A quoi servent les oppositions africaines?

progbagboLa question mérite d'être posée : à quoi servent les oppositions politiques en Afrique ? De manière plus générale, à quoi servent les opposants politiques dans un processus démocratique ? Les opposants ne devraient-ils pas empêcher ou minimiser la « dictature » de la majorité présidentielle en contre-balançant les pouvoirs et les points de vue politiques ? Certes, dans les pays africains, le manque de ressources allouées aux oppositions démocratiques ne leur permet pas de faire face aux projets politiques et autres prétentions du groupe majoritaire. Malgré cela, ont-elles même simplement essayé de jouer leur rôle, de ramer à contre-courant, mais dans le bon sens ? Dans la plupart des cas, les opposants politiques n’essaient même pas. Pourquoi ?

Les débats sur le déficit démocratique des pays africains épargnent souvent le rôle et la responsabilité des oppositions politiques. L’opposition corrompue du Cameroun est très fortement partie prenante des mandats perpétuels du Président Paul Biya qui ressemblent à une aventure ambiguë annihilant toute possibilité d’alternance politique. Cette opposition n’ouvre, bien évidemment, aucune perspective de changement, d’évolution politique d’une république se disant, pourtant, démocratique. Au Sénégal, l’obsolescence subite du Parti Démocratique Sénégalais (PDS) depuis l’élection de Macky Sall est honteuse et alarmante. Il y moins d’un an grand parti au pouvoir, elle se décompose et prend les allures d’une petite brigade politique de province.

Le cas du PDS témoigne d’une décadence voire d’une incapacité à se poser comme parti d’opposition digne et prometteur ; ne serait-ce que pour les prochaines cruciales échéances électorales, face à un parti au pouvoir adepte des alliances sur fond de clientélisme, de promesses politiciennes et de corruption des différentes tendances politiques composant la majorité. Fait-on face à des oppositions hyper-présidentialistes ? L’on peut répondre par l’affirmative, et aller plus loin en notant que la présence des éternels opposants qui n’ont plus d’idées enrichissantes pour l’évolution politique de leur formation pose un vrai problème de renouvellement des élites voire constitue même un frein dans un processus démocratique qualitatif. D’éternels chefs comme Abdoulaye Bathily ou Ousmane Tanor Dieng semblent faire de la politique un éternel métier. Une situation qui ne laisse, bien évidemment, aucune perspective aux jeunes qui ont souvent le choix entre hurler leur colère et voir indiquée la porte de sortie ou carrément se désintéresser de la gestion de la chose publique.

opposant-guinee-mUn renouvellement des leaders d’oppositions africains est donc une nécessité dans un continent dont la jeunesse est le premier potentiel économique pour plus de représentativité et plus de responsabilité des acteurs politiques. C’est également une façon de renouveler, varier et faire évoluer les idées et les compétences. Opposant historique ne rime pas forcement avec compétence politique. Un renouvellement des élites est, dès lors, plus que nécessaire, elle est obligatoire. Force est de reconnaître que dans bien des pays africains, les oppositions politiques se sont laissées corrompre, signe d’une démocratie instable et superficielle pouvant, d’un moment à l’autre, plonger les Etats dans une phase de désintégration partielle ou totale de leurs institutions. Benjamin Disraeli avait raison de soutenir que nul gouvernement ne peut être longtemps solide sans une redoutable opposition. Le cas malien n’est que la résultante d’un long processus de désintégration institutionnelle sous couvert d’une démocratie unanimiste et fictive. L'opposition n'a pourtant pas seulement un rôle de contestation, de destruction. Un opposant démocratique est un acteur de la vie politique, œuvrant pour plus de démocratie, plus de respect des engagements des dirigeants, plus de débat dans l'espace public. 

Pour plus démocratie, pour des représentants politiques plus responsables et soucieux de la cause publique, bref pour une politique plus noble et plus saine, nos opposants politiques doivent prendre conscience de leur mission. Il ne s’agit pas de tenir un éternel et redondant discours démagogique. Il ne s’agit pas non plus d’avoir à l’esprit une éternelle critique stérile encore moins une velléité de seulement détruire sans être une force de propositions. Il s’agit de contribuer à l’évolution des idées et des pratiques politiques. Il s’agit de prendre part à un projet collectif noble et humaniste dans un vrai processus démocratique. Une démocratie de façade fera long feu. Elle débouche sur une désintégration progressive des bases constitutionnelles et institutionnelles, sur une remise en cause de la structure étatique prélude à son effondrement. L’enjeu n’est pas une querelle de personnes mais d’œuvrer pour le bien public. Les forces d'opposition actuelles ont une très grande part de responsabilité dans l’immobilisme politique des Etats africains, quand elles ne précipitent pas leur effondrement.

 

Papa Modou Diouf

Sur le même sujet : 

http://terangaweb.com/mais-ou-sont-passees-les-oppositions/*

http://terangaweb.com/a-quoi-ressemble-lopposition-au-burkina/

Rencontre avec Martin Diatta, fondateur de bumbou.com

martin diattaBonjour Martin, peux-tu te présenter à nos lecteurs ?

Bonjour, je m’appelle Martin Diatta, je suis sénégalais et je vis actuellement en France à Lille. Au début de mes études, j’ai suivi une formation d'expertise comptable (DPECF, DECF) avant de me consacrer à l’économie et la gestion à l’université des sciences et technologies de Lille I, option Global e-business, où j’ai obtenu un Master II en 2009. Après mes études, j’ai pensé à monter un projet entrepreneurial qui consiste à mettre en place un annuaire d’entreprises, une plateforme d’échanges entre entrepreneurs et particuliers, à destination de l’Afrique, connu sous le nom de Bumbou. Le nom se lit « bambou » (en référence à la plante elle même) et je l’ai choisi pour des raisons de disponibilité de nom de domaine sur internet. De plus je trouve que ce nom "Bumbou" a une consonance africaine. Paralellement à ce projet, j'ai enchaîné quelques missions courtes en entreprise souvent à temps partiel pour me financer. J'ai occupé des postes de comptabilité, management de projet, de webmaster et de référenceur Web. Je donne aussi des cours de soutien en soirée et pendant le weekend. C'est en grande parti, grâce à ces emplois que j'ai pu subvenir aux premiers coûts liés au développement de Bumbou.com. 

Peux-tu nous parler plus en détail de la plateforme Bumbou et nous expliquer comment t'es venue l'idée de la mettre en place ?

La plateforme Bumbou est d’abord un annuaire d’entreprises, c’est-à-dire que des entreprises peuvent s’y inscrire , créer leur page et leur fiche de présentation suivant leurs secteurs d’activités et poster des annonces, des appels d’offres, d’achats, de vente de produits mais aussi faire de la prospection. Ensuite, le site présente une autre rubrique d’offres d’emplois et de stages à destination du continent africain pour les entreprises qui recrutent ainsi que les chercheurs d’emploi ou de stage. Le but est donc pour tout membre, de créer son identité à travers la plateforme pour être aussi bien visible en Afrique que dans le monde entier. En ce sens Bumbou, est aussi un site de partage d’expérience et de correspondance entre les différentes entreprises qui s’y inscrivent.

J’ai décidé de créer cet annuaire parce que je voulais faire quelque chose pour l’Afrique. L’ambition était de taille et je cherchais dans quel domaine créer quelque chose qui pourrait être utile au continent. Je me suis donc dit que faisant un Master en Global e-business, j’avais le bagage nécessaire pour ce qui concerne la gestion des nouvelles technologies et qu’il fallait œuvrer en ce sens et trouver un outil intéressant au profit du continent. J’ai aussi remarqué qu'internet est un outil qui a été pris et maîtrisé à temps par l’Afrique pour des raisons d’ouverture au monde, d’échange d’informations et de partage de savoirs. J'avais aussi constaté une grande présence des cadres africains sur les réseaux sociaux professionnels. Donc le besoin de chercher l'information en ligne est bien réel en Afrique. L’idée m’est donc venue de mettre en ligne cette plateforme pour faciliter le travaille des entreprises africaines et des entreprises qui s’intéressent à notre continent. La plateforme Bumbou est aussi, pour moi, une autre façon de participer à l’amélioration des offres de service en direction de l’Afrique sur internet en répertoriant des offres adaptées ciblées essentiellement sur le continent dans des secteurs d’activité dynamiques et bien précis. 

Concrètement, comment se passe le fonctionnement interne de Bumbou ?

Pour la partie annuaire, le fonctionnement consiste d’abord en une inscription de base qui reste gratuite et ouverte à tout un chacun pour avoir accès aux informations disponibles sur le site. Tout le monde peut consulter les fiches détaillées des autres membres, des annonces, des appels d’offres ou entrer en contact avec une entreprise ou un particulier. Toutefois, après l’inscription de base qui confère la statut de membre ordinaire, les entreprises ont la possibilité de mettre à jour leur statut et devenir membre premium (payant) pour être plus visible au niveau des annonces et autres services proposés en étant en tête de liste, suivant les critères de recherches, par exemple dans leurs pays et leur domaine d’activité.
Ensuite la section "offres d’emplois/stages" permet à tout inscrit de pouvoir consulter les offres disponibles sur le site et d’avoir la possibilité de postuler directement à partir de la plateforme Bumbou. Ces candidats peuvent aussi mettre en ligne leur CV avec un minimum de leur profil qui ne sera accessible qu’aux inscrits dans les détails. Il y a aussi une section d’information sur Bumbou qui fournit des données concernant l’activité économique et les facilités d’investissement pour les entreprises, suivant leurs domaines et les zones cibles. Ces informations sont de deux types particulièrement. A travers la plateforme, je relaie certaines activités comme les foires, les salons qui se tiennent sur le continent africain. Je fais un focus particulier sur tout ce qui qui touche aux enjeux énergétiques notamment aux énergies renouvelables, parce que c’est un secteur d’activité qui peut et doit être une priorité pour toute entreprise qui veut élargir son activité en Afrique. 

Quelles sont les difficultés que tu as pu rencontrer dans ton projet entrepreneurial ?

Comme j’aime le dire et le répéter très souvent, une idée ne se crée pas toute seule. La première chose qu’il faut se dire et accepter c’est que tout projet suit un long processus, connaît des soubresauts avant d’être une réalité utile et tangible. J’ai eu des problèmes d’ordre logistique et financière. En effet, j’ai commencé à concevoir et à développer la plateforme dans ma propre chambre n’ayant pas un bureau ou un espace de travail adéquat. Il fallait aussi trouver les moyens financiers pour le développement technique avancé du site. J’ai donc sollicité un emprunt à la banque pour faire face à la difficulté financière et continuer d’améliorer la plateforme Bumbou. Toutefois, j’ai eu la chance d’avoir des opportunités qui m’ont permis de ne pas baisser les bras. L’université de Lille I à travers son pré-incubateur(Cré'innove) que j’ai intégré, m’a aidé à surmonter les soucis d’ordre logistique en me fournissant un espace de travail avec bureau, connexion et tout ce qu’il me fallait pour bien me concentrer sur le développement de Bumbou.

Logo bumbouUne autre structure visant à promouvoir les jeunes créateurs et entrepreneurs, connue sous le nom des Ruches du Nord qui est une pépinière d’entreprises, m’a permis de louer un bureau à moindre coût maintenant, avec un accompagnement régulier du Directeur de l'établissment de Tourcoing. Pour le business plan, le montage et le soutien financier, j'ai été soutenu par d'autres organismes tels que la Boutique de Gestion Espace (BGE), le CLAP, VNEI, Nord Actifs, l'Agefiph et Oseo. Ces organismes ont su m’accompagner et me permettre de surpasser ces difficultés que j’ai pu rencontrer dans mon projet entrepreneurial. Une autre chose qui est un obstacle auquel je fais face est la difficulté d’entrer en contact avec les chambres de commerce de certains pays africains pour avoir des données officielles sur l’état de l’activité économique dans ces pays là. J’essaie tant bien que mal de collaborer avec ces entités mais avec beaucoup de difficultés.

Qu’est ce que tu conseillerais aux jeunes qui voudraient entreprendre comme toi ?

Le premier conseil que je donnerais aux jeunes qui veulent entreprendre, c’est d’être déterminé ; de porter très haut son idée, son projet entrepreneurial pour en faire une réalité concrète et utile à l’Afrique et au monde. Il faut savoir aussi que l’entreprenariat n’a pas de visibilité et qu’il faut œuvrer chaque instant pour le succès de son projet. Pour cela, il faut donc savoir porter son idée, y croire et le vivre au quotidien c’est-à-dire se donner les moyens pour sa réalisation. Toutefois, il faut aussi, pour tout jeune entrepreneur, savoir aller vers les gens, les potentiels bailleurs de fonds pour exposer et soutenir son projet afin de décrocher une aide financière ou logistique. C’est important parce que le soutien est toujours un manque pour les jeunes entrepreneurs africains. Le dernier conseil de marketing est de ne point attendre d’avoir un produit optimal pour le mettre sur le marché. Il faut donc partir d’une base perfectible et se mettre au défi du quotidien pour faire évoluer son entreprise afin d’offrir un service de qualité. Par ailleurs, je voudrais aussi lancer un appel aux autorités africaines. Il faudrait qu’on ait plus de structures d’accompagnement des jeunes entrepreneurs dans nos pays d’Afrique. L’esprit d’entreprise est présent sur le sol africain, il devrait donc être valorisé par nos politiques publiques. 

Quelles perspectives de développement envisages-tu pour cet annuaire d’entreprises ?

Mon objectif est de devenir une référence en ce qui concerne les entreprises africaines et même toutes les entreprises qui offrent des services à destination de notre continent. Je veux avoir plus de notoriété sur internet et plus de collaboration avec les entités économiques des pays d’Afrique notamment les chambres de commerce. Je veux aussi être un interlocuteur direct dans les foires et salon sur l’activité économique africaine. Par ailleurs, je veux aussi m’engager auprès de ces jeunes entrepreneurs africains pour faire de l’internet un outil d’échange et de partage pour plus d’intégration des pays et des entreprises du continent africain. Je n’exclus pas non plus l’association avec un organisme pour travailler ensemble pour l’Afrique plus particulièrement. Mon dernier mot consiste à dire que Bumbou est un outil ouvert à tous. J’encourage tout porteur de projet à y faire un tour pour consulter les offres de service, ou faire connaître son entreprise. Cette plateforme est dès lors la vôtre, c’est votre business, c’est votre continent. Je remercie par ailleurs Terangaweb et ses lecteurs de m’avoir permis de m’exprimer sur mon projet.

Entretien réalisé par Papa Modou Diouf

Terrorisme : l’Afrique à la croisée des chemins

Le spectre du terrorisme hante l’Afrique. Mali, Nigéria, Algérie, Somalie, Kenya, Ouganda… le développement des organisations terroristes et criminelles devient un problème de plus en plus urgent à résoudre pour les autorités africaines concernées. Au moment où les enjeux de l'action terroriste deviennent de plus en plus importants, la situation semble paradoxale : d’une part les moyens pour une politique anti-terroriste efficace et durable font défaut ; d’autre part, les groupes criminels deviennent de plus en plus puissants et gagnent de l’influence au niveau de populations désespérées qui rêvent de lendemains meilleurs.

Le terrorisme annihile toutes les perspectives des programmes de développement économiques et sociaux dans les zones où il prolifère. La situation est telle que ces organisations criminelles s’imposent comme les principaux acteurs et régulateurs de zones sous leur contrôle en Afrique subsaharienne. Les flux économiques (commerce légale et trafics illégaux) et de personnes (migrations de populations autochtones, circulation des touristes et du personnel des ONG et aux acteurs de la communauté internationale) sont en passe d’être sous le contrôle complet des groupes terroristes au Sahel et au Sahara. Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI), par exemple, est en passe de transformer le Sahara en vrai marché. Le nouveau « Sahara Stock Exchange » est de plus en plus actif avec pour valeur de transaction les otages internationaux et toutes sortes de biens matériels objets de trafics (cigarettes, drogues, armes). Avec des revendications d’ordre politique et social, les actions d’Ansar Dine, autre groupe terroriste salafiste qui contrôle désormais le Nord Mali, sont facilitées par la disponibilité des sources illicites de financement et la coopération avec d’autres mouvements tels que Boko Haram (l'instruction est illicite) et le Mouvement d'Unité pour le Jihad en Afrique de l'Ouest (MUJAO).

Comme l’a montré Abdelkader Abderrahmane, chercheur à la Prévention des Conflits et Analyses des Risques' (CPRA) et à l’Institut d'Etudes de Sécurité (ISS) (Ethiopie) dans un papier publié récemment, le Trafic d'armes, de drogues et le blanchiment d'argent sont devenus monnaie courante entre tous ces groupes criminels. De plus, « des liens grandissants se tissent entre les narco-terrroristes présents en Afrique de l'ouest et les groupes mafieux européens tels que la Camorra » poursuit le chercheur. Par le biais de ces coopérations, ces groupes qui font beaucoup parler d’eux s'aident mutuellement, bénéficient de leurs expertises respectives et pourront à court terme se transformer en groupes hybrides comme le sont actuellement les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC) qui sont un exemple de groupe basé sur une idéologie politique qui, avec le temps, a muté en groupe crimino-narco-terroriste selon Abdelkader Abderrahmane.

Il semble donc urgent de trouver des solutions pour endiguer cette prolifération terroriste et criminelle. Un meilleur contrôle des transferts d’armes conventionnelles à l’intérieur du continent est le prélude à cette lutte. La transparence de tout contrat d’armement devrait être confirmée par une autorité compétente africaine. Beaucoup plus de clairvoyance de la part des autorités politiques pourrait, de plus, permettre des avancées significatives dans la lutte contre le fait terroriste en Afrique. Pour le cas malien, il est important de palier tout risque de contagion régionale. L’impasse géopolitique dans laquelle se trouve actuellement le Mali devient de plus en plus préoccupante. Le no-man-land que devient cette partie du Sahara peut être le prélude à une nouvelle dynamique terroriste, une base arrière et un centre de formation pour tous ceux qui se reconnaissent dans cette stratégie. Le processus démocratique qui a nécessité tant d’effort pour s’enclencher risque de s’effondrer sous l’action de ces groupes criminels et l’Afrique en a assez de devoir toujours « repartir à zéro ».

 

Papa Modou Diouf


Le business des armes conventionnelles en Afrique

L’évolution du commerce d’armes conventionnelle dans le monde et plus particulièrement en Afrique suscite de nombreuses questions. Une étude faite par Pieter D. Wezeman, chercheur à l’Institut International de Recherche sur la Paix de Stockholm (SIPRI) publiée en 2009 fournie une analyse chiffrée des achats et transferts d’armes conventionnelles en Afrique Centrale, du Nord et de l’Ouest. Si l’on compare les sommes allouées à l’armement militaire par les Etats africains aux budgets militaires des autres Etats dans le monde, elles sont relativement faibles. Elles ne représentent environ que 3% des importations mondiales d’armes entre 2004 et 2008. Placées dans une perspective globale, les dépenses militaires des Etats d’Afrique Centrale, de l’Ouest et du Nord ne représentaient que 0,7% des dépenses mondiales en armement en 2007, soit un montant de 9,5 milliards de dollars pour un niveau global de 1339 milliards de dollars. Ces dépenses en armement sont concentrées entre les mains de quelques pays, principalement du Maghreb : l’Algérie représente à elle seule 41 % des dépenses, le Maroc 25%, le Nigéria 10% et la Lybie 7%.

L’étude souligne toutefois que les dépenses militaires sont en constante évolution dans les trois zones sous-régionales africaines étudiées. Les achats d’armes conventionnelles auprès des grandes puissances comme les Etats-Unis, la Chine, la France ou encore la Russie ont été très fréquents ces dernières décennies. L'Algérie est met actuellement en œuvre un important programme de modernisation militaire qui comprend l'achat de 180 chars T-90, 28 avions de combat Su-30MK, 2 sous-marins, doublé d’une mise en place d’un nombre important de systèmes de défense aérienne d’origine russe. Le Maroc, un voisin de l'Algérie, a également lancé un programme de modernisation militaire en 2008, et a commandé 24 F-16C, avions de combat d’origine américaine, une grande frégate FREMM made in France et 3 petites SIGMA-90, frégates achetées aux Pays-Bas. Un autre voisin de l'Algérie, la Libye était en train de négocier du temps du régime de Kadhafi avec plusieurs fournisseurs au sujet des contrats pour des quantités importantes d'armes lourdes.

Certains Etats africains souhaitent ne plus simplement importer leurs armes conventionnelles. Le Nigéria a ainsi décidé de produire une partie de ses besoins en armement sur son territoire national en important la technologie de fabrication et les composants des armes. Une entreprise nigériane, la DICON company, fabrique des copies du fusil d’assaut AK-47 et ses munitions depuis 2008.

Ces chiffres appellent à s’interroger sur deux sujets : l’impact de ce commerce sur la corruption et la violence en Afrique. L’absence de transparence dans les transactions nationales et internationales d’armes est soulignée dans l’étude du SIPRI. Ce manque de transparence et de contrôle approprié permet à un nombre important de fournisseurs et d’intermédiaires non identifiés d’intervenir dans les transactions militaires vers ces trois régions du continent. Bien qu’il ne soit pas possible de chiffrer précisément les montants versés pour des commissions plus ou moins occultes, nul doute que ces commissions participent significativement à entretenir la corruption dont profitent de nombreux responsables africains.

Quant à l’impact des dépenses militaires sur le cycle de violence, encore faut-il préciser qu’il est ici question des armes conventionnelles (faisant l’objet de contrats de vente, donc légales), et pas des armes non-conventionnelles (achetées à des trafiquants d’armes, en contravention le plus souvent avec les traités internationaux de non-prolifération). Si les armes conventionnelles sont souvent plus dangereuses (chars, avions de guerre, frégates, etc.), ce sont les armes non conventionnelles (machettes, kalachnikov, mines anti-personnelles) que l’on retrouve dans les guerres civiles et les conflits non étatiques, causant le plus de victimes en Afrique. Toutefois, l’usage d’armes conventionnelles par des Etats en situation de guerre ou de conflit armé n’est pas sans laisser présager des dérives. Pour se prémunir de ces dangers, l’Organisation des Nations Unies impose des embargos sur les armes conventionnelles des pays à risque. Actuellement, dans les trois zones africaines étudiées, ces embargos concernent la Libye, le Libéria, la Sierra Leone, la République Démocratique du Congo et la Côte d’Ivoire. L’histoire récente a toutefois montrer la faible efficacité de ce dispositif, le Liberia de Charles Taylor ayant réussi à contourner ses contraintes sans trop de difficultés. Un traité sur le commerce d’armes conventionnelles (Arm Trade Treaty) est en discussion à l’ONU, et aurait notamment pour but de renforcer les contraintes en cas d'embargo et de mieux contrôler le commerce international des armes de manière général. Au niveau africain, il conviendrait que les chefs d'Etat et de gouvernement se mobilisent pour plus de transparence dans le commerce des armes conventionnelles. Ces disposition pourraient mettre fin à plusieurs sources d’armement des groupes rebelles. Et accessoirement renforcer la paix et la sécurité en Afrique.

Papa Modou DIOUF

Dépasser l’afro-pessimisme

L’afro-pessimisme est ce sentiment qui pousse à l'abandon de toute pensée qui pourrait mettre en exergue un possible développement du continent africain. Cette idéologie s’appuie sur les nombreuses questions toujours en suspens concernant l’avenir du continent : dans quelle mesure les populations africaines sortiront-elles de la pauvreté ? A partir de quoi envisager un possible décollage économique du continent noir ? Comment pourrait-on rendre l'économie africaine plus compétitive ? A toutes ces interrogations aussi cruciales qu'urgentes, cette  philosophie afro-pessimiste n'apporte aucune réponse positive. Un sentiment qui peut sembler normal et rationnel face à une Afrique connue pour ses famines, ses guerres fratricides et ses coups d'Etats perpétuels, ses autorités politiques corrompus et égoïstes. Difficile, voire utopique, d'être optimiste quand au moment où de l'autre coté de l'Atlantique, les Etats cherchent à s'unir pour avancer et où l'impunité n'est pas sujet de débat public, nous, Africains, semblons tourner le dos, de façon consciente et volontaire, à la course mondiale à la compétitivité. Pourtant, devrions-nous capituler sans combattre ?

Face à la conjoncture actuelle qui voit les anciens moteurs de l'économie mondiale devenir des moteurs très actifs de crises, passant ainsi du statut de créanciers à celui de débiteurs, l'heure semble venue de repenser l'afro-pessimisme dans ses raisons d'être et ses perspectives. Il est donc temps de prendre du recul par rapport à cette image d'une Afrique honnie et profanée, terre de tous les malheurs. La pauvreté et les conflits sont si présents en Afrique qu’ils masquent parfois le reste. En avril 2011, une étude publiée par la Columbia Journalism Review, intitulée "Hiding the Real Africa", expliquait, d'ailleurs, avec quelle facilité l’Afrique fait la une de la presse occidentale lorsqu’une famine, une pandémie ou encore une crise violente ou, plus récent encore, un coup d’Etat, se produit. Ce faisant on a tendance à prêter moins d'attention aux progrès et aux succès du continent africain.

Voulons-nous recevoir d’autres nouvelles de l'Afrique ? Par exemple prendre en compte l'accélération de la croissance économique africaine au cours de la dernière décennie, l'émergence d'une classe moyenne de consommateurs et d'un secteur privé plus dynamique sur le marché local qui attire des entrepreneurs. Il est donc temps de se rendre compte que l'afro-pessimisme devient synonyme de capitulation voire même de lâcheté lorsque l'on ne veut pas admettre que jusque-là les choses continuent de changer. La Banque mondiale a récemment publié un livre sur les succès africains, intitulé Yes Africa Can. La Banque africaine de développement, basée à Tunis, a marqué les 50 ans d’indépendance de bon nombre de pays africains en publiant une étude intitulée L’Afrique dans 50 ans — Vers la croissance inclusive. Selon cette étude, "au cours de la dernière décennie, en dépit de la récurrence des crises alimentaires et financières mondiales, l’Afrique a enregistré une croissance d’un taux sans précédent. Il faudra certes des décennies de croissance pour réaliser des avancées significatives dans la lutte contre la pauvreté en Afrique, mais il y a actuellement un optimisme croissant quant au potentiel du continent".

Calestous Juma, professeur à Harvard, notait que la montée de la classe moyenne modifie la vision de l’avenir de l’Afrique. La classe moyenne a peut être peu à dépenser par rapport aux normes occidentales ou asiatiques, mais elle impulse indéniablement une dynamique politique et économique positive. Certes, cela ne saurait régler la question de l’éradication de la pauvreté. Beaucoup reste encore à faire en ce qui concerne le développement des infrastructures, l'enseignement technique, l'entreprenariat et le commerce. Il reste que pour permettre des avancées remarquables et durables, l'afro-pessimisme dans toutes ses manifestations doit être dépassé. Cette forme "primitive" de penser l'Afrique moderne n'est-elle pas l'une des causess principales de notre immobilisme ?

Papa Modou DIOUF

Biens mal acquis : l’étau se resserre autour des dirigeants corrompus

Terangaweb a rencontré Rachel Leenhardt, chargée de communication de l'association SHERPA, qui mène l'enquête sur les biens mal acquis par des chefs d'Etat africains. Nous faisons le point sur l'avancée de l'enquête (perquisition de l'immeuble Obiang Nguema), sur la possibilité de poursuite judiciaire pour de nouveaux chefs d'Etat, notamment le président Wade, sur les circuits de blanchiment d'argent détourné et sur la perception dans l'opinion publique africaine de l'action de Sherpa.

Terangaweb : Bonjour, depuis le dernier entretien accordé par Sherpa à Terangaweb, l’enquête sur les biens mal acquis du clan Obiang a connu de nouveaux rebondissements. De la saisie d’une collection de voitures de luxe en septembre 2011 aux nouvelles perquisitions, qu’est-ce qui a changé ?

Sherpa : On constate une véritable avancée de l’enquête, c’est particulièrement intéressant parce l’immeuble de l’avenue Foch et tout ce qui a été perquisitionné ont été achetés en 2009 c’est-à-dire après le dépôt de la première plainte. Cela signifie donc que les Obiang (ainsi que Denis Sassou Nguesso et les Bongo) ont continué à acquérir des biens en France – vraisemblablement avec de l’argent illicite- alors même qu’ils étaient sous le coup d’une plainte. Ce qui montre que les mécanismes de préventions ne fonctionnent pas. Par ailleurs, on a obtenu une extension du mandats des juges à ces nouvelles acquisitions grâce à une demande de réquisitoire supplétif faite avec TI France. Une première demande a été rejetée par le parquet d’où le dépôt d’une seconde plainte avec constitution de partie civile pour saisir directement les juges d’instruction. On a fini par obtenir le réquisitoire supplétif qui a permis aux juges de faire cette nouvelle perquisition qui change l’allure de l’évolution du dossier. Par ailleurs l’immeuble qui a été perquisitionné n’avait pas été identifié par la Police lors de la première enquête en 2007 et c’est Sherpa qui dans une note en a démontré l’existence. Ceci a été déterminant dans l’évolution du dossier et a permis une accumulation croissante d’éléments pouvant conduire éventuellement à une mise en examen.

Terangaweb : Cela marque-t-il une reconnaissance plus forte du travail effectué par Sherpa ?

Je pense que depuis un moment le travail de Sherpa est pris au sérieux : le fait qu’on ait réussi à obtenir la nomination d’un juge d’instruction témoigne déjà de la reconnaissance de la légitimité de Sherpa et de l’importance de ses travaux. Cela veut également dire que Sherpa a su fournir les éléments nécessaires pour que ses allégations soient prises au sérieux par les autorités judiciaires. Par ailleurs, il faut aussi comprendre que Sherpa n’aurait pas réussi à faire ouvrir une enquête judiciaire sur des chefs d’États en exercice sans éléments convaincants.

Terangaweb : La Tunisie a lancé une procédure en Suisse et en France, notamment, contre près de 300 anciens dignitaires du régime, toujours dans le cadre des biens mal acquis ? N’est-ce pas un bon signe ?

Concernant des pays comme la Tunisie, il faut souligner qu’on a, là, deux cas de figure complètement différents. D’une part on a une révolution qui a conduit au départ des dirigeants qui de toute évidence étaient corrompus et qui se sont servi de leurs pouvoirs pour accumuler de l’argent et s’acheter des biens en France ; on a donc de nouvelles autorités qui, a priori, ont immédiatement besoin de ces fonds accumulés par leurs prédécesseurs pour reconstruire leur pays et partir sur de nouvelles bases. D’autre part on a trois dirigeants qui sont toujours en place qui n’ont aucun intérêt à ce qu’il y ait des enquêtes les concernant. Aussi, la coopération qui se fait avec la Tunisie est impossible avec des pays comme la Guinée Équatoriale, le Gabon ou le Congo-Brazzaville  ; de plus, les biens confisqués à ces dirigeants ne peuvent être rendus aux autorités du pays tant que ces responsables sont au pouvoir.

Terangaweb : En cas de restitution de biens à un pays, Sherpa assure-t-elle le suivi de leur bonne gestion ?

Le suivi de la gestion des biens restitués est extrêmement important mais cela n’est pas directement du ressort de Sherpa. On pourra suivre leur gestion de façon informelle mais c’est très important qu’il ait une société civile sur place ou des institutions qui assurent ce suivi. Il y a une initiative de ce type au Nigéria liée au recouvrement des avoirs après le départ de Sani Abasha. C’est une association appelée SERAP qui demande des comptes à son gouvernement sur l’utilisation de cet argent afin de vérifier qu’il bénéficie bien à la nation.

Terangaweb : SHERPA enquête-elle sur de potentiels avoirs illicites des WADE (Père et fils) en France ?

Concernant la famille Wade et leurs potentiels avoirs en France, on s’y est intéressé aussi comme on l’a fait avec d’autres dirigeants d’Afrique et d’ailleurs. Vous savez, plus l’affaire des biens mal acquis est connue, plus on reçoit d’informations, soit de la part d’une association locale, soit des personnes qui de par leurs métiers ou leur position géographique ont accès à des données qui peuvent nous être utiles. On n’a pas l’intention, dans l’immédiat de porter plainte contre Wade bien qu’il y a eu des informations en ce sens, dans la presse, ces derniers jours. Cette question n’est pas à l’ordre du jour d’autant plus que les présidentielles sénégalaises sont toujours en cours.

Terangaweb : Transparency International (TI) France demandait récemment l’ouverture d’une enquête sur le financement du Prix Obiang de l’UNESCO. Sherpa est-elle associé à cette démarche ?

En fait la répartition des rôles entre Sherpa et TI France est difficile à comprendre. Officiellement c’est TI France qui est partie civile c’est-à- dire que eux peuvent être en communication directe avec les juges d’instruction. TI France a rejoint la plainte en 2008 pour apporter plus de poids, de légitimité étant donné que c’est une organisation internationale, reconnue et légitime sur les questions de corruption. Maintenant, l’expertise juridique nécessaire au traitement du dossier et la stratégie sont apportées par Sherpa. C’est comme si Sherpa agissait en tant qu’avocat-conseil de Transparency International. Du coup sur le financement du prix Obiang, nos informations montrent que les fonds ont été tirés des comptes du trésor public équato-guinéen, et si ces données sont confirmées par l’enquête, elles entreront de toute évidence dans l’ « affaire des biens mal acquis ».

Terangaweb : Que pensez-vous de la position de l’UNESCO dans cette affaire ?

Je pense qu’elle est extrêmement ambigüe d’autant plus que le prix avait été approuvé dans un premier temps. Ils sont particulièrement embarrassés par la situation parce que depuis sa création le prix n’a jamais été remis à cause de la mobilisation de la société civile, des intellectuels et des prix Nobel comme Desmond TUTU qui l’ont dénoncé. Cependant la décision de renommer ce prix montre qu’il y a un élan de solidarité de la part des délégations africaines qui auraient pu y voir une stigmatisation des pays africains alors même que l’Afrique décidait de proposer quelque chose d’innovant au sein d’une institution internationale.

Terangaweb : Parlons maintenant des paradis fiscaux. Pourriez-vous revenir un moment sur le fonctionnement des circuits de blanchiment d’argent ? Les chefs d’Etats africains ont-ils des circuits dédiés ?

Les circuits de blanchiment d’argent sont difficiles à appréhender du fait de leur complexité et parce que l’avantage des paradis fiscaux c’est qu’ils sont des endroits où règne le secret bancaire–. Par ailleurs, ces circuits sont très flexibles : on peut à tout moment, changer de circuit et adapter en permanence ses transactions via d’autres canaux de transferts d’argent. Cela nous empêche de savoir s’il y a des circuits dédiés pour les chefs d’Etas africains  ; vraisemblablement, il y a des transferts via des paradis fiscaux pour qu’on ne puisse pas identifier la source première de l’argent (qui peut être par exemple les caisses de l’Etat ou un pot de vin versé par une entreprise). Mais il y a aussi des intermédiaires (banques, agences immobilière, notaires, avocats…) qui jouent un rôle sur le sol français.. Ces éléments sont particulièrement intéressants à comprendre dans la mesure où il ne suffit pas seulement de démontrer et dénoncer l’existence des biens, a priori mal acquis, il faut aussi pouvoir retracer leurs origines et prouver leur caractère illicite.

Terangaweb :  Votre association a-t-elle des relais dans ces paradis fiscaux ?

Sherpa n’a pas de relais dans ces paradis fiscaux mais nous avons de nombreux échanges avec des associations partenaires, notamment basées en Espagne et aux Etats-Unis ou des procédures similaires sont en cours.

Terangaweb : Comment Sherpa accueille-t-elle les réactions de la classe politique africaine visée par l’enquête sur les biens mal acquis ? En Guinée-équatoriale, on parle d’une violation du droit international public (Maître Olivier Pardo, avocat de la Guinée équatoriale, interrogé par FRANCE 24).

La réaction de la Guinée Équatoriale est, pour nous, en décalage avec les faits. Il ne s’agit pas que d’une action associative : en ce moment le dossier est aux mains de la justice française. Et accuser la justice française, au vu de cette nouvelle perquisition, de violation du droit internationale, est pour le moins curieux. Depuis le départ, on assiste à toute une campagne de dénigrement des associations à l’origine de la plainte, de la part du gouvernement Equato-Guinéen par exemple, qui met aussi la pression sur le gouvernement français afin qu’il intervienne dans la procédure. Par ailleurs, c’est vrai que SHERPA a une image très ambiguë auprès de la diaspora et des populations locales, qui s’informent par le biais d’une presse contrôlée, et qui ont l’impression que notre travail n’est rien de plus qu’une stigmatisation de leurs leaders et, au-delà, des pays africains. Il faut aussi souligner la confonusion entre la personne du chef de l’Etat et l’institution lorsqu’on parle d’atteinte à la souveraineté de l’Etat Equato-guinéen, dans la mesure où ces biens n’appartiennent pas à l’Etat mais à la personne privée du chef de l’Etat ou de son fils.

Terangaweb : Ne faudrait-il pas vous faire connaître davantage dans l’opinion publique africaine ?

Ce serait très utile. D’ailleurs il y a pas mal de journaux en ligne qui relaient l’ « affaire des biens mal acquis » et qui ont une audience importante en Afrique, notamment Jeune Afrique. Mais concernant les pays dont les dirigeants sont visés par la plainte, il est quasi-impossible d’y faire une campagne médiatique, dans la mesure où la presse est fréquemment contrôlée par ce même pouvoir.

Terangaweb : Depuis le lancement des activités de l’association pensez-vous qu’il y a des progrès de la bonne gouvernance en Afrique ?

C’est difficile d’apprécier l’évolution de la bonne gouvernance en Afrique, parce que nous n’avons pas les données nécessaires pour créer un indice d’évaluation de la bonne gouvernance à l’aune de nos activités. Ce n’est d’ailleurs pas notre objet. Cependant Transparency International a mis en place un indice lui permettant de suivre l’état de la corruption dans ces pays, contrairement à Sherpa qui travaille sur volet juridique des financements illicites.

Entretien réalisé par Papa Modou Diouf et Joel Té Lessia pour Terangaweb

Pourquoi il faut renouveler le projet de l’Union africaine

Les évènements politiques de l’année 2011 et de ce début d’année 2012 illustrent une fois de plus l’inaptitude de l’Union africaine à la gestion de crise. L’émergence d’un vrai marché d’otage au Sahara avec les rebelles Touaregs comme agents économiques (très actifs) et des innocents comme biens et services ; la transformation de la Guinée-Bissau en narco-Etat susceptible de bouleverser la stabilité des régions environnantes ; la situation de la Somalie, « modèle même de l’Etat désintégré, tombé en faillite sous le coup de vingt-trois ans de guerre civile attisée par ses voisins, pays abandonné de tous, en proie aux démons des divisions ethnico-tribales » : autant de dossiers cruciaux où les institutions régionales africaines n’apportent aucune réponse crédible.

Un retour sur l’histoire de l’Organisation de l’Unité Africaine, créée en1963, devenue l’« Union Africaine » en 2002 et les perspectives qui s’étaient dessinées, montre que plus de quatre décennies après sa mise sur pied, l’institution se trouve encore dans sa phase de balbutiement. S’agit-il d’un dysfonctionnement lié au projet originel ou d’un simple manque de responsabilité des leaders nationaux ? Cette question revêt une importance particulière à l’heure où les populations africaines, après avoir pris conscience des abus et malversations dont elles sont les victimes depuis trop longtemps, se révoltent de part et d’autres du continent. Alors que les citoyens renouent avec l’engagement politique, l’union africaine est-elle une institution has been ?

Sur tous les sujets politiques chauds, l’absence de l’UA est criante, ce qui peut conduire à questionner la légitimité de cette institution. En Janvier 2008, face aux violences (ayant fait au moins 780 victimes dont le marathonien Wesley Ngetich tué par une flèche empoisonnée) qui ont suivi l'annonce de la réélection contestée du président Mwai Kibaki devant son opposant Raila Odinga, l’UA ne s’est-elle pas effacée devant une médiation internationale conduite par Koffi ANNAN ? Les Forces de Sécurité de l’Union Africaine ne font-elles pas profil bas face aux actions désastreuses perpétrées par les rebelles somaliens ? La mauvaise gestion de la crise Ivoirienne n’est-elle pas révélatrice de cette incapacité de l’UA à prendre ses responsabilités devant des situations alarmantes nécessitant une action rapide et efficace ?

A l’aune de tous les errements de l’UA, force est de se demander dans quelle mesure pourrait-on affirmer que « l’union fait la force » ? De fait, cette union n’est pas en mesure d’assurer la paix dans une quelconque région du continent africain. Et que dire lorsque, face aux conflits qui gangrènent ce continent, l’union africaine fait la « sourde oreille» pour se contenter d’un second rôle (derrière l’ONU et L’OTAN). Nos chers leaders déploient plus d’énergie à essayer de diriger les organes de l’institution qu’à régler les problèmes politiques de court et moyen terme du continent. Incapacité ou irresponsabilité de l’UA ?

Le danger est que l’inefficacité de l’UA vienne entacher et remettre en cause le projet politique panafricain. Or, aucun pays ne peut répondre seul aux défis économique (investissements en infrastructures, marché étendu), défis sécuritaires (menaces transfrontalières) et sociaux (migrations de population) qui se posent à l’Afrique aujourd’hui. Dès lors, il convient de trouver des solutions innovantes pour redynamiser l’Union africaine. De nouvelles pistes doivent être sérieusement explorées. Démocratiser les institutions panafricaines devient une priorité. Cela doit passer sans doute par des élections au-delà de l'échelle nationale, qui rendent responsables de leurs actions les dirigeants de l'UA et créent un vrai débat public panafricain. Des instances de représentation des corps de la société civile sont également envisageables et souhaitables. Pour que l'Union africaine ne soit plus une coquille vide, il devient plus qu'important de démocratiser et responsabiliser cette institution.

 

Papa Modou Diouf