– Sentinelle, que dis-tu de la nuit?
– La nuit est longue mais le jour vient
Extrait du discours prononcé par Sylvanus Olympio, premier président du Togo, le 27 avril 1960.
Le Togo indépendant a 53 ans, il est jeune et a encore toute l'énergie pour (ré)-écrire son histoire, déjà bien mouvementée.
Une histoire politique mouvementée
Le 27 avril 1960, le Togo obtient son indépendance de la France et Sylvanus Olympio est élu président de la république. Trois ans plus tard, le 13 janvier 1963, il est assassiné à l’issue d’un coup d’état. L’histoire commence mal. En 1967, après avoir renversé Nicolas Grunitzky, le successeur d’Olympio, le lieutenant-colonel Etienne Eyadema Gnassingbé prend le pouvoir. Par l'ordonnance n°01 du 15 avril 1967, Gnassingbé Eyadema assume les fonctions présidentielles. Le régime d’exception qu’il instaure restera en vigueur pendant plus de 10 ans. Un parti unique est créé dont il prend la présidence : le Rassemblement du Peuple Togolais (RPT).
Le 24 septembre 1986, des « mercenaires », lancent une attaque contre le régime qui sera réprimée avec l’aide militaire de la France ; dans les jours qui suivent un groupe de togolais en France se réunit et crée un parti politique clandestin la Convention Démocratique des Peuples Africains.
Ce parti se pourvoit d’un manifeste « L’alternative » qui commence à circuler sous le manteau. Des jeunes togolais en obtiennent des exemplaires qu’ils acheminent vers le Togo. Arrêtés, Logo Dossouvi et Doglo Agbelenko sont détenus par les sbires du régime eyadémien, brutalement « questionnés » et convoqués devant les juges pour répondre de l’accusation de distribution de tracts hostiles au régime.
Le togo en quelques dates
Ainsi, le 5 octobre 1990, c’est une foule en colère qui pénètre le Palais de Justice de Lomé pour assister au procès des deux jeunes gens. La vague de colère sera sauvagement réprimée… Mais le processus entamé par la révolte de ces jeunes semble inéluctable. Désormais le peuple togolais ne se laissera plus conduire par le « Grand Timonier », désormais il y aura des partis d’opposition, des journaux, des associations et symbole suprême, « La Terre de nos aïeux » l’hymne de l’indépendance interdit depuis 1979 au profit de celui du RPT est rétabli en 1992. Pourtant, sur fond d’assassinats, de disparitions forcées, simulacre de procès, détentions arbitraires, de coups d’état manqués, de manifestations, de révoltes réprimées dans le sang le régime se maintient jusqu’en 2005 où Eyadema Gnassingbe décède après près de 40 ans à la tête de l’Etat togolais.
L’un des épisodes les plus marquants (pour ma génération, du moins) reste sans doute les années 92-93 pendant lesquelles une grève généralisée paralyse le pays et pousse des milliers de togolais à trouver refuge dans les pays voisins du Ghana et du Bénin. En 1999 l’ONG Amnesty International tirait même la sonnette d’alarme en publiant un rapport intitulé « Togo, le règne de la terreur ».
Quand, en 2005, le « Grand Timonier » tire sa révérence, son fils lui succède. De nouvelles manifestations, de nouvelles répressions. Services publics inexistants, règlements de compte au sommet de l’Etat, infrastructures en quasi-ruine, fuite massive d’une précieuse matière grise, économie défaillante… Le Togo paraît alors comme une sorte de pays-fantôme, sans institutions, livré à lui-même, donc à la loi du plus fort. La situation est telle que les soupirs se font mélancoliques « au moins du temps du père… ».
L’évènement qui a mis le feu aux poudres (littéralement !) est sans doute l’incendie qui a ravagé une partie du grand marché de Lomé dans la nuit du 12 au 13 janvier 2013. Les pompiers arrivent plus de 3 heures après le premier appel. Pas de carburant. Et lorsqu’enfin ils sont là, ils ne restent que quelques minutes sur place. Plus d’eau.
Quand on sait la place de l’économie informelle au Togo, celle des femmes commerçantes dans la structure familiale et les millions qui se brassent au cœur de ce marché…chaque citoyen togolais, où qu’il soit, a, même indirectement, subi des pertes au cours de cet incident. Ras-le-bol général. Des manifestants descendent dans la rue, leur tribune, cette fois, ils risquent tout, de toute façon ils n’ont plus rien à perdre. Le 10 avril dernier, la Synergie des Travailleurs du Togo entame une énième grève pour exiger l’amélioration des conditions de travail des employés de l’administration publique. Repris par le secteur éducatif, le mouvement entraîne la fermeture des écoles. Ainsi, à leur tour, les élèves descendent dans la rue pour soutenir leurs professeurs et réclamer la reprise des cours. A Dapaong (dans le nord du pays) les forces armées tirent à balles réelles sur les manifestants. Deux morts. Anselme Sinandare et Douti Sinanlengue, deux adolescents de 12 et 22 ans. Au Togo, le ridicule tue.
Ce que le sacrifice de ces jeunes hommes vient rappeler c’est que loin d’être apathiques ou « complices » de leur propre sort, les Togolais n’ont cessé durant les cinquante années écoulées depuis le « coup d’état fondateur » de 1963, avec les moyens à leur disposition, de s’émanciper Ces mots sonnent mal à mes oreilles qui sifflent encore des bruits de balles de toute la période 92-93, ces mots heurtent ma mémoire qui se souvient de Marc Atidepe, Tavio Amorin, Atsutse Agbobli…et ces mots heurtent le souvenir d’un Anselme, 12 ans. Mais l’histoire est jeune, la plupart de ses témoins sont toujours vivants, ils transmettront. Je transmettrai.
Alors, quand le jeune togolais d’aujourd’hui se lève pour faire entendre sa voix, ne lui demandez pas s’il n’a pas peur. De quoi ? De mourir ? N’est-ce-pas déjà mourir à petit feu que de vivre dans des conditions indécentes ?
A ma petite sœur qui n’a pas 20 ans : tu es togolaise, et à ce titre, tributaire de grands hommes et de grands combats, « seul artisan de ton bonheur ainsi que de ton avenir »[1] mène ton propre combat pour reprendre ce qui te revient de droit : la liberté.
La nuit est longue mais le jour vient. Toujours.
[1] 2ème couplet de l’hymne national, la Terre de nos aïeux
Crédits photo : http://www.togo-online.co.uk/opinions/togo-encore-deux-martyrs-au-pantheon-de-la-democratie
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Témoignage poignant! Certes L'Histoire du Togo, sous cette très belle plume, semble chaotique, mais Elle augure d'un Avenir meilleur pour ce beau pays. Bravo!
Merci Stéphane…
Merci !
…Et l'histoire continue !
Texte, très instructif et très émouvant!!! Mais quelles sont les alternatives politiques et économiques actuellement?
Comment les conséquences de l'incendie ont-elles été gérées? Des indemnités d'assurance? Prise en charge par l'Etat?
Merci Géorge, vous avez parfaitement raison mais tou Togolais se pose ces quetions qui restent sans reponses. Qu'allons-faire? La violence peut resoudre ces problèmes? Courage, Lutton pour la vrait démocatie et que chaque Togolais trouve son pein cotidien.
Merci Géorge, vous avez parfaitement raison mais tout Togolais se pose ces quetions qui restent sans reponses. Qu'allons-nous faire? La violence peut resoudre ces problèmes? Courage, Lutton pour la vrait démocatie et que chaque Togolais trouve son pein cotidien.
Bonjour Georges et merci pour votre commentaire.
L'alternative tient en un mot: changement! changement de toute la classe dirigeante, ils sont tous les produits de mêmes écoles de toute façon. Mais en fait peu m'importe qui dirige, qu'il ait au moins la décence de faire son boulot!
Le système d'assurance (comme tous les autres) est défaillant au Togo, les gens ne font pas confiance aux institutions, encore moins aux banques, il est du coup difficile d'estimer le montant des préjudices, sauf à croire les victimes sur parole. En février le gouvernement a annoncé qu'il débloquait 2 milliards de F qui seraient distribués aux victimes selon des criètes que pour l'instant il est le seul à connaître…les femmes togolaises vont faire ce qu'elles font depuis 40 ans: retrousser les manches et recommencer…