Le secteur privé, maillon fort de l’intégration économique du Maroc en Afrique

Les deux chefs d Etat, Mohammed VI et Macky Sall, président le lancement du Groupe d impulsion economique entre le Maroc et le Senegal, le 25 mai 2015.
Le Maroc « est déjà le deuxième investisseur du Continent, mais pour peu de temps encore, avec sa volonté affichée de devenir le premier » déclarait le Roi Mohammed VI dans son Message au 27ème Sommet de l’Union Africaine à Kigali, le 18 juillet 2016. En effet, plus d’1,5 milliard de dollars ont été investis par les entreprises marocaines entre 2003 et 2013 en Afrique de l’Ouest et Centrale, soit la moitié des investissements directs étrangers du Maroc réalisés ces dernières années.

Dès le début des années 2000, plusieurs entreprises marocaines privées sont allées s’installer en Afrique, couvrant un ensemble diversifié de secteurs. A titre d’illustration, l’implantation de filiales bancaires de la Banque Centrale Populaire, de BMCE Bank of Africa et d’Attijariwafa Bank dans une quinzaine de pays africains. Le holding d’assurance Saham est également présent dans une vingtaine de pays du continent, depuis le rachat de l’opérateur nigérian Continental Reinsurance en 2015. Dans les télécommunications, Maroc Télécom a renforcé son emprise dans le continent avec le rachat de 6 filiales africaines de son actionnaire émirati Etisalat. En outre, plusieurs holdings comme Ynna Holding et la Société Nationale d’Investissement (SNI), à travers sa filiale minière Managem interviennent en Afrique. Dans le secteur immobilier, Alliances Développement Immobilier a signé des accords de partenariat avec les gouvernements camerounais et ivoirien pour la construction de milliers de logements sociaux, Palmeraie Développement a lancé des projets de construction au Gabon, en Côte d’Ivoire et récemment au Rwanda. Le Groupe Addoha a également jeté son dévolu sur le continent via ces deux entreprises : Addoha et Ciments de l’Afrique (CIMAF), motivé par les importants investissements en infrastructures (autoroutes, ponts, ports, logements sociaux, universités, etc). Rejoint depuis peu par LafargeHolcim Maroc Afrique (LMHA), filiale détenue à parts égales par le cimentier LafargeHolcim et le holding royal SNI.

Ainsi, le secteur privé joue un rôle primordial dans l’intégration économique régionale. La mobilisation des investissements privés y est essentielle pour la création d’emploi, l’amélioration de la productivité et l’augmentation des exportations. L’intégration économique maroco-africaine dessinée par le Roi Mohammed VI appelle les opérateurs nationaux à partager leurs expériences et à raffermir leurs relations de partenariat avec les pays africains. Le secteur privé marocain aura alors pour rôle de transférer ses connaissances, tout en exploitant le potentiel de production, contribuant ainsi à l’amélioration de sa compétitivité à l’échelle internationale. Pour sa part, le commerce interrégional offre une occasion de dynamiser les échanges commerciaux – encore faibles – et de réduire le déficit structurel de la balance commerciale marocaine. Le potentiel économique étant important. La CEDEAO (Communauté des Etats de l’Afrique de l’ouest) et la CEMAC (Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale) comptent plus de 300 millions de consommateurs, soit un marché 9 fois supérieur à la population marocaine.

Rôle des Groupements d’impulsion économique dans le renforcement des relations économiques bilatérales

A chaque déplacement officiel de Mohammed VI, le Maroc conclut avec les autres pays africains des accords préférentiels prévoyant des facilités douanières et des avantages fiscaux afin de promouvoir les échanges commerciaux et développer les investissements intra-africains. Aujourd’hui, les relations économiques entre le Royaume et les autres pays africains sont régies par un cadre juridique de plus de 500 accords de coopération.

Ceci est tellement important que le Roi Mohammed VI a invité le Gouvernement – lors de la 1ère Conférence des ambassadeurs organisé en août 2013 – à œuvrer en coordination et en concertation avec les différents acteurs économiques des secteur public et privé en vue de saisir les opportunités d’investissements dans les pays à fortes potentialités économiques. Ainsi, les derniers périples royaux ont été marqués par la mise en place de Groupes d’impulsion économique (GIE) entre le Maroc et le Sénégal, d’une part, et le Maroc et la Côte d’Ivoire, d’autre part. Ces instruments, co-présidés par les ministres des Affaires étrangères et les présidents des patronats de chaque pays, visent à promouvoir le partenariat entre les secteurs privés et à booster les échanges commerciaux ainsi que les investissements[1].

Avec une population de près de 22 millions d’habitants, la Côte d’Ivoire est la 1ère économie de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest africaine) et est également la 2e puissance économique de la CEDEAO. Et les opportunités d’investissements n’y manquent pas : l’industrie, les infrastructures et BTP, les mines, énergies, etc. Le Sénégal n’est d’ailleurs pas en reste. Il existe de nombreuses raisons qui encouragent les investissements dans le pays tels que la stabilité politique, l’ouverture économique et la modernité des infrastructures. La protection des investisseurs marocains est également assurée grâce notamment aux accords de promotion et de protection réciproque des investissements et des accords de non double imposition. Le protocole d’accord relatif à la création d’une joint-venture entre le groupe marocain « La Voie Express » et la société sénégalaise « Tex Courrier » signé le 9 novembre 2015 lors de la cérémonie de présentation des travaux du GIE maroco-sénégalais – présidé par le Roi Mohammed VI et le Président Macky Sall – témoigne à juste titre du rôle moteur joué par cet instrument pour la dynamisation du partenariat privé-privé[2].

Par ailleurs, les échanges entre le Royaume et le continent africain ont connu une nette augmentation durant la dernière décennie. Sur la période 2004-2014, les échanges globaux du Maroc avec le continent ont quadruplé, passant de 1 milliard de dollars à 4,4 milliards de dollars. L’étude ‘‘Structure des échanges entre le Maroc et l’Afrique : Une analyse de la spécialisation du commerce’’ réalisée par OCP Policy Center en juillet 2016 montre que l’Afrique de l’ouest reste la 1ère destination des exportations marocaines[3]. Cette région a notamment accueilli environ 50,08% de ces exportations en 2014, soit l’équivalent de 1,04 milliard de dollars[4]. Toutefois, l’analyse de la structure des exportations fait ressortir que les exportations marocaines vers le continent sont dominées par les biens intensifs en matières premières et ressources naturelles[5]. Un fort potentiel reste encore à développer pour dynamiser davantage les exportations marocaines. La Direction des études et des prévisions financières (DEPF), rattachée au Ministère de l’Economie et des Finances marocain, soulignait dans son étude ‘‘Relations Maroc-Afrique : l’ambition d’une nouvelle frontière’’ que « les entreprises marocaines, ciblant le marché africain, devraient privilégier une stratégie de pénétration basée sur des considérations de coûts à partir de choix sectoriels ciblés en fonction de l’évolution des besoins actuels et surtout futurs des populations africaines, l’essor démographique, la montée des classes moyennes et l’urbanisation rampante du continent sont autant de facteurs à prendre en considération pour anticiper la configuration ascendante de ces économies en voie d’émergence ». Dans ce sens, les entreprises exportatrices marocaines ont intérêt à anticiper les dynamiques de transformations économiques, sociales et culturelles qui se profilent à l’horizon en Afrique subsaharienne en mettant en place des stratégies d’adaptation afin de capter une part de marché supérieure et combler leur retard sur cette région dynamique.

L’action économique au cœur de la stratégie d’intégration du Maroc en Afrique

L'intégration économique est aussi importante pour le Maroc que pour le continent. La récente tournée royale effectuée au Rwanda, Tanzanie, Sénégal, Ethiopie, Madagascar et Nigéria a vocation à la renforcer. L’Afrique de l’est est la région africaine la plus dynamique. Et le potentiel économique y est encore inexploité. Ainsi, afin que le Maroc puisse renforcer davantage sa présence sur le continent africain, il convient d’explorer un certain nombre de pistes. Tout d’abord, encourager l'internationalisation des entreprises marocaines et leur investissement en terre africaine en mettant à leur disposition une véritable base de données sur les spécificités et le potentiel de chaque économie. Ensuite, favoriser les flux d’exportations vers les pays africains. Les acteurs publics et privés sont tous les deux concernés par la promotion des produits marocains. La nouvelle Agence marocaine de développement des investissements et des exportations mais également l’ASMEX (Association marocaine des exportateurs) devront conduire des missions commerciales dans différents gisements africains et offrir aux entreprises nationales l’accompagnement nécessaire pour développer leurs exportations et/ou réaliser leur projet de développement sur le continent. Enfin, renforcer l’intégration commerciale avec les différents pays africains. Le marché de consommation est en train de se constituer avec l’émergence d’une classe moyenne davantage tournée vers les produits manufacturés et à forte valeur ajoutée. La négociation de partenariats avancés avec la CEDEAO et la CEMAC incluant la mise en place de zones de libre-échange, constitue à son tour une porte d’entrée idéale sur ce grand marché de plus de 300 millions d’âmes.

A l'ère de la mondialisation et de la concurrence internationale acharnée, la projection accrue des économies émergentes sur le continent africain est empreinte de rivalités : Chine, Inde, France, Japon ou encore l’Allemagne, tous ont dévoilé leurs ambitions africaines. Face à ce contexte international, la diplomatie marocaine se veut plus ambitieuse et agressive. Le Roi Mohammed VI déclarait à l’ouverture du Forum Maroco-Ivoirien du 24 février 2014 : « les relations diplomatiques sont au cœur de nos interactions. Mais, à la faveur des mutations profondes que connaît le monde, leurs mécanismes, leur portée ainsi que leur place même dans l'architecture des relations internationales, sont appelés à s'adapter aux nouvelles réalités. » Dans ce sillage, le Maroc gagnerait à organiser un sommet d’affaires maroco-africain. Ce dernier s’inscrirait dans la continuité de l’Africa Action Summit et porterait sur le potentiel de développement économique du continent. Le Sommet réunirait, ensemble, les gouvernements et entreprises, les secteurs public et privé, autour du développement économique, social, et humain de l’Afrique. L’enjeu étant de réaffirmer la stratégie d’influence du Maroc sur le continent.

Hamza Alami


[1] Les groupements d’impulsion économiques comprennent 10 secteurs d’activités identifiés comme prioritaires : il s’agit des commissions Banque-finances-assurance, agri-business-pêche, immobilier-infrastructures, tourisme, énergie-énergie renouvelables, transport-logistique, industrie-distribution, économie numérique, économie sociale et solidaire-artisanat, capital humain-formation et entreprenariat

[2] Christophe Sidiguitiebe, Quatre nouveaux accords signés entre le Maroc et le Sénégal, Telquel.ma, le 10.11.2016 : www.telquel.ma/2016/11/10/quatre-nouveaux-accords-signes-maroc-senegal_1523082

[3] Quatre des cinq principaux partenaires commerciaux africains (Algérie, Mauritanie, Sénégal, Côte d’Ivoire et Nigéria) font partie de l’Afrique de l’ouest.

[4] En ce qui concerne les importations, le poids de l’Afrique du nord a constitué la source de près de la totalité des importations marocaines, avec une part de 82% en 2014 contre 53% en 2004, en important principalement du gaz naturel, du gaz manufacturé, du pétrole et produits dérivés.

[5] Les exportations marocaines sont constituées essentiellement de produits alimentaires et animaux vivants (25%), les machines et matériels de transport (18,5%), les produits chimiques et produits connexes (18,1%), les articles manufacturés (15,9%) et les combustibles minéraux, lubrifiants et produits connexes (11,7%).

Le capital-investissement acclimaté à l’Afrique: un modèle en construction

capitalMalgré les taux de croissance élevés de la dernière décennie, le volume des investissements en Afrique est resté modeste comparé aux autres régions du monde. Le continent ne représente que 6.5% des transactions du capital-investissement sur les marchés émergents contre 78% pour les pays émergents d’Asie (1).  Une situation qui résulte de la stratégie des sociétés de capital-investissement ; ces dernières investissent principalement dans les entreprises à forte capitalisation. Les grandes entreprises des secteurs du pétrole, des mines, de la banque, des télécommunications sont privilégiées au détriment des PME, certes peu structurées, mais représentant l’essentiel du tissu économique des pays. La moyenne des tickets d’investissement est d’environ 10 millions de dollars -hors Afrique du Nord- (2) ; des montants que très peu de sociétés ont la capacité d’absorber. Il se pose ainsi la nécessité de repenser le modèle actuel du capital-investissement dans un contexte où, les performances des entreprises des marchés cibles sont affectées par la baisse des cours des matières premières, réduisant davantage les opportunités d’investissement.

 

Le développement de compétences entrepreneuriales : La solution face à l’effet paradigme

L’effet paradigme résulte des divergences entre les méthodes de gouvernance d’entreprise appliquées par les fonds d’investissements et celles souvent moins orthodoxes des PME africaines. Ce qui constitue un frein au développement du capital-investissement.

Il convient de présenter l’entreprise comme un système composé d’éléments en interaction permanente. Envisager une entreprise en tant que système revient à la considérer comme un ensemble organisé composé de différentes fonctions, individus, ayant tous des objectifs, pouvant être contradictoires. C’est cette contrariété en termes d’objectifs qui oblige le manager à adopter un modèle de gestion moderne afin de concilier les buts et assurer une croissance maitrisée. L’entreprise moderne met en place des procédures, établie des organigrammes, définit les responsabilités et les délégations de pouvoirs puis assigne les rôles aux individus. En Afrique, les PME ou les entreprises en début d’activité communément appelées  start-ups,  sont caractérisées par la concentration du pouvoir entre les mains du chef d’entreprise, qui n’est généralement pas prêt à le partager. Une autre caractéristique de ces entreprises est qu’elles sont pour la plupart familiales. On entreprend en famille. Des facteurs socioculturels peuvent expliquer cet état de fait. L’esprit communautaire, le sentiment d’appartenance à un groupe social, souvent  le village, est particulièrement présent dans les sociétés africaines. Zady Kessi, écrivain et Président du Conseil économique et social de Côte d'Ivoire,  disait dans Culture africaine et gestion de l’entreprise moderne (1998), que « L’esprit communautaire constitue la clef de voûte de l’édifice social africain ».

La mise en place d’un système de développement de compétences entrepreneuriales et d’apprentissage de bonnes pratiques, intégrant cette caractéristique indissociable à la culture de « l’entreprise africaine », qu’est l’esprit communautaire, trouve ainsi sens. Pour ce faire, le modèle des incubateurs est une piste. En effet les incubateurs, en plus d’être des lieux d’apprentissage, sont des lieux de socialisation. On apprend à se connaitre, à partager, à collaborer. Le lien de famille n’est plus le seul moteur de collaboration, donc de productivité. Pour l’investisseur, il permet de diffuser les meilleures pratiques en matière de gestion d’entreprise, mais aussi d’aligner ses intérêts avec ceux de l’entrepreneur ou du dirigeant de la PME dans l’optique de favoriser l’entrée au capital et le partenariat à long terme. Le développement du numérique accélère la transition vers ce nouveau modèle. De plus en plus de centres d’innovations se créent sous l’impulsion d’institutionnels et d’investisseurs. Au Ghana, le  « MEST » est un précurseur. Il a été créé en 2008 grâce au soutien de Meltwater, une multinationale spécialisée dans l’analyse de données en ligne. On le voit plus récemment  au Sénégal avec Cofina start-up House l’incubateur du groupe COFINA, une institution de financement. Cette approche qui semble se développer davantage en faveur des start-ups n’est pas exclusive aux entreprises en démarrage. Le capital humain étant le principal accélérateur de croissance ; les dirigeants des PME dans une démarche participative, au cours de périodes d’incubation ou de « camps de formation » organisés au sein de ces lieux, pourraient être invités à travailler ensemble hors du cadre familial. Le changement de génération à la tête des PME facilite la mise en œuvre de tels programmes. Ces moments seraient des occasions pour faire connaitre les règles du financement, en l’occurrence du capital-investissement, et faire apprendre l’orthodoxie en matière de gouvernance d’entreprise ; favorisant ainsi l’entrée au capital des PME.

 

Promouvoir des équipes locales et une nouvelle stratégie de levée de fonds

La particularité de la plupart des fonds d’investissement  intervenant en Afrique est de disposer d’équipes à très hauts potentiels. Ceci entraine des coûts de gestion élevés; ces dernières ayant des niveaux de rémunération identiques ou proches des standards occidentaux. Des équipes qui souvent, ne résident pas dans les pays où s’opèrent leurs investissements. Pour  J-M. Severino, Président d’I&P -un fonds d’investissement dédié aux PME africaines-, « avec les structures de coûts que doivent supporter les professionnels opérant depuis Londres, Paris ou Dubaï, il est quasiment impossible d’imaginer être rentable en investissant seulement 500 000 euros ou 1 million par opération». Une contrainte qui justifie le fait que ces fonds préfèrent participer à des transactions de plusieurs millions. Pour permettre aux structures plus modestes telles que les PME et les start-ups d’avoir accès aux énormes ressources du capital-investissement, il faut nécessairement favoriser la mise en place d’équipes locales. Cela passe par des transferts de compétences via des partenariats-métiers avec des structures ou des professionnels aguerris du capital-investissement. Ces équipes locales présentent l’avantage d’être proches des entreprises bénéficiaires des investissements. Ce qui s’avère primordial pour la réussite de ces dernières pour lesquelles un accompagnement dit « hand-on » ; c'est-à-dire au plus près de l’entrepreneur, est essentiel. Jean-Marc Savi de Tové, ancien de Cauris Management et associé du fonds Adiwale explique que, « La difficulté de ce métier, c’est qu’il faut vivre à moins de 5 Km de l’entreprise dans laquelle on investit, car l’entrepreneur va avoir besoin de vous presqu’en permanence ».  Les exemples de Teranga Capital au Sénégal ou de Sinergi au Burkina, des fonds soutenus par l’investisseur I&P et dirigés par des équipes locales sont illustratifs. Ces fonds investissent en moyenne entre 30  000 et 300 000 euros. Des montants qui correspondent aux besoins des entreprises.

Aussi réorienter la stratégie de levée de fonds s’avère indispensable. Au Sénégal par exemple -pays ayant bénéficié d’un des montants les plus élevés d’investissement d’impact en  Afrique de l’Ouest- ; sur 535 millions de dollars levés sur la période 2005-2015, plus de 80% ont été mobilisés par le biais de transactions de plus de 10 millions de dollars (3). Les investisseurs habituels des fonds d’investissement ont des exigences de rentabilité qui peuvent contraindre les gestionnaires à cibler, les grandes entreprises présentant un profil de risque moins prononcé ou, des transactions dans les projets d’infrastructures, au détriment des entreprises de plus petite taille ne garantissant pas le niveau de rentabilité souhaité. S’orienter vers des investisseurs sociaux à vocation entrepreneuriale, c'est-à-dire privilégiant un impact social par l’accompagnement des entreprises, favoriserait l’accès aux ressources aux PME et aux start-up. Il s’agit entre autres des fondations, des institutions de développement au travers de programmes spécialisés, d’investisseurs privés, etc. Selon la Banque mondiale, les jeunes représentent 60% de l’ensemble des chômeurs africains. Le rapport Perspectives Économiques en Afrique du Groupe de la Banque Africaine de Développement publié en 2012 indiquait que le continent avait la population la plus jeune au monde, avec 200 millions d’habitants âgés de 15 à 24 ans ; un chiffre qui devrait doubler d’ici 2045. Les défis auxquels fait face l’Afrique, en l’espèce la problématique du chômage des jeunes, rendent davantage pertinent cette approche et le choix du continent comme terre d’investissement pour ces investisseurs. Ce capital dit « patient » permet de rallonger la durée des investissements. En moyenne de sept (7) ans dans le modèle classique, la durée des investissements pourrait aller au-delà de dix (10) ans et ainsi garantir une croissance réelle des entreprises financées.

 

Instaurer un cadre législatif et fiscal avantageux et encourager la création d’associations locales du capital-investissement

Disposer  d’un environnement juridique et fiscal incitatif pour le capital-investissement, véritable alternative à l’emprunt bancaire, est essentiel au plein essor de ce mode de financement. Le développement de ce concept a toujours été précédé par l’introduction d’un cadre juridique organisateur. Aux Etats-Unis où est né le capital-investissement, il a fallu la promulgation du décret de la Small Business Investment Act (4) par le gouvernement américain en 1958, pour voir se développer le métier de capital-investisseur. Certains pays africains ont pris la mesure de l’importance du capital-investissement en édifiant des réglementations propres à ce métier ; c’est le cas de l’Afrique du sud et de l’île Maurice -où sont enregistrés la plupart des fonds d’investissement opérant en Afrique-. Dans l’espace UEMOA, une loi Uniforme sur les entreprises d’investissement à capital fixe a été prise et transposée par certains pays. Malgré des avancées sur le plan fiscal de cette loi, elle reste silencieuse sur certains points. S’agissant de la gouvernance des sociétés, elle n’indique pas les modalités de gestion et de contrôle. Par ailleurs, aucun texte ne précise clairement le capital minimum requis. Des améliorations restent à apporter afin de rendre cette loi plus efficace et incitative ; notamment en rendant possible un accompagnement financier par  les Etats, à ces sociétés, avec pour objectif de favoriser le soutien financier aux PME et aux start-ups. Cela passe par l’orientation de l’épargne locale, en l’occurrence celle collectée par les caisses de retraite, vers les fonds dédiés.

Afin de dynamiser le secteur du capital-investissement en Afrique, la mise en place d’associations locales est essentielle. Tel que préconisé par Jean Luc Vovor, – associé de Kusuntu Partners- lors d’une conférence tenue à Lomé sur le sujet ; les associations locales de capital-investissement devraient avoir pour mission d’informer et de promouvoir cette classe d’actif, parfois méconnue, auprès des partenaires que sont les entreprises en l’occurrence les PME et les start-ups, les sociétés d’investissement, les fonds de pension et les Etats.

La diffusion d’informations passe au préalable par le développement de programmes de recherches liés à ce secteur ; avec des recherches sectorielles, des enquêtes, le développement de normes, et aboutissant sur des sessions de formation et d’information. L’association sud-africaine de capital-risque et de capital-investissement (SAVCA), par son action, a favorisé l’instauration et la promotion de la réglementation relative aux fonds de pension en 2011 ; des amendements ont permis auxdits fonds de faire passer à 10% la part du capitalinvestissement géré. Il s’agit là du rôle déterminant que pourraient jouer les associations locales dans le développement du capital-investissement en Afrique.

 

Un écosystème entrepreneurial dynamique est essentiel au développement du capital-investissement en Afrique. Contribuer à l’éclosion de cet écosystème passe par la mise en place de centres de développement de compétences entrepreneuriales, en favorisant l’accès au financement. Les programmes comme celui lancé récemment par la BAD et la Banque européenne d’investissement, Boost Africa, qui ambitionnent de couvrir la totalité du secteur de la création d’entreprise ; en aidant à constituer un portefeuille de 25 à 30 fonds au cours des prochaines années sont à multiplier. Pour croitre et créer des emplois durables, les entreprises à forts potentiels que sont les start-ups et les PME ont besoin d’investisseurs capables de s’adapter à leur niveau de risque. Le capital-investissement en Afrique doit s’inscrire dans un cadre plus global mêlant développement de compétences, promotion d'équipes locales, accès au financement, et implication des pouvoirs publics.

 

 

Larisse Adewui

 

  1. Source : EMPA, Fundraising & Investment Analysis, Q4 2014
  2. Source : EMPA, Fundraising & Investment Analysis, Q4 2014
  3. Source : Le Marché de l’investissement d’impact en Afrique de l’Ouest : Etat des lieux, tendances, opportunités et enjeux actuels, Pages 12-17
  4. La Small Business Act est une loi du congrès des Etats-Unis votée en 1958,  visant à favoriser le développement des PME.

Un contrat social pour financer l’émergence en Côte d’Ivoire

civLes personnes fortunées empruntent pour financer leurs investissements car les banques leur font confiance. Ceux qui ont moins de moyen, et qui ont donc davantage besoin de prêts, n'y ont pourtant pas accès et font souvent appel à la solidarité familiale ou communautaire pour leurs investissements. La même logique peut être faite à l’échelle des pays. Ceux à revenu élevé empruntent, tandis que les pays africains à revenu faible n'ont qu'un accès limité aux marchés de capitaux.

Au cours de ces dernières années, seul un quart des pays subsahariens ont pu accéder aux émissions obligataires internationales, les autres n’ayant d’unique choix que de solliciter l'aide internationale. Si les flux d'investissements direct étrangers, qui comptent pour près de 3 % du PIB de l’Afrique subsaharienne, ne sont pas négligeables, ils sont majoritairement dirigés vers l'extraction de ressources naturelles où 80 % à 90 % de ces montants ressortent presque immédiatement pour financer les importations nécessaires aux projets. Comment un pays comme la Côte d'Ivoire peut-il sortir de cette impasse ?

La réussite des pays émergents montre la voie à suivre. Si l'aide internationale peut financer l'impulsion initiale, les pays en quête d'émergence doivent avant tout compter sur eux-mêmes. Cela signifie qu'ils doivent mobiliser leurs propres ressources pour financer leur développement. Et c'est peut-être aussi là une définition de l'émergence.

Pour la Côte d'Ivoire, une telle option devrait se traduire par une augmentation de l’épargne domestique pour que celle-ci puisse financer les besoins du pays. Située à environ 20 % du PIB en Côte d’Ivoire, elle est pourtant au-dessus de la moyenne africaine et de celle des pays à bas revenu, mais reste éloigné du niveau des pays émergents d'Asie, où elle dépasse 30 %.

Le véritable problème de la Côte d'Ivoire en matière de financement domestique se situe sur un autre plan,  à deux niveaux. D'abord, l'État ne démontre pas de capacité à générer une épargne publique suffisante. La pression fiscale du pays s’établit à 16 % du PIB, soit en deçà des objectifs des décideurs politiques ivoiriens et de la région UEMOA (20 %), pourtant inférieurs aux taux observés au Maroc ou en Afrique du Sud (25 %).  Les autorités ivoiriennes ne mobilisent en outre que 25 % des recettes potentielles de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui pourraient être perçues sur l’ensemble des transactions internes du pays. À titre de comparaison, un pays émergent comme l'Ile Maurice affiche un taux de recouvrement équivalent à 75 % de son potentiel de TVA.

Le deuxième problème est lié à l'épargne privée. Le défi n'est pas tant d'augmenter son montant mais d'améliorer son affectation. Aujourd'hui, seuls 15 % des épargnants ivoiriens placent leurs économies dans le système financier local, un taux deux fois inférieur à la moyenne africaine. Ce choix ne permet pas de profiter du formidable effet de levier que pourrait générer le multiplicateur de crédit sur l'ensemble de l'économie. Par voie de conséquence, les montants de crédits octroyés par le système financier ivoirien s’élèvent à 30 % du PIB, alors que ceux-ci atteignent plus de 100 % dans des pays comme le Maroc, l'Afrique du Sud et l'Ile Maurice. Ce taux est par ailleurs inférieur aux montants recensés au Ghana, Sénégal et au Togo.

Imaginons que la Côte d'Ivoire puisse agir à la fois sur la mobilisation de son épargne publique et la capacité de crédit de son système financier. Imaginons encore que le recouvrement des impôts atteigne 20 % du PIB et que le taux de crédits augmente jusqu'à 80 % du PIB. Au taux de change actuel et en utilisant le revenu du pays en 2015, ces sources de financement s’établiraient à 40 milliards de dollars ou une hausse de 21 milliards de dollars par rapport aux montants déclarés fin 2015.

Les montants ainsi générés par les sources domestiques permettraient de compléter les engagements financiers extérieurs d’environ 25 milliards de dollars. Compte-tenu des annonces sur la période 2016-20 tenues par le Groupe Consultatif en mai dernier à Paris l'ensemble des financements intérieurs et extérieurs serait amplement suffisant pour couvrir les investissements identifiés par le Plan national de développement sur la période 2016-20, et pour ouvrir la voie vers l'émergence.

La question qui demeure est la suivante : comment parvenir à accroître la mobilisation et l'utilisation de l'épargne domestique tant du côté du secteur public que privé ?  La réponse est éminemment complexe  mais une chose est sûre : elle devra inclure un contrat social à travers lequel les différents acteurs se feront mutuellement confiance et qui possèdera des règles claires et transparentes qui chercheront à optimiser le bien-être collectif du pays et non pas les intérêts pécuniaires de certains groupes particuliers. Les contribuables devront pouvoir compter sur la bonne utilisation de leurs paiements par les pouvoirs publics. De même, les épargnants devront avoir confiance en leurs banques, lesquelles devront en retour avoir suffisamment d’assurances quant à l’effectivité du remboursement de leurs prêts.

Pour en savoir plus, consultez le dernier rapport sur la situation économique en Côte d'Ivoire.

Cet article est issu des Blogs publiés par la Banque Mondiale et soumis par JACQUES MORISSET.

Comment améliorer l’impact des IDE sur l’économie sénégalaise ?

Abstract business 3d  illustrationMalgré sa stabilité socio-politique et une position stratégique due à son accès à la mer faisant de lui une porte d’entrée privilégiée sur le continent africain et une destination sûre pour les investissements directs étrangers du fait des multiples opportunités qu’il peut offrir, le Sénégal peine à attirer les IDE comme le démontrent les chiffres. En effet, sur la dernière décennie, le flux d’IDE à destination du Sénégal s’est stabilisé autour d’une moyenne de 300 millions de dollars alors que dans des pays comparables comme la Mauritanie, ils sont passés de 101 millions de dollars en 2003 à 1126 millions de dollars en 2013[1].

Attirer les investissements étrangers est d’une importance capitale pour les autorités sénégalaises, qui misent sur le secteur privé (notamment étranger) pour atteindre les objectifs du Plan Sénégal Émergent (PSE), le nouveau cadre de gestion de la politique économique sénégalaise. En effet, une place de choix est accordée au secteur privé dans ce plan. Sur les 12 000 milliards nécessaires pour l’exécution de ce plan, les deux tiers devraient provenir du secteur privé. Ceci justifie les  efforts engagés par les autorités afin d’attirer davantage d’IDE, notamment à travers différentes réformes ; réformes qui ont permis au pays de gagner trois places au classement Doing Business de la Banque Mondiale, passant ainsi de la 156ème à la 153ème position sur les 189 pays classés. En dépit de ces efforts, l’investissement privé étranger durable ne semble pas suivre et cet engouement des autorités pour en attirer davantage suscite des interrogations quant à l’impact des IDE sur la croissance de l’économie sénégalaise mais aussi sur les stratégies mises en place pour attirer les IDE.

S’il est généralement admis sur la base de certaines études que les investissements directs étrangers peuvent entrainer la croissance économique (Seetanah et Khadaroo 2007), nombreux sont les analystes qui stipulent que la question du développement  n’est pas seulement économique mais aussi sociale car elle doit tenir compte des phénomènes environnementaux. Pour ces derniers, les investissements directs étrangers ne sont que sources de pollution pour les pays en voie de développement et ne constituent donc pas une source de développement harmonieux.

En s’inspirant du modèle de Solow[2], une analyse faite sur l'impact des IDE sur la situation socioéconomique du Sénégal[3] révèle que ces ressources, n’ont pas d’influence systématique sur la situation socio-économique du Sénégal. Deux raisons expliquent cette situation :

  •  les IDE entrant dans le pays sont faibles. En effet, le Sénégal perçoit par an en moyenne depuis 2012 au moins 300 millions de dollars au titre des IDE, un montant relativement faible comparé aux 1,2 milliard de dollars investi par l’État ou au 1,6 milliard de dollars en moyenne, perçu sur la même période par le pays au titre d’envoi des migrants ;
  •  une mauvaise orientation des IDE. L’essentiel des IDE entrants au Sénégal est investi dans le secteur secondaire et se concentre sur l’activité des entités existantes, ce qui ne se traduit pas en une amélioration systématique des performances de ce secteur ou en création d’emplois. De plus au Sénégal, la croissance économique est tirée principalement par le secteur tertiaire (65,3% du PIB en 2014)[4], alors que le secteur primaire, qui emploie 45% de la main d’œuvre[5] disponible  contribue très peu à la création de richesse. Le manque d’investissement dans ce secteur constitue donc un manque à gagner considérable pour l’économie sénégalaise.

Cependant, les résultats montrent qu’associés à d’autres facteurs (capital humain, taux d’ouverture…), les IDE ont un impact plutôt significatif sur la situation socio-économique du Sénégal.

Dans ce contexte, le défi majeur aujourd’hui pour le Sénégal n’est pas tant d’entreprendre des réformes pour améliorer l’environnement des affaires et d’avoir un meilleur classement au Doing Business, mais plutôt d’améliorer les facteurs internes pour maximiser l’impact des flux intrants.

D’abord, il faudrait réorienter les IDE vers les secteurs à forts potentiels mais  qui apparaissent sous exploités. Les secteurs porteurs de croissance souffrent d’une carence en investissement privé durable, comme c’est le cas du  secteur primaire, qui est pourtant celui qui absorbe la plus grande partie de la main d’œuvre disponible

Ensuite, il faudrait améliorer la qualité de la main d’œuvre. En effet, l’État doit rendre plus efficace les dépenses publiques destinées à l’éducation et  à la santé afin de renforcer les capacités des ressources humaines tout en recherchant une adéquation entre la formation et le marché du travail. Selon les résultats du recensement général de la population de et l’habitat  (RGPH) de 2013, à peine 1 actif sur 10 au Sénégal aurait bénéficié d’une formation professionnelle, situation qui ne favorise pas  l’attractivité du pays.

Enfin, mettre en œuvre une bonne politique d’ouverture du Sénégal qui peut lui permettre de profiter des effets des IDE à l’aune de la marche de l’émergence. Pour ce faire, il faut réussir la transition fiscale en adoptant une politique fiscale plus attractive et qui favorise le développement du secteur privé.

Dans une compétition ardue entre pays en développement se disputant le volume d’IDE disponible sur le marché international, les pays qui seront moins attrayant sur le plan du climat des affaires et de l’investissement subiront la loi de la concurrence.

Mais les efforts ne sont pas à faire seulement au niveau national et doivent s’étendre également au niveau régional. Ainsi, pour renforcer les IDE dans la zone CEDEAO, zone économique à laquelle appartient le Sénégal, afin d'en maximiser l'impact sur l'économie et améliorer les conditions de vie des populations, des efforts  en terme de politiques économiques et de mesures incitatives sont à faire. Entre autres, on peut en citer :

  • la mutualisation des efforts des agences de promotion des investissements ;
  • L’effectivité d’un marché commun de la sous-région ;
  • L’adoption du code communautaire d’investissement.

En définitif, il faut retenir que : i. les IDE seuls exercent une faible influence sur la croissance économique sénégalaise, mais associés à d’autres facteurs (capital humain, taux d’ouverture…), ils ont un impact plutôt significatif sur la situation socio-économique du Sénégal ; ii. les différentes politiques d'ouverture économique du Sénégal  n'ont pas eu les effets escompté sur l’attractivité des IDE. La nouvelle politique des autorités doit donc s'attacher à une mise en valeur des secteurs porteurs peut financer à l'état actuel afin d'assurer une réorientation des IDE, permettant ainsi d'accroître leur rentabilité et de positionner le Sénégal comme une terre d'opportunités.

Abdoulaye Diallo


[1] Données banque mondiale

[2] Le modele de Solow est basé sur 05 équations macroéconomiques à savoir : Une fonction de production ; Une fonction comptable sur la création d richesse ; Une fonction sur le capital ; Une fonction sur le facteur travail ; Une fonction d’épargne.

[3] Les résultats du modèle sont disponibles sur demande.

[4] Banque de France

[5] Banque mondiale

Faut-il un fonds souverain en Côte d’Ivoire ?

3h1e8fovA l’instar de la plupart des économies africaines, la question du difficile accès des PME au financement s’est toujours présentée en Côte d’Ivoire comme un défi auquel les décideurs politiques et économiques peinent à trouver des solutions efficaces et durables. En effet, les conditionnalités actuelles d’accès au crédit restent quasi impossibles à franchir par les PME ivoiriennes, qui occupent pourtant une place primordiale dans le tissu industriel du pays : selon le ministère du commerce, les PME représentent 80% des entreprises et contribuent pour près de 20% au PIB et emploient environ 23% de la population active. C’est à juste titre qu’à l’occasion de la cérémonie d’inauguration du siège du patronat ivoirien baptisé« la Maison des entreprises »  qui s’est tenue à Abidjan le 19 septembre 2014, le Chef de l’Etat AlassaneOuattara a fait cet appel de pieds aux institutions financières implantées dans le pays :«En Côte d’Ivoire le constat est clair: le secteur financier ivoirien ne contribue pas encore suffisamment au financement de l’économie nationale ».

Des raisons complexes à la base du difficile accès des PME au financement…

Une analyse profonde de la question permet de réaliser que la problématique du difficile accès des PME au financement est plus complexe qu’elle ne parait. En effet, s’il est vrai que de nombreuses institutions financières, guidées par leur logique purement capitaliste, ne jouent pas pleinement leur rôle de financement de l’économie, la réalité du terrain nous impose néanmoins, de constater que la plupart des PME présentent un profil de risque élevé en raison du manque de visibilité de leurs activités dû à un environnement politico-économique fragile ; ce qui contribue à les rendre insolvables. Ainsi, le mécanisme traditionnel de financement par prêt bancaire s’avère inefficace puisque le risque de non remboursement est réel.

…qui nécessitent une intervention de l’Etat à travers la mise en place d’un fonds souverain

Dans ce contexte d’impasse, l’Etat de Côte d’Ivoire ne doit pas se contenter de dénoncer l’inaction des banques. Il doit prendre ses responsabilités en se positionnant clairement comme un partenaire financier privilégié des porteurs de projet. Pour parvenir à jouer efficacement ce rôle de partenaire financier,  une solution idoine s’offre à notre pays : la création d’un fonds souverain.  En effet, la Côte d’Ivoire peut capitaliser sur son énorme potentiel en ressources naturelles pour constituer une manne financière importante en vue de mettre en place son fonds souverain. De fait, le secteur primaire qui représente plus de 29% du PIB en 2013 (BAD, African Economic Outlook) est dominé par l’exploitation forestière et les cultures industrielles d’exportation (café, cacao, palmier à huile, hévéa etc.). En plus de cela, le secteur minier qui a contribué en 2013 à hauteur de 4.6% au PIB (BAD, African Economic Outlook) prend progressivement de l’ampleur dans l’économie du pays. En Avril 2014 par exemple, le groupe français TOTAL a fait l’une de ses plus grandes découvertes  de pétrole en Afrique de l’Ouest  au large de San Pedro, dans le sud-ouest de la Côte d'Ivoire.

Le gouvernement de Côte d’Ivoire peut réaménager l’utilisation des recettes issues de l’exploitation de ses ressources naturelles pour consacrer une partie au financement d’un fonds souverain dont le but sera de soutenir le développement des PME. En effet, à condition d’être rigoureusement géré, les fonds souverains se présentent comme un puissant levier pour répondre efficacement au défi de financement des PME.

Ainsi, face à la stratégie d’investissement des partenaires financiers privés qui repose essentiellement sur la recherche de rentabilités élevés à court terme, le fonds souverain devra proposer aux PME, un package de solutions de financements moins exigeants qui privilégientleur développement sur le long terme. Il s’agit pour le fonds souverain, d’adopter la posture d’un allié dont le but est d’abord et avant tout d’aider les PME à transformer leurs faiblesses en force pour devenir à moyen ou long terme, des champions nationaux qui porteront l’économie du pays.

Un recours croissant aux fonds souverains à travers le monde.

En plus d’offrir des opportunités de financement pour les entreprises, l’une des raisons qui pousse les pays à créer des fonds souverains est qu’ils favorisent la gestion optimale des revenus issues des ressources naturelles afin d’éviter la fameuse «malédiction des ressources naturelle». Les exemples de réussite de fonds souverains à travers le monde sont légions. Grâce à ses revenus pétroliers, la Norvège a réussi à bâtir le plus gros fonds souverain au monde qui est aujourd’hui une structure clé dans l’architecture économique du pays. La plupart des pays du golf arabe producteurs de pétrole disposent de fonds souverains qui jouent un rôle de premier plan dans le financement de leurs économies.

En Afrique subsaharienne, l’Angola et le Nigeria sont en tête du classement des plus gros fonds d’investissement. D’autres pays tels que le Gabon, la Guinée Equatoriale et le Ghana ont également mis en place des fonds souverains. Tout récemment, le Sénégal qui dispose pourtant de très peu de ressources naturelles a lancé son fonds souverain pour apporter une réponse appropriée à la question du manque de financement des PME.

Des conditions préalables à respecter pour le succès du fonds souverain

Bien que les fonds souverains soient un levier capable d’apporter une réponse à l’épineux problème du financement des entreprises, il convient de noter que leur existence en soi n’est pas une panacée.Pour éviter de créer un effet de massue, les fonds souverains doivent être utilisés à bon escient. Ainsi, le succès de tout fonds souverain est subordonné entre autres aux préalables suivants :

  • Diversifier les sources de revenus destinées à alimenter le fonds : La Côte d’Ivoire dispose de diverses ressources naturellesqui peuvent servir de base de collecte des revenus (taxes, prime d’exploitation etc.) pour alimenter les fonds souverains.Le fonds se présentera comme une caisse unique qui centralise l’ensemble des revenus de l’Etat non destinés directement au financement du budget.
  • Transparence et rigueur dans la gestion des ressources : Le manque de transparence et de rigueur sont lesprincipales causes de l’échec des fonds souverains. Il est donc crucial de créer les conditions d’une gestionrigoureuse qui s’inscrit dans une vision claire et ambitieuse
  • Mécanisme d’investissement : Le fonds souverain devra apporter des capitaux sous forme de fonds propres pour prendre des parts dans le capital des PME. Ceci permet à la fois de bénéficier des dividendes généréset d’avoir un regard sur la gouvernance afin de contribuer à améliorer la gestion de la société pour l’inscrire sur la voie de la croissance.
  • Définir une stratégie d’investissement efficace : La ligne directrice du fonds doit être clairement établie. Il s’agit de définir entre autres : les secteurs cibles prioritaires, le montant des tickets de financement, la durée moyenne de l’investissement, la nature de la prise de participation (minoritaire vs majoritaire) etc.Pour ce faire, l’équipe dirigeante devra être composée de professionnels confirmés rompus au métier de la finance et de l’investissement

La Côte d’Ivoire devrait s’inspirer de ces success stories pour lancer son fonds souverain avec pour objectif spécifique de contribuer au financement des PME qui seront des champions nationaux capables de porter l’émergence du pays.  Avec son énorme potentiel en ressource naturelles et le dynamisme de son économie, les conditions sont favorables à la réussite d’un fonds souverain en Côte d’Ivoire.

Lagassane Ouattara

Private Equity en Afrique cherche gérants locaux et ingénieux

Les temps sont durs pour les transactions de capital-investissement en Afrique subsaharienne ! Les deals de private equity seraient de plus en plus difficiles en Afrique, surtout ceux de tailles importantes. Ce sont les constats d’un article intéressant du Financial Times écrit par la journaliste Katrina Manson qui cite Miles Morland, l’un des pionniers de l’investissement en Afrique :

Private-Equitys-Perception-of-Africa« En Afrique, il y a des centaines d'offres, mais il faut aller les chercher. En Occident, les banquiers d'investissement vous apportent des offres… [Mais], en Afrique, les banques d'investissement sont au bas de la chaîne alimentaire. Vous avez besoin d'aller traîner dans les bars… pour trouver les offres ».

Une activité en dents de scie

Depuis plusieurs années, tout le monde parle du potentiel de l'investissement en Afrique, particulièrement en Afrique subsaharienne. La région est en plein essor et la croissance commence à se transformer vers une classe de consommateurs domestiques, alimentée par une grosse population en pleine croissance. Mais l'Afrique demeure encore loin derrière le reste du monde en ce qui concerne le Private Equity qui représente pour le continent 4% des transactions sur les marchés émergents, contre 63% pour les pays émergents d'Asie.

L'histoire du private equity en Afrique a été en dents de scie. Dans les années 1990, le climat des affaires était encore difficile et même de bons investissements ont été affectés négativement par l'effondrement des devises locales.

Puis vinrent les années 2000, au cours desquels étaient enregistrés de gigantesques retours sur investissement, en particulier dans le secteur des télécommunications. Le secteur a été au plus haut sur les radars mondiaux en 2005, lorsque MTC Mobile Telecommunications du Koweït, rebaptisé Zain, a acquis Celtel International, le fournisseur panafricain de télécommunications pour une valeur de 3,4 milliards de dollars US.

De nombreux investisseurs privés ont réalisé au moins 250% de retour sur investissements, et le fond d’infrastructure africain AIG, géré par un précurseur d’Emerging Capital Partners, avait déclaré dans un communiqué de presse avoir perçu environ 214 millions de dollars soir 4,3 fois son investissement initial de 50 millions de dollars. Mais d'autres investissements n’ont le plus souvent pas aussi bien marché.

Selon Morland, « dans le contexte actuel du cycle de 2007-17, gagner de l'argent sera plus difficile. Un taux de rendement interne de plus de 20% aura l'air correct. C'est une époque où les investisseurs prudents feront plutôt mieux que les cow-boys… ».

Trouver des offres devient un véritable chemin de croix

Les discours sur les énormes possibilités de la grande région de l'Afrique et la potentielle surabondance de nouveaux investisseurs privés du Brésil, du Moyen-Orient et des États-Unis vers l'Afrique, ont été renforcés avec l’entrée ces dernières années de poids lourds comme Carlyle et KKR sur le continent.

« Malgré le durcissement de l'environnement, des collectes de fonds ont du mal à rassembler ce que l'on appelle les gros investisseurs des fonds à 'gros ego' », écrit le Financial Times, avec le brésilien BTG Pactual et d'autres visant le milliard de dollars qui chercheront les grosses transactions que le marché fragmenté du continent peut rarement offrir.

La journaliste Manson cite Marlon Chigwende, co-directeur Afrique de Carlyle qui déplore le manque de transactions de private equity au-delà de 75 millions de dollars US.

Roger Leeds, fondateur de l'Association Emerging Markets Private Equity (EMPEA), déclare que l' « argent intelligent » cible les marchés moyens de moins de 50 millions de dollars, dont il estime avoir des perspectives de croissance plus forts : « Les gérants de fonds sont heureux de prendre l'argent des investisseurs mais ceux-ci mettent une pression énorme sur eux pour réaliser des transactions de plus grande envergure si bien qu’ils vont s’essouffler. Ils se plaignent tous des difficultés à trouver des offres et ils sont en concurrence les uns avec les autres, ce qui fait monter les valorisations ».

L’un des investisseurs se réfère également à un « embouteillage » des gérants de fonds en quête de capitaux auprès d'investisseurs. La firme de recherche Preqin affirme que 57 fonds de private equity axés sur l’Afrique (dont la moitié se trouve en Afrique du Sud) sont à la recherche de 13,1 milliards de dollars US. Au cours des 2 dernières années, les collectes de fonds sur les marchés émergents ont augmenté de 72% sur un total de 40 milliards de dollars, mais la collecte de fonds pour l'Afrique subsaharienne a baissé de 3% à 1,45 milliards de dollars l'an dernier, bien en dessous de son pic de 2,24 milliards en 2008.

Toutefois, certains investisseurs arrivent à performer. Le fond pour l’Afrique subsaharienne de Carlyle devrait clôturer au-dessus de son objectif de 500 millions de dollars au 3ème trimestre. Il a investi pour la première fois en 2012 en prenant part à une injection de fonds propres 210 millions $ dans GTE, un commerce tanzanien produits agroalimentaires. Le fonds Development Partners International de Morland a levé un financement de 500 millions de dollars en 2008 et a investi dans 9 transactions. Il lève cette année un nouveau fond de taille équivalente.

« Si l'histoire de la croissance africaine attire de plus en plus de fonds, les choses se durcissent. C'est une des raisons pour lesquelles des équipes de gestion locales et ingénieuses sont beaucoup plus importantes aujourd'hui que par le passé », conclut le Financial Times.


Article de Leyla Traoré – Analyste sur nextafrique.com | Centres d'intérêts : l'économie, la finance de marché et les nouvelles technologies

Publié initialement par Next AFrique : http://www.nextafrique.com/finance/banque-marches/2377-les-temps-sont-durs-private-equity-en-afrique-cherche-gerants-locaux-et-ingenieux 

UE-Afrique: une nouvelle donne?

La coopération économique entre l'Europe et l'Afrique s'opère dans un contexte historique et socio-politique très singulier, marqué en partie, par l'héritage de la période coloniale. Comme le souligne M. Damien Helly chercheur à l’Institut d’Etudes de Sécurité de L’Union Européenne, spécialiste de l’Afrique sub-saharienne et des relations Europe-Afrique, la situation postcoloniale continue d'avoir un fort impact dans l'élaboration des programmes politiques de l'Union Européenne et ce par le biais des anciennes puissances coloniales. Les rapports que les entités occidentales, en général, entretiennent avec le continent noir ont toujours été influencés par des dispositions inconscientes et psychologiques très puissantes autant du coté des européens qu'africain, poursuit M. Helly. Ces dispositions ont tendances à déplacer les relations sur le champ de l'émotion, de l'affect ou plus encore, des représentations imaginaires.

Il convient alors de gérer la méfiance et les a priori réducteurs, les réputations d'arrogance, les accusations d'illusion, d'omnipotence, d'agenda caché, les ambiguïtés de l'égalité des relations interraciales. Cette entreprise commence par une mise en garde des médias qui contribuent encore largement à la pérennité des clichés, du "barbare" au "bon sauvage". Suivant cette dynamique, l'Afrique a souvent été perçue en Europe comme une source de toutes sortes de menaces « immigrations, conflits, pauvreté » que les élites européennes n'ont jamais manqué d'essayer de neutraliser et de combattre à travers leurs discours et autres politiques sécuritaires.

Cependant, force est de reconnaitre de façon tant soit peu objective qu'au delà de ce que l'on nous montre par écrans interposés, au delà de cette Afrique qui ne fait pas partie des tendances générales, des pays les moins avancés, des États dits « fragiles », ou encore, ceux du bottom billion, de cette Afrique de la pauvreté qui ne recule pas, des flux réels non comptabilisés, de l’informel, de la corruption, de la faim, des épidémies et de la violence, cette Afrique des médias, de catastrophismes et de l’afro-pessimisme, notre continent est en train de changer. Cette Afrique qu'on ne voit pas dans les médias est en train de changer l'Europe et les relations euro-africaines « par le bas » qui ne cessent d'ailleurs de se nourrir au delà des accords et des grands engagements. Parle-t-on d'une certaine "africanisation" des sociétés européennes, d'une continuité des histoires et des flux migratoires.

En effet, de nos jours, fait-on face à une Afrique enchantée qui invite la multipolarité et s'ouvre à la concurrence accrue entre cette Europe en quête d'intégration qui peine à parler d'une seule voix, les Etats-Unis très endettés, « moteurs de crises », qui peinent à redonner une image positive de leur politique étrangère, l'Inde et la Chine nouveaux pays émergents, moteurs de l'économie mondiale, qui ont su gagner la confiance de certains dirigeants africains.

Cette nouvelle perspective fera du continent noir, encore une fois, un nouveau centre de gravité de l'activité économique internationale. Malgré les crises alimentaires et financières qui ont sonné le glas au niveau mondial, les tendances au niveau africain sont là, tangibles et palpables. L'Afrique enregistre une forte croissance, attire de nouveaux investisseurs en diversifiant les activités et les secteurs d'investissement. L’Afrique voit une augmentation des flux financiers de sa diaspora, sans oublier l'accélération prévisible des mouvements et des migrations qui témoigne d'une plus grande mobilité à l'intérieure du berceau de l'humanité. Par ailleurs, on constate une construction progressive d'une jurisprudence et d'une architecture continentale de sécurité.

Toutefois, il est de la responsabilité des autorités africaines de veiller à ce que les nouveaux partenariats soient davantage "civilisés" et bénéficient pleinement aux populations locales. Les nouveaux acteurs du développement africains doivent être impliqués dans l'élaboration des politiques conformément à leurs secteurs d’activité. Quand est-il de ces anciens partenaires en quête d'une nouvelle légitimité, plus particulièrement, de l'Union Européenne?

Comparée aux autres puissances qui opèrent sur le sol africain, L'UE est plutôt perçue comme un interlocuteur difficile et compliqué selon les mots d'un consultant experts des relations UE-ACP. En outre, comme l’affirme M. Helly dans les « Cahiers de Chaillot », la multiplicité des approches européennes – commerce et développement étant traité séparément- poussent ses partenaires africains à demander une démarche plus pragmatique et plus business-like de la part de l'UE. Dans cette même dynamique, certains observateurs ne manquent pas de souligner une certaine schizophrénie des les relations UE-Afrique qui se manifeste d'une part par la signature d'accords ambitieux à l'aune de grands principes éthiques de coopération, tandis que d'autre part, les rapports de force perdurent, voire s'aggravent dans bien des cas, sur les questions commerciales, sécuritaires et de gouvernance. Quid des Accords de Partenariat Economique de 2008 ? Se demande t-on dès lors, l'état de la cohérence et l’efficacité des politiques européennes envers le continent noir?

Face au nouveaux défis qu'entraine tout élargissement de l'Union Européenne- notamment celui de 2004-, il convient, au niveau européen d'intéresser les pays d'Europe centrale par exemple à l'Afrique, inconnue de ces pays, mais qui reste tout de même un partenaire incontournable, en plein essor.

Enfin, au delà des grands Etats qui continuent de dominer les débats africains dans les groupes de travail thématiques de l'Union Européenne, il semble opportun de reformer les bases de la coopération UE-Afrique à l’aune d’une éthique discursive permettant une meilleurs communication des enjeux et des intérêts de chaque partenaire. Les cadres des relations euro-africaines doivent aussi relever les défis de la cohérence dans les secteurs économique, gouvernance, sécurité et multilatéralisme. Privilégier l'agir communicationnel au détriment de l'agir stratégique reste, dès lors, incontournable pour l'Union Européenne face à une Afrique devenue un agenda global.

Pape Modou Diouf