La dette publique africaine : Vers plus de transparence

Résumé : Les mêmes causes produisent les mêmes effets. C’est ce qu’on pourrait se dire quand on observe l’évolution de la dette africaine au cours de la dernière décennie, ayant en tête les expériences passées en matière d’endettement. En effet, pris dans le tourbillon postcolonial du rattrapage économique combiné à une mauvaise gouvernance à l’ère de la mondialisation et de la financiarisation économique, beaucoup de pays Africains se sont embourbés dans le piège du surendettement. Ainsi, les dettes publiques extérieures africaines dans les années 90 étaient telles qu’elles ont forcé ses bailleurs multilatéraux à l’instar de la Banque mondiale (BM) et du Fonds monétaire international (FMI) à en effacer une grande partie. Les partenaires bilatéraux membres du club de Paris se sont eux aussi joints à cette initiative d’allégement de la dette africaine. S’en est suivi une période noire, que les experts qualifient de « décennie perdue », durant laquelle les pays africains ont subi des réformes drastiques et de sévères politiques d’austérité sous l’égide des institutions de Bretton Woods (BM et FMI). Celles-ci ont eu des conséquences désastreuses sur les plus démunis notamment suite aux injonctions de réduction de la dépense publique. Les capacités des administrations publiques ont été amoindries et les services sociaux sont devenus chancelants. Il importe toutefois de souligner qu’on a pu observer une embellie économique eu égard aux taux de croissance élevés lors de cette décennie. Ceci s’explique notamment grâce aux conditions favorables sur le marché international des matières premières. Néanmoins, l’évolution récente de la dette extérieure en Afrique appelle à la prudence. C’est donc dans cette optique que nous nous proposons d’analyser la situation de la dette publique extérieure africaine.

Veuillez télécharger l’intégralité de l’article rédigé par Cédric Deguenonvo et Héry Maholisoa ci-dessous :

Le déficit public égyptien a-t-il atteint un niveau excessif ?

En août 2016, la mission du FMI au Caire a accordé au gouvernement égyptien, un prêt de 12 milliards de dollars sur trois ans en échange de l’adoption d’un ensemble de réformes  (introduction de la TVA, baisse des subventions à la consommation d’énergie, réduction de la masse salariale de la fonction publique…)  visant à réduire le déficit budgétaire du pays. Ce dernier, en augmentation continue depuis 2007,s’élevait à 12,3% du PIB au cours de l’année 2015-2016 et devrait atteindre 11% selon le projet de loi de finances pour l’année 2017 (1). Par ailleurs, en 2015-2016 le remboursement de la dette publique constituait le principal poste de dépense publique soit une part de 30% (2), tandis que le taux d’intérêt s’élevait à 17% et la croissance à 3,8%.(3) Ces statistiques posent la question de la soutenabilité de la dette égyptienne et de l’état des finances publiques du pays.

 

 

  1. Un fastidieux arbitrage entre augmentation du taux d’intérêt et réduction des dépenses

 

  1. La hausse du déficit public égyptien impacte significativement le taux d’intérêt sur la dette publique…

L’augmentation du déficit égyptien est allée de paire depuis 2013 avec une forte hausse de la dette publique (4). En effet, la hausse du déficit a conduit l’Etat égyptien à avoir recours à un plus grand nombre de prêteurs pour assurer son financement. Au niveau national cela  a induit une hausse du taux d’intérêt sur la dette publique interne. L’ampleur de l’accroissement du déficit public a généré un choc de demande sur le marché de l’épargne et la hausse du taux d’intérêt a été un moyen d’inciter les agents à prêter davantage. Par ailleurs le taux d’intérêt a également connu une tendance haussière du fait des risques d’insolvabilité que fait peser le déficit public sur l’Etat égyptien depuis la fin des années 2000. Face à une dette risquée, les prêteurs ont exigé une prime de risque plus importante ce qui a encore amplifié la hausse du taux d’intérêt.

 

  1. … et cela pose le problème de la soutenabilité de la dette et de l’effondrement de l’investissement privé.

Comme tout Etat, l’Egypte a recours au déficit public pour financer ses dépenses de fonctionnement et d’investissement ainsi que ses politiques publiques à caractère contracyclique. Dès lors le niveau de déficit optimal est celui pour lequel la productivité marginale du déficit public est égale au taux d’intérêt. Au-delà, l’Etat exerce des externalités sur l’ensemble de l’économie et nuit à l’investissement des entreprises par effet d’éviction. En effet, l’Etat lourdement déficitaire emprunte et accapare une partie significative  de l’épargne qui, de fait n’est plus disponible pour les entreprises ou atteint un prix prohibitif. A ce titre, conscient des externalités négatives exercées par l’ampleur du déficit public sur la disponibilité de l’épargne  égyptienne, le vice-président de la Banque Mondiale pour la zone Moyen-Orient et Afrique du Nord déclarait le 17 mars 2017 : «Nous devons observer une importante augmentation de l'investissement privé. Il ne s’agit pas uniquement des grandes entreprises privées. Les reformes doit être axées sur la promotion des PME et aider à développer l’esprit d’entrepreneuriat chez les jeunes.». (5)

 

En outre, le taux de croissance de la dette publique égyptienne a été plus important que le taux de croissance du PIB  au cours de la dernière décennie. Or d’après le concept de soutenabilité de la dette, la dette d’un pays peut croître de façon continue et demeurer sans risque  pour les prêteurs si et seulement si la capacité de remboursement de l’Etat croît au moins dans les mêmes proportions. Cela n’ayant pas été le cas de 2013 à 2017 du fait de la faible capacité de l’Etat égyptien à prélever les impôts, il est possible d’affirmer que le pays a atteint un niveau de déficit insoutenable et donc excessif qui se traduit d’ailleurs par des taux d’intérêt punitifs.

 

 

  1. L’Egypte doit parvenir à appliquer le plan d’austérité préconisé par le FMI tout en soutenant l’investissement privé

 

A.  Un plan d’austérité risqué tant sur le plan économique que politique

Face à la menace d’une crise économique et monétaire, l’Egypte du président Sissi a finalement adopté les mesures préconisées par le FMI lors de l’été 2016. En effet, la réduction des dépenses publiques et l’augmentation des recettes fiscales via la création de la TVA sont les deux principaux objectifs de la politique économique égyptienne.  Toutefois ces réformes touchant directement la fiscalité des entreprises risquent soit de porter atteinte à la compétitivité des entreprises égyptiennes, soit d’aggraver la hausse du taux d’inflation –qui s’élevait déjà à 30% en janvier 2017 (6)- si les producteurs décident de répercuter le montant de la TVA sur les prix de vente. Une telle possibilité risquerait de détériorer encore plus le pouvoir d’achat des Egyptiens et de raviver les mouvements sociaux qui avaient conduit au renversement du régime lors du printemps arabe de 2011.

En outre pour endiguer la hausse du taux d’intérêt s’étant élevé au taux  quasi-prohibitif de 17% au cours de l’année 2016, la Banque centrale égyptienne (BCE) a fixé à 14,75% le taux d’intérêt pour l’année 2017.(7)

 

B. Recommandations

Le gouvernement égyptien a tout intérêt à encourager l’investissement privé en simplifiant le cadre réglementaire de la création et du développement des entreprises. En effet, la création d’un guichet unique pour les procédures fiscales permettrait de simplifier les rapports entre le secteur privé et l’administration fiscale.  Cette sécurité fiscale faciliterait la collecte de l’impôt sur les sociétés, inciterait davantage d’entreprises et commerces à quitter le secteur informel pour le secteur formel et conduirait à un accroissement significatif des recettes publiques.

Il convient également de prendre en compte la productivité des dépenses publiques et de ne pas les diaboliser. En effet, si le plan du FMI inclut une réduction drastique des subventions publiques notamment dans le domaine des énergies fossiles, cette réforme peut également donner lieu à une réallocation des ressources vers des secteurs novateurs et à haute valeur ajoutée tels que la recherche ou le développement des énergies renouvelables.

La dette  et le déficit supplémentaires ne sont pas considérés comme excessifs dès lors qu’ils financent de nouveaux investissements publics qui à terme rapporteront davantage de recettes fiscales. En effet l’Egypte pourrait s’inspirer des objectifs du programme Europe 2020 visant non pas à imposer des plans d’austérité dont l’efficacité est discutable mais à favoriser l’essor d’une croissance dite « intelligente, durable et inclusive ». L’Egypte dispose à ce titre d’une importante marge de manœuvre puisque seul 10% des dépenses publiques du budget 2015-2016 ont servi à financer des dépenses d’investissement (8).

 

Sources

  1. http://www.tresor.economie.gouv.fr/File/433051 « Situation économique générale de l’Egypte ».
  2. http://www.tresor.economie.gouv.fr/File/433051 « Situation économique générale de l’Egypte ».
  3. http://www.jeuneafrique.com/370978/economie/pression-legypte-devalue-monnaie/
  4. http://www.coface.com/fr/Etudes-economiques-et-risque-pays/Egypte
  5. http://www.agenceecofin.com/reformes/0903-45561-egypte-les-prochaines-reformes-doivent-prioriser-l-investissement-prive-selon-la-banque-mondiale
  6. http://www.lefigaro.fr/flash-eco/2017/02/11/97002-20170211FILWWW00048-egypte-l-inflation-s-envole-a-pres-de-30.php
  7. http://www.jeuneafrique.com/370978/economie/pression-legypte-devalue-monnaie/
  8. http://www.tresor.economie.gouv.fr/File/433051 « Situation économique générale de l’Egypte ».

Perspectives économiques régionales: une croissance à plusieurs vitesses en Afrique subsaharienne!

Selon les dernières prévisions du FMI, le taux de croissance économique (la croissance moyenne)  de l’Afrique subsaharienne devrait descendre à son plus bas niveau depuis plus de vingt ans. Ces  prévisions publiées précisément le 16 Octobre 2016   dans son rapport semestriel  sur «les Perspectives économiques régionales pour l’Afrique subsaharienne » soulignent  aussi une croissance hétérogène entre les différents pays de la région.

En effet, la conjoncture actuelle de l’économie mondiale, dominée précisément par la baisse continuelle des cours du pétrole et des matières premières,  a eu des effets différents sur les pays de la région en fonction de la structure de leur économie (pays exportateurs ou importateurs de pétrole, pays riches ou pauvres en ressources naturelles).

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             Afrique subsaharienne : croissance du PIB réel

De facto, les pays  tributaires des exportations de ressources naturelles (le pétrole) connaissent aujourd’hui un fort ralentissement    de leur économie. Des tensions causées, en partie, par la chute des exportations vers la Chine – premier partenaire commercial de la région (qui fait face à d’énormes difficultés économiques)  – mais aussi vers le reste du monde. Ainsi les pays comme le Nigéria, l’Afrique du sud et l’Angola ont vu leurs recettes nationales amputées  dans des proportions allant de 15 % à 50 % de leurs PIB depuis le milieu de l’année 2014.

Cependant, cette situation l’économie mondiale profite à d’autres pays comme le Sénégal, la Côte d’ivoire, le Kenya, l’Éthiopie …qui continuent d’afficher de bons résultats, car bénéficiant de la baisse des prix des importations de pétrole, de l’amélioration du climat des affaires. Ces pays devraient  continuer d’enregistrer des taux de croissance allant de 6 %  à  8%  dans les deux prochaines années, selon le même rapport. Mais dans l’ensemble, la production de la région ne devrait progresser que de 1,4 % en 2016. Un chiffre correspondant à ceux des années 1977, 1983,1992 et aussi de l’année 2009  date à laquelle la plupart des pays industrialisés du monde sont rentrés en récession la suite du krach de l'automne 2008.

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Afrique subsaharienne : croissance du PIB réel Pendant les épisodes de ralentissement économique actuel et passés

En plus de ces facteurs exogènes, la manque de transparence  des politiques publiques des pays les plus touchés a fortement contribué à leurs relentissements actuels et aux tensions économiques qu’ils connaissent. En ce qui concerne la politique économique, la réaction des différents gouvernements  fut lente voire même parcellaire.Et les progressions ou les croissances prévues pour les pays comme  la Côte d’ivoire, le Sénégal, l’Ethiopie, etc. pour les années à venir n’auraient pas d’effets ou d’impacts  sur l’économie des pays touchés  en raison de la faible intégration économique de la région.

Toutefois, les prévisions du FMI annoncent aussi une reprise modeste, avec une croissance d’un peu moins de 3 % pour l’année prochaine mais sous certaines conditions. Cette reprise ne serait possible que si  les différents gouvernements concernés, c’est-à-dire ceux qui dependent de l’exportation du  pétrole, mettent en place un ajustement budgetaire efficace à moyen terme.En d’autres termes,ces pays doivent  trouver des nouveaux moyens de financement de leurs économies  qui pourraient contribuer à attenuer l’effet de freinage à court terme sur la croissance et réduire l’incertitude qui fait actuellement obstacle à l’investissement privé.

D’ailleurs, cette problématique du financement des économies africaines a été le thème de la Conférence annuelle 2016 de l’Afrique des Idées qui avait réuni plusieurs experts au sein de l’université Paris Dauphine le 4 juin 2016.  L’élargissement de l’assiette fiscale, les Partenariats Public-Privé (PPP) sont des pistes à explorer pour garantir des moyens durables de financement des économies africaines.

Hamidou CISSE

Vers une nouvelle crise de la dette en Afrique subsaharienne ?

dette-grece-colosse-mai-2011Les annulations de dette consécutives à l’atteinte du point d’achèvement des PPTE (entre 2001 – 2012) ont offert aux pays africains[1], ceux d’Afrique subsaharienne en particulier, une fenêtre d’opportunités pour financer leur développement, qu’ils semblent pour la majorité avoir saisi [2]. Pour financer ces dépenses, les pays se sont appuyés sur de nouveaux emprunts. La dette publique des pays d’Afrique subsaharienne qui est passée de 104% du PIB fin 2000 à 39% à fin 2012[3], a d’ores et déjà atteint 50,6%, soit une augmentation annuelle moyenne de 4 points de %[4]. Cette forte croissance de la dette dans les pays africains, qui excède celle de l’accélération de la croissance suscite aujourd’hui plusieurs interrogations. Devrait-on réellement s’en inquiéter ? Cet article revient sur la politique de financement du développement la dette des pays africains et les risques potentiels liés à cette stratégie.

A la lecture des statistiques disponibles (WEO du FMI) – même les plus pessimistes –  sur la performance économique et le niveau de la dette des pays africains, on est tenté d’exclure tout risque que pourrait induire la dette sur les économies africaines. Cependant, en considérant les facteurs qui soutiennent cette performance économique, la capacité limitée des pays africains à collecter davantage les ressources domestiques et le rythme soutenu de croissance de la dette, la question se pose avec pertinence[5]. Dans un article précédent, il a été montré que la dette n’est profitable à une économie que si elle permet de financer des activités permettant d’accélérer la croissance à un niveau excédant les taux d’intérêt escomptés et si l’Etat est suffisamment capacité pour collecter les fruits de ces investissements. Ce qui n’est pas encore forcément le cas dans les pays africains.[6] La capacité de mobilisation des ressources intérieures (et donc de la richesse créée) est faible et repose sur une petite partie de l’économie alors que la croissance générée est davantage le fruit d’investissements étrangers dans des secteurs qui ne favorisent pas la transformation structurelle de l’économie.

A juste titre, les analyses de viabilité de la dette (AVD) réalisées[7] par le FMI et la Banque Mondiale, montrent que le profil de risque d’endettement des pays africains a rapidement évolué entre 2012 et 2015. Sur les 39 pays bénéficiaires de l’IPPTE, 7 ont déjà atteint un risque élevé d’endettement (contre 5 en 2012), 18 sont classés en risque modéré (13 en 2012) et 5 sont classés en risque faible (contre 11 en 2012).  Il apparaît donc évident que l’évolution de la dette dans les pays africains n’est pas sans risques que plusieurs facteurs contribuent à accentuer. 

Premièrement, le profil de la dette dans les pays africains a beaucoup changé. En plus d’un recours accru aux marchés financiers locaux, et pour certains pays aux marchés financiers internationaux, les pays africains se tournent de plus en plus vers les pays émergents, notamment la Chine, l’Inde et la Turquie. Ces nouveaux emprunts, s’ils répondent à un besoin de diversification des partenaires et des risques, paraissent toutefois onéreux pour les économies africaines. Sur les marchés financiers internationaux et locaux, les taux d’intérêts varient entre 5 et 10% – cas des récentes émissions effectuées par la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Nigéria, le Sénégal ou encore la Zambie. Auprès des émergents, non soumis aux règles d’APD de l’OCDE, les emprunts se font à des conditions dit semi-concessionnels – soit à des taux variant entre 0.5 et 1%.

Deuxièmement, la dynamique économique des pays africains tend à s’estomper certes (à degré variable entre les pays). La chute des cours des matières premières[8], induits par le ralentissement économique des pays émergents, affectent les pays africains[9] et va se traduire par des entrées moins importantes de devises, nécessaires pour assurer le service de la dette extérieure notamment. Aussi la fin de la récente crise financière, et donc de la politique monétaire conciliante menée par la Fed américaine en réponse à cette crise et qui a poussé les investisseurs à s’intéresser aux marchés africains, va induire une baisse des investissements à destination du continent. Dans ce contexte, un effet de change pourra rendre plus onéreux le service de la dette libellé en devises, absorbant ainsi une bonne partie des ressources des pays et accentuant les pressions sur les finances publiques.

Si le ré-endettement s’est constitué comme une option aux pays d’Afrique sub-saharienne, notamment pour ceux ayant bénéficié de l’IPPTE, pour financer leur développement ; il ne s’est pas forcément appuyé sur une politique de financement global alliant mobilisation des ressources domestiques et externes. Il apparaît plutôt comme un outil utilisé mécaniquement par les Etats pour compenser l’insuffisance des ressources domestiques et financer leurs investissements. Cette stratégie est aujourd’hui porteuse de risques, révélant par la même occasion les limites de la politique économique menée par les pays durant la dernière décennie. Si une nouvelle crise de la dette n’est pas envisageable à court terme, la poursuite de cette stratégie peut s’avérer très contraignante pour les économies africaines à moyen-long terme d’autant plus que la perspective d’une nouvelle IPPTE est à écarter au regard du profil des créditeurs. Il apparaît dès lors nécessaires pour les pays africains d’inclure dans leur stratégie de développement une politique propre de gestion de l’endettement mais aussi de renforcer la collecte des ressources internes.

Foly Ananou


[1] Fin 2012, le nombre de pays africains ayant bénéficié de l’IPPTE s’établissait à 39.

[2] La réduction de la dette se traduit de fait par une di munition du service de la dette, créant donc des marges de manœuvre budgétaire pour déployer la politique publique.

[3] Cette donnée cache de fortes disparités. La Côte d’Ivoire et la Guinée qui ont bénéficié de l’initiative fin 2012, tire cette moyenne vers le bas ; certains pays ayant bénéficié de l’initiative assez tôt dès la première moitié de la décennie ont fait croître leur dette entre temps. Toutefois, elle révèle assez bien comment cette initiative a permis de réduire considérablement le poids de la dette des pays africains.

[4] Cette donnée s’applique à un pays moyen. Une analyse plus fine par pays révèle de forte disparité et des trajectoires différentes. Les pays exportateurs de matières premières ont une situation plus critique que les autres (cas du Ghana)

[5] En effet, ce qui inquiète, ce n’est pas tant le niveau de la dette mais son accélération qui se fait dans des conditions non maitrisées.

[8] Qui ne devrait pas se résorber à court terme selon les estimations de la Banque Mondiale (Commodity Market Outlook)

[9] Durement les exportateurs et les gains sont modérés pour les importateurs

Les nouveaux modèles de financement du développement en Afrique

fonds-souverainsDambisa Moyo, William Easterly, ou encore Jeffrey Sachs sont des noms qui reviennent souvent dans les débats sur l’aide au développement. À coup de théories économiques et d’exemples de cas d’école, chacun d’entre eux, et de nombreux autres économistes du développement, apportent leurs perspectives à la question de l’efficacité de l’aide, et son impact réel sur le développement. Pourtant, les alternatives à l’aide au développement attirent également de plus en plus l’attention des économistes comme substitut ou complément à l’aide au développement, car ayant le potentiel de limiter la dépendance à l’aide ou de combler certaines de ses lacunes. Cet article a donc pour objectif de présenter certains de ces nouveaux moyens de financement du développement, notamment les partenariats publics privés,  et l’autofinancement à travers le recours aux ressources internes et à l’endettement sur les marchés financiers. Ces modèles ont également leurs limites, qui seront présentées dans un second temps.

 

 

  1. Quels nouveaux modèles de financement pour le développement ?
  1. Les Partenariats Public–Privé (PPP)

Les Partenariats Public–Privé (PPP) sont principalement utilisés pour financer des infrastructures, et ont été imaginés pour éviter certaines difficultés posées par les modèles traditionnels de financement des infrastructures. En effet, le modèle de marché public, dans lequel une entreprise produit une infrastructure qui sera ensuite gérée par l’État, fait peser sur celui-ci des risques liés à un manque de contrôle sur la qualité de l’infrastructure, et sur les coûts que cela peut engendrer. Le modèle de la concession publique, où c’est l’État qui est en charge de la construction de l’infrastructure qui sera gérée par une entreprise, fait peser ces risques entièrement sur l’entreprise.

 Les PPP représentent donc un nouveau modèle de financement, censé permettre une meilleure répartition des risques. Même si le terme de PPP peut être utilisé pour désigner différents type de projets, c’est en général la réalisation et l’entretien par une entreprise, pour le compte de l’État d’un ouvrage ou un service public, qui produit ensuite des recettes qui servent à rémunérer l’entreprise. C’est par exemple le cas de l’autoroute à péage Dakar-Diamniado, réalisée par la société Eiffage au Sénégal ou le pont Henry Konan Bédié réalisé par la Socoprim en Côte d’Ivoire. Dans les deux cas, l’entreprise a été chargée par le gouvernement de concevoir et réaliser l’ouvrage, ainsi que de l’exploiter et de l’entretenir, pour une durée de 30 ans.

Le modèle des PPP permet un meilleur équilibre des risques, avec un État garantissant des compensations au cas où l’équilibre financier prévu pour le projet, n’est pas atteint. Ce modèle de financement assure également en général des ouvrages de qualité, dans les délais, d’une part car le partenaire privé qui le réalise possède une expertise en la matière, de l’autre car elle doit bénéficier des recettes qui en découlent.

  1. Les marchés financiers

L’autofinancement du développement représente une autre alternative à l’aide au développement. Elle permettrait aux États de rompre une situation de dépendance à l’aide, souvent critiquée, et de moins subir les chocs externes. On peut s’intéresser d’une part à l’emprunt sur les marchés financiers, et d’autre part  aux ressources que sont l’épargne privée intérieure (c’est-à-dire celle des populations), et l’épargne publique, qui découle des impôts sur les particuliers et les entreprises.

L’émission d’emprunts sur les marchés se développe depuis quelques années, avec de plus en plus de pays africains qui se tournent vers l’émission d’emprunts sur les marchés financiers, comme moyen de financer leur développement. Ces émissions consistent en des titres de créances émis par les États africains, sur des marchés étrangers, qui seront remboursés en totalité et avec intérêts. Le Ghana était ainsi le premier à émettre des obligations souveraines d’un montant total de 750 millions de dollars à un taux d’intérêt de 8,5%. En Octobre 2015, il émettait à nouveau des obligations, cette fois pour un montant de 1 milliard de dollar US, à un taux d’intérêt de 10,75%.

D’autres pays ont rapidement suivi le Ghana, parmi lesquels la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Gabon, le Cameroun ou encore le Tchad. Derniers en date, le Sénégal en  Mars et l’Algérie en Avril. Avec des taux de croissance importants et des profils de risque qui se sont améliorés, les États africains peuvent apparaitre comme particulièrement attractifs pour certains investisseurs. Du côté des États, l’intérêt de ces émissions d’emprunt est qu’elles les laissent autonomes dans la gestion des fonds obtenus, contrairement aux prêts bilatéraux et multilatéraux. Cependant, ce modèle remplace les créanciers traditionnels des États africains que sont les bailleurs de fonds, par de nouveaux créanciers.

  1. Les ressources internes

En revanche, d’autres ressources internes gagneraient à être davantage exploitées par les États africains, notamment l’épargne. D’après le rapport économique sur l'Afrique 2010, publié par la Commission économique pour l’Afrique, « le taux d’épargne en Afrique est très faible par rapport à ceux d’autres parties du monde en développement », avec moins de 20% du PIB. Les ressources comme l’épargne privée ou les impôts sont donc clairement sous exploitées par les États, malgré le potentiel important qu’elles représentent.

C’est notamment le cas de l’épargne privée, alors que la microfinance a montré que même les populations les plus pauvres sont capables d’épargner. En cause : des systèmes financiers qui excluent la majorité des citoyens. À cause d’un nombre d’agences insuffisant surtout dans les zones rurales, de versements minimum demandés trop élevés, de taux d’intérêt peu intéressants ou encore une documentation à fournir, trop importante, les conditions nécessaires à l’ouverture d’un compte d’épargne sont souvent des barrières rendant ceux-ci peu attractifs pour les particuliers.

Du côté des ressources publiques, les systèmes fiscaux gagneraient à être développés. Les impôts collectés par les États africains ont pourtant augmentés, selon le rapport Perspectives Économiques en Afrique publié en 2010. Le rapport montre ainsi qu’ils sont passés de 113 milliards de dollars USD en 1996, à 479 milliards en 2008. Cependant, ces impôts sont souvent issus de la taxation des ressources minières et naturelles. Or, les crises successives des matières premières ont montré les limites de ce type de fiscalité ; de plus, cette source de revenus est souvent montrée du doigt comme facteur contribuant à la mauvaise gouvernance et à l’instabilité politique. Enfin, elles peuvent représenter un obstacle à la mise en place de systèmes fiscaux plus complexes, car représentant une source de revenus faciles.

En revanche, la mise en place d’impôts directs sur les populations et les sociétés, et indirects (TVA et autres taxes commerciales) permettrait de mobiliser de nouvelles ressources. Certains économistes argumentent par ailleurs que la taxation des particuliers peut rendre la population plus regardante sur la gestion des ressources publiques lorsque celles-ci sont issues de ses propres revenus, en comparaison avec l’aide extérieur, qui n’exerce pas la même pression sur les populations.

 

  1. Limites et risques des nouveaux moyens de financement

Ces nouveaux moyens de financement du développement ne sont pas exempts de risques et de coûts, qu’on ne retrouve pas forcément avec l’aide au développement.

  1. Les Partenariats Public–Privé (PPP)

Dans le cas des PPP, les États ne maitrisent pas forcément les risques liés à la demande. En effet, le niveau futur de demande ou d’utilisation par les usagers de l’ouvrage, est estimé lors de la signature du PPP. Si ce niveau n’est pas atteint, l’État doit verser des compensations financières au partenaire privé, ce qui représente donc des dépenses supplémentaires pour l’État. Par ailleurs, le risque de mauvaise gouvernance, liés aux marchés publics et aux concessions lorsque ceux-ci ne sont pas attribués de manière transparente et équitable, reste présent dans les PPP. Pour limiter ces risques, le développement d’un cadre réglementaire des PPP pourrait favoriser leur réussite. La Banque Africaine de Développement et la Banque Mondiale encouragent les États africains à aller dans ce sens, et c’est de plus en plus le cas. Les États de l’UEMOA travaillent ainsi à la mise en place d’un cadre régional des PPP, et nombreux sont les États qui ont déjà un cadre national, comme le Sénégal, le Niger ou la Côte d’Ivoire. Pour que ce cadre devienne réellement opérationnel, il sera important de renforcer les capacités des organismes en charge de gérer les PPP, et l’aide au développement pourrait y contribuer directement en facilitant des transferts de compétences dans ce domaine.

  1. Les marchés financiers

Les émissions d’emprunt sur les marchés financiers, elles, si elles représentent une alternative intéressante à l’aide au développement, envoyant des signaux positifs quant au développement économique de l’Afrique, peuvent également être à double tranchant. Dans un article publié en 2013 dans le journal les Échos, l’économiste Joseph Stiglitz met en garde contre un enthousiasme exagéré vis-à-vis de ces émissions. En effet, elles ont un coût supérieur à celui des prêts bilatéraux ou multilatéraux, car ces derniers ont des taux d’intérêts bas voir nuls, ce qui n’est pas le cas des obligations. Elles contribuent ainsi à l’endettement des pays africains : alors qu’il y a une dizaine d’années, les émissions d’obligations des États africains représentaient 1% de la dette extérieure des pays en développement, elles sont passées aujourd’hui à 4%.

  1. Les ressources internes

Le développement d’un système fiscal efficace parait de loin plus avantageux, car permettant à l’État de rester autonome et de mobiliser sa population. Le potentiel parait énorme, notamment avec la possibilité de taxer le secteur informel. Pourtant les réformes du système administratif devraient être profondes, avec notamment un besoin de décentralisation de l’administration pour assurer une collecte dans toutes les zones des pays. Les nouvelles technologies peuvent ici jouer un rôle efficace dans cette collecte, avec le potentiel de systèmes comme les paiements mobiles ou la plateforme eZwick au Ghana qui permet à ses utilisateurs d’atteindre des instruments financiers peu importe leur situation géographique. 

Cependant, la mise en place d’une fiscalité efficace nécessitera des réformes plus profondes des systèmes en place. Parmi celles-ci, l’allocation d’une part plus importante des ressources collectées aux des dépenses productives, plutôt que pour couvrir les dépenses de fonctionnement, qui représentent aujourd’hui 85% des ressources internes collectées. Enfin, pour qu’un tel système fiscal fonctionne, la confiance de la population dans le système et une gestion transparente des fonds seront des prérequis, ainsi qu’une société civile engagée et vigilante par rapport à l’utilisation des fonds. Cette évolution ne pourra se faire qu’avec des États prêts à dialoguer davantage avec leurs populations, et des populations plus regardantes sur le modèle de gouvernance de leurs États.

 

MC 

 

Politique budgétaire : le grand orphelin de la politique économique en Afrique ?

iLa  résolution  des problèmes économiques en Afrique subsaharienne a très souvent mis en avant  les questions  de  politique monétaire. C’est le cas par exemple de la question de l'ancrage du franc CFA à l'euro. On semble oublier que la politique monétaire n’est qu’un pan de la politique  économique et que bien avant de se lancer dans des résolutions plus complexes avec des causes et des impacts à la fois endogènes et exogènes, peut-être qu'il faudrait mieux se recentrer sur des problématiques internes qui relèvent de l’action de l’Etat. Cet article tente de présenter plus simplement la politique budgétaire dans son rôle historique, son utilisation actuelle par certains états africains et d’identifier les solutions potentielles afin de permettre à cet outil d’impacter davantage les conditions de vie des populations.

L’usage de la politique budgétaire comme instrument de  la politique économique date de  près d’un siècle (1939) et demeure  aujourd’hui encore un sujet phare de l’actualité économique. Avant toute chose, il convient de rappeler que la politique économique repose sur  3 axes : la politique monétaire,  la politique budgétaire et la politique de change. La politique budgétaire constitue l’arbitrage des Etats entre les recettes fiscales et les dépenses publiques. Son rôle (Keynésien) de levier pour la relance économique a toujours davantage servi les économies matures qui font face aux problématiques du cycle, que les économies des pays africains qui cherchent à amorcer leur phase de décollage socio-économique. Dans ce contexte, à quoi peut bien servir la politique budgétaire dans les pays en voie de développement, comme ceux d’Afrique subsaharienne ? Et quelle orientation ces pays devraient-ils lui donner ?

La politique budgétaire s’appuie sur un ensemble d’outils que sont les dépenses publiques, l’endettement et les prélèvements obligatoires. Au travers de la dépense publique, les Etats peuvent relancer l’activité économique au moyen des commandes passées auprès des entreprises pour la construction d'infrastructures, créant ainsi des emplois et des opportunités de marché pour d’autres secteurs. Pour effectuer ces dépenses, l'Etat dispose de deux moyens que sont les recettes fiscales et l’endettement public. Le premier met en avant le taux d’imposition qui doit être appliqué aux différents agents économiques et le second, quant à lui, s’appuie sur la capacité à mobiliser l’épargne privée pour soutenir les projets de l’Etat. Cependant, leur utilisation est sujette à caution. Une forte fiscalité peut être dissuasive pour les investisseurs alors qu’un niveau d’endettement non contrôlé constitue une source de pression sur l’économie, surtout si la croissance n’évolue pas à un rythme plus rapide et soutenu que la dette.

Afin que le continent continue de s’afficher comme l’une des zones économiques les plus dynamiques du monde, il est nécessaire que les pays se dotent d’une politique budgétaire plus efficace qui permettrait un développement plus inclusif, en diversifiant davantage les revenus des Etats. Cette situation met les pays en face d’un important dilemme en matière de politique budgétaire : opter pour le modèle basé sur une stratégie d’endettement bien contrôlée et qui ne devrait pas constituer un risque à terme pour l’économie, ou un développement sans endettement basé sur une pleine utilisation de leurs richesses (ressources naturelles, démographie, investissements), la bonne gouvernance et une stratégie de fiscalisation optimale qui ne pénalise pas le développement du secteur privé.

Pour la première option, il faut se référer au modèle occidental. Dans cette configuration, la dette publique constitue un outil de politique budgétaire important. A titre d’exemple, la dette publique du Japon se situait à 243, 2% de PIB en 2013,  celle des Etats-Unis à plus de 110 % et celle de la France atteint plus de 94% de PIB, sans pour autant remettre en cause la pérennité de leur modèle économique. Pour ces pays, c’est un choix assumé de laisser filer la dette afin de relancer la demande et de soutenir la croissance. D’ailleurs en termes de structure, cette dette est notamment constituée de ressources domestiques ou régionales. Aujourd’hui, de nombreuses économies africaines s’inscrivent dans la même logique, se permettant de laisser creuser leur déficit budgétaire (c’est-à-dire leur niveau de dette publique). C’est le cas de l’Égypte dont la dette publique se situait à 90,5% de pib en 2013, du Ghana (67,6%), du Kenya (48,6%) ou encore de l’Angola (38%), sans pour autant qu’on y observe les mêmes effets que ceux observés dans les pays occidentaux mentionnés plus haut. De plus, une bonne partie des créanciers sont des agents extérieurs à l’économie du continent. Seul le Nigeria fait exception, avec son niveau de dette estimé à 10%. Une donnée qui peut traduire une sous-utilisation des facteurs de production ou refléter l'abondance des ressources naturelles. La dette publique, à bien des égards, peut donc être un moyen d’accélérer la croissance dans les pays africains, si elle est utilisée à bon escient. 

La seconde serait une utilisation optimale des richesses couplée à une politique fiscale plus efficace. Or la politique budgétaire actuelle dans de nombreux pays africains est caractérisée par un niveau de prélèvement obligatoire très bas. En moyenne, le taux de pression fiscale se situe entre 15-20%, contrairement au pays plus développés où la pression fiscale atteint parfois près de 35 % (OCDE). Si la faiblesse de la fiscalité apparaît comme un facteur incitatif pour le développement du secteur privé ; la réalité est qu’elle n’a pas favorisé l’émergence du secteur secondaire.  Le secteur privé reste encore atrophié et dominé par les implantations de filiales d’entreprises étrangères.  L’absence d’infrastructures pourrait expliquer cette situation. Or seules les dépenses publiques pourraient financer ces infrastructures. Il faut dire, à ce niveau, qu’il s’agit certainement d’un problème d'allocations des ressources économiques.

Le processus budgétaire dans les pays africains est souvent très bien élaboré mais la mise en œuvre des plans fait défaut ainsi que les moyens de contrôle. La dépense publique jusqu’à présent a été pensée comme une dépense pour financer le train de vie de l’État, et non pour financer la construction d'infrastructures telles que les routes, les hôpitaux et centres de santé, ainsi que le matériel de production. Cela se vérifie tout simplement quand on observe le décalage entre la qualité des parcs automobiles dans les ministères et organismes publics et la vétusté ou la quasi absence d’infrastructures. Il faut aussi noter que le partage du rôle entre secteur privé et public a permis de dessaisir la politique budgétaire de son rôle principal. L’entreprise étant au cœur de la création d’emplois, l’État peut parfois se substituer à ce dernier lorsqu’il juge que la question est cruciale pour la vie de la nation. Dans le cas des économies africaines, le niveau de l’entrepreneuriat privé étant encore relativement faible, les Etats l’intègre dans leur champ d’intervention.  Pour résorber la question du chômage, certains Etats créent des emplois au sein de l’administration, ce qui absorbe une part importante des ressources disponibles, ne laissant ainsi qu’une infime partie pour le financement de l’investissement public. Dans plusieurs pays africains, l’Etat fonctionne donc comme une entité qui a son budget et qui n’a aucune influence sur l’activité économique réelle. Dans ce contexte, le recours à la dette pourrait constituer un goulot d’étranglement, rendant la politique économique inefficace.

Il est aujourd’hui nécessaire pour les états africains de repenser l’utilisation de l’arme budgétaire. Il devrait être considéré comme un outil stratégique d'appui au développement. A cet effet, il est nécessaire de trouver le bon ajustement entre recettes fiscales, les autres moyens de financement disponibles (dette) et organisation des dépenses publiques. Redonner une place de choix à la politique budgétaire passera par une meilleure politique fiscale et une rationalisation des dépenses. Il faudrait, en outre, renforcer les marchés financiers locaux et orienter les emprunts publics vers ce marché tout en évitant de créer un effet d’éviction au détriment du secteur privé. La dépense publique devra être rationnalisée avec une domination des investissements publics afin de créer les conditions favorables au développement des activités porteuses de développement, notamment dans le secteur secondaire et primaire.

Christian Nkana

L’Afrique peut-elle s’endetter davantage ?

185075466Un article précédent portant sur l’intérêt de la dette pour une économie, discutait des conditions pouvant permettre à la dette de contribuer effectivement à asseoir le développement. Alors que l’Afrique affiche depuis une décennie les taux de croissance des plus forts du monde, le Fonds Monétaire International impose des conditions en ce qui concerne l’endettement à la plupart des pays africains, espérant que cela réduise le poids du service de la dette sur les finances publiques tout en consolidant la crédibilité des pays africains auprès de leurs créanciers, dans un contexte où les besoins des pays africains, notamment en infrastructures, sont considérables. Cette situation est d’autant plus dommageable que les appels répétés au secteur privé restent sans réponses.

Beaucoup considère que les pays d’Afrique ne sont pas trop endettés. Quand l’on considère que l’Afrique du Sud, le pays le plus endetté de l’Afrique, avec ces 46 Mds USD de dette à fin 2012 est bien loin de ses alter ego des BRICS, cette affirmation peut se justifier. En effet, la dette des autres membres des BRICS se chiffre en centaine de milliards de dollar : l’Inde, qui a le niveau de dette le plus faible dans ce sous-groupe, en était à 290 Mds USD à fin 2012. Il est dit qu’on ne prête qu’aux riches mais l’Afrique du Sud, pourtant riche en sous-sol et ayant rejoint le cercle fermé des économies les plus puissantes du monde, peine encore à lever sur les marchés financiers internationaux les capitaux nécessaires pour le financement de son processus de développement.

La plupart des pays africains ont bénéficié dans les années 2000 de l’Initiative pour les pays pauvres très endettés (IPPTE), qui a été lancé afin d’éviter que le service de la dette ne soit pas un goulot d’étranglement pour la croissance. On pourra toujours se poser la question sur la pertinence de cette initiative, mais une chose est évidente, c’est que là où les pays d’Asie ont sû utiliser la dette pour asseoir leur émergence au travers de discipline budgétaire tout en suivant les conseils des institutions de Breton Woods ; en Afrique, la corruption, les détournements, la gabegie financière et les troubles socio-politiques ont complètement sapé le rôle que pouvaient avoir cet afflux de capitaux. Cette initiative, qui se matérialise par un effacement de l’ardoise de dettes, constitue un nouveau départ pour les pays africains en ce qui concerne le recours aux marchés financiers. Si des conditions, émanant essentiellement du FMI, persistent en ce qui concerne la dette c’est bien parce que des craintes subsistent quant à la capacité des pays africains à bien gérer les deniers publics mais aussi et surtout d’éviter qu’elle ne devienne une contrainte à la croissance. Rien que dans le cadre de l’initiative PPTE, des suspensions sont intervenus du fait de suspicion de détournements de fonds. C’est dire combien les problèmes de gouvernance ont fait de l’endettement un outil plutôt dangereux pour l’Afrique.

Aujourd’hui, les conditions deviennent plutôt favorables mais pourraient ne pas suffire pour amener l’Afrique à s’endetter davantage. En effet, la dette s’entretient par le remboursement du capital et des intérêts. Cela suppose que l’Etat puisse prélever suffisamment auprès des contribuables afin de tenir ses engagements financiers. Ainsi, emprunter devrait s’effectuer dans des conditions de forte croissance ; ce dont l’Afrique peut se prévaloir depuis la décennie passée. Or en Afrique, cette croissance est fortement tirée par un effort d’investissement public – et donc, non rentable – et l’investissement privé dans les ressources minières. Par ailleurs, l’instrument fiscal est assez faible dans la plupart des pays africains, réduisant ainsi les revenus de l’Etat. Et c’est justement l’anticipation de ces revenus futurs qui déterminent la capacité d’un pays à s’endetter. Cette situation serait donc à l’origine de l’incapacité des pays africains à contracter massivement des prêts : la dette en fin 2012 pour la plupart des pays d’Afrique se situait encore sous la barre des 10 mds USD, seulement quelques pays chiffrent leur dette en plusieurs dizaines de Mds USD.

Somme toute, l’Afrique a un potentiel sur le plan financier, qui est encore inexploité du fait de la faiblesse de son économie, qui pourtant paraît fort (au regard des taux de croissance enregistrés)  du fait du soutien d’investisseurs étrangers. Si la gouvernance s’améliore à la mesure des efforts des pays à assainir l’environnement des affaires, le défi actuel pour le continent, serait de rééquilibrer les comptes afin de disposer des revenus futurs capables de couvrir cette charge tout en améliorant la performance des outils financiers des Etats, notamment la fiscalité.

Mais tout ceci ne serait favorable en réalité que si la richesse se créé sur la base de facteurs internes. Ainsi, tant que les performances économiques de l’Afrique seront en lien avec la richesse de son sous-sol mis en valeur par des capitaux étrangers, elle ne pourra user de la dette pour asseoir son émergence. Rendre la croissance inclusive par le développement d’un secondaire fort capable de répondre à la demande intérieure et le développement d’un système fiscal adossé à un mécanisme de collecte des impôts efficace seraient un préalable pour que la dette  puisse contribuer, sans contraintes, au développement du continent. A défaut, elle obérera toutes perspectives de croissance à termes, en devenant un poids pour les finances publiques, décrédibilisant et rendant ridicules les efforts des pays en matière de finances publiques. En fait, l’Afrique peut s’endetter davantage mais les conditions ne sont pas encore remplies pour qu'elle le fasse.

 Foly Ananou


[1] La croissance n’est de toute façon qu’un chiffre, la réalité derrière étant autres choses.

 

 

La dette handicape-t-elle réellement l’économie ?

185075466Dans des articles récents, Georges suggérait que le développement d’un pays n’est pas qu'une simple question de financements mais nécessite aussi des institutions fortes. C’est donc la conjonction de ces deux facteurs qui pourraient assurer le développement durable d’un pays. Si la force des institutions peut découler d’une simple volonté politique, accompagnée de réformes ; la disponibilité de ressources financières suffisantes n’est pas aussi simple. Pour les pays disposant de ressources naturelles (pétrole, gaz, or, etc.), le problème ne se pose pas réellement ; il est relativement plus considérable au niveau des pays avec des ressources naturelles limitées. Certes un article a indiqué que nonobstant cette dotation, un pays peut enregistrer des taux de croissance considérables ; mais insuffisantes pour assurer le décollage économique.

Dans le contexte africain, la fiscalité semble être un outil limité pour lever des ressources financières, du fait de l’importance de l’informel mais aussi du fait de la faiblesse des institutions sa gestion. Ainsi l’outil le plus utilisé pour le financement des investissements publics en Afrique est l’emprunt : auprès de partenaires bilatérales ou multilatérales ou à travers les émissions de titres. Il fait cependant l'objet de certaines critiques, surtout de la part du FMI en charge de la surveillance des économies. Il faut rappeler que c’est le surendettement qui a occasionné les programmes d’ajustement structurels des années 90, dont les impacts restent encore mitigés. D’ailleurs la crainte de retomber dans cette situation oblige les pays à être prudent quant à son utilisation. Le FMI exige, pour ces pays, le recourt à des prêts concessionnels[1] pour maintenir le cadre de soutenabilité de la dette. Ce critère limite les montants que les pays africains peuvent mobiliser sur les marchés financiers, obérant ainsi la portée des investissements publics. Cette situation amène à s’interroger sur l’impact de la dette[2] sur les performances économiques et sur la capacité des pays africains à s’endetter au delà du cadre actuel imposé par le FMI.

Le financement sous forme d’emprunt est le moyen le plus rapide pour un pays de disposer des capitaux nécessaires pour financer ces plans d’investissement ou couvrir les besoins ponctuels de trésorerie[3]. Ce moyen de financement a suscité des débats macroéconomiques quant à son impact sur la performance économique d’un pays. Certains économistes estiment que l’endettement est nécessaire pour la relance économique, notamment dans les pays en voie de développement. Selon les travaux de Rina et al. (2004), l’endettement n’est favorable à la croissance économique que s’il finance des investissements rentables. L’instrument fiscal, outil financier d’un Etat, est considéré comme un frein à l’activité. En effet, pour financer ses plans d’investissement, l’Etat peut être tenté d’augmenter l’impôt afin de mobiliser les capitaux. Ce faisant, la demande augmente certes mais avec les dépenses publiques, la demande privée se trouve être réduite. Cela suppose par ailleurs que l’économie est capable de répondre à cette nouvelle demande. Alors qu’avec la dette, l’Etat finance l’activité tout en préservant le pouvoir d’achat du privé. Ainsi l’endettement qui peut être considéré comme l’injection de capitaux supplémentaires dans une économie, permet de soutenir la dynamique économique.

Cependant, à un certain niveau, la dette devient nuisible. De fait lorsqu’un pays est en pleine phase de décollage, la dette permet de soutenir cette dynamique car le rendement du capital est assez fort durant cette période et chaque nouvel investissement est rentable ; mais à partir d’un certain seuil, tout nouvel investissement n’est plus rentable. Emprunter dans ces conditions devient néfaste à l’économie. De fait les gains des investissements permettent de rembourser les emprunts. Quand ces gains deviennent limités, l’Etat devra mobiliser des ressources supplémentaires pour assurer le remboursement de ces prêts. Krugman (1988) et Sachs (1989) considèrent donc que la dette ne devrait pas excéder les ressources internes d’un pays, afin d’éviter que le pays ne tombent dans une situation de défaut, qui se traduirait par son incapacité à rembourser les emprunts passés et dissuaderait les investisseurs potentiels.

L’endettement peut aussi provoquer la fuite des capitaux privés. En effet, l’endettement se traduit par une aggravation du déficit budgétaire, du fait que ces emprunts financent essentiellement les dépenses en capital. Quand le tissu industriel est aussi atrophié que celui des pays africains pour absorber cette demande publique, les importations évoluent à la hausse en lien avec les entrées de biens d’équipement et en machines, provoquant ainsi un déficit de la balance courante. Ces déséquilibres font craindre au secteur privé une dévaluation ou la hausse des impôts pour assurer le service de la dette. Celui-ci devient alors réticent à financer des projets, aussi porteurs soient-ils.

La nécessité de disposer de ressources financières suffisantes pour assurer le décollage économique ne peut se passer de mécanismes d’endettement, plus particulièrement dans le contexte économique mondial actuel marqué par des crises et rendant presqu’indisponible les ressources en dons pour les pays en voie de développement, comme ceux de l’Afrique subsaharienne. Cependant, au-delà de toutes les considérations théoriques sur la question, ces mécanismes ne sont profitables que si les revenus futurs peuvent permettre de couvrir les engagements pris. Au regard de la dynamique actuel du continent et des contraintes imposées par le FMI quant au niveau tolérable d’endettement, on pourrait être tenté de penser que l’Afrique est sous endetté. Qu’en est-il réellement, dans un contexte où les investissements réalisés à partir d’emprunts concernent notamment des projets d’infrastructures que des projets rentables ? Un prochain article tentera d’analyser la situation de la dette en Afrique, tout en essayant de déterminer si le continent dispose d’une marge pour prendre de nouveaux engagements financiers. 

Foly Ananou


[1] Prêts incluant au moins 35% de dons.

[2] Il s’agit de la dette publique, qui représente l’ensemble des créances dus par l’administration centrale et les collectivités locales

 

 

[3] Il s’agit notamment des emprunts à moins d’un an.