Repenser l’Afrique

Alors que l’élection présidentielle française suscite beaucoup d’engouement à travers le monde, il serait intéressant de se questionner sur l’incidence d’un nouveau président français sur la gouvernance en Afrique et plus particulièrement en Afrique francophone. Sachant les relations peu reluisantes qui ont existé entre les pays d’Afrique francophone et la France sous les régimes précédents, cette analyse s’avérerait utile pour anticiper les perspectives de développement de l’Afrique à l’issue des grands changements politiques qui s’annoncent en Europe. Toutefois, au lieu d’attendre un quelconque changement en France pour espérer un progrès en Afrique, il semble plus raisonnable de saisir cette occasion pour relancer le débat sur les perspectives de développement de l’Afrique, notamment sur la vision et l’approche à adopter.

Concernant les perspectives de développement de l’Afrique, deux visions s’opposent mais se complètent. La première, à laquelle est attribuée l’appellation d’afro-pessimisme, se base sur les maux de l’Afrique pour anticiper une issue catastrophique ; alors que la seconde souvent dénommée l’afro-optimisme, s’appuie davantage sur les progrès économiques de l’Afrique[1] pour prévoir une issue favorable au continent. D’un point de vue économique, les arguments avancés par les « afro-pessimistes » correspondent bien aux réalités que traversent les pays Africains. Qu’il s’agisse de la croissance démographique combinée avec le manque d’infrastructures, ou de la faiblesse du poids de l’industrie dans la production en Afrique, tous ces faits sont bien corroborés par les chiffres actuellement disponibles. Cependant, cette vision, ou plutôt ce discours, ne donne aucune incitation à entreprendre des actions pour le développement.

Quant aux « afro-optimistes », leur discours consiste essentiellement à mettre en avant l’importance du dividende démographique[2] qui résultera de la forte croissance démographique, l’existence d’une classe moyenne qui en réalité n’est pas significative et la transition démocratique en cours sur le continent. Toutefois, au regard des récents développements politiques particulièrement en Afrique de l’Ouest et au Soudan et du fait de leurs conséquences économiques, l’argument de la transition démocratique se retrouve affaibli et n’est valable que dans des pays particuliers (Sénégal). Quant à l’importance du dividende économique dans le renforcement de l’offre de travail, il omet la complémentarité entre la quantité et la qualité de la main d’œuvre, notamment dans les secteurs secondaires et tertiaires. En effet, les taux de scolarisation ont principalement augmenté dans le primaire avec des défaillances sur la qualité de l’éducation compte tenu des effectifs pléthoriques dans les salles de classe. Dès lors, il n’est pas garanti que les jeunes issus d’un tel système éducatif soient à même d’être employés dans des industries qui préfèrent délocaliser en Chine. Il en résulte donc que la vision « afro-optimiste » semble être trop optimiste et ne pas prendre assez en compte la mesure des défis qui demeurent énormes et durables.

Même si l’on accepte volontiers cette présentation de l’Afrique, ne serait-ce que pour lui donner une image positive, il serait très préjudiciable d’oublier les problèmes et surtout d’ignorer les résultats – en termes de pauvreté – qui accompagnent ces performances. Comme le montre le graphique ci-dessous, la part de la population vivant en dessous de 2 dollars[3] par jour dans les pays en développement d’Afrique Sub-saharienne n’a pas significativement changé au cours des trois dernières décennies ; contrairement aux autres régions du Monde et notamment à la Chine.

Source : Données de la Banque Mondiale (En dehors de la Chine, les données présentées concernent les pays en développement dans les régions mentionnées)

Cela montre qu’en dépit des progrès réalisés, une masse importante de la population, environ 70%, demeure démunie des ressources financières nécessaires à une vie décente. Cette situation appelle à la formulation d’une nouvelle vision du développement qui permettrait d’apporter les solutions appropriées aux défis actuels de l’Afrique. Puisque chacune des deux visions évoquées ci-dessus semblent se positionner sur un aspect de la réalité et en occultent d'autres, il serait envisageable de les fusionner pour en faire une seule vision intégrale qui s’appuie sur les progrès réalisés pour se projeter dans l’avenir en tenant compte des défis actuels.

Cependant, la matérialisation de cette nouvelle vision de l’Afrique dans le développement économique et social devra s’appuyer sur une approche plus cohérente et rigoureuse. En effet, il est très rare de trouver un ouvrage publié qui fait le diagnostic de l’Etat de l’Afrique et qui identifie la véritable cause de ses problèmes. En général, les causes identifiées varient selon les auteurs. A l’instar de l’identification de ces multiples causes, d’aucuns diront qu’il s’agit de la mauvaise gouvernance ou de la corruption. Or, la démarche logique voudrait qu’avant la proposition d’une approche pour résoudre un problème, il faut d’abord l’identifier. Il se peut d’ailleurs que la cause soit le fait qu’aucune cause n’ait été trouvée. Pour éviter de se référer au discours de M. Sarkozy à Dakar ou  d’attendre qu’un « nouveau Président » vienne nous donner la réponse, il est temps que nous nous y mettions.

Georges Vivien Houngbonon


[1] Pour une description des deux visions, se référer à Emmanuel Leroueil. 2011. «  Déconstruire les discours de l’afro-pessimisme et de l’afro-optimisme ». Terangaweb.

[2] Une importance relative de la part des jeunes actifs dans la population.

[3] Dollars des Etats-Unis en parité du pouvoir d’achat

Dépasser l’afro-pessimisme

L’afro-pessimisme est ce sentiment qui pousse à l'abandon de toute pensée qui pourrait mettre en exergue un possible développement du continent africain. Cette idéologie s’appuie sur les nombreuses questions toujours en suspens concernant l’avenir du continent : dans quelle mesure les populations africaines sortiront-elles de la pauvreté ? A partir de quoi envisager un possible décollage économique du continent noir ? Comment pourrait-on rendre l'économie africaine plus compétitive ? A toutes ces interrogations aussi cruciales qu'urgentes, cette  philosophie afro-pessimiste n'apporte aucune réponse positive. Un sentiment qui peut sembler normal et rationnel face à une Afrique connue pour ses famines, ses guerres fratricides et ses coups d'Etats perpétuels, ses autorités politiques corrompus et égoïstes. Difficile, voire utopique, d'être optimiste quand au moment où de l'autre coté de l'Atlantique, les Etats cherchent à s'unir pour avancer et où l'impunité n'est pas sujet de débat public, nous, Africains, semblons tourner le dos, de façon consciente et volontaire, à la course mondiale à la compétitivité. Pourtant, devrions-nous capituler sans combattre ?

Face à la conjoncture actuelle qui voit les anciens moteurs de l'économie mondiale devenir des moteurs très actifs de crises, passant ainsi du statut de créanciers à celui de débiteurs, l'heure semble venue de repenser l'afro-pessimisme dans ses raisons d'être et ses perspectives. Il est donc temps de prendre du recul par rapport à cette image d'une Afrique honnie et profanée, terre de tous les malheurs. La pauvreté et les conflits sont si présents en Afrique qu’ils masquent parfois le reste. En avril 2011, une étude publiée par la Columbia Journalism Review, intitulée "Hiding the Real Africa", expliquait, d'ailleurs, avec quelle facilité l’Afrique fait la une de la presse occidentale lorsqu’une famine, une pandémie ou encore une crise violente ou, plus récent encore, un coup d’Etat, se produit. Ce faisant on a tendance à prêter moins d'attention aux progrès et aux succès du continent africain.

Voulons-nous recevoir d’autres nouvelles de l'Afrique ? Par exemple prendre en compte l'accélération de la croissance économique africaine au cours de la dernière décennie, l'émergence d'une classe moyenne de consommateurs et d'un secteur privé plus dynamique sur le marché local qui attire des entrepreneurs. Il est donc temps de se rendre compte que l'afro-pessimisme devient synonyme de capitulation voire même de lâcheté lorsque l'on ne veut pas admettre que jusque-là les choses continuent de changer. La Banque mondiale a récemment publié un livre sur les succès africains, intitulé Yes Africa Can. La Banque africaine de développement, basée à Tunis, a marqué les 50 ans d’indépendance de bon nombre de pays africains en publiant une étude intitulée L’Afrique dans 50 ans — Vers la croissance inclusive. Selon cette étude, "au cours de la dernière décennie, en dépit de la récurrence des crises alimentaires et financières mondiales, l’Afrique a enregistré une croissance d’un taux sans précédent. Il faudra certes des décennies de croissance pour réaliser des avancées significatives dans la lutte contre la pauvreté en Afrique, mais il y a actuellement un optimisme croissant quant au potentiel du continent".

Calestous Juma, professeur à Harvard, notait que la montée de la classe moyenne modifie la vision de l’avenir de l’Afrique. La classe moyenne a peut être peu à dépenser par rapport aux normes occidentales ou asiatiques, mais elle impulse indéniablement une dynamique politique et économique positive. Certes, cela ne saurait régler la question de l’éradication de la pauvreté. Beaucoup reste encore à faire en ce qui concerne le développement des infrastructures, l'enseignement technique, l'entreprenariat et le commerce. Il reste que pour permettre des avancées remarquables et durables, l'afro-pessimisme dans toutes ses manifestations doit être dépassé. Cette forme "primitive" de penser l'Afrique moderne n'est-elle pas l'une des causess principales de notre immobilisme ?

Papa Modou DIOUF