Lionel Zinsou: L’homme Providentiel ?

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Lionel Zinsou, le parcours atypique d'un franco-béninois, c'est le titre que nous avions donné à une interview de ce membre du conseil scientifique de L'Afrique des Idées. Ce banquier d'affaires, précédemment président de la Fondation AfricaFrance pour la croissance vient d'être nommé premier ministre du Bénin dans un contexte politique très particulier, suscitant des interprétations contradictoires. Que pourrait donc bien signifier cette nomination, atypique? Son interprétation ne peut se faire en dehors de l'histoire et du contexte politique du Bénin, caractérisés par le plébiscite des hommes providentiels, souvent peu connus de la population, notamment en période de crise.

L'histoire des hommes providentiels béninois

Dans un contexte économique morose et un système de parti unique contesté, le président Mathieu Kérékou au pouvoir depuis 1972, laissa la gestion du pays à un Haut Conseil de la République à l'issue de l'historique Conférence nationale des forces vives de la Nation de février 1990. Cet Haut Conseil nomma Nicéphore Soglo au poste de Premier ministre en mars 1990. Un an plus tard, cet ancien de l'Ecole Nationale d'Administration française et cadre de la Banque mondiale, sera élu président de la République dans un Bénin cette fois-ci démocratique avec un système politique pluraliste. Sa gestion prospère du pays au bout de cinq années de mandat constitutionnel ne lui permettra pas d'être réélu à la présidence en 1996; l’élection consacrant plutôt le retour aux affaires de l'ancien président Mathieu Kérékou grâce au soutien de ses anciens alliés et à l'insatisfaction suscitée par sa lutte acharnée contre la corruption.

L'émergence économique entamée depuis 1991 se prolongera sous la présidence de Kérékou et lui vaudra une réélection en 2001. Cette réélection, cependant, marquera le début d’une descente aux enfers pour l'économie béninoise, gangrenée par des pratiques de mauvaise gouvernance, puisqu'il n'y avait plus d'enjeu après 2006; le président étant élu pour cinq ans renouvelable une seule fois. Dans cette atmosphère de marasme économique, Yayi Boni, président de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) débarque à moins d'un an des présidentielles de 2006 et réussit à se faire élire au second tour avec 75% des suffrages exprimés. Aux élections de 2011, il manque de peu de connaître le même sort que Soglo en 1996 avec la constitution d'une forte alliance de l'opposition.

Son maintien au pouvoir n'a cependant pas permis d'améliorer la situation politique et économique du Bénin; bien au contraire. La croissance économique est restée atone, la pauvreté et les inégalités ont explosé, et la situation politique s'est sérieusement détériorée avec l'exil de certains hommes d'affaires et de juges suite à des tentatives présumées de coup d'Etat et d'empoisonnement. La position politique du président s’est récemment affaiblie avec la prise de contrôle du parlement par l'opposition, mettant un terme au débat sur la révision de la constitution en vue d'un éventuel troisième mandat. C'est dans ce contexte qu'à dix mois des élections, et après une visite de travail à Paris, le président Yayi Boni nomme le banquier d'affaires Lionel Zinsou au poste de Premier ministre, un poste qui n'est pas prévu par la constitution béninoise, le président étant chef de l'Etat et chef du gouvernement.

Le vacuum politique béninois

Actuellement, la classe politique béninoise est divisée et les candidats potentiels affaiblis par leurs manques d'expériences et d'autonomie, de sorte qu'il n'existe pas encore de candidature sérieuse à la prochaine élection présidentielle de 2016. Bien entendu, il y a aujourd'hui une pléthore de candidats déclarés, parmi lesquels les plus crédibles sont Abdoulaye Bio Tchané, ancien candidat malheureux à la présidentielle de 2011, Pascal Irené Koupaki, ancien Premier ministre de Yayi Boni, tombé en disgrâce pour son accointance avec Patrice Talon, et le Général Robert Gbian. Si le premier dispose déjà d'une assise électorale minime auprès des populations béninoises, le second quant à lui, renvoie l'image d'un pur technocrate sans une réelle capacité de diriger le pays.

Les ténors de la scène politique béninoise que sont Adrien Houngbédji, président du principal parti d'opposition, et Amoussou Bruno, président du deuxième parti d'opposition, sont tous frappés par la limite d'âge pour être candidat à la présidence de la République. Le premier vient d'ailleurs d'être élu président de l'Assemblée nationale. Le Parti de la Renaissance du Bénin, présidé par Léhady Soglo, ne dispose plus d'assise électorale comme en témoigne les 7 sièges sur 83 qu'il a obtenus aux dernières élections législatives.

Face à ce vide politique, seul le parti de la mouvance présidentielle détient encore une base électorale très large, avec 33 députés sur 83 aux dernières élections législatives. Dans cette situation, le dauphin politique désigné par le président de la République aura toutes ses chances lors des prochaines élections présidentielles, surtout s'il a le soutien de quelques autres partis politiques de l'opposition. Mais au Bénin, il n'y a pas que le vide politique à combler, mais plus important encore est le redressement économique du pays pour renverser la tendance actuelle à l'explosion de la pauvreté et des inégalités. Il faut donc un homme providentiel.

02_Lionel_ZinsouLionel Zinsou sera-t-il l'homme providentiel pour 2016 ?

D'abord, l'histoire politique béninoise semble suggérer que les électeurs béninois ont une appétence pour les personnalités nouvelles, surtout en période de crise. Si cette préférence milite en faveur d'une élection de Zinsou à la présidence de la République, elle peut néanmoins être inversée par la leçon apprise de la gestion du pouvoir par Yayi Boni. Après quelques maladresses au cours de son premier mandat, lui-même avait reconnu que son manque d'expérience du système politique béninois était un handicap pour la mise en œuvre de ses projets de développement. Si cette opinion était partagée par une bonne partie de la population, alors Lionel Zinsou devrait d'abord prouver sa connaissance du Bénin pour gagner l'adhésion des béninois à une éventuelle candidature. Peut-être, pourrait-il s'appuyer sur la réputation de son oncle, Emile Derlin Zinsou, ancien président du Bénin pour convaincre davantage de monde.

Ensuite, le contexte politique semble très favorable à une candidature de Lionel Zinsou. En l'absence d'une candidature sérieuse, il peut jouir de la visibilité que lui offre un poste aussi controversé au Bénin que celui de Premier ministre. De plus, étant en charge du développement, il pourra gagner la sympathie des populations pauvres et des classes moyennes inférieures qui représentent aujourd'hui la majorité des Béninois, grâce aux programmes de lutte contre la pauvreté et les inégalités qu'il conduira au cours des huit prochains mois.

Par ailleurs, Zinsou devrait bénéficier du soutien de la France du fait de ses nombreux offices pour l'Etat français. C'est ce que suggère d'ailleurs sa nomination à la suite d'une visite de Yayi Boni à Paris et juste avant l'arrivée du président François Hollande à Cotonou le 2 juillet prochain. Cette arrivée de Hollande semble d'ailleurs augurer d'une tentative de ralliement de la classe politique béninoise autour d'une éventuelle candidature de Lionel Zinsou. Plus particulièrement, l'élection d’Adrien Houngbédji à la présidence de l'Assemblée nationale pourrait avoir été favorisée par le soutien de milieux français. Par un retour de l'ascenseur, celui-ci pourrait également faciliter un ralliement autour d'une candidature de Lionel Zinsou.

Cependant, la création d'un poste de Vice-Premier ministre atténue quelque peu les perspectives présidentielles de Lionel Zinsou. Par ce biais, il semble être sous la surveillance de Yayi Boni, avec la possibilité que son bras droit reste auprès de lui au cas où il briguerait la présidence de la République. Les jeux sont-ils faits ? Il se peut qu'une nouvelle surprise survienne dans cette effervescence pré-électorale à moins que ce ne soit celle d'une élection de Lionel Zinsou à la présidence de la République du Bénin. Serait-elle une belle surprise lorsqu’il soutient que le Franc CFA est une chance pour la zone Franc?

 

Georges Vivien Houngbonon

Lionel Zinsou, le parcours atypique d’un franco-béninois

Normalien, diplômé de Sciences Po et de la LSE, ancien Professeur à l’ENS et à l’ENA notamment, Lionel Zinsou dirige depuis 2009 PAI Partners, le plus important fond d’investissement français. Ce franco-béninois, ancien Conseiller du Premier Ministre Laurent Fabius, est un financier hors pair qui a aussi été Associé Gérant de la banque d’affaires Rothschild. Particulièrement engagé pour l’émergence économique de l’Afrique, Lionel Zinsou est le chantre de l’afro-optimisme. Il a reçu Terangaweb – L’Afrique des Idées pour un entretien publié en 3 parties. En attendant « Monsieur Zinsou, c’est quoi l’afro-optimisme ? » (2ème partie) et « L’Afrique et ses 4 anomalies » (3ème partie), Ecce homo ! Voici le parcours méritocratique d’un franco-béninois !

Terangaweb : Bonjour M. Zinsou. Pourriez-vous vous présenter aux lecteurs de Terangaweb ?

Lionel Zinsou : J’ai 56 ans, deux nationalités, trois enfants et un métier qui est mon troisième métier. Je suis né à Paris, mon père était Béninois et avait aussi la nationalité française. Ma famille paternelle est d’assez longue date située entre le Sud et le centre du Bénin ; mon oncle a été parlementaire, ministre et président du Dahomey en 1969 ; il est aujourd’hui l’un des doyens de la vie politique béninoise. Mon père était médecin et a longtemps travaillé à Dakar ; quant à ma mère, infirmière des hôpitaux de Paris, elle est française de nationalité et d’origine.

J’ai fait mes études à Paris, aux Lycée Buffon puis Louis-le-Grand. J’ai ensuite intégré l’Ecole Normale Supérieure de Saint Cloud. Après y avoir passé un an, j’ai intégré l’ENS Ulm car je souhaitais rejoindre mes amis qui y étaient presque tous. J’ai beaucoup aimé ma période normalienne. J’ai aussi passé mon diplôme de Sciences Po, une école que j’appréciais énormément et qui m’a davantage ouvert au monde. Je n’ai cependant pas voulu passer ensuite le concours de l’Ecole Nationale d’Administration (ENA) car je ne souhaitais pas devenir fonctionnaire français d’autorité. J’ai toujours eu la volonté d’avoir un métier que je pourrais un jour exercer au Bénin : c'est ainsi que je suis devenu professeur d'économie.

Terangaweb : Et pourtant vous n’aviez pas particulièrement vécu au Bénin ?

Lionel Zinsou : Né en France, élevé en France, longtemps empêché d’aller au Bénin pour des raisons politiques liées à ma famille, j’étais en quelque sorte un Béninois virtuel. Mais je voulais tout de même me garder la possibilité de rentrer au Bénin. D’où mon choix de devenir universitaire. Pourtant à l’époque, sortir de l’ENA promettait à une grande carrière. Il y avait énormément de modèles qui incitaient à faire l’ENA, comme celui de Laurent Fabius, normalien et énarque, qui deviendra le plus jeune Premier ministre de la V° République à 36 ans, et dont tout le monde savait, même quand il avait 28 ans et était mon professeur à l’ENS, qu’il aurait une grande carrière. Mais cela ne m’intéressait pas. A la place, j’ai préféré étudier l’histoire économique, notamment l’histoire de la création du Franc CFA et de la monétarisation de l’Afrique de l’ouest. Le plus intéressant était pour moi l’interface entre l’histoire et l’économie. C’est ainsi que j’ai fait un peu d’économie à Villetaneuse, puis à Sciences Po avant de passer l’agrégation de sciences économiques et sociales. J’ai d’abord échoué à cette agrégation, n’ayant jamais fait de sociologie et que très peu d’économie et de statistiques. Je l’ai repassée en me préparant mieux, et j’ai été reçu premier à cette agrégation en 1978.

Terangaweb : Et vous êtes ensuite allé enseigner l’histoire économique ?

Lionel Zinsou : Non pas directement. Après l’agrégation, je suis parti à la London School of Economics (LSE) pendant deux ans au cours desquelles j’ai continué à étudier l’histoire économique tout en étant lecteur en français. Je garde de très bons souvenirs de cette période pendant laquelle je me suis d’ailleurs marié.

A mon retour en France en 1981, j’ai été nommé assistant en économie à l’université Paris XIII. Etant donné que ce travail me permettait de dégager assez de temps libre, j’ai occupé entre 1981 et 1983 divers autres emplois à temps partiel. J’étais notamment professeur à l’ENA et à l’ENSAE. J’ai eu dans ce cadre beaucoup d’étudiants qui sont aujourd’hui devenus des préfets ou des économistes réputés… J’ai aussi travaillé à cette période comme chargé d’études au Ministère de l’Industrie et comme économiste à la Banque Paribas (aujourd’hui BNP Paribas). J’ai même été pigiste dans un journal le dimanche. En réalité j’ai fait beaucoup de mi-temps un peu partout. Il faut dire que je n’avais jamais vu que des gens qui travaillaient énormément et du coup j’ajoutais toujours davantage de travail à mon emploi du temps d’assistant à l’université.

Terangaweb : Après cette période très dynamique, vous avez eu une expérience particulière auprès de Laurent Fabius…

Lionel Zinsou : Oui je travaillais déjà avec le ministre de l’industrie Laurent Fabius (qui avait d’ailleurs déjà été mon professeur à l’ENS Ulm) lorsqu’il a été nommé Premier ministre par François Mitterrand en 1984. Je lui ai servi de plume à Matignon. J’étais parallèlement maître assistant à l’ENS Ulm car la tradition à Matignon est que les universitaires continuent de garder leurs fonctions et de faire leurs cours..

Il y a toujours eu des universitaires à Matignon, regardés parfois avec condescendance par les énarques, mais tolérés. Je partageais mon étage avec Monsieur Joliot, petit-fils de Marie Curie. Mon expérience à Matignon a été très passionnante : la situation politique en 1984 n’était pas très bonne, on savait que cette expérience allait s'interrompre en 1986. Quand on croit que cela va durer toujours, on a moins de sérénité. A Matignon, il est sain de savoir que cela ne va pas durer ; il n’y a pas de déchaînement des ambitions. Comme j’avais un métier proche du  Premier Ministre, celui d’écrire ses discours, je le voyais souvent. C’est une fonction, celle de « l’agrégé sachant écrire » (la formule est du Général De Gaulle lorsqu’il appelait à ses côtés Georges Pompidou), qui a toujours été occupée dans l’histoire de la V° République en France, notamment par Georges Pompidou ou Alain Juppé. Cela m’a permis aussi d'observer le spectacle du pouvoir auquel j'avais déjà été exposé au Bénin. J’étais l’enfant de ma génération le plus proche de mon oncle. J’avais 14 ans quand il est arrivé aux affaires et 16 ans quand il a été renversé. J’avais 28 – 30 ans à Matignon. De ces expériences politiques, j’ai conçu du respect pour les personnes qui exercent le pouvoir mais je n’ai éprouvé  aucune fascination ni désir d’exercer moi même le pouvoir politique.

Terangaweb : Cette expérience à Matignon a été intéressante mais aussi courte. En 1986, le Parti Socialiste perd les élections législatives et Jacques Chirac devient Premier Ministre. Vous quittez donc naturellement Matignon. Quelle a été l’étape suivante de votre carrière ?

Lionel Zinsou : En 1986, j’étais censé me consacrer à plein temps à mon métier de Professeur. J’ai cependant demandé deux ans de disponibilité. J’ai alors rejoint l’entreprise Danone.  J'y ai passé 11 ans. Chez Danone, j’ai d’abord travaillé comme contrôleur de gestion en charge notamment du budget et du plan. Puis j’ai eu la responsabilité d’un groupe de filiales anglaises avant de m’occuper du développement international du groupe puis d'une branche. A la retraire du fondateur Antoine Riboud, au bout de onze ans dans l'industrie, j’ai décidé de changer d’entreprise.

Je suis alors allé, encore pour 11 ans (à partir de 1997) à la banque d’affaires Rothschild où j’étais patron du secteur des Biens de consommation, puis de la division Afrique-Moyen-Orient, et Associé-gérant. Je m’occupais du secteur que je connaissais le mieux, l’agro-alimentaire, et de l’Afrique qui à l'origine n’intéressait personne si ce n'est David de Rothschild lui-même. Depuis 1997, je leur disais que les marchés émergents allaient finalement émerger, et qu’on devait continuer à s’y intéresser. Ils m'ont suivi.

Je me suis ensuite laissé détourner en 2008 pour aller chez Paribas Affaires Industrielles (PAI), grande maison d’investissement, où je suis rentré au comité exécutif. J’étais N°3 de PAI Partners pendant la crise financière qui a conduit beaucoup de maisons de finance à changer de top management, y compris PAI. En août 2009, je me suis retrouvé à la tête de ce fonds un an après y être rentré.

Terangaweb : Et comment est ce que votre nomination à la tête du plus grand fonds d’investissement français a-t-il été accueilli ? 

Lionel Zinsou : L’establishment financier n’est ni raciste ni xénophobe en France, mais il n’est pas non plus très favorable à la diversité. Il y a eu certains  d’articles sur le thème « il est arrivé aux affaires par un putsch, ce qui s’explique par ses gènes béninois » ; « ce garçon,  dont la famille est arrivée au pouvoir par un coup d’Etat,  reproduit la même chose chez  PAI » (rires) comme le disait un article du Financial Times. La diversité reste une exception. La France, un peu à ma surprise, est plutôt moins ouverte que les pays anglo-saxons, parce que le politiquement correct oblige à prendre des précautions en terme de diversité en Grande Bretagne et aux Etats-Unis qu’on ne prend pas en France. Cela a été une expérience nouvelle pour moi. Subjectivement, je me suis toujours perçu comme ayant réussi  des concours,  tout se passait en fonction du mérite, sans qu’on me demande comment je m’appelais ni d’où je venais . Cela m’a donc étonné qu’on s’interroge sur mes compétences, et qu’on parle d’une arrivée illégitime. Mais il fallait bien que quelqu’un s’occupe de cette entreprise ce que ne pouvaient plus faire les deux premiers patrons qui avaient subi  la crise.

Terangaweb : Et en quoi consiste votre travail au sein de PAI Partners ? 

Lionel Zinsou : Je dirige PAI Partners qui est le plus grand Fonds d’investissement français et l’un des premiers européens. On achète des entreprises, on les développe, et on les revend. C’est ce que l’on appelle du private equity ou en français du capital investissement. Des centaines de grands investisseurs institutionnels nous prêtent de l’argent pour dix ans, et nous devons  le rembourser avec un taux de rendement important. C’est un métier plus ou moins mal aimé, perçu parfois comme le comble du capitalisme. Dans l’image courante de ce métier, on dit qu’on endette très fortement les entreprises, et que grâce à cet effet de levier, nous dégageons des plus-values trop importantes pour les investisseurs. On croit souvent que nous sommes à la recherche de rémunérations et de profits extrêmes, anormaux, et cela en compromettant l’avenir industriel des sociétés concernées. Tout cela est absurde, mais c’est comme cela que l’on est perçu dans certains pays comme la France et l’Allemagne, moins en Grande Bretagne et aux Etats-Unis et pas du tout en Chine, en Inde, en Afrique,  et dans les pays émergents qui sont demandeurs de fonds propres et d'actionnaires très professionnels. L’idée de collecter de l’épargne longue pour l’investir dans le développement d’entreprises est essentielle pour le développement économique d’un pays, c’est d’ailleurs le chaînon manquant du financement des pays en voix de développement.

J’ai servi un gouvernement socialiste en France, j’ai des engagements de gauche. J’ai créé une fondation au Bénin, et donc je n’ai pas trop l’image du capitaliste assoiffé de sang. Cela brouille un peu les cartes. Mon portrait fait par le journal Le Monde lorsque j’ai pris les rennes de PAI Partners s’intitulait « Le financier paradoxal ». Je pense que je fais un métier extrêmement utile. Ce n’est pas un métier financier court-termiste. En dix ans, on a le temps de transformer une entreprise industrielle et de la revendre en ayant créé beaucoup de valeur, comme nous l'avons montré récemment avec Yoplait. Voilà mon métier. Il se développe très vite en Afrique.

Propos recueillis par Emmanuel Leroueil, Nicolas Simel Ndiaye et Tite Yokossi 

Conference sur le FCFA et la souveraineté monétaire des Etats africains de la zone Franc

 Terangaweb – L'Afrique des Idées a organisé le 8 novembre 2011 sa première conférence. Cette table tonde qui a eu lieu à Sciences Po Paris a réuni quatre experts sur la question du franc CFA. Instauré en 1945, cette monnaie aujourd'hui commune à 15 pays d'Afrique est régie depuis par quatre grands principes : la libre convertibilité des francs CFA garantie par le Trésor Français, la fixité des parités entre franc CFA et franc français puis euro, la centralisation des réserves de change, la liberté des transferts de capitaux. Ces principes constituent-ils une entrave à la souveraineté monétaire des pays membres de la zone CFA ?

Au cours de cette conférence, nos intervenants ont été amenés à réinterroger les fondements constitutifs du franc CFA au regard des besoins économiques actuels et futurs des pays membres. Ils ont notamment répondu aux questions suivantes  : quel est l'intérêt aujourd'hui de la zone franc CFA ? En quoi les pays membres peuvent théoriquement en tirer bénéfice ? Le franc CFA est-il un levier ou un frein à la croissance et au développement des pays membres ? Quelles seraient les réformes prioritaires à mettre en œuvre ? Quel serait l'avenir souhaitable de cette zone ?

Pour cette première conférence, Terangaweb – L'Afrique des Idées a eu l'honneur de recevoir quatre éminents experts :

Lionel Zinsou
PDG du fonds d'investissement PAI Partners et conseiller au cabinet du Président de la République du Bénin.

Nicolas Agbohou
Economiste et Docteur en Sciences Politiques, professeur associé à l'Université du Gabon, il enseigne les sciences économiques en France.

Demba Moussa Dembélé
Economiste basé à Dakar, spécialiste du franc CFA, co-organisateur du Forum Social Mondial de Dakar en 2011, co-auteur de L’Afrique Répond à Sarkozy.

Jacques Nikonoff
Administrateur à la Caisse des Dépôts, Professeur associé à l’Institut d’études européennes de l'Université Paris 8, ex-président de l'association ATTAC, porte-parole du M’PEP, dernier ouvrage publié : Sortons de l’euro !

Ces experts apportent un éclairage d'autant plus important aujourd'hui que les rumeurs sur une éventuelle dévaluation du FCFA se font de plus en plus insistantes.
 

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Cette conférence a été organisée en partenariat avec :

• l'Alliance pour le Développement et l’Education en Afrique (ADEA), association africaine de Sciences Po
• l'Association des Doctorants et Etudiants Panafricains (ADEP)
• l'Association Survie

 

Cliquez sur les liens suivants pour télécharger :

– le compte-rendu de la table ronde sur le franc CFA

http://terangaweb.com/2011/12/02/conference-sur-le-fcfa-et-la-souverainete-monetaire-des-etats-africains-de-la-zone-franc/compte-rendu-de-la-table-ronde-sur-le-franc-cfa/

– l'analyse de Demba Moussa Dembélé sur le franc CFA et la souveraineté des pays africains de la zone franc

http://terangaweb.com/2011/12/02/conference-sur-le-fcfa-et-la-souverainete-monetaire-des-etats-africains-de-la-zone-franc/analyse-de-demba-moussa-dembele-sur-le-franc-cfa/

L’Afrique et ses quatre anomalies

Terangaweb : Quelles sont, selon vous, les perspectives générales de développement de l’Afrique.

Lionel Zinsou : Il a fallu 50 ans à la Corée du Sud pour passer d’un stade de développement proche de celui des pays africains au niveau de développement des pays de l’OCDE. Il faudra sans doute au moins  encore 50 ans pour que l’Afrique noire atteigne ce niveau de développement.

Les décennies 70 et 80 ont été des années de recul pour l’Afrique. La guerre froide a son importance dans ce phénomène. Par exemple, le Bénin s’est considéré comme République populaire marxiste juste par alignement à l’URSS. Cela nous a fait régresser en termes de développement entre 1974 et le début des années 1990.  Et il y a eu pire comme parcours que le Bénin. Les régimes illégitimes soutenus par les uns et les autres étaient exogènes à l’Afrique. 

Pendant longtemps, on pensait que l’on ne pouvait aller que vers plus de sous-développement. C’est ce que professait par exemple l’école de Dakar de Samir Amin, avec sa théorie des « industries industrialisantes ». Mais les accomplissements algériens se sont effondrés. La pensée de la théorie de l’anti-impérialisme est en ruine.

On est donc tenté de regarder les pays qui sont sortis du sous-développement. Il y a des leçons que l’on peut tirer de ces réussites. La première, c’est que le développement n’est pas possible sans l’enseignement pour tous. Et il n’est pas hors de portée d’investir dans l’éducation. On a des économies très hétérogènes, mais nous partageons des anomalies caractéristiques, qui ont été résolues très tôt par les pays asiatiques.

Terangaweb : Quelles sont ces anomalies communes à l’ensemble des économies africaines ?

Lionel Zinsou : La première de ces anomalies, c’est que nous ne faisons pas de commerce avec nous-mêmes. Il n’y a que 12% des exportations africaines qui va vers d’autres pays africains, ce qui est une anomalie mondiale : le chiffre est de 50% pour l’Asie, 75% pour l’Europe. Il n’y a donc aucune forme d’intégration continentale réelle. C’est en train de changer dans la zone Afrique de l’Est, ainsi que dans la zone d’influence de l’Afrique du Sud. Sans régler ce problème, on ne pourra pas aller de l’avant. Nous franchirons sans doute ce handicap, il n’y a pas d’autres moyens pour se développer.

Si vous remarquez, les secteurs qui sont en pleine expansion en Afrique sont ceux qui ne souffrent pas beaucoup des barrières douanières. Ainsi des Télécom, une technologie intégrée qui se développe facilement. Les solidarités entre les diasporas, les migrations internes, sont autant de questions qui évolueront aussi avec cette intégration, et c’est une anomalie qui disparaîtra. Le simple fait de l’intégration de l’Afrique, même si le monde stagnait, serait en soit un facteur de croissance.

La deuxième anomalie, c’est la propriété de l’Afrique.

Terangaweb : Qu’entendez-vous par le problème de la propriété de l’Afrique ?

Lionel Zinsou : Qui possède l’Afrique ? Des gens qui ne s’y intéressent pas. Il y a une série de gens qui ne savent pas que l’Afrique leur appartient. Si on identifie le stock de capital productif africain, on s’aperçoit que la propriété est britannique, française, américaine, espagnole, libanaise. Les anciennes puissances coloniales et leurs auxiliaires, ce sont eux les principaux propriétaires. Il y a quelques groupes africains qui appartiennent à des Africains, en Egypte, au Maroc, en Afrique du Sud, mais sur la masse, ils sont en dixième position. L’Afrique appartient à l’Europe surtout, qui ne le sait pas et qui s’en fout, puisque c’est une partie de son capitalisme le plus archaïque. La France ne connait pas Castel, qui est propriétaire de beaucoup d’entreprises de boissons et d’eau en Afrique. De même en ce qui concerne la CFAO. Les vrais grands intérêts de l’Europe en Afrique ne se définissent pas comme tels : Total tire sa première source de brut en Afrique, son premier pays d’extraction est le Nigéria, et l’Afrique génère 40% de ses profits. Mais personne ne s’en vante. Air France ne se raconte pas comme ayant pour principal centre de profit l’Afrique, de même pour Vivendi ou France Télécom. Ces entreprises ne se décrivent pas comme des entreprises africaines. L’Europe possédait l’Afrique. Mais aujourd’hui, les flux de capital sont chinois, indiens, brésiliens : il y a une dépossession par ces pays, mais aussi une dépossession par les Africains. Le taux d’épargne est de 20% et s’oriente vers le logement, donc l’urbanisation va exploser.

Terangaweb : Quelle sera l’impact de cette urbanisation de l’Afrique en termes de développement ?

Lionel Zinsou : Le vrai pays qui va compter, c’est l’agglomération qui va de Lagos (Nigeria) à Accra (Ghana), qui est un pays transversal. Aujourd’hui, le grand Casablanca, c’est une économie plus importante que le Bénin. Les pays qui comptent dans notre région Ouest, c’est la conurbation Ibadan-Lagos, qui prend tout le sud du Bénin, du Togo et du Ghana. C’est là qu’on retrouve les universités, les aéroports, les ports, les bureaux internationaux. C’est là qu’il va y avoir un gazoduc qui ira d’un bout à l’autre de la conurbation et qui, à partir de l’hydroélectricité du Ghana, pourra fournir en énergie l’ensemble de la zone. C’est ce pays urbanisé transversal aux quatre Etats de la sous-région qui sera le moteur de la croissance en Afrique.

Terangaweb : Après la faiblesse du commerce intra-africain et la non propriété de l’Afrique par les Africains, quelle est la troisième anomalie ?

Lionel Zinsou : L’anomalie du commerce et l’anomalie que le continent n’appartienne pas à ceux qui y habitent, d’où le fait que l’épargne ne se transforme pas en investissements productifs, sont aggravées par le fait que les banques restent faibles et qu’il y a peu ou pas de marché financiers. On est le continent qui a le moins d’instruments financiers modernes. L’épargne n’est pas tournée vers l’investissement productif. L’ensemble des actifs financiers mondial  représente 4 fois 60 000 milliards de dollars, qui est le PIB mondial. En Afrique, ces actifs financiers ne représentent que 125% de son PIB, alors que la moyenne mondiale est de 400% du PIB. Et encore, il faut prendre en compte que la bourse de Johannesburg représente à elle seule 2/3 des actifs financiers africains. Donc il y a encore beaucoup à faire dans le reste de l’Afrique, qui est dans le néolithique financier. Si on retire l’Afrique du Sud, l’Algérie, le Maroc, le Nigeria, le Kenya, on se rend compte qu’on n’a pratiquement aucun instrument financier moderne dans le reste du continent.

Nous avons le moins d’instruments financiers, mais nous sommes le continent qui va le plus vite en bancarisation et qui intègre le plus vite de nouveaux instruments financiers. Pour tirer le parti du fait qu’on a une des épargnes les plus élevées au monde, il faut qu’on développe nos instruments financiers.

Terangaweb : Pensez-vous que les dirigeants actuels sont conscients de ce défi de la financiarisation ?

Lionel Zinsou : Un dirigeant conscient d’un pays d’Afrique francophone constaterait qu’il y a un besoin absolument urgent de modernisation financière.  On risque de voir le Ghana, le Nigeria et le Kenya devenir des grandes puissances, et les pays francophones d’Afrique laissés sur place. L’environnement d’affaire africain est l’un des plus médiocres au monde, sauf pour Maurice ou l’Afrique du Sud.  Partout dans le monde, les banques centrales forcent et incitent à financer les Petites et Moyennes Entreprises, sauf en Afrique de l’Ouest, où cela ne se fait pas. Ces gens là ne font pas leur métier. Qu’ils aillent voir ce qui se fait en Ile Maurice et à Pretoria. Il faut réveiller les banques centrales d’Afrique de l’Ouest, parmi les plus conservatrices au monde.

Terangaweb : Et quelle est la quatrième anomalie qui caractérise les économies africaines ?

Lionel Zinsou : C’est notre secteur primaire, dans lequel on a très peu investi. L’agriculture n’a jamais servi à la mise en valeur du continent ; elle servait à vendre des produits manufacturés à des coûts élevés, en situation de rente. L’agriculture servait à produire du revenu pour les produits manufacturés. D’où le fait qu’il n’y ait pas eu de capital dépensé dans l’agriculture. Les Etats modernes africains indépendants n’ont pas pallié ce défaut, alors que la Thaïlande, le Vietnam, ont commencé par ce chantier comme base de leur développement. Aucun Etat africain indépendant ne s’y est attelé, notamment pour des questions de fiscalité. Nous avons une fiscalité de porte, nous n’avons pas de TVA ni d’impôt sur le revenu, ni d’impôt sur les sociétés. Nous avons donc peu de contribuables,  avec des prélèvements obligatoires parmi les plus faibles du monde. Pour compenser, on pénalise nos exportations par des droits de sortie, ce qui tue la ressource sous-jacente.

C’est l’exemple de la palmeraie à huile au Bénin, qui en était le deuxième pays exportateur au monde. Mais trop de prélèvements fiscaux ont tué ce secteur. Le Sénégal était le deuxième pays producteur d’arachides au monde en 1960, mais les gouvernements successifs ont tué l’arachide par les taxes sur l’exportation, par la fiscalité de porte. La Côte d’Ivoire est le seul régime agrarien de la région qui a su préserver ses exportations agricoles. Ne rien investir dans son agriculture et la tuer par la fiscalité : c’est la meilleure voie pour continuer dans le sous-développement. On peut s’assurer deux siècles de sous-développement comme cela, en créant des émeutes de la faim et des problèmes politiques majeurs. L’exode rural n’est plus un effet de l’augmentation de la productivité agricole, mais de la misère.

Terangaweb : Alors, que faire ?

Lionel Zinsou : Il faut investir dans l’agriculture, et faire la même chose sur l’énergie. Quand on n’investit pas dans la production et le transport d’énergie, et bien on n’a pas d’énergie. C’est notre situation actuelle : on n’a pas d’électricité pour répondre à la demande pendant 15 ans. L’énergie est le deuxième secteur le plus intensif en capital après l’agriculture.

Certaines choses se sont débloquées. Les privatisations ont amélioré la gestion des entreprises, et favorisé la création de valeur. Le passage des PTT publiques à des entreprises de télécom efficaces a ajouté un point de croissance dans plein de pays. Au Bénin, notre organisme de PTT est en faillite, j’avais donné comme conseil au président béninois de ne pas essayé de redresser lui-même l’entreprise. Entre temps, se sont installés des concurrents privés.  Cette gestion privée dynamique a permis de sauver le continent et de créer de la croissance. Dans certains secteurs, télécom et financier, on a fait ce qu’il y avait à faire. Au Kenya, on va avoir un système de paiement par téléphone mobile parmi les plus évolués au monde. 

Il faudrait baisser les prix des aliments de moitié, ce qui est possible en augmentant la productivité agricole. Le litre de lait est à 500 francs CFA au Bénin alors qu’il serait possible avec une hausse de productivité de le vendre à 250 francs. Le programme de développement est très connu, il n’y a pas grand-chose à inventer, il faut voir ce qui a marché chez les uns et les autres, et le faire chez nous.

Terangaweb : Pensez-vous que les diverses économies africaines s’orientent toutes dans la même dynamique de développement ?

Lionel Zinsou : Il y a un vrai risque de dualité entre les pays qui vont choisir ce chemin de développement et les pays francophones qui s’en remettent au secteur informel, à leur diaspora. Il risque d’y avoir un gap au sein de l’Afrique. Il y a une vraie impuissance publique notamment au Sénégal ou au Bénin. L’Afrique francophone a un vrai problème à ce niveau, un vrai risque de décrochage par rapport à l’Afrique anglophone et arabophone. S’il n’y a pas de mode d’emploi du développement, il y a des sujets génériques. On aurait gagné 2 à 3 points de croissance en réglant ces problèmes, ce qui va aider à résoudre des problèmes d’emploi.

Mais certains problèmes anémiques de la croissance perdureront. Le fait d’avoir de la croissance ne suffit pas, notamment concernant le problème de l’emploi des jeunes, ferment révolutionnaire assez fort, qui peu nourrir pas mal de troubles potentiellement. Ce ne sont pas des problématiques simples, car les investissements que j’ai mentionnés sont des secteurs intensifs en capital qui ne créent pas beaucoup d’emploi : investir dans l’agriculture libère de la main d’œuvre. Si on développe l’équipement, on va libérer du travail : ce n’est vraiment pas simple. Il faudra aussi parallèlement investir dans des industries et services de main d’œuvre, il faut que les gens acceptent de payer les services à leur prix.

Terangaweb : Comment ces investissements dans les services de main d’œuvre pourraient-il se traduire concrètement ?

Lionel Zinsou : J’ai personnellement participé à la création au Bénin d’une société de service de nettoyage, manutention, etc. On est dans le secteur formel, on paye impôt et charges sociales, qui accroissent le coût du travail. On est cher, donc on fait du travail spécialisé, pour des sièges sociaux de banque, d’entretien de cliniques, des hôtels, de façon à ce qu’on arrive à faire accepter le concept, avec des gens stables, bien payés, formés, avec formation continue. En 4 – 5 ans, on a équilibré les comptes, créé 200 emplois, donc ce n’est pas désespérant. Ce qui est intéressant, c’est le scepticisme et le cynisme qui nous ont accueillis au début qui commencent à disparaître.

Dans le secteur informel, il y a une exploitation brute des gens avec des conditions d’insécurité exceptionnelles. Il y a un degré de non-respect des standards incroyable par l’économie au noir, qui pose de vrais problèmes macroéconomiques. Le rendement moyen du capital dans le secteur informel est de 15%, donc ils en profitent vraiment, c’est une véritable rente qui explique aussi la perduration de leurs comportements très dangereux. Il faut des organisations capables de faire qualifier les gens, qui peuvent les former, mais c’est beaucoup de changements de comportements. Au Rwanda, il y a une politique d’incitation pour convaincre les entreprises de passer de l’informel au formel. C’est une expérience qui gagnerait à faire école. Dans le secteur informel, il y a des gens qui font de l’exploitation barbare mais aussi des gens qui seraient prêts à rentrer dans le secteur formel pour peu que l’Etat leur garantisse un certain nombre de droits et de prestations. Au Rwanda, il en a résulté une explosion des recettes fiscales grâce à cette politique d’incitation. Tout cela fait partie des politiques à prendre en compte d’urgence. Il faut arriver à inciter.

Il faudra changer des comportements sociaux, parce que la croissance à elle seule ne pourra pas régler les problèmes de développement. Il faut faire sauter les rentes et faire jouer la concurrence pour que les choses marchent.  C’est le b-a.-b-a de l’économie.

Propose recueillis par Emmanuel Leroueil, Nicolas Simel Ndiaye et Tite Yokossi

L’afro-optimisme selon Lionel Zinsou

Si l’afro-optimisme était une école de pensée, Lionel Zinsou en serait sans doute le chef de file. Ce banquier d’affaires franco-béninois, qui dirige le plus grand fond d’investissement français, PAI Partner, et par ailleurs conseiller du Président béninois Yayi Boni, estime que « l’Afrique sera bientôt au centre du monde ». Dans le cadre de la série d’entretiens que Terangaweb a réalisée avec lui, après « Lionel Zinsou, le parcours atypique d’un franco-béninois » et en attendant « L’Afrique et ses 4 anomalies », Lionel Zinsou justifie son afro-optimisme.

Terangaweb : Monsieur Zinsou, vous êtes considéré comme l’un des plus fervents tenants de l’afro-optimisme. Sur quelles bases se fonde votre position ?

Lionel Zinsou : Il me faut tout d’abord expliquer le contexte dans lequel j’ai été amené à défendre l’afro-optimisme. J’ai pendant longtemps eu des réserves de parole du fait de mes fonctions professionnelles. J’ai été un cadre de Danone puis un banquier qui ne parlait pas de ses affaires. La seule liberté de parole que j’avais portait sur des sujets autres que ceux sur lesquels je travaillais et qui me tenaient à coeur. C’est ainsi qu’en tant que citoyen, je préside le cercle Fraternité, cercle d’amitié autour de Laurent Fabius. Je siège aussi au Conseil de surveillance du quotidien Libération. On m’a questionné sur le manque de cohérence de cet engagement avec le « libéralisme » de mon métier de capitaliste ! (Rires)
L’Afrique était un autre domaine citoyen sur lequel j’avais le droit d’exprimer mon avis. En 2003-2004, puis lors du sommet de Gleaneagles en 2005, il y a eu des changements au niveau international concernant le continent. Georges Bush et Tony Blair se sont notamment ralliés à l’idée de désendetter les Pays les moins avancés (PMA) situés principalement en Afrique. Le magazine Le Point a alors publié un entretien avec moi sur la croissance et même la renaissance de l’Afrique du fait de cette actualité, ce qui a donné le ton de ma position ensuite. A partir de ce moment, mon point de vue a commencé à être audible.

Terangaweb
: Et quel est exactement le point de vue que vous défendez sur la situation de l’Afrique ?

Lionel Zinsou : On me disait : « on sait que l’Afrique va mal, qu'elle est en guerre, que le chômage progresse, que les pandémies progressent, pourquoi nous raconter que tout cela est faux ? ». Moi je disais : « les pandémies régressent dans des proportions qu’on a rarement vues ; la conflictualité est en baisse continue suivant les indices calculés par l'OCDE ; les taux de croissance positifs augmentent depuis les années 2000, il y a consensus sur le fait que ces taux de croissance sont sans doute sous-estimés et ils ne sont surpassés que par l'Asie.»
J’ai donc rappelé une série de banalités. L’Afrique est désendettée : on est passé d’un endettement de 120% du PIB à 20% au cours de la décennie 2000, notamment sur la période 2004-2010. Cette situation s’explique par l’annulation d’une partie de la dette des pays les plus pauvres, et par le remboursement en ce qui concerne certains Etats comme l’Algérie et le Nigéria. L’Afrique enregistre parallèlement le taux d’épargne le plus élevé après l’Asie. Il existe donc de meilleurs indicateurs financiers.

Il en va ainsi de nos réserves de change : on accumule ces réserves parce qu’on a une balance de marchandises excédentaire. L’Afrique est par exemple le seul continent à avoir une balance commerciale excédentaire avec la Chine. La balance de capitaux est aussi très excédentaire parce que les remboursements de crédits sont réduits, parce qu’il y a une croissance des investissements directs étrangers et que le rapatriement de l’épargne des migrants est égal ou supérieur à l’aide publique au développement. On a environ 500 milliards de dollars dans les coffres de nos banques centrales.

Terangaweb : Mais cette situation que vous décrivez concerne-t-elle l’ensemble du continent ?

Lionel Zinsou : On m'oppose souvent qu’il y a une hétérogénéité de l’Afrique. Par exemple : les pays pétroliers et les autres. La croissance du Bénin sur dix ans est cependant supérieure à celle du Nigéria. Les fluctuations des matières premières donnent des écarts à court terme, mais à moyen terme la tendance de croissance est à peu près identique sur l’ensemble du continent. Si on met de côté les pays qui sont en période d’après guerre et qui enregistrent des résultats de croissance élevés à court terme (cas de la Sierre Leone, du Mozambique, de l’Angola, du Libéria et bientôt de la Côte d’Ivoire), il y a une vraie convergence des taux de croissance à moyen terme en Afrique. Cette croissance homogène s’échelonne autour de 5% ; la variance et les écarts types restent faibles ; ce sont les situations de départ qui singularisent quelques pays plus avancés dans leur développement humain.

Terangaweb : Cette croissance homogène à l’échelle du continent n’a-t-elle pas été remise en cause par la dernière crise économique ?

Lionel Zinsou : Une partie de l’Afrique a vécu une crise forte en 2009 – 2010 ; c’est notamment le cas des pays pétroliers, de l’Afrique du Sud et de l’Egypte qui sont plus intégrés dans le commerce international. En réalité, plus on était une économie moderne, plus il existait un risque de croissance négative. Mais globalement l’Afrique n’est pas entrée en récession et le continent a été un de ceux qui ont le mieux résisté à la crise. On peut parler de ces choses là ou ne pas les dire. J’ai choisi de les dire. Bien sûr, il y a du chômage, des émeutes de la faim, et on peut donc en limiter la portée. On peut dire que la croissance n’est pas le développement. Mais cela ne sert à rien de dire qu’il n’y a pas de croissance en Afrique. Il n’y en a pas eu pendant au moins 25 ans, donc maintenant qu’il y en a il faut plutôt s’en réjouir.
Et même si l’on prend des grandeurs de consommation, de production industrielle et agricole, de télécommunications, de rendement de l’impôt, de bancarisation etc …, on peut toujours recouper au niveau micro-économique qu’il se passe quelque chose en Afrique en ce moment. La plupart des indicateurs économiques sont au vert, ce sont des chiffres de croissance globale qui renvoient à des transformations considérables et d’une rapidité presque inconnue dans l’histoire. Je suis maintenant prêt à en discuter la pertinence en termes de qualité du développement mais c'est un autre sujet.

Terangaweb : Ce discours, pas souvent ni suffisamment exprimé en général, fait de vous un vrai afro-optimiste…

Lionel Zinsou : De manière générale, je ne partage pas le fatalisme ni le pessimisme d’analystes comme Stephen Smith (auteur de Négrophobie). L’Afrique possédera le quart de la population d’âge actif du monde dans 30 ans . Historiquement, l’atelier du monde est là où réside le plus grand nombre de gens d’âge actif. Dans 30 ans, cet endroit sera l’Afrique et non plus la Chine. Inexorablement, l’Afrique sera importante ne serait-ce qu’en termes démographiques. Et il faut se rendre compte à quel point, historiquement, l’Afrique est un continent vide : 250 millions d’habitants en 1960 sur 30 millions de km², environ 30 millions 100 ans auparavant, aujourd’hui 850 millions et dans 30 ans environ 1,5 milliard d’habitants. Le continent était vide. Aujourd’hui, c’est le début d’une espèce de plénitude de l’Afrique. C’est une dimension incontournable.
Je souhaite aussi répondre à une question qui revient sans arrêt : la dégradation du service public en Afrique. On oublie qu’auparavant, à la veille de l'Indépendance, ces services publics n’existaient pas ou très peu. Prenez le service public d'éducation. Le fait le plus frappant est la rapidité récente des progrès de l’alphabétisation. Il s’agit de l’un des rares Objectifs du Millénaire qui vont être atteint. On est passé de 20% à 70% d’une classe d’âge scolarisée au Bénin, avec une population passée de 2 millions à 10 millions d’habitants. Donc on ne peut pas se contenter de dénigrer les services publics en Afrique. Tous les débats sont ouverts sur le développement, mais les faits de base vont dans le bon sens.

Propos recueillis par Emmanuel Leroueil, Nicolas Simel Ndiaye et Tite Yokossi