Ecoutez, vos querelles politiques tuent nos économies…

politiqueL’Afrique tangue ! Chacun y va de son expertise pour trouver les causes d’un malaise vieux de plusieurs siècles. Selon cette cohorte de « spécialistes » de l’Afrique, sa pauvreté serait liée à sa tumultueuse histoire marquée de nombreuses crises de civilisations. Pas sérieux, je l’espère bien, d’autres rattachent la frénésie économique du continent « berceau de l’humanité » dans sa position géographique. La pauvreté serait au sud du globe. D’accord ! Mais que disent-ils des dernières récessions économiques qui ont foudroyé les pays du nord ? Certes l’Afrique n’était pas épargnée, mais elles auront le mérite de redonner confiance à ceux qui sont convaincus qu’elle n’est point un continent damné.

Mais voilà, l’Afrique vivote encore ! Du moins certains pays où la ligne de conduite des leaders politiques semble plonger le continent dans une spirale d’échecs. Il ne se passe presque pas une année sans qu’un pays du continent se livre à de féroces agitations politiques. Des guerres d’intérêts particuliers qui embrasent des pays entiers. Des querelles politiques qui repoussent les indicateurs économiques dans un lointain passé. Une destruction du symbole africain de la solidarité qui polarise tout un continent.

De l’Egypte enfouie dans une tension politique post printemps arabe mal maîtrisé, à la République Centrafricaine (RCA) décimée par les agissements d’une rébellion pirate, au Soudan du Sud annihilé dans une guerre fratricide pour le contrôle du pouvoir et du pétrole, en passant par le Mali qui renaît des séquelles de l’agression islamiste, à la Somalie et la République Démocratique du Congo (RDC) devenues irrécupérables des animosités politico-militaires, l’Afrique n’est pas loin de détenir la palme d’or des querelles dans le monde.

Mais un faux palmarès avec de lourdes conséquences. Pas besoin d’une grosse loupe d’observateurs pour réaliser qu’il existe un nombre considérable d’Etats bien faibles sur le continent. Affligé par des oppositions politiques monstrueusement « rebelles », le pouvoir d’Etat se retrouve finalement dans la rue. Honneur au plus premier venu à condition qu’il soit endurant pour le ramasser.

C’est à croire qu’ils ignorent qu’aussi longtemps que le jeu politique se fera sous fonds de haine et d’agressions militaires, l’Afrique trainera le pas. Toutes ces prévisions qui font de lui un continent d’avenir n’auraient été que vaines. La situation économique serait plus difficile.

Les signaux passeront plus au rouge. Les entreprises privées tourneront au ralenti. La seule option pour les investisseurs ne sera que de nous fuir. Bien que vous me diriez que les chinois s’en moquent. Mais les capitaux chinois ne pourront au grand jamais combler toutes les pertes liées à ces fracassantes agitations politiques.

Dans le seul cas de la RCA, les querelles politiques ont mis un pays à genou. Une économie centrafricaine passée dans une récession de moins 15%, un trésor public à l’étiage, des fonctionnaires sans salaires. Au plus profond de la crise ivoirienne, c’est toute une économie sous régionale qui été prise dans une spirale de décroissance par endroit, et d’instabilité chronique ailleurs.

Cette situation peu nouvelle des crises politiques devenue le quotidien de l’Afrique, ajournerait inéluctablement la productivité et la compétitivité de l’économie continentale.

Le coût économique de la violence politique n’est pas des moindres…

 

De-Rocher Chembessi

Violence politique au Sénégal : le malheur n’arrive pas qu’aux autres….


« Heureux les artisans de Paix, car ils seront appelés Fils de Dieu » Matthieu 5, 9.

En dépit de la vive émotion suscitée par les récents incidents du 22 décembre 2011 – au cours desquels une personne a été tuée et trois autres blessées – la violence politique ne constitue guère un phénomène nouveau au Sénégal. Certes son ampleur n’a jusque là pas atteint les proportions prises dans certains autres pays africains, mais celle-ci s’est quelquefois cristallisée en des événements majeurs que l’observateur d’aujourd’hui a tendance à méconnaître.

La première phase de la violence physique en politique au Sénégal est celle qui oppose, des indépendances à 1974, diverses tendances d’un parti unique au pouvoir : l’Union Progressiste Sénégalaise (UPS) devenue Parti Socialiste (PS). Elle atteint son paroxysme avec l’assassinat le 3 février 1967 à Thiès de Demba Diop, député-maire de la ville de Mbour et président du groupe parlementaire de l’UPS à l’Assemblée Nationale. Dans un contexte de rivalité politique entre Ibou Kébé, ancien maire de la ville et son allié Jacques d’Erneville d’une part et d’autre part Demba Diop, ce dernier est sauvagement poignardé par Abdou N’Dakhafé Faye. A la suite du procès du 17 mars 1967, celui-ci est condamné à mort puis exécuté tandis que Ibou Kébé écopait de la réclusion perpétuelle et Jacques d’Erneville de 20 ans de travaux forcés.

A peine ce procès terminé que le 22 mars 1967, à l’occasion de la fête de l’Aid el Kébir, le président de la République Léopold Sédar Senghor est victime d’une tentative d’assassinat. A la sortie de la prière de la grande mosquée de Dakar, un certain Moustapha Lô pointe son arme sur le président. Lui aussi sera condamné à la peine capitale et exécuté. L’hypothèse, non prouvée juridiquement, d’un attentat commandité par le camp de Mamadou Dia qui avait été accusé de tentative de coup d’Etat en 1962, est alors évoquée.

Ces deux événements, relatés par Marcel Mendy dans un essai intitulé La violence politique au Sénégal[1], cristallisent une violence essentiellement circonscrite dans le cadre du parti unique.

Avec le pluripartisme limité adopté par Senghor en 1974 et surtout le multipartisme par Abdou Diouf en 1981, la violence politique devient en substance une arme de l’opposition incarnée par Abdoulaye Wade contre le parti au pouvoir. Face à un parti au pouvoir qui monopolise tous les rouages de l’Etat en dépit du libéralisme politique de façade, Abdoulaye Wade, alors leader charismatique de l’opposition, théorise et met en œuvre cette nouvelle violence politique. Lors du congrès du Parti Démocratique Sénégalais (PDS) les 2 et 3 janvier 1988, il explique :

Je ne pose pas le problème en termes d’alternative pacifique ou non pacifique. Quand il faut faire une révolution, il faut la faire. Si en 1789, les Français s’étaient dit qu’il ne faut pas faire la révolution (…) « Attendons que le roi veuille réformer sa royauté pour arriver à la République » (…) on aurait attendu deux cents ans. Il y a des réformes à faire. Si le pays veut l’alternance, il faut que l’alternance soit faite quels que soient les prix et les moyens.[2]  

Les élections du 28 février 1988 sont alors émaillées d’émeutes sanglantes à la suite desquelles prés de 300 personnes sont arrêtées et jugées. Les leaders du PDS, au premier chef Abdoulaye Wade et Ousmane Ngom, sont alors identifiés comme commanditaires par la justice et condamnés à des peines de prison.

L’événement qui reste cependant dans les mémoires comme le symbole par excellence de la violence politique au Sénégal reste l’assassinat de Me Babacar Sèye, vice président du conseil constitutionnel, le 15 mai 1993. Ce meurtre politique est commis à la suite des élections législatives du 9 mai. Au cours de l’enquête, les assassins, Clédor Sène, Pape Ibrahima Diakhaté et Assane Diop ont clairement désigné Abdoulaye Wade, son épouse Viviane et son conseiller financier Samuel Sarr, ainsi qu’Ousmane Ngom et Abdoulaye Faye, comme les commanditaires de ce meurtre scabreux. La chambre d’accusation de la cour d’appel de Dakar a toutefois estimé le 26 mai 1994, sans doute à la suite d’un arrangement politique entre Wade et Abdou Diouf, qu’il n’y avait pas lieu de les poursuivre. Outre les aveux des meurtriers, la responsabilité d’Abdoulaye Wade est d’autant plus probable au regard de son attitude une fois devenu président de la république. Il a en effet accordé aux assassins de Me Sèye la grâce présidentielle le 22 janvier 2002 et fait adopté le 7 janvier 2005 la loi dite Ezzan. Celle-ci établit l'amnistie de toutes les infractions criminelles ou correctionnelles commises en relation avec des élections sur la période allant du 1er janvier 1983 au 31 décembre 2004. Sur ce sujet, l’ouvrage du journaliste d’investigation Abdou Latif Coulibaly, intitulé Wade, un opposant au pouvoir, l’alternance piégée ?[3], est édifiant.

Enfin, avec l’alternance politique intervenue en l’an 2000, la violence politique franchit un nouveau cap : elle devient celle d’un parti qui continue à cultiver en interne la culture de la violence comme mode de règlement politique entre différentes tendances politiques, tout en en faisant une arme prisée non seulement contre les opposants politiques mais aussi les responsables de la société civile. En ce qui concerne l’espace public sénégalais, le caractère novateur de cette violence politique est qu’elle va de pair avec une absence de justice effarante. Sous les présidents Senghor et Diouf, les phénomènes de violence faisaient l’objet d’enquêtes sérieuses, de procès équitables et d’une exécution des peines prononcées. Sous Wade, on accorde la grâce présidentielle aux meurtriers, adopte des lois d’amnistie et assure aux nervis et commanditaires en lieu et place de séjour carcéral des traitements princiers. Avec l’agression contre Talla Sylla le 5 octobre 2003, le saccage des locaux de groupes de presse comme 24h Chrono, l’AS ou encore Walfadjiri, les menaces de mort en novembre 2003 contre le clergé épiscopal sénégalais, le passage à tabac d’Alioune Tine, président de la Raddho, jusqu’aux dernières intimidations contre les leaders de l’opposition en vue des prochaines élections présidentielles, le tout par des nervis clairement identifiés comme proches du parti au pouvoir, ce n’est pas tant la violence politique en elle-même qui est choquante que l’impunité et la promotion toujours sidérantes dont bénéficient ses commanditaires.

Dans sa préface à l’essai La violence politique au Sénégal, Abbé Bernard Ndiaye, prêtre et écrivain, mettait en lumière cette problématique :

« Il est écrit que l’Etat doit garantir aussi la sécurité des personnes et de leurs biens, garantir aussi la liberté de pensée, de parole, d’association, etc. si l’on veut éviter la dictature et le type de société liberticide. Soit. Mais comment peut-il assumer cette fonction éminemment régalienne s’il exerce un pouvoir prédateur, s’il s’est échafaudé un appareil répressif implacable contre d’honnêtes citoyens qui n’accomplissent que leur devoir en osant stigmatiser ses dérives, ses exactions, et ses crimes ? Le laxisme, la corruption  et l’injustice ahurissante sont la mère de la violence. Ce sont eux qui créent les frustrations, la colère, la haine, le désir de vengeance ou de « faire sa propre justice »[4]

Avec Abdoulaye Wade, le pacte par lequel les citoyens renoncent à se faire leur propre justice pour la confier à l’Etat est en train d’être rompu. On en revient à un état de nature du fait d’un président qui rêve d’obtenir un prix Nobel de la paix mais qui restera sans doute dans l’histoire comme celui par lequel la violence politique a dépassé le seuil de tolérance au Sénégal.

A moins de deux mois des élections présidentielles, jamais le risque de chaos n’a été aussi proche. Il est temps que les Sénégalais aient conscience que le malheur n’arrive pas qu’aux autres.

 Nicolas Simel


[1]  Marcel Mendy, La violence politique au Sénégal, de 1960 à 2003, Editions Tabala, 2006

[2] Entretien avec Abdoulaye Ndiaga Sylla et Ibrahima Fall, in Sud Hebdo n3, 13 janvier 1988, Propos ropportés par Marcel Mendy dans son essai, page 126

[3] Abdou Latif Coulibaly, Wade, un opposant au pouvoir – l’alternance piégée ?, Dakar, Editions Sentinelles, 2003

[4]Abbé Bernard Ndiaye, dans sa préface à l’essai La violence politique au Sénégal (2006), page 12