". Suivant cette dynamique, l'Afrique a souvent été perçue en Europe comme une source de toutes sortes de menaces « immigrations, conflits, pauvreté » que les élites européennes n'ont jamais manqué d'essayer de neutraliser et de combattre à travers leurs discours et autres politiques sécuritaires.

Cependant, force est de reconnaitre de façon tant soit peu objective qu'au delà de ce que l'on nous montre par écrans interposés, au delà de cette Afrique qui ne fait pas partie des tendances générales, des pays les moins avancés, des États dits « fragiles », ou encore, ceux du bottom billion, de cette Afrique de la pauvreté qui ne recule pas, des flux réels non comptabilisés, de l’informel, de la corruption, de la faim, des épidémies et de la violence, cette Afrique des médias, de catastrophismes et de l’afro-pessimisme, notre continent est en train de changer. Cette Afrique qu'on ne voit pas dans les médias est en train de changer l'Europe et les relations euro-africaines « par le bas » qui ne cessent d'ailleurs de se nourrir au delà des accords et des grands engagements. Parle-t-on d'une certaine "africanisation" des sociétés européennes, d'une continuité des histoires et des flux migratoires.

En effet, de nos jours, fait-on face à une Afrique enchantée qui invite la multipolarité et s'ouvre à la concurrence accrue entre cette Europe en quête d'intégration qui peine à parler d'une seule voix, les Etats-Unis très endettés, « moteurs de crises », qui peinent à redonner une image positive de leur politique étrangère, l'Inde et la Chine nouveaux pays émergents, moteurs de l'économie mondiale, qui ont su gagner la confiance de certains dirigeants africains.

Cette nouvelle perspective fera du continent noir, encore une fois, un nouveau centre de gravité de l'activité économique internationale. Malgré les crises alimentaires et financières qui ont sonné le glas au niveau mondial, les tendances au niveau africain sont là, tangibles et palpables. L'Afrique enregistre une forte croissance, attire de nouveaux investisseurs en diversifiant les activités et les secteurs d'investissement. L’Afrique voit une augmentation des flux financiers de sa diaspora, sans oublier l'accélération prévisible des mouvements et des migrations qui témoigne d'une plus grande mobilité à l'intérieure du berceau de l'humanité. Par ailleurs, on constate une construction progressive d'une jurisprudence et d'une architecture continentale de sécurité.

Toutefois, il est de la responsabilité des autorités africaines de veiller à ce que les nouveaux partenariats soient davantage "civilisés" et bénéficient pleinement aux populations locales. Les nouveaux acteurs du développement africains doivent être impliqués dans l'élaboration des politiques conformément à leurs secteurs d’activité. Quand est-il de ces anciens partenaires en quête d'une nouvelle légitimité, plus particulièrement, de l'Union Européenne?

Comparée aux autres puissances qui opèrent sur le sol africain, L'UE est plutôt perçue comme un interlocuteur difficile et compliqué selon les mots d'un consultant experts des relations UE-ACP. En outre, comme l’affirme M. Helly dans les « Cahiers de Chaillot », la multiplicité des approches européennes – commerce et développement étant traité séparément- poussent ses partenaires africains à demander une démarche plus pragmatique et plus business-like de la part de l'UE. Dans cette même dynamique, certains observateurs ne manquent pas de souligner une certaine schizophrénie des les relations UE-Afrique qui se manifeste d'une part par la signature d'accords ambitieux à l'aune de grands principes éthiques de coopération, tandis que d'autre part, les rapports de force perdurent, voire s'aggravent dans bien des cas, sur les questions commerciales, sécuritaires et de gouvernance. Quid des Accords de Partenariat Economique de 2008 ? Se demande t-on dès lors, l'état de la cohérence et l’efficacité des politiques européennes envers le continent noir?

Face au nouveaux défis qu'entraine tout élargissement de l'Union Européenne- notamment celui de 2004-, il convient, au niveau européen d'intéresser les pays d'Europe centrale par exemple à l'Afrique, inconnue de ces pays, mais qui reste tout de même un partenaire incontournable, en plein essor.

Enfin, au delà des grands Etats qui continuent de dominer les débats africains dans les groupes de travail thématiques de l'Union Européenne, il semble opportun de reformer les bases de la coopération UE-Afrique à l’aune d’une éthique discursive permettant une meilleurs communication des enjeux et des intérêts de chaque partenaire. Les cadres des relations euro-africaines doivent aussi relever les défis de la cohérence dans les secteurs économique, gouvernance, sécurité et multilatéralisme. Privilégier l'agir communicationnel au détriment de l'agir stratégique reste, dès lors, incontournable pour l'Union Européenne face à une Afrique devenue un agenda global.

Pape Modou Diouf