Lionel Zinsou: L’homme Providentiel ?

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Lionel Zinsou, le parcours atypique d'un franco-béninois, c'est le titre que nous avions donné à une interview de ce membre du conseil scientifique de L'Afrique des Idées. Ce banquier d'affaires, précédemment président de la Fondation AfricaFrance pour la croissance vient d'être nommé premier ministre du Bénin dans un contexte politique très particulier, suscitant des interprétations contradictoires. Que pourrait donc bien signifier cette nomination, atypique? Son interprétation ne peut se faire en dehors de l'histoire et du contexte politique du Bénin, caractérisés par le plébiscite des hommes providentiels, souvent peu connus de la population, notamment en période de crise.

L'histoire des hommes providentiels béninois

Dans un contexte économique morose et un système de parti unique contesté, le président Mathieu Kérékou au pouvoir depuis 1972, laissa la gestion du pays à un Haut Conseil de la République à l'issue de l'historique Conférence nationale des forces vives de la Nation de février 1990. Cet Haut Conseil nomma Nicéphore Soglo au poste de Premier ministre en mars 1990. Un an plus tard, cet ancien de l'Ecole Nationale d'Administration française et cadre de la Banque mondiale, sera élu président de la République dans un Bénin cette fois-ci démocratique avec un système politique pluraliste. Sa gestion prospère du pays au bout de cinq années de mandat constitutionnel ne lui permettra pas d'être réélu à la présidence en 1996; l’élection consacrant plutôt le retour aux affaires de l'ancien président Mathieu Kérékou grâce au soutien de ses anciens alliés et à l'insatisfaction suscitée par sa lutte acharnée contre la corruption.

L'émergence économique entamée depuis 1991 se prolongera sous la présidence de Kérékou et lui vaudra une réélection en 2001. Cette réélection, cependant, marquera le début d’une descente aux enfers pour l'économie béninoise, gangrenée par des pratiques de mauvaise gouvernance, puisqu'il n'y avait plus d'enjeu après 2006; le président étant élu pour cinq ans renouvelable une seule fois. Dans cette atmosphère de marasme économique, Yayi Boni, président de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) débarque à moins d'un an des présidentielles de 2006 et réussit à se faire élire au second tour avec 75% des suffrages exprimés. Aux élections de 2011, il manque de peu de connaître le même sort que Soglo en 1996 avec la constitution d'une forte alliance de l'opposition.

Son maintien au pouvoir n'a cependant pas permis d'améliorer la situation politique et économique du Bénin; bien au contraire. La croissance économique est restée atone, la pauvreté et les inégalités ont explosé, et la situation politique s'est sérieusement détériorée avec l'exil de certains hommes d'affaires et de juges suite à des tentatives présumées de coup d'Etat et d'empoisonnement. La position politique du président s’est récemment affaiblie avec la prise de contrôle du parlement par l'opposition, mettant un terme au débat sur la révision de la constitution en vue d'un éventuel troisième mandat. C'est dans ce contexte qu'à dix mois des élections, et après une visite de travail à Paris, le président Yayi Boni nomme le banquier d'affaires Lionel Zinsou au poste de Premier ministre, un poste qui n'est pas prévu par la constitution béninoise, le président étant chef de l'Etat et chef du gouvernement.

Le vacuum politique béninois

Actuellement, la classe politique béninoise est divisée et les candidats potentiels affaiblis par leurs manques d'expériences et d'autonomie, de sorte qu'il n'existe pas encore de candidature sérieuse à la prochaine élection présidentielle de 2016. Bien entendu, il y a aujourd'hui une pléthore de candidats déclarés, parmi lesquels les plus crédibles sont Abdoulaye Bio Tchané, ancien candidat malheureux à la présidentielle de 2011, Pascal Irené Koupaki, ancien Premier ministre de Yayi Boni, tombé en disgrâce pour son accointance avec Patrice Talon, et le Général Robert Gbian. Si le premier dispose déjà d'une assise électorale minime auprès des populations béninoises, le second quant à lui, renvoie l'image d'un pur technocrate sans une réelle capacité de diriger le pays.

Les ténors de la scène politique béninoise que sont Adrien Houngbédji, président du principal parti d'opposition, et Amoussou Bruno, président du deuxième parti d'opposition, sont tous frappés par la limite d'âge pour être candidat à la présidence de la République. Le premier vient d'ailleurs d'être élu président de l'Assemblée nationale. Le Parti de la Renaissance du Bénin, présidé par Léhady Soglo, ne dispose plus d'assise électorale comme en témoigne les 7 sièges sur 83 qu'il a obtenus aux dernières élections législatives.

Face à ce vide politique, seul le parti de la mouvance présidentielle détient encore une base électorale très large, avec 33 députés sur 83 aux dernières élections législatives. Dans cette situation, le dauphin politique désigné par le président de la République aura toutes ses chances lors des prochaines élections présidentielles, surtout s'il a le soutien de quelques autres partis politiques de l'opposition. Mais au Bénin, il n'y a pas que le vide politique à combler, mais plus important encore est le redressement économique du pays pour renverser la tendance actuelle à l'explosion de la pauvreté et des inégalités. Il faut donc un homme providentiel.

02_Lionel_ZinsouLionel Zinsou sera-t-il l'homme providentiel pour 2016 ?

D'abord, l'histoire politique béninoise semble suggérer que les électeurs béninois ont une appétence pour les personnalités nouvelles, surtout en période de crise. Si cette préférence milite en faveur d'une élection de Zinsou à la présidence de la République, elle peut néanmoins être inversée par la leçon apprise de la gestion du pouvoir par Yayi Boni. Après quelques maladresses au cours de son premier mandat, lui-même avait reconnu que son manque d'expérience du système politique béninois était un handicap pour la mise en œuvre de ses projets de développement. Si cette opinion était partagée par une bonne partie de la population, alors Lionel Zinsou devrait d'abord prouver sa connaissance du Bénin pour gagner l'adhésion des béninois à une éventuelle candidature. Peut-être, pourrait-il s'appuyer sur la réputation de son oncle, Emile Derlin Zinsou, ancien président du Bénin pour convaincre davantage de monde.

Ensuite, le contexte politique semble très favorable à une candidature de Lionel Zinsou. En l'absence d'une candidature sérieuse, il peut jouir de la visibilité que lui offre un poste aussi controversé au Bénin que celui de Premier ministre. De plus, étant en charge du développement, il pourra gagner la sympathie des populations pauvres et des classes moyennes inférieures qui représentent aujourd'hui la majorité des Béninois, grâce aux programmes de lutte contre la pauvreté et les inégalités qu'il conduira au cours des huit prochains mois.

Par ailleurs, Zinsou devrait bénéficier du soutien de la France du fait de ses nombreux offices pour l'Etat français. C'est ce que suggère d'ailleurs sa nomination à la suite d'une visite de Yayi Boni à Paris et juste avant l'arrivée du président François Hollande à Cotonou le 2 juillet prochain. Cette arrivée de Hollande semble d'ailleurs augurer d'une tentative de ralliement de la classe politique béninoise autour d'une éventuelle candidature de Lionel Zinsou. Plus particulièrement, l'élection d’Adrien Houngbédji à la présidence de l'Assemblée nationale pourrait avoir été favorisée par le soutien de milieux français. Par un retour de l'ascenseur, celui-ci pourrait également faciliter un ralliement autour d'une candidature de Lionel Zinsou.

Cependant, la création d'un poste de Vice-Premier ministre atténue quelque peu les perspectives présidentielles de Lionel Zinsou. Par ce biais, il semble être sous la surveillance de Yayi Boni, avec la possibilité que son bras droit reste auprès de lui au cas où il briguerait la présidence de la République. Les jeux sont-ils faits ? Il se peut qu'une nouvelle surprise survienne dans cette effervescence pré-électorale à moins que ce ne soit celle d'une élection de Lionel Zinsou à la présidence de la République du Bénin. Serait-elle une belle surprise lorsqu’il soutient que le Franc CFA est une chance pour la zone Franc?

 

Georges Vivien Houngbonon

Six promeneurs [pas] si seuls…

Macky Sall et Faure Gn_ParisLa participation de six Chefs d’Etat africains à la marche parisienne qui a suivi les récents actes terroristes en France a été largement critiquée sur le continent. Ils ont été traités de laquais de la France, peu émus par exemple par le massacre de 2000 personnes au Nigéria mais prompts à répondre à l’appel de leur « maître » François Hollande.

Je comprends leur émotion face à la mort tragique d’innocents journalistes sous les balles de barbares. Qu’ils aillent à Paris marcher ou condamner de leurs bureaux les actes terroristes m’importent peu au final. De toutes les façons, nos Chefs d’Etat dépensent si souvent l’argent du contribuable pour des sottises… Même si leurs motivations sont ailleurs, je leur accorde cette fois le bénéfice du doute. Les pauvres en prennent tellement que si, pour une fois, on peut les prendre au mot…

Pour être clair, qui veut marcher, aille le faire. Si cela peut aider certains à perdre du poids, c’est déjà cela de gagné !

Au-delà de la participation des présidents précités à la marche de Paris du 11 janvier, l’intérêt réside dans la suite à donner à l’acte. Quelle leçon en tireront nos « promeneurs du dimanche » après les larmes de Boni Yayi et la mine grave d’IBK ?

L’opinion publique africaine doit même saluer la présence expresse de ses présidents car dorénavant ils ne peuvent plus rester sourds aux appels pour le renforcement de la liberté d’expression et la garantie de l’existence d’une presse libre et indépendante chez eux.

Bongo, Faure et leurs compères ont reçu une leçon magistrale en une après-midi. François Hollande a marché sous le froid pour rendre hommage à des journalistes assassinés. Or, dans les pays de nos « marcheurs », l’état de la presse n’est pas reluisant. De façon globale, les journalistes demeurent souvent une cible privilégiée en Afrique.

Par exemple entre 2013 et 2014, neuf journalistes ont été assassinés en Somalie, selon RSF (Reporters Sans Frontières). La liste des journalistes tués sur le continent rappelle que le combat pour la liberté de la presse est plus qu’actuelle et doit nécessiter des efforts quasi quotidiens. « Journalistes incarcérés. Journalistes assassinés. Les voix des sans voix tuées. » Blondy parlait à nos consciences.  

Les fantômes de Deyda Haidara, Norbert Zongo, Robert Chamwami Shalubuto , Sofiane Chourabi, Nadhir Guetari et tant d’autres femmes et hommes de média morts résonnent encore dans nos mémoires. Souvent dans l’impunité la plus totale. Cette impunité des crimes est une seconde mort des victimes.

Profitant de l’actualité, j’ai encore vu les enfants de Don Quichotte du web s’insurger contre le « deux poids deux mesures » et se draper du manteau d’activistes ardents défenseurs d’une Afrique sans cesse « déshumanisée ». Ils m’ennuient à un point…

Je leur demande, à ceux-là, s’ils avaient dénoncé l’assassinat au Cameroun du blogueur Eric Lembele du fait de son orientation sexuelle ? Qui a mené une campagne pour demander au gouvernement camerounais de faire la lumière sur cette affaire dont on n’identifiera sans doute jamais les auteurs ? Les « pédés » ont moins de droit à la vie que les victimes de Baga ? Leur reniez-vous leur simple humanité ? Liberté d’expression me dites-vous ? Chiche !

Alors, si après cette marche, nos présidents si prompts à défendre sur les rives de la Seine la liberté d’expression ne s’érigent plus en rempart contre tous les actes de fragilisation de la démocratie chez eux, ils auront été les auteurs d’une farce de mauvais goût.

J'espère qu'après avoir marché avec 3 millions de personnes, ils vont lutter davantage pour la liberté de la presse en Afrique. C’est le minimum qu’on pourra désormais leur demander.

Apparemment c'est mal parti. Après avoir participé à la marche républicaine du 11 janvier, Macky Sall a interdit au Sénégal la distribution du numéro de Charlie Hebdo qui a suivi l'attentat. Où est la logique ? Cette contradiction est juste fascinante et renseigne sur l'état d'indigence intellectuelle de cette classe politique. 

De Samir Kassir au Liban à Zongo au Burkina, la presse demeure une cible à abattre. Quand les ennemis de la liberté veulent commettre leur forfait en silence et loin des regards, ils s’en prennent d’abord aux témoins du temps qui passe, ceux qui informent, témoignent et forgent ainsi la conscience de l’opinion. Dans l’Algérie des années 90, les journalistes payèrent un lourd tribut à la terreur du GIA.

Aujourd’hui, défendre le chroniqueur Kamel Daoud victime d’une fatwa lancée par un idiot est un devoir au même titre que s’insurger contre toutes les menaces à la liberté de conscience et d’expression. Défendre la liberté de la presse, son droit à la provocation, à l’irrévérence et à l’impertinence, c’est croire en la démocratie et en ses valeurs de tolérance même si cela heurte notre foi.

Pour nous tous en Afrique, et pour nos six « promeneurs du dimanche » en particulier, les événements de Charlie Hebdo doivent inviter à une réflexion sur la place que l’on accorde à la liberté d’expression, au rôle crucial que joue la presse dans la confection d’une démocratie réelle et puissante dans un pays.

Hélas, au contraire, une hiérarchisation des victimes fait le lit des réactions d’une grande partie de l’opinion. En aucune manière, les journalistes de Charlie Hebdo ne peuvent être supérieurs à la petite fille que les barbares de Boko Haram ont utilisé comme projectile pour commettre leur abject forfait.

Mais nullement les morts juifs tués par la folie d’Amedy Coulibaly ne peuvent être placés en dessous des victimes innocentes en Afrique. Au Kivu ou en Casamance, A Maiduguri ou à Kidal. A Tripoli ou au Darfour. J’ai déjà écrit sur ces pages qu’une hiérarchisation des crimes (selon leur gravité) était possible, mais qu’aucune hiérarchisation de la douleur des familles n’était acceptable.

La victimisation d’une grande partie de l’opinion publique africaine traduit un complexe d’infériorité, un malaise face à l’inaction de nos dirigeants, en premier au Nigéria, incapables d’enrayer une grave menace depuis des décennies. Si la jeunesse d’Afrique a attendu la mort des journalistes de Charlie Hebdo et la marche qui l’a suivie pour se rendre compte qu’elle devait se sentir concernée par les massacres de Boko Haram, elle ne mérite pas qu’on la respecte ; elle ne mérite pas qu’on la félicite ni qu’on la fustige. Elle aura mérité seulement qu’on la méprise.

Des manifestations ont été organisées dans plusieurs pays africains et en Europe pour, disent-ils, crier « Je suis Africain », « je suis nigérian »… Pour s'insurger contre la Une de Charlie Hebdo, des églises ont été calcinées et des personnes tuées. Non, pas en mon nom ! Si notre horizon indépassable est de toujours être dans la réaction, l’amertume et le suivisme, alors non merci. Je ne suis pas de cette Afrique là. Je prône l’afro-responsabilité.

PS : Qui des « six promeneurs » ou de Goodluck Jonathan (absent de Paris) dont le compte Facebook postait des photos du mariage de sa fille pendant le massacre de Baga aura davantage fait mal à l’Afrique ? 

Hamidou Anne