Rencontre avec le Professeur Nicaise Médé

Le Samedi 5 Août 2017, s’est tenue sur le campus d’Abomey Calavi une rencontre d’échanges du Cercle de réflexion l’Afrique des Idées, think tank indépendant sur le thème des compétences nécessaires pour un Bénin Emergent. Sous l’égide du Professeur Nicaise Mede, Agrégé des Facultés de droit, Directeur du Centre d’Étude sur l’Administration et les Finances (CERAF), la rencontre s’est articulée autour des défis démographiques du continent de façon générale, l’insertion professionnelle ainsi que l’empreinte de l’afro responsabilité dans les approches de solutions de façon spécifique.

Des chiffres qui peignent un tableau pessimiste

D’après une étude conjointe conduite par l’Organisation des Migrations Internationales (OMI et la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA), on estime à 20.000 cadres compétents qui quittent chaque année l’Afrique pour s’installer dans les pays occidentaux, où ils sont susceptibles d’obtenir des situations professionnelles plus avantageuses. Cette forte migration, toutes causes confondues,  prive doublement le continent de ressources valides pour contribuer à son développement de même qu’à la formation des générations futures . Dans “le camp des Saints”, Jean Raspail décrit telle une prémonition, comment les populations du Tiers-Monde envahissent pacifiquement l’Occident pour y retrouver l’espérance; rappelle Léonide Sinsin, chercheur et co-conférencier.

Malgré cette exode massive, le taux d’accroissement naturel de l’Afrique demeure le plus élevé. Au Sénégal, ce sont environ 200 000 jeunes diplômés qui arrivent sur le marché de l’emploi chaque année augmentant de facto le rapport de dépendance entre la population active et la population non active. Comme l’a souligné le Professeur Mede “il y a plus de bouches à nourrir que de personnes actives; ce qui fait que nous nous reproduisons plus que nous ne créons de la richesse ”. Le rapport de dépendance (rapport entre l’effectif de la population d’âges généralement actifs et l’effectif de la population en âge de travailler, il se calcule comme le quotient entre l’effectif des moins de 15 ans et des 65 ans ou plus par celui des 15-64 ans) au plan mondial est de 52%. En Afrique sub-saharienne, il connaît une croissance vertigineuse allant jusqu’à 94% pour le Bénin, et atteignant 120% pour le Niger seul. Avec un taux d’accroissement naturel estimé à 2.5% l’an  et un chômage juvénile moyen de 60%, le rapport de dépendance apparaît donc comme un seuil critique.  Il permet néanmoins de mettre en exergue la problématique du concept de capital humain, qui correspond à l’idée d’une population adéquatement formée et qui occupe des emplois qui leur assurent de bonnes conditions de vie et leur offre la capacité de contribuer au développement économique de leurs pays[5], est donc insuffisamment exploité en Afrique[6]. Le développement du capital humain, c’est-à-dire d’une population active compétente, est donc un enjeu majeur pour les pays africains en ce qu’il constitue « un élément essentiel de la croissance, car les avantages associés sont liés aux modifications de la structure de l’emploi (amélioration de l’employabilité de la population active) »[7].

L’inadéquation du capital humain face aux besoins du marché

La constitution du capital humain pour le développement du Bénin et de l’Afrique en général se pose alors avec acuité lorsque l’on prend conscience de la responsabilité des pays africains dans la création du fossé entre l’emploi des jeunes et les opportunités économiques. Sur la question de l’insertion professionnelle, les intervenants n’ont pas manqué de rappeler l’inadéquation entre la multitude de formations existantes et les besoins du marché. En effet, l’Afrique compte 1 ingénieur pour 10 000 habitants, pendant que la France en compte 36 pour 10 000 habitants. La Chine, formerait chaque année un million d’ingénieurs aussi bien dédié pour les besoins du pays qu’à l’export. En Afrique, pour une population d’un million d’habitants, 169 chercheurs sont formés. Pour la même population en Asie, on obtient 742 chercheurs, 2.728 en Europe et 4.654 en Amérique du Nord.  Dans un contexte local, à l’Université d’Abomey-Calavi, la plus grande université publique du pays, notamment, 566 étudiants étaient inscrits en licence d’Audit et Contrôle de Gestion pour l’année 2015-2016, 223 inscrits en Histoire et Archéologie et 175 en Français et langue étrangère. Dans la même année, seulement 118 étudiants étaient inscrits en Mathématiques, 18 en Génétique et en Hydrologie et 6 en Statistiques et Econométrie. Pour un pays qui a des problèmes fondamentaux à assurer l’accès à l’eau potable et l’assainissement de ces villes, il semble être pour les jeunes étudiants plus intéressants d’être un contrôleur de gestion que d’être un spécialiste de l’eau.

Pour atteindre les Objectifs du Développement Durable, il faudrait que le continent forme environ 2.5 millions d’ingénieurs chaque année pour amorcer une  croissance durable. Ainsi, pour faire face aux urgences de l’heure, les assistances techniques sont légion dans bon nombre de pays africains. D’après le CNUCED, elles représentent un marché de plus de 4 milliard USD des pays d’Afrique vers les pays Occidentaux; et peuvent être perçus à juste titre, soit comme une fuite des capitaux, ou un manque à gagner dans l’investissement dans l’éducation et les ressources opérationnelles.

L’afro responsabilité comme concept ?

En 2050, les estimations convergent sur le fait que la population africaine représenterait le quart de la population mondiale avec 2.5 milliard d’habitants, avec le Nigéria fort de 400 millions d’habitants et le Bénin autour de 22 millions d’habitants. Il revient aux pays africains d’investir massivement dans l’innovation et l’éducation. Le Rwanda, par exemple, a misé sur l’économie du savoir comme plan décennal. Au Bénin, le Président Patrice Talon, à travers son Programme d’Actions Gouvernementales (PAG), veut inscrire le Bénin dans une économie de transformation structurelle profonde. Un des piliers de ce programme est la Cité Internationale de l’Innovation et du Savoir (CIIS), véritable prise de conscience du secteur de l’éducation et de la recherche appliquée.

Un second levier repose sur la consolidation du système éducatif  à travers la refonte de la  carte scolaire et les formations en alternance. Plusieurs réformes sont nécessaires dès la base (introduction de l’anglais dès le bas âge, le développement durable, etc..),  en passant par le secondaire et la formation professionnelle (les conditions d’orientation des élèves vers le second cycle et la formation professionnelle doivent prendre en compte les besoins en matière de filière scientifique et technique pour le marché de l’emploi et l’université), pour arriver à l’enseignement supérieur (avec la redéfinition de la carte universitaire, la création de la CIIS ou celle des Instituts universitaires d’enseignement professionnel (IUEP) pour l’orientation des bacheliers vers des filières de formation de courte durée).La création des IUEP est suffisamment intéressante pour que l’on s’y attarde car elle augure d’une meilleure adéquation entre la formation et les besoins techniques du marché de l’emploi. De plus, elle permet à l’Etat béninois d’orienter ses ressources affectées au secteur de l’éducation vers des filières de formation favorisant à terme le développement des secteurs prioritaires pour l’économie tels que le tourisme, les services et le numérique, ou encore l’agriculture. Cela implique de même une meilleure allocation des ressources à l’endroit des universités publiques et une meilleure définition des profils et priorités afin de lutter contre la massification des effectifs, d’éviter le sous-financement de la recherche et de renforcer la prise en compte par le monde universitaire des réalités du monde économique.

Enfin, le dernier pilier est la promotion de l’excellence à travers l’octroi de bourses et accompagnements dans des processus indépendants, transparents et basés sur la méritocratie. Par un décret n°2017-155 du 10 mars 2017 portant critères d’attribution des allocations d’études universitaires, il a ainsi été défini de nouvelles conditions pour favoriser la lutte contre la fuite des cerveaux. En effet, le constat amer qui se faisait était que les meilleurs bacheliers du Bénin, qui recevaient des bourses gouvernementales pour continuer leurs études dans des universités occidentales ne revenaient pas après l’obtention de leurs diplômes pour servir le pays. Désormais, suivant les dispositions du décret précité, il est fait obligation à tout récipiendaire d’une  bourse d’excellence du gouvernement béninois, de revenir servir l’Etat à la fin de sa formation sous peine de restitution des ressources dépensées pour le boursier. Même si certaines mesures de contraintes gagneraient à être davantage précisés (dans quelles conditions revenir servir l’Etat, servir dans la fonction publique ou privée, clauses libératoires de l’obligation de servir, etc.), ceci constitue déjà une avancée majeure pouvant permettre au pays de constituer un vivier de compétences ayant reçu des formations de pointe à l’étranger et s’engageant à rentrer pour contribuer au développement de la nation.

Somme toute, en citant Nelson Mandela “ l’éducation est l’arme la plus puissante qu’on puisse utiliser pour changer le monde”, le Prof. Mede a exhorté les Etats africains à plus d’engagements en faveur de politiques publiques favorables au capital humain.  Ce défi, qui ne peut être national, doit aussi être porté par les institutions internationales et sous régionales, telles que la BAD, la CEDEAO, dans leurs agendas périodiques. Cette question des compétences est lancinante dans le pays, où les efforts de l’Etat ont été vains dans le domaine de la recherche et de l’éducation de masse. Des réformes profondes accompagnées de mesures incitatives doivent être menées pour renforcer la confiance de la jeunesse en l’éducation de qualité, qu’elle soit longue ou de courte durée, professionnelle ou orientée vers la recherche. Cette jeunesse formée, qualifiée et motivée servira inexorablement de tremplin pour l’émergence d’une économie telle que voulue par les dirigeants, orientée vers les services afin de faire du Bénin notamment, le quartier numérique de l’Afrique de l’Ouest.

L’Afrique des Idées – Bénin

[1]

[2] Investisseurs et Partenaires, « Le Poids démographique de l’Afrique en 2050 », 2015 http://bit.ly/2g7NVKY

[3] Henri Leridon, « Afrique subsaharienne : une transition démographique explosive », Futuribles, 2015, http://bit.ly/2v8HX35

[4] Avec une économie essentiellement extractive et d’exportation, les pays africains n’arrivent pas à créer des industries qui permettraient de transformer les matières premières sur leur territoire afin d’employer les jeunes africains. De plus, ces pays comptent beaucoup plus sur les travailleurs étrangers pour conduire les grandes réalisations en raison du défaut d’adéquation entre la formation et l’emploi sur le continent. Voir Le Monde, « Pourquoi la croissance économique africaine ne crée-t-elle pas plus d’emplois ? », 2015, http://lemde.fr/2isU9Wn

[5] Guillard Alexandre, Roussel Josse, « Le capital humain en gestion des ressources humaines : éclairages sur le succès d’un concept », Management & Avenir, 2010/1 (n° 31), p. 160-181. DOI : 10.3917/mav.031.0160. http://bit.ly/2itjT5a

[6] Banque Africaine de Développement, « Le capital humain est crucial pour la transformation structurelle de l’Afrique », 2011, http://bit.ly/2irOikd

[7] Ibid. Propos de Henri Sackey lors de la communication « Développement du capital humain en Afrique: agents, facteurs et incidences sur la croissance et la transformation structurelle ».

[8] Banque africaine de développement, « L’Afrique dans 50 ans, vers une croissance inclusive », 2011, http://bit.ly/2g87iDr

Nietzsche, le Bénin, et Mylène Flicka la chasseuse de talents

De gauche a droite : Mylène Flicka et Delphine Anglo a la place des Martyrs, Cotonou. Copyrigths : L'Afrique des Idees
Elle diffuse des histoires vraies ou imaginaires qui nous retournent comme jamais. Et elle insulffle de l'espoir à travers son site, Irawo. Voici son histoire, chapitre premier : Mylène Flicka, la chasseuse.

Elle n’a pas de repère physique mais elle sait trouver des talents.

Je sais que vous êtes une « inconditionnelle » des réseaux sociaux. N’est- ce pas ? Sur votre profil Twitter, on pouvait lire, au 22 août 2016 : « Je voue un culte malsain à Nietzsche. Et quand je m'ennuie, je joue à l'écrivain sur founmi.com  et à la chasseuse de talents sur irawotalents.com. Alors, une première question qui me ronge l’esprit, pourquoi Nietzsche ?

Mylène Flicka : Nietzsche, je l’ai connu comme tous les élèves du Bénin en classe de Terminal parce qu’on a parlé de Dieu et beaucoup de personnes le connaissent pour sa célèbre phrase « Dieu est mort ». Ça m’a toujours semblé atypique parce que les autres philosophes n’osaient pas le dire de cette manière.  J’ai décidé de lire le « Gai Savoir » à une époque où j’étais en stage au Ministère des Affaires étrangères du Bénin. Le stage me « tuait » et Nietzsche me rendait la vie. Je le comprenais facilement. Il est devenu en quelque sorte un repère, ce qui m’apparaissait incroyable car j’ai du mal à avoir des modèles. Il suffit juste qu’on appelle Nietzsche à côté de moi pour que je devienne complètement électrique. 

Je dis lui vouer un culte « malsain » parce qu’il pose toujours des dilemmes intellectuels ; c’est un auteur compliqué à lire: il affirme d’ailleurs que tout culte est malsain, d’où l’adjectif.

Ok, je comprends mieux. Aujourd’hui quand on entend le nom Mylène Flicka, on pense forcément à « Irawo ». Et mon bon sens voudrait par exemple qu’un jour (ou une nuit), vous ayez rêvé de talents pour que tout ait commencé. Est-ce cela ?

Mylène Flicka : Ce n’est pas çela. En fait, j’ai commencé à bloguer en Novembre 2014. J’ai créé mon premier blog qui s’appelait « myleneflicka.wordpress.com » et je faisais un peu de tout : j’écrivais des histoires et je partageais mes opinions. Un jour sur Internet, j’ai découvert Jowel Maestro qui dessine au stylo; il dessine de manière si réaliste que je me suis demandée pourquoi ne pas l’interviewer pour le faire connaître. Sur ce coup de tête, je l’ai contacté et il a accepté que je l’interviewe. L’interview publié a eu un tel impact que j’ai récidivé ici même à la « Place des Martyrs » de Cotonou  avec l’association « Ori-art Dance ». Cette dernière, composée de jeunes ayant pour passion la danse, y avait organisé un concours de danse. J’ai écrit l'histoire de leur amour pour la danse. La jeunesse du Bénin a un talent fou mais souvent personne pour y croire.

Pour les 10 ans de la Fondation Zinsou, j’ai rencontré Marie-Cécile Zinsou que J’ai interviewée en vue d’en savoir plus sur la fondation. Je me suis rendu compte de toutes ces petites initiatives de jeunes béninois qui ont tellement de poids mais dont on ne parle pas ou si on en parle c’est avec condescendance. La plupart des médias se concentrent sur les politiciens comme si c’était eux qui faisaient le Bénin. Mais ceux qui font le Bénin, ce sont ces « petits citoyens de rien du tout » auxquels personne ne pense, qui n’ont peut-être pas une fortune à faire valoir mais qui ont un talent, une passion qui les pousse en avant. C’est là que j’ai fait une pause dans le « blogging ». En Novembre 2015, à l’occasion de l’anniversaire de mon blog, j’ai dit officiellement que je l’ai tué pour créer un autre.  Irawo était né: un repertoire de jeunes  talents du Bénin.

Aujourd’hui, Irawo n’est plus un blog. C’est tout un média puisqu’on a le site web et la webTv. On se concentre sur le talent.

Irawo, pour les « nuls » serait quoi ?

Mylène Flicka : Etoiles, en langue Nago tout simplement. En une phrase, Irawo est un répertoire de jeunes talents du Bénin.

Et plus encore, qui sont les Irawo ?

Mylène Flicka : Ce sont les jeunes talents que nous interviewons sur irawotalents.com. Des artistes photographes, peintres, des développeurs, acteurs culturels, danseurs, stylistes, écrivains, etc. Par ailleurs, il faut que les talents aient de préférence 30 ans au plus, qu’ils soient originaux, qu’ils aient une approche de travail différente et que leur travail ait un impact sur la communauté.

De la créativité 

Pour le moment, ce sont des métiers vraiment créatifs parce que je trouve que c’est beaucoup plus difficile pour nous de savoir par exemple si un DG (Directeur Général) est plus talentueux qu’un autre car c’est une fonction dépendante de beaucoup de circonstances ou d’éléments. Donc on ne peut, pour l’instant, pas dénicher des talents dans des métiers non créatifs.

Un idéal de 30 ans 

Il faut que les talents aient 30 ans ou moins parce que Irawo veut casser un préjugé ou plutôt une mentalité béninoise : celle qui voudrait que ce soit après 30 ans que ce soit plus légitime de réussir. Même les jeunes eux-mêmes ne croient pas en eux tout simplement parce qu’il y a toute une connotation négative autour de la définition de la jeunesse au Bénin. Imaginez-vous par exemple dans un groupe de jeunes qui voit passer un autre jeune avec une jolie voiture, une « bonne caisse » comme on dit, la première réaction serait « Sûrement qu’il fait des trucs louches ». La jeunesse elle-même ne s’imagine pas réussir véritablement ; on se dit que cette réussite ne peut être que truquée. Au-delà, je trouve qu’au Bénin il y une véritable condescendance des aînés envers la jeunesse. Quand vous êtes jeune, on ne vous respecte pas. Vous n’avez pas droit à la parole, on ne veut même pas vous laisser faire vos preuves. Pour eux, parce que vous êtes jeune, vous n’êtes pas compétent ; vous n’êtes pas digne de confiance. Emprunter de l’argent à une banque, c’est vous entendre rappeler que vous n’avez pas de garanties. On vous paye moins parce qu’on estime que vous êtes trop jeunes pour valoir certaines sommes.

En réponse à quelqu'un qui ne comprenait pas pourquoi il y a un critère d'âge, Mylène Flicka avait écrit ces lignes qui résument bien ses arguments :

Bénin talents

Capture d ecran du 24/08/2016. Source : Facebook.com, Page : Mylene Flicka

Une démarche différente

Nous insistons beaucoup sur la différence de la démarche. Par exemple, on m’a recommandé une fois,  une jeune personne qui travaillait dans une organisation internationale. La personne répondait au critère d’âge. Toutefois, je ne pouvais pas l’interviewer parce que le critère sur lequel repose son originalité était son âge et quand bien même j’aimerais me dire que l’âge est un plus, je crois qu’il n’est pas un critère de talent. Mais non: être le plus jeune quelque part ne nous rend pas plus meilleur que les autres. Ce n’est pas un mérite mais un avantage.

De l'impact sur la communauté 

Pour déterminer l’impact sur la communauté, nous essayons en amont, de discuter avec les potentiels Irawos pour en savoir davantage sur leur activité. Un exemple concret : pour un vendeur de sandwich, nous lui demanderions combien de sandwichs il a eu à vendre depuis le début de son activité, combien de personnes fréquentent son bar et aussi des questions subjectives comme : est-ce qu’on peut dire qu’il fait par exemple le meilleur sandwich de la ville ? On lui demanderait combien de personnes il emploie parce que nous accordons beaucoup d’importance au volet emploi. Les talents en vivant leur passion, la font vivre à d’autres personnes.

Une image sur un mot « Irawo »

Irawo bénin talents
Capture d ecran du 24/08/2016. Source : irawotalents.com
Elle a la main suffisamment forte et bien entourée pour élever un « groupe » !

Dénicher des talents jeunes et africains, les interviewer, arriver à transcrire puis partager l’émotion et le message voulu : ce sont des exercices non aisés qui exigent entre autres des qualités d’organisation, de communication et d’écriture. Alors, je ne peux m’empêcher de vous demander comment arrivez-vous à gérer cela.

Mylène Flicka : Quand je regarde le parcours, je me demande : comment on en est arrivé là ? J’ai toujours aimé écrire et rencontrer des gens qui  « font quelque chose ». J’aime découvrir leur personnalité. Avec Irawo, je réalise le rêve de ma vie parce que Irawo regroupe tout ce que j’aime faire : pouvoir interviewer des gens, parler d’eux, montrer ce qu’ils ont de plus beau, raconter une histoire vraie, transmettre l’émotion. J’ai appris à découvrir mon pays. J’ai découvert mon patriotisme. Irawo construit la fierté des gens à se dire béninois. Aujourd’hui, vous avez juste à visiter le site de Irawo pour avoir une dizaine de raisons d’être fier d’être béninois, juste parce qu’il y a des gens qui sont là et qui travaillent. Ce sont des repères.

Ensuite, par rapport à l’organisation, Irawo nous prend tout notre temps ; Je dis nous parce que nous sommes à présent une équipe: La Team Irawo est composée à l’heure actuelle de Mawunu Feliho, de Darios TossouYanick Folly, de Jessica Gaba et Jean Morel Morufux.. Ils sont là et donnent tout à Irawo. Nous croyons en l’objectif, en l’idéal de Irawo et par conséquent, tout passe après. On essaye de rester authentiques et atypiques afin de proposer à chaque fois, quelque chose d’accrochant. Dans chaque interview, on essaie d’imaginer par quel moyen « fun, high » ou bizarre,  faire passer le message.

Nombreux sont les internautes qui n’hésitent pas à vous adresser leur reconnaissance, leur fierté, leur félicitations et encouragements. Considérez- vous que l’objectif s’atteint ? A quel niveau vous situez-vous sur la trajectoire menant à ce que vous aviez comme cible et objectif au départ ?

Mylène Flicka : Euh…Nous avons des objectifs par talent. Sur le site de Irawo, il est marqué qu’Irawo vise entre autres à connecter les jeunes talents à des partenaires potentiels, chefs d’entreprise, acteurs du secteur public, etc. Pour chaque talent, nous essayons de voir si nous avons atteint tous ces objectifs. On pourrait se donner comme objectif 10 milles vues dans la journée. Le talent qui m’a le plus marquée jusque-là reste Ulrich Sossou parce que nous lui avons fait l’interview un jour et le jour d’après tout est parti en « vrille » ; nous avons atteint tous les objectifs d’Irawo avec lui. Le magazine « Canal + Réussite » a réalisé par la suite un interview sur lui. On a beaucoup de fierté à dire qu’il fait partie de nos « Irawos ». Je pense aussi à Maureen Ayité de Nanawax qui nous a raconté son histoire d’une manière qu’elle n’avait jamais faite. Elle travaille sans relâche. Elle a eu des coups bas, a sacrifié beaucoup de choses pour se retrouver là aujourd’hui. Elle nous a dit que c’était la meilleure interview de sa vie. Pour nous c’est une joie, tout simplement.

Vous le disiez rapidement en début d’entretien, Irawo ce n’est pas que le site des talents interviewés, c’est aujourd’hui tout un ensemble composé notamment d’une chaîne. J’ai envie de dire que c’est aussi une vitrine où on présente des « mamelles cachées » ou des plaies non soignées.  Pourriez- vous nous en dire davantage ?

Mylène Flicka : Nous avons lancé IrawoTV en Mai 2016.  On voulait créer une télévision sur Snapchat qui était en ce moment-là  le média sur lequel il fallait être. Le but c’était de pouvoir re-transmettre aux gens à travers Snapchat, les interviews, leur permettre de parler directement avec les talents qui sont passés en « guest » (Langage Snapchat pour dire « Invité ») et ensuite, pouvoir remédier aux critères assez carrés de Irawo (le site) en permettant à tous ceux qui font quelque chose pour l’Afrique de s’exprimer. C’était aussi de pouvoir montrer des talents dans la rue, montrer les petites choses du Bénin qui font sa fierté, faire des émissions sur tel métier ou telle expertise, retransmettre des événements ou faire découvrir des lieux. Ensuite ça a vraiment évolué parce qu’on s’est rendu compte qu’on pouvait remédier aux côté éphémère de ce média puisqu’un « Snap » dure 24h. Donc on a créé la WebTv qui sert actuellement de plateforme pour des reportages : « Yanick Folly et les enfants de Dangbo », « Les trois mamelles de Savalou » et « Bonouko, un petit enfer au Bénin », etc.

Irawo, ce sont des objectifs, une équipe solide, des activités à valeur ajoutée, etc. D’où ma question : Irawo, n’est- ce pas en réalité une entreprise qui pourtant ne s’en réclame pas une?

Mylène Flicka : J’ai en horreur les termes comme entrepreneur, CEO qui franchement me passent par-dessus la tête. Je ne veux pas encore dire qu’on est une entreprise parce qu’on n’a pas encore de business model pour moi et tant que c’est le cas, on n’est pas encore une entreprise, à mon sens. Je respecte beaucoup les entrepreneurs. Mais je trouve qu’il y a une certaine tendance malsaine à tout appeler “start-up’’. Il ne faut pas faire beaucoup de bruit pour ne finalement rien faire. Si un jour, on dit qu’Irawo est une entreprise, il faudrait qu’on soit en mesure de supporter le poids de ce mot : pouvoir montrer des chiffres, le besoin résolu, le business model, l’impact, etc. Pour le moment, on est un média sur internet qui veut valoriser le talent. Travaillons à cela d’abord.

Delphine Anglo

A suivre : L’histoire de Mylène Flicka, chapitre second

 

Mise en ligne le 09 novembre 2016

Démocratiser l’accès à une éducation de qualité au Bénin

gvhEn 2016, moins de 2 collégiens sur 10 ont obtenu leur brevet d’études du premier cycle. Les résultats ne sont pas plus reluisants pour les autres examens, et la tendance date de plus d’une décennie.[1] C’est ainsi que se présente la physionomie actuelle de l’éducation au Bénin, autrefois surnommé « quartier latin de l’Afrique ». Les décideurs politiques sont peut-être conscients de cette situation, mais le label d’excellence persiste toujours au sein de la société civile béninoise. Les taux de scolarisation, parmi les plus élevés en Afrique, sont là pour affermir cette impression. Or, cet état d’autosatisfaction, surtout parmi les élites, n’est pas de nature à susciter une demande politique forte pour des réformes en profondeur du système éducatif béninois. Cet article vise à jeter un peu de lumière sur les paradoxes de l’éducation au Bénin en mettant l’accent sur le cycle primaire, base de l’ensemble du système éducatif.

La quantité au détriment de la qualité

Un aspect particulièrement positif du système éducatif béninois est la démocratisation de l’accès à l’éducation. Le nombre d’élèves du primaire dépasse largement la population en âge d’y aller. Le taux brut de scolarisation y est passé de 100% en 2006 à 126% en 2014, positionnant le pays dans le top 10 en matière d’accès à l’éducation en Afrique.[2] Cette progression a été possible grâce aux mesures de gratuité, accompagnées de la construction de nouvelles infrastructures scolaires et d’un accroissement du nombre d’enseignants.

Cependant, le tableau est moins reluisant lorsqu’on considère les connaissances acquises par les élèves, notamment leur niveau en français et en mathématiques. A cet effet, les résultats du PASSEC, un programme d’évaluation des acquis scolaires sur un base comparable dans les pays francophones, contrastent sévèrement avec l’idée qu’on se fait du niveau des élèves béninois. Sur une dizaine de pays évalués en 2014, le Bénin se classe avant-dernier juste devant le Niger, que ce soit en lecture ou en mathématiques.[3] Loin devant se trouve des pays comme le Burundi, le Congo, le Burkina-Faso et le Sénégal. Et pourtant…

Nulle réponse quantitative à un problème qualitatif

Le Bénin ne dépense pas moins que les autres pays dans son système éducatif, au contraire. Prenons l’exemple du Sénégal, comparable au Bénin à plusieurs égards : les dépenses publiques par élève en % du PIB par tête sont similaires, de même que les taux d’accès en 5ème année du primaire, et bien d’autres indicateurs socio-économiques. Alors que le niveau d’acquisition des connaissances se trouve dans la moyenne au Sénégal, celui du Bénin se trouve largement en dessous de la moyenne.[4] Il ne s’agit donc pas d’un problème de moyens financiers, mais plutôt d’une meilleure transformation des inputs du système éducatif.

A l’heure actuelle, cette transformation est inhibée par une inégalité profonde en matière de qualité de l’enseignement. Elle se caractérise par de rares écoles privées, souvent créées à l’époque coloniale (e.g. Collège Père Aupiais), donnant une formation de qualité à une minorité, alors que la majorité des élèves se retrouve soit dans des écoles privées douteuses ou dans des écoles publiques dont la priorité ne semble plus être l’acquisition de compétences. A titre d’exemple, de 2008 et 2011, seulement la moitié des heures de cours requises a été effectuée dans les écoles primaires publiques béninoises.[5]

Des solutions à explorer

L’urgence reste donc de réduire les inégalités en matière de qualité de l’éducation, en évitant un nivellement par le bas. La bonne nouvelle est que cet objectif ne nécessite pas de moyens financiers supplémentaires. Trois principaux buts sont à viser :

– Recruter des enseignants de bon niveau académique et pédagogique. La moitié des enseignants actuels ont des statuts précaires, donc recrutés suivant des critères plus souples.[6]

– Respecter le calendrier et les programmes scolaires.

– Améliorer les conditions d’études des élèves, en mettant en place des bus et cantines scolaires et en équipant les écoles d’infrastructures de loisirs.

A long terme, il serait opportun d’envisager une privatisation complète de l’éducation, accompagnée d’une régulation étatique rigoureuse. Le Bénin s’est, depuis quelques années, contenté de former quelques stars en entretenant l’illusion d’une excellence globale. Il est maintenant temps de démocratiser l’accès à une éducation de qualité.

Georges Vivien HOUNGBONON

 

[1] Les taux de réussite en 2016 étaient de 39,26% pour le CEP, 16% pour le BEPC et 30,14% pour le BAC (chiffres communiqués par les directions des examens).

[2] Statistiques de la Banque Mondiale, WDI.

[3] Graphique 2.6 du rapport du PASSEC, 2014.

[4] Tableau 1 du rapport PASSEC, 2012.

[5] Etude Pro-Educ repris par le rapport du Pôle de Dakar de l’UNESCO, 2014.

[6] Tableau 3.6 du rapport du Pôle de Dakar de l’UNESCO, 2014.

Partis politiques au Bénin : opposer le débat du développement au regroupement des partis sur des bases idéologiques

JPG_PartisBenin08061-La classe politique béninoise effectue depuis quelques temps un plaidoyer en faveur des réformes qui regrouperaient la pléthore de partis politiques sur une base idéologique au Bénin. Pourtant, la légitimité des idéologies politiques dans notre système démocratique est radicalement balayée par l’urgence des défis du développement auquel le Bénin est confronté. Le regroupement des partis politiques ne pourra pas se faire sur des bases idéologiques. Pour cause, ces partis politiques n’ont jamais présenté des divisions idéologiques depuis que le Bénin a négocié son ticket démocratique en 1990. D’ailleurs, il y a fort à parier qu’il n’y aura aucune division idéologique fondamentale pendant les trente prochaines années à venir. Pourquoi donc s’attarder à inventer des différences qui n’existent pas pour l’instant ? La réelle clé de voûte du système politique béninois se trouve à la surface du principe cardinal qui motive la création de tout parti politique. Il existe une réelle opportunité d’induire un meilleur rendement des valeurs démocratiques du Bénin en précisant le mode de contribution de ces partis au débat du développement.

Six professeurs du même collège

Que nous disent les principaux partis politiques qui ont marqué les 25 premières années de la démocratie béninoise ? Par critère de légitimité et de participation aux temps forts de la vie démocratique, les plus grandes formations politiques ont sans doute été la Renaissance du Bénin (RB), l’Union pour le Bénin du Futur (UBF), le Parti du Renouveau Démocratique (PRD), le Parti Social Démocrate (PSD), les Forces Cauris pour un Bénin Emergent (FCBE), l’Union pour la Nation (UN). A la lumière de leur idéologie (en formulant l’hypothèse que chacun des partis en possède), il y a en effet très peu à apprendre sur leur différence.

De façon conceptuelle, la formation d’un parti politique est motivée par l’existence d’intérêts contraires à celui d’un courant en vogue. Ainsi, il est facile de comprendre l’émergence aux Etats-Unis d’une classe républicaine plus conservatrice que le courant démocrate ou encore le système populaire de la gauche et de la droite qui existe dans bon nombre de pays occidentaux. Les questions essentielles de politiques sociales et fiscales, des limites de la responsabilité du gouvernement par rapport au citoyen ou encore celle des politiques étrangères créent des divisions fondamentales au sein de ces démocraties.

Au Bénin par contre, les partis politiques sont créés dans l’unique but de la conquête du pouvoir. L’intérêt présenté dans ces partis est par conséquent de nature purement personnelle, c’est-à-dire totalement connectée aux ambitions égoïstes des hommes politiques qui se regroupent pour les créer. Il n’est donc pas étonnant d’assister à la dislocation quasi mécanique de ces partis après leur échec à une élection majeure.

Le problème réel dans un paysage politique aussi désorganisé est la déconnection totale de ces partis de l’objet de leur création, c’est-à-dire leur contribution au développement de la nation à travers la formulation de propositions concrètes. Il est cependant possible d’y remédier avec une bonne dose de bon sens.

Un socle d’actions programmatiques

A l’évidence, le Bénin a clairement embrassé un système politique ‘’ social-démocrate ‘’ après l’échec du marxisme léninisme en 1989. Aujourd’hui encore, la centaine de partis politiques en existence (et/ou enterrés) reflète inévitablement cette philosophie unique avec des accents plus ou moins prononcés sur le discours de l’unité nationale. L’unicité idéologique est en effet particulièrement ostentatoire sur les plans économique, politique, social et même culturel.

Sur le plan socio-économique, il s’agit notamment d’adresser le problème du sous-emploi des jeunes et de réduire la pauvreté qui touche toujours plus du tiers de la population depuis 1990. Sur le plan politique, la position stratégique du Bénin lui exige de se rendre beaucoup plus actif dans le processus d’intégration régionale afin d’étendre de façon significative sa liberté politico-économique. La conservation et la promotion des valeurs culturelles ne créent pas non plus de désaccord. Le défi à relever est plutôt celui du mainstreaming des différentes priorités socio-politiques et économiques dans des plans quinquennaux (périodicité actuelle des mandats présidentiels au Bénin) de développement.

Systématiser la contribution des partis au débat du développement

En réalité, le travail programmatique a déjà été largement effectué afin d’orienter les pays en voie de développement tels que le Bénin. Il existe bon nombre de cadres stratégiques qui définissent clairement la voie à suivre aussi bien sur les plans institutionnels qu’au niveau des stratégies-pays. Les cadres les plus importants sont sans doute les 17 objectifs de développement durables et les 5 axes du plan stratégique communautaire de la CEDEAO. Ces cadres doivent systématiquement constituer des leviers d’actions au Bénin et des bases de spéculation pour les partis politiques.

A l’heure actuelle, il s’agit d’user d’outils législatifs et institutionnels pour astreindre de façon catégorique les partis politiques à se servir de ces cadres pour proposer des plans d’actions minutieusement élaborés. Ainsi, avant les échéances électorales, leurs projets de société ou plans d’actions devraient par conséquent détailler leurs mesures opérationnelles d’atteinte de résultats et de mobilisation de ressources. Ces partis devront développer de véritables budgets pro-formats pour convaincre les électeurs du coût d’opportunité que ces derniers encourraient en optant pour des alternatives proposées par d’autres partis.

Après les élections, la conduite systématique de ces exercices prédisposera les partis politiques et leurs parlementaires à devenir plus incisifs sur les questions de reddition de comptes et de contrôle de l’action gouvernementale parce qu’ils disposeraient déjà de solides instruments de comparaison préalablement développés par leurs propres soins.

R. Alan Akakpo

Alan Akakpo est analyste de politique publique et responsable du projet IMANI Francophone-Benin. Les points de vue exprimés ne reflètent pas nécessairement ceux d’IMANI Center for Policy and Education

Bénin : Pourquoi le mandat unique serait-il une mauvaise idée ?

P TalonL’élection présidentielle béninoise de mars 2016 a été l’occasion pour chaque candidat de faire des propositions de réformes institutionnelles notamment sur l’organisation de la vie politique nationale. A cet effet, la proposition du nouveau président Patrice Talon d’instaurer un mandat présidentiel unique et un financement public pour les partis politiques mérite une analyse plus approfondie, tant elle paraît à la fois séduisante et complexe. Le mandat unique enlèverait au président l’incitation à étouffer l’opposition ou à distordre les politiques publiques dans le but de renouveler son mandat. Quant au financement public, il rendrait les partis politiques plus indépendants des milieux d’affaires, jusqu’ici leurs principaux bailleurs de fonds. Cependant, en dépit de ces bonnes intentions, ces réformes risquent de porter un coup à la vitalité de la démocratie béninoise, et ceci pour deux raisons liées.

Déplacement du problème de l’individu vers le parti

Jusqu’aux dernières élections, les présidents béninois n’ont jamais été issus de partis politiques. Une fois au pouvoir, le président est typiquement soutenu par une alliance de partis politiques qui s’étiole dès son départ du pouvoir. Ce fût le cas de Soglo, de Kérékou et probablement de Yayi. Dans ce contexte où le président n’est redevable à aucun parti politique, son incitation à conserver le pouvoir se recentre sur lui-même, l’alliance de partis créée lors du premier mandat n’étant qu’un instrument à cette fin. Par contre, lorsqu’il s’agit d’un mandat unique, l’incitation du nouveau président pourrait toujours être la conservation du pouvoir, mais cette fois-ci au profit de son parti politique.

Le paysage politique mexicain offre un exemple saisissant de cette éventualité. Le Mexique a instauré un mandat présidentiel unique de six ans depuis 1934 avec un régime présidentiel comme au Bénin. Depuis 80 ans, le président a toujours été issu du parti libéral, à l’exception de la décennie 2000-2012 où le président était issu du parti conservateur. Cet exemple suggère donc que l’incitation à étouffer l’opposition reste entière, voire renforcée, lorsque le président n’a droit qu’à un seul mandat.

Il est toutefois possible que le mandat unique réduise la distorsion des politiques publiques à cause de l’incitation du président à conserver le pouvoir au profit de son parti politique. Cependant, la question de l’innovation dans les politiques publiques reste posée, car même si la politique n’est plus biaisée, elle pourrait être plus efficace si de nouvelles idées étaient régulièrement introduites dans le corpus idéologique des partis politiques qui aspirent à exercer le pouvoir exécutif. Cette quête d’innovation politique pourrait être garantie si de nouvelles figures politiques, issues de la jeunesse ou des couches sociales minoritaires, avaient la possibilité d’intégrer les organes dirigeants des partis politiques.

Emergence d’un parti politique dominant et stable

Les risques suscités par le déplacement du problème de l’individu vers le parti politique, à savoir l’étouffement de l’opposition et le manque d’innovation politique, ne sont avérés que si les conditions sont remplies pour l’émergence d’un parti politique qui rassemble la majorité des électeurs et qui dispose d’une stabilité temporelle.  Dans l’exemple du Mexique, le parti libéral ayant conservé le pouvoir plus de 80% du temps depuis le passage au mandat unique existait bien avant cette réforme et avait exercé le pouvoir exécutif pendant de nombreuses années. En l’état actuel des choses au Bénin, il y a peu de chance qu’émerge un parti politique dominant à cause de la base ethnique des partis politiques dans un environnement ethniquement fragmenté.

Quoiqu’une bonne nouvelle, cette situation est de nature à pervertir l’exercice du pouvoir exécutif en cas de mandat unique. Chaque nouveau président s’arrangerait pour profiter au maximum de son mandat sachant qu’il n’a pas de compte à rendre, sauf si les institutions de contre-pouvoir étaient suffisamment fortes. Le financement public des partis politiques, si elle était uniquement fonction du poids électoral, lève cette contrainte en incitant les partis politiques à s’allier au-delà des frontières ethniques.  

Il semble donc que l’instauration du mandat unique, accompagné d’un financement public des partis politiques, pourrait être un puissant moteur à l’émergence d’une sorte de parti unique durable et peu innovant. Même si ces réformes permettent de limiter la distorsion des politiques publiques créées par le renouvellement du mandat, elles laissent plus forte l’incitation à étouffer l’opposition politique, entamant ainsi la vitalité de la démocratie. Dès lors, la question fondamentale que soulèvent les deux réformes phares du nouveau président est celle de l’arbitrage entre vitalité démocratique et innovation politique.

Concilier vitalité démocratique et innovation politique

Pour concilier ces deux effets la réforme institutionnelle du président Talon aurait besoin d’être complétée par des mesures spécifiques sur la base du financement public. Ainsi, il pourrait être demandé aux partis politiques d’avoir un quota permanent de jeunes dans leurs instances dirigeantes. Avoir les jeunes à ces niveaux hiérarchiques des partis politiques permet d’inciter à l’innovation politique. Exclus, ils constituent en même temps la principale force politique susceptible de menacer la dominance et la stabilité d’un parti politique.

Par ailleurs, il devrait y avoir un financement de base identique pour tous les partis politiques dès lors qu’ils justifient d’un seuil minimal d’adhérents, plus une partie variable en fonction du poids électoral. Cela éviterait également la persistance d’un parti dominant. En outre, le renforcement des institutions de contre-pouvoir et la mise en place d’un système de reconnaissance vis-à-vis des présidents les plus méritants décourageraient la perversion du mandat unique comme un appel à se servir au plus vite.

 

Georges Vivien HOUNGBONON

Au Bénin, la bataille pour le contrôle de l’économie a commencé

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Alors que le débat public sur la prochaine élection présidentielle au Bénin se cristallise autour de la légitimité de tel ou tel candidat, le véritable enjeu qu’est le contrôle des opportunités économiques du pays est entièrement passé sous silence.[1] En effet, comme la plupart des pays d’Afrique sub-saharienne, le Bénin est un pays où tout est encore à faire. Des aéroports aux ports en passant par les autoroutes, la privatisation des anciens monopoles d’eau, d’électricité et de télécommunications, voire même la gestion de la manne pétrolière récemment découverte en offshore : les opportunités économiques sont colossales. Elles existent également dans les secteurs innovants du numérique, des énergies renouvelables et de la santé. Par ailleurs, en dépit de sa petite taille, le Bénin jouera sans nul doute un rôle intellectuel central dans les débats économiques qui auront lieu au sein de la Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest au cours des dix prochaines années, qu’il s’agisse de la création d’une monnaie unique ou de la finalisation des accords de partenariats économiques avec l’Union Européenne. C’est face à ces enjeux que la compétition électorale a pris une nouvelle tournure, mettant en jeu les opérateurs économiques nationaux face aux investisseurs étrangers.

L’approche traditionnelle de la bataille économique au Bénin

Traditionnellement, la bataille pour le contrôle de l’économie béninoise se déroule entre les opérateurs économiques nationaux lors des élections présidentielles et législatives. En l’absence de financement public, les plus grands partis politiques sont financés par des opérateurs économiques, pour la plupart nationaux, en contrepartie de la signature de contrats d’investissements publics ou de la privatisation d’anciens monopoles d’Etat. Trois cas emblématiques illustrent cette collusion entre milieux d’affaires et milieux politiques depuis l’avènement de la démocratie en 1990 :

  • La privatisation de la filière d'égrenage du coton par le régime du président Soglo entre 1991 et 1996 au profit de l’homme d’affaires Patrice Talon, une privatisation régulièrement contestée devant les tribunaux,
  • La privatisation de la société de commercialisation des produits pétroliers (SONACOP) par le régime du feu président Kérékou entre 1996 et 2006 au profit de l’homme d’affaires Séfou Fagbohoun, contestée et annulée par le régime du président Yayi Boni peu après son entrée en fonction en 2006,
  • La privatisation de la distribution d’intrants agricoles et la gestion du trafic au port autonome de Cotonou par le régime du président Yayi Boni entre 2006 et 2011 au profit de Patrice Talon, remise en cause et annulée par le même régime après sa réélection en 2011.

D’autres cas tout aussi importants sont à dénombrer pour chacun des régimes avec la constance que la concurrence pour la signature des contrats publics se déroule essentiellement entre les plus gros opérateurs économiques nationaux.

Une bataille d’une nouvelle nature s’installe

Aujourd’hui, la donne est en train de changer. Tout porte à croire que les hommes d’affaires béninois en sont conscients depuis l’entrée en scène de Lionel Zinsou, banquier d’affaires franco-béninois, nommé premier ministre depuis juin 2015 et actuellement candidat du parti au pouvoir à l’élection présidentielle du 28 février prochain. Son éventuelle élection à la présidence de la République ne signifierait pas nécessairement que les investisseurs français et de la diaspora béninoise seront privilégiés par rapport aux investisseurs traditionnels béninois. Cependant, cela encouragerait davantage ces derniers à explorer le marché béninois espérant trouver une oreille plus attentive et plus sûr à leurs projets d’investissements. Nous n’en voulons pour preuve que la signature éclair de la convention d’exploitation et de construction du chemin de fer reliant Cotonou à Niamey par le Groupe français Bolloré en août 2015.

C’est dans la crainte de cette concurrence que deux des plus grands hommes d’affaires béninois, Patrice Talon et Sébastien Ajavon, se sont également lancés dans la course à la présidentielle, abandonnant leurs stratégies classiques de soutien à un candidat de la société civile. En face, se trouve le premier ministre avec le soutien des deux plus grands partis politiques de l’opposition. Dans ces circonstances, la sauvegarde de leurs intérêts économiques se trouve confrontée au présage d’une concurrence plus rude en provenance de l’extérieur.

L’intérêt de la population béninoise

Cette confrontation soulève la question de savoir laquelle des deux parties aurait plus de chance d’améliorer de manière plus substantielle les conditions de vie des béninois. Cela dépend d’une part de l’ampleur de la valeur ajoutée économique que chacune d’elle créerait si elle était élue, et d’autre part de la part qu’elles laisseraient au profit de la population, notamment aux 90% les plus pauvres.

Une simplification de l’analyse, sans perte de généralité, consiste à approximer la contribution en valeur ajoutée par le taux de croissance du PIB, et la part de cette valeur ajoutée allouée à la population par l’évolution de la proportion de personnes en situation de pauvreté. Une baisse de cette proportion signifie que la part de la valeur ajoutée allouée aux plus pauvres s’accroît, ou plutôt qu’elle n’a pas baissé. A l’aide de ces deux indicateurs, on peut d’ores et déjà se faire une idée de la contribution de l’approche traditionnelle de la bataille économique à la création de la richesse et à la réduction de la pauvreté au Bénin au cours des 25 dernières années.

Contrairement aux attentes, tous les indicateurs sont au rouge. La pauvreté s’est considérablement accrue au cours des 25 dernières années au Bénin en dépit d’un taux de croissance moyen proche de 5%. Selon les chiffres de la Banque Mondiale, la proportion de personnes vivant avec moins de 500 FCFA par jour, juste suffisant pour le déjeuner, est passée de 49 à 53% entre 2003 et 2011 alors que le taux de croissance moyen était de l’ordre de 3,5%.[2] Par conséquent, le contrôle exercé par les opérateurs économiques nationaux sur l’économie béninoise, bien qu’elle a généré une certaine valeur ajoutée, s’est même accompagné d’une paupérisation de la majorité des béninois. Cela ne signifie pas nécessairement qu’ils en sont les seuls responsables. Bien entendu, les gouvernements successifs, à travers leurs partis politiques, ont aussi leur part de responsabilité. Après tout, c’est bien la collusion entre milieux d’affaires et partis politique qui a conduit à cette catastrophe sociale.

La démonstration pourrait s’arrêter là puisque le béninois moyen ne peut plus espérer pire. Mais ce serait omettre l’effet bénéfique que pourrait exercer une concurrence « étrangère » sur l’innovation de la part des investisseurs traditionnels béninois. En effet, non seulement les investissements étrangers et de la diaspora, de par leur capacité de financement, peuvent toucher de larges pans de l’économie béninoise, générant ainsi de la croissance et éventuellement de la réduction de la pauvreté, mais également, ils sont susceptibles d’inciter les entrepreneurs traditionnels à investir dans de nouveaux secteurs plus innovants comme le numérique, les énergies renouvelables et la santé, ou à améliorer leur processus de production. Jusqu’à présent, la plupart se focalisent sur les secteurs traditionnels tels que l’agro-alimentaire, l'importation de véhicules d’occasion et les exportations de matières premières agricoles telles que le coton.

Le problème de l’électeur béninois

Loin des considérations personnelles sur les connaissances anthropologiques de tel ou tel candidat, il semble donc bien que ce qui importe dans cette élection présidentielle soit la capacité de chacune des parties à générer de la croissance et à en distribuer une partie aux populations sous forme d’emplois décents ou de programmes sociaux. Une éventuelle victoire de Lionel Zinsou peut garantir une forte croissance mais pas nécessairement une plus grande part redistribuée aux populations. Tout dépendra de ses choix de politiques de développement. En cas d’une victoire de l’un des hommes d’affaires béninois, il semble que la croissance économique ne serait pas supérieure à la moyenne enregistrée au cours des 25 dernières années pour la simple raison qu’on se retrouverait dans un statu quo. Cependant, il est plus probable que ces derniers réallouent une plus grande part de la valeur ajoutée aux populations, même indépendamment de leurs politiques économiques, ne serait-ce qu’en guise de reconnaissance vis-à-vis des populations qui leur auraient permis d’éviter la faillite de leurs entreprises.

A long terme, il faudra envisager une séparation stricte entre les partis politiques et les milieux d’affaires. Cela passe par le financement public des partis politiques reconnus par l’Etat, couplée à une régulation indépendante de la concurrence, source d’innovation et de création d’emplois et de réduction de la pauvreté. Dans un tel contexte, les entrepreneurs locaux n’auront pas besoin d’être confrontés à une concurrence étrangère pour innover et proposer leurs produits et services à un prix qui laisse davantage de pouvoir d’achat aux populations. C’est aussi dans ce contexte que seules les propositions de politiques publiques des candidats à l’élection présidentielle compteront, et non leurs capacités à créer de la croissance, un rôle qui incombe plutôt au secteur privé.

 

[1] Le premier tour de l’élection est prévu pour le 28 février 2016.

[2] Conversion de 1,9 $ PPP 2011 en FCFA sur la base de 220,02 FCFA pour 1$ PPP 2011. Ces observations ont également été relevé par le dernier rapport conjoint Gouvernement Béninois – Banque Mondiale sur la pauvreté au Bénin publié en 2014.

Quelle contribution des PPP à l’amélioration de la fourniture des services publics en Afrique : cas du Bénin

12052_Water_pumpingtif_050eb760e9Perçus comme une réponse possible aux défis techniques et budgétaires que représentent les projets d’infrastructure pour les autorités publiques, tant dans les pays développés qu’au sein des économies en développement, les partenariats public-privé[1] (PPPs) ont généré un regain d’intérêt depuis la crise économique et financière de 2008. Au cours de la dernière décennie, plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest incluant le Bénin, le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Rwanda et le Sénégal ont mis en place des partenariats public-privé pour répondre au besoin d’améliorer l’approvisionnement en eau des zones rurales, avec divers degrés de succès. De fait, en dépit de l’attrait budgétaire et financier qu’ils représentent pour les gouvernements, les partenariats public-privé ne sont pas une panacée : la seule recherche d’apports alternatifs pour combler le manque de financements nécessaires à investir dans le développement ou la réhabilitation d’infrastructures publiques ne justifie pas la structuration de projets sous la forme de PPP.

Le projet de réhabilitation et d’extension des systèmes d’approvisionnement en eau des communes rurales béninoises développé à partir de 2010 sous la forme de petites concessions administrées de façon indépendante par quatre municipalités locales en partenariat avec des opérateurs privés est un exemple de PPP financièrement viable, mis en place dans un contexte adéquat et structuré de manière à assurer une exécution efficace du projet sur le long terme. Le présent article vise à identifier les facteurs clef de succès ayant contribué à la réussite de l’expérience Béninoise, dans une optique d’adaptation et d’expansion de tels schémas au sein d’autres communautés rurales. 

Le projet de réhabilitation et d’extension des systèmes d’approvisionnement en eau des communes rurales béninoises fut conçu par IFC et la Banque Mondiale en partenariat avec le gouvernement, en vue d’assurer le financement partiel, la réhabilitation, l’extension et la gestion opérationnelle par le secteur privé de dix systèmes hydrauliques préexistants, desservant 41,000 habitants au sein de trois municipalités. Les dix sites pilotes furent groupés en quatre concessions indépendamment administrées par chaque municipalité et leurs contreparties privées, suite à la signature des contrats de PPP en 2014. Il est intéressant de relever que la gestion des systèmes hydrauliques des communes rurales concernées était déjà assurée par des opérateurs privés à l’époque ou le projet fut conçu : la décision de structurer le projet sous la forme de PPP visait à remédier à la faible performance des opérateurs privés sélectionnés dans le cadre des contrats d’affermage préexistant. D’une part, la création de nouveaux contrats a permis de mettre au défi les entreprises jusqu’alors en charge de la gestion des dix systèmes hydrauliques pilotes et de sélectionner de manière compétitive et transparente  les opérateurs privés les plus compétents. Le processus de sélection fut supervisé à la fois par des experts locaux et internationaux incluant IFC et le programme d’assainissement des eaux de la Banque Mondiale. D’autre part, l’élaboration de contrats de PPP a permis d’allonger à huit ans les dispositions signées entre les secteurs public et privé, invitant les entreprises répondant à l’appel d’offre à planifier l’élaboration et le management durable des infrastructures hydrauliques pilotes, au détriment des stratégies agressives de limitation des couts  parfois observées dans le cadre des contrats d’affermage court terme.

La répartition des risques entre le gouvernement, les municipalités et les opérateurs privés fut en outre révisée à la faveur d’approches économiquement plus rationnelles, où chaque risque fut affecté à l’acteur en mesure d’y répondre à cout inférieur aux autres parties prenantes. Tant la capacité des opérateurs privés à respecter leurs obligations contractuelles, que le niveau d’engagement gouvernemental s’en virent renforcés. Les autorités publiques acquirent notamment une meilleure compréhension du niveau de soutien au secteur privé requis afin de garantir la réussite du projet, tels que le développement d’instruments de garantie financières visant à attirer les investissements privés  et à encourager les l’engagement des banques commerciales; la mise en place de système de régulation efficaces ; l’amélioration des outils d’information mis à disposition des professionnels ; et la mise en place de systèmes de contrôle de la qualité de l’eau et d’audit de la performance des opérateurs privés.

Enfin, la signature d’accords clairs sur des objectifs communs relatifs à la livraison d’infrastructures et de services publics entre les municipalités et leurs contreparties privées a permis d’assurer l’exécution efficace des quatre contrats depuis 2014.

Le respect durant la conception du projet de la structure de gouvernance décentralisée des services publics d’approvisionnement en eau au Benin fut un facteur clef de succès : chaque municipalité s’est vue confier la gestion des appels d’offres liés aux concessions dont elles avaient la responsabilité, participant à accroitre la capacité des communautés locales en matière de mise en place et de gestion des contrats de PPP présents et futurs.   

La consultation des parties prenantes tout au long du processus et l’organisation par IFC de formations visant à clarifier la structure des contrats et la répartition des risques entre chaque acteur ont contribué  à renforcer les compétences des parties prenantes et leur appropriation du processus. L’adhésion des communautés locale, indispensable à  l’exécution du projet, fut en outre facilitée par l’exigence contractuelle imposée aux opérateurs privés d’améliorer la qualité et la durabilité des services d’approvisionnement en eau sans accroitre les tarifs imposés aux ménages.

L’assistance technique fournie au gouvernement par IFC et la Banque Mondiale a permis l’élaboration de systèmes de régulation efficaces et d’un cadre contractuel robuste facilitant la gestion du changement toute au long de la durée des quatre concessions.

Le défi de la disponibilité des ressources permettant le financement durable des investissements liés au projet fut enfin relevé grâce á l’assistance financière de la Banque Mondiale et à l’aide bilatérale néerlandaise, dont les apports en capitaux ont en retour accru la confiance des investisseurs privés. La compréhension du profil risque du secteur progressivement acquise par les banques commerciales béninoises a en particulier catalysé leur engagement à soutenir le secteur par le biais de dettes, de placements en actions  et d’autres instruments financiers mis à disposition des concessionnaires.

Le succès de l’expérience béninoise illustre dans quel cadre la mise en place de partenariats public-privé en zone rurale peut servir d’alternative aux schémas d’auto-administration des systèmes hydrauliques par les communes, et aux contrats d’affermage engageant les opérateurs privés. 

L’optimisation des ressources liées aux services d’approvisionnement en eau est mise en évidence par les gains d’efficacité économique et technique générés par le projet, et l’engagement accru des acteurs public et privés dans leur mission commune de service public. Des services efficaces d’approvisionnement en eau sont à présent délivrés aux communautés rurales au même cout qu’autrefois et l’extension des dix systèmes hydrauliques pilotes a permis d’élargir le nombre de ménages bénéficiant de ces services et de fait, les revenus fiscaux liés aux services d’assainissement des eaux.

La gestion simultanée de quatre concessions en des locations différentes permettra au gouvernement béninois de comparer la performance des opérateurs en charge de chaque système pilote et d’identifier des leçons claires permettant d’informer les décisions futures concernant la réplication des schémas de PPP à travers d’autres secteurs et d’autres régions.

Ainsi que le démontre l’expérience béninoise, les partenariats public-privé peuvent participer à améliorer la qualité et la durabilité des services publics lorsqu’ils permettent d’introduire les degrés d’expertise et d’innovation nécessaires à accroitre l’efficacité opérationnelle associée à la conception, la livraison et la maintenance d’infrastructures et de services publiques. Les PPP peuvent également aider les opérateurs  privés à optimiser leur propre efficacité opérationnelle, en participant à répartir de manière plus efficace les risques partagés avec le secteur public. La structure des PPP permet enfin une répartition plus claire, transparente et de long terme des responsabilités de chaque partie, scellée par un accord clair sur des objectifs communs relatifs à la livraison d’infrastructures et de services publics.

Alix Landais


[1] Les PPPs consistent en des accords de moyen à long terme entre les secteurs public et privé par le biais desquels certains services relevant de la responsabilité du secteur public sont administrés par le secteur privé. De tels schémas sont particulièrement appliqués dans les secteurs des technologies propres, de l’énergie et de l’électricité, de la gestion des déchets, de la télécommunication et des technologies de l’information et de la communication (TIC), des transports, et de l’assainissement des eaux.

How can PPPs help deliver better services in Africa? Evidence from Benin

12052_Water_pumpingtif_050eb760e9 Public Private Partnerships can help increase net benefits to society when they improve operators’ efficiency in delivering qualitative and sustainable public services in targeted geographical areas. In most cases, PPPs enable to bring private sector expertise and innovation to public services delivery, such as urban and rural water supply, which used to be managed by public authorities at ministries or municipalities level. PPPs can also help private operators to improve their own performance in delivering public services by engaging government support and enabling cost-effective allocation of risks between public and private parties.

Though common in the urban utility sector in Africa, PPPs were first introduced into the rural water supply sector in the early 2000s as an alternative to the community-based management model, which had fallen short in terms of meeting performance expectations for piped water systems[1]. Over the past decade, many West African countries including Benin, Burkina Faso, Mali, Mauritania, Niger, Rwanda and Senegal, tested PPPs for small piped water schemes with various level of success. The present article identifies key success factors which contributed to the successful Beninese experience, with a view to identify path for adaptation and scaling-up to broader rural areas and other African countries.  

The Small Towns Water Systems project initiated in Benin in 2010 illustrates how to prepare small PPP projects for competitive bidding an how to structure financially sustainable PPP concession arrangements. Under this project, the government of Benin aimed to improve water delivery to rural communities through the partial financing, rehabilitation, extension and operation by the private sector of 10 existing piped water systems covering 41,000 people across the three municipalities.[2] The 10 pilot sites were grouped into four clusters tendered as a separate transaction by each municipality, resulting in four concession agreements signed in 2014.

Interestingly, local rural water systems were already managed by private operators at the time the Small Towns Water Systems project was designed: The decision to structure the project as a PPP was based on revealed poor performance of private operators under existing lease agreement. In other words, the purpose of this PPP project was to leverage private operators’ capacity to improve their own performance in sustainably and qualitatively delivering water services to rural communities, by revising the contract structure binding them to the Government of Benin (GoB).

PPP contractual arrangements introduced a more cost-effective allocation of risks between the GoM, municipal authorities and private operators based on each actor’s ability to manage various risks at a lesser cost than other parties. Not only did risks reallocation make it easier for private sector operators to fulfil their contractual obligations, but it also participated to increase government support and commitment: By being re-transferred the project’s risks that it could manage at a lesser cost than private operators, the GoB acquired a better understanding of the level of support required from its part to ensure successful project delivery. Such responsibilities included (i) the development of risk sharing instruments to facilitate private investment and encourage entry of banks into the water sector – through foreign currency coverage mechanisms and first loss guarantees; (ii) ensuring the ownership of the PPP process by local stakeholders; (iii) establishing an effective regulatory system; (iv) channelling sustainable financing of infrastructure investments; (v) improving information tools and services to professional user; (vi) monitoring of water quality and regular audit of private operators’ performance.

IFC and the World Bank’s understanding of Benin’s decentralized political structure was a key factor contributing to the successful design and implementation of the project. In line with traditional water governance schemes, each municipality was given the responsibility to manage the tendering process for their respective clusters, which participated to build local authorities capacity to implement and manage current and future PPP contracts. The selection of most capable private operators at a national scale through a transparent and competitive bidding process with oversight from both local and international experts from IFC and the World Banks’ Water and Sanitation program (WSP) was a key component of improved water services delivery.

The shift from short-term contracting arrangement to long-term (8-year) PPP concession agreements additionally increased incentives for private operators to design, implement and manage services effectively, with a view to minimize maintenance costs over the duration of the project. This contributed to improved quality of services and improved availability of maintenance services.

Capacity building and ownership of the PPP process by key stakeholders was ensured through consultation and training of potential bidders to give them clear understanding of the proposed structure and sustainable risk allocation. Consumer voice was also reflected in the requirement to improve water services without increasing the price of water.

The international expertise and technical assistance provided by IFC and WSP enabled the GoB to build effective regulation schemes and robust contractual framework, including flexible terms to handle change management over the duration of the four concessions. Detailed contract design gave more clarity to private operators regarding their rights, obligations and the range of activities transferred to them, whilst performance monitoring tools were put in place to ensure water operators compliance with agreed regulations. Improved contracting practices and scheme design rules participated to the development of an enabling PPP environment.

The GoB also addressed the challenge of the availability of financial services and sustainable financing of investments. Financial assistance from the World Bank and the Dutch Cooperation enabled the GoB to demonstrate commitment and actual investments in the project, which in turn improved external investors’ confidence as reflected by local commercial banks commitment to support the water sector through debt, equity and various financing instruments to concessionaires. This resulted in local commercial banks improved understanding of the risk profile of rural water supply and increased commitment to support private operators.

Structuring the Small Towns Water Systems project as a PPP as an alternative to both community-based management and private sector lease agreement models improved services delivery’s Value for Money through efficiency gains and increased interactions between public and private stakeholders. Better quality services are now being delivered to rural communities at the same price than previously required to them. The project’s cost to society hasn’t increased whilst the benefits to society improved through the extension and redesign of existing water schemes resulting in increased households outreach.

The simultaneous management of four separate concessions will enable IFC and the GoB to monitor and compare each operator’s performance and to gather lessons informing future decisions towards the scaling-up of rural water PPP supply schemes across the country and the continent. Shall all four projects prove successful on the long run, the initiative will also increase private operators’ confidence in bidding for similar PPP projects across other sectors, thus increasing the growth of PPP penetration in Benin where national action plans are being implemented to rationalize and accelerate this process.

Alix Landais


[1] A review of progress in seven African countries Public-Private Partnerships For Small Piped Water Schemes, The World Bank Group / Water and Sanitation Program (WSP), 2014

 

 

 

[2] Benin: Piped Water Supply Systems in Rural and Small Towns, Public-Private Partnership Stories, IFC, 2014

 

 

 

Lionel Zinsou: L’homme Providentiel ?

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Lionel Zinsou, le parcours atypique d'un franco-béninois, c'est le titre que nous avions donné à une interview de ce membre du conseil scientifique de L'Afrique des Idées. Ce banquier d'affaires, précédemment président de la Fondation AfricaFrance pour la croissance vient d'être nommé premier ministre du Bénin dans un contexte politique très particulier, suscitant des interprétations contradictoires. Que pourrait donc bien signifier cette nomination, atypique? Son interprétation ne peut se faire en dehors de l'histoire et du contexte politique du Bénin, caractérisés par le plébiscite des hommes providentiels, souvent peu connus de la population, notamment en période de crise.

L'histoire des hommes providentiels béninois

Dans un contexte économique morose et un système de parti unique contesté, le président Mathieu Kérékou au pouvoir depuis 1972, laissa la gestion du pays à un Haut Conseil de la République à l'issue de l'historique Conférence nationale des forces vives de la Nation de février 1990. Cet Haut Conseil nomma Nicéphore Soglo au poste de Premier ministre en mars 1990. Un an plus tard, cet ancien de l'Ecole Nationale d'Administration française et cadre de la Banque mondiale, sera élu président de la République dans un Bénin cette fois-ci démocratique avec un système politique pluraliste. Sa gestion prospère du pays au bout de cinq années de mandat constitutionnel ne lui permettra pas d'être réélu à la présidence en 1996; l’élection consacrant plutôt le retour aux affaires de l'ancien président Mathieu Kérékou grâce au soutien de ses anciens alliés et à l'insatisfaction suscitée par sa lutte acharnée contre la corruption.

L'émergence économique entamée depuis 1991 se prolongera sous la présidence de Kérékou et lui vaudra une réélection en 2001. Cette réélection, cependant, marquera le début d’une descente aux enfers pour l'économie béninoise, gangrenée par des pratiques de mauvaise gouvernance, puisqu'il n'y avait plus d'enjeu après 2006; le président étant élu pour cinq ans renouvelable une seule fois. Dans cette atmosphère de marasme économique, Yayi Boni, président de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) débarque à moins d'un an des présidentielles de 2006 et réussit à se faire élire au second tour avec 75% des suffrages exprimés. Aux élections de 2011, il manque de peu de connaître le même sort que Soglo en 1996 avec la constitution d'une forte alliance de l'opposition.

Son maintien au pouvoir n'a cependant pas permis d'améliorer la situation politique et économique du Bénin; bien au contraire. La croissance économique est restée atone, la pauvreté et les inégalités ont explosé, et la situation politique s'est sérieusement détériorée avec l'exil de certains hommes d'affaires et de juges suite à des tentatives présumées de coup d'Etat et d'empoisonnement. La position politique du président s’est récemment affaiblie avec la prise de contrôle du parlement par l'opposition, mettant un terme au débat sur la révision de la constitution en vue d'un éventuel troisième mandat. C'est dans ce contexte qu'à dix mois des élections, et après une visite de travail à Paris, le président Yayi Boni nomme le banquier d'affaires Lionel Zinsou au poste de Premier ministre, un poste qui n'est pas prévu par la constitution béninoise, le président étant chef de l'Etat et chef du gouvernement.

Le vacuum politique béninois

Actuellement, la classe politique béninoise est divisée et les candidats potentiels affaiblis par leurs manques d'expériences et d'autonomie, de sorte qu'il n'existe pas encore de candidature sérieuse à la prochaine élection présidentielle de 2016. Bien entendu, il y a aujourd'hui une pléthore de candidats déclarés, parmi lesquels les plus crédibles sont Abdoulaye Bio Tchané, ancien candidat malheureux à la présidentielle de 2011, Pascal Irené Koupaki, ancien Premier ministre de Yayi Boni, tombé en disgrâce pour son accointance avec Patrice Talon, et le Général Robert Gbian. Si le premier dispose déjà d'une assise électorale minime auprès des populations béninoises, le second quant à lui, renvoie l'image d'un pur technocrate sans une réelle capacité de diriger le pays.

Les ténors de la scène politique béninoise que sont Adrien Houngbédji, président du principal parti d'opposition, et Amoussou Bruno, président du deuxième parti d'opposition, sont tous frappés par la limite d'âge pour être candidat à la présidence de la République. Le premier vient d'ailleurs d'être élu président de l'Assemblée nationale. Le Parti de la Renaissance du Bénin, présidé par Léhady Soglo, ne dispose plus d'assise électorale comme en témoigne les 7 sièges sur 83 qu'il a obtenus aux dernières élections législatives.

Face à ce vide politique, seul le parti de la mouvance présidentielle détient encore une base électorale très large, avec 33 députés sur 83 aux dernières élections législatives. Dans cette situation, le dauphin politique désigné par le président de la République aura toutes ses chances lors des prochaines élections présidentielles, surtout s'il a le soutien de quelques autres partis politiques de l'opposition. Mais au Bénin, il n'y a pas que le vide politique à combler, mais plus important encore est le redressement économique du pays pour renverser la tendance actuelle à l'explosion de la pauvreté et des inégalités. Il faut donc un homme providentiel.

02_Lionel_ZinsouLionel Zinsou sera-t-il l'homme providentiel pour 2016 ?

D'abord, l'histoire politique béninoise semble suggérer que les électeurs béninois ont une appétence pour les personnalités nouvelles, surtout en période de crise. Si cette préférence milite en faveur d'une élection de Zinsou à la présidence de la République, elle peut néanmoins être inversée par la leçon apprise de la gestion du pouvoir par Yayi Boni. Après quelques maladresses au cours de son premier mandat, lui-même avait reconnu que son manque d'expérience du système politique béninois était un handicap pour la mise en œuvre de ses projets de développement. Si cette opinion était partagée par une bonne partie de la population, alors Lionel Zinsou devrait d'abord prouver sa connaissance du Bénin pour gagner l'adhésion des béninois à une éventuelle candidature. Peut-être, pourrait-il s'appuyer sur la réputation de son oncle, Emile Derlin Zinsou, ancien président du Bénin pour convaincre davantage de monde.

Ensuite, le contexte politique semble très favorable à une candidature de Lionel Zinsou. En l'absence d'une candidature sérieuse, il peut jouir de la visibilité que lui offre un poste aussi controversé au Bénin que celui de Premier ministre. De plus, étant en charge du développement, il pourra gagner la sympathie des populations pauvres et des classes moyennes inférieures qui représentent aujourd'hui la majorité des Béninois, grâce aux programmes de lutte contre la pauvreté et les inégalités qu'il conduira au cours des huit prochains mois.

Par ailleurs, Zinsou devrait bénéficier du soutien de la France du fait de ses nombreux offices pour l'Etat français. C'est ce que suggère d'ailleurs sa nomination à la suite d'une visite de Yayi Boni à Paris et juste avant l'arrivée du président François Hollande à Cotonou le 2 juillet prochain. Cette arrivée de Hollande semble d'ailleurs augurer d'une tentative de ralliement de la classe politique béninoise autour d'une éventuelle candidature de Lionel Zinsou. Plus particulièrement, l'élection d’Adrien Houngbédji à la présidence de l'Assemblée nationale pourrait avoir été favorisée par le soutien de milieux français. Par un retour de l'ascenseur, celui-ci pourrait également faciliter un ralliement autour d'une candidature de Lionel Zinsou.

Cependant, la création d'un poste de Vice-Premier ministre atténue quelque peu les perspectives présidentielles de Lionel Zinsou. Par ce biais, il semble être sous la surveillance de Yayi Boni, avec la possibilité que son bras droit reste auprès de lui au cas où il briguerait la présidence de la République. Les jeux sont-ils faits ? Il se peut qu'une nouvelle surprise survienne dans cette effervescence pré-électorale à moins que ce ne soit celle d'une élection de Lionel Zinsou à la présidence de la République du Bénin. Serait-elle une belle surprise lorsqu’il soutient que le Franc CFA est une chance pour la zone Franc?

 

Georges Vivien Houngbonon

Pour des services d’état civil plus efficaces en Afrique

civilL’état civil est l’ensemble des dispositions légales et réglementaires dont l’objet est de situer dans le temps et dans l’espace les événements essentiels de la vie d’un être humain dont les plus importants sont la naissance, le mariage et le décès. Il désigne également la structure administrative qui s’occupe de la délivrance des documents appelés actes d’état civil. « L’état des personnes n’est établi et ne peut être prouvé que par les actes de l’état civil, les jugements ou arrêts en tenant lieu et, exceptionnellement, les actes de notoriété »[1]. Si la situation s’améliore au niveau des mairies qui délivrent généralement les pièces d’état civil, tel n’est pas le cas dans l’appareil judiciaire qui actualise rarement les casiers judiciaires des citoyens condamnés suite à des jugements prononcés. Les gouvernants africains ont lancé un appel à Yamoussoukro en Côte d’Ivoire en février 2015 en vue de promouvoir l’utilisation de l’état civil et des statistiques de l’état civil pour appuyer la bonne gouvernance en Afrique[2].

Constats sociodémographiques et économiques

Les données d’état civil sont très utiles dans plusieurs domaines : démographique, administratif, juridique, économique et social. La population du continent africain est estimée à 1,111 milliards d’habitants en 2013 avec un taux de croissance annuel[3] de 2,5%, notamment en Afrique Subsaharienne.

« Les naissances, les mariages et les décès sont constatés sur des registres tenus dans les centres d’état civil selon les modalités fixées par décret »[4]. Donc les statistiques de fécondité et de mortalité devraient être constatées par l’état civil. Si elles ont connu un essor avec l’accession de la plupart des pays africains à l’indépendance ; ces données sur la fécondité et la mortalité en Afrique, ne proviennent plus que de plusieurs enquêtes et recensements organisés sur le plan mondial. L’état civil en Afrique n’est pas utilisé à des fins statistiques principalement à cause du fait que la législation dans certains pays ne prévoit pas ce volet statistique[5]. Cette législation n’envisage pas aussi le transfert de données entre la structure en charge de la collecte (état civil) et la structure en charge du traitement de ces données. Il y a encore à ce jour, des naissances qui ne sont pas enregistrées du simple fait que certaines femmes continuent d’accoucher à la maison. En outre, de nombreux décès ne sont pas déclarés auprès des services en charge de l’état civil.

La pratique des enregistrements fictifs surtout au moment de l'entrée à l’école est très répandue et peut arriver jusqu’à 80% des enregistrements dans certains zones[6]. Ce sont pour la plupart des enfants nés en dehors des centres de santé formels (structures informelles) ou ceux dont les parents n’ont pas fait aussitôt après leur naissance, la déclaration dans le registre de l’état civil. Cette situation favorise la pratique de fraude au sein des administrations africaines.

Le manque d’informations sur la couverture des enregistrements des faits d’état civil (naissances et décès), ne permet pas d’élaborer parfois de bonnes politiques économiques. Les activités pour le suivi d’élaboration de stratégies de réduction de la pauvreté biaisent les objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Or ces statistiques devraient renforcer l’appui au système de collecte des indicateurs économiques (indice de coût de la construction, indice de prix à la consommation, le commerce extérieur, les comptes nationaux, etc.) afin de stimuler l’impact des politiques économiques et sociales. Suivant les dispositions du code des personnes et de la famille, dans le cas du Bénin par exemple « L’officier de l’état civil est tenu, à la fin de chaque trimestre, sous peine de sanction, d’adresser au service national des statistiques, un état des naissances, des mariages, des divorces, des décès et des enfants sans vie inscrits au cours du trimestre »[7].

Cette disposition du code n’est pas suivie et met à mal les activités d’analyses (évolution des structures de consommation des ménages, production des notes sur l’emploi, mise à jour des bases de données, publication et diffusion des résultats des différentes études et enquêtes statistiques, etc.) des services en charge du traitement des données statistiques.

D’une façon générale, des difficultés dans l’atteinte d’un important taux de fréquentation en matière d’état civil persistent encore en Afrique. Or, un faible taux d’enregistrement des événements de l’état civil ne permet pas à cette structure de jouer efficacement son rôle de banque de données fiables pouvant aider les gouvernants africains. A tout cela, s’ajoutent les fraudes que l’on constate dans les services d’établissement des actes d’état civil.

Constats sur les fraudes et les jugements supplétifs

L’état civil dans la vie des citoyens est empreint de toutes sortes de fraudes. Il y a lieu ici de signaler les cas particuliers de la falsification des actes de naissance opérés par certains usagers et ayant pour objet :

  • d’accélérer la date du début de la scolarité,
  • de faire reculer le moment de la retraite,
  • d’établir de faux liens de filiation à des fins successorales,
  • d’établir une fausse pièce d’identité (carte nationale d’identité, passeport, permis de conduire),
  • de faciliter l’obtention de certains avantages matrimoniaux (mariage, divorce, rapprochement de conjoint, etc.).

La fraude peut porter sur l’acte d’état civil lui-même. Elle résulte alors de l’usage de faux actes confectionnés par des personnes ou des officines privées, d’altération de copies ou d’extraits d’actes régulièrement délivrés par les autorités locales, d’altération des registres de l’état civil par surcharge, rature, découpage et collage, de confection de vrais faux actes d’état civil constitués d’actes réguliers en la forme mais dont les événements relatés ne correspondent pas à la réalité (naissance fictive, reconnaissance mensongère, etc.).

La fraude à l’état civil a pris une ampleur toute particulière à travers essentiellement le phénomène de l’émigration. Une enquête menée par le ministère français des affaires étrangères auprès de postes diplomatiques et consulaires a permis de procéder à une estimation des actes d’état civil faux ou obtenus frauduleusement. Dans nombre de pays, la proportion de faux actes détectés par ces postes se situe entre 30 et 60 %. Elle est même évaluée à 90 % pour les Comores[8].

L’ignorance ou la méconnaissance des textes régissant le délai de déclaration d’une naissance ou d’un décès conduit certains bénéficiaires à solliciter la complicité des agents des services d’état civil pour se faire établir de faux actes en vue de régler une préoccupation de l’heure.

Beaucoup d’événements d’état civil passent inaperçus et échappent ou ne sont pas portés à la connaissance des services d’état civil. La non déclaration de ces faits, loin de conduire à des fraudes, peut s’expliquer par l’éloignement des centres d’état civil, le manque de moyens pour faire face aux frais médicaux très élevés, certaines femmes pour des normes coutumières craignent l’assistance d’un homme comme agent de santé d’accouchement, le comportement des agents chargés de prendre les déclarations, l’analphabétisme, le délai de prescription de 10 jours[9]. Toute personne se trouvant alors dans l’impossibilité de se faire établir un acte d’état civil, peut le suppléer par un jugement supplétif qui relève du Tribunal de Première Instance (TPI) du lieu de son ressort.

Les jugements supplétifs subissent aussi des manipulations au niveau des prénoms, de la date de naissance et du lieu de naissance lors de la délivrance de copies certifiées conformes aux originales. Ce qui permet à leurs titulaires de reproduire ces copies conformes qui présentent de nouvelles données. Des investigations faites au niveau de la Circonscription Urbaine de Cotonou au Bénin laissent découvrir de graves lacunes en ce qui concerne les transcriptions sur les registres d’état civil. Les jugements supplétifs homologués depuis 1997 ne sont pas encore transcrits à nos jours. Ceci est dû au non suivi et au manque de contrôle des autorités compétentes, toute chose qui favorise la fraude en matière d’état civil[10].

Il est donc évident que ces différentes manifestations de fraudes, faussent les statistiques des actes d’état civil, et par conséquent biaisent les différentes politiques élaborées par les autorités africaines.

Constats sociopolitiques et juridiques

Le droit à la personnalité juridique est une question qui revêt une importance capital. En effet, sans une identité légale, la jouissance des différents droits (liberté d’aller et venir, liberté de choisir, liberté d’entreprendre, droit à l’éducation, santé, eau et électricité, droit au travail, demande d’un titre foncier, héritier des biens, droit au mariage, etc.) est illusoire ou fortement compromise. Voilà que le système d’état civil dans la majorité des Etats africains est embryonnaire. Bon nombre de personnes sont des « sans papiers ». Cette situation n’est pas sans conséquences sur la vie des citoyens.

Formellement, des subterfuges ont parfois été trouvés pour contourner ces difficultés comme par exemple l’inscription des citoyens (ou supposés tels) sur les listes électorales sans pièces d’identité et sur la base de simples témoignages, souvent des chefs de villages ou de quartiers des villes. Ces solutions n’enlèvent rien à la responsabilité de l’État car « l’acte d’état civil constitue un droit inaliénable de la personne humaine. Il est de la responsabilité de l’État, au regard de ses engagements vis-à-vis des instruments internationaux de protection des droits de l’Homme, de prendre toutes mesures nécessaires pour en assurer la pleine garantie afin que chaque Béninois soit détenteur d’une identité légale »[11].

Pour remédier à cette lacune, le Bénin a initié en 2006 le projet « Recensement Administratif à Vocation Etat Civil[12] » ou « RAVEC ». C’est une administration spéciale mise en place par le Gouvernement béninois et dont l’objectif est d’organiser, en collaboration avec les tribunaux et les communes, des audiences foraines afin de délivrer des actes de naissance aux personnes qui n’en possèdent pas. Ce projet permettra au Bénin de disposer d’un système d’état civil moderne, sécurisé et crédible répondant aux exigences de la bonne gouvernance. Le RAVEC vise donc à constituer une base de données, attribuer un identifiant à chaque béninois, rendre accessibles les actes, même en cas de perte, permettre la sécurisation et la fiabilité du système d’état civil, dorénavant numérisé et biométrique. Toutes choses qui permettront d’avoir des listes électorales, cartes d’électeurs, permis de conduire, passeports fiables, etc. Le recensement sur les registres de requérants a connu un succès considérable puisque les demandeurs d’actes de naissance (en principe seulement ceux qui ont plus de quinze ans) dans les 77 communes béninoises se chiffrent à 2 336 159 personnes[13]. La phase des audiences foraines a en effet connu quelques difficultés de parcours (vacances judiciaires, grèves des magistrats, puis des greffiers, etc.), mais début 2010, plus de 70% des requérants avaient obtenu satisfaction. Mais le volet « base de données que comporte le RAVEC, a été invalidé par la Cour constitutionnelle, car cela est du ressort du pouvoir législatif[14].

Malgré ces constats, les officiers d’état civil sous estiment le nombre croissant de fraudes répertoriées et ignorent les conséquences que cela peut avoir sur le fonctionnement normal des centres d’état civil en particulier et sur la société en général. En effet, la montée de la fraude à l’état civil peut remettre en cause la totalité des actes d’état civil délivrés par les autorités  compétentes et freiner par conséquent certains droits que doivent bénéficier les citoyens.

Pourtant, des dispositions légales et réglementaires ont été prises pour permettre à l’officier d’état civil de vérifier l’événement déclaré et la valeur probante de l’acte de l’état civil. Dans certains cas, il est même parfois habilité à refuser l’établissement d’un acte. En outre, des sanctions pénales ou administratives ont été dictées pour réprimer les agissements frauduleux. Malgré ce dispositif législatif le mal demeure. Monsieur Ousmane Massek Ndiaye[15] a reconnu que la loi seule ne peut venir à bout de ce phénomène. Il a invité à une union sacrée de tous les responsables politiques, religieux, coutumiers pour influer positivement sur les mentalités.

L'état civil à un rôle primordial à jouer dans le processus de développement de l'Afrique. De fait, il constitue un soutien fort à l'élaboration et au suivi des politiques socio-économiques. Cependant, son rôle en tant qu'appui à la planification du développement est compromis par la moindre importance qui lui ait accordé et qui se traduit par d'importantes fraudes, qui mettent davantage à mal le rôle qu'il pourrait jouer. Il est donc nécessaire, aujourd'hui d'envisager des solutions et ce d'autant plus que le numérique offre des possibilités, afin de rétablir l'état civil et d'en faire un outil pour le développement de l'Afrique. 

Nicolas Olihidé


[1] Article 33 de la Loi N°2002-07 du 24 Août 2004 portant Code des personnes et de la famille en République du Bénin.

 

[2] NATIONS-UNIES / CEA, 2015, Troisième conférence des ministres africains en charge de l’état civil, Yamoussoukro (CÔTE D’IVOIRE), 09 au 13 février 2015.

 

[4] Article 34 du Code des personnes et de la famille du Bénin.

 

[5] NATIONS UNIES / Département des affaires économiques et sociales / Division des statistiques, 2003, Rapport de la réunion d’experts sur l’amélioration des statistiques de fécondité et de mortalité en Afrique francophone, Yaoundé, Cameroun, du 22 au 26 septembre 2003.

 

[7] Article 41 alinéa 6 du Code des personnes et de la famille du Bénin.

 

[8] Extrait du document intitulé « Outils de formation en matière d’état civil » réalisé par SOUDJAY SONATAY Oumie en 2006 financé par l’UNICEF sur le site web : http://www.comores-web.com/article/la-fraude-a-letat-civil.html consulté le 24/03/2012.

 

[9] Article 60 alinéa 1 du Code des personnes et de la famille du Bénin.

 

[10] ANAGONOU AKANMOUN Philomène, 1999, Problématique de l’état civil au Bénin : cas des jugements supplétifs, UNB/ENA.

 

[11] Union africaine et gouvernement du Bénin, MAEP : Rapport d’évaluation du Bénin, pp.355 et 366.

 

[12] Décret n° 2006-318 du 10 juillet 2006  portant établissement et délivrance des actes de naissance aux personnes qui n’en possèdent pas.

 

[13] BADET Giles, 2010, Bénin, Démocratie et Participation à la vie politique :une évaluation de 20 ans de Renouveau démocratique, Une étude d’AfriMap et d’Open Society Initiative for West Africa

 

[14] Décision DCC 06-17 du 17 novembre 2006.

 

Quand l’informel s’impose : cas du Bénin

image_galleryLe secteur informel est considéré depuis toujours comme un secteur de survivance pourvoyeur d’emplois précaires. Cette vision du secteur a perdu du terrain car le secteur informel joue de plus en plus un rôle socio-économique fondamental dans les pays en développement. Malgré toutes les tentatives des autorités gouvernementales pour amener les acteurs du secteur à se formaliser, les activités informelles prennent de l’ampleur au point où elles sont devenues un élément essentiel dans le fonctionnement et la régulation sociale. 98% des entreprises au Bénin sont individuelles et évoluent dans le secteur informel[1]. L’administration béninoise adopte des comportements qui confortent les partisans des acteurs informels. Aujourd’hui presque tous les secteurs d’activités de l’économie béninoise contiennent une part informelle.

Le domaine agricole est majoritairement informel. Le Bénin tire une grande partie de sa richesse du secteur primaire (38% du PIB) dont l’agriculture est une composante principale (75%), surtout de la culture du coton qui représente plus de 85% des exportations béninoises[2], contribuant ainsi fortement à la création de richesse. Selon les estimations des autorités béninoises, l’égrenage de 50000T de coton augmente le taux de croissance de 1%.

De façon indirecte, le secteur informel est l’un des principaux fournisseurs de l’administration centrale. Lorsque les entreprises formelles sont sollicitées par l’administration publique pour la fourniture des produits tels que les matériels informatiques, les matériels de bureau ou encore des matériaux de construction, ces dernières s’approvisionnent auprès des marchands informels. Surpris en train d’acheter des matériels en quantité importante auprès de vendeurs ambulants nigérians, une entreprise contractante auprès de l’Etat indique que "ce sont des matériels électriques que je m’apprête à aller livrer dans un département ministériel; mais avant de remettre les produits je les mettrai dans des emballages préfabriqués". Ainsi les produits acquis dans l’informel, en provenance essentiellement du Nigéria ou du Togo, font l’objet de reconditionnement par des unités économiques formelles avant d’être livrés à l’administration. Le Gouvernement béninois à travers la Loi de finances de 2015 a pris l’option d’accorder une place prépondérante aux artisans locaux (majoritairement informels) pour les besoins de l’administration publique (près de 60% des achats envisagés).

Les commerçants informels n’ont en aucun cas recours au système bancaire et très rarement aux services de la microfinance dans les éléments constituant leurs capitaux. C’est dire que beaucoup d’entre eux ne pensent pas domicilier leurs revenus dans des structures financières officielles. Ils gardent toujours leurs revenus dans leurs maisons, évitant certainement l’administration fiscale. Cette attitude, très générale, est liée à la crise bancaire qu’a vécue le Bénin pendant la période révolutionnaire marxiste léniniste de 1972 à 1989. Les acteurs informels empruntent auprès des structures tontinières pour leurs investissements. Ces entreprises tontinières exercent dans des domaines réservés le plus souvent aux banques et aux sociétés d’assurances. Il est souvent constaté de nos jours que ces structures tontinières octroient des crédits à des petites unités de production et reçoivent des épargnes à court et à moyen termes comme le font les assureurs. Elles sont devenues quasiment un substitut aux compagnies d’assurance. En effet, les Béninois sont de plus en plus réticents à souscrire aux polices d’assurances (surtout celles relatives aux produits Vie). Même si la pauvreté peut expliquer cet état de chose, il y a des comportements développés par les assureurs eux-mêmes en cherchant à jouer tous les rôles y compris l’intermédiation, s’octroyant du coup les avantages y afférent. Malgré le référentiel tarifaire de la Direction des Assurances (DA), chaque société d’assurances se préoccupe de collecter les primes ou cotisations sans se soucier de l’obligation de règlement de sinistres. Les clients potentiels préfèrent se rendre auprès des gestionnaires des entreprises tontinières pour solliciter les services de ceux-ci. Ce qui fait que la cession des produits Vie diminue par rapport aux produits IARDT (l’assurance automobile étant obligatoire selon la réglementation en vigueur au Bénin). Pire les Polices Santé sont concurrencées par le RAMU[3] et les autogestions sanitaires faites par certaines entreprises. A cela il faut ajouter le système sanitaire qui est envahi par des pratiques informelles : administration des soins, commercialisation des produits pharmaceutiques issus du circuit informel aux patients par les animateurs des hôpitaux publics ou privés agréés.

S’appuyant sur les différents éléments d’appréciation mentionnés ci-dessus, il est évident que l’environnement institutionnel et juridico-administratif actuel du Bénin est inadapté aux activités informelles engendrant ainsi un nombre de contraintes qui nuisent aussi bien à l’émergence qu’au développement des unités économiques informelles. En 2014, les clients des 13 banques opérant sur le territoire du Bénin ont permis à celles-ci de réaliser un chiffre d'affaires de 2820 Milliards[4] de FCFA. Si on considère que le taux de bancarisation au Bénin est de 15,69%, et que les acteurs informels devraient aussi appartenir à la clientèle des ces institutions financières, ils leur auraient permis de réaliser en plus un chiffre d'affaires de près de 15000 Milliards de FCFA. L’informel constitue une niche d’opportunités qu’il faudrait saisir au lieu de le combattre avec véhémence, d’autant plus que la situation de précarité qui prévaut dans de nombreux pays africains, permet d’installer durablement ce secteur. En effet, la contribution du secteur informel dans l’économie nationale mérite qu’on y accorde une attention particulière. Lors du forum sur « Le secteur informel et développement économique du Bénin », il a été proposé la mise en place d’un cadre réglementaire et fiscal simple, et de la densification des relations entre Etat, le Secteur informel et le Secteur formel, afin d’envisager une restructuration du secteur informel, et d’en faire un contribuable. Une solution qui pourrait certainement permettre d’associer pleinement le secteur informel à l’économie. Ainsi, un secteur informel mieux organisé, peut participer à la création de richesse, contribuant ainsi efficacement à l’essor économique d’un pays.

Nicolas Olihide


[1]Dans le journal « Le Matinal » n° 3387 du 02/07/2010, (2ème Recensement Général des entreprises initié en Octobre 2008)

[2] Indicateurs macroéconomiques sur le Bénin de 2005 à 2099.

[3] RAMU : Régime d’Assurance Maladie Universelle mis en place et géré par le Gouvernement béninois.

[4] BENIN/MFE, 2014, http://french.china.org.cn/foreign/txt/2015-02/15/content_34826442.htm, consulté le 16 Février 2015.

Commercialisation des produits pétroliers au Bénin : des solutions envisageables ?

carbUn précédent article s’intéressait aux impacts de la pratique informelle du commerce des hydrocarbures au Bénin. Un phénomène commun à de nombreux pays en Afrique de l’Ouest. Il faut dire qu’au vu de la complexité des intérêts en jeu au sein des différentes parties prenantes de ce commerce, les solutions ne peuvent que solliciter les compétences diverses à savoir le management, la stratégie, la gouvernance, la microéconomie, la finance, la productivité, les formes organisationnelles et la fiscalité sans oublier les notions sur les scénarios. Cet article se propose de suggérer des pistes de réflexion quant aux mesures pouvant intégrer cette activité à l’économie formelle.

a. Mise en place d’un cadre institutionnel

La mise en place d’un cadre institutionnel approprié est nécessaire pour une meilleure structuration de l’activité. La démarche devrait rencontrer l’adhésion des acteurs du secteur informel et ceux du secteur formel. Créer un cadre institutionnel de cohabitation aux deux acteurs du marché des produits pétroliers sort un peu de l’ordinaire. Mais aujourd’hui, c’est une étape indispensable qui ne doit être occultée. Le marché des hydrocarbures tel qu’il se présente aujourd’hui est trop complexe pour permettre le développement de stratégies d’un seul trait comme plans ou visions claires. Par conséquent, les stratégies doivent émerger à petites étapes, car une organisation « apprend ».

Il faut, pour ce faire, avoir une perception différente de l’informel. Mettons de côté l’idée qui consiste à dire qu’ « on ne peut pas légaliser l’informel ». Il n’est d’ailleurs pas question de légaliser le secteur informel, mais plutôt d’amener les différents acteurs de ce commerce informel à se formaliser en leur créant un cadre officiel qui puisse leur permettre de s’organiser, et ceci en collaboration avec les autres parties prenantes. Il s’agit donc d’intégrer de façon officielle les commerçants informels dans un circuit officiel, leur conférant une certaine régularité afin d’avoir une meilleure lecture de leurs activités. Particulièrement, la mise en place d’une structure publique dédiée à l’informel pourrait avoir la charge de piloter le mécanisme et de permettre aux commerçants informels d’être reconnus en tant que détaillants de produits pétroliers. Vu l’importance du marché informel des produits pétroliers au Bénin, cette structure valorisera les atouts et les opportunités desdites activités informelles de telle sorte qu’elle restructurera ce marché pour en faire à la fin du processus un véritable outil de développement et de contribution socio-économique pertinente pour le Bénin.

b. Vers une modernisation des stations-services informelles

Le processus de cohabitation nécessite la mise en place d’infrastructures adéquates tant pour les commerçants formels qu’informels. Si pour les formels le problème ne se pose pas, les informels disposent des étales (stations-services informelles) qu’il faut impérativement améliorer tant au niveau des types d’équipements à utiliser qu’au niveau des lieux d’installation. Les acteurs informels du marché des produits pétroliers en ont exprimé le besoin, car trouvant trop dangereux les moyens utilisés dans l’exercice de leurs activités. Il y a des outils plus appropriés qui peuvent être introduits dans l’exercice de cette activité des commerçants informels. Ceci est avant tout un gage de sécurité, mais permettra d’améliorer nettement la rentabilité de leur commerce. Parmi ces outils, on peut citer : Pompe de transvasement SODISE à manette gros débit, Pompe manuelle ATEX de fût vide, Pompe rotative ALU, Pompe de transfert CEMOPACK et Pompe électrique pour fût.

Ces différents instruments permettront aux commerçants informels des produits pétroliers de disposer d’équipements modernes à moindre coût. Ce sont des matériels qui devraient être impérativement pris en compte dans le processus de cohabitation préconisée. Les autorités pourraient l’envisager comme une conditionnalité à l’exercice de l’activité et fournir une certaine disponibilité financière pour doter les détaillants de ces équipements.

c. Amélioration à apporter dans la structure des prix dans les stations-services formelles

Les prix jadis jouaient un rôle de premier plan dans le comportement d’achat, notamment dans les  pays d’Afrique subsaharienne. Sur le marché des produits pétroliers, le prix reste un élément fondamental et a certainement été déterminant dans la répartition des parts de marché entre l’informel et le formel, et également sur la rentabilité. Les commerçants informels des produits pétroliers fixent généralement le prix de vente suivant l’environnement d’approvisionnements dans lequel évoluent les exportateurs nigérians. Si sur le marché informel, l’on ne prend pas trop de dispositions pour fixer le prix (car variant d’une localité à une autre), plusieurs facteurs influencent énormément le prix sur le marché formel (qui demeure le même sur tout le Bénin). En effet au Bénin, les produits pétroliers sont assujettis à plusieurs prélèvements tarifaires qui interviennent dans un mécanisme complexe de fixation des prix appliqués à la pompe.

Dans le processus de cohabitation, il faudrait laisser les acteurs fixer les prix en fonction des zones couvertes comme le font déjà les commerçants informels. Il ne sert à rien de continuer à vouloir vendre les produits pétroliers au même prix sur toute l’étendue du territoire. Le Nigéria pratique différents prix d’une localité à une autre. Certaines lignes tarifaires intervenant dans le mécanisme, n’ont plus lieu d’être. Par exemple, les taxes liées à l’ajustement ou encore les frais liés à l’assainissement ne sont plus nécessaires dans la mesure où les fonctionnaires et les employeurs des compagnies pétrolières ont déjà leurs salaires et qu’il ne sera plus nécessaire d’engager une lutte acharnée contre les informels. Sur le marché, la différenciation entre les produits sera faible et par conséquent, la concurrence se fera désormais sur les prix. Les sources de différenciation porteront plutôt sur la qualité, l’aspect technologie, la sécurité, l’esthétique, le service après-vente. Bref, elle portera sur les comportements et les décisions des acteurs qui animeront le marché des produits pétroliers dans le système de cohabitation. Si l’on doit atteindre de bons résultats au bout du processus, les sources d’approvisionnement doivent être libres pour permettre à chaque compagnie pétrolière ou commerçants informels de définir sa politique de prix. Si déjà ces derniers sont déjà avancés sur ce terrain, il va falloir qu’au niveau des sociétés agréées, l’Etat diminue la pression fiscale qu’elles subissent.

d. Une fiscalité spéciale pour le commerce informel des produits pétroliers

Le Bénin a mis en œuvre ces dernières années de nombreuses réformes visant à formaliser les sociétés : ceci dans le but d’amener les animateurs de la vie socioéconomique exerçant en marge des réglementations en vigueur de pouvoir le faire dans le cadre des lois et règlements établis. Elles concernent essentiellement l’allègement des procédures et de la baisse énorme des coûts de création et d’exercice des entreprises. Cependant, une contrainte demeure, et c’est elle qui maintient de nombreux entrepreneurs, notamment ceux pratiquant la commercialisation de produits pétroliers, dans l’informel. Car une chose est de se formaliser et autre chose est de pouvoir remplir les obligations fiscales envers l’Etat. L’amélioration de l’efficacité des systèmes fiscaux des pays en développement est la nouvelle frontière de la politique de développement. L’analyse de la structure du prix de l’essence (cas de Mai 2014) révèle que les taxes et prélèvements occupent une place importante et sont trop élevés (environ 144% du prix CAF). En plus de ces perceptions, il faut ajouter d’autres qui sont liées aux charges salariales, aux BIC, aux TVA, etc. sans oublier les éventuels redressements fiscaux qui sont devenus monnaie courante dans l’environnement des affaires au Bénin. La fiscalité doit jouer un rôle essentiel dans le programme d’action de cohabitation. Les acteurs du marché des hydrocarbures sont confrontés aux perceptions opérées par la douane, les impôts et les mairies. Si pour les mairies, les commerçants informels ont déjà l’habitude de payer des sommes comme contributions aux recettes des communes, les deux  autres structures n’en bénéficient pas. De quoi retourne alors le système fiscal actuel du Bénin ? Le Bénin dispose aujourd’hui d’une assiette fiscale étroite. L’inconvénient de ce système est que la fiscalité pèse lourdement et disproportionnellement sur les acteurs formels et décourage toute envie de sortir du secteur informel pour se formaliser en entreprise individuelle ou en société. Le processus de cohabitation pourrait permettre une mesure dans le sens de fiscaliser les acteurs informels. Ces derniers constituent aujourd’hui plus de 80% des parts du marché des produits pétroliers qui constituaient jusqu’en 1997 une source importante de recettes fiscales pour l’Etat.

Les ressources financières issues du commerce informel des produits pétroliers échappent à une imposition fiscale. Cependant, certains commerçants estiment que ce qu’ils paient aux autorités locales (les mairies) peut être assimilé à de l’impôt. C’est dire donc que les commerçants informels sont conscients que leurs activités doivent être imposées. Ils trouvent le bien fondé des perceptions opérées par l’administration fiscale, car tous les citoyens doivent contribuer au développement économique d'un pays. Par conséquent, l’administration fiscale doit se départir de son attitude hostile pour mettre en place une stratégie de fiscalisation conventionnelle pour les activités informelles des produits pétroliers. Cette fiscalisation ne se basera pas seulement sur le chiffre d’affaires, mais aussi sur certains indices objectifs reflétant le niveau d’activité. Ces indices peuvent être : le capital initial, le prix de vente du litre d’essence, la localisation du PDV, le nombre de personnes servant sur le PDV, l’implantation du PDV (investissements réalisés), les horaires de vente, etc.

Le commerce informel des produits pétroliers a pris de l’ampleur en 1989 où les fonctionnaires béninois, pour non paiement de plusieurs mois de salaires, ont été obligés de se livrer à des activités de contrebande avec le Nigéria et le Togo. Le portefeuille clientèle des commerçants informels est constitué de toutes les couches socioprofessionnelles (fonctionnaires, employés du privé, forces de défense et de sécurité publique, agents de l’administration fiscale, des hommes politiques, des autorités des différentes institutions de la nation, etc.). Les commerçants informels des produits pétroliers sont si bien organisés qu’ils constituent pour les hommes politiques de véritables creusets électoraux. Donc sa disparition n’est pas prévue pour aujourd’hui. Mais une organisation bien mûrie peut assainir le marché des hydrocarbures au Bénin. La qualité des produits pétroliers vendus sur le marché informel n’est pas mise en cause du fait que des formels s’approvisionnent auprès des informels et que les usagers ne s’en plaignent pas. A ce titre, ils représentent une clé importante dans l’environnement économique du pays qu’il convient de trouver des mécanismes appropriés pour accroître  leur contribution à l’économie. Cela passera, sans nul doute, par l’instauration d’un cadre favorable à la cohabitation des commerçants formels et informels et par la levée de toutes les entraves qui poussent de nombreux entrepreneurs à exercer dans la clandestinité vis à vis de l'administration.

Références :

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CAUPIN (Vincent), 1997, Les Flux d’Hydrocarbures entre le Niger et le Nigéria : Formes, Estimation, Déterminants et Impact sur l’Economie du Niger, ORSTOM Mai 1997, 47p.

CONSEIL ECONOMIQUE ET SOCIAL DU MAROC, 2012, Le système fiscal marocain, développement économique et cohésion sociale, Rapport de la Commission Permanente chargée des Affaires Economiques et des Projets Stratégiques, Auto-saisine N° 9/2012, Edité par CANAL PRINT, 225p.

De BROECK (Mark) & KPODAR (Roland), 2013, Mali : Mécanisme et Tarification Automatique des Produits Pétroliers, Edité par le FMI : Département des Finances Publiques, Février 2014, 38p.

GODET (Michel) & DURANCE (Philippe), 2011, La prospective stratégique pour les entreprises et les territoires, Ed. DUNOD, Paris 2001, 17p.

HERRERA (Javier), 1998, Du « Fédéral » et des « Koweïtiens » : la fraude de l’essence nigériane au Cameroun in AUTREPART (6), 1998, pp 181-202.

MORILLON (Virginie) & AFOUDA (Servais A.), 2005, ECONOMIE REGIONALE : Le trafic illicite des produits pétroliers entre le Bénin et le Nigéria : vice ou vertu pour l’économie béninoise, LARES-AFD, ECHANGES REGIONAUX Septembre 2005, 148p.

UNION PETROLIERE, 2003, Pétrole : Origine, Production et Traitement, Brochure éditée par l’Union Pétrolière, 1ère Ed. Allemagne, 2003, 23p.

AFANGBEDJI (Gnona), 2011, Politique de transition fiscale au bénin : la fiscalisation de l’informel marque les pas, Journal LA NATION N°5281 du mardi 12 Juillet 2011.

BADOU (Euloge), 2014, Réorganisation du secteur informel de distribution des produits pétroliers : quand OLOYE et Cie dictent leur loi à l’Etat, Journal LA PRESSE DU JOUR du 04 Mars 2014.

CONDE (Aboubacar), 2007, Le secteur informel et les recettes fiscales au Bénin : cas du commerce illicite des produits pétroliers, CERDI, Rapport de stage de Magistère 2, 44p.

COUTURIE (Pierre-Yves), 2007, La délégation de pouvoirs, Avocat à la Cour-Centre Elysées Montaigne, 15p.

KRICHENE (Hazem), 2010, L’application de la théorie des réseaux pour l’étude du risque systémique, Rapport de stage de fin d’étude : Année universitaire 2009/2010, 114p.

MARILLON (Virginie), 2005, Le trafic illicite des produits pétroliers entre le Bénin et le Nigéria : vice ou vertu pour l’économie béninoise ? , LARES – COOPERATION FRANCAISE, Mai 2005, 81p.

MARCHAND (Geneviève), 2005, L’économie informelle au Sénégal : logique de fonctionnement de quelques entreprises informelles à Saint-Louis, Thèse faite à l’Université LAWAL, Faculté des Sciences Sociales.

NIGERIA INFOS, 2013, Trafic de carburant au Nigéria, au Bénin et au Togo Un commerce illicite qui résiste à tout, [en ligne] le 06 Janvier 2013. http://nigeriainfos.blogspot.com/2013/01/trafic-de-carburant-au-nigeria-au-enin_6.html.

SOPPO (M. Claudia), 2014, Combien coûte au Nigeria le vol de son pétrole ? , article initialement paru chez Think Africa Press et que l’auteur a traduit pour Terangaweb. http://terangaweb.com/combien-coute-au-nigeria-le-vol-de-son-petrole/

Nicolas Olihide

Commercialisation informelle des produits pétroliers au Bénin : quels impacts ?

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Le commerce informel des produits pétroliers constitue aujourd’hui un défi d’ordre socio-économique pour de nombreux pays africains. Cet article se propose d’étudier les acteurs des hydrocarbures béninois qui travaillent dans les secteurs formel et informel, avec pour objectif de mettre en évidence les enchaînements et l’attachement au système socio-économique de ces commerçants dans l'espoir d'expliquer d'une part, la permanence de ce système et d'autre part, son intégration croissante dans un nouvel ordre économique et monétaire. Il s’attachera donc davantage à la cohabitation entre ces deux secteurs et la constitution d'un lien social qui se traduisent à travers des réseaux et des actions collectives qui s’y mènent. Il est à signaler au passage que le même phénomène s’observe dans les pays frontaliers du Bénin tels que le Burkina Faso, le Niger et le Togo, et même au Cameroun et au Tchad.

Les points de vente informels ou « stations-services informelles » des produits pétroliers introduits du Nigéria au Bénin se situent aux abords des voies routières béninoises, voire dans certains domiciles habités. Il s’agit d’aménagements sommaires : un étal pour exposer les bouteilles d’un litre pour la vente au détail, un bric-à-brac de contenants et accessoires de toutes sortes, dames-jeannes ou bidons en plastique (servant à transporter de l’essence ou du gasoil du Nigéria), raccords, entonnoirs, bols en plastique, etc. Les bouteilles d'un litre sont généralement destinées aux motos. Trois sources d’approvisionnement sont identifiées :

  • La 1ère source : les stations-services formelles nigérianes installées tout le long de la frontière (environ 670 kilomètres) qui sépare le Bénin du Nigéria.
  • La 2ème source : le raffinage « précaire » de brut, dérobé au Nigéria sur les installations de raffineries au Nigéria. Ce brut est transformé par les Nigérians sur les lieux de traitement pour produire des carburants.
  • La 3ème source : des raffineries informelles installées au Nigéria.

Les acteurs béninois qui s’adonnent à ce commerce informel sont, pour la plupart, des diplômés sans emplois, des déscolarisés, des élèves, des étudiants, des personnalités politiques (Députés, Maires, Ministres) ou encore, des agents des forces de l’ordre, des agents de l’administration fiscale. Sur le plan logistique, les produits pétroliers sont convoyés au Bénin à l’aide des navires, des pirogues, des scooters, des voitures Pick-up et des motos par voie maritime, fluviale, routière au vu et au su des agents chargés de réprimer de telles activités. L’Etat Central a carrément délégué son pouvoir aux acteurs informels en tant que régulateur du marché des hydrocarbures.

La nécessité de s’intéresser à cette activité de vente des produits pétroliers (essence, kérosène, gasoil, lubrifiants, gaz domestique, etc.) dans le secteur informel est devenue de nos jours une préoccupation majeure dans l’environnement économique dans lequel les activités liées aux hydrocarbures se déroulent en Afrique subsaharienne en général et, au Bénin en particulier. Les commerçants informels des produits pétroliers occupent une place confortable dans les circuits économiques au Bénin à tel point que les sociétés agréées dans ce secteur d’activité ne disposent que d’une marge très limitée. Aussi, toutes les mesures mises en œuvre (arrestations, saisies, etc.) par les autorités publiques, pour  réprimer les commerçants informels ont échoué. Toute la vie économique et sociale de ces commerçants informels des produits pétroliers est bien structurée par des réseaux de relations qui mettent en jeu les populations nigérianes et béninoises. Sur le marché, les grèves de ces acteurs informels paralysent la vie socioéconomique du Bénin, le taux de pénétration[1] de l’informel étant de 80%.

Le marché des produits pétroliers au Bénin et dans de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest, est aujourd’hui dominé par l’informel. Par exemple, les ventes informelles de l’essence satisfont près de 83% des besoins du marché national[2]. Les commerçants informels des pays voisins (comme le Togo, le Niger, le Burkina Faso) font transiter également leurs produits par le Bénin. Si cette activité permet d’occuper une majeure partie de la population, les jeunes et des femmes qui gèrent généralement les « stations-services informelles », elle occasionne une perte fiscale énorme à l’Etat. En effet, selon les travaux de DOUTETIEN, le secteur génère près de 80 milliards de FCFA[3] par an, dont aucune partie n’est versée à l’Etat. Les pertes de recettes fiscales liées au fait que l’Etat n’a aucun droit de regard sur ce commerce informel, s’élèveraient à une vingtaine de milliards de FCFA par an et aura une grande conséquence sur leur contribution fiscale (au Budget de façon générale). Selon les estimations des sociétés pétrolières ORYX et TOTAL, depuis l’année 2001, l’Etat perdrait chaque année entre 20 et 24 milliards de FCFA de recettes sur son budget national. Les différentes stratégies (communication, dissuasion, répression, reconversion des acteurs dans d’autres secteurs, etc.) utilisées par l’Etat afin de combattre cette activité informelle, se sont avérées inefficaces. Néanmoins cette activité constitue une opportunité économique pour une bonne partie de la population, surtout dans le contexte actuel marqué par un fort taux de chômage (taux de chômage au Bénin : 0,2% sur 9,1 millions d’habitants)[4] et de pauvreté. Le commerce informel des produits pétroliers est donc perçu comme un instrument de régulation sociale et économique parce qu’il permet aux acteurs de s’occuper et de se procurer un revenu. Selon une étude réalisée en 2004, cette activité commerciale procure une marge brute annuelle pour l’ensemble de la filière de 35 milliards de FCFA.

La pratique informelle de la commercialisation constitue un véritable danger pour l’environnement. Il faut signaler que le coût socio-économique de la pollution de l’air pour la seule ville de Cotonou représente 1,2% du PIB de l’ensemble du pays[5]. Depuis plusieurs années, les phénomènes de pollution atmosphérique commencent à prendre de plus en plus d’ampleur au Bénin, et notamment à Cotonou et dans ses environs, et dans les principales villes de l’intérieur du pays. La ville de Cotonou est surtout affectée par la pollution de l’air occasionnée par les transports puisqu’il y a peu de sources industrielles. La prolifération et la vente informelle de carburant qui se pratique librement à chaque coin de rue conduisent à des émissions de composés organiques volatiles dans l’atmosphère. Le commerce informel de l’essence, de par ses conditions de stockage et de vente (dépôts de fortune installés dans les habitations, dans les hagards aux abords des voies et ventes faites à l’air libre dans des bouteilles de 1litre, 2litres, 10litres ou 20litres), est à l’origine d’incendies dans tout le pays dont le coût matériel et humain est énorme. De plus, la plupart des commerçants informels transportent les bidons d’essence destinés à la revente sur des motos[6], transformant par là même les motos en véritables bombes ambulantes, pouvant exploser à n’importe quel moment. Par ailleurs, la pollution de l’air, auquel contribue fortement cette activité, a des effets sur la santé qui se manifestent par une augmentation de l’incidence d’un vaste spectre de maladies allant des maladies respiratoires au saturnisme (intoxication due à des concentrations élevées de plomb) en passant par les maladies allergiques et les maladies de peau. Les observations permettent de constater qu’après un certain nombre d’années d’exercice de ce commerce informel, les acteurs informels (surtout les détaillants) abandonnent leur « métier » pour raison de maladies et finissent par en mourir. Le coût des infections respiratoires a été évalué à Cotonou à environ 600 millions de FCFA par an et celui du saturnisme à 20 milliards de FCFA[7].

Sur le plan social, le commerce informel des produits pétroliers provoque la déscolarisation des enfants et l’exode rural des jeunes. Dans le contexte actuel marqué par une pauvreté généralisée, le commerce informel des hydrocarbures attire les jeunes du fait des revenus qu’il leur procure et les incite à quitter l’école. Ils débutent le plus souvent en tant que détaillants. Aussi contribue-t-il au travail des enfants. A différents points de vente informelle, il est aisé d’observer de jeunes filles et garçons (et même des enfants) recrutés pour assurer le service commercial contre une rémunération journalière qui varie entre 600 FCFA à 1000 FCFA (environ 0,92 euros et 1,53 euros). Ces jeunes, pour la plupart, délaissent les travaux champêtres pour s’adonner à la vente de l’essence.

Si la commercialisation informelle de produits pétroliers permet d’assurer un revenu à une tranche de la population, il est évident que cette activité, qui s’est imposée dans l’environnement socioéconomique du Bénin, est un véritable danger tant pour l’économie que pour le bien-être des populations. Face à ses différents maux et aux échecs des mesures prises par les autorités, il urge de rassembler toutes les compétences afin d’envisager un mode de gestion pouvant permettre un meilleur encadrement du secteur, afin de limiter ses impacts mais aussi d’en tirer le maximum en termes de « gains » socio-économiques.

Nicolas Olihide


[1] BOURBAO (Michel), 2006, Porto-Novo, http://gie84.pagesperso-orange.fr/kpayo.htm

[2] MORILLON (Virginie), 2005, Le trafic illicite des produits pétroliers entre le Bénin et le Nigéria : vice ou vertu pour l’économie béninoise ?, LARES et COOPERATION FRANCAISE, mai 2005, p64.

[3] DOUTETIEN Henri, 2012, Et si nous osions formaliser le « kpayo » ?, Journal La Croix du Bénin N°1159 du 17 Août 2012.

[4] Site Web de l’Ambassade du Bénin en France mise à jour le 20 Novembre 2012 : ce taux de chômage est calculé au sens du BIT selon une étude réalisée en 2007 par la Banque Mondiale. Quant au nombre d’habitants, il est issu d’une étude réalisée en 2011 par le PNUD.

[5] Source : Ministère de l’Environnement, de l’Habitat et de l’Urbanisme. Atelier national sur le passage à l’essence sans plomb au Bénin. Cotonou, le 1er et 2 juillet 2004.

[6] Certains commerçants informels transportent jusqu’à 6 bidons de 50 litres ou environ 12 bidons de 25 litres sur une moto..

[7] Ministère de l’Environnement, de l’Habitat et de l’Urbanisme. « Etude sur la qualité de l’air en milieu urbain : cas de Cotonou », 2000.

Mascottes : les professionnels des tribunes d’Afrique

L’ambiance des tribunes de foot africaines peut prendre une dimension incroyable, lorsque les événements concourent dans ce sens. Un rugissement qui donne des ailes aux joueurs sur le terrain et permet des matchs incroyables, une sorte de turbo qui augmente l’intensité de la fête. Le fameux rôle du « douzième homme » qui permet de réaliser les plus grands exploits. Ici, les spectateurs sont rares, on ne retrouve que des supporteurs. Aux joueurs de provoquer la pulsion nécessaire à leurs réveils.

Supporteur n°1, au service de l’exploit sportif

La musique et la danse sont présentes en tribune, elles se sont naturellement imposées comme un excellent moyen d’encourager les joueurs sur le terrain, et mobiliser le public. Les sélections nationales d’Afrique de l’ouest et centrale peuvent compter sur des groupes de supporteurs, composés d’hommes, de femmes, dévoués pour encourager l’équipe chérie pendant 90 minutes, Parmi eux, ils s’en distinguent toujours quelques-uns qui revêtissent des couvre-chefs ou qui ont leurs corps recouverts de peinture. Ils ravissent les photographes et les caméras des journalistes qui s’en servent souvent pour illustrer le public. Pas étonnant, ils sont uniques dans la planète football. Ce sont des mascottes indépendantes, qui remplissent ce rôle de manière quasi professionnelle, et sont de véritables supporteurs « numéro un ». Ils ont la reconnaissance de tous pour ce rôle.

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Ces fameux supporteurs, des hommes en grande majorité, possèdent un attachement particulier à leurs équipes et un don pour pouvoir continuer à encourager sans fin, quelque soit la tournure du match. Ils accompagnent les joueurs ou qu’ils aillent, et sont capables de voyager plusieurs jours dans des conditions difficiles pour leur donner le soutien qu’ils méritent. Ils peuvent percevoir une rémunération, mais celle-ci est dépendante du bon vouloir des autorités compétentes, quelle que soit du football ou du gouvernement. Mais il n’est pas rare de les voir sollicités pour des événements sportifs, et pas uniquement autour des stades de foot, même s'ils sont leurs terrains de jeu favori. Ces quelques supporteurs à plein temps vivent ainsi au rythme des compétitions sportives et des grands matchs de foot. Ils accompagnent les délégations lors des Coupe d’Afrique des Nations ou des compétitions régionales.  Une forme d’emploi modeste mais qui permet de voyager, un luxe pour beaucoup de monde en Afrique. Ils sont devenus des artistes des tribunes, jamais en manque d’inspiration pour transmettre au public l’énergie du terrain, et permettre d’atteindre ce fameux rugissement du stade, qui fait voler les dribbleurs et décomplexe les attaquants. Une transe footballistique que seule l’Afrique peut créer. 

Pas de motivations Marketing

Présentes en Europe autour de quelques équipes, les mascottes sont arrivées via les sports US que ce soit à l’université, ou dans les ligues majeures (NBA, NFL, MLB). Des personnes déguisées en animaux ou personnages représentatifs du surnom de l’équipe. Elles sont devenues rapidement un argument marketing pour cibler les plus jeunes, et une partie prenante de ces shows du sport business. Certains sont bénévoles, d’autres perçoivent une rémunération directe ou indirecte. En Afrique, la considération économique n’est pas à prendre en compte, les mascottes se sont imposées d’elles-mêmes dans la vie de ces gens, qui n’ont pas hésité à se jeter dans l’arène et adosser cette fonction de troubadour des temps modernes.

Le Bénin a perdu ses deux mascottes ces dernières années. Papa Boyayé puis Bernard Tapie ont quitté ce monde dans un émoi national. Ils ont été Illustration 4nombreux à les accompagner pour leurs derniers voyages. Car ils ont laissé les écureuils de la sélection Béninoise orphelins de leurs ambianceurs. Car, depuis leur départ, ces messieurs qui font « le spectacle dans le spectacle », selon Anselme Houenoukpo, journaliste Béninois à l’événement précis, n’ont pas encore eu des successeurs avérés. «Papa Boyayé faisait des tours de magie et quelques mouvements gymnastiques pour donner du sourire aux spectateurs. Il en profitait pour se faire un peu de sous aussi», il nous dit aussi que pour la relève, « ce sont deux jeunes, un qui supporte l'AS Police et l'autre Energie FC. Ils tentent à leurs manières de soutenir les équipes. Eux, ils n'ont pas les accoutrements de Bernard Tapie, mais ils feront de bons supporteurs ». En effet, il est difficile de succéder à ces mascottes qui étaient devenus des membres à part entière de la grande famille du mouvement sportif. Il est difficile de revêtir un costume de supporteur n°1 et de s’imposer aux yeux de tous. À l’image d’un super-héros.


Afrique des idees Supporters5Le Bénin peut compter sur la détermination et le talent de sa jeunesse, sur les rêves que provoque le football dans le Royaume du Dahomey. Seulement, il faut que les résultats des sportifs nationaux progressent, car si à l’image du football, en perpétuelle reconstruction, les participations à la CAN sont de plus en plus rares, des affluences faibles seraient un vrai préjudice dans cette période de transition de ces chefs de file du supporterisme local. Car cette vie n’a pas beaucoup d’avantages, outre le fait de pouvoir vivre sa passion à outrance, et de participer aux compétitions internationales en voyageant avec les délégations officielles. Il est difficile d’obtenir une rémunération décente, l’on devient cependant un personnage public, de grande notoriété. Ce qui n’est pas anodin dans une vie, mais suffisant pour éveiller de nouvelles vocations qui demeurent précaires? L’avenir nous le dira, le développement de la fédération aussi.

 

Pierre-Marie Gosselin

Source Photos –  hommage à Bernard Tapie, le supporter / Perez Lekotan, journaliste béninois

Papa Boyayé et son vélo. Source BJfoot. Découvrir aussi l'interview de ce supporter mascotte aujourd'hui disparu

Couverture : Supporter des Etalons du Burkina Faso, équipe nationale de ce pays – Reuters

Burundi, Bénin, Congo, RDC, Rwanda… : pas touche à ma constitution ?

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Depuis plusieurs mois, un même débat faisait rage, dans de nombreux pays africains. Au Burundi, au Burkina Faso, au Bénin, au Congo, en République démocratique du Congo (RDC) et au Rwanda pour ne citer qu’eux, la classe politique et les citoyens se déchiraient sur une éventuelle révision de la constitution autorisant le chef de l’État à briguer un nouveau mandat, ce que la loi fondamentale, en l’état, lui interdit. 

Les termes de la controverse ont radicalement changé le 30 et le 31 octobre. Au Faso, la contestation grandissante pour sauver la constitution et son article 37 – celui qui empêchait le président Compaoré de rempiler après 27 ans de pouvoir – s’est transformée en révolution. Un tournant politique qui sonne comme un avertissement pour tous les chefs d’État  de la région.

Les arguments favorables à une révision constitutionnelle sont connus : stabilité du régime, paix et sécurité, approfondissement de politiques déjà engagées, voire adhésion de la population à la présidence en cours et à un changement de constitution qui pourrait dit-on être confirmé par référendum. Qu’en est-il des opinions inverses ? Voici les principaux arguments défendus par ceux qui s’opposent à tout “tripatouillage électoral”.

 1- Parce que tout a changé depuis la Burkina

 La révolution burkinabè annonce-t-elle des mouvements de contestation à venir dans les deux Congo, au Burundi, au Rwanda? Difficile à dire bien sûr. Le contexte a en tout cas radicalement changé depuis ces derniers jours d’octobre. Dans les pays concernés, les responsables de l’opposition ne s’y sont d’ailleurs pas trompés : “la leçon qu’il faut tirer de cela c’est que les différents chefs d’État doivent comprendre que plus rien ne sera comme auparavant. Et ceci doit être une leçon qui doit être retenue pour chez nous aussi, où nous avons choisi la lutte pacifique», a ainsi déclaré Vital Kamerhe, leader de l’Union pour la nation congolaise (UNC) en RDC.

 Certes, il y a plus de trois ans et demi déjà, avait lieu les printemps arabes. L’inquiétude était alors palpable dans certaines capitales africaines. Mais le Maghreb restait lointain, et la dégradation des conditions sécuritaires qui s’est installée depuis dans certains pays, devenait même pour certains chefs d’État un argument pour revendiquer leur indispensable rôle dans le maintien de la stabilité du continent.

 Le cas burkinabè rebat incontestablement les cartes. D’abord parce qu’il est plus proche et repose exactement sur la même équation : toucher ou non à un article de la constitution devenu le totem qui cristallise les revendications de l’opposition. Ensuite, parce que le régime de Blaise Compaoré ressemblait à s’y méprendre à certains cités plus haut.

Le parallèle le plus parlant étant sans doute celui avec le Congo-Brazzaville.  27 ans de pouvoir pour le « beau Blaise », près de 30 pour Denis Sassou Nguesso, aux commandes depuis 1979 (malgré une interruption entre 1992 et 1997). Et une stratégie commune : se rendre indispensable sur la scène internationale. Un rôle de médiateur au Mali pour Compaoré, une médiation en Centrafrique pour Sassou Nguesso, très impliqué dans la crise en cours à Bangui.

 2 – Pour permettre l’alternance

 Faut-il empêcher un président qui fait du bon travail de le poursuivre s’il est soutenu par sa population ?  Sans être absurde, l’argument reste au moins intrigant pour ceux qui, comme Compaoré ou Denis Sassou Nguesso, ont passé plusieurs dizaines d’années au pouvoir et ont eu tout le loisir de mettre en œuvre les politiques qu’ils estimaient utiles à leurs pays.

 Les cinq pays pourront aussi prendre l’exemple du Sénégal avec son alternance pacifique entre Diouf et Wade en 2000, puis l’élection de Macky Sall en 2012, qui ont montré les vertus d’un changement à la tête de l’État pour assurer un renouvellement des élites et des pratiques du pouvoir ; ou celui du du Ghana où après deux mandats, le président Kufuor a cédé la place à son successeur Atta-Mills en 2009.

3 – Pour respecter ses engagements nationaux et internationaux

Les opposants à tout changement constitutionnel invoquent aussi le respect des engagements nationaux et internationaux des gouvernants. Ainsi dans bien des pays, la constitution envisage des possibilités de révision mais exclut précisément tout changement qui concernerait la durée et le nombre de mandats. C’est l’article 185 à Brazzaville ou le 220 à Kinshasa qui précise que “ le nombre et la durée des mandats du Président de la République (…) ne peuvent faire l'objet d'aucune révision constitutionnelle.”

 Pour la Conférence épiscopale de RDC, qui ne cesse de réitérer son opposition à une révision constitutionnelle, “cet article pose les bases de la stabilité du pays et l’équilibre des pouvoirs dans les institutions. Le modifier serait faire marche en arrière sur le chemin de la construction de notre démocratie et compromettre gravement l’avenir harmonieux de la Nation”,  

Sur le plan international, les cinq États  cités ci-dessus ont également tous signé la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance de 2007 qui condamne dans son article 23(5) : “Tout amendement ou toute révision des Constitutions ou des instruments juridiques qui porte atteinte aux principes de l’alternance démocratique, "qui représenterait un “changement anticonstitutionnel de gouvernement et passible de sanctions appropriées de la part de l’Union”.

4 – Pour dépersonnaliser la loi

Rarement des constitutions auront suscité autant de passions dans les capitales du continent, laissant une drôle d’image d’une Afrique où tout débat constitutionnel apparaît inextricablement lié à celui du maintien au pouvoir du chef, comme si chose publique et chose privée étaient inévitablement mêlées. On ne débat plus de la constitution pour de réelles raisons juridiques ou sociales mais bien pour l’adapter à une situation individuelle d’un président :  la loi n’encadre pas l’exercice du pouvoir mais est aménagée en fonction de lui.

 En 1995, quand l’Assemblée nationale ivoirienne obligeait tout candidat à la magistrature suprême à fournir la preuve que ses deux parents sont effectivement nés en Côte d'Ivoire, l’objectif ultime était de transformer en loi “le concept d’”ivoirité” imaginé par le président Henri Konan Bédié afin de disqualifier son principal rival Alassane Ouattara.

Quant au Congo-Brazzaville, l’article 58 de la constitution de 2002 interdit à tout candidat de plus de 70 ans de se présenter à la présidentielle. Son adoption visait moins à rajeunir la classe politique qu’à empêcher les concurrents de Sassou Nguesso de l’époque, comme Pascal Lissouba, de se présenter. Un verrou générationnel qui se retourne aujourd’hui contre celui qui l’a fixé puisque c’est désormais Sassou lui-même qui a atteint la limite d’âge…

5 – Pour la stabilité institutionnelle

“L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts mais d’institutions fortes”, affirmait Barack Obama en 2009 dans son discours d’Accra, précisant que l’Histoire n’est pas du côté de “ceux qui modifient les constitutions pour rester au pouvoir”.

Une constitution comme toute construction humaine n’a aucune de raison d’être immuable. Mais les règles du jeu qu’elle instaure méritent au moins d’être éprouvées dans la durée. La plupart des pays cités ont des constitutions récentes : 2006 pour la RDC, 2005 pour le Burundi, 2003 pour le Rwanda, 2002 pour le Congo.

Entretenir l’instabilité institutionnelle, c’est mettre à mal la confiance des citoyens à l’égard de leurs dirigeants. Le Congo-Brazzaville est “le plus vaste cimetière institutionnel de l’Afrique”, dénonçait en 2001 l’universitaire Félix Bankounda. Depuis son indépendance en 1960, le pays a connu treize textes fondamentaux (six constitutions et sept actes fondamentaux), dont huit sous la seule présidence de Sassou Nguesso.

6 – Pour échapper à la caricature

Si la présidence à vie n’est pas l’apanage de l’Afrique, il n’en reste pas moins comme le note le journaliste Tirthankar Shanda que “sur les 19 chefs d’État qui ont accédé au pouvoir au siècle dernier et qui s’accrochent à leur place, 14 sont Africains !”. Après le Burkina, la communauté internationale sera peut être – qui sait ? – plus exigeante. La France avait prévenu à plusieurs reprises le président Compaoré, semble insister l’Élysée depuis quelques jours.

Mais il faudra sans aucun doute des concessions. Peut-on, défendre par exemple un ambigu statut d’immunité qui garantirait une sécurité économique et judiciaire à des chefs d’Etat qui, s’ils lâchent le pouvoir, redoutent la revanche de ceux qui l’ont trop longtemps attendu ? Ou offrir une (prestigieuse) porte de sortie aux présidents en place en leur attribuant de nouvelles missions dans des institutions internationales comme le proposait François Hollande à Compaoré dans un courrier du 7 octobre l’invitant à ne pas toucher à la constitution.

Ou même, si finalement maintien au pouvoir il y a, négocier de réelles contreparties. Car la conclusion du débat dépendra bien sûr de la situation bien particulière de chacun des pays. Un responsable de l’opposition burundaise confiait ainsi il y a quelques semaines qu’il avait “toutes les raisons de croire que Pierre Nkurunziza serait toujours président après 2015”, compte tenu des équilibres politiques de son pays. Mais il réclamait en échange “une vraie négociation pour ouvrir le jeu politique alors qu’il est complètement crispé. Pour cela nous aurons besoin d’un réel appui et de toute la pression de la communauté internationale”. Ce serait le moins.

Adrien de Calan