La vague de coups d’État militaires qui a frappé le continent africain ces trois dernières années interpelle et requiert une exégèse. Le Mali a ouvert le bal en août 2020 puis mai 2021 suivi par le Tchad (avril 2021), la Guinée (septembre 2021), le Soudan (octobre 2021), le Burkina Faso (janvier et septembre 2022), le Niger (juillet 2023) et le Gabon (août 2023). En dépit de leurs similarités, ces prises de pouvoir par la coercition ont des divergences. Une typologie sera effectuée afin d’apprécier leurs propriétés spécifiques. L’analyse se focalisera sur les coups d’État au Sahel occidental et au Gabon. Leurs principaux déterminants seront mis en exergue et des recommandations seront formulées afin de tenter de les endiguer.
Auteur : Nessan AKEMAKOU
Nouveau Sommet Afrique-France : Il est temps de passer d’un mariage forcé à un mariage de raison !
Suite aux deux webinaires que nous avons organisés en mai et juin 2021 et auxquels nous avons convié le professeur Achille Mbembe afin qu’il nous parle de son travail de récolte des idées de la jeunesse africaine pour refonder les relations avec l’ancienne puissance coloniale, nous nous sommes rendus au Nouveau sommet Afrique-France qui s’est tenu à Montpellier le 8 octobre dernier. Le point d’orgue de la journée fut la discussion entre 11 jeunes femmes et hommes qualifiés de « pépites » qui ont contribué au rapport Mbembé et le président français Emmanuel Macron.
Quoiqu’on puisse en penser et en dire, ce sommet était assez inédit dans son format. C’est la première fois depuis 1973 qu’aucun chef d’État africain n’était invité et que la société civile ainsi que la jeunesse étaient mises à l’honneur. Il est naturel d’avoir des réserves et de critiquer ce sommet. La critique constructive est toujours salutaire aux fins d’amélioration. Mais nous voyons fleurir çà et là des critiques épidermiques de contempteurs à l’invective un peu facile. Comme l’a dit Cheikh Fall l’un des participants, la colère est compréhensible eu égard notamment au passif historique. Mais il importe de ne point céder à la tentation du procès d’intention.
Les jeunes ont interpellé le président Macron avec franchise et vigueur sur une série de points dont nous retiendrons l’essentiel.
– Il a été mis en exergue la nécessité de changer de narratif et de mettre fin à l’usage des terminologies sémantiques dévalorisantes et infantilisantes telles que l’aide au développement. Selon la formule du professeur Joseph Ki-Zerbo, « on ne développe pas, on se développe ». Les Africains se développeront par eux-mêmes à travers des partenariats sains et des initiatives co-construites dans l’interdépendance, certes, mais avant tout par leurs propres forces vives. Le président Macron a abondé dans le sens des jeunes en parlant d’investissement solidaire. Cela n’a pas été fait, mais puisque nous sommes sur le registre sémantique, nous pouvons interroger le terme même de sommet Afrique-France. Un seul pays ne peut pas prétendre à parler à un continent entier. Il apparaît donc judicieux de revoir cette expression. Par ailleurs, lorsque le président français dit qu’il aide le Mali, ce n’est pas inexact, mais cela ne reflète pas exactement la réalité. Il ne doit pas oublier dans le même temps que c’est l’intervention de l’OTAN en Libye ourdie par Nicolas Sarkozy avec la fortune que l’on sait, qui a accéléré la dégradation de la situation sécuritaire au Sahel. L’intervention militaire française vient donc corriger les errements d’une politique étrangère hasardeuse. Par ailleurs, en luttant contre les groupes djihadistes au Sahel, la France préserve également la sécurité de ses ressortissants sur le sol hexagonal.
– Les jeunes ont souligné la dissonance cognitive qui existe dans les discours et les actions des gouvernements français successifs. D’un côté, il y a les injonctions à la démocratie, la célébration de valeurs dites universelles ainsi que les leçons de morale. Et de l’autre, il y a la domination, l’exploitation, l’arrogance paternaliste, le racisme ainsi que la collaboration avec des autocrates qui répriment les velléités de liberté de leurs populations.
– Il a été mis en lumière l’importance d’assumer pleinement l’histoire et de nourrir les imaginaires. Il faut « récurer la marmite » des relations entre la France et ses anciennes colonies et cela passe notamment par un travail sur l’histoire et la mémoire. On n’efface pas l’Histoire. On la regarde en face et on l’embrasse afin de ne pas reproduire les mêmes erreurs. Il importe de panser le passé afin de penser l’avenir. La traite négrière, la colonisation, la françafrique sont encore trop insuffisamment traitées au sein des manuels scolaires et enseignées aux enfants des deux rives de la méditerranée. Il est impérieux d’y remédier car les dénis de reconnaissance sont une source de frustration, d’humiliation et de colère. Le travail mémoriel passe également par la restitution des œuvres culturelles pillées pendant l’ère coloniale. La France a entamé une démarche en ce sens qu’il convient d’amplifier.
– La nécessité de sortir de l’asymétrie structurelle, de rééquilibrer les relations et de changer de paradigme a été mise en évidence. Cela passe notamment par la fin de l’ingérence dans les affaires africaines, la fin du soutien actif aux régimes dictatoriaux et l’arrêt des interventions militaires a fortiori lorsqu’elles ne sont pas sollicitées. Les bases militaires françaises en Afrique doivent devenir une relique de l’histoire. La question d’une réelle souveraineté monétaire a été soulevée à travers le rappel des revendications et des luttes populaires pour la fin du Franc CFA.
– Le président Emmanuel Macron a pris acte et annoncé qu’une série de mesures préconisées notamment par le rapport Mbembé seraient prises. L’on peut retenir la création d’un fonds d’innovation pour la démocratie visant à soutenir les acteurs du changement démocratique, la mise en place d’une maison des mondes africains et de la diaspora, le changement du nom de l’Agence française de développement (AFD) et de son fonctionnement…
Il va sans dire que le président Macron n’est pas exempt d’arrière-pensées. Comme l’écrit Jules Clarétie, « le désintéressement chez les gouvernants est aussi rare que la modestie ». Il est conscient de la perte d’influence de la France sur le continent qui ne cesse de croitre au profit d’autres acteurs. Il veut donc redéfinir sa stratégie.
– Certes, l’élection présidentielle qui se profile, et les velléités de séduction de l’électorat binational africain ne doivent pas être étrangères à ce projet de nouveau sommet.
– Certes, la société civile n’est pas en charge des politiques publiques, mais elle peut à travers sa mobilisation influencer les acteurs en charge de ces questions.
– Certes, le président Macron nous a fait une des pirouettes dont il a le secret en justifiant en même temps le pardon demandé aux Harkis et en refusant de le faire pour les crimes de la colonisation au motif que ce serait « trop facile », que ce serait une façon de se délier et de se « débarrasser » de l’histoire !! Demander pardon aux Harkis c’était donc « trop facile » et une façon de se « débarrasser de l’histoire » ? Il craint sans doute les réactions de son opinion publique et l’épineuse question de la réparation. Mais les Africains ne veulent pas tant une réparation financière qu’une réparation symbolique. Un apaisement des tourments mémoriels. À défaut de pardon, le président Macron a admis les responsabilités françaises dans le commerce triangulaire et le fait colonial aux côtés d’autres acteurs. Il a, en outre, reconnu une africanité de la France. Tout comme il existe une européanité de l’Afrique que l’on ne saurait nier puisque la colonisation entraine une interpénétration des cultures. L’acculturation est toutefois fortement inégalitaire et elle a encore des conséquences aujourd’hui tant sur les plans symbolique, psychologique (estime de soi) que politique et économique. Et ce tant en Afrique qu’au sein de l’Occident (discriminations).
– Certes, il y a des intérêts conséquents en jeu qu’ils soient stratégiques, géopolitiques, économiques, énergétiques, etc. Les forces de la conservation ne veulent pas du changement puisque la situation qui prévaut leur est bénéfique. Nous pensons aux potentats africains et à certains grands groupes industriels français à l’instar de celui de M. Bolloré ou de Total.
Il faut donc être lucide et garder à l’esprit qu’on ne change pas un système. On le force à changer. Il importe de n’être ni naïfs, ni de mauvaise foi, ni béats, ni intellectuellement malhonnêtes. Il faut sortir des postures victimaires et des critiques qui sourdent uniquement de la colère et des blessures du passé et du présent. Dans la démarche de refondation des relations entre la France et certains pays africains, il faut également se garder de sombrer dans l’écueil consistant à voiler la nudité des faits et les responsabilités africaines dans les maux de l’Afrique. L’Occident et la France ont une part ô combien importante, mais l’Afrique également. Si l’on veut parler sans fards, il faut le dire. Une maison divisée ne peut point subsister. La domination se perpétue car les divisions interafricaines perdurent.
Ne soyons ni attentistes, ni ingénus. La liberté ne se donne pas. Elle se conquiert. Comme l’a fort bien dit le capitaine Thomas Sankara, « seule la lutte libère ». Le salut de l’Afrique ne viendra pas d’ailleurs. Il viendra des Africains unis et de l’instauration d’un rapport de force sur le terrain, mais aussi dans le champ des idées. Il viendra d’une jeunesse panafricaine, éveillée et mobilisée. Il convient donc de saluer l’engagement des 11 participants au sommet qui sont les relais d’une jeunesse qui veut être actrice et vectrice de changement. Ce dernier est en marche et il est inexorable. Mention spéciale à Adelle Oyango, Adam Dicko et Ragnimwendé Eldaa Koama.
Enfin, nous sommes les héritiers d’une histoire brutale et d’un mariage forcé. À nous d’en faire un mariage de raison et formulons le vœu que nos enfants issus des deux rives de la Méditerranée finissent par en faire un mariage d’amour.
La dette publique africaine : Vers plus de transparence
Résumé : Les mêmes causes produisent les mêmes effets. C’est ce qu’on pourrait se dire quand on observe l’évolution de la dette africaine au cours de la dernière décennie, ayant en tête les expériences passées en matière d’endettement. En effet, pris dans le tourbillon postcolonial du rattrapage économique combiné à une mauvaise gouvernance à l’ère de la mondialisation et de la financiarisation économique, beaucoup de pays Africains se sont embourbés dans le piège du surendettement. Ainsi, les dettes publiques extérieures africaines dans les années 90 étaient telles qu’elles ont forcé ses bailleurs multilatéraux à l’instar de la Banque mondiale (BM) et du Fonds monétaire international (FMI) à en effacer une grande partie. Les partenaires bilatéraux membres du club de Paris se sont eux aussi joints à cette initiative d’allégement de la dette africaine. S’en est suivi une période noire, que les experts qualifient de « décennie perdue », durant laquelle les pays africains ont subi des réformes drastiques et de sévères politiques d’austérité sous l’égide des institutions de Bretton Woods (BM et FMI). Celles-ci ont eu des conséquences désastreuses sur les plus démunis notamment suite aux injonctions de réduction de la dépense publique. Les capacités des administrations publiques ont été amoindries et les services sociaux sont devenus chancelants. Il importe toutefois de souligner qu’on a pu observer une embellie économique eu égard aux taux de croissance élevés lors de cette décennie. Ceci s’explique notamment grâce aux conditions favorables sur le marché international des matières premières. Néanmoins, l’évolution récente de la dette extérieure en Afrique appelle à la prudence. C’est donc dans cette optique que nous nous proposons d’analyser la situation de la dette publique extérieure africaine.
Veuillez télécharger l’intégralité de l’article rédigé par Cédric Deguenonvo et Héry Maholisoa ci-dessous :