William Reno et le « warlordisme » en Afrique

-miche-djotodiaLe coup d'Etat de Michel Djotodia et son auto-proclamation comme nouveau président de la République Centrafricaine remet sur le devant de la scène le rôle des seigneurs de guerre comme élément déstabilisateur des Etats modernes africains. Les seigneurs de guerre sont une figure centrale du politique tel qu'il s'est développé en Afrique ces dernières décennie, jouant un rôle prépondérant dans la dynamique de faillite des Etats modernes africains. La science politique a tenté d’appréhender cette dynamique historique, ouvrant un champ d’étude très important et intéressant. William Reno, avec "Warlord Politics and African States", s'inscrit dans ce champ.

L'essai de William Reno arrive avec une analyse renouvelée et bien documentée, à montrer les dynamiques politiques internes des Etats en effondrement. Selon lui, l’effondrement de certains Etats en Afrique n'est pas le fruit d'une sorte d’anarchie spontanée et indéchiffrable, mais plutôt le résultat évident et rationnel des obstacles rencontrés par certaines bureaucraties dirigeantes. En retour, pour surmonter ces obstacles, les stratégies et tactiques adoptées par les pouvoirs en place afin de préserver leurs intérêts particuliers ou leur agenda politique consistent essentiellement à une accumulation de capital, une corruption du bien public au profit du privé. Ces pratiques plongent les Etats dans un cercle vicieux d'appropriation privée de biens publics, entretenue par des réseaux clientélistes. Tout ce qui caractérise la politique du ventre dont parlait Jean François Bayart.

William Reno fonde son étude des Etats effondrés à partir de quatre exemples : le Liberia, la Sierra Léone, la République Démocratique du Congo et le Nigéria. Il élabore ses conclusions sur la base d’études de terrain et de sources officielles d'informations, ainsi qu'une lecture approfondie de la bibliographie sur le sujet. Le travail de William Reno est intéressant à plusieurs égards. Il nous livre une explication claire et intelligible des dynamiques politiques internes des Etats faillis africains, alors même que la situation en elle-même paraît avant tout confuse et prête à des simplifications faciles. Du Libéria de Charles Taylor en passant par Samuel Doe, de l’Etat fortement militarisé de la Sierra Léone qui balance entre autorités militaires et civiles, du Zaïre de Mobutu au Congo de Laurent Kabila en passant par le Nigéria de Sani Abacha, l’auteur met en évidence, sous plusieurs aspects, que la vie politique dans ces pays n’est pas aussi exotique qu’elle peut en avoir l’air. La Sierra Leone, un pays sur lequel Reno avait déjà publié un travail remarquable – Corruption and State Politics in Sierra Leone (1995), la République Démocratique du Congo et le Liberia sont les cas qui semblent, le plus, justifier les thèses du chercheur.

Ces pays permettent de mettre en évidence le rôle des Warlords -seigneurs de la guerre- dans la politique des Etats africains. L’ascension de ses acteurs dans l’organisation institutionnelle des Etats témoigne d’une remise en question de l’autorité et du rôle traditionnellement connu de l’Etat. Toutefois, le Zaïre et le Nigéria semblent plutôt être des extensions de la thèse de Reno, voire une inversion dans la mesure où Mobutu et Abacha étaient des chefs militaires avant d’être à la tête de l’appareil d’Etat mais qui se sont néanmoins conduits comme des Warlords. 

L’auteur montre d’abord les liens extérieurs d’ordre politique et/ou financier qu’entretiennent ces seigneurs de la guerre avec des acteurs de la communauté internationale, privés ou publics, ou avec des entités locales privatisées, comme les agences de sécurités privées. Ensuite, il souligne les différentes implications de ces réseaux, en particulier dans la nature et le processus d'effondrement de l'État en question et de sa réintégration. Reno avance que les caractéristiques de l'Etat failli vont au-delà d’un Etat institutionnellement faible mais où la sécurité, le développement et d'autres biens collectifs sont encore sous le coup de la bureaucratie dirigeante. 

On constate, en effet, un système politique singulier et entièrement différent de la conception traditionnelle, qui limite l’activité du gouvernement à la conclusion de contrat entre gouvernants et agences de sécurité privées. On assiste donc à une délégation de service public aux sociétés privées, prélude à une disparition de l’institution étatique. Certaines des fonctions gouvernementales sont en outre déléguées aux collectivités locales qui n’ont pas, en général, les moyens de mener leurs politiques. W. Reno montre que même les réseaux clientélistes qui caractérisent les politiques de développement suivant une logique distributive particulièrement sélective voire ségrégationniste deviennent inutiles dans ce contexte. Face à cette situation, on assiste à l’émergence du « Warlordisme » dans certaines collectivités – les local Warlords – parmi lesquels certains ne vont pas manquer de défier le seigneur de la guerre qui est à la tête de l’Etat- le national Warlord. Une description qui n'est pas sans rappeler la situation qui a récemment prévalu en Centrafrique et qui s'est conclue par le coup d'Etat du 24 mars 2013 chassant François Bozizé. 

chef de guerreWilliam Reno décrit brillamment les logiques internes qui permettent la continuité de la politique même lorsque l’Etat entre dans une phase de désintégration institutionnelle. Toutefois, il faut noter que cette œuvre présente aussi quelques faiblesses. En effet le concept de « Warlord » n’a pas été suffisamment développé par l’auteur. Tout au long de la lecture, les seigneurs de la guerre qui arrivent à se hisser à la tête de l’Etat sont bien analysés alors que les autres qui sont au plus bas niveau de la société notamment les « local Warlords », n’ont pas été bien identifiés et discutés.

Par ailleurs, on constate une faiblesse méthodologique dans l’étude des cas fournis et analysés par Reno. Le choix de la variable dépendante reste très arbitraire et témoigne d’une faiblesse méthodologique évidente. En effet, on pourrait souligner le fait que l’auteur n’ait choisi, pour analyser ses thèses, que des pays dont la situation socio-politique témoignait déjà de leur effondrement. De plus, on peut faire part des multiples variations entre les cas étudiés, variations suffisamment importantes pour empêcher des conclusions générales. On peut regretter aussi que n'aient pas été abordé les Etats qui ont été à un moment donné au bord du gouffre mais qui semble en être sorti (Ghana, Ouganda). Dans cette seconde catégorie d’Etats qui sont revenus de l’effondrement, on peut citer aussi le Mozambique des années 1990, qui, comme le souligne Leonard Wantchekon dans un papier intitulé "The Paradox of "Warlord" Democracy: A Theoretical Investigation" a réussi à enclencher son processus démocratique à partir de l’anarchie, du chaos. Cela, sans manquer de remettre en question toutes les théories politiques classiques sur la démocratie et ses conditions d’émergence.

En outre, sans aller jusqu'à dire Reno que la question a été complètement ignorée dans l'essai de William Reno, le fait est que les quatre pays choisis ont des ressources qui peuvent être facilement exploitées sans avoir besoin d’un ensemble d’infrastructures techniquement très développées. Le fait que des acteurs locaux puissent en partie se passer d’aide publique de la part de l'État pourrait, dans une certaine mesure, expliquer la désintégration de la structure étatique dans ces pays. Au Ghana, au Mozambique et en Ouganda, par exemple, la principale activité productrice de richesse, la culture du cacao, du thé ou du café, dépend fortement des investissements et de l'encadrement de l'Etat et nécessite une infrastructure développée. Le Mozambique est sans doute plus riche que la Sierra Leone ou le Liberia, mais cette richesse en potentiel ne peut être exploitée de façon détournée lorsque l’Etat fournit certains biens publics, y compris les routes et autres voies de transit ainsi que les divers services permettant un bon fonctionnement des ports. Il semble légitime d’affirmer qu’aucune de ces différentes mesures incitatives pouvant favoriser la paix et la stabilité pérenne des institutions publiques n’est présente au Libéria par exemple.

Enfin, d’autres critiques n’ont pas manqué de contester l'inclusion du Nigeria dans cette étude, comme le remarque l’auteur lui-même. Malgré tous ses problèmes, le Nigeria n'a pas été à ce jour une terre où des seigneurs de guerre contestent le monopole du pouvoir à l'Etat. Toutefois, l'inclusion du Nigeria contribue sans doute à l'étude, car elle peut démontrer un autre type particulier de politique dans le contexte de désintégration des institutions étatiques.

En somme, il convient de souligner, malgré quelques faiblesses, que William Reno livre un ouvrage intéressant qui devrait être un outil privilégié pour quiconque travaille sur l’effondrement des Etats et les déterminants de cet effondrement. En tant que citoyen et amoureux de l'Afrique, on peut regretter que ce livre ne soit pas rangé aux rayons Histoire et qu'il continue d'avoir une pertinence actuelle. 

Papa Modou Diouf

A quoi servent les oppositions africaines?

progbagboLa question mérite d'être posée : à quoi servent les oppositions politiques en Afrique ? De manière plus générale, à quoi servent les opposants politiques dans un processus démocratique ? Les opposants ne devraient-ils pas empêcher ou minimiser la « dictature » de la majorité présidentielle en contre-balançant les pouvoirs et les points de vue politiques ? Certes, dans les pays africains, le manque de ressources allouées aux oppositions démocratiques ne leur permet pas de faire face aux projets politiques et autres prétentions du groupe majoritaire. Malgré cela, ont-elles même simplement essayé de jouer leur rôle, de ramer à contre-courant, mais dans le bon sens ? Dans la plupart des cas, les opposants politiques n’essaient même pas. Pourquoi ?

Les débats sur le déficit démocratique des pays africains épargnent souvent le rôle et la responsabilité des oppositions politiques. L’opposition corrompue du Cameroun est très fortement partie prenante des mandats perpétuels du Président Paul Biya qui ressemblent à une aventure ambiguë annihilant toute possibilité d’alternance politique. Cette opposition n’ouvre, bien évidemment, aucune perspective de changement, d’évolution politique d’une république se disant, pourtant, démocratique. Au Sénégal, l’obsolescence subite du Parti Démocratique Sénégalais (PDS) depuis l’élection de Macky Sall est honteuse et alarmante. Il y moins d’un an grand parti au pouvoir, elle se décompose et prend les allures d’une petite brigade politique de province.

Le cas du PDS témoigne d’une décadence voire d’une incapacité à se poser comme parti d’opposition digne et prometteur ; ne serait-ce que pour les prochaines cruciales échéances électorales, face à un parti au pouvoir adepte des alliances sur fond de clientélisme, de promesses politiciennes et de corruption des différentes tendances politiques composant la majorité. Fait-on face à des oppositions hyper-présidentialistes ? L’on peut répondre par l’affirmative, et aller plus loin en notant que la présence des éternels opposants qui n’ont plus d’idées enrichissantes pour l’évolution politique de leur formation pose un vrai problème de renouvellement des élites voire constitue même un frein dans un processus démocratique qualitatif. D’éternels chefs comme Abdoulaye Bathily ou Ousmane Tanor Dieng semblent faire de la politique un éternel métier. Une situation qui ne laisse, bien évidemment, aucune perspective aux jeunes qui ont souvent le choix entre hurler leur colère et voir indiquée la porte de sortie ou carrément se désintéresser de la gestion de la chose publique.

opposant-guinee-mUn renouvellement des leaders d’oppositions africains est donc une nécessité dans un continent dont la jeunesse est le premier potentiel économique pour plus de représentativité et plus de responsabilité des acteurs politiques. C’est également une façon de renouveler, varier et faire évoluer les idées et les compétences. Opposant historique ne rime pas forcement avec compétence politique. Un renouvellement des élites est, dès lors, plus que nécessaire, elle est obligatoire. Force est de reconnaître que dans bien des pays africains, les oppositions politiques se sont laissées corrompre, signe d’une démocratie instable et superficielle pouvant, d’un moment à l’autre, plonger les Etats dans une phase de désintégration partielle ou totale de leurs institutions. Benjamin Disraeli avait raison de soutenir que nul gouvernement ne peut être longtemps solide sans une redoutable opposition. Le cas malien n’est que la résultante d’un long processus de désintégration institutionnelle sous couvert d’une démocratie unanimiste et fictive. L'opposition n'a pourtant pas seulement un rôle de contestation, de destruction. Un opposant démocratique est un acteur de la vie politique, œuvrant pour plus de démocratie, plus de respect des engagements des dirigeants, plus de débat dans l'espace public. 

Pour plus démocratie, pour des représentants politiques plus responsables et soucieux de la cause publique, bref pour une politique plus noble et plus saine, nos opposants politiques doivent prendre conscience de leur mission. Il ne s’agit pas de tenir un éternel et redondant discours démagogique. Il ne s’agit pas non plus d’avoir à l’esprit une éternelle critique stérile encore moins une velléité de seulement détruire sans être une force de propositions. Il s’agit de contribuer à l’évolution des idées et des pratiques politiques. Il s’agit de prendre part à un projet collectif noble et humaniste dans un vrai processus démocratique. Une démocratie de façade fera long feu. Elle débouche sur une désintégration progressive des bases constitutionnelles et institutionnelles, sur une remise en cause de la structure étatique prélude à son effondrement. L’enjeu n’est pas une querelle de personnes mais d’œuvrer pour le bien public. Les forces d'opposition actuelles ont une très grande part de responsabilité dans l’immobilisme politique des Etats africains, quand elles ne précipitent pas leur effondrement.

 

Papa Modou Diouf

Sur le même sujet : 

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Rencontre avec Martin Diatta, fondateur de bumbou.com

martin diattaBonjour Martin, peux-tu te présenter à nos lecteurs ?

Bonjour, je m’appelle Martin Diatta, je suis sénégalais et je vis actuellement en France à Lille. Au début de mes études, j’ai suivi une formation d'expertise comptable (DPECF, DECF) avant de me consacrer à l’économie et la gestion à l’université des sciences et technologies de Lille I, option Global e-business, où j’ai obtenu un Master II en 2009. Après mes études, j’ai pensé à monter un projet entrepreneurial qui consiste à mettre en place un annuaire d’entreprises, une plateforme d’échanges entre entrepreneurs et particuliers, à destination de l’Afrique, connu sous le nom de Bumbou. Le nom se lit « bambou » (en référence à la plante elle même) et je l’ai choisi pour des raisons de disponibilité de nom de domaine sur internet. De plus je trouve que ce nom "Bumbou" a une consonance africaine. Paralellement à ce projet, j'ai enchaîné quelques missions courtes en entreprise souvent à temps partiel pour me financer. J'ai occupé des postes de comptabilité, management de projet, de webmaster et de référenceur Web. Je donne aussi des cours de soutien en soirée et pendant le weekend. C'est en grande parti, grâce à ces emplois que j'ai pu subvenir aux premiers coûts liés au développement de Bumbou.com. 

Peux-tu nous parler plus en détail de la plateforme Bumbou et nous expliquer comment t'es venue l'idée de la mettre en place ?

La plateforme Bumbou est d’abord un annuaire d’entreprises, c’est-à-dire que des entreprises peuvent s’y inscrire , créer leur page et leur fiche de présentation suivant leurs secteurs d’activités et poster des annonces, des appels d’offres, d’achats, de vente de produits mais aussi faire de la prospection. Ensuite, le site présente une autre rubrique d’offres d’emplois et de stages à destination du continent africain pour les entreprises qui recrutent ainsi que les chercheurs d’emploi ou de stage. Le but est donc pour tout membre, de créer son identité à travers la plateforme pour être aussi bien visible en Afrique que dans le monde entier. En ce sens Bumbou, est aussi un site de partage d’expérience et de correspondance entre les différentes entreprises qui s’y inscrivent.

J’ai décidé de créer cet annuaire parce que je voulais faire quelque chose pour l’Afrique. L’ambition était de taille et je cherchais dans quel domaine créer quelque chose qui pourrait être utile au continent. Je me suis donc dit que faisant un Master en Global e-business, j’avais le bagage nécessaire pour ce qui concerne la gestion des nouvelles technologies et qu’il fallait œuvrer en ce sens et trouver un outil intéressant au profit du continent. J’ai aussi remarqué qu'internet est un outil qui a été pris et maîtrisé à temps par l’Afrique pour des raisons d’ouverture au monde, d’échange d’informations et de partage de savoirs. J'avais aussi constaté une grande présence des cadres africains sur les réseaux sociaux professionnels. Donc le besoin de chercher l'information en ligne est bien réel en Afrique. L’idée m’est donc venue de mettre en ligne cette plateforme pour faciliter le travaille des entreprises africaines et des entreprises qui s’intéressent à notre continent. La plateforme Bumbou est aussi, pour moi, une autre façon de participer à l’amélioration des offres de service en direction de l’Afrique sur internet en répertoriant des offres adaptées ciblées essentiellement sur le continent dans des secteurs d’activité dynamiques et bien précis. 

Concrètement, comment se passe le fonctionnement interne de Bumbou ?

Pour la partie annuaire, le fonctionnement consiste d’abord en une inscription de base qui reste gratuite et ouverte à tout un chacun pour avoir accès aux informations disponibles sur le site. Tout le monde peut consulter les fiches détaillées des autres membres, des annonces, des appels d’offres ou entrer en contact avec une entreprise ou un particulier. Toutefois, après l’inscription de base qui confère la statut de membre ordinaire, les entreprises ont la possibilité de mettre à jour leur statut et devenir membre premium (payant) pour être plus visible au niveau des annonces et autres services proposés en étant en tête de liste, suivant les critères de recherches, par exemple dans leurs pays et leur domaine d’activité.
Ensuite la section "offres d’emplois/stages" permet à tout inscrit de pouvoir consulter les offres disponibles sur le site et d’avoir la possibilité de postuler directement à partir de la plateforme Bumbou. Ces candidats peuvent aussi mettre en ligne leur CV avec un minimum de leur profil qui ne sera accessible qu’aux inscrits dans les détails. Il y a aussi une section d’information sur Bumbou qui fournit des données concernant l’activité économique et les facilités d’investissement pour les entreprises, suivant leurs domaines et les zones cibles. Ces informations sont de deux types particulièrement. A travers la plateforme, je relaie certaines activités comme les foires, les salons qui se tiennent sur le continent africain. Je fais un focus particulier sur tout ce qui qui touche aux enjeux énergétiques notamment aux énergies renouvelables, parce que c’est un secteur d’activité qui peut et doit être une priorité pour toute entreprise qui veut élargir son activité en Afrique. 

Quelles sont les difficultés que tu as pu rencontrer dans ton projet entrepreneurial ?

Comme j’aime le dire et le répéter très souvent, une idée ne se crée pas toute seule. La première chose qu’il faut se dire et accepter c’est que tout projet suit un long processus, connaît des soubresauts avant d’être une réalité utile et tangible. J’ai eu des problèmes d’ordre logistique et financière. En effet, j’ai commencé à concevoir et à développer la plateforme dans ma propre chambre n’ayant pas un bureau ou un espace de travail adéquat. Il fallait aussi trouver les moyens financiers pour le développement technique avancé du site. J’ai donc sollicité un emprunt à la banque pour faire face à la difficulté financière et continuer d’améliorer la plateforme Bumbou. Toutefois, j’ai eu la chance d’avoir des opportunités qui m’ont permis de ne pas baisser les bras. L’université de Lille I à travers son pré-incubateur(Cré'innove) que j’ai intégré, m’a aidé à surmonter les soucis d’ordre logistique en me fournissant un espace de travail avec bureau, connexion et tout ce qu’il me fallait pour bien me concentrer sur le développement de Bumbou.

Logo bumbouUne autre structure visant à promouvoir les jeunes créateurs et entrepreneurs, connue sous le nom des Ruches du Nord qui est une pépinière d’entreprises, m’a permis de louer un bureau à moindre coût maintenant, avec un accompagnement régulier du Directeur de l'établissment de Tourcoing. Pour le business plan, le montage et le soutien financier, j'ai été soutenu par d'autres organismes tels que la Boutique de Gestion Espace (BGE), le CLAP, VNEI, Nord Actifs, l'Agefiph et Oseo. Ces organismes ont su m’accompagner et me permettre de surpasser ces difficultés que j’ai pu rencontrer dans mon projet entrepreneurial. Une autre chose qui est un obstacle auquel je fais face est la difficulté d’entrer en contact avec les chambres de commerce de certains pays africains pour avoir des données officielles sur l’état de l’activité économique dans ces pays là. J’essaie tant bien que mal de collaborer avec ces entités mais avec beaucoup de difficultés.

Qu’est ce que tu conseillerais aux jeunes qui voudraient entreprendre comme toi ?

Le premier conseil que je donnerais aux jeunes qui veulent entreprendre, c’est d’être déterminé ; de porter très haut son idée, son projet entrepreneurial pour en faire une réalité concrète et utile à l’Afrique et au monde. Il faut savoir aussi que l’entreprenariat n’a pas de visibilité et qu’il faut œuvrer chaque instant pour le succès de son projet. Pour cela, il faut donc savoir porter son idée, y croire et le vivre au quotidien c’est-à-dire se donner les moyens pour sa réalisation. Toutefois, il faut aussi, pour tout jeune entrepreneur, savoir aller vers les gens, les potentiels bailleurs de fonds pour exposer et soutenir son projet afin de décrocher une aide financière ou logistique. C’est important parce que le soutien est toujours un manque pour les jeunes entrepreneurs africains. Le dernier conseil de marketing est de ne point attendre d’avoir un produit optimal pour le mettre sur le marché. Il faut donc partir d’une base perfectible et se mettre au défi du quotidien pour faire évoluer son entreprise afin d’offrir un service de qualité. Par ailleurs, je voudrais aussi lancer un appel aux autorités africaines. Il faudrait qu’on ait plus de structures d’accompagnement des jeunes entrepreneurs dans nos pays d’Afrique. L’esprit d’entreprise est présent sur le sol africain, il devrait donc être valorisé par nos politiques publiques. 

Quelles perspectives de développement envisages-tu pour cet annuaire d’entreprises ?

Mon objectif est de devenir une référence en ce qui concerne les entreprises africaines et même toutes les entreprises qui offrent des services à destination de notre continent. Je veux avoir plus de notoriété sur internet et plus de collaboration avec les entités économiques des pays d’Afrique notamment les chambres de commerce. Je veux aussi être un interlocuteur direct dans les foires et salon sur l’activité économique africaine. Par ailleurs, je veux aussi m’engager auprès de ces jeunes entrepreneurs africains pour faire de l’internet un outil d’échange et de partage pour plus d’intégration des pays et des entreprises du continent africain. Je n’exclus pas non plus l’association avec un organisme pour travailler ensemble pour l’Afrique plus particulièrement. Mon dernier mot consiste à dire que Bumbou est un outil ouvert à tous. J’encourage tout porteur de projet à y faire un tour pour consulter les offres de service, ou faire connaître son entreprise. Cette plateforme est dès lors la vôtre, c’est votre business, c’est votre continent. Je remercie par ailleurs Terangaweb et ses lecteurs de m’avoir permis de m’exprimer sur mon projet.

Entretien réalisé par Papa Modou Diouf

Tunisie, Egypte: la « Révolution » et après?

photo 1Il y'a plus de deux cent ans, le vocabulaire politique moderne s’enrichissait d'un nouveau concept: l« Révolution ». Différent de « révolution » qui signifie le mouvement d'un mobile tournant sur lui-même, la Révolution dont il est question ici, est un bouleversement à un moment donné de l'histoire politique, économique et socio-culturelle d'une société donnée par une remise en cause de ses soubassements institutionnels.

Elle donne, pour être authentique, sur un changement palpable de l'appareil étatique par une révision souvent totale de ses fondements institutionnels et constitutionnels. D’une Révolution doit donc découler un nouvel ordre. Toutefois, l'instauration de ce nouvel ordre n'est pas sans risques, sans dangers, sans dérives de toutes sortes.
La Révolution française de 1789 est été caractéristique des dérives que les vagues du changement peuvent entraîner, des débordements qui ont chamboulé non seulement les principes moyenâgeux de la monarchie mais aussi l'intellect de ceux qui, de loin, observaient le changement s'effectuer, prendre différentes formes, connaître quelques soubresauts avant d'être effectif.

Cet après de la Révolution française vit encore, se perpétue. La rupture est consommée et les idées ont évolué et continuent de l’être. On voit que l'authenticité de toute Révolution réside dans sa capacité à faire évoluer les choses dans le bon sens ou plutôt dans le sens présent.
Quid du printemps arabe? Quelles observations découlent de ces soulèvements spontanés des peuples arabes? Le succès immédiat de ces revendications a fait couler beaucoup d'encre dans la presse mondiale. Personne n'a raté le jour où Ben Ali a été « dégagé » de la tête de la Tunisie ou le moment où Hosni Moubarak s'est vu isolé avant d'être demis de ses fonctions par son propre peuple.

photo 2Le printemps arabe a ainsi été la proie d'une sorte de tourisme journalistique voire politico- médiatique au grand bonheur des spécialistes de tout horizon qui n’ont pas manqué de lui donner une valeur hautement symbolique.
Quid de l'après "Révolutions" arabes? Les médias ont accordé moins de crédit à l'après Ben Ali et Hosni Moubarak si ce n'est en orchestrant une sinistre campagne de dénigrement qui ne fit pas long feu. Des partis islamistes ont su tirer profit du changement de régime. Est-ce réellement un changement d'ailleurs? La Révolution a-t-elle vraiment eu lieu dans ces pays?
À la demande de plus de démocratie, plus de liberté et plus de respect des droits fondamentaux et de la dignité humaine, le printemps arabe a-t-il répondu dans le sens positif?
Des dérives autoritaires de Mohamed Morsi qui se prend pour Ramsès II en élargissant, à chaque réveil, ses pouvoirs au risque de rendre l’Egypte ingouvernable aux nouveaux acteurs politiques qui peinent encore à stabiliser l'Etat Tunisien, à palier les déficits structurels et institutionnels, en somme, à répondre aux attentes des révolutionnaires, qui d'entre eux a su instaurer un changement rimant avec évolution?
Le désordre qui s'est installé dans ces pays n'est pas uniquement imputable à l'en soi de la Révolution elle-même. Il témoigne aussi d'une révolution spontanée, mal organisée voire irréfléchie, relayée par un appareil médiatique gardien du dogmatisme intellectuel et des interprétations anticipées, des conclusions hâtives et réductrices.
Les révolutions arabes m'interrogent et m'étonnent sous plusieurs aspects. Elles ont en effet servi à déconstruire, démystifier un appareil d'état patrimonial, sécularisé et verrouillé depuis des générations. Et après? Le chaos, le désordre, en gros le self-help, comme dirait Kenneth Waltz.
Je pense que c'est l'après qui définit toute acte révolutionnaire. La Révolution prend sens au lendemain de son déroulement, à la fin. Elle est donc, à la fois, moyen et fin. Elle doit permettre une renaissance palpable d'institutions sur des bases meilleures donc démocratiques.
Ce qui ne se voit guère au lendemain des printemps arabes. On semble plutôt entrer dans un cercle vicieux des évidences déconstructivistes qui témoigne d'une décadence alarmante et honteuse. Au lieu d'une Révolution, j'ai plutôt l'impression d'avoir vécu un mouvement physique, une simple révolution, brouillonne, bruyante et ennuyeuse, ajoutée à celle de la Terre. J’en conclus qu'ou la Révolution n'est pas encore finie, ou l'on s'est trompé de qualificatif, ou l'on a mal jugé, ou l'on a mal compris, ou l'on a trop anticipé ; on a surestimé une révolte. 

 

Pape Modou Diouf

UE-Afrique: une nouvelle donne?

La coopération économique entre l'Europe et l'Afrique s'opère dans un contexte historique et socio-politique très singulier, marqué en partie, par l'héritage de la période coloniale. Comme le souligne M. Damien Helly chercheur à l’Institut d’Etudes de Sécurité de L’Union Européenne, spécialiste de l’Afrique sub-saharienne et des relations Europe-Afrique, la situation postcoloniale continue d'avoir un fort impact dans l'élaboration des programmes politiques de l'Union Européenne et ce par le biais des anciennes puissances coloniales. Les rapports que les entités occidentales, en général, entretiennent avec le continent noir ont toujours été influencés par des dispositions inconscientes et psychologiques très puissantes autant du coté des européens qu'africain, poursuit M. Helly. Ces dispositions ont tendances à déplacer les relations sur le champ de l'émotion, de l'affect ou plus encore, des représentations imaginaires.

Il convient alors de gérer la méfiance et les a priori réducteurs, les réputations d'arrogance, les accusations d'illusion, d'omnipotence, d'agenda caché, les ambiguïtés de l'égalité des relations interraciales. Cette entreprise commence par une mise en garde des médias qui contribuent encore largement à la pérennité des clichés, du "barbare" au "bon sauvage". Suivant cette dynamique, l'Afrique a souvent été perçue en Europe comme une source de toutes sortes de menaces « immigrations, conflits, pauvreté » que les élites européennes n'ont jamais manqué d'essayer de neutraliser et de combattre à travers leurs discours et autres politiques sécuritaires.

Cependant, force est de reconnaitre de façon tant soit peu objective qu'au delà de ce que l'on nous montre par écrans interposés, au delà de cette Afrique qui ne fait pas partie des tendances générales, des pays les moins avancés, des États dits « fragiles », ou encore, ceux du bottom billion, de cette Afrique de la pauvreté qui ne recule pas, des flux réels non comptabilisés, de l’informel, de la corruption, de la faim, des épidémies et de la violence, cette Afrique des médias, de catastrophismes et de l’afro-pessimisme, notre continent est en train de changer. Cette Afrique qu'on ne voit pas dans les médias est en train de changer l'Europe et les relations euro-africaines « par le bas » qui ne cessent d'ailleurs de se nourrir au delà des accords et des grands engagements. Parle-t-on d'une certaine "africanisation" des sociétés européennes, d'une continuité des histoires et des flux migratoires.

En effet, de nos jours, fait-on face à une Afrique enchantée qui invite la multipolarité et s'ouvre à la concurrence accrue entre cette Europe en quête d'intégration qui peine à parler d'une seule voix, les Etats-Unis très endettés, « moteurs de crises », qui peinent à redonner une image positive de leur politique étrangère, l'Inde et la Chine nouveaux pays émergents, moteurs de l'économie mondiale, qui ont su gagner la confiance de certains dirigeants africains.

Cette nouvelle perspective fera du continent noir, encore une fois, un nouveau centre de gravité de l'activité économique internationale. Malgré les crises alimentaires et financières qui ont sonné le glas au niveau mondial, les tendances au niveau africain sont là, tangibles et palpables. L'Afrique enregistre une forte croissance, attire de nouveaux investisseurs en diversifiant les activités et les secteurs d'investissement. L’Afrique voit une augmentation des flux financiers de sa diaspora, sans oublier l'accélération prévisible des mouvements et des migrations qui témoigne d'une plus grande mobilité à l'intérieure du berceau de l'humanité. Par ailleurs, on constate une construction progressive d'une jurisprudence et d'une architecture continentale de sécurité.

Toutefois, il est de la responsabilité des autorités africaines de veiller à ce que les nouveaux partenariats soient davantage "civilisés" et bénéficient pleinement aux populations locales. Les nouveaux acteurs du développement africains doivent être impliqués dans l'élaboration des politiques conformément à leurs secteurs d’activité. Quand est-il de ces anciens partenaires en quête d'une nouvelle légitimité, plus particulièrement, de l'Union Européenne?

Comparée aux autres puissances qui opèrent sur le sol africain, L'UE est plutôt perçue comme un interlocuteur difficile et compliqué selon les mots d'un consultant experts des relations UE-ACP. En outre, comme l’affirme M. Helly dans les « Cahiers de Chaillot », la multiplicité des approches européennes – commerce et développement étant traité séparément- poussent ses partenaires africains à demander une démarche plus pragmatique et plus business-like de la part de l'UE. Dans cette même dynamique, certains observateurs ne manquent pas de souligner une certaine schizophrénie des les relations UE-Afrique qui se manifeste d'une part par la signature d'accords ambitieux à l'aune de grands principes éthiques de coopération, tandis que d'autre part, les rapports de force perdurent, voire s'aggravent dans bien des cas, sur les questions commerciales, sécuritaires et de gouvernance. Quid des Accords de Partenariat Economique de 2008 ? Se demande t-on dès lors, l'état de la cohérence et l’efficacité des politiques européennes envers le continent noir?

Face au nouveaux défis qu'entraine tout élargissement de l'Union Européenne- notamment celui de 2004-, il convient, au niveau européen d'intéresser les pays d'Europe centrale par exemple à l'Afrique, inconnue de ces pays, mais qui reste tout de même un partenaire incontournable, en plein essor.

Enfin, au delà des grands Etats qui continuent de dominer les débats africains dans les groupes de travail thématiques de l'Union Européenne, il semble opportun de reformer les bases de la coopération UE-Afrique à l’aune d’une éthique discursive permettant une meilleurs communication des enjeux et des intérêts de chaque partenaire. Les cadres des relations euro-africaines doivent aussi relever les défis de la cohérence dans les secteurs économique, gouvernance, sécurité et multilatéralisme. Privilégier l'agir communicationnel au détriment de l'agir stratégique reste, dès lors, incontournable pour l'Union Européenne face à une Afrique devenue un agenda global.

Pape Modou Diouf

Terrorisme : l’Afrique à la croisée des chemins

Le spectre du terrorisme hante l’Afrique. Mali, Nigéria, Algérie, Somalie, Kenya, Ouganda… le développement des organisations terroristes et criminelles devient un problème de plus en plus urgent à résoudre pour les autorités africaines concernées. Au moment où les enjeux de l'action terroriste deviennent de plus en plus importants, la situation semble paradoxale : d’une part les moyens pour une politique anti-terroriste efficace et durable font défaut ; d’autre part, les groupes criminels deviennent de plus en plus puissants et gagnent de l’influence au niveau de populations désespérées qui rêvent de lendemains meilleurs.

Le terrorisme annihile toutes les perspectives des programmes de développement économiques et sociaux dans les zones où il prolifère. La situation est telle que ces organisations criminelles s’imposent comme les principaux acteurs et régulateurs de zones sous leur contrôle en Afrique subsaharienne. Les flux économiques (commerce légale et trafics illégaux) et de personnes (migrations de populations autochtones, circulation des touristes et du personnel des ONG et aux acteurs de la communauté internationale) sont en passe d’être sous le contrôle complet des groupes terroristes au Sahel et au Sahara. Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI), par exemple, est en passe de transformer le Sahara en vrai marché. Le nouveau « Sahara Stock Exchange » est de plus en plus actif avec pour valeur de transaction les otages internationaux et toutes sortes de biens matériels objets de trafics (cigarettes, drogues, armes). Avec des revendications d’ordre politique et social, les actions d’Ansar Dine, autre groupe terroriste salafiste qui contrôle désormais le Nord Mali, sont facilitées par la disponibilité des sources illicites de financement et la coopération avec d’autres mouvements tels que Boko Haram (l'instruction est illicite) et le Mouvement d'Unité pour le Jihad en Afrique de l'Ouest (MUJAO).

Comme l’a montré Abdelkader Abderrahmane, chercheur à la Prévention des Conflits et Analyses des Risques' (CPRA) et à l’Institut d'Etudes de Sécurité (ISS) (Ethiopie) dans un papier publié récemment, le Trafic d'armes, de drogues et le blanchiment d'argent sont devenus monnaie courante entre tous ces groupes criminels. De plus, « des liens grandissants se tissent entre les narco-terrroristes présents en Afrique de l'ouest et les groupes mafieux européens tels que la Camorra » poursuit le chercheur. Par le biais de ces coopérations, ces groupes qui font beaucoup parler d’eux s'aident mutuellement, bénéficient de leurs expertises respectives et pourront à court terme se transformer en groupes hybrides comme le sont actuellement les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC) qui sont un exemple de groupe basé sur une idéologie politique qui, avec le temps, a muté en groupe crimino-narco-terroriste selon Abdelkader Abderrahmane.

Il semble donc urgent de trouver des solutions pour endiguer cette prolifération terroriste et criminelle. Un meilleur contrôle des transferts d’armes conventionnelles à l’intérieur du continent est le prélude à cette lutte. La transparence de tout contrat d’armement devrait être confirmée par une autorité compétente africaine. Beaucoup plus de clairvoyance de la part des autorités politiques pourrait, de plus, permettre des avancées significatives dans la lutte contre le fait terroriste en Afrique. Pour le cas malien, il est important de palier tout risque de contagion régionale. L’impasse géopolitique dans laquelle se trouve actuellement le Mali devient de plus en plus préoccupante. Le no-man-land que devient cette partie du Sahara peut être le prélude à une nouvelle dynamique terroriste, une base arrière et un centre de formation pour tous ceux qui se reconnaissent dans cette stratégie. Le processus démocratique qui a nécessité tant d’effort pour s’enclencher risque de s’effondrer sous l’action de ces groupes criminels et l’Afrique en a assez de devoir toujours « repartir à zéro ».

 

Papa Modou Diouf


Le business des armes conventionnelles en Afrique

L’évolution du commerce d’armes conventionnelle dans le monde et plus particulièrement en Afrique suscite de nombreuses questions. Une étude faite par Pieter D. Wezeman, chercheur à l’Institut International de Recherche sur la Paix de Stockholm (SIPRI) publiée en 2009 fournie une analyse chiffrée des achats et transferts d’armes conventionnelles en Afrique Centrale, du Nord et de l’Ouest. Si l’on compare les sommes allouées à l’armement militaire par les Etats africains aux budgets militaires des autres Etats dans le monde, elles sont relativement faibles. Elles ne représentent environ que 3% des importations mondiales d’armes entre 2004 et 2008. Placées dans une perspective globale, les dépenses militaires des Etats d’Afrique Centrale, de l’Ouest et du Nord ne représentaient que 0,7% des dépenses mondiales en armement en 2007, soit un montant de 9,5 milliards de dollars pour un niveau global de 1339 milliards de dollars. Ces dépenses en armement sont concentrées entre les mains de quelques pays, principalement du Maghreb : l’Algérie représente à elle seule 41 % des dépenses, le Maroc 25%, le Nigéria 10% et la Lybie 7%.

L’étude souligne toutefois que les dépenses militaires sont en constante évolution dans les trois zones sous-régionales africaines étudiées. Les achats d’armes conventionnelles auprès des grandes puissances comme les Etats-Unis, la Chine, la France ou encore la Russie ont été très fréquents ces dernières décennies. L'Algérie est met actuellement en œuvre un important programme de modernisation militaire qui comprend l'achat de 180 chars T-90, 28 avions de combat Su-30MK, 2 sous-marins, doublé d’une mise en place d’un nombre important de systèmes de défense aérienne d’origine russe. Le Maroc, un voisin de l'Algérie, a également lancé un programme de modernisation militaire en 2008, et a commandé 24 F-16C, avions de combat d’origine américaine, une grande frégate FREMM made in France et 3 petites SIGMA-90, frégates achetées aux Pays-Bas. Un autre voisin de l'Algérie, la Libye était en train de négocier du temps du régime de Kadhafi avec plusieurs fournisseurs au sujet des contrats pour des quantités importantes d'armes lourdes.

Certains Etats africains souhaitent ne plus simplement importer leurs armes conventionnelles. Le Nigéria a ainsi décidé de produire une partie de ses besoins en armement sur son territoire national en important la technologie de fabrication et les composants des armes. Une entreprise nigériane, la DICON company, fabrique des copies du fusil d’assaut AK-47 et ses munitions depuis 2008.

Ces chiffres appellent à s’interroger sur deux sujets : l’impact de ce commerce sur la corruption et la violence en Afrique. L’absence de transparence dans les transactions nationales et internationales d’armes est soulignée dans l’étude du SIPRI. Ce manque de transparence et de contrôle approprié permet à un nombre important de fournisseurs et d’intermédiaires non identifiés d’intervenir dans les transactions militaires vers ces trois régions du continent. Bien qu’il ne soit pas possible de chiffrer précisément les montants versés pour des commissions plus ou moins occultes, nul doute que ces commissions participent significativement à entretenir la corruption dont profitent de nombreux responsables africains.

Quant à l’impact des dépenses militaires sur le cycle de violence, encore faut-il préciser qu’il est ici question des armes conventionnelles (faisant l’objet de contrats de vente, donc légales), et pas des armes non-conventionnelles (achetées à des trafiquants d’armes, en contravention le plus souvent avec les traités internationaux de non-prolifération). Si les armes conventionnelles sont souvent plus dangereuses (chars, avions de guerre, frégates, etc.), ce sont les armes non conventionnelles (machettes, kalachnikov, mines anti-personnelles) que l’on retrouve dans les guerres civiles et les conflits non étatiques, causant le plus de victimes en Afrique. Toutefois, l’usage d’armes conventionnelles par des Etats en situation de guerre ou de conflit armé n’est pas sans laisser présager des dérives. Pour se prémunir de ces dangers, l’Organisation des Nations Unies impose des embargos sur les armes conventionnelles des pays à risque. Actuellement, dans les trois zones africaines étudiées, ces embargos concernent la Libye, le Libéria, la Sierra Leone, la République Démocratique du Congo et la Côte d’Ivoire. L’histoire récente a toutefois montrer la faible efficacité de ce dispositif, le Liberia de Charles Taylor ayant réussi à contourner ses contraintes sans trop de difficultés. Un traité sur le commerce d’armes conventionnelles (Arm Trade Treaty) est en discussion à l’ONU, et aurait notamment pour but de renforcer les contraintes en cas d'embargo et de mieux contrôler le commerce international des armes de manière général. Au niveau africain, il conviendrait que les chefs d'Etat et de gouvernement se mobilisent pour plus de transparence dans le commerce des armes conventionnelles. Ces disposition pourraient mettre fin à plusieurs sources d’armement des groupes rebelles. Et accessoirement renforcer la paix et la sécurité en Afrique.

Papa Modou DIOUF

Dépasser l’afro-pessimisme

L’afro-pessimisme est ce sentiment qui pousse à l'abandon de toute pensée qui pourrait mettre en exergue un possible développement du continent africain. Cette idéologie s’appuie sur les nombreuses questions toujours en suspens concernant l’avenir du continent : dans quelle mesure les populations africaines sortiront-elles de la pauvreté ? A partir de quoi envisager un possible décollage économique du continent noir ? Comment pourrait-on rendre l'économie africaine plus compétitive ? A toutes ces interrogations aussi cruciales qu'urgentes, cette  philosophie afro-pessimiste n'apporte aucune réponse positive. Un sentiment qui peut sembler normal et rationnel face à une Afrique connue pour ses famines, ses guerres fratricides et ses coups d'Etats perpétuels, ses autorités politiques corrompus et égoïstes. Difficile, voire utopique, d'être optimiste quand au moment où de l'autre coté de l'Atlantique, les Etats cherchent à s'unir pour avancer et où l'impunité n'est pas sujet de débat public, nous, Africains, semblons tourner le dos, de façon consciente et volontaire, à la course mondiale à la compétitivité. Pourtant, devrions-nous capituler sans combattre ?

Face à la conjoncture actuelle qui voit les anciens moteurs de l'économie mondiale devenir des moteurs très actifs de crises, passant ainsi du statut de créanciers à celui de débiteurs, l'heure semble venue de repenser l'afro-pessimisme dans ses raisons d'être et ses perspectives. Il est donc temps de prendre du recul par rapport à cette image d'une Afrique honnie et profanée, terre de tous les malheurs. La pauvreté et les conflits sont si présents en Afrique qu’ils masquent parfois le reste. En avril 2011, une étude publiée par la Columbia Journalism Review, intitulée "Hiding the Real Africa", expliquait, d'ailleurs, avec quelle facilité l’Afrique fait la une de la presse occidentale lorsqu’une famine, une pandémie ou encore une crise violente ou, plus récent encore, un coup d’Etat, se produit. Ce faisant on a tendance à prêter moins d'attention aux progrès et aux succès du continent africain.

Voulons-nous recevoir d’autres nouvelles de l'Afrique ? Par exemple prendre en compte l'accélération de la croissance économique africaine au cours de la dernière décennie, l'émergence d'une classe moyenne de consommateurs et d'un secteur privé plus dynamique sur le marché local qui attire des entrepreneurs. Il est donc temps de se rendre compte que l'afro-pessimisme devient synonyme de capitulation voire même de lâcheté lorsque l'on ne veut pas admettre que jusque-là les choses continuent de changer. La Banque mondiale a récemment publié un livre sur les succès africains, intitulé Yes Africa Can. La Banque africaine de développement, basée à Tunis, a marqué les 50 ans d’indépendance de bon nombre de pays africains en publiant une étude intitulée L’Afrique dans 50 ans — Vers la croissance inclusive. Selon cette étude, "au cours de la dernière décennie, en dépit de la récurrence des crises alimentaires et financières mondiales, l’Afrique a enregistré une croissance d’un taux sans précédent. Il faudra certes des décennies de croissance pour réaliser des avancées significatives dans la lutte contre la pauvreté en Afrique, mais il y a actuellement un optimisme croissant quant au potentiel du continent".

Calestous Juma, professeur à Harvard, notait que la montée de la classe moyenne modifie la vision de l’avenir de l’Afrique. La classe moyenne a peut être peu à dépenser par rapport aux normes occidentales ou asiatiques, mais elle impulse indéniablement une dynamique politique et économique positive. Certes, cela ne saurait régler la question de l’éradication de la pauvreté. Beaucoup reste encore à faire en ce qui concerne le développement des infrastructures, l'enseignement technique, l'entreprenariat et le commerce. Il reste que pour permettre des avancées remarquables et durables, l'afro-pessimisme dans toutes ses manifestations doit être dépassé. Cette forme "primitive" de penser l'Afrique moderne n'est-elle pas l'une des causess principales de notre immobilisme ?

Papa Modou DIOUF

Pourquoi il faut renouveler le projet de l’Union africaine

Les évènements politiques de l’année 2011 et de ce début d’année 2012 illustrent une fois de plus l’inaptitude de l’Union africaine à la gestion de crise. L’émergence d’un vrai marché d’otage au Sahara avec les rebelles Touaregs comme agents économiques (très actifs) et des innocents comme biens et services ; la transformation de la Guinée-Bissau en narco-Etat susceptible de bouleverser la stabilité des régions environnantes ; la situation de la Somalie, « modèle même de l’Etat désintégré, tombé en faillite sous le coup de vingt-trois ans de guerre civile attisée par ses voisins, pays abandonné de tous, en proie aux démons des divisions ethnico-tribales » : autant de dossiers cruciaux où les institutions régionales africaines n’apportent aucune réponse crédible.

Un retour sur l’histoire de l’Organisation de l’Unité Africaine, créée en1963, devenue l’« Union Africaine » en 2002 et les perspectives qui s’étaient dessinées, montre que plus de quatre décennies après sa mise sur pied, l’institution se trouve encore dans sa phase de balbutiement. S’agit-il d’un dysfonctionnement lié au projet originel ou d’un simple manque de responsabilité des leaders nationaux ? Cette question revêt une importance particulière à l’heure où les populations africaines, après avoir pris conscience des abus et malversations dont elles sont les victimes depuis trop longtemps, se révoltent de part et d’autres du continent. Alors que les citoyens renouent avec l’engagement politique, l’union africaine est-elle une institution has been ?

Sur tous les sujets politiques chauds, l’absence de l’UA est criante, ce qui peut conduire à questionner la légitimité de cette institution. En Janvier 2008, face aux violences (ayant fait au moins 780 victimes dont le marathonien Wesley Ngetich tué par une flèche empoisonnée) qui ont suivi l'annonce de la réélection contestée du président Mwai Kibaki devant son opposant Raila Odinga, l’UA ne s’est-elle pas effacée devant une médiation internationale conduite par Koffi ANNAN ? Les Forces de Sécurité de l’Union Africaine ne font-elles pas profil bas face aux actions désastreuses perpétrées par les rebelles somaliens ? La mauvaise gestion de la crise Ivoirienne n’est-elle pas révélatrice de cette incapacité de l’UA à prendre ses responsabilités devant des situations alarmantes nécessitant une action rapide et efficace ?

A l’aune de tous les errements de l’UA, force est de se demander dans quelle mesure pourrait-on affirmer que « l’union fait la force » ? De fait, cette union n’est pas en mesure d’assurer la paix dans une quelconque région du continent africain. Et que dire lorsque, face aux conflits qui gangrènent ce continent, l’union africaine fait la « sourde oreille» pour se contenter d’un second rôle (derrière l’ONU et L’OTAN). Nos chers leaders déploient plus d’énergie à essayer de diriger les organes de l’institution qu’à régler les problèmes politiques de court et moyen terme du continent. Incapacité ou irresponsabilité de l’UA ?

Le danger est que l’inefficacité de l’UA vienne entacher et remettre en cause le projet politique panafricain. Or, aucun pays ne peut répondre seul aux défis économique (investissements en infrastructures, marché étendu), défis sécuritaires (menaces transfrontalières) et sociaux (migrations de population) qui se posent à l’Afrique aujourd’hui. Dès lors, il convient de trouver des solutions innovantes pour redynamiser l’Union africaine. De nouvelles pistes doivent être sérieusement explorées. Démocratiser les institutions panafricaines devient une priorité. Cela doit passer sans doute par des élections au-delà de l'échelle nationale, qui rendent responsables de leurs actions les dirigeants de l'UA et créent un vrai débat public panafricain. Des instances de représentation des corps de la société civile sont également envisageables et souhaitables. Pour que l'Union africaine ne soit plus une coquille vide, il devient plus qu'important de démocratiser et responsabiliser cette institution.

 

Papa Modou Diouf