Les bénéfices de la lutte contre la corruption dans un pays : exemple du Sénégal

Par Moussa Sylla, auteur du livre « La conformité bancaire au Sénégal et dans la zone UMOA » moussisylla@gmail.com

Il y a quelques jours, la France a promis de restituer 150 millions de dollars US[1] détournés par Sani Abacha, l’ancien Président du Nigeria entre 1993 et 1998, de son pays. En dix ans, entre 2006 et 2016, la Suisse avait rendu au Nigeria près de 723 millions de dollars US volés à son pays par la même personne.[2]

Au total, Sani Abacha et ses proches ont été accusés d’avoir pris illicitement plus de 4 milliards de dollars US des caisses de l’État nigérian et tenté de les blanchir dans les banques occidentales. Imaginons, avec 4 milliards de dollars, tout ce qu’un État aurait pu réaliser, combien d’hôpitaux, de routes et d’écoles de qualité il aurait pu construire.

La corruption est un fléau qui nuit au développement d’un pays[3]. Elle entraîne la surfacturation des marchés publics, amenuise les ressources fiscales, pervertit les valeurs d’une société qui se trouve gangrénée par l’argent facile et l’illusion que la réussite ne dépend pas d’un travail acharné. Elle crée une instabilité politique dans un État et provoque une difficulté à attirer les investisseurs étrangers, car ces derniers sont plus enclins à investir dans un pays qui lutte plus fermement contre la corruption.

Le 9 décembre 2003 a été signée la Convention des Nations unies contre la corruption, que le Sénégal a ratifiée en 2005 à travers la loi no 2005/11 du 3 août 2005. La date du 9 décembre marque la Journée internationale de lutte contre la corruption.

Combattre la corruption est une nécessité aujourd’hui. Si le concept de personne politiquement exposée (PPE)[4] a vu le jour, c’est dû à l’affaire Sani Abacha. Dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, la corruption fait partie des infractions sous-jacentes à ces deux menaces. Lutter contre la corruption contribuera à endiguer ces deux fléaux. Pour cela, John A. Cassara écrit dans son livre Money laundering and illicit financial flows : « Et la corruption, sous ses diverses et nombreuses formes, est le grand facilitateur du blanchiment de capitaux. »[5]

Les conséquences de la corruption ne sont pas que monétaires, elles sont aussi sociales. Le civisme fiscal en est tributaire. Dans un pays où les citoyens savent que leurs impôts seront judicieusement utilisés, que les détournements de deniers publics ne resteront pas impunis, les populations seront plus enclines à s’acquitter de leurs devoirs fiscaux. Dans le cas contraire, elles trouveront des moyens de ne pas payer leurs impôts, car estimant qu’ils seront détournés par quelques personnes, en toute impunité.

Il urge aujourd’hui que le Sénégal lutte plus fermement contre la corruption. Son Code pénal contient des dispositions relatives à la lutte contre la corruption, il a institué un organisme chargé de lutter contre la corruption (l’OFNAC), il impose à certaines personnes élues ou nommées à certaines fonctions d’effectuer une déclaration de patrimoine, enfin, il a ratifié la Convention des Nations unies et le Protocole de la CEDEAO sur la lutte contre la corruption.

Un corpus réglementaire destiné à lutter contre la corruption a été mis en place au Sénégal, ce qui est un pas important pour la vaincre. Toutefois, des réglementations anticorruption, aussi rigoureuses soient-elles, ne seront d’aucune utilité si elles ne sont pas appliquées. L’impunité s’avère le principal engrais qui favorise une culture propice à la corruption. Par ailleurs, l’équité est une nécessité pour l’efficacité dans ce combat. Si les populations perçoivent que telle personne est poursuivie pour des faits d’enrichissement illicite, parce qu’elle a un différend avec le pouvoir en place, et que pour les mêmes faits, telle autre personne ne l’est pas, parce qu’elle fait partie du pouvoir, elles ne soutiendront pas la lutte contre la corruption.

Le Sénégal doit également élaborer une réglementation qui impose aux entreprises, privées comme publiques, de mettre en place un dispositif de lutte contre la corruption et surtout de l’appliquer. Ce dispositif doit comprendre :

  • un code de conduite qui interdit expressément tout fait de corruption ;
  • la cartographie des risques pour l’application d’une approche basée sur les risques ;
  • la formation et la sensibilisation continues des collaborateurs de l’entreprise sur la lutte contre la corruption ;
  • l’élaboration de procédures anticorruption sur les appels d’offres, la mise en concurrence lors des recrutements, la politique cadeaux… ;
  • le soutien du top management qui doit montrer, à travers ses mots et ses actes, que la lutte contre la corruption est importante pour lui ;
  • l’interdiction de payer ou de recevoir des pots-de-vin pour obtenir ou octroyer un contrat ;
  • des livres comptables transparents et fiables ;
  • la gestion des conflits d’intérêts ;
  • la protection des lanceurs d’alerte qui signalent des faits de corruption ;
  • l’audit périodique du dispositif pour permettre son amélioration continue.

Nous avons évoqué plus haut les sommes importantes détournées par Sani Abacha. Ce dernier les avait transférées dans les banques occidentales. Ces flux financiers illicites ont entraîné d’énormes pertes en devises pour son pays. Les personnes qui détournent des deniers publics et les transfèrent dans les pays occidentaux drainent les devises dont un Etat a besoin pour payer ses importations. Prenons le cas du Sénégal. Sa balance commerciale est déficitaire[6] ; il importe, en grande partie, de pays qu’il doit payer en devises telles que l’euro et le dollar. Les flux illicites qui quittent le Sénégal entraîneront des difficultés à régler ses importations.

Toutefois, la lutte contre la corruption n’est pas un combat perdu d’avance. Tout pays peut l’éradiquer ou du moins fortement atténuer ses effets. Cela exige une forte volonté étatique, avec la mise en place d’un dispositif anticorruption et son application rigoureuse et impartiale. Parmi les moyens d’y parvenir :

  • voter une loi anticorruption et s’assurer de son application ;
  • traquer tout enrichissement illicite, et si la personne présumée coupable ne peut justifier son enrichissement, confisquer les fonds et les réinjecter dans les caisses étatiques,
  • doter les organismes de lutte contre la corruption de plus de ressources et d’autonomie pour qu’ils jouent efficacement leur rôle, avec équité et impartialité.

David de Ferranti, Justin Jacinto, Anthony J. Ody, Graeme Ramshaw, dans leur livre Pour une meilleure gouvernance, écrivent sur la non-fatalité de l’échec dans la lutte contre la corruption :

       « L’explication [du succès dans la lutte contre la corruption] tient, bien sûr, au simple fait que les sociétés qui se sont montrées capables de limiter la corruption disposaient pratiquement toutes d’un système efficace d’investigation – une institution judiciaire puissante et indépendante en capacité de faire appliquer les lois, des journalistes d’investigation habiles et compétents et des médias indépendants, des fonctionnaires hautement qualifiés, des organismes de contrôle disposant de moyens techniques et financiers adéquats. »[7]

Les quatre auteurs du livre ont résumé magistralement comment le Sénégal devrait s’y prendre pour lutter efficacement contre la corruption. Il en a tout intérêt : ainsi, il pourra offrir de meilleurs services publics à sa population et à un meilleur prix, il améliorera le civisme fiscal de sa population, augmentant ainsi ses recettes fiscales, et pourra mieux attirer les investisseurs étrangers, car ces derniers seront plus enclins à investir dans un pays où la corruption est strictement combattue, comme nous l’avons vu plus haut.

Pour cela, une lutte rigoureuse contre la corruption est une nécessité au Sénégal aujourd’hui. Cela ne doit pas juste être des mots, mais surtout des actions continuelles.


[1] Chiamaka Okafor, « France to return $150 million Abacha loot to Nigeria », 3 novembre 2023.

[2] Bassey Udo, « Abacha loot: Switzerland returns $723 million to Nigeria in 10 years », 15 mars 2016. https://www.premiumtimesng.com/news/headlines/200192-abacha-loot-switzerland-returns-723-million-nigeria-10-years.html?tztc=1

[3] Terence Ho, « Avoiding the ‘resource curse’ is the key to Singapore’s sustained growth », 12 novembre 2023:

https://lkyspp.nus.edu.sg/gia/article/avoiding-the-resource-curse-is-the-key-to-singapore-s-sustained-growth :

“The truth is that it is hard for economic growth to take off in countries that are beset with conflict or corruption”

[4] Une PPE est une personne qui s’est vu confier une fonction politique importante au sein d’un État ou d’une organisation internationale. Les proches et les associés des PPE sont aussi des PPE.

[5] John A. Cassara (2021), Money laundering and illicit financial flows, page 302 : “And corruption, in its many and varied forms, is the great facilator in money laundering.

[6] Selon les données provisoires de l’ANSD pour 2022, la balance commerciale s’est fortement dégradée, passant à -3986 Mds FCFA (-6,1 Mds EUR) en 2022 :

https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/SN/situation-economique-et-financiere-du-senegal

[7] David de Ferranti, Justin Jacinto, Anthony J. Ody, Graeme Ramshaw (2014), Pour une meilleure gouvernance, Nouveaux Horizons, page 71.

Autopsie de la vague des coups d’État en Afrique francophone (2020-2023)

La vague de coups d’État militaires qui a frappé le continent africain ces trois dernières années interpelle et requiert une exégèse. Le Mali a ouvert le bal en août 2020 puis mai 2021 suivi par le Tchad (avril 2021), la Guinée (septembre 2021), le Soudan (octobre 2021), le Burkina Faso (janvier et septembre 2022), le Niger (juillet 2023) et le Gabon (août 2023). En dépit de leurs similarités, ces prises de pouvoir par la coercition ont des divergences. Une typologie sera effectuée afin d’apprécier leurs propriétés spécifiques. L’analyse se focalisera sur les coups d’État au Sahel occidental et au Gabon. Leurs principaux déterminants seront mis en exergue et des recommandations seront formulées afin de tenter de les endiguer.

Coup d’Étatisme et Etatisme du coup en Afrique : entrée ou sortie de la démocratie ?

Par Thierry AMOUGOU, économiste, Professeur à l’Université catholique de Louvain (UCL), dernier ouvrage publié: Pandémisme ou les tremblements de l’anthropocène. Esquisse d’une société pandémique moderne, 2022, Louvain-la-Neuve, Academia.

L’Afrique connaît ces derniers temps une cascade de coups d’Etat que la communauté internationale analyse plutôt négativement. Ce texte s’attèle à soutenir une lecture positive du coup d’Etat à l’aune des problèmes concrets du continent africain en montrant que les derniers coups de force qui ont eu lieu en Afrique s’apparentent à des révolutions populaires et que cela les différencie de l’Etatisme du coup contre lequel sont en lutte les peuples africains. Nous cherchons à débusquer les mouvements de fond intra-africains et internationaux qui expliquent la conjoncture politique africaine du moment et militent pour une non-condamnation systématique de l’usage de la crédibilité des armes pour prendre le pouvoir d’Etat.

  1. Coup d’Etatisme

Deng Xiaoping peut être considéré comme le père de l’hyperpuissance capitaliste actuelle qu’est la Chine. Il en est le père-fondateur via un coup d’Etat idéologique sur le parti communiste chinois qui, avec lui, et contrairement à Mao Tsé-toung, devint un parti promoteur d’une économie capitaliste en lieu et place d’une économie communiste. Ce changement idéologico-pratique opérationnalisé en s’accaparant de l’appareil dirigeant central chinois est analogue à ce que fit Thomas Sankara au Burkina Faso pour instaurer ce qu’il appela le « pays des hommes intègres » en contradiction avec la Haute-Volta au service, d’après lui, des intérêts de la domination étrangère et du néo-colonialisme. L’officier Jerry Rawlings installa le Ghana sur la route de la démocratie et de la bonne gouvernance après un putsch en 1979. Dans le cas de la France, la banque de France, le Franc, l’architecture administrative de base du pays, le Code civil et la légion d’honneur encore d’usage aujourd’hui sont des créations du général Napoléon Bonaparte suite à sa prise de pouvoir par coup d’Etat sur le régime issu de la révolution de 1789. Ces quelques exemples historiques parmi des centaines d’autres prouvent que le coup d’Etat peut avoir une valeur politique positive dans l’histoire politique du monde. Aussi, comme le stipule la suffixation[1] en –isme des noms de discours, nous pouvons valoriser la base coup d’Etat par sa modalisation positive et nominale coup d’Etatisme concevable comme l’omniprésence heureuse du coup d’Etat dans l’histoire politique mondiale et dans certaines conjonctures de cette histoire politique. Celle que vit actuellement l’Afrique en fait partie. Le coup d’Étatisme est donc une modalité idéologique et pratique d’organisation du pouvoir politique et de la transition de celui-ci vers une autre forme jugée meilleure via le coup d’Etat au sens d’instrument de prise de pouvoir et d’articulation temporaire du champ politique dans l’histoire longue des sociétés vers des régimes politiques que les auteurs du coup d’Etat pensent non seulement plus libres et plus justes, mais aussi plus productives et impossibles à atteindre sans au préalable une mise en ordre des hommes et des choses dans le sens des conditions de possibilités de cette justice, de cette liberté et de cette efficacité.

Dès lors, un coup d’Etat est parfois un coup heureux au sens de stratégie dans un jeu politique à plusieurs coups et à plusieurs acteurs. C’est un coup d’avance et de désaxement d’une dynamique politique en place au profit d’une autre via l’introduction d’un nouvel axe organisateur du pouvoir exécutif.

C’est une prise de responsabilité par l’entremise d’un moyen non constitutionnel mais objectif qu’est l’autorité et la force que l’Etat donne à une partie de l’Etat pour servir l’Etat et la société. Au sein de l’Afrique actuelle, une minorité numérique (au sein des armées) rencontre, via le coup d’Etat qu’elle orchestre, une majorité populaire sur le plan idéologique et des besoins politiques. Les sociétés africaines prennent donc désormais leurs politiques en main à travers le coup d’Etatisme. Que cela débouche sur des résultats positifs ou non dans les années à venir est moins important que cette maîtrise de leur réel qu’elles entament.

Dès lors, les gardes présidentielles africaines deviennent des « chiens de garde » des peuples et leurs caisses de résonnance en traduisant en action politique les rêves caressés et les désirs profonds des populations africaines réléguées à de simples statistiques par la démocratie libérale. C’est là où le coup d’Etat négatif, très souvent démographiquement minoritaire, se différencie du coup d’Etatisme et rejoint la révolution dans le cas de l’Afrique où les coups d’Etat rencontrent un soutien populaire.

Primo, ces coups d’Etat militaires sont applaudis par les populations africaines qui ne défendent en retour aucun régime déchu dit démocratiquement élu. Deuxio, les populations africaines contestent les troisièmes mandats mais ne contestent aucun des derniers coups d’Etat militaires dans leur continent. Tertio, les troisièmes mandats tuent plus que les coups d’Etat militaires. La preuve, la contestation liée au troisième mandat du président ivoirien Alassane Dramane Ouattara a tué plus de personnes en Afrique que les quatre derniers coup d’Etat en Guinée, au Mali, au Burkina Faso et au Niger.

Le constat est clair et sans bavures : d’un côté, les sociétés africaines accueillent favorablement les coups d’Etat militaires et, de l’autre, les conflits pré et postélectoraux liés aux troisièmes mandats sont, dorénavant, plus thanatologiques en Afrique que les coups d’Etat militaires. La question de savoir comment et pourquoi le coup d’Etat militaire redevient le modèle politique gagnant en Afrique est donc cruciale dans un continent engagé dans un processus démocratique depuis les années 1980. Ces coups d’Etat sont-ils la sortie de l’Afrique de la poursuite de l’idéal démocratique ? Sont-ce son entrée dans la barbarie politique ? Pourquoi, alors que les coups d’Etat sont très souvent des moments de terreur houspillés par les peuples, ceux qui se font en Afrique ces derniers temps, sont plutôt encensés par les peuples africains ? N’est-il pas un signe positif de liberté des peuples africains que les coups d’Etat qui y étaient majoritairement commandités et pilotés par les anciennes puissances coloniales s’y fassent dorénavant à partir des Africains eux-mêmes ?

  • Entrée dans la barbarie politique et sortie de la démocratie ?

Les récents coups d’Etat africains sont-ils le retour de la barbarie politique, c’est-à-dire d’une grossièreté politique propre aux peuples barbares qui montreraient ainsi qu’ils ne sont encore entrés dans le temps démocratique signe d’une civilisation moderne des mœurs politiques ? Sont-ils des preuves que les peuples africains manquent d’esthétique et de goût politiques tant en applaudissant les modes non-démocratiques d’accès au pouvoir qu’en célébrant l’avènement à la tête de leurs Etats d’hommes en treillis qui désertent les casernes et montrent ainsi que les armées africaines manquent cruellement de professionnalisme ? Sont-ce une démonstration d’une Afrique non encore convaincue de Winston Churchill suivant lequel la démocratie est un mauvais système mais le moins mauvais de tous les systèmes ?

Force est de constater que la barbarie politique a commencé en Afrique avec les puissances coloniales qui ont détruit les systèmes politiques africains pendant l’Etat colonial et ont parachevé cette œuvre lors des indépendances en 1960 par la liquidation du leadership nationaliste et panafricaniste du continent. Des figures comme Ruben Um Nyobè au Cameroun, Patrice Lumumba en RDC, Sylvanus Olympio au Togo, Louis Rwagasore au Burundi, pour ne citer qu’elles, ont été liquidées par ce premier épisode de barbarie politique faisant lui-même suite à la barbarie multi-centenaire du commerce triangulaire. La première vague de coups d’Etat en Afrique est donc constituée de ceux des anciennes puissances coloniales sous formes d’élimination physique et/ou d’éviction du pouvoir des leaders africains nationalistes et panafricanistes au profit des collabos locaux.

La deuxième vague de coups d’Etat (1960-1980) survient dans une Afrique postcoloniale. Elle est surtout causée par les balbutiements institutionnels d’Etats africains encore très fragiles car à peine sortis du système colonial proprement dit et tout de suite soumis aux affres du néocolonialisme et de la guerre froide. C’est ainsi que le président gabonais Léon Mba déposé par l’armée gabonaise en 1964 fut réinstallé sur son fauteuil présidentiel par le général de Gaulle suite à une intervention directe de l’armée française au Gabon alors que d’autres militaires comme Mobutu ou Eyadema se maintinrent au pouvoir grâce à la rente géopolitique de la guerre froide. Dans la mesure où le processus démocratique engagé en Afrique avec les ajustements structurels en 1980 se clôture de nos jours par une troisième vagues de coups d’Etat militaire, il semble indiqué de considérer que celle-ci, lorsqu’on prend en compte les processus sociétaux réels, essaie de sortir l’Afrique d’un processus démocratique devenue lui-même une nouvelle barbarie politique des temps modernes. Comment le processus démocratique est-il devenu une barbarie politique en Afrique ? Les lignes qui suivent s’attèlent à l’éclairer.

  • Etatisme du coup

Le coup d’Etatisme africain fait aussi du coup d’Etat une action politique positive en Afrique parce qu’il est en lutte contre l’Etatisme du coup en vigueur dans ce continent depuis la période coloniale. L’Etatisme du coup est une main basse, un délit, une mauvaise action sur les sociétés africaines. Il agit via plusieurs modalités interdépendantes (Etats occidentaux, Etats africains, institutions internationales, idéologies dominantes…) qui s’opérationnalisent toutes par le biais de la systématisation d’une intervention étatique qui, depuis l’Etat-colonial, a porté un mauvais coup à l’Afrique dans le sens d’un mouvement par lequel un corps politique (l’Etat colonial) vient à heurter un autre corps politique (la société africaine précoloniale) qui se retrouve désorganisée dans ses fondements dans tous les domaines.

L’Etatisme du coup s’est ensuite manifesté en Afrique postcoloniale, notamment francophone, par la Françafrique, réseau mafieux qui orchestra, après les indépendances, de nombreux coups d’Etat en passant par les Etats africains postcoloniaux. Il prit la forme du coup de main (aides et appuis divers) de l’Etat français au régime postcoloniaux en place, des coups de feux à travers l’armées française (cas du Gabon en 1964), des coups tordus (introduction de la fausse monnaie en Guinée Conakry par la France en 1958), des coups de force du mercenaire français Bob Denard via le renversement de plusieurs régimes africains de 1980 à 1995 et du coup de folie lors du soutient total de l’Etat français à l’Etat centrafricain pour le sacre de Jean-Bedel Bokassa comme empereur.

Depuis les programmes d’ajustements structurels l’Etatisme du coup a pris une dimension économique et idéologique dominé par le libéralisme autoritaire[2]. Il prend la forme du choc économique ou d’une thérapie de choc qui renvoie aux mesures impératives de libéralisation économique imposées aux Etats africains par les puissances occidentales et les instances financières internationales. Les Etats africains ont ainsi été sommés d’appliquer à leurs propres sociétés des mesures d’austérité et de libéralisme sans passer ni par un débat avec les instances internationales ni par une discussion avec leurs sociétés via les assemblées nationales comme cela fut le cas en Europe à travers le parlement européen lors de la crise de la dette souveraine faisant suite la crise des crédits hypothécaires. Les conséquences de l’application de cette thérapie de choc aux sociétés africaines par ce libéralisme autoritaire ont été désastreuses étant donné qu’il en a résulté une redistribution du pouvoir politico-économique en faveur des Africains déjà fortunés, un recul de l’action publique, une favorisation des conditions économiques des multinationales occidentales et une hausse de la pauvreté, des inégalités et de l’exclusion sociale. D’où un renforcement de l’Etatisme du coup électoral car c’est l’Etat africain qui fut chargé d’implémenter toutes ces réformes de libéralisation dont la démocratisation. Celle-ci, maîtrisée par les Etats africains structurés de façon néo- patrimoniale[3], a vu se renforcer leur capacité de contrôler les processus électoraux, de fabriquer des résultats aux profit des régimes en place et de faire usage d’une inflation de la réforme constitutionnelle au service des acteurs dominants historiques. C’est la sortie de tous ces aspects de l’Etatisme du coup que cherchent les coups d’Etat qui s’enchaînent ces derniers temps en Afrique.

  • L’Afrique fait un coup d’Etat à la démocratie en mode kit

Dans « L’esprit du capitalisme ultime »[4], un de nos ouvrages publié en 2018, nous comparions les démocraties africaines à un meuble IKEA. C’est-à-dire à un produit fini qu’on achète sans connaître son concepteur, l’origine du bois, les conditions de travail de ceux qui le fabrique et encore moins son processus de production et les chaînes de valeurs qui le structurent. Tout ce qui importe à l’acheter d’un tel mobilier est d’avoir avec lui le kit de montage afin qu’il le monte chez lui en jouisse des bienfaits. La démocratie africaine est semblable à un meuble IKEA en ce sens qu’imposée de et par l’Occident comme un produit politique fini de consommation, les Etats africains la reçoivent comme un kit à monter dont les principales pièces sont le multipartisme, des élections, des observateurs, une assemblée multipartiste, une commission électorale, une constitution démocratique et une société civile.

Cette démocratie africaine est donc moins le résultat d’une histoire des luttes politiques et sociales intra-africaines et entre l’Afrique et l’Occident qu’un produit fini de l’histoire des autres que l’Afrique doit juste consommer : C’est la démocratie en mode kit. Une démocratie qui méprise le réel des autres, ne prend pas en compte leur histoire et s’impose à eux comme volonté de l’Occident et des instances internationales à un moment donné de l’évolution du système-monde dont il a le contrôle et oriente la forme.

En conséquence, au lieu que la démocratie africaine soit le résultat politique de la recherche d’une réponse endogène aux problèmes concrets du continent, elle est devenue une réponse toute faite par d’autres à l’usage de l’Afrique dont on ne respecte ni les temporalités sociopolitiques et économiques, ni les problèmes concrets des populations. De là l’aboutissement à des démocraties désincarnées étant donné que le montage du kit démocratique dépend moins de sa capacité à répondre aux questions africaines concrètes qu’à signaler son alignement aux exigences de la communauté dite internationale. Une telle pensée participe non seulement de ce que Vico appelle la barbarie intellectuelle étant donné l’histoire sinueuse de la démocratie en Occident, mais aussi de la barbarie économique qui, à travers les programmes d’ajustements structurels, décapita les Etats africains tout en leur imposant une démocratie de marché. Qu’on aboutisse aujourd’hui à des peuples africains qui encensent des putschistes, ne défendent aucun régime dit démocratiquement élu, rêvent d’union africaine via des figures militaires et vomissent les troisièmes mandats, est tout à fait plausible et compréhensible.

L’explication est que cette forme de démocratie n’a amélioré aucun aspect de leur vie, a aggravé la pauvreté et les inégalités via le néolibéralisme, a orchestré l’affaiblissement de leurs Etats, et a entériné le règne sans partage des dictatures déjà en place depuis des décennies. Les peuples africains ne défendent pas une telle démocratie parce qu’elle n’a aucune légitimité ; et elle n’a aucune légitimité parce qu’elle ne résout aucun de leurs problèmes concrets de développement. Dans un environnement où le kit démocratique n’a aucun ancrage sociologique et culturel réel, un régime africain dit démocratique n’a aucun avantage comparatif politique par rapport à un régime militaire africain.

  • Les peuples africains refusent les dynasties au pouvoir et les troisièmes mandats

Les démocraties en mode kit sont fondamentalement procédurales au sens où elles pensent que la démocratie se limite au vote alors que le vote n’est qu’un mécanisme, un outil de choix qui vient sanctionner toute une évolution sociale, politique et structurelle des institutions politiques, économiques, sociales et spirituelles dans un contexte donné. Une telle approche de la démocratie aboutit depuis plusieurs années à un électoralisme maîtrisé par les Etats africains et ceux qui les dirigent étant donné que c’est le régime au pouvoir et l’appareil institutionnel sous sa domination qui mettent en scène le vote, le calendrier électoral, sa supervision, son effectuation, ses acteurs pertinents et la production des résultats officiels qui seuls font le président élu. Le cratos (le pouvoir) qui s’exprime en Afrique est donc moins celui du demos (le peuple) que celui de l’appareil étatique contrôlé par les dynasties et les clubs élitaires au pouvoir au Congo Brazzaville, au Togo, au Gabon, au Cameroun, au Tchad, en Guinée Equatoriale…

Résultats des courses, de 1980 à nos jours, aucun vote n’a pu évincer les familles africaines détentrices du pouvoir exécutif. Seul un coup d’Etat militaire à évincé Mubutu au Zaïre et c’est aussi un Coup d’Etat militaire qui vient d’évincer la famille Bongo au Gabon. Il en découle qu’une démocratie sans assises sociologiques et culturelles endogènes n’a nullement empêché la reproduction durable des familles régnantes et des club élitaires au pouvoir. Elle a été soit inapte à contrecarrer leurs malversations électorales pour garder le pouvoir, soit incapable d’endiguer la domination totale que ces familles et les clubs élitaires au pouvoir ont sur les sociétés politiques africaines grâce à leurs immenses fortunes accumulées depuis les années 1960. Qui plus est, les constitutions africaines qui auraient pu limiter le nombre de mandats au pouvoir en organisant institutionnellement l’alternance font l’objet de modifications pour les mettre au diapason du rêve démiurgique du pouvoir à vie. Le coups d’Etat militaire devient donc un moyen de sortir de la barbarie politique tant parce qu’il est le seul instrument capable de limiter le nombre de mandats au pouvoir des dictatures qui se veulent éternelles que parce qu’il met fin au troisième mandat et au mandat à vie qui ont pignon sur rue en Afrique. Là où la Constitution et le vote ne peuvent arrêter les troisièmes mandats et le pouvoir à vie, le coup d’Etat militaire le peut. Il devient ainsi paradoxalement plus crédible et plus légitime que la démocratie en mode kit.

Les populations africaines, sans être viscéralement favorables aux coups d’Etat militaires, ont compris qu’avec l’électoralisme les plus puissants au pouvoir depuis toujours le resteront et garderont le pouvoir par tricherie ou par domination totale des sociétés grâce à leurs capacités financières de redistribution des rôles à leur profit. Ainsi, même lorsqu’ils gagnent les élections sans tricher, les dynasties et les clubs élitaires au pouvoir depuis les indépendances dans les pays africains sont vécues comme une injustice majeure par les populations africaines. La démocratie en mode kit ne peut corriger une telle injustice si elle les maintient au pouvoir. C’est là une autre preuve de l’échec de l’approche de la démocratie comme du café instantané. Echec aussi du processus commencé avec les ajustements structurels, continué à la Baule et poursuivi avec la chute du Mur de Berlin. La grande présence et influence de l’international dans les changements politiques en Afrique depuis les années 1980 semble faiblir devant la revanche desdites sociétés qui, à travers leurs processus réels, font que les coups d’Etats en Afrique intéressent de plus en plus le monde mais le monde a de moins en moins d’influence sur eux. Ce mouvement militaire de prise de pouvoir peut donner un ancrage populaire et souverainiste aux démocraties africaines réelles si les transitions politiques et de régimes sont bien négociées. Il peut poser les bases d’une démocratie africaine incarnée.

  • Récusation d’une démocratie appauvrissante et incapacitante…

La démocratie libérale n’est pas en très bonne santé en Occident. Les populations européennes ne sont plus certaines que leurs enfants vivront mieux qu’elles dans des sociétés où les richesses privées augmentent plus rapidement que la richesse nationale qu’est la croissance économique[5]. Le renforcement de la place des institutions technocratiques comme la banque centrale européenne et la commission européenne sans être porteuses d’un mandat électif fait que les experts prennent le pouvoir au détriment des peuples européens qui se voient dicter un libéralisme non démocratique alors que lesdits peuples ne sont pas d’accord avec toutes les mesures libérales prises. Dynamique qui donne lieu à des formes de démocraties antilibérales (Hongrie, Italie, USA de Trump…) où de libéralismes antidémocratiques[6] (commission européenne, BCE…). Un mouvement social comme celui des Gilets Jaunes en France est une preuve que la démocratie libérale n’arrive plus à réduire la pauvreté et les inégalités dans ce pays alors que l’envahissement du Capitole par les partisans de Donald Trump suite à un scrutin contesté témoigne d’une démocratie libérale incapable d’endiguer la violence dans les sociétés occidentales. Le lien tant exalté entre libéralisme économique, démocratie et développement des sociétés est donc de plus en plus mis en mal par des évolutions contradictoires qui montrent que le capitalisme globalisé détruit les Etats, appauvri les sociétés et abîme les bases de la démocratie réelle. À ces difficultés s’ajoutent l’essor des fake news, de la post-vérité et des discours de haine suite aux innovations communicationnelles induites par les nouvelles technologies de l’information et de la communication.

L’Afrique, consommatrice en mode kit de cette démocratie libérale, est aussi face aux désillusions de son rôle prétendument positif sur son développement. C’est que la marchandise vendue à l’Afrique était frelatée de gros mensonges historiques. La démocratie n’a jamais été au début du développement des sociétés. L’Occident par exemple a construit l’Etat, le droit, l’économie et ses spiritualités en passant par cinq siècles de monarchie absolue sans aucune démocratie. Celle-ci est arrivée alors que toutes ces institutions étaient déjà en place. La Chine se développe de nos jours sans aucune démocratie mais avec un parti unique de nature communiste qui régente tout. Les exemples de développement qui nous viennent de l’Afrique ces derniers temps sont, entre autres, ceux du Rwanda et de Guinée Equatoriale dirigés par des dictatures militaires arrivées au pouvoir par coup d’Etat. Cela veut dire que la légitimité des pouvoirs dans des contextes africains en carence de développement est de nos jours supérieure et préférée à la légalité des pouvoirs. C’est-à-dire que les populations africaines préfèrent un régime dictatorial qui donne un accès à l’eau potable, à la santé, au travail, aux logements et à l’électricité à une régime démocratique incapable de fournir ces commodités essentielles et de base. Le moment semble être propice à l’ordre, au travail et à la production par tous et pour tous pour que la vie s’améliore de façon à ce que la démocratie soit d’abord celle de l’accès de tous au bien-être élémentaire et à ses attributs.

Un autre mensonge historique qui participe du processus démocratique africain a été d’assener aux populations africaines l’idée d’une linéarité du processus démocratique et d’une démocratie qui causerait le développement économique. Les deux sont fausses. D’un côté le processus démocratique n’a jamais été linéaire nulle part. Si nous prenons le cas de l’Afrique, des coups d’Etat ont joué un rôle majeur dans l’évolution démocratique du Bénin, du Ghana, du Nigéria et de bien d’autres pays africains de telle sorte qu’on peut parler de putschs démocratiques. D’autre part, les travaux scientifiques ne montrent pas une causalité univoque entre démocratie et développement économique[7]. Tous les pays se sont construits étant des dictatures et la démocratie a permis de mieux réaliser la justice et l’Etat de droit dans de nombreux domaines sans être la cause principale de la prospérité des sociétés. En d’autres termes, si les régimes militaires africains peuvent et veulent construire leurs pays et le continent, ils peuvent y arriver comme le firent les généraux en Corée du Sud aujourd’hui un pays parmi les leaders mondiaux des nouvelles technologies.

  • Le cas du Sahel : Un souverainisme en quête d’une vraie démocratie

Le coup d’Etatisme contre l’Etatisme du coup, du mauvais coup, dirions-nous, est aussi en marche dans le Sahel. Le mauvais coup ici est que ce ne sont pas des dictatures africaines qui sont responsables de ce qui se passe au Sahel mais les démocraties occidentales. Cinq chefs d’Etat africains dans un avion en direction de Tripoli pour négocier une solution pacifique et panafricaine à la crise libyenne ont été obligés de rebrousser chemin suite à la menace de l’OTAN d’abattre leur avion dans le cas contraire[8]. Ce sont donc deux démocraties occidentales (la France de Nicolas Sarkozy et les USA de Barack Obama notamement) qui ont détruit la Libye via des bombes dites à fragmentations démocratiques mais dont le résultat, aujourd’hui, sont d’avoir fait de la Libye un Far West dont les désordres structurels instabilisent et insécurisent le Sahel où les mêmes démocraties occidentales viennent désormais jouer aux pompiers pyromanes. La démocratie à coups de bombes a fait régresser la Libye d’un pays avec un niveau de vie envié par de nombreux pays africains à un pays où les factions islamistes et tribales se disputent le maillot jaune du plus violent des violents. Les rapports entre de nombreux pays du Nord dits démocratiques et les pays africains ne sont donc jamais démocratiques. Ils prennent le plus souvent la forme d’un étatisme du mauvais coup dont les modalités sont soit des conditionnalités pour accéder à l’aide au développement, soit des bombes censées apporter la démocratie, soit le capitalisme autoritaire via des réformes impératives de libéralisation[9].

En conséquence, les opérations Serval, Barkhane et Takouba se sont révélés être plus des stratégies géopolitiques de la France et de l’Europe au Sahel qu’une vraie coopération pour trouver des solutions durables aux problèmes du Sahel. Et pourtant, comprendre le Sahel pour lui-même et non de façon instrumentale pour les objectifs hégémoniques des autres, revient à le considérer à nouveau comme un territoire réel au-delà d’un simple point saillant de la carte du terrorisme en Afrique et dans le monde. C’est-à-dire qu’il faut prendre le Sahel comme un milieu de vie, un espace maîtrisé par des acteurs en conflits multiples dont les dynamiques ne sont pas seulement des marqueurs de violence, mais aussi des preuves d’une sociabilité et d’une vitalité politiques qui le caractérisent. Il s’agit de restituer l’historicité du Sahel. Celle-ci montre que ce que la communauté internationale connait et désigne aujourd’hui par Sahel est au cœur des constructions impériales les plus riches d’Afrique. L’empire du Ghana, l’empire du Mali, l’empire Songhaï, l’empire Ashanti, l’empire Oyo, l’empire Samori et l’émirat de Sokoto, constituent la mémoire spatiale, politique, sociologiques et environnementale d’une grande partie du Sahel actuel. Or, qui qui dit empires, dit constructions de grands ensembles territoriaux, politico-économiques et sociaux gouvernés de façon différenciés par des pouvoirs centraux hégémoniques. Il en découle que la dynamique historique de ce qu’on peut appeler le Sahel ancien a pour force motrice des rivalités et des conflits entre classes sociales au sein d’empires et entre les empires voulant se vassaliser les uns les autres. Frédéric Cooper, spécialiste internationalement reconnu de l’Afrique note que « l’Ashanti, un royaume situé à l’intérieur des terres, étendit son territoire au XVIIe et XVIIIe siècles en conquérant et en incorporant un large éventail de société de son voisinage […] Des routes commerciales reliaient ce royaume et la côte et, via le Sahel et le Sahara, à l’Afrique du Nord […]. Durant le XIXe siècle, les empires islamiques du Sahel occidental furent bâtis non seulement sur les réseaux transsahariens d’élites religieuses de commerçants et de pasteurs, mais aussi sur un projet réformiste : construire un État véritablement islamique en ajoutant de la rigueur aux mélanges d’éléments religieux et culturels qui caractérisent les royaumes sahéliens » [10]. Il en découle que le Sahel ancien est marqué par des constructions politiques impériales, des conflits entre empires concurrents, entre des populations aux statuts asymétriques (esclaves/hommes libres ; aristocratie pastorale/aristocratie religieuse…), une intense activité commerciale reliant l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne à travers les routes transsahariennes, une religion dominante (l’islam) et un projet de construction d’un État islamique. Il va sans dire que cette mémoire historique doit être connue et prise en compte dans les politiques sécuritaires car elle se retrouve dans la crise sécuritaire et humanitaire contemporaine du Sahel.

Le Sahel ancien devint, avec la Conférence de Berlin de 1884, le lieu de deux colonisations concurrentes. D’une part, la colonisation des autochtones animistes du Sahel préislamique par les islamisés et des religions animistes par l’islam, puis la colonisation des islamisés par les puissances coloniales occidentales à travers la construction des empires coloniaux[11]. L’approche instrumentale du Sahel est donc très ancienne de la part des acteurs hégémoniques islamiques et occidentaux qui vont travailler en interactions déjà pendant la période coloniale.

En effet, la colonisation du Sahel islamisé par les Occidentaux va reconduire les hiérarchies sociales et communautaires déjà existantes. C’est-à-dire que pour asseoir le règne des États coloniaux, les Occidentaux vont s’appuyer sur les chefs et les communautés islamiques déjà dominantes. D’où une nouvelle stratification du pouvoir où les Occidentaux commandent les islamisés qui commandent les autochtones non islamisés mais libres qui, à leur tour, commandent les esclaves. Un tel état des choses n’a pas complètement disparu aujourd’hui des pays comme le Mali, la Mauritanie, le Tchad, le Niger et même le Nord du Cameroun qu’on peut intégrer au Sahel au sens large, et où l’esclavage perdure autant que des tensions entre descendants d’esclaves et « nobles » très souvent dans une recomposition postcoloniale de leurs alliances hégémoniques avec les pouvoirs modernes en place[12]. L’accord pour la paix et la réconciliation au Mali signé le 14 mai 2015 sonne comme une sorte de reproduction postcoloniale des alliances coloniales entre acteurs hégémoniques occidentaux (la France) et locaux du mouvement de libération national de l’Azawad (MNLA) lorsqu’on se rend compte qu’il consacre l’Azawad comme territoire alors qu’il n’y a aucune trace dans l’histoire du Mali d’un royaume, d’un village ou d’une communauté qui y renvoie[13]

Dans ces conditions, le coup d’Etatisme qui prévaut au Sahel et dont les figures marquantes sont le colonel Assimi Goita du Mali, le capitaine Ibrahim Traoré du Burkina Faso et le général Tiani du Niger a pour objectif de fond de reconquérir la souveraineté/l’autonomie de leurs pays seule condition de possibilité d’une vraie démocratie. En fait aucune réelle démocratie n’est possible si un Etat n’a pas le monopole de la violence légitime via lequel il maîtrise son territoire, contrôle ses populations, gère ses ressources naturelles et calibre ses relations avec l’extérieur. Il devient donc compréhensible que les populations africaines dont le rêve panafricaniste reste vivace utilisent ces nouvelles figures révolutionnaires comme des chevaux de Troie du début de sa matérialisation à travers des relents d’une nouvelle indépendance après celles factices de 1960. Au Sahel comme partout en Afrique, ce sont les besoins réels des populations qui l’emportent sur les normes démocratiques et/ou institutionnelles consacrées. Ce sont ces besoins réels des populations qui inspirent les expériences politiques africaines du moment dans des sociétés qui font le constat amer que les normes démocratiques imposées par la communauté internationale sont conservatrices et ne peuvent, contrairement à leur transgression qu’entraîne le coup d’Etatisme, créer de nouvelles normes moins méprisantes du réel des sociétés africaines et capables de leurs émancipation.

Les peuples africains ne sont pas dupes. Ils savent bien que l’Afrique des militaires a déjà existé avant les années 1980 et que celle-ci s’est soldée par des transitions interminables sans aucun gain de bien-être individuel et sociétal. Le comportement favorable que ces peuples affichent face aux coups d’Etat du Sahel est qu’ils perçoivent, compte tenu de la crise d’épilepsie politique que leurs leaders donnent à la France, que ce sont des prises de pouvoir de rupture par rapport à la domination de cette ancienne puissance coloniale en Afrique. Le faible enthousiasme desdits peuples après le coup d’Etat au Gabon témoigne au contraire de leur conviction qu’il s’agit là non d’un coup d’Etat de rupture par rapport à la Françafrique, mais d’une stratégie d’endiguement d’un vrai coup d’Etat de rupture pouvant contrarier la Françafrique en Afrique centrale. Nos regards sont donc désormais tournés vers le Cameroun où, d’Après Achille Mbembe, « Réussir la succession de Paul Biya est un objectif politique stratégique du quinquennat d’Emmanuel Macron. »[14].

Thierry AMOUGOU, économiste, Pr. Université catholique de Louvain (UCL), dernier ouvrage publié. Pandémisme ou les tremblements de l’anthropocène. Esquisse d’une société pandémique moderne, 2022, Louvain-la-Neuve, Academia.


[1] G. AGBALIAN, 2019, « Isme : suffixe modal pour la formation de noms de discours », Travaux de Linguistique, n°79, pp.43-78.

[2] Concernant d’autres variantes du libéralisme autoritaire on peut consulter H. HELLER & C. SCHMITT, Du Libéralisme autoritaire, Paris, la Découverte, 2020.

[3] J-F. MEDARD, « L’Etat patrimonialisé », Politique africaine, n°39, pp. 25-36, 1990.

[4] T. AMOUGOU, L’esprit du capitalisme ultime. Développement, démocrate et marché, Louvain-la-Neuve, PUL, 2018.

[5] T. PICKETTY, Le capital au XXIè siècle, Paris, Seuil, 2013.

[6] Y. MOUNK, 2019, Les peuples contre la démocratie, Paris, LGF.

[7] T. AMOUGOU, Qu’est-ce que la raison développementaliste ? Louvain-la-Neuve, Academia, 2020.

[8] Cet épisode est relaté dans des vidéos par deux présidents africains encre en exercice que sont Téodoro Obiang Nguema de Guinée Equatoriale et Yoweri Museveni de Mozambique. Voir la vidéo sur  (20+) Facebook

[9] T. AMOUGOU, 2018, op.cit.

[10] F. COOPER, L’Afrique dans le monde. Capitalisme, Empire, Etat-nation, Paris, Petite bibliothèque Payot, 2022, pages 88 et 89.

[11] T. AMOUGOU, 2016, op.cit.

[12] R. ATIMNIRAYE NYELADE & A. BINDOWO, Lamidalisme, colonisalisme, esclavage et génocide des autochtones au Nord du Cameroun : Aux confins de l’expérience cachée des Fali, Canadian Scientific Publishing, 2021.

[13] A. BOURGEOT, « Accord pour la paix au Mali :  bilan et perspectives », Recherches internationales, 2021, pp.101-1016.

[14] A. MBEMBE, « Cameroun-France : Tout se joue aujourd’hui », Jeune Afrique, mis en ligne 4 Août 2022 et consulté le 4 septembre 2023. https://www.jeuneafrique.com/1366751/politique/cameroun-france-tout-se-joue-aujourdhui-par-achille-mbembe/

Effet de la qualité de la démocratie sur le niveau de satisfaction des citoyens en matière de services de santé et d’éducation au Sénégal

Par Boubou Junior COLY, Doctorant en Sciences économiques, Laboratoire de Recherche en Economie de Saint-Louis (LARES), UGB – Sénégal

Résumé 

L’objectif de ce travail est d’étudier l’effet de la démocratie sur la qualité de l’offre de services publics d’éducation et de santé au Sénégal en adoptant une approche microéconomique. Nous utilisons les données de l’enquête Afrobaromètre collectées auprès de 1200 citoyens adultes. Les résultats de l’analyse économétrique, effectuée à l’aide du modèle probit, montrent que la qualité de la démocratie a un effet positif et significatif sur la performance du gouvernement en matière de santé et d’éducation. La qualité de la démocratie est donc profitable aux citoyens sénégalais du point de vue de la fourniture de services de santé de base et d’éducation de qualité. Ces résultats invitent ainsi le gouvernement à améliorer le niveau de la démocratie dans le pays pour permettre aux citoyens de bénéficier des services d’éducation et de santé de qualité.  

Diplômé d’un Master en Analyse Economique et Quantitative (AEQ) de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis du Sénégal, Boubou Junior COLY est actuellement doctorant en économie au Laboratoire de Recherche en Economie de Saint-Louis (LARES). Ses travaux de recherche portent essentiellement sur l’évaluation des politiques publiques, la gouvernance, la démocratie, la fourniture de services publics dans les pays en développement. Par ailleurs, il a récemment obtenu une attestation de formation en Economie de l’environnement et gestion des ressources naturelles, délivrée par l’Université Senghor d’Alexandrie.  

Les médias en Afrique subsaharienne : Enjeux et perspectives démocratiques

Par Christian Dior MOULOUNGUI, philosophe, enseignant de philosophie et Doctorant à l’Université Omar Bongo (Gabon)

Résumé

Cet article étudie le rôle indéniable et inéluctable des médias dans le processus de démocratisation en Afrique subsaharienne. En effet, les médias dans leur vocation première, celle d’informer, de divulguer la vérité et de dénoncer, à notre humble avis, participent à l’effectivité d’une organisation politique démocratique adéquate dans les États dits ouverts et consensuels. En principe, ils sont supposés être considérés comme la matrice de la plénitude démocratique. Malheureusement, l’obstacle de l’émergence médiatique en Afrique aurait donc un fondement politique, à savoir : de multiples tentatives despotiques de la volonté des pouvoirs politiques de contrôler la presse et les médias. Mais, notons-le, cet obstacle ne serait pas spécifiquement africain. En raisonnant ainsi, il s’agit donc de comprendre qu’il est incommode de vouloir mettre en exergue une organisation démocratique des médias libres et transparents en Afrique. Face à ce dilemme, il convient maintenant aux journalistes africains soit de rester fidèles à leur mission si noble afin de faire éclore la démocratie dont l’expression est la critique et la liberté au risque et péril de leur vie, soit ils renoncent au titre de grands gardiens de la démocratie et de grands prêtres de la liberté, en acceptant d’être amadoués et asservis pour des raisons hypothético-politiques.    

Abstract

This article studies the undeniable and ineluctable role of the media in the process of democratization in sub-Saharan Africa. Indeed, the media in their primary vocation, that of informing, divulging the truth and denouncing, in our humble opinion, contribute to the effectiveness of an adequate democratic political organization in the so-called open and consensual States. In principle, they are supposed to be seen as the matrix of democratic fullness. Unfortunately, the obstacle of media emergence in Africa would therefore have a political basis, namely: multiple despotic attempts by the will of political powers to control the press and the media. But, let us note, this obstacle would not be specifically African. By reasoning in this way, it is therefore a question of understanding that it is inconvenient to want to highlight a democratic organization of free and transparent media in Africa. Faced with this dilemma, it is now appropriate for African journalists either to remain faithful to their noble mission in order to bring about democracy, the expression of which is criticism and freedom at the risk and peril of their lives, or they renounce the title of great guardians of democracy and high priests of freedom, by agreeing to be cajoled and enslaved for hypothetico-political reasons

Introduction

          Parler des médias dans le processus ou effectivité de démocratisation, à notre humble avis, revient à évoquer une autre forme du pouvoir de surveillance. Justement, une forme du pouvoir de surveillance qui est censé informer, conscientiser et dénoncer les dérives du pouvoir politique ou peindre les actions de ce dernier. Laissons Pierre Rosanvallon entendre dire : « Les médias, pourrait-on dire, constituent la forme routinière et fonctionnelle d’une démocratie de surveillance dont les organisations militantes de la société civile incarnent en quelque sorte le pole activiste. Ils sont pour cela fonctionnellement complémentaires »[1]. D’où effectivement, dit-il, «  ce qui donne sa consistance au célèbre mot d’ordre : Ne détestez pas les médias, devenez les médias »[2]. En effet, il est fort probable d’estimer que cette observation nous permet logiquement de comprendre que les médias occupent une place primordiale dans le nouvel espace des pouvoirs de surveillance. A cet effet, ils sont le substrat d’une organisation de la vie démocratique adéquate dont les effets concours à la prise en compte de la volonté du peuple.

          A partir de là, il convient manifestement d’affirmer, qu’au-delà d’autres formes du pouvoir de surveillance, il y a bel et bien une contribution inestimable et avérée des médias dans la structuration démocratique pays africains subsahariens. Dans cette perspective, nous voulons montrer que dans son processus de démocratisation, l’Afrique subsaharienne doit rationnellement prendre en compte le rôle principal et substantiel des médias. Dans ces conditions, les Africains ont intérêt de promouvoir une politique de visibilité, de lisibilité et de transparence des médias dans la délibération politique en Afrique. Par ailleurs, il s’agit de noter que cet idéal médiatique, voire le rôle prépondérant des médias dans le processus de démocratisation en Afrique subsaharienne, souffre d’une invisibilité aiguë. Pour ainsi dire, à notre sens, l’émergence des médias en Afrique subsaharienne est, malgré tout, sujette à un certain nombre de blocages liés aux libertés d’expression et à l’effectivité structurelle provenant de la politique arbitraire des dirigeants africains. Emmanuel-Thierry Koumba n’en pense pas moins lorsqu’il affirme en substance que « nonobstant la volonté de porter certaines modifications positives dans l’organisation de la presse, au Gabon et dans d’autres pays africains, il existe de multiples  manœuvres totalitaires du contrôle de la presse et des médias par les pouvoirs politiques[3] ». Il est donc fort possible de croire que les médias en Afrique subsaharienne fonctionnent de façon arbitraire, tout comme la démocratie avance à pas de caméléon, pour emprunter l’expression de Richard Banégas[4]. De ce fait, la dynamique et la transparence des médias sont à l’image d’une démocratie authentique, et donc d’une structuration politique optimale prenant en compte les aspirations et la volonté du peuple. C’est pourquoi, bien évidemment, dans cet article, nous voulons analyser et démontrer le rôle que doivent jouer normalement les médias dans le processus de démocratisation en Afrique subsaharienne, au-delà de toute opposition totalitaire des pouvoirs politiques et la manifestation des aléas de la censure dont ils font face. Tout compte fait, il s’agira donc ici, nous semble-t-il, d’analyser concomitamment et corrélativement les médias écrits et audiovisuels dans le processus de démocratisation en Afrique subsaharienne, puis nous évoquerons Internet comme nouveau média à considérer dans la délibération politique sous la lumière de Pierre Rosanvallon[5] et enfin nous ferons un détour en ce concerne la publicité dans l’espace public par le canal de la lumière de Jürgen Habermas[6].         

La démocratie et la césure des médias en Afrique subsaharienne

    Les médias représentent-ils un atout ou un danger pour la démocratie en Afrique subsaharienne ? Dans cet article, il s’agit de montrer comment les médias sont censurés, aliénés et corrompus dans les États d’Afrique subsaharienne. Toutefois, nous analyserons en dernier ressort, bien entendu, la nécessité des médias dans le processus de démocratisation en Afrique subsaharienne. Bref, nous le savons, les médias sont un atout pour la démocratie, où que nous soyons et quel que soit l’État qu’il s’agisse, développés ou sous-développés. En effet, les médias, en l’occurrence la presse écrite, la télévision, la radio, ou encore Internet, sont l’image d’une réelle liberté d’expression, et donc de l’effectivité de la démocratie dans sa plénitude, malgré qu’elle soit toujours un processus politique en construction, voire en puissance. Partant de là, nous comprenons sans doute que les médias jouent un rôle crucial dans la vie démocratique. Ils sont relativement constitutifs et participatifs au bon fonctionnement de la démocratie. Pour ce faire, ils véhiculent auprès des populations l’action de la politique des gouvernants et dénoncent, quand il le faut, les revers et dérives du pouvoir en place. De même, ils permettent effectivement à l’opposition de rendre manifeste leurs actions politiques. C’est-à-dire, ils couvrent également la direction politique et la critique de l’opposition à l’égard des gouvernants.

          A l’évidence, ils travaillent pour la lisibilité de l’action politique des dirigeants et de l’opposition auprès des populations. C’est donc une mission caractérisée par l’information, la prise de conscience et la critique, pour tout journaliste qui se veut professionnel. Edouard Balladur note avec pertinence que « les journalistes, s’ils sont fidèles à leur mission, et même s’ils se trompent, remplissent une fonction indispensable. Grâce à eux et par eux, la critique s’exprime tous les jours.»[7]. Ainsi, ils contribuent à la constitution et au fonctionnement de l’espace public ouvert à la discussion, à la controverse et à la délibération. Toutefois, dans ce monde médiatisé où règnent abus et corruption du pouvoir, nous semble-t-il, il est difficile de s’exprimer, de transmettre et de comprendre l’information dans les États de l’Afrique subsaharienne. Dans ce cas de figure, la censure bat son plein dans la vie politique africaine. Tout compte fait, il faut dire que ces dernières années, en Afrique subsaharienne, la censure politique exercée sur les médias est devenue la nature de tout régime de la sous-région. C’est ce qui traduit logiquement l’éternelle problématique de la bonne gouvernance. Sachant bien que la presse et les médias constituent le quatrième pouvoir après le pouvoir exécutif, législatif et judiciaire. Pour dire les choses autrement, l’expression quatrième pouvoir désigne la presse et les médias. Par extension, le quatrième pouvoir regroupe tous les moyens de communication qui peuvent servir de contre-pouvoir face aux trois pouvoirs incarnant l’État (pouvoir exécutif, législatif et judiciaire), en recourant au principe de protection des sources d’information des journalistes.

Mais malheureusement, le problème est que ce quatrième pouvoir ne fonctionne pas comme l’aurait voulu l’idéal démocratique. Il devient à cet effet, de par sa critique, son sens d’informer les populations et sa dénonciation des revers du pouvoir, une menace pour les gouvernants. Dans ce contexte, il faut impérativement essayer de le faire taire par tous les moyens possibles, à savoir : censure, emprisonnement, corruption des journalistes. Les médias deviennent ainsi le cauchemar et la contrainte des hommes politiques, comme le pense Edouard Balladur. D’après lui, « Cauchemar du politique, qui les redoute tellement qu’il voudrait les amadouer, quand ce n’est pas les asservir »[8]. Pour ainsi dire, la critique des journalistes constitue une sorte d’opposition pour les gouvernants. Alors que nous savons que les journalistes sont là pour informer les populations des réalités de l’action gouvernementale, et dénoncer, si possible, les dérives autoritaires des pouvoirs politiques.

          Cela dit, les médias veillent au bon fonctionnement de la démocratie et donc ils sont considérés comme les garants de la liberté : « Les journalistes sont résolus à tout savoir, tout juger, convaincus d’être les gardiens de la démocratie, les grands prêtres de la liberté. C’est leur raison d’être »[9]. Il s’agit donc d’affirmer que les populations et les gouvernants trouvent le salut dans la presse, ils vivent de leurs écrits et paroles. C’est une aberration démocratique, pour les dirigeants africains, de vouloir corrompre ou stigmatiser le droit des journalistes de parler, d’informer, de juger et de dénoncer quand la nécessité se fait. En principe, personne ne peut échapper à la vérité des médias. Dans l’exacte mesure où ils sont à la recherche accrue de l’information pour rendre la vérité évidente. C’est pourquoi, d’ailleurs, Edouard Balladur estime que « le Politique est percé à jour, défini, jaugé, catalogué, et, quoi qu’il fasse, il lui sera difficile d’échapper à ce qui a été dit de lui »[10]. Ainsi, le politique ne peut être invincible ou impliciter sa politique démagogique face à la force des médias, il est soumis à leur critique, contrôle et jugement. Dans cette perspective, ils remplissent ainsi leur mission indispensable et humaniste : « Grâce à eux et par eux, la critique s’exprime tous les jours, alors que le peuple vote rarement ; ainsi la délégation de pouvoir qu’il consent à ceux qu’il élit n’exclut-elle pas un contrôle quotidien. Qui pourrait l’assurer, sinon les journalistes ? »[11]. C’est là même la signification de la liberté d’expression, et donc la survie de la démocratie. D’où effectivement, notons-le, « le Politique ne se sente jamais à l’abri, qu’il soit appelé à se justifier publiquement aussi souvent que l’opinion le réclame ; c’est l’une de ses servitudes les plus lourdes, mais la plus nécessaire »[12]. A ces propos, il faut noter au passage que la justification publique de l’action gouvernementale face au peuple se fait par le moyen des médias. Mais l’objectif des gouvernants africains est de chercher à faire taire ou amadouer les journalistes dans l’optique de les contrôler et de les corrompe. Heureusement, force est de constater que c’est dans le peuple et le souci de dire la vérité que les journalistes trouvent leur courage et leur secours de rester fidèle à leur mission, faute de quoi, à notre sens, ils seront prisonniers du pouvoir politique en exercice.

          C’est dans ce sens, justement, que les journalistes doivent être adeptes de la critique plutôt que la louange des gouvernants. Pour Edouard Balladur, « La presse préfère la critique à la louange. Elle demeure un contre-pouvoir, elle le restera ; le Politique ne tentera pas de l’en empêcher, ce serait peine perdue. A trop chercher à lui plaire, il témoignerait de sa faiblesse, elle réclamerait sans cesse davantage »[13]. De même, au niveau des réseaux sociaux ou d’Internet, les dirigeants africains tentent, lors des échéances électorales, de censurer les médias avec la dernière énergie. C’est dans l’optique d’étouffer la vérité des urnes et donc de promouvoir la fraude et de pérenniser le pouvoir. D’après Mai Truong, « En Afrique subsaharienne, nous constatons que les autorités dirigent souvent les fournisseurs de services internet, les FAI, pour bloquer une liste noire d’URL »[14]. Pour Mai Truong, les différents cas de censure d’Internet sont souvent dus à la mainmise de l’État sur les fournisseurs d’accès Internet qui ont, ou du moins, des liens étroits d’avec le gouvernement. Plusieurs États de l’Afrique subsaharienne, explique-t-elle, ont plus souvent eu recours à une forme de censure d’Internet. Par exemple, la suppression de contenus déjà publiés. Ils peuvent aussi procéder par la pression juridique ou militaire pour obliger les opérateurs de certains sites web à supprimer tous les textes et commentaires susceptibles de nuire au pouvoir politique en place. Partant de là, il faut comprendre que les autorités africaines sont prêtes à tout pour entretenir et conserver le pouvoir.

Il est d’autant plus raisonnable de dire que c’est ce qui sous-entend, de près ou de loin, que les médias sont d’emblée leurs premiers obstacles pour enraciner le peuple dans la corruption du pouvoir et toutes les dérives qui s’en suivent dans la gouvernance de la Cité. Pour illustrer de cas pratiques à la censure des médias en Afrique subsaharienne, Marie-Soleil Frère[15] évoque trois incidents dans la « Censure de l’information en Afrique subsaharienne francophone : la censure dans les régimes semi-autoritaires » :

D’abord, au Burundi, en septembre 2011, un groupe armé non identifié attaque un bar dans une localité, Gatumba, située à 15 km de Bujumbura, faisant plus de 40 morts. Trois jours plus tard, le ministère de l’information interdit aux médias burundais de publier, commenter ou analyser toute information liée au massacre. Plus encore, toutes les émissions en direct à caractère politique sont suspendues durant un mois. Le prétexte invoqué est celui de la nécessité de ne pas entraver l’enquête, un argument relevant de la sécurité nationale[16].

Ensuite, quelques mois plus tard, en République démocratique du Congo (RDC), en décembre 2011, suite au déroulement du second tour de l’élection présidentielle, le ministère de l’intérieur et de la sécurité ordonne la suspension du service SMS de tous les réseaux de téléphonie mobile. Raisons avancées : la préservation de l’ordre public et un aboutissement heureux du processus électoral en RDC[17].« Les SMS étaient en effet largement utilisés pour mobiliser l’opposition politique qui dénonçait la manipulation des résultats »[18].

Enfin, plus récemment, le 23 mars 2013, au Tchad, le blogueur et activiste Jean Étienne Laokolé, qui contribuait sous pseudonyme au blog d’un Tchadien de la diaspora, est arrêté par les forces de sécurité, après que son identité eut été révélée sur un autre blog. Après avoir passé cinq mois en détention, il est condamné à trois ans de prison avec sursis pour diffamation et complot d’atteinte à l’ordre public[19] n’ayant pas abouti[20].

Ces différentes formes de censure montrent qu’il s’agit d’une pratique qui intègre la nature de la politique des États de l’Afrique subsaharienne. C’est ce qui implique manifestement l’oppression et la privation des libertés d’expression, de conscience et d’agir. Cela sous-entend que « Les droits de l’homme associés aux démocraties libérales et républicaines n’offrent plus les garanties, ni ne constituent plus les systèmes de défenses imparables des individus qu’ils prétendaient être »[21]. Alors que nous sommes à l’ère de la gouvernance démocratique, où la liberté d’expression se doit d’être matérialisée, concrétisée. En réalité, c’est pourquoi, finalement, il faut affirmer que cette censure des médias traduit consensuellement le déficit de l’objectivité du droit dans les États d’Afrique subsaharienne.         

Quelle est la place pour des médias écrits et audiovisuels dans le processus de démocratisation ?

         On ne peut sans doute parler de la démocratie sans le concours médiatique dans les pays dits démocratiques en général et dans les pays d’Afrique subsahariens, en particulier. Dans l’exacte mesure où ils sont la voix du peuple sans voix et le substrat du fonctionnement de l’espace public, voire de la vie démocratique. Revenons aux médias écrits et audiovisuels dans le processus démocratisation. En effet, les médias ont toujours accompagné la démocratie dans son processus. C’est pourquoi, expliquons-le, dans leur participation au fonctionnement optimal de la démocratie, ils ont une fonction première : celle de dire la vérité, d’informer et de dénoncer lorsque le besoin se fait sentir. D’abord, dire la vérité fait partie de l’un des principes de l’éthique de la communication, dans la mesure où les médias constituent évidemment un espace public et critique face au fonctionnement du pouvoir politique en Afrique subsaharienne. C’est-à-dire, ils se font donc critique à l’égard de la politique autoritaire des gouvernants, à la corruption et donc aux dérives de la démocratie. Pour ce faire, les médias en disant la vérité des faits basés sur les sources fiables, non seulement participent ou contribuent à la fiabilité de la démocratie en Afrique, mais également ils remplissent pleinement leur tâche, celle d’être la voix du peuple sans voix. Car : « La communication n’est pas la perversion de la démocratie, elle est plutôt la condition de fonctionnement »[22]. Ensuite, les médias écrits ou audiovisuels doivent informer les populations africaines sur les différents domaines de la société, voire sur les faits sociétaux. Comme par exemple, nous pouvons le dire, dans le domaine économique, politique, éducatif, culturel, etc. ils doivent être à la quête de l’information avérée et tangible par le canal de sources sûres, afin d’édifier les populations. Bien sûr, un peuple qui n’est pas informé est un peuple ignorant et donne une nation faible. Si c’est le cas, les médias seraient alors en marge de l’éthique de la communication et mettraient en faute leur tâche, d’être la voix du peuple. Enfin, la dénonciation constitue un facteur primordial pour la presse parce qu’elle permet à la presse écrite ou audiovisuelle de mettre en lumière les abus, l’aliénation et la corruption du pouvoir politique en Afrique.

         Pour ce faire, c’est à travers la dénonciation ou des articles à caractère satirique que le journaliste prend la pleine mesure d’assumer son rôle d’éveiller les consciences des populations africaines. Comme pour dire, si le journaliste ne dénonce pas les dysfonctionnements de l’organisation d’un État, alors les populations africaines demeureraient dans un sommeil dogmatique, et qu’il faillirait à sa mission première. C’est pourquoi, bien entendu, dans les sociétés démocratiques ou encore dans les pays développés, l’éveil ou la conscientisation des populations passe par l’information et la dénonciation médiatiques. Le journaliste britannique, John Wilkes, dans son The North Briton incarne bien l’image de cette dénonciation. En effet, dans son journal, il aurait mis une mouvance satirique pour attaquer et se moquer du roi George et de Lord Bute. Il ne s’est pas arrêté avec eux, mais a ciblé aussi des politiciens. Cependant, quel rôle peut jouer Internet dans la vie politique ou démocratique aujourd’hui ?

Internet comme nouveau média : Pour quelle implication démocratique, selon Pierre Rosanvallon ?

          Aujourd’hui, bien sûr, Internet occupe une place importante dans la vie politique et sociale en démocratie en général et dans l’organisation politique africaine, en particulier. Pour dire les choses autrement, selon Pierre Rosanvallon, « La Toile est aussi devenue une forme sociale à part entière, en même temps qu’une véritable forme politique »[23]. Nonobstant les dérives d’Internet et ses aléas, nous mettons en exergue ici son rôle et sa nécessité dans le processus démocratique. Il apparaît dans ce cas de figure, finalement, comme un nouveau média participatif à la vie sociale et politique. Pierre Rosanvallon pense que nous devons « appréhender l’internet sous les espèces d’un nouveau média »[24]. Celui-ci permet effectivement, explique-t-il, la circulation des opinions, des informations et les analyses. A cet égard, affirme Pierre Rosanvallon, nous comprenons manifestement que l’Internet est donc bien un média spécifique en termes de coûts d’accès, de mode de production, de processus de diffusion, et régulation. Justement, à travers l’Internet nous avons une nouvelle vision de la sphère organisationnelle étatique promettant une politique africaine de visibilité et de lisibilité. Dans l’exacte mesure où, nous pouvons l’affirmer, qu’il est devenu à part entière une forme sociale et une forme politique que la vie politique africaine doit s’approprier. Ce qui nous permet de l’analyser sous deux angles : social et politique.

          D’abord Internet comme forme sociale. Lisons Pierre Rosanvallon pour l’entendre dire : « C’est une forme sociale originale en premier lieu, parce qu’elle concourt sur des modes inédits à la constitution des communautés »[25]. Il s’agit de comprendre, selon Pierre Rosanvallon, qu’Internet crée un univers social planétaire en mettant en évidence dynamiquement la circulation, l’interaction libre, succession de rendez-vous ponctuels, la possibilité ouverte de branchements arborescents[26]. Du point de vue de l’auteur, Internet est une forme sociale parce qu’il exprime de manière instantanée l’opinion publique. Dans cette perspective, Internet apparaît alors comme une somme d’intelligences et de toutes les volontés pour dire les tourments du monde social, où jeunes et adultes africains et du monde entier expriment leurs opinions. A cet effet, rappelons que les grands médias, radio, presse et télévision, ont toujours accompagné les mouvements culturels et sociaux. Toutefois, avec l’arrivée d’Internet et du multimédia, nous sommes dans un nouveau paradigme ou paysage médiatique contemporain. Ainsi, il sied de retenir, pour notre part, qu’Internet et les nouvelles technologies de la communication sont aujourd’hui considérés logiquement comme des éléments constitutifs et participatifs des pratiques culturelles et sociales.  

           Ensuite, Internet comme une forme politique. D’après Pierre Rosanvallon, « Dans les années 1980, l’idée dominante était que les nouvelles technologies de la communication allaient bouleverser les pratiques démocratiques en permettant une intervention plus directe des citoyens »[27]. Il faut dire que la forme politique d’Internet peut être comprise comme étant une révolution dans le domaine du pouvoir de la politique africaine. Bien entendu, c’est un changement de paradigme qui rend manifeste « une modification de l’architecture du droit dont la structure pyramidale ou hiérarchique cède du terrain au jeu horizontal des réseaux »[28]. Pourquoi ? Parce qu’Internet serait alors, à notre humble avis, le canal par lequel on diffuse de manière virale, rapide et transfrontalière l’émancipation de l’homme, certaines connaissances et surtout les opinions politiques et la transparence démocratique en Afrique. Autrement dit, c’est le symbole de la liberté d’expression, d’émancipation[29] et de contestation[30] citoyenne. Celui-ci aurait apporté de moult mutations dans le processus de démocratisation en Afrique subsaharienne, en posant de nouveaux rapports entre les citoyens africains et leurs gouvernants. Dans ce cas de figure, il est donc possible d’affirmer qu’Internet s’impose également comme un média qui met en évidence l’effectivité de la médiation de l’expression politique africaine, de par la quantité d’information qu’il propose. En quelques mots, il est un outil complexe à appréhender et peut revêtir de nombreux rôles dans la vie politique que sociale en Afrique subsaharienne. Mais le rôle d’Internet qui cadre dans notre analyse ici bien entendu, est celui de rendre visible la transparence de la vie démocratique que les institutions publiques africaines se doivent de rendre manifeste. Ainsi, cette politique de lisibilité[31] d’Internet permet aux citoyens africains d’exprimer leurs opinions politiques dans un espace à vocation publique.

           En outre, Internet en démocratie, démocratie électronique, d’e-gouvernement, de cyberdémocratie sont d’autant de nouvelles formes des médias de la participation démocratique de la politique du XXIe siècle[32]. Il apparaît bien, dans cette optique, contrairement à la radio et à la télévision, qu’Internet met en situation d’égalité l’émetteur et le récepteur en ce qui concerne l’information. Dans ce cas, c’est donc un outil idéal pour une démocratie participative où le citoyen africain pourrait sans doute intervenir dans un débat politique. En fait, Internet permet à toutes les catégories sociales de prendre la parole et de discuter de la chose publique. Ce nouveau monde électronique de la délibération démocratique favorise la multiplicité des opinions politiques. Bien évidemment, les réseaux sociaux sont maintenant considérés comme de « nouveaux espaces »[33] ou de nouvelles sphères ouvrant ainsi les perspectives au peuple. Par conséquent, Internet pourrait ainsi être le nouveau mode d’engagement du citoyen africain dans la chose politique. En d’autres termes, comme un nouvel espace de contestation et de reconstruction de la politique africaine. En réalité, le monde d’Internet suscite « chez l’individu un état conscient et permanent de visibilité qui assure le fonctionnement automatique du pouvoir. Faire que la surveillance soit permanente dans ses effets, même si elle est discontinue dans son action (…) et que les sujets soient pris dans une situation de pouvoir dont ils sont eux-mêmes les porteurs »[34].  Dit autrement, en matérialisant la visibilité des individus, Internet a permis à ces derniers de devenir manifestement porteurs de leur propre pouvoir. Il apparaît donc comme un outil de la réalisation de la citoyenneté, de l’expression de la liberté et de la délibération politique en Afrique.    

          De fait, il faut comprendre, en substance, qu’Internet peut en quelque sorte nous donner la dimension électorale-représentative de la vie ou de la délibération publique en Afrique subsaharienne dans le but de discuter du progrès démocratique. Toutefois, Pierre Rosanvallon pense, par extension, que le rôle effectif majeur d’Internet « réside plutôt dans son adaptation spontanée aux fonctions de vigilance, de dénonciation et de notation »[35]. Du point de vue de l’auteur, Internet est l’expression même de la réalisation de ces différentes formes du pouvoir de surveillance susmentionnées. Disons-le, dans la perspective rosanvallienne, nternet, dans la nature politique, doit être considéré comme un espace globalisé et universalisé de surveillance et d’évaluation du monde, le monde de l’organisation politique africaine. Justement, Internet « est la fonction même de la surveillance »[36]. C’est donc sans doute une forme politique, l’acte de l’activité des pouvoirs publics. Nous sommes ici, on peut le dire, dans une sorte d’agora électronique. Effectivement, notons au passage que le journaliste Howard Rheingold considère cette vision politique d’Internet comme un moyen capable de redynamiser la vie démocratique. En même temps, semble-t-il, il préconise un rapprochement entre Internet et la sphère publique chez Habermas.

          En effet, le projet habermassien réside dans le souci d’apporter ou de proposer une théorie contemporaine de la démocratie, afin de résoudre de multiples problèmes qui minent les sociétés démocratiques actuelles, en général et donc africaines, en particulier. C’est pourquoi, naturellement, il se propose de fonder le concept des sociétés dans une approche historico-structuraliste, en vue de montrer les différentes mutations qui se sont faites de façon formelle et intrinsèque au cours des différentes transformations des sociétés comme procédurale d’intégration sociale[37]. La particularité d’Habermas réside dans la prise en compte de l’agir communicationnel[38] comme principe fondamental susceptible de donner une explication rationnelle des sociétés contemporaines, comme sphère publique à l’intérieur duquel l’éthique de la discussion[39] est la matrice du fonctionnement de l’espace publique. Pour comprendre l’enjeu de cet espace public chez Habermas, on revient à aborder la notion de publicité en Afrique subsaharienne.         

La publicité dans l’espace public : Lecture habermassienne

         La notion de publicité, selon Habermas, est au fondement de l’espace public ou la sphère publique. Elle peut se comprendre comme étant une sorte de large diffusion des informations, des délibérations et des sujets de débats politiques africains ou du monde via les médias. Celle-ci est considérée comme un élément substantiel de la théorie habermassienne, elle doit être comprise comme une dimension constitutive de l’espace public et comme principe de contrôle du pouvoir politique africain. Habermas considère ici, à notre sens, la publicité comme un espace public médiatique et critique face au pouvoir en place, c’est-à-dire le principe de publicité (les médias) se fait donc critique face à la domination du pouvoir politique.

          Partant de là, pour Habermas, l’influence des médias dans la vie démocratique est incontournable et inévitable, dans la mesure où la démocratie d’un pays est à l’image de ses médias et que l’espace public s’est médiatisé et diversifié à cet effet. Pour ainsi dire, la publicité constitue un facteur primordial parmi tant d’autres pour l’effectivité de la démocratie. Même si, en Afrique, d’aucuns y voient une influence néfaste. Dominique Walton[40] n’en pense pas moins : « la communication n’est pas la perversion de la démocratie, elle en est plutôt la condition de fonctionnement »[41]. Il s’agit de comprendre que les médias de communication fournissent le principal lieu, l’espace public, commun de représentation et de débats des sociétés développées et démocratiques actuelles. Que ces débats, en Afrique, soient contradictoires, critiques ou confus, cela ne fait que souligner l’importance fondamentale de l’espace public médiatique. D’où logiquement le principe de publicité (Öffentlichkeit), pour Habermas, qui est l’exigence revendiquée d’un usage critique et public de la raison. Ce principe s’inscrit dans le cadre plus large de la démocratie délibérative que les Africains devraient politiquement considérée. En principe, pour Habermas, une décision n’est légitime que si la discussion qui y mène l’est également.

           Ceci dit, le débat public qui doit constituer l’effectivité démocratique en Afrique est donc un principe de légitimité relayé par l’espace public, en lequel Kant voyait un nouveau principe normatif[42]. De fait, la publicité devient alors une source de légitimation allant à l’encontre du despotisme, selon Kant. Il y a lieu d’estimer que le principe de publicité donne à l’espace public un véritable pouvoir critique, un pouvoir d’assiègement permanent, selon Habermas. Ainsi donc, l’espace public permet sans doute une revitalisation de l’État de droit par la délibération constante et publique des individus, voire de la vie politique africaine. En somme, l’un des mérites d’Habermas a notamment été de démontrer avec pertinence l’importance de la publicité (en tant qu’opinion privée dévoilée dans l’espace public) dans un débat politique. Certes, à l’origine la publicité garantirait l’usage public de la raison aussi bien avec les fondements législatifs qu’avec un contrôle critique de son exercice. En revanche, l’évolution de cette publicité vers les intérêts privés marque, selon Habermas, le déclin de la dimension critique de l’espace public. Pour lui, après son essor au XVIIIe siècle, l’espace public « gouverné par la raison » est en déclin. Pourquoi ? Parce que la publicité critique laisse progressivement la place à une publicité de manipulation, de commercialisation et de corruption, au service d’intérêts privés, affirme-t-il pertinemment.

          In fine, il convient donc d’affirmer que l’espace public doit être considéré comme un principe de la démocratie en Afrique subsaharienne. Puisqu’il est régie et structuré logiquement par le principe de la discussion. Comme tel, nous comprenons que c’est dans le Droit et démocratie[43] qu’Habermas redéfinit le principe de la discussion et lui confère une plus grande profondeur que celle d’un principe exclusivement moral. En raisonnant ainsi, le principe de la discussion se décline désormais en principe moral et en principe démocratique que les Africains subsahariens se doivent de prendre en compte, afin d’impliquer exhaustivement tous les membres du contrat social tant peint par Jean-Jacques Rousseau[44], dans son texte Du contrat Social. C’est-à-dire, en principe de règlement discursif des questions de validité dans le cadre d’interactions simple d’un côté, en principe de formation discursive et autonome de la volonté commune de l’autre. Car, explique-il, le principe moral de la discussion demeure inéluctablement inapplicable sans un principe démocratique de la participation paritaire à la formation discursive de la volonté générale. Voilà, pourquoi, en quoi le principe de la discussion ne fonde plus seulement une éthique de la discussion, mais plus généralement une théorie de la discussion qui peut prendre entre autres la forme d’une théorie morale ou d’une théorie du droit. Dans ce cas de figure, nous pensons que l’on peut estimer que le droit est plus profond que la morale. Parce que celui-ci s’efforce effectivement de sauvegarder l’existence adéquate d’un accord d’espace public, qui est soumis à l’équité de la parole et de formation d’un accord rationnel. A cet égard, un espace public où une sphère publique de la discussion est protégée tout à la fois contre les tentatives des systèmes impersonnels de l’agent et du pouvoir sur la liberté présumée des participants.

          En principe, affirmons-le, la théorie du droit, ou plus précisément de l’État de droit démocratique, est une théorie normative, elle articule normalement encore une fois l’historique et le transcendantal. C’est-à-dire qu’elle s’appuie démocratiquement sur la réalité de nos institutions démocratiques modernes pour y ressaisir à travers un effort d’autoréflexion les possibilités émancipatrices qu’elle peut raisonnablement nous permettre de réaliser. Justement, notons que le droit dont parle Habermas est donc d’abord le droit positif qui régit les États démocratiques modernes, mais seulement pour autant que ce droit positif prétende porter à travers un projet démocratique une promesse d’émancipation et incarner aussi un droit naturel que tous les hommes auraient en partage, au-delà de leurs disparités spécifiques à chaque Constitution africaine.

          Au regard de ce qui précède, à notre humble avis, le sens d’Habermas n’est pas d’aller chercher derrière le droit positif des États démocratiques la vérité originelle d’un droit prétendument naturel, équivalent de la raison pure pratique ou de la morale universelle. En effet, il s’agit d’abord de penser, plus précisément, un médium institutionnel qui puisse réellement filtrer l’intersubjectivité de la discussion qui libère pour les discussions pratiques l’espace public de la solidarité et de la reconnaissance. Dans la préface à l’édition de 1990 de l’Espace public[45], Habermas écrit que l’espace public politique constitue le concept fondamental d’une théorie de la démocratie. En tant que sphère de la discussion productrice d’une opinion publique, l’espace public constitue maintenant la base nécessaire de la société démocratique africaine. Idéalement parlant, nous comprenons que l’opinion publique africaine doit se constituer en juge du pouvoir politique en place et comme vecteur des demandes sociales de la société civile, c’est la naissance proprement parlé de l’espace public plébéienne : Droit et démocratie (1997). C’est pourquoi, naturellement, nous pensons qu’Habermas définit ainsi l’espace public comme le socle mouvant dont les frontières ne sont pas clairement définies par lequel doivent se dégager les problématiques discutées dans les différentes couches de la société. Logiquement, il doit s’entendre comme une caisse de résonance apte à répercuter les problèmes qui ne trouvent de solutions nulle part ailleurs.

Conclusion : Implication et considération des médias comme une forme de la démocratie contemporaine optimale

          Au terme de notre analyse, il sied de retenir que le rôle prépondérant des médias dans le processus de démocratisation en Afrique subsaharienne doit être pris en compte par les membres du corps politique. Ce qui revient à dire qu’il faut aménager un espace médiatique transparent de délibération dans l’organisation politique en Afrique subsaharienne, afin de promouvoir une démocratie authentique prônant les valeurs de la dignité humaine centrées sur les principes démocratiques. Comme pour dire, bien sûr, les acteurs politiques africains se doivent de mettre en place une structure démocratique des médias libres et dynamiques dans leur fonctionnement. A cet égard, cela impliquerait la profondeur et la délicatesse de la conscience des Africains à s’ouvrir à la culture politique de critique, de remise en cause et de l’essence de la liberté. Il faut le dire, la presse est censurée en Afrique subsaharienne parce qu’il y a le refus de l’altérité, de la critique, de concéder la liberté d’expression aux individus, au déficit à la transparence dans la gestion de la chose publique, et donc réfractaire à l’affirmation de la démocratie. Tout ce qui compte pour nous, les Africains, c’est l’acceptabilité et la conversion aux politiques caricaturales et démagogiques. C’est pourquoi, d’ailleurs, les médias sont devenus le cauchemar des hommes politiques, qui veulent à tout prix les asservir. Dans le cas contraire, en cas de refus de toute forme d’aliénation de la presse, la censure devient alors le mode opératoire pour intimider la force médiatique.

          Dès lors, on peut donc affirmer que l’idée d’une démocratie plausible tant prisée en Afrique subsaharienne ne serait effective que lorsque la presse prendra les règnes de sa mission première et salvatrice, celle de défende la voix du peuple, valoriser la critique et la liberté. Mais il faudra que celle-ci sorte aussi des carcans politiques et du joug des considérations partisanes, pour incarner la voix du peuple sans voix. En un mot, la presse doit avoir un espace public de délibération dans l’optique d’analyser, de discuter et d’informer la Cité sur les questions de gouvernance et d’État de droit en Afrique. Parce que, nous le savons, l’espace public véritable en Afrique ne saurait se comprendre, ni se réaliser sans le concours d’une presse dynamique, transparente et impartiale lorsqu’il s’agisse de discuter de la chose publique rationnellement et démocratiquement. Effectivement, l’espace public africain doit être un milieu qui permet non seulement de confirmer un pouvoir politique rationnel et efficace qui prend en considération la volonté des peuples africains, mais également capable de dénoncer les politiques totalitaires et népotistes. Ainsi, en Afrique, libération de la presse serait donc une manière de favoriser une organisation politique prenant en compte l’éthique de la discussion dans la gestion étatique. Oui, c’est l’affirmation même de la presse comme un pouvoir de contrôle de la gouvernance africaine voulant se convertir en despotisme.    

Par Christian Dior MOULOUNGUI, philosophe, enseignant de philosophie et Doctorant à l’Université Omar Bongo (Gabon), cdmouloungui@gmail.com
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[1] Pierre Rosanvallon, La Contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance, Paris, Éditions du Seuil, 2006,  p. 72.

[2] Ibid., p. 72. 

[3] Lire à ce sujet, Emmanuel -Thierry Koumba, Presse écrite et engagement politique au Gabon, Thèse 3è cycle, Bordeaux 3, 1997.

[4] Lire à ce sujet, Richard Banégas, Démocratie à pas de caméléon. Transition et imaginaires politiques au Bénin, Paris, Éditions Karthala, 2003.

[5] Pierre Rosanvallon est Professeur au Collège de France, né dans une commune française appelée Bois en 1948 (Il a 75 ans actuellement). Il est historien, philosophe, sociologue, politologue français. Voir la thèse en cours de Christian Dior Mouloungui, La crise de la démocratie représentative en Afrique subsaharienne à la lumière de pierre Rosanvallon. Pertinence et respectives, CENTRE D’ÉTUDES ET DE RECHERCHES PHILOSOPHIQUES (CERP) FORMATION DOCTORALE PHILOSOPHIE, SCIENCE ET SOCIETÉ (PSS), Université Omar Bongo, Libreville (Gabon).

[6] Jürgen Habermas, né le 18 juin 1929 à Düsseldorf, est un théoricien allemand en philosophie et en sciences sociales. Il est avec Axel Honneth l’un des représentants de la deuxième génération de l’École de Francfort, et développe une pensée qui combine le matérialisme historique de Marx avec le pragmatisme américain, la théorie du développement de Piaget et Kohlberg, et la psychanalyse de Freud. Il a pris part à de nombreux débats théoriques en Allemagne, et s’est prononcé sur divers événements sociopolitiques et historiques.

[7] Edouard Balladur, Machiavel en démocratie. Mécanique du pouvoir, Op. cit., p. 43.

[8] Ibid., p. 39.

[9] Ibid.

[10] Ibid., p. 40.

[11] Ibid., p. 43

[12] Ibid.

[13] Ibid., p. 92.

[14] Mai Truong est une experte du réseau de l’organisation non-gouvernementale américaine Freedom House. C’est une organisation non-gouvernementale (ONG) financée par le gouvernement américain et basée à Washington 1, qui étudie l’étendue de la démocratie dans le monde. Cette organisation a été fondée en 1941, bénéficiant de Wendell Willkie et Eleanor Roosevelt en tant que premiers présidents honoraires. Voir freedomouse.org

[15] Maître de recherche en sciences de l’information et de la communication, Fonds national de la recherche scientifique/Université libre de Bruxelles.

[16] Marie-Soleil Frère, « Censure de l’information en Afrique subsaharienne francophone : la censure dans les régimes semi-autoritaires », Presses universitaires de Rennes, 2016.

[17] Journaliste en danger (JED), Rapport 2011. La liberté de la presse pendant les élections, Kinshasa (…)

[18] Marie-Soleil Frère, Op. cit.,

[19] Voir sur le site de Reporters sans frontières, [http://fr.rsf.org/tchad-le-contributeur-d-un-blog (…)

[20] Marie-Soleil Frère, Op. cit.,

[21] Irma Julienne Angue Medoux, « Présentation de l’argument », Éducation et démocratie en Afrique et en Europe, Paris, Éditions L’Harmattan, 2014, p. 13.

[22] Wolton Dominique, Penser de la démocratie, Paris, Éditions Flammarion, 1997, p. 143.

[23] Pierre Rosanvallon, Op. cit., p. 72.

[24] Ibid., p. 72.

[25] Ibid., p. 72-73.

[26] Ibid., p. 73.

[27] Ibid., p. 73-74.

[28] Pauline Türk, « La souveraineté des États à l’épreuve d’Internet », RDP, 1er novembre 2013, n°6, p. 1489.

[29] Paola Seda, « L’internet contestataire. Comme pratique d’émancipation. Des médias alternatifs à la mobilisation numérique », Les cahiers du numérique, 2015, Vol. 11, p. 25-52.

[30] Thiery Barboni et Eric Treille, « L’engagement 2.0. Les nouveaux liens militants au sein de l’e-parti socialiste », Revue française de science politique, 2010/6, Vol. 60, p. 1137-1157.

[31] Nous reviendrons plus amplement sur la politique de la lisibilité au chapitre VI de notre travail intitulé : Le Bon Gouvernement comme expression démocratique. En effet, la politique de la lisibilité apparaît donc comme la justification de l’exercice du pouvoir politique et la vérification de comptes publics. C’est pourquoi, nous semble-t-il, la communication et la transparence deviennent comme des moyens de la lisibilité de la chose publique susceptible de restituer la confiance entre les gouvernés et les gouvernants. Car, rapport gouvernés-gouvernants semble tombé dans l’oubli de la politique démocratique des États actuels.

[32] Les États-Unis  en sont l’illustration parfaite de ces nouvelles formes des médias de la participation démocratique, en tant que la première et la grande puissance de la démocratie dans le monde.

[33] Lilian Mathieu, « L’espace des mouvements sociaux », Politix, 2007/1, p. 131.

[34] Lire à ce sujet, Jeremy Bentham, cité par Michel Foucault, Surveiller et punir, Paris, Éditions Gallimard, 1975.

[35] Pierre Rosanvallon, Op. cit., p. 75.

[36] Ibid.

[37] Lire à ce sujet, Pierre Ndong Meyé, Cours de philosophie de la communication, licence 3, parcours philo-lettre, Dispensé à l’Université Omar Bongo (Libreville/Gabon), 2013-2014.

[38] Lire à ce sujet, Jürgen Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, tome 1 : Rationalité de l’action et rationalisation de la société, Paris, Éditions Fayard, 1987.

[39] Jürgen Habermas est l’un des penseurs de l’éthique de la discussion avec Karl-Otto Apel, éthique qui s’inscrit dans la même veine que l’éthique kantienne, tout en y apportant un certain remodelage, décentrage peut-on dire, en rapport avec l’impératif catégorique. Habermas développe en effet l’idée d’un principe de discussion capable de remplacer l’Impératif catégorique. Chez Kant, c’est au sein de l’individu qu’est déterminée la validité morale. En clair, Kant pense qu’il est possible de se mettre d’accord rationnellement sur ce qui est juste et injuste, mais que l’évaluation des normes se fait dans le for intérieur de chacun. Habermas considère que ce monologisme doit être dépassé par une compréhension dialogique de la morale, qui s’appuie sur les acquis de la pragmatique formelle et la théorie des « énoncés performatifs » (Voir Austin). Nous déterminons si une règle de conduite et d’action ou un comportement sont moraux par une discussion qui doit ressembler autant que possible à une situation de liberté de parole absolue et de renoncement aux comportements stratégiques. (Voir Jörgen Habermas, De l’éthique de la discussion, Paris, Éditions Champs essais, 2013).

[40] Dominique Wolton, né le 26 avril 1947 à Douala (Cameroun), est un sociologue français. Directeur de recherche au CNRS en sciences de la communication, il est spécialiste des médias, de l’espace public, de la communication politique, et des rapports entre sciences, techniques et société. Ses recherches contribuent à valoriser une conception de la communication qui privilégie l’homme et la démocratie plutôt que la technique et l’économie. Cf. « Les sciences de la communication », Journal du CNRS, n° 231,  avril 2009.

[41] Dominique Walton, penser la communication, Op.cit., p.143.

[42] En 1962, en Allemagne un ouvrage intitulé, L’espace public, du nom du concept qu’aborde Jürgen Habermas. Ce dernier s’est sans doute inspiré de la notion d’espace public forgée par le philosophe des lumières Emmanuel Kant, dans ses textes parus en 1784 notamment, Idée du point de vue cosmopolitique ainsi que dans Qu’est-ce que les lumières ? Pour qui, établir une « constitution civile parfaitement juste », l’homme doit être libre de raisonner publiquement avec ses semblables. Cette conception kantienne de l’espace public récupérée par Habermas, qui a su l’amplifier et l’adapter au contexte socio-politique des temps modernes.

[43] Lire à ce sujet, Jürgen Habermas, Droit et démocratie, Paris, Éditions Gallimard, 1997. Dans cet ouvrage, affirmons-le, Jürgen Habermas procède à une reconstruction du système des droits et de la citoyenneté modernes. Il tente de démontrer la co-originarité de l’autonomie privée et de l’autonomie publique et de résorber la tension entre droits de l’homme et souveraineté populaire, libéralisme et républicanisme. Le présent ouvrage, issu d’un travail de doctorat, se propose de restituer les différents moments de ce paradigme procédural tout en montrant qu’il ne peut fonctionner sans le secours d’une éthique de la responsabilité. Cet ouvrage se présente comme une synthèse critique de la théorie habermassienne de la citoyenneté et tente de mettre en perspective cette théorie dans l’économie générale de l’œuvre de Habermas. Les positions les plus récentes du philosophe (par exemple en matière de clonage ou de religion) sont également discutées.

[44] Lire à ce sujet, Jean-Jacques Rousseau, Du Contrat Social, Paris, Éditions Bookking International, 1996.

[45] L’ouvrage, L’Espace public, constitue un jalon fondateur dans l’œuvre du philosophe allemand. Après avoir obtenu une thèse de doctorat (Dissertation) en 1954 consacrée à L’Absolu et L’Histoire. Du dualisme dans la pensée de Schelling, il est devenu l’assistant d’Adorno à Francfort, dans les années de la refondation de l’Institut de recherches sociales. Entre 1959 et 1961, en pleine « querelle du positivisme » au cours de laquelle il a défendu la place de la philosophie dans les sciences sociales, il a soutenu sa thèse d’habilitation – L’espace public – sous la direction de Wolfgang Abendroth, après le refus de M. Horkheimer de la diriger. « Publié en 1962, L’espace public constitue donc un important travail de jeunesse. Dans ce texte, Jürgen Habermas tente de rendre compte de l’évolution du débat rationnel concernant la chose publique au sein de la société occidentale, en analysant ses structures sociales et ses principes fondamentaux. La problématique précise de l’ouvrage pourrait être la suivante : comment le principe du débat critique dans l’espace public classique a-t-il été profondément remis en cause au cours des XIXe et XXe siècle ? » Cf. https://hemispheregauche.fr/author/adrien-madec.

Mali’s pursuit of change: When the urge for change conceals the conditions it entails

By SIMPARA Mahamadou, Specialist in governance, peace and security issues in Africa, author and essayist in International Relations.

On Sunday, June 18, 2023, Mali witnessed a momentous political event that unfolded with great significance. Over 8 million Malian citizens were summoned to the 13,240 voting centers dispersed throughout the nation to determine the configuration and fundamental principles of the « Mali Kura » (New Mali). This event followed a series of unsuccessful attempts at constitutional revision, impeded or suppressed by popular uprisings. Nonetheless, the transitional authorities seem now achieved the audacious feat of securing the adoption of a new constitution. While the question of the authorities’ legitimacy to initiate this process remains a legitimate query, the crux of the matter resides in the far-reaching implications ensuing from the adoption of this Project of new constitution.

Amidst the binary narrative of the « YES » and « NO » factions prevailing throughout the pre-referendum campaign, it is of utmost importance to apprehend the momentous significance and enduring repercussions of this milestone. The significance of this referendum extends beyond the authorities’ mere endeavor to uphold their commitments to the international community or assess their popularity. Rather, it compels us to delve into the intricacies at stake.

From our vantage point, the core issues revolve around an array of questions that demand thorough analysis. Firstly, what are the ramifications arising from the amplification of presidential powers? The consolidation of authority in the hands of the presidency can have profound implications for the balance of power within the Malian political system. Secondly, what are the consequential implications associated with the establishment of a Senate? The creation of a Senate introduces a new dimension to the legislative framework and raises questions about its powers and potential impact on the political decision-making process.

Furthermore, it is crucial to examine how the Project of new constitution framework addresses the secular nature of the Republic. The religious and cultural diversity in Mali necessitates a careful consideration of how the text protects the rights and freedoms of all citizens while maintaining the secular character of the state. Additionally, the implementation of the Algiers Agreement, which holds significant importance for achieving stability and peace in Mali, requires an assessment of how the text will effectively realize the commitments made in this agreement.

Lastly, we must inquire into the parameters pertaining to the eligibility of the transitional president for future electoral candidacies. This issue holds implications for the democratic process and the potential consolidation or distribution of power in future elections.

By scrutinizing these multifaceted dimensions, we can unravel the profound ramifications of this constitutional referendum and gain a comprehensive understanding of the broader implications for the Malian political landscape. The adoption of a new critical in Mali marks a critical juncture in the nation’s political trajectory, and a meticulous analysis of its provisions and implications is essential to grasp the implications for governance, power dynamics, and the overall democratic development in the country.

The main changes introduced by the new text

The new constitution, if adopted in Mali, brings significant changes to the politico-institutional functioning of the country. One of the most notable changes concerns the political regime itself. Indeed, the semi-presidential system, in which the President of the Republic had to work with the parliament regarding the responsibility of the Prime Minister, is replaced by a presidential regime, in which the head of government is only accountable to the President of the Republic (Article 77).

In the practice of the 1992 Constitution, Article 54 established that « the Government is accountable to the National Assembly under the conditions and procedures provided for in Articles 78 and 79. » This constitutional amendment, therefore, entails a considerable expansion of presidential powers. Similarly, while Article 53 of the 1992 constitution stipulated that « the Government determines and implements the policies of the Nation and has control over the Administration and the Armed Forces, » the new project grants this prerogative exclusively to the President of the Republic, as stated in Article 44.

These constitutional revisions aim to consolidate and strengthen the role of the President as the central figure of the executive power. By shifting the responsibility of the Prime Minister from the parliament to the President, the presidential regime grants the latter increased political authority and a greater capacity to lead and shape national policy. This concentration of executive power in the hands of the President of the Republic can have significant implications for governance and decision-making in the country.

One major evolution of the institutional architecture lies in the establishment of a chamber of the High Council of the Nation, comparable to the Senate, which adds to the National Assembly composed of directly elected deputies. These two entities together form the Congress. According to the provisions of Article 97, the High Council of the Nation is composed of three-quarters of members elected through indirect universal suffrage, representing territorial communities, and one-quarter of designated members representing traditional authorities, Malians residing abroad, as well as individuals who have rendered remarkable services to the Nation. This new body thus promotes increased participation of local communities and adequately addresses some of the provisions necessary for the implementation of the Algiers Agreement.

Still, in terms of governance, transparency, and accountability, the new text provides for the establishment of a Court of Auditors. With effective operational power, the Court of Auditors assists the Government and the Parliament in controlling the execution of budget laws and evaluating public policies. Its role mainly consists of verifying the conformity of financial transactions, sanctioning management errors, as well as identifying and clarifying non-regulatory management acts. This measure undoubtedly constitutes a strong barrier in the fight against corruption, provided that this instrument can truly act effectively and efficiently without suffering from undesirable political influences.

Finally, another notable change deserving particular attention is the reconsideration of the role of traditional authorities. By attributing to them the title of « guardians of societal values, » they contribute to strengthening social cohesion and conflict management. This institutional recognition allows for better integration of sociocultural dynamics and traditional conflict resolution mechanisms within the broader framework of national governance.

Managing this double-edged reform as a springboard towards the achievement of « Mali-Kura »

This vote, described as « historic » by Prime Minister Choguel Kokalla Maiga after leaving the polling station, holds significant importance on multiple levels. Beyond the current political and security context prevailing in the country, as previously emphasized, this election brings about a significant change to Mali’s political and institutional framework. However, it is important to analyze whether this reform, beyond concerns regarding the legitimacy of authorities, contains detrimental elements that could compromise the much-desired restructuring sought by the Malian people.

The answer to this question hinges entirely on the actions that future leaders undertake regarding these reforms. The risks of a president with increased powers veering off course are inherent to their personality, just as the potential for a senate to ensure faithful representation depends on the existing political class. Thus, we return to the thorny question of the necessity to rebuild state institutions without a prior refoundation of Malian society itself.

It is crucial to highlight that the reconstruction of political institutions cannot be pursued in isolation; it must be accompanied by a profound transformation of Malian society as a whole. Political structures are a reflection of social dynamics and values that animate a country. Hence, without a refoundation of the Malian people, which involves a process of national reconciliation, strengthening the rule of law and democracy, as well as promoting citizen participation, political reforms risk being insufficient to achieve the set objectives.

In this regard, it is crucial for future Malian leaders to adopt a holistic approach to political refoundation. This entails not only reforming institutions and governance mechanisms but also promoting a political culture based on accountability, transparency, and citizen participation. Furthermore, it is paramount to establish checks and balances between different branches of power to prevent any excessive concentration of authority and potential abuses.

In short, although this vote is deemed « historic, » it is essential to bear in mind that political reforms are merely tools in service of a country’s refoundation. The true challenge lies in how these reforms will be implemented and integrated into an overarching process of social and political transformation. Only a comprehensive and balanced approach, grounded in solid foundations such as justice, equity, and citizen participation, will allow for the construction of a new political and institutional architecture that truly serves the Malian people.

Conclusion

In conclusion, Mali’s adoption of a new constitution through a momentous referendum signifies a critical juncture in the country’s political trajectory. This Project of new constitution provisions introduce significant changes to the politico-institutional functioning of Mali. The shift from a semi-presidential system to a presidential regime expands presidential powers, consolidating the authority of the President of the Republic. Additionally, the establishment of a Senate-like chamber, the High Council of the Nation, promotes increased participation of local communities and addresses provisions necessary for implementing the Algiers Agreement. The new text also emphasizes the importance of governance, transparency, and accountability through the creation of a Court of Auditors. Moreover, the recognition of traditional authorities as guardians of societal values contributes to social cohesion and conflict management.

However, while the constitutional reforms hold promise, their success ultimately depends on the actions of future leaders. It is crucial for Malian leaders to approach these reforms holistically, recognizing that the reconstruction of political institutions must be accompanied by a profound transformation of Malian society. This involves national reconciliation, strengthening the rule of law and democracy, and promoting citizen participation. Political reforms alone are insufficient without a prior refoundation of the Malian people. Future leaders should strive for a comprehensive and balanced approach that incorporates justice, equity, and citizen participation, while establishing checks and balances to prevent abuses of power. Ultimately, the true achievement of « Mali-Kura » lies in the effective implementation and integration of these reforms within a broader process of social and political transformation that serves the best interests of the Malian people.

Mahamadou Simpara, specialist in governance, peace and security issues in Africa, author and essayist in International Relations, mh.simpara@gmail.com

L’éducation : Quel rôle dans le processus de démocratisation en Afrique subsaharienne ?

Par Christian Dior MOULOUNGUI, philosophe, enseignant de philosophie et Doctorant à l’Université Omar Bongo (Gabon), cdmouloungui@gmail.com

Résumé

Cet article soutient l’idée que l’éducation, telle que nous l’analysons ici, est un vecteur non seulement de la formation et la transformation de l’homme, mais également essentiel pour l’appréhension des valeurs cléricales susceptibles de promouvoir le développement politique, économique et social des États africains subsahariens. Si l’éducation est inéluctablement un moyen substantiel pour le progrès de l’humanité, il convient donc de dire que l’homme n’est rien que ce que l’éducation fait de lui. A cet égard, le but final de l’éducation est d’amener les hommes à être sensés, raisonnables et instruits.  Une éducation qui, en substance, est corrélativement liée aux  valeurs qui fondent l’humanité et la liberté, donc synonyme du  respect de la vie humaine. Au final, nous voulons montrer  que l’éducation peut aider l’Afrique subsaharienne dans son processus de démocratisation à comprendre que l’acquisition de la vertu peut rendre meilleurs les membres du corps politique. Dans ce cas, l’éducation apparaît alors comme une prise de conscience des Africains à instaurer des institutions démocratiques. Elle doit développer toutes les dispositions naturelles du bien en chaque homme politique africain. Bien sûr,  de telle sorte qu’il agisse selon les valeurs de la morale, du bien, de justice, de liberté et penser, finalement, le bien commun de la société africaine subsaharienne tout entière.

Abstract

This article supports the idea that education, as we analyze it here, is a vector not only for the formation and transformation of man, but also essential for the understanding of clerical values likely to promote the political, economic and social development of sub-Saharan African states. If education is inevitably a substantial means for the progress of humanity, it must be said that man is nothing but what education makes of him. In this respect, the ultimate goal of education is to bring men to be sensible, reasonable and educated.  An education which, in essence, is correlatively linked to the values on which humanity and freedom are founded, thus synonymous with respect for human life. Ultimately, we want to show that education can help sub-Saharan Africa in its democratization process to understand that the acquisition of virtue can make members of the body politic better. In this case, education then appears as an awareness of Africans to establish democratic institutions. It must develop all the natural dispositions of the good in every African politician. Of course, in such a way that it acts according to the values of morality, goodness, justice, freedom and think, ultimately, the common good of sub-Saharan African society as a whole.

Introduction

L’éducation désigne l’ensemble d’activités de socialisation et d’apprentissage ayant pour finalité l’acquisition des savoirs, des savoir-faire, des connaissances, des normes et des valeurs nécessaires au développement intellectuel et moral du sujet. Lisons Jacqueline Russ pour l’entendre dire que l’éducation, étymologiquement, vient du latin « education, instruction, formation de l’esprit »[1].  L’éducation constitue donc un moyen efficace pour porter et établir les valeurs universelles. Dans Émile ou de l’éducation, Rousseau suppose qu’elle est un levier indispensable pour construire un nouvel homme. Pour ainsi dire, dit-il, l’homme ne peut être transformé que par l’éducation dans l’exacte mesure où « on façonne les plantes par la culture, et les hommes par l’éducation »[2]. Si l’homme naît inachevé, esquissé, alors c’est l’éducation qui le parachève, le complète : « Tout ce que nous n’avons pas à notre naissance et dont nous avons besoin étant grands, nous est donné par l’éducation »[3], affirme Rousseau. Donc, ce n’est que par l’éducation que l’homme peut redresser ses erreurs. Ce redressement signifie la réconciliation de la nature et de l’histoire, c’est-à-dire de la société ; il s’agit de vivre en animal raisonnable et social sans trahir la bonté naturelle. Dans Propos de pédagogie, Kant, lui, dira que« l’homme ne peut devenir homme que par l’éducation. Il n’est que ce que l’éducation a fait de lui »[4]. Pour lui, dans Réflexions sur l’éducation, « l’homme est la seule créature qui doive être éduqué. Par éducation, « on entend […] les besoins (alimentation, l’entretien), discipline et l’instruction avec la formation. Sous ce triple rapport l’homme est nourrisson, – élève, – et écolier »[5].

 Partant de là, chez Kant, l’éducation est donc inéluctablement primordiale dans la survie et le développement de l’humanité. En effet, elle constitue un élément fondamental pour la transformation de l’homme en allant du stade d’animalité au stade d’humanité, et donc l’éducation humanise l’homme. Comme quoi, bien évidemment, l’éducation apparaît alors comme un élément constitutif et participatif de la condition humaine tout entière. En réalité, le terme ainsi décliné, notons-le, renvoie à la formation de l’individu en tant que sujet capable de se prendre en charge grâce à sa capacité à raisonner et à ses aptitudes à répondre aux défis de l’existence. Dans ce cas, l’éducation aiderait donc l’Africain à se construire lui-même, à la prise de conscience de soi et à pérenniser la reproduction d’une société démocratique africaine, et donc au développement du continent noir. Que cela ne tienne, semble-t-il, Kant voudrait d’abord que cette prise de conscience et construction  de soi de l’Africain doit tendre vers les dispositions au bien, à la vertu et à la survie de l’humanité. C’est vrai que l’homme doit se cultiver, s’améliorer, et s’il est mauvais, développer en lui-même la moralité : « l’espèce humaine doit peu à peu, par son propre effort, tirer d’elle-même toutes les qualités naturelles de l’humanité »[6]. Mais, à y regarder de près, c’est un chemin difficile. C’est ce qui sous-entend, bien entendu, que l’éduction est le plus grand et le plus difficile problème qui puisse être proposé à l’homme. Lisons Emmanuel Kant pour l’entendre dire :

L’éducation est le plus grand et le plus difficile problème qui puisse être proposé à l’homme. En effet, les lumières dépendent de l’éducation et à son tour l’éducation dépend des lumières. Aussi bien l’éducation ne peut-elle progresser que pas à pas et un concept exact de la structure de l’éducation ne peut être établi que parce qu’une génération lègue ses expériences et ses connaissances à la suivante et que celle-ci y ajoute à son tour quelque chose et les lègue ainsi augmentées à celle qui lui succède. […] Puisque le développement des dispositions naturelles en l’homme ne s’effectue pas spontanément, toute éducation est un art[7].

Une éducation, comme un art, qui pose les fondements d’une gestion économique fluide et une organisation politique africaine de réflexibilité, de lisibilité, d’impartialité, de proximité et donc démocratique. Dans ces conditions, René Dumont ne peut rester indifférent :

La priorité à l’éducation a une valeur économique, car on ne modernise pas un pays sans un minimum généralisé d’éducation et de connaissances. C’est aussi une priorité politique, car toute démocratie vraie requiert une masse éduquée plus intelligemment que jusqu’ici[8].

 A ces propos, nous comprenons logiquement la double valeur que l’éducation doit promouvoir dans la société africaine, c’est-à-dire elle doit d’abord être considérée comme un levier économique et puis comme un substrat pour une organisation politique tendant dans la perspective d’un État de droit. N’est-ce pas là une forme de substantialisation de l’éducation dans le développement de l’Afrique subsaharienne ? L’Afrique subsaharienne, à notre humble avis, ne devrait-elle pas éduquer et former les hommes compétents susceptibles de conduire le continent dans la voie du développement ? En quoi l’éducation nous aiderait-elle dans le processus de démocratisation en Afrique subsaharienne aujourd’hui ? Quelles solutions peut-on trouver au moyen de l’éducation afin que le continent africain sorte de son statu quo politique ? 

L’éducation, un facteur pour amorcer la démocratie africaine ?

La démocratie rime avec l’éducation. Elle promeut que le corps politique tout entier doit accéder à l’éducation afin de comprendre non seulement la nature de ses principes, mais également ses enjeux dans l’organisation politique optimale. Donc, il ne s’agit pas d’une éducation comme privilège d’une certaine classe, mais une éducation de tous et majoritaire. Pourquoi ? C’est pour éviter la domination d’une classe sur une autre. Car, l’ignorance conduit nécessairement et inéluctablement au chemin de la domination et à la fracture de la société. René Dumont l’affirme ainsi :

En démocratie, il n’est plus permis que l’éducation reste comme elle l’est encore dans la majorité de l’Afrique, un privilège de classe – la classe de ceux qui ont un large accès au savoir et ceux qui peuvent autant mieux s’en servir pour dominer les autres que ceux-ci restent plus ignorants[9].

 En effet, la forme des esprits n’est concevable que si notre style d’éducation lui-même se réforme, se dynamise et donc devient source de développement. L’éducation constitue, à notre sens, un moyen efficace pour porter et comprendre l’urgence des pays de l’Afrique subsaharienne de promouvoir les valeurs démocratiques telles que liberté, justice et égalité. Elle est ici, semble-t-il, un levier indispensable pour construire un nouvel homme : l’homme africain conscient de sa condition, de ses enjeux relationnels au monde et de son développement. C’est pourquoi, d’ailleurs, nous parlons d’une éducation pour l’Afrique. En principe, c’est une éducation pour le présent africain qui doit se préoccuper de l’avenir et entend susciter et véhiculer les connaissances dont les effets sont des conduites et valeurs vertueuses susceptibles de raviver le sens profond de la vie démocratique en Afrique subsaharienne. Partant de là, à travers l’éducation, l’Afrique subsaharienne pourra viser la transformation, le développement et le bien-être de ses populations. Comme pour dire, l’éducation est un facteur primordial pour comprendre la nécessité de la démocratie dans la structuration de la vie politique. Ce qui garantirait une sorte d’égalité pour tout le corps politique, et donc concourait à l’intérêt général :

La montée en puissance des démocraties a besoin de s’appuyer sur une montée en puissance de l’éducation qui puisse guérir les démocraties libérales et délibératives de leur volonté de puissance logocentrique en forgent une faculté de juger démocratique qui soit à l’œuvre chez tous les partenaires sociaux[10].

 Mais malheureusement, les acteurs politiques africains semblent oublier la nécessité de l’éducation aux valeurs et aux principes de la démocratie dans la gestion étatique. Voilà, ultimement, en quoi le déficit d’éducation est, à notre sens, l’un des blocages du processus de démocratisation, du développement économique et social des sociétés africaines postmodernes. Justement, « est-il possible de réaliser les principes démocratiques dans les formes des peuples et des États tant qu’il existe un défi d’éducation ? Plus simplement, jusqu’où peut aller l’expérimentation démocratique dans la société faiblement éduquée ? »[11]. Au lieu d’accorder des budgets conséquents à l’éducation, les dirigeants africains préfèrent plutôt dépenser dans la militarisation, les voyages, les maisons et les voiture de luxe. René Dumont n’en pense pas moins : « On pourra, on devra accorder à l’éducation une plus large part du budget, aux dépens des crédits militaires, des bâtiments trop couteux, des autoroutes, des 3 V (voiture, villas, voyages) des riches »[12].

  A cet effet, les dirigeants africains ont du mal à trouver les mécanismes idoines pour mettre l’éducation à contribution du processus de démocratisation des États africains. Ils oublient que l’effectivité démocratique a besoin naturellement d’une éducation forte et dynamique. Mais ce qui importe pour eux, c’est d’orienter la démocratie dans le sens de la sphère privée. Comme pour dire, ils mettent en avant une sorte de gouvernance opaque qui accentue les inégalités sociales, suscite les conflits d’intérêts d’ordre individualiste et donc exclut toute forme d’organisation politique professant l’État de droit. D’après Pierre Nzinzi, « En Afrique, il est courant que le jeu démocratique se transforme en machine de guerre dramatique, au point que là où des élections libres et transparentes sont censées promouvoir la cohésion sociale et le respect de l’État de droit, au final, c’est paradoxalement la force des armes qui prend la place de la force du droit »[13]. En réalité, ces États africains ne prennent pas en compte les principes de la démocratie faute d’une éducation aux valeurs de l’État de droit dont laquelle devrait exister les valeurs démocratiques.

 Ceci dit, les pays africains ont adopté le régime démocratique sans au préalable aller à son école. Comment alors comprendre les enjeux des principes démocratiques ?  Même si à première vue, naturellement parlant, les africains sont des hommes politiques de naissance. Mais pour ce qui concerne la bonne gouvernance, ils deviennent plus illusionnistes que réalistes. Pourquoi ?  Parce que la politique est une science et un art et amour du prochain. Justement, il manque à l’organisation politique africaine une bonne éducation aux valeurs et aux principes de la démocratie, et au respect de la vie humaine. Car, l’acquisition de ces valeurs permet, à notre humble avis, aux hommes politiques africains d’avoir une dimension humaniste élevée pour le triomphe de la démocratie dans les États.

 La vertu et le corps politique africain

  C’est dans l’acquisition des connaissances et des valeurs vertueuses nécessaires que les hommes politiques africains pourraient devenir de bons dirigeants, en prenant en compte la volonté tout entière du peuple.  Mais qu’est-ce que la vertu ? « Par vertu, il faut entendre, ici, un attribut de la conduite humaine fondée simultanément sur la propension marginale à viser rationnellement des fins communes et sur la propension marginale à agir efficacement en vue de ces fins »[14]. De cette approche définitionnelle, il convient donc de comprendre que les deux sens de ce vocable sont consubstantiels, dans la mesure où ils tendent à rendre l’homme africain meilleur. C’est-à-dire, le fait d’éduquer notre âme à l’idée du Bien de telle sorte que chaque homme soit effectivement capable de poser un acte selon le bien, d’agir selon les lois morales et de penser le bien commun. C’est pourquoi, naturellement, « est dit vertueux, tout individu qui fait ou s’efforce de faire coïncider son agir avec des fins, personnelles et collectives »[15].

  Tout compte fait, le respect de la vie humaine sans doute est au centre de l’État de droit, et par conséquent, il doit prévaloir « tout agir politique, économique et social, et le règne du droit face à l’irresponsabilité citoyenne »[16]. Toutefois, ces vertus nécessaires sont loin d’être des valeurs des dirigeants africains. Effectivement, c’est la question de la valeur morale des hommes politiques africains qui est soulevée ici. Pour dire les choses autrement, la condition indéniable selon laquelle les autorités politiques à la tête des États africains doivent être vertueuses, afin que la souveraineté du peuple soit inviolable, indivisible et imprescriptible.

 De ce fait, l’exigence démocratique dans les États africains ne peut être pratique ou mieux encore réalisable qu’à ce prix. Par ailleurs, si le Souverain fait piètre de figure du Prince vertueux, alors il se transforme immédiatement en despote et le dialogue dans ces conditions resterait absent entre le peuple et lui. En fait, il faut savoir que la notion de vertu incarne les préceptes d’humilité, de tolérance, de dialogue et de paix. Le souci ici est de comprendre que l’homme politique africain et les citoyens doivent être tous vertueux pour la bonne marche de l’État, et donc le triomphe de la démocratie dans les  pays africains. Rousseau l’a compris lorsqu’il affirme : « sans vertu, les hommes vivent dans l’insécurité soumis à la pression des mœurs, qui président à toute éducation »[17]. Explicitement dit, la vertu doit être au cœur de la vie politique africaine postmoderne afin non seulement de proposer une éducation aux valeurs démocratiques, au respect de la dignité humaine au plus haut niveau de l’État, mais également d’éviter la démagogie, les préjugés, les sophismes politiques.

  En outre, il faut insister du fait que l’autorité politique et les citoyens qui composent les sociétés africaines postmodernes se doivent tous de réaliser dans leur for intérieur la vertu, afin d’établir une souveraineté indéniable. Dès cet instant, il importe pour eux d’exercer une rigueur quant à leur mode de vie en comprenant le sens de la responsabilité que le vivre ensemble implique. A cet égard, l’homme politique raisonnable qui cherche l’établissement d’une société africaine démocratique, nous semble-t-il, doit fuir un état d’insécurité pour chercher perpétuellement le dialogue qui est l’un des éléments constitutifs d’une vie démocratique. Pour ce faire, plus l’Africain, chacun à son niveau, aura à développer l’usage de sa raison dans le sens de l’intérêt général, plus il voudra construire une société dont les membres seraient plus libres dans une société égale et prospère. C’est-à-dire, comme l’aurait souhaité Ebénézer Njoh Mouelle[18], mettre en évidence les valeurs humanistes et déterminantes telles que la liberté et la rationalité. Plus nous serons raisonnables et libres, plus nous avons les chances de savoir ce qui est bon et avantageux pour soi et pour les autres. En effet, l’homme africain raisonnable et libre a la possibilité de faire le choix idéal qu’un homme aliéné, dans l’exacte mesure où la raison suppose la distinction du bien du mal et du vrai du faux. Voilà pourquoi, dans les sociétés africaines, les hommes se doivent de rechercher l’exigence d’une vie démocratique pour le bien commun et la conservation de leur être, en mettant en avant les principes démocratiques et les vertus nécessaires pour le développement économique et social du continent africain. 

 En principe, cet article nous amène à réaliser que chaque Africain pour la promotion d’une société démocratique, a la responsabilité de contribuer, de près ou de loin, au bon fonctionnement étatique. De ce fait, nous invitons l’ensemble de la communauté politique africaine à mettre en pratique l’idée du principe de l’éducation à la vertu, afin que soit établie une dynamique démocratique pour développer l’Afrique subsaharienne. Et celle-ci serait le fondement de toute harmonisation de la vie en société. Alors, dans la pratique de la vertu, chaque Africain à la possibilité de comprendre l’harmonie et la saisie de son être ontologique. De fait, l’existence est une action vertueuse de la liberté appelée à faire des choix décisifs : c’est la condition humaine, sa tâche authentique d’être humain, un humain vertueux et responsable vis-à-vis de lui-même et de ses engagements à l’égard de la société dans laquelle il vit. Nous sommes ici, finalement, dans une dimension ontologico-politique du sujet.  

  Somme toute, cette dimension nouménale du sujet ne se comprend que dans la vertu de la prise de conscience de soi de l’homme africain. En effet, la prise de conscience de soi englobe la possibilité et la capacité d’éveiller et de conscientiser l’Africain. C’est pour qu’il prenne ses responsabilités au niveau politique, économique et socioculturel. Ainsi, le fil d’Ariane et le socle ontologique de l’Africain postmoderne se trouve dans le penser de la vertu, et donc dans l’acte d’éduquer. Au final, la vertu doit être l’apanage de la communauté politique pour une démocratique effective et plausible de l’Afrique subsaharienne.

L’Africain libre, conscient et actif : Résurgence d’un discours panafricain iconoclaste

Il est question ici de montrer comment réveiller la conscience de soi de l’Africain et l’incorporer urgemment un discours iconoclaste pour un renouveau politique. A cet égard, c’est le texte de Gilbert Zuè-Nguéma, Africanités hégéliennes. Alerte à une nouvelle marginalisation de l’Afrique (2006), qui nous servira de support pour développer et structurer notre analyse. Ceci dit, il est temps que les Africains ne pleurnichent plus, ne s’agenouillent plus devant les Occidentaux. En effet, la marginalisation de l’Afrique doit maintenant interpeler les Africains de façon consciencieuse afin qu’ils assument leurs responsabilités. Loin de se faire hanter, comme nous le faisons, par la nostalgie des temps esclavagistes, colonialistes, néocolonialistes et impérialistes, les Africains doivent prendre conscience de la profondeur de leur potentiel, se réveiller dynamiquement et affronter tête haute leurs propres réalités et les défis mondiaux. En principe, personne ne peut penser l’Afrique  subsaharienne que les Africains eux-mêmes, et donc d’aucuns ne peuvent penser à la place des Africains.

  Pour ce faire, les Africains doivent incarner une posture politique droite, responsable et révolutionnaire. Cela passe par la prise de conscience de soi de l’homme africain, donc la nécessité d’une philosophie africaine du sujet garant d’une humanité libre, consciente et active. C’est la tâche même qui doit animer et caractériser aujourd’hui tout Africain libre et rationnel qui veut le changement de paradigme dans l’organisation politique. Lisons Gilbert Zuè-Nguéma pour l’entendre dire : « La principale tâche qui incombe au philosophe africain actuel c’est de penser la modernité de l’Afrique à l’heure de la mondialisation économique et du libéralisme triomphant. Cela revient à penser en priorité l’individu africain en tant que sujet, c’est-à-dire en tant qu’être humain libre et actif »[19]. Pour raison, c’est pour sortir du schéma pessimiste et fataliste que l’homme africain n’ait jamais cessé d’afficher face aux défis mondiaux. Le temps est maintenant pour l’homme africain d’assumer sa condition humainement libre, consciente et active. C’est sa véritable réalité existentielle, qu’il le veuille ou non.  Gilbert Zuè-Nguéma le note avec pertinence que «  c’est le défi qu’il est contraint de relever d’urgence parce que les populations africaines sont acculées au désespoir par la mondialisation économique actuelle »[20].

Ce que l’Africain ignore, nous semble-t-il, c’est que se lamenter sur son passé si dramatique qu’inhumain constitue un labyrinthe au décollage économique et politique alors que ce passé doit être un levier pour booster son développement et celui de son milieu.  Aujourd’hui, il s’agit de comprendre qu’il est possible qu’il se prenne non seulement en charge, mais également de savoir que « les mêmes problèmes qui préoccupent l’Europe, l’Amérique ou l’Asie se posent avec la même acuité en Afrique »[21]. C’est l’entrée de l’homme africain dans une nouvelle ère, celle de la prise de conscience de soi et de sa condition existentielle réelle. Voilà, ultimement, en quoi la restructuration de la formation de l’individu africain apparaît donc salvatrice et énonciatrice du renouveau politique en Afrique subsaharienne. Parce que l’éducation, voire la formation de l’Africain, permet effectivement non seulement de poser de nouvelles bases de la construction de soi, mais aussi de faire face aux défis mondiaux, à la mondialisation et au libéralisme. Pour ainsi dire, la formation de l’individu africain constitue à la fois un défi économique, politique et social.

  A cet égard, pour ostraciser ou occulter l’éternelle problématisation du sous-développement en Afrique subsaharienne, il faut promouvoir une éducation de qualité en tant que « vectrice des valeurs des libertés, du respect de nos différences, promotrice des droits de l’homme et de la vie, de l’égalité pour tous »[22], note pertinemment Léon Matangila. L’Afrique devrait ainsi former son peuple, l’initier à la possibilité et à la capacité de se prendre en charge afin de répondre aux attentes internes et s’affirmer sur la scène internationale. C’est la construction de l’homme africain responsable et compétitif, avec des têtes bien faites et non seulement bien pleines[23]. Il s’agit ici de promouvoir l’Africain qui cultive le goût de l’effort, apte à résoudre les problèmes de la société et à répondre aux problématiques actuelles et  avenir. Mais aussi et surtout, bien évidemment, l’Africain responsable, prompt au jugement et à la critique.

Dans cette perspective, la formation de l’homme africain doit mettre en exergue l’accent sur la prise de conscience de soi et collective, les valeurs démocratiques et les principes recouvrant une gouvernance d’intérêt général des membres du contrat social : « mettre l’accent sur la démocratie, les risques des dérives autoritaires et dictatoriales, l’éveil de la conscience commune et nationale, du sens du bien commun, les principes de la bonne gouvernance »[24]. A l’évidence, il apparaît donc fort probable que la nécessité de la prise de conscience de soi de l’Africain, voire sa formation est une urgence et un impératif pour le développement de la démocratie authentique et efficace en Afrique subsaharienne. Oui, « Il faut penser l’homme africain et le former en conséquence, non en tant que simple individu mais comme sujet, celui qui fonde son action sur sa décision souveraine »[25]. Dans ces conditions, on peut maintenant prévaloir avoir un Africain comme « sujet de droit (propriétaire), sujet moral (conscience), membre d’une famille, d’une corporation professionnelle et d’une classe sociale et enfin … citoyen d’un État rationnellement organisé »[26]. En un mot, c’est l’émergence de l’individu africain actuel et futur que doit viser les États de l’Afrique subsaharienne. Fini l’Africain passif, aliéné et pleurnichant devant la face de la communauté internationale ! Cet homme africain est maintenant capable de dire non aux manipulations politiques et à d’autres formes du nouveau colonialisme occidental. Parce qu’il est dorénavant conscient de sa condition existentielle et du fonctionnement de la sphère politique nationale qu’internationale.

 En outre, la valorisation de la connaissance de soi est donc capitale du renouvellement et de l’effectivité de l’intelligence de l’Africain éveillé. C’est l’incarnation optimale de la maxime socratique « Connais-toi toi-même », qui doit réveiller l’Africain de son sommeil dogmatique. Une connaissance de soi valorisant sa connaissance, son éveil profond et dynamique, et non une simple introspection individuelle et anodine. A cet effet, il revient donc à l’Africain, conscient et formé, de se servir de son entendement pour élargir son champ de vision rationnelle et politique afin de réaliser le développement de l’Afrique subsaharienne. Car : « La connaissance ou seulement l’intuition que les Africains ont d’eux-mêmes peut conduire à une philosophie qui ne se contente pas d’être ou simplement analytique ou simplement descriptive »[27], mais dont l’ambition est  la pensée comme l’être qui se pense soi-même et pense son environnement. Comme pour dire, la valorisation de la connaissance de soi par les Africains eux-mêmes doit viser le rétablissement individuel de l’idéal selon lequel les Africains sont des êtres dotés d’intelligence et de volonté, et donc peuvent construire leur continent. Car : « Par intelligence, ils peuvent discerner le positif et le négatif dans une situation confuse et fonder une action ; par volonté, ils peuvent mettre en œuvre leur sens pratique pour faire valoir leurs choix »[28].

A ces propos, nous avons là une sorte de déterminisme et de réalisme d’une philosophie africaine dynamique montrant que les Africains peuvent et sont capables de penser librement, d’agir efficacement, et d’organiser rationnellement leur environnement politique sans s’aliéner à l’impérialisme occidental. Gilbert Zuè-Nguéma le note avec pertinence que « Tel peut être le premier résultat visé par une philosophie africaine du sujet actif : élever l’intuition de soi des Africains à la connaissance de soi comme des esprits libres, c’est-à-dire comme des êtres qui savent penser et qui sont capables d’agir »[29]. Au final, l’Africain libre, conscient et actif doit être capable de penser l’organisation politique de son continent en prenant en compte ses propres réalités et les réalités extérieures. En effet, il faut manifestement comprendre que :

L’esprit libre, dans la Philosophie de l’esprit, est dans l’objectivité sienne en tant que sujet de droit, sujet moral, membre d’une organisation sociale ou politique. Une philosophie africaine du sujet actif doit, se référant à ce schéma, poser et formaliser la question des rapports des Africains au droit, à la morale et à la politique[30].

  Il convient donc ici de chercher à établir fondamentalement le rapport entre l’individu africain et la société africaine actuelle autour de trois problématiques respectives, à savoir : la question juridique, la question éthique et la question politique, estime Gilbert Zuè-Nguéma. Pourquoi ? Parce que, dit-il, la question juridique est la mise en évidence du « fondement et la valeur de la loi dans l’Afrique d’aujourd’hui »[31], ensuite la question éthique permet de comprendre « le sens actuel de l’éthique chez les Africains : cela met en jeu leurs cultures populaires et leurs traditions et les soumet en même temps à la nécessité de mettre leurs valeurs traditionnelles en compétition avec les valeurs éthiques du monde présent »[32], et enfin la question politique consiste à saisir « le fondement de l’État dans l’Afrique actuelle et sa pratique des institutions : ce qui confronte la vie politique africaine de l’heure à ce qui se fait ailleurs dans le monde au même moment et dans le même domaine »[33].  En somme, l’esprit libre, conscient et actif de l’individu africain doit sous-tendre une vision du développement en s’adaptant aux réalités nouvelles et en comprenant ses propres situations. C’est justement par ce processus que l’Afrique subsaharienne pourrait répondre présente à une communauté soudée, aux défis mondiaux et à une évolution sans précédent au même titre que d’autres continents. En réalité, Gilbert Zuè-Nguéma le note pertinemment :

Il faut donc se convaincre que les sociétés africaines, au même titre que toutes les autres, sont contraintes d’évoluer, certes non pas au même rythme qu’elles mais un peu plus vite que d’habitude. Si cette nécessaire évolution s’amorce, se confirme et s’accélère quelque peu, il faudrait alors à l’homme d’action africain d’assumer conjointement les traditions locales et les exigences mondiales[34].

  C’est pourquoi, manifestement, nous pensons que la formation de l’individu africain libre, conscient et actif s’impose inéluctablement comme une urgence et nécessité de l’action politique africaine contemporaine dynamique.

Conclusion : L’optimisme d’un renouveau politique africain

La dégradation de la démocratie en Afrique subsaharienne n’est pas fataliste, ni une situation éternelle. On a l’optimisme que le nouveau paradigme d’une organisation politique africaine rationnelle et professant l’État de droit pourrait être possible. C’est au moyen de l’éducation, comme on l’a vu, que ce renouveau politique africain trouvera son accomplissement. Dans l’exacte mesure où l’éducation est le substrat de la démocratie. Pourquoi ? Parce que, à notre sens, toute démocratie requiert une éducation fondamentale des membres du corps politique ou du contrat social aux valeurs cléricales, aux principes organisationnels étatiques et aux valeurs morales. Dans ce cas, il faut être allé à l’école de la démocratie pour connaître son fonctionnement, apprendre à connaître réellement et profondément la finalité de la liberté et de la rationalité, et acquérir la vertu pour comprendre la primauté de sacraliser la vie humaine. C’est pourquoi, bien évidemment, nous pensons que ceux qui sont censés diriger l’État en Afrique doivent développer les dispositions naturelles au bien. Parce que la Nature les a mises en eux toutes inachevées, incomplètes, esquissées et donc ce sont des dispositions sans la marque distinctive de la moralité. Or, les dirigeants africains ont ostracisé ces dispositions naturelles et l’éducation en professant l’inclination devant l’injuste devenu maître du monde.

  A l’évidence, pour une organisation politique optimale visant l’État de droit, le dirigeant africain doit d’abord s’améliorer lui-même, se cultiver lui-même, et s’il pense qu’il peut mal diriger ou faire abstraction au bien commun, il doit s’efforcer à développer en lui-même la moralité. Voici, nous semble-t-il, le sacerdoce que doit prévaloir tout leader politique africain. Car, l’éducation un facteur salvateur et transformateur de l’homme. Mais le problème, bien sûr, c’est que ce ne pas chose aisée ni donnée d’emblée. Kant n’en pense pas moins :

L’éducation est le plus grand et le plus difficile problème qui puisse être proposé à l’homme. En effet, les lumières dépendent de l’éducation et à son tour l’éducation dépend des lumières. Aussi bien l’éducation ne peut-elle progresser que pas à pas et un concept exact de la structure de l’éducation ne peut être établi que parce qu’une génération lègue ses expériences et ses connaissances à la suivante et que celle-ci y ajoute à son tour quelque chose et les lègue ainsi augmentées à celle qui lui succède. […] Puisque le développement des dispositions naturelles en l’homme ne s’effectue pas spontanément, toute éducation est un art[35].

  Dès lors, on peut donc manifestement prétendre que l’éducation est un moyen efficace qui empêcherait que les dirigeants africains soient détournés de leur bonne nature en soi, du progrès de l’humanité et de l’affirmation de l’État de droit en Afrique subsaharienne, par la prédominance de leurs passions et de la primauté des intérêts individualistes. In fine, si pour Kant, « C’est d’une bonne éducation que naît tout le bien dans le monde ». Alors, nous le pensons, sans cette bonne éducation aux sphères de la gouvernementalité en Afrique subsaharienne, semble-t-il, la démocratie et le développement tant entendus resteraient une chimère. Ainsi, ce n’est que par l’éducation que chaque Africain comprendra sa véritable nature supposée incarner les capacités d’esprit, d’entendement, et la dimension réelle de la liberté.

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[1] Jacqueline Russ, Dictionnaire de philosophie, Paris, Éditions Bordas, 1991, p. 83.

[2] Jean-Jacques Rousseau, Émile ou de l’éducation,  Paris, Éditions Garnier-Flammarion, 1996, p. 36.

[3]Ibid., p. 37.

[4] Emmanuel Kant, Propos de pédagogie, traduction Alexis  Philonenko, Éditions Vrin, 1980, p. 73.

[5] Emmanuel Kant, Réflexions sur l’éducation, traduction Alexis Philonenko, Paris, Éditions Vrin, 1967, p. 69.

[6] Emmanuel Kant, Propos de pédagogie, Op. cit., p. 70.

[7] Ibid., p. 77-80.

[8] René Dumont, Démocratie pour l’Afrique, Paris, Éditions du Seuil, 1991, p. 257.

[9] Ibid., p. 257.

[10] Irma Julienne Angue Medoux, « Présentation de l’argument », In Éducation et démocratie en Afrique et en Europe, Op. cit., p. 13.

[11] Pierre Nzinzi, « Éducation et démocratie dans les sociétés postmodernes africaines et européennes », In Éducation et démocratie en Afrique et en Europe, Paris, Éditions L’Harmattan, 2014, p. 9.

[12] René Dumont, Démocratie pour l’Afrique, Op. cit., p. 257-258.

[13] Pierre Nzinzi, Op. cit., p. 8-9.

[14] Jean-Rodrigue-Elisée Eyené Mba, « L’éducation à l’exercice de la souveraineté et aux valeurs de l’État de droit comme fondement de la nouvelle rationalité économique en Afrique postmoderne », In Éducation et démocratie en Afrique et en Europe, Paris, Éditions L’Harmattan, 2014,  p. 119. 

[15] Ibid., p. 120.

[16] Ibid., p. 119.

[17] Rousseau, Du Contrat social, Op. cit., p. 19.

[18] Lire à ce sujet, Ebénézer John Mouelle, De la médiocrité à l’excellence, Yaoundé, Éditions CLE, 1972.

[19] Gilbert Zuè-Nguéma, Africanités hégéliennes. Alerte à une nouvelle marginalisation de l’Afrique, Paris, Éditions L’Harmattan, 2006, p. 222.

[20] Ibid., p. 222.

[21] Ibid., p. 222-223.

[22] [22] Léon Matangila, « L’éducation à l’interculturalité, condition pour l’essor des démocraties en Afrique », In Éducation et démocratie en Afrique et en Europe, Paris, Éditions L’Harmattan, 2014, p. 168.

[23] Ibid., 169.

[24] Ibid., 171.

[25] Gilbert Zuè-Nguéma, Op. cit., p. 223.

[26] Ibid., p. 224.

[27] Ibid., p. 226.

[28] Ibid., p. 226-227.

[29] Ibid., p. 227.

[30] Ibid., p. 227.

[31] Ibid.

[32] Ibid.

[33] Ibid.

[34] Ibid., p. 232.

[35] Emmanuel Kant, Propos de pédagogie, Op. cit p. 77-80.

Démocratie au Gabon: Quelle direction?

Christian Dior MOULOUNGUI, est philosophe. Il est enseignant de philosophie et Doctorant en troisième année à l’Université Omar Bongo (Gabon) , cdmouloungui@gmail.com Libreville / Gabon

Résumé

Cette tribune étudie l’état de la démocratie tel qu’il se présente au Gabon. La démocratie dans cet État de l’Afrique centrale, nous semble-t-il, fonctionne à pas de caméléon. Nonobstant l’ouverture démocratique amorcée dans les années 1990 prônant pour le pluralisme politique dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, l’opacité de l’organisation politique au Gabon apparaît alors comme un obstacle à l’effectivité démocratique. Cette problématique de la gouvernance au Gabon est asymétrique à la question de l’alternance démocratique, bien qu’il y ait d’autres formes des dérives du pouvoir. Comment comprendre effectivement que plus d’un demi-siècle, voir plus de 55 ans, de règne présidentiel avec un même parti (PDG) au pouvoir depuis1968 ? Dans ce cas de figure, plus de trente ans plus tard, la promesse tant entendue de la démocratie est fille d’une attente sempiternelle et l’espoir du peuple gabonais de voir les jours meilleurs s’enlise dans le désenchantement total.     

Abstract

This article examines the state of democracy as it stands in Gabon. Democracy in this Central African state, it seems to us, is working at a chameleon’s pace. Notwithstanding the democratic opening that began in the 1990s advocating political pluralism in several sub-Saharan African countries, the opacity of political organization in Gabon then appears as an obstacle to democratic effectiveness. This problem of governance in Gabon is asymmetrical to the question of democratic alternation, although there are other forms of power abuses. How can we understand that more than half a century, or even more than 54 years, of presidential rule with the same party in power since 1968 ? In this case, more than thirty years later, the long-heard promise of democracy is the daughter of an eternal expectation and the hope of the Gabonese people to see better days is bogged down in total disenchantment. 

Introduction

Le triomphe de la démocratie libérale prédit et soutenu par les Occidentaux est bel et bien significatif dans l’œuvre Francis Fukuyama à la fin de la guerre froide. Pour lui, dans La fin de l’histoire et le dernier homme[1], la fin de la guerre froide marque une nouvelle ère de paix et de la fin des combats idéologiques. Et donc, finalement, la fin du communisme, des régimes totalitaires et le triomphe de la démocratie libérale et du capitalisme dans le monde. A cet effet, il prédit alors que cette nouvelle période des relations internationales,  post-guerre ou post-historique, est considérée comme une expansion, une émergence de la démocratie libérale dans le monde. Avant lui, François Mitterrand n’en pensait pas moins en s’appuyant sur la nécessité de la démocratie dans la gouvernance africaine :

Lorsque je dis démocratie, lorsque je trace un chemin, lorsque je dis que c’est la seule façon de parvenir à un état d’équilibre au moment où apparaît la nécessité d’une plus grande liberté, j’ai naturellement un schéma tout prêt : système représentatif, élections libres, multipartisme, liberté de la presse, indépendance de la magistrature, refus de la censure : voilà le schéma dont nous disposons[2].

A ces propos, au-delà de l’objectivité première de ce discours, il s’agissait d’une sorte d’injonction préconisée aux pays africains d’adopter le régime démocratique. Un régime idéal pour une organisation politique libérale et garant des libertés des individus. C’est-à-dire, la démocratie comme régime politique idéal, pour l’instant, qui exprime ou affirme le mieux les attentes des peuples : égalité, liberté et justice.

Dans ces contions, pour les pays africains, il apparaît alors difficile d’organiser une vie politique à la marge de cet idéal politique occidental. C’est dans ce contexte que le peuple gabonais se veut iconoclaste par le canal de multiples mouvements de contestations pour dire non aux politiques centralistes et au népotisme du pouvoir en exercice. En effet, après plus de 22 ans de politique de parti unique, le Gabon renoue enfin avec le multipartisme dans les années 1990. En réalité, c’est le contexte de l’ouverture politique et institutionnelle. Mais l’effectivité de cette mouvance démocratique sera actée en 1990 avec la Conférence Nationale[3] et en janvier 1991 avec la légalisation optimale des partis politiques d’opposition. C’est l’aboutissement d’une longue crise politique et sociale au sortir de la chute du mur de Berlin en 1989, le début de l’ère démocratique dans les années 1990. Partant de là, le Gabon peut maintenant rêver de construire un espace politique démocratique qui prend en compte l’intérêt général et la volonté de ses citoyens, et donc du corps politique dans sa totalité organique. C’est l’espoir du peuple gabonais de connaître un futur meilleur à travers un monde d’égalité, de justice et de liberté. Mais plus de trente ans après, l’idéal occidental et la prédiction de Fukuyama sur le triomphe de la démocratie n’ont pas atteint les résultats escomptés[4]. Lisons Ana Pouvreau pour l’entendre dire : « En 1989, lors de la chute du Mur de Berlin, la démocratie paraissait triomphante et son avenir s’annonçait sous un jour radieux. Trois décennies plus tard, force est de constater que les démocraties sont malades »[5]. Bien sûr, aucun État démocratique aujourd’hui, petit ou grand soit-il, n’est en marge de mouvements de contestations : « Partout se sont élevées des contestations condamnant le déficit de représentation, de légitimité et de constitution de la volonté générale »[6].  Pour ainsi dire, dans cette perspective, la politique gabonaise retombe dans ses travers. C’est pourquoi, finalement, on constate qu’après la mouvance de l’ouverture politique, l’organisation de la vie politique au Gabon est flétrie par le déclin de la démocratie. Quand bien même, nous le savons, la démocratie est et reste le régime politique par excellence dans le monde et la finalité de tout gouvernement qui se veut humain.

 En raisonnant ainsi, il n’en demeure pas moins de noter que bon nombre de spécialistes et citoyens pensent manifestement que l’effectivité des principes démocratiques pose problème en Afrique, en général et au Gabon, en particulier. A cet égard, il apparaît fort probable de constater que la sphère politique gabonaise est caricaturée par le blocage de l’alternance démocratique, le népotisme, le despotisme, et donc un dysfonctionnement de l’affirmation de l’État de droit et de la souveraineté du peuple. A partir de là, nous comprenons que l’enjeu de notre démonstration est de montrer en substance que la crise de la démocratie est belle et bien évidente au Gabon. Lisons Pierre Rosanvallon pour l’entendre dire : « L’idéal démocratique règne sans partage, mais les régimes qui s’en réclament suscitent presque partout des vives critiques. C’est le grand problème de notre temps »[7]. C’est un fait qui pose aujourd’hui, en substance, le problème de la méfiance et défiance des citoyens vis-à-vis des régimes démocratiques.

Approche diachronique de la démocratie au Gabon

 Après les indépendances dans les années 1960 en Afrique subsaharienne, plusieurs pays africains connaitront leur premier président élus par la voie des urnes. Cela fut la première marche vers une autonomisation et émancipation politiques. C’est le moment de l’affirmation de la souveraineté des États africains. Par ailleurs, il faut noter au passage que nous sommes dans le contexte des partis uniques, et donc du processus électoral à parti unique. Pierre Jacquemot  note avec pertinence que « les régime à parti unique s’installèrent quasiment partout, avec des pouvoirs centralisés, niant les choix concurrentiels, satisfaisant médiocrement le vœu des Africains de choisir librement leurs représentants »[8].

C’est dans ce contexte que le Gabon prend son indépendance le 17 août 1960. Et le 12 février 1961, Léon Mba fut élu le premier président du Gabon. Cette élection du Président Léon Mba prend forme après négociation avec l’opposition dirigée par Jean-Hilaire Aubame :

Fragilisé par ces arrestations des membres de son propre parti, Léon Mba se rapprocha du leader de l’opposition, Jean-Hilaire Aubame, pour négocier une entente. Celle-ci, très vite conclue, prit le nom d’ « Union nationale ». Elle regroupa le B.D.G., l’U.D.S.G. et le P.U.N.GA Sous ses auspices furent élus, le 12 février 1961, le premier président de la République gabonaise − en l’occurrence, Léon Mba[9].

Mais après sa mort le 28 novembre 1967, selon l’idéal constitutionnel, Albert-Bernard Bongo devient le Président de la République gabonaise : Comme le stipulait la Constitution, révisée à dessein le 17 février 1967, le vice-président Bongo lui succéda le 2 décembre 1967 »[10]. A partir du 12 mars 1968, le nouveau président, Albert-Bernard Bongo, « créa un parti unique dénommé Parti démocratique gabonais, qui abolit toutes les libertés démocratiques[11].

A ces propos, une fois au pouvoir, le Président Albert-Bernard Bongo met en place un parti politique dynamique, le Parti démocratique gabonais le  12 mars 1968, autour duquel il va assoir sa stratégie politique. A cet effet, à partir des années 1968 jusqu’à la mouvance démocratique en 1990, le Gabon est en plein essor économique. Ce développement économique est propulsé par les recettes pétrolières.  De même, il convient de dire que politiquement, le parti unique (PDG), sous l’égide du Président Albert-Bernard Bongo, assure l’équilibre du pays à travers le dialogue et l’intégration de différents bords politiques. En un mot, il faut comprendre que sur le plan économique et politique, en ce temps, le Gabon est considéré comme un prototype en matière du développement économique et de stabilité politique au niveau de l’Afrique centrale.   

La dérive du pouvoir

 Outre ses prouesses en matière de développement économique et de stabilité politique, la politique du parti politique unique menée par les gouvernants gabonais met en place une politique du ventre[12], autoritaire et clientéliste au Gabon. A partir de là, il y a une sorte d’implantation et de manifestation de la privation des libertés d’expression, de conscience et d’agir : « Le 17 mars, les autorités ont suspendu les activités de la Convention nationale des syndicats du système éducatif (CONASYSED), le principal syndicat d’enseignants du pays, invoquant le « trouble à l’ordre public » causé lors du début du mouvement de grève en octobre 2016 »[13]. En plus, ladite politique semble être caractérisée par la mauvaise gestion de la manne pétrolière, et donc soldée par une gouvernance opaque de ressources naturelles :

Selon le rapport du Fonds monétaire international sur le Gabon, […] la gouvernance déficiente et les fuites de recettes du pays sont dues à l’absence de transparence des accords de partage de la production ; l’absence de vérification des coûts déclarés par des entreprises ; le manque de transparence des déclarations de recettes pétrolières. A cela s’ajoute la mauvaise gestion des entreprises pétrolières publiques, Gabon Oil Compagny (GOC) et la raffinerie nationale gabonaise, la Sogara, qui s’accompagne de transferts financiers peu transparents entre elles et l’État[14].

Cette mauvaise gouvernance des ressources pétrolières a plusieurs conséquences, à savoir : la pauvreté et les inégalités sociales plausibles dans la société gabonaise. Selon le rapport Gabon : Profil de Pauvreté 2017, « pour l’ensemble du pays, la pauvreté se situe à 33,4 pour cent en 2017, tandis que l’extrême pauvreté (ou pauvreté alimentaire) concerne 8,2 pourcent des gabonais »[15]. L’incidence de la pauvreté (PO) par milieu de résidence au Gabon, selon ce rapport, présente les données suivantes : « Nous constatons que la pauvreté est plus élevée dans le Sud rural où elle concerne plus de deux tiers des individus, tandis qu’elle concerne 21 pour cent des individus à Libreville, la capitale Gabon. Port-Gentil et le reste de l’Ouest Urbain se situe également en dessous du taux de pauvreté national de 33,4 pour cent »[16]. Et l’extrême pauvreté : «  Au niveau national, l’indice de la pauvreté extrême est de 8,2 pour cent en 2017. Une ventilation des résultats selon le milieu de résidence montre que la pauvreté extrême est beaucoup plus important en milieu rural avec un taux de 25,4 pour cent »[17].

 En outre, on peut ainsi dire que le Gabon sombre dans l’aristocratie[18], le despotisme[19] et le népotisme[20] depuis l’ère du Président Omar Bongo Ondimba[21] à la succession en 2009 de son fils, Ali Bongo Ondimba[22] jusqu’aujourd’hui. Cette succession du père au fils est bien loin d’être la règle de l’alternance démocratique, mais, en réalité, elle est beaucoup plus une succession monarchique, dynastique. Le pouvoir du père au fils, cette alternance politique typique devient un prototype en Afrique subsaharienne, notamment en février 2005 au Togo et en mars 2021 au Tchad. Aujourd’hui plus qu’hier au Gabon, les libertés d’expression et de manifestation sont souvent opprimées. Donc, semble-t-il, cette répression face  à tout mouvement de contestations montre en suffisance que l’expression des libertés individuelles ou collectives apparaît sans doute aliénée. Les conflits post-électoraux de 1993, 2009 et 2016 traduisent le caractère oppressif des gouvernants en exercice. A cet égard, même malgré le multipartisme et donc le triomphe de la démocratie des 1990, on peut comprendre que la démocratie gabonaise peine à se réaliser.         

En effet, comme nous l’avons dit, nonobstant l’ouverture politique caractérisée par la mouvance démocratique dans les années 1990 en Afrique, l’organisation politique au Gabon fonctionne en marge des principes de la démocratie. Pour dire les choses autrement, la démocratie fonctionne à pas de caméléon, pour emprunter l’expression de  Richard Banégas[23]. Cela dit, depuis ces années 1990 symbolisant le retour à la vie démocratique et au pluralisme des partis politiques au Gabon, le régime politique n’a jamais changé. D’après Lassaad Ben Ahmed, « Au Gabon, la famille Bongo cumule plus d’un demi-siècle à la tête du pays, d’abord avec Omar Bongo durant 42 ans, depuis 1967, succédé ensuite par son fils Ali Bongo et toujours en poste »[24]. De même, l’élection des députés et sénateurs par le peuple gabonais, comme leurs représentants au Parlement, n’a jamais changé de paradigme ni pour une organisation politique adéquate et optimale, ni pour la confiance du peuple qu’ils sont censés représenter. L’enquête menée au Gabon par l’Afrobaromètre[25] en 2020, semble-t-il, nous donne une idée plus ou moins distincte de la situation démocratique dans ce pays. D’après cette enquête, « La moitié (50%) des Gabonais ne font pas du tout confiance  aux députés et sénateurs, en plus de 29% qui leur font juste un peu confiance. Seulement 6% leur font « beaucoup confiance »[26]. Dans ce cas de figure, nous dit Pierre Rosanvallon, nous sommes dans Le Parlement des invisibles[27]. C’est-à-dire, l’abandon exaspéré de nombreux gabonais qui se disent oubliés, incompris et pas écoutés par leurs représentants. Il faut donc comprendre que :

La forte majorité des enquêtés disent que ni les sénateurs (74%) ni les députés (63%) ne les écoutent jamais. La très large majorité des Gabonais jugent négative la performance des députés (78%) et des sénateurs (83%). Aussi, six Gabonais sur 10 (61%) estiment que la plupart ou « tous » les parlementaires sont impliqués dans les affaires de corruption[28].

 De même, Alix-Ida Mussavu n’en pense pas moins, en reprenant les sondages d’Afrobarometer  sur l’appréciation de la démocratie au Gabon : « Selon les résultats du 8e tour d’Afrobarometer au Gabon sur l’appréciation de la démocratie, 70% des Gabonais préfèrent la démocratie à toute autre forme de gouvernement mais plus de 88% ne sont pas satisfaits de son fonctionnement dans le pays »[29]. Au final, par ces sondages dont les données nous paraissent fiables, nous pouvons dire sur la base de l’expérience et d’appréciation que la manière de gouverner et la qualité de la vie au Gabon permettent de comprendre que la démocratie est d’autant plus chimérique et fataliste que réaliste.          

La mal-représentation

  Le problème de la politique gabonaise, à notre humble à vis, c’est la mal-représentation. Et celle-ci est la conséquence directe de la mauvaise gouvernance. Pour comprendre les choses autrement, le fait que les dirigeants gabonais n’assurent pas leur fonction des représentants du peuple de manière adéquate et optimale, il n’est pas sans conteste étonnant d’être dans la situation de gouvernance chaotique que connaisse le Gabon actuellement. Le clan dirigeant se livre, semble-t-il, au pillage sans précédent de ressources et richesses du pays. Selon Rose Moussaoui, dans Le Clan Bongo, un demi-siècle de règne et de pillage,  « ces richesses n’ont jamais profitées aux Gabonais, privés d’infrastructures et de services de base »[30]. Les conséquences immédiates de cette gouvernance opaque  sont : le népotisme, le clanisme et surtout, bien sûr, le chômage chronique des jeunes gabonais : « Dans son rapport publié le 11 août dernier à la veille de la célébration de la journée internationale de la jeunesse, l’OIT estime à 73 millions le nombre de jeunes chômeurs en 2022, soit 14,9%, en baisse par rapport à 2021 (75 millions), mais supérieur de 6 millions par rapport à 2019 »[31]. Parce que les postes dans l’administration gabonaise sont à la solde des collaborateurs et parents. Plus déplorable encore en ce qui concerne cette mal-représentation, c’est qu’elle a posé une scission entre le peuple gabonais et ses représentants. C’est-à-dire, les citoyens n’ont plus confiance à ceux qui les dirigent, et donc ils deviennent alors méfiants vis-à-vis d’eux et distants à l’organisation politique. Pierre Rosanvallon, dans son texte Le Parlement des invisibles, n’en pense pas moins : « Une coupure s’est creusée entre la société et les élus censés la représenter. Ce constat est aujourd’hui bien établi »[32].

  A ces propos, pour revenir à la situation démocratique du Gabon, il faut comprendre que l’érosion de la confiance s’est établie entre le peuple gabonais et ses représentants. Ces dirigeants gabonais auraient oublié volontairement, puisqu’ils en connaissent la nature et les enjeux d’une organisation politique démocratique, l’intérêt général et la souveraineté du peuple gabonais dans leur « gouvernementalité ». Autrement dit, le problème, justement, est que ces dirigeants gabonais excluent toute transparence dans la gestion de la chose publique, déclinent toute responsabilité, favorisent le partisanisme et rejettent consciemment l’écoute du peuple. De ce fait, Il apparaît donc fort probable de justifier, finalement, la méfiance, les critiques, le désarroi et le mécontentement des citoyens gabonais à l’égard de leurs dirigeants.

Partant de là, il sied d’affirmer que les dirigeants gabonais n’ont visiblement pas la volonté de penser démocratiquement la société gabonaise, ni comment gérer la chose politique démocratiquement de telle sorte que le bien-être des gabonais soit effectif. Mais dommage, bien évidemment, parce que leur souci n’est visiblement que d’assouvir leurs intérêts individualistes et partisans. Encore plus inquiétant dans leur gouvernance, nous semble-t-il, ils cherchent inéluctablement comment garder de facto ou par tous les moyens le pouvoir. Par conséquent, ils utilisent tous les mécanismes possibles pour pérenniser effectivement leur pouvoir. Pierre Rosanvallon note avec pertinence que la vie politique moderne et contemporaine « tend de plus en plus à s’organiser autours des enjeux de conquête et de l’exercice du pouvoir, et non autour du souci d’exprimer la société ou de gouverner adéquatement l’avenir »[33]. Comme telle, cette conquête du pouvoir au Gabon a mis en place une machine à broyer la scène politique gabonaise, et donc le Parti-État, Parti démocratique gabonais (PDG) : « le Parti démocratique gabonais (PDG), comme parti unique et dirige d’une main de fer »[34].

 A cet effet, cette marginalisation de la démocratie justifie non seulement le non-respect de la Constitution gabonaise, caractérisée par sa revisitation à des fins politiques, mais également pour asservir le peuple gabonais et de maintenir le pouvoir. Noël Bertrand Boundzanga[35] qualifie cette démocratie gabonaise de meurtrière  dans son ouvrage Le Gabon, une démocratie meurtrière[36]. Dans cet ouvrage, Noël Bertrand Boundzanga met en exergue l’analyse de la démocratie au Gabon, et donc ses avancées et ses malheurs. Pour lui, la démocratie telle qu’elle fonctionne au Gabon ne peut prétendre à aucun développement. En effet, l’État de droit au Gabon n’est pas respecté. Dans ces conditions, la vie politique devient l’apanage du système du pouvoir en place, en réduisant au silence les acteurs politiques et les acteurs de la société civile qui se veulent critiques, démocratiques. Pour ainsi dire, pour étouffer tout mouvement de contestation, le pouvoir politique en exercice utilise les intimidations. Christ Olivier Mpaga[37] ne peut rester indifférent face à cette politique caricaturale de la démocratie au Gabon en signant la lodiciquarte, c’est-à-dire la quatrième de couverture[38] dudit ouvrage, Le Gabon, une démocratie meurtrière. Pour lui, en substance, l’état actuel du Gabon ne peut favoriser la transition démocratique. Parce qu’il faut repenser la société gabonaise dans toute sa dimension de l’organisation politique. En commençant par la « légitimité et le statut du chef de l’État, des acteurs politiques, le rôle des intellectuels et les auxiliaires du pouvoir que sont la police, l’armée, les partis politiques, les syndicats et la société civile »[39].

 Il s’agit donc ici de repenser la vie politique au Gabon à travers la restructuration et la recomposition de son corps politique de façon organique. C’est une sorte d’iconoclasme révolutionnaire du contrat social de la politique gabonaise. Ainsi, l’ouvrage Le Gabon, une démocratie meurtrière se veut donc, à notre humble avis, une critique profonde de la mauvaise gouvernance au Gabon. Pour ainsi dire, Noël Bertrand Boundzanga, par Le Gabon, une démocratie meurtrière, se fait le chantre de la démocratie et le défenseur des valeurs humanistes. Par une opération intellectuelle chirurgicale, il peint une critique et un iconoclasme révolutionnaire totalisant de l’acte de « la gouvernementalité gabonaise » dans sa substance. Ainsi, il convient d’affirmer que l’opacité démocratique au Gabon se comprend, au-delà de tout raisonnement analogue ou analogique, par le despotisme et le népotisme exacerbés. Cette crucifixion de la démocratie présume, d’une certaine manière ou par extension, une disposition de l’État-policier[40] dans la mesure où l’aliénation des libertés fondamentales et l’impossibilité d’effectiviser les recours contre le pouvoir se font sentir dans la société gabonaise. René Dumont note avec pertinence que « Sans la démocratie, qui est la charpente, les droits de l’homme ne sont pas qu’une coquille vide »[41]. Alors que le Gabon a besoin d’un État-protecteur garantissant le bien-être et les droits de ses citoyens. 

Peuple passif ?

Peut-on dire que le peuple gabonais n’est pas à la hauteur des circonstances historiques ?         Nous présumons ici qu’au Gabon, la politique se fait manifestement sous forme de dysfonctionnements en mélangeant les institutions démocratiques et les pratiques autoritaires[42], estime Khalid Tinasti. Dans cette perspective, nous sommes dans un État soi-disant démocratique où  les dirigeants ont naturalisé l’acte politique par la politique des dons, du ventre et du culte de la personnalité, au lien de poser les fondements d’une politique démocratique de construction de l’État de droit recouvrant le bien-être et l’idéal de la population gabonaise. Mais malheureusement, les citoyens gabonais qui sont censés revendiquer cela sont dans un sommeil dogmatique. Bien évidemment, pour dire qu’ils ont succombé dans la servitude volontaire, pour reprendre l’expression d’Étienne La Boétie[43]. Dans ce texte d’Étienne La Boétie, considéré effectivement comme un réquisitoire contre le pouvoir absolu, il dénonce en substance l’acceptation du peuple d’être aliéné volontairement face au pouvoir politique. Pour lui, si le peuple est assujetti, c’est parce qu’il admet d’être dominé. De ce fait, la servitude du peuple, dit-il, est une servitude consentie parce qu’il demeure volontairement à l’état de minorité[44].

 En un mot, le peuple se donne volontairement à être manipulé, dressé et aliéné à la soumission et à la domination du pouvoir politique. Bien sûr, il est fort probable d’affirmer que c’est l’unique occasion et préoccupation possibles que les représentants souhaiteraient en avoir. En effet, pour Louis Auguste Blanqui, après plus de trente ans de démocratie jalonnée « de népotisme, de despotisme, de servitude et d’abrutissement systématique, la souveraineté du peuple » ne peut qu’être le produit ou l’éclosion d’un scrutin garni relativement et naturellement par « la graine semée dans les cerveaux »[45] par les prétendus gouvernants. A cet égard, pour revenir au peuple gabonais, nous comprenons donc que sa passivité face aux enjeux politiques, économiques et sociaux actuels qui prévalent dans le pays traduit implicitement son mutisme face à sa tâche de s’affirmer dans le jeu démocratique. Il apparaît bien, dans cette perspective, affirme Pierre Rosanvallon : « Le peuple dans son ensemble n’est pas encore, à ses yeux, à la hauteur de sa tâche historique »[46]. Autrement dit, il n’y a pas de bon peuple sur lequel l’énergie du droit de vigilance pourrait effectivement prendre appui. A l’évidence, le peuple gabonais, comme la masse des électeurs manipulés, ne limite ses droits que dans l’accrochage  à la duperie ou à l’illusion électorale. Pour le dire autrement, « Le suffrage universel est son esclave »[47]. En réalité, comme le pense Pierre Rosanvallon, si :

Le peuple est la source de tout pouvoir démocratique. Mais l’élection ne garantit pas qu’un gouvernement soit au service de l’intérêt général, ni qu’il y reste. C’est pourquoi un pouvoir n’est désormais considéré comme pleinement démocratique que s’il est soumis à des épreuves de contrôle et de validation à la fois concurrentes et complémentaires de l’expression électorale majoritaire[48].

  Alors, il convient ici de comprendre la nécessité de l’orientation du renouveau politique africaine. C’est-à-dire, l’une des solutions pour pallier aux dysfonctionnements institutionnels du pouvoir représentatif en Afrique, c’est que le peuple africain doit être constamment vigilant dans l’action gouvernementale au-delà des échéances électorales. C’est donc la problématisation du citoyen-électif passif que l’Afrique ait toujours connu dans son organisation politique. En principe, nous comprenons ainsi qu’il est important et subtile de redéfinir ou de reconstruire le rôle incontestable dans l’organisation étatique que doit désormais incarner le peuple africain, en général et le peuple gabonais, en particulier. Justement, c’est celui du citoyen-vigilant et juge dans la gestion de la politique africaine moderne et contemporaine. En effet, le peuple africain, voire le peuple gabonais, doit sortir du mirage du suffrage universel que Louis Auguste Blanqui qualifie de « bévue démocratique[49] »[50]. Dans l’exacte mesure où, pense-t-il, le suffrage universel installé au centre de la démocratie représentative est susceptible d’être un principe qui donne lieu à la manipulation et à la falsification électorale. Somme toute, loin pour nous d’ostraciser ou de nier catégoriquement le vote dans le processus de démocratisation en Afrique ou au Gabon, puisqu’on le sait, il en fait partie de l’un des principes substantiels du jeu démocratique, mais on aimerait plutôt se demander pourquoi le peuple gabonais est loin d’être manifeste et vigilant dans l’acte de la gouvernance étatique au-delà de ce vote.    

L’éternel problème de la modification constitutionnelle

 La disposition de la Constitution qui régit l’organisation politique au Gabon et dans d’autres pays africains ne favorise pas l’effectivité et le bon fonctionnement de la démocratie. C’est ce qui explique logiquement le rôle de la Constitution, souvent modifiée pour l’avantage des gouvernants, dans ces pays afin de favoriser le maintien au pouvoir des dirigeants  en exercice :

La réforme de la Constitution de 2010 qui a vidé la Loi Fondamentale de toute sa subsistance et qui a permis au Chef de l’Exécutif de s’arroger tous les pouvoirs, d’exercer une hyper prépondérance sur les autres institutions constitutionnelles au point qu’il détient seul la capacité de nomination des membres desdites institutions. Par ailleurs, cette réforme n’offre aucune possibilité d’alternance et de limitation du mandat présidentiel. Elle n’assure encore moins l’indépendance de la justice et le contrôle démocratique des forces de défense de sécurité. A cet effet, le Président de la République, sans passer par le Parlement peut désormais décréter, l’état de siège ou l’état d’urgence. Assurément, la Constitution actuelle du Gabon a été imposée au peuple en violation des principes et des objectifs de la Charte Africaine de la Démocratie, des élections et de la Gouvernance signée par le Gabon le 02, février 2010 et du Pacte International sur les Droits Civils et Politiques ratifié par le Gabon en 1983[51].

C’est pourquoi, finalement, les textes relatifs à la Constitution en Afrique, ou du moins au Gabon, sont apocryphes. C’est-à-dire, ces textes constituant la Constitution souffrent d’authenticité et de véracité. Parce qu’ils sont souvent amendés pour les intérêts de ceux qui dirigent. A contrario, ces derniers devraient être canoniques, c’est-à-dire revêtir l’authenticité et la véracité basées sur l’intérêt général et la souveraineté des citoyens africains, en général et des citoyens gabonais, en particulier. C’est ce qui relève manifestement le critérium fondamental de toute Constitution qui se veut républicaine. Pour ainsi dire, la Constitution qui promeut l’intérêt général, la chose publique et donc la démocratie.

 Cela dit, à notre sens, il est fort probable que les dirigeants gabonais, voire africains, ne devraient pas confondre l’autorité politique et la responsabilité politique dans l’effectivité constitutionnelle. Car, l’autorité politique, à notre humble avis, est dotée de la personnalité juridique permettant de faire assoir l’État de droit au Gabon. Et, disons-le, non l’autorité autoritaire dont ils font montre. Quant à la responsabilité politique, nous disons qu’elle relève de la responsabilité morale. Celle-ci demande à nos dirigeants d’être vertueux afin de comprendre naturellement la substance de la responsabilité qui est la leur de respecter leurs engagements politiques, en répondant à l’intérêt général des gabonais. C’est la politique adéquate qui répond aux besoins des conditions de vie des gabonais et à la prise en compte de leur réalité quotidienne. Il est donc urgent que les autorités gabonaises mettent en place une stratégie d’expérimentation politique, économique, sociale et intellectuelle plausibles de la bonne gouvernementalité, et donc de valoriser la meilleure Constitution au Gabon.

La place de la contestation comme expression de la critique démocratique au Gabon

 Ici, il est question d’admettre la critique dans la démocratie à travers les mouvements de contestation vis-à-vis du pouvoir politique en exercice au Gabon. En effet, les gouvernants gabonais doivent s’accoutumer avec les réalités d’expression populaire et citoyenne de contestation lorsque le besoin de revendiquer le droit des citoyens se fait savoir. Pour ce faire, les dirigeants gabonais doivent promouvoir la critique et non nullement adopter la politique autoritaire afin de vouloir dissiper la contestation par la répression, comme c’est toujours le cas actuellement. C’est l’ouverture politique d’acceptation de l’altérité, du droit de résistance à la volonté de dire non aux inégalités, du droit à l’opposition à la gouvernance caricaturale et hypothétique. C’est dans l’objectif de promouvoir l’objectivité du droit, la société d’égalité, et donc la politique de lisibilité, de visibilité, de proximité, de réflexibilité et  d’impartialité comme action démocratique de la vie politique au Gabon.

  A cet égard, la responsabilité politique, comme l’État de droit, doit permettre d’aménager « la reconstitution progressive d’un véritable espace protestataire »[52] dans la vie politique démocratique gabonaise. C’est pourquoi, manifestement, la contestation populaire et citoyenne doit être au centre de l’organisation politique au Gabon. En réalité, la contestation de tout pouvoir en exercice est du ressort même de l’idéal démocratique. C’est l’héritage de la transition démocratique que l’Afrique aurait professé dans les années 1990. Car, les mouvements de contestations « en Afrique remonte aux années 1990, en pleine transition démocratique »[53], estime Ousmanou Nwatchock A Birema. C’est pourquoi, bien évidemment, il souligne que les mouvements de contestations en Afrique subsaharienne ces dernières années auraient réussi à bouleverser la donne politique dans certains pays africains. Lisons-le pour l’entendre dire :

Les émeutes de la faim13, les mouvements citoyens tels que « le balai citoyen » (Burkina Faso) et « Y’en a marre » (Sénégal) ou encore les « vendredis en noir » ou le mouvement « 11 millions de citoyens de Cabral Libii (Cameroun) sont quelques-unes des modalités d’expression populaire et citoyenne ces toutes dernières années en Afrique subsaharienne[54].

 En un mot, l’aménagement d’un véritable espace d’expression populaire et citoyenne constitue effectivement l’une des solutions parmi tant d’autres de repenser le processus démocratique au Gabon. C’est la dimension relativement réaliste  d’une démocratie pragmatique et totalisante qui fait défaut à la vie politique au Gabon aujourd’hui. Il s’agit ici de comprendre que l’espoir d’un futur meilleur du Gabon réside dans « la lassitude des pouvoirs en place et sur l’adhésion conséquente des masses à l’idéologie de contestation qu’ils entretenaient à l’échelle du continent »[55]. Dans ce cas, le corps politique gabonais se doit de prendre en compte tous les contours de la matérialisation de l’expression populaire et citoyenne, en restituant les lieux de contestations tels que les démarches  institutionnelles, l’affirmation de la rue et des réseaux sociaux comme une sorte de défiance démocratique à l’égard de l’aliénation du pouvoir qui se veut nécessairement autoritaire ou népotiste. Au final, selon Ousmanou Nwatchock A Birema :  

La rue et les réseaux sociaux (re)deviennent les lieux d’expression de la défiance des pouvoirs (les soulèvements Afrique du nord par exemple ont eu leur large succès du fait de la capitalisation des réseaux sociaux par les leaders d’opinion), les diasporas sont utilisées pour travailler positivement ou négativement l’image des pays à l’étranger, ou pour agir dans les circuits de conquête du pouvoir[56].

A ces propos, il convient de comprendre qu’il faut redonner vie à l’espace publique gabonais sous toutes ses formes afin que l’idéal de l’expression populaire et citoyenne soit au centre de la vie politique au Gabon. Ainsi, il faut noter au passage qu’il apparaît donc urgent que la nécessité se fait de souscrire la manifestation de cette expression populaire et citoyenne dans la Constitution de l’État gabonais. En principe, c’est dans l’objectif de promouvoir une politique ostentatoire dans l’objectif de mettre en évidence les qualités et les avantages d’une Constitution démocratique au Gabon.

La transparence dans la gestion politique gabonaise

 Au Gabon, les citoyens ressentent le sentiment d’impuissance face au manque de transparence dans la gouvernance de leurs dirigeants. En effet, la transparence dans la gestion politique gabonaise demande effectivement « la restauration d’une volonté politique salvatrice »[57], affirme Pierre Rosanvallon. C’est pourquoi, semble-t-il, on pense qu’il faut que la transparence politique au Gabon mette en évidence les valeurs démocratiques telles qu’une administration républicaine et non partisane, le contrôle de l’affaire publique par des institutions indépendantes, le contrôle de l’action de l’État, la lutte contre les abus du pouvoir, la transparence des procédures budgétaires et la séparation des pouvoirs de l’État. A partir de là, il y a la possibilité de faire face à « la montée en puissance d’une démocratie qui est devenue essentiellement négative »[58]. Dans ce cas de figure, l’objectif de la transparence est de promouvoir la bonne gouvernance. C’est l’acte restaurateur même de la confiance entre les gouvernants-gouvernés, selon la perspective rosanvallienne. En outre, il faut comprendre sans doute que la transparence est supposée permettre un parfait contrôle de l’organisation étatique. D’après Pierre Rosanvallon :

La perspective de la transparence se substitue dorénavant à un exercice de la responsabilité que l’on a désespéré de pouvoir organiser ; elle accompagne une sorte d’abandon des objectifs proprement politiques au profit de la valorisation de qualités physiques et morales[59].

A cet égard, la transparence permet manifestement de lutter contre une organisation politique gabonaise opaque, en affirmant la primauté à l’attention des citoyens gabonais désabusés. En réalité, la transparence implique impérativement l’effectivité de « l’idéal démocratique de production d’un monde commun »[60], note Pierre Rosanvallon. Pour ainsi dire, la transparence est une vertu salvatrice qui restitue la bonne gouvernance telle que pensée par une politique démocratique, et donc responsable et compétitive. C’est l’affirmation de l’intérêt général dans une sphère politique submergée par l’indécision et l’incertitude des gouvernants gabonais. Pour Pierre Rosanvallon, la transparence est sans conteste constitutive et participative d’une politique de volonté manifeste et d’intérêt général. Car, dit-il, « La transparence est devenue la vertu qui s’est substituée à la vérité ou à l’idée d’intérêt général dans un monde marqué par l’incertitude »[61]. Il s’agit de comprendre qu’avec la transparence, les dérives du pouvoir autoritaires sont supposées disparaître, laisser place à la manifestation optimale des principes démocratiques dans la société gabonaise.

  En raisonnant ainsi, l’État gabonais doit comprendre que la politique de transparence implique donc une gouvernance de visibilité, d’impartialité, de réflexibilité et de proximité. A cet égard, elle sous-entend le moteur d’une organisation démocratique de la vie politique que réclament les citoyens gabonais. C’est un idéal organisationnel de clarification et  de gestion de la bonne représentation politique valorisé par le contrat social. Il faut donc que les dirigeants gabonais promeuvent une transparence de l’action gouvernementale en redynamisant démocratiquement les institutions dans leur fonctionnement. En cas de non-application de la transparence dans la gestion étatique, qui serait la prédominance du dysfonctionnement politique, le développement des pouvoirs de surveillance, d’empêchement et de jugement doit prévaloir dans toutes les actions des membres du corps politique. Parce que, nous semble-t-il, les pouvoirs contre-démocratiques sont relativement l’effectivité de l’équilibre de la division des pouvoirs constituant un État.

 Nous sommes ici en présence d’une dynamique politique impliquant subtilement le contrôle de la chose publique de façon à rendre plausible le fonctionnement étatique devant la communauté politique. C’est de cette manière, démocratiquement et objectivement, que chaque membre du contrat social contribue à encadrer l’intérêt général. Ainsi, la gouvernance démocratique au Gabon doit prendre en compte la transparence dans son fonctionnement tant recommandé par ses sujets. A contrario, l’application des pouvoirs de surveillance, d’empêchement et de jugement s’impose inéluctablement et de facto. C’est pourquoi, d’ailleurs, l’implication des principes démocratiques dans la gestion des affaires publiques permet de comprendre le degré de transparence et de volonté des gouvernants. Cela suppose donc la proximité et l’écoute des gouvernants gabonais face aux demandes de leurs citoyens. C’est pour dire que la citoyenneté au-delà du droit de vote, implique également le droit de professer les opinions, de délibérer et de proposer, affirme Rousseau[62]. Car, l’activité démocratique basée sur la souveraineté du peuple est corrélativement liée à l’écoute des attentes de la société dans laquelle la politique s’organise. Pour ce faire, l’élaboration de la Constitution gabonaise ne peut se comprendre ou s’effectiviser en marginalisant la souveraineté du peuple et ses aspirations. C’est pourquoi, notons-le, le Gabon doit renforcer la transparence dans l’appui de l’émergence de mouvements des citoyens, la construction d’opinions publiques nationales, l’autonomie de la justice et des médias, la lisibilité et la visibilité de la gestion des affaires publiques, l’affirmation d’un véritable espace d’interpellation démocratique et la légitimation d’une représentation démocratique, etc.      

Conclusion : Optimisme pour un renouveau politique au Gabon

  Préconiser un état des lieux de la démocratie au Gabon peut avérer une entreprise délicate, et donc susceptible d’avoir certaines désapprobations et approbations. Mais que cela ne tienne, semble-t-il, nous le faisons au nom de la science, en général et au nom de la vérité philosophique, en particulier. Si le sacerdoce de l’intellectuel est de dire la vérité, alors nous mourrons au nom de cette vérité en tant que philosophe. Cela dit, nous avons vu que la démocratie au Gabon a pris une direction décadente et problématique. Elle devient sujette aux maux qui minent l’organisation politique adéquate qui se veut transparente, et donc démocratique. Penser un renouveau de la politique gabonaise est l’une des possibilités pour sortir de la mauvaise gouvernance qui déstabilise tant l’effectivité et la survie de la démocratique dans ce pays.

  Somme toute, l’orientation de la politique au Gabon laisse à désirer la redéfinition de nouvelles bases de l’organisation gouvernementale. Cette nouvelle dynamique politique préconisée, à notre sens, permet de sortir de l’image d’un Gabon morcelé par un État démuni des institutions fortes qu’offre le pays aux yeux du monde. Partant de là, il est temps que le Gabon se prenne en charge, se pense elle-même et s’ouvre aux défis mondiaux avec une organisation politique conséquente, dynamique et permanente. A notre humble avis, il faut sortir du sentiment de la logique fataliste selon lequel le Gabon ne se développera jamais tant que ce même régime politique dominant (Parti démocratique gabonais) reste au pouvoir. Parce que nous pensons que le Gabon n’est pas soumis aux réalités déplorables actuelles, mais plutôt à un avenir meilleur si il redéfinit sa direction politique en matière de gouvernance et sa gestion économique en matières de ressources premières dont il dispose.

           A cet effet, en partant de l’idéal selon lequel le Gabon est le pays de l’avenir, nous devons refuser avec la dernière énergie les propos de l’Ancien Président français Jacques Chirac, qui affirmait : la « démocratie n’est pas faite pour l’Afrique », en général et pour le Gabon, en particulier. Pour cela, il convient de penser que le Gabon a des atouts qu’il doit mettre en valeur, en promettant un espace politique de délibération adéquate pour l’effectivité d’une nouvelle organisation politique de responsabilité, d’égalité et de compétitivité que son peuple rêve tant. C’est l’organisation pleinement démocratique d’un Gabon futuriste dynamique et meilleur. Lisons Flavien Enongoué pour l’entendre dire : « Au Gabon, malgré l’échec du passé, marqué par une « démocratie ambiguë », et les incertitudes du présent, résultant de l’équation à mille inconnues du parti dominant, il faut peut-être garder espoir que demain se lèvera un jour nouveau »[63].  


[1] Lire à ce sujet, Francis Fukuyama, La fin de l’histoire et le dernier homme, 1992.

[2] Voir Extrait du discours de François Mitterrand à La Baule, 20 juin 1990. Il se prononçait sur la situation économique de l’Afrique, les possibilités d’aide des pays les plus riches et la position française en matière de coopération et d’aide financière.

[3] La Conférence Nationale au Gabon s’était tenue du1er mars au 19 avril 1990.

[4] Lire à ce sujet, Samuel Huntington, Le choc des civilisations, 1996. Quelques années plus tard, Huntington pour s’opposer à la thèse de Fukuyama, écrira que l’achèvement de la fin de la guerre froide n’est pas le triomphe de la démocratie. Mais plutôt, la fin du conflit en terme idéologique et le début de choc de cultures entre les différentes civilisations. 

[5] Lire à ce sujet, Ana Pouvreau, « Le siècle du populisme de Pierre Rosanvallon », Dygest, 2022.

[6] Ibid.

[7] Pierre Rosanvallon, La Contre-démocratie. La politiquent à l’âge de la défiance, Paris, Éditions du Seuil, 2006, p. 9.

[8] Pierre Jacquemot, De l’élection à la démocratie en Afrique (1960-2020), Op. cit., p. 7.

[9] Nicolas Metegue N’nah, Roland Pourtier, « GABON », Encyclopaedia Universalis. Voir en ligne https://www.universalis.fr/encyclopedie/gabon/ . Consulté le 9 novembre 2022.

[10] Ibid.

[11] Ibid.

[12] Lire à ce sujet, Jean-François Bayart, L’État en Afrique. La politique du ventre, Paris, Éditions Fayard, 1989.

[13] Voir Amnesty international, « Liberté d’expression, d’association et de réunion », Rapport sur le Gabon, 2017/ 2018.

[14] Voir Loïc Ntoutoume, « Gouvernance déficiente : Le Gabon veut inverser la tendance », Gabon Review, 8 septembre 2021. 

[15] Voir  CRCHUS, Université de Sherbrooke et Université Laval, Gabon : Profil de Pauvreté 2017, Août 2018. damien.echevin@usherbrooke.ca

[16] Ibid., p. 6.

[17] Ibid., p. 8.

[18] En politique, c’est une forme de gouvernement où le pouvoir n’est possédé que par un certain nombre de personnes constituant une classe privilégiée.

[19] C’est une forme de gouvernance soumise à une autorité arbitraire et absolue, qui opprime les libertés fondamentales des individus.

[20] C’est le fait que l’autorité mène une politique mettant en avant le favoritisme de son entourage, à savoir : Ses collaborateurs et les membres de sa famille. 

[21] Omar Bongo Ondimba fut le deuxième président du Gabon de 1967 à 2009.

[22] Ali Bongo Ondimba, fils du défunt président gabonais, Omar Bongo Ondimba, est élu à la tête de l’État gabonais, le 30 août 2009 jusqu’à nos jours.

[23] Lire à ce sujet, Richard Banégas, Démocratie à pas de caméléon. Transition et imaginaires politiques au Bénin, Paris, Éditions Karthala, 2003.

[24] Lire à ce sujet, Lassaad Ben Ahmed, « Gabon : Les Bongo, 54 au pouvoir », Afrique, Agence Anadolu, 02/12/2021.  

[25] L’Afrobaromètre (en anglais afrobarometer) est une étude régulière réalisée par un réseau de recherche panafricain, indépendant et non-partisan, qui réalise des sondages de l’opinion publique sur des sujets économiques, politiques et sociaux à travers le continent africain. Il a été créé en 1999 par la fusion de trois projets de recherche menés par Michael Bratton, Robert Mattes et Emmanuel Gyimah-Boadi3. Il est, en 2019, dirigé par E. Gyimah-Boadi. Voir http://www.afrobarometer.org/node/39.

[26] Lire à ce sujet, Afrobarometer, le communiqué de presse. Libreville, Gabon 2 octobre 2020. Voir www.cergep.org, www.afrobarometer.org (Christian Wali Wali, Téléphone: +241 (0) 77061701 Email: cergepgeo@gmail.com).

[27] Lire à ce sujet, Pierre Rosanvallon, Le Parlement des invisibles, Paris, Éditions du Seuil, 2020.

[28] Voir Afrobarometer, le communiqué de presse. Libreville, Gabon 2 octobre 2020. 

[29] Voir post d’Alix-Ida Mussavu, Gabon Rewiew (L’information au quotidien sur la vie du Gabon), 14 octobre 2020.

[30] Voir Rosa Moussaoui, « Le Clan Bongo, un demi-siècle de règne et de pillage », L’Humanité, vendredi 2 Septembre 2016.

[31] Voir Griffin Ondo Nzuey, « Emploi : 73 millions de jeunes chômeurs en 2022 », Gabon Review, 18 août 2022.

[32] Pierre Rosanvallon, Le Parlement des invisibles, Op. cit., p. 23.

[33] Ibid., p. 43.

[34] Voir Lassaad Ben Ahmed, « Gabon : Les Bongo, 54 au pouvoir », Afrique, Op. cit.

[35] Noël Bertrand Boundzanga Membre de la société civile, Écrivain, Essayiste et Enseignant-Chercheur à l’Université Omar Bongo (Département de Littératures Africaines).

[36] Noël Bertrand Boundzanga, Le Gabon, une démocratie meurtrière, Paris, Éditions L’Harmattan, 2016.

[37] Christ Olivier Mpaga, Philosophe, Maître de conférences en Philosophie  et Enseignant-Chercheur à l’Université Omar Bongo (Département de Philosophie).

[38] La dernière page extérieure de l’ouvrage, plat verso.

[39] Christ Olivier Mpaga, Quatrième de couverture, Le Gabon, une démocratie meurtrière, Op. cit.

[40] État-policier pourrait se comprendre comme étant un régime politique dans lequel l’accent est mis sur le contrôle des individus, au détriment des libertés individuelles. C’est-à-dire, il est souvent difficile que les pouvoirs des autorités soit encadré par le droit. Comme pour dire, le gouvernement exerce son pouvoir de façon autoritaire et arbitraire, en utilisant les forces policières pour réprimander directement les individus ou par discrétion par la police secrète. 

[41] René Dumont, Démocratie pour l’Afrique, Paris, Éditions du Seuil, 1991, p. 205.

[42] Lire à ce sujet, Khalid Tinasti , Le Gabon, entre démocratie et régime autoritaire, Paris, Éditions L’Harmattan, 2014. « Ce livre revient longuement sur l’histoire politique et la construction institutionnelle de l’État gabonais, indispensables pour l’analyse des facteurs contribuant à la non-démocratisation du pays. Il est aussi question d’évaluer le néo-patrimonialisme du régime au travers du présidentialisme, du clientélisme et de l’appréciation de la participation et de la compétition politiques. Ce système prébendier est le résultat du comportement du Président en place, autant qu’il l’est des structures même de l’État. Aussi, un régime hybride s’est installé à la suite de la réintroduction du multipartisme, car la tenue d’élections, même compétitives, ne peut à elle seule justifier de toutes les conditions démocratiques. Cet ouvrage revient sur l’émergence du modèle de régime autoritaire compétitif au Gabon, en analysant les pressions internationales de démocratisation sur le Gabon, sa capacité de résistance à ces dernières, et surtout la capacité organisationnelle interne au pouvoir. Ce dernier facteur se caractérise par la force mobilisatrice du Parti démocratique gabonais, par la puissance coercitive de l’État, ainsi que par la cohésion ou non de l’opposition politique ». Voir Quatrième de couverture de l’ouvrage.

[43] Lire à ce sujet, Étienne de La Boétie,  Discours de la servitude volontaire (1835).

[44] Lire à ce titre, Emmanuel Kant, Qu’est-ce que les Lumières ?, Paris, Éditions Flammarion, 2020. Les Lumières se définissent comme la sortie de l’homme hors de l’état de minorité, où il se maintient par sa propre faute. La minorité est l’incapacité de se servir de son entendement sans être dirigée par un autre. Elle est due à notre propre faute quand elle résulte non pas d’un manque d’entendement, mais d’un manque de résolution et de courage pour s’en servir sans être dirigé par un autre. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des Lumières. La paresse et la lâcheté sont les causes qui expliquent qu’un si grand nombre d’hommes, alors que la nature les a affranchis depuis longtemps de toute direction étrangère, reste cependant volontiers, leur vie durant, mineurs ; et qu’il soit si facile à d’autres de se poser comme leurs tuteurs.

[45] Louis Auguste Blanqui, La Patrie en danger, Paris, Éditions Hachette Livre, 1871, p. 272.

[46] Pierre Rosanvallon, La Démocratie inachevée, Op. cit., p . 158.

[47] Ibid., p. 158.

[48] Pierre Rosanvallon, La Légitimité démocratique, Op. cit., Quatrième de couverture, voire lodiciquarte (La dernière page extérieure de l’ouvrage, plat verso).

[49] Erreur commise par ignorance ou par inadvertance.

[50] Louis Auguste Blanqui, La Patrie en danger, Op. cit., p. 271.

[51] Voir Georges Mpaga, « Gabon : La démocratie gabonaise des années Ali Bongo », Bongo Doit Partir, 10 Novembre 2011.

[52] Ousmanou Nwatchock A Birema, « La démocratie en Afrique subsaharienne. Une question de volonté ? », CARPADD | Note d’analyses sociopolitiques N° 03, Mai 2018, p.  8.

[53] Ibid., p. 8

[54] Ibid.

[55] Ibid.

[56] Ibid., p. 9.

[57] Pierre Rosanvallon, La Contre-démocratie. La politique de la défiance, Op. cit., p. 261.

[58] Ibid., p. 261.

[59] Ibid., p. 262.

[60] Ibid.

[61] Ibid.

[62] Lire à ce titre, Jean-Jacques Rousseau, Du Contrat social, Op. cit., livre IV, chap. I.

[63] Flavien Enongoué, « Le pluralisme politique au Gabon : l’espoir d’un troisième âge », In Dominique Etoughé Mba et Benjamin Ngadi (dir.), Refonder l’État au Gabon. Contributions au débat, Paris, Éditions L’Harmattan, 2003, p. 99.

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L’impact de la société civile sur le développement : l’exemple du Cameroun

De nombreux pays africains ont eu des difficultés à atteindre leurs Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD). L’amélioration de la gestion de l’aide internationale, passant par une participation accrue de la société civile, était alors au cœur des débats.

Alors que les gouvernements du monde entier se sont engagés à atteindre les nouveaux Objectifs du Développement Durable avant 2030, la société civile pourrait jouer un rôle décisif dans leur réussite. L’ampleur de ce rôle et ses conditions d’effectivité sont analysées dans cette étude qui aboutit sur des recommandations concrètes en matière de politiques publiques. Lisez l’intégralité de ce Policy Brief.

Eradiquer la menace terroriste au Nigéria par la coopération régionale: nécessité et moyens d’actions

nigeria-dc-protestLa présente note d’analyse s’intéresse aux initiatives nationales et régionales de lutte contre le terrorisme au Nigéria.  Elle établit le constat selon lequel la menace terroriste incarnée par la secte Boko Haram résulte de défaillances dans la gestion par l’Etat d’une secte religieuse ayant un fort ancrage local. La secte Boko Haram est analysée comme un mouvement religieux dont les actions se sont radicalisées au fil des années en réponse aux prises de position et de décision des dirigeants locaux et fédéraux nigérians. L’internationalisation de ses attaques en Afrique de l’Ouest et du Centre justifie la détermination des États de ces sous-régions à mener des actions concertées en vue d’aboutir à son éradication.  L’auteur analyse ensuite comment « la responsabilité de protéger » pourrait fonder l’organisation de l’action défensive et offensive régionale contre Boko Haram. Lisez l’intégralité de ce Policy Brief.

Conflits sociopolitiques et crises électorales en Afrique subsaharienne francophone

LCrises électorales’inscription des pays africains francophones dans un processus de consolidation démocratique témoigne des importants progrès accomplis ces dernières années sur cette voie. Cependant, comme l’illustre la récurrence des crises électorales, l’expérience demeure encore fragile. En effet, l’exacerbation des conflits sociopolitiques antérieurs aux élections lors de leur déroulement, conduit parfois à des irrégularités électorales ou des fraudes électorales. L’intensification des conflits sociopolitiques lors des élections présidentielles est donc l’une des principales causes des crises électorales dans certains pays d’Afrique subsaharienne francophone. La prévention des crises électorales, et surtout l’enracinement de la démocratie électorale, doivent, par conséquent, et en dépit de ces conflits sociopolitiques, s’appuyer sur une véritable culture démocratique parfois défaillante.  Lisez l’intégralité de ce Policy Brief.

Black Gold, Deepwater and the Taxman: A Critical Review of Government Take in Ghanaian Oil and Gas 

image pb11The discovery of the Jubilee oil field in 2007 transformed the Ghanaian oil industry. It has been followed by a slew of other discoveries and additional projects are scheduled for production start-up in the coming years.

As the commercial oil and gas sector expands, a key objective of the state will be the optimisation of “government take” from the industry. This currently occurs through a variety of mechanisms including direct taxation, royalties and state participation in industrial projects.

Designing an optimal strategy for government take is a complex task which has even more importance for developing countries where a properly managed resource boom could drive significant economic growth. Governments have a desire to obtain maximum petroleum receipts as soon as possible but must balance this against the need to create an attractive investor environment for the growth of the sector. Getting the balance right in the early years is crucial. Greedy governments may generate some short-term returns but will stifle the necessary further investment that would permit a fuller exploration and development of the country’s hydrocarbon endowment. Conversely, unduly low taxation represents an obvious missed opportunity.

Fiscal design cannot be conducted in the absence of regional context, oil and gas capital is internationally mobile and competition between states for investment is fierce. Governments cannot design their own fiscal terms without carefully monitoring what is going on next door.

It is in this dynamic setting that Ghana is currently reviewing its petroleum legislation. The structuring of government take is an important part of the debate. This paper seeks to appraise the existing Ghanaian mechanisms of government take and makes recommendations on how the approach to the AOE could be revisited for future negotiation and the issue of revenue delay to the state for further analysis by policymakers. Read the full study 

A New Approach to Land Tenure Security in Africa?

kenya-105816_640Contending that tenure insecurity under informal customary institutions dampens incentives for investment and contributes to low agricultural productivity in much of Sub-Saharan Africa, policy makers have tried to formalize customary land use through the provision of de jure rights to users.

In this article we describe the challenge of low agricultural productivity in Sub-Saharan Africa and review the available evidence on the effects of the policy responses throughout the region. Our findings indicate that formalization of land rights alone is unlikely to bring agricultural productivity in Sub-Saharan Africa close to the level observed in the rest of the world. However, the time window used is often too short to credibly assess the effect of the land rights formalization programmes on agricultural productivity. Besides, the formalization of land rights in rural areas raises a number of concerns about the land tenure security of the least powerful and least informed.

While it may be too soon to assess the long-term effect of the land rights formalization programmes in Sub-Saharan Africa, other approaches to increase tenure security are tested. Read the full study.

Quel rôle l’Union Africaine peut-elle jouer dans la gestion des crises humanitaires en Afrique ?

union_africaine« Là où sévissent de graves manquements au respect des droits humains, l’Union africaine (UA) doit être la première à condamner et à réagir rapidement conformément à la lettre et à l’esprit de l’Acte constitutif de l’Union et tous les autres instruments pertinents » dont elle est signataire.[1] Cette déclaration de Jean Ping, alors Président de l’Union Africaine, est révélatrice de la nécessité pour l’organisation de s’affirmer en matière d’intervention humanitaire. Forte de l’encrage de la notion de Responsabilité de protéger dans ses différents actes et protocoles, contrairement à l’ONU, l’Union africaine semble techniquement prête à répondre des violations graves des droits de l’Homme perpétrées par ses Etats membres. Mais pour que cela se concrétise, l’UA devra veiller à ne pas confondre indépendance et autonomie, à l’heure où la coopération se révèle être un élément incontournable. Lisez l’intégralité de cette Note d’Analyse.


[1]    La Lettre du Président – Numéro 1, Novembre 2011 La Lettre du Président. Disponible sur : http://www.au.int/fr/dp/cpauc/content/lettre-du-président-numéro-1-novembre-2011-l’union-africaine-et-la-crise-libyenne-remettre-l

Peut-on parler d’une instrumentalisation du droit à l’éducation en Afrique ?

educ1Indéniablement reconnu par la communauté internationale comme un droit de l’homme, le droit à l’éducation soulève, malgré tout, une multitude de questionnements. Loin d’être un droit absolu, l’éducation est un outil fortement dépendant des intentions de l’acteur qui le détient.  L’étude de la complexité et de la malléabilité de l’éducation permet de prendre conscience de l’ambivalence des rôles qu’elle peut jouer. L’instrumentalisation de l’éducation est aussi bien porteuse d’obstacles sérieux à la réalisation de l’Objectif mondial du développement qu’est « l’Education pour tous » (EPT), que d’éléments clés à la dissémination d’une culture de la paix. Si l’éducation peut servir la cause de la domination et de l’oppression, il ne faut pas oublier qu’elle peut, de la même manière servir celle de la libération et de la liberté.[1] Lisez l’intégralité de cette Note d’Analyse.


[1] TAWIL Sobhi, Rapport final et étude de cas de l’atelier sur la destruction et la reconstruction de l’éducation dans les sociétés perturbées. 15-16 mai 1997, Genève, Suisse. Organisé conjointement par le bureau international de l’éducation et l’Université de Genève