Faut-il croire en l’Afrique ?

Une ironie et un paradoxe gouvernent l’actualité du destin africain. Ironie en ce sens que le continent « maudit » et « mal parti » est aujourd’hui le continent de l’avenir et de toutes les promesses. A tel point que des sénateurs français ont cru bon d’intituler en 2013 un volumineux rapport (N°104) (1) de 501 pages « L’Afrique, notre avenir » sous la supervision de Jeanny Lorgeoux et Jean-Marie Bockel. Le projet de nos deux sénateurs cité ci-dessus est sans ambigüité : « Ce rapport, écrivent-ils, est né d’une interrogation : d’abord sur l’évolution de l’Afrique, hier présentée comme un continent perdu, aujourd’hui louée comme le prochain continent émergent, ensuite sur la présence de la France dans ce continent hier ignoré, aujourd’hui convoité » (p.19). Mais plus loin nos deux sénateurs s’interrogent encore plus explicitement « Sont-ce les regards qui ont changé ou la réalité ? » En 2004, Stephen Smith donnait comme sous-titre à son livre « Négrologie » « Pourquoi l’Afrique se meurt ». A peine quelques années après qu’un autre livre en l’occurrence celui de l’ex-patron de l’Agence Française de Développement était intitulé « Le Temps de l’Afrique ». Ce dernier se demandait si l’Europe et la France n’étaient pas en train de rater le train du décollage africain. On se souviendra également du livre intitulé « L’Afrique notre Avenir » de l’ancien ministre français de la coopération Jacques Godfrain. Qui ne se souvient pas de cette une du très célèbre et réputé hebdomadaire anglais The Economist, parlant de l’Afrique, titrant en grande une le 13 mai 2000 « The hopeless continent » (Le continent sans espoir ).

Mais qui en à peine une décennie se ravisait en titrant cette fois-ci en décembre 2011 « Africa rising » (le réveil ou l’éveil africain). Moins de deux ans après, précisément le 2 mars 2013, le même hebdomadaire britannique récidivait en titrant à sa une « Emerging Africa : a hopeful continent » vantant ainsi « un continent plein d’espoir ». « En dix ans, écrivait-il, d’énormes progrès ont été accomplis, et les dix prochaines années seront encore meilleures.» Ce virage à 180 degrés n’est pas un cas exceptionnel.

L’émergence africaine fascine et enthousiasme beaucoup plus la presse hexagonale. Le Point, dans son édition (N° 2166) du jeudi 20 mars 2014, consacre un numéro spécial à l’Afrique : « le grand réveil ». On y voit « la » chance de la France qui ne sait plus trop où elle en est ». On peut lire sous la plume des journalistes Romain Gubert, Claire meynial ces quelques lignes « Malgré ses innombrables défis, c’est le nouvel eldorado de la planète. L’Afrique sidère le monde. Chinois, Américains, Indiens…tout le monde y va faire des affaires.» C’est cette même Afrique, aujourd’hui très convoitée et objet de toutes convoitises que toutes les grandes et moyennes puissances courtisent. Les sommets se succèdent : France-Afrique, Chine-Afrique, Inde-Afrique, Japon-Afrique, UE/Afrique, Afrique-Monde Arabe, Etats-Unis-Afrique, Turquie-Afrique, Brésil-Afrique, Amérique du Sud-Afrique…et la liste s’allongera sans doute à l’avenir. A tel point que Jean-Philippe Rémy, journaliste au Monde parle de « guerre des sommets Afrique » qui a commencé et Patrick Ndungidi, journaliste congolais dans un article sur huffingtonpost.fr parle de « bal des sommets ou l’Afrique pour tous ». Tous ces rendez-vous politiques mais surtout économiques placent le continent au cœur de luttes entre puissances et d’enjeux géostratégiques. Les chiffres quant à eux sont éloquents. En 2012, le Pib du continent s’est envolé à 5,5 % contre 3,4 % 2011. En 2014, il est reparti à 5,3 % contre 4,8 % 2013. A l’évidence l’Afrique est le nouvel Eldorado.

Malgré cette embellie, paradoxalement la situation africaine laisse à réfléchir. Le 16 juin de cette année, alors même que c’est la journée de l’Enfant africain, 34 migrants parmi lesquels 20 enfants sont retrouvés morts de soif dans le désert nigérien. Le 7 juin à Genève, un porte-parole du Haut-commissariat de l’ONU pour les réfugiés déclare, depuis 2014, c’est de 10.000 personnes au total qui sont mortes en mer Méditerranée en tentant de rejoindre l’Europe. Selon plusieurs observateurs, la classe moyenne africaine a augmenté mais concomitamment les pauvres augmentent. « Manière de Voir », mensuel publié par le groupe Le Monde mettait en une de son numéro 143 « Afrique : Enfer et Eldorado ». Ce qui provoque un accroissement des inégalités sociales. En effet, la croissance africaine si enviée est tirée par les exportations de minerais (industries extractives) et l’investissement dans les grands chantiers et non par la consommation des ménages. Espérons que la richesse ainsi crée à long terme sera redistribué à travers divers mécanismes.

Les deux leçons du moment présent africain, d’une part, c’est qu’il n’y a pas de fatalité et que le développement n’est pas une course de vitesse. D’autre part c’est que la jeunesse africaine ne doit pas désespérer de son avenir sur cette terre hier déclarée « maudite » et aujourd’hui très convoitée.

Sossiehi Roche

Notes

1-Lien de téléchargement du rapport du Sénat français :

https://www.senat.fr/rap/r13-104/r13-1041.pdf

2- Jacques Attali, l’un des plus grands intellectuels et économistes français très respecté et écouté a écrit une chronique intitulée « L’Afrique, notre avenir ». Les liens de lecture : L’Express (http://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/l-afrique-notre-avenir_829344.html) et Son blog : http://www.attali.com/actualite/blog/geopolitique/lafrique-notre-avenir

Pour un « new deal » entre l’Afrique et le monde : Croissance(s) partagée(s)

JPG_AfriqueCroissanceComment et pourquoi un continent longtemps réduit à être à la fois l’arrière-cour politique et le relais de croissance économique des puissances du monde devient graduellement l’épicentre de toutes les attentions commerciales et intentions de développement international ?

Plus de cinq décennies après des indépendances qu’il n’est point exagéré de qualifier d’autonomies circonstanciées et de forme, l’Afrique suscite aujourd’hui un intérêt gourmand voire avide en termes d’investissements internationaux et d’attractivité pour le business mondial.  Aujourd’hui, la capacité pour les pays africains, dans leur spécificité et globalité, réside dans l’émergence d’une génération décomplexée, habituée aux dynamiques de confrontation internationale en matière de gouvernance politique et économique. Ces Africains nouvelle tendance est suffisamment renseignée sur les circuits de décision internationaux et travaille à une intégration outillée du continent dans l’arène mondiale pour faire face aux enjeux de compétitivité internationale.

A l’ère de la mondialisation débridée, soumise à de multiples crises économiques, bouleversements politiques et réorientation du système et des valeurs de coopération entre les Etats, l’Afrique apparaît comme l’Eldorado de la croissance mondiale et le biotope des nouvelles énergies du monde à l’horizon 2050.

Cette nouvelle donne économique et géopolitique s’exercera t-elle au détriment du continent ?

Faire mentir l’histoire

Pour envisager sereinement l’avenir, convoquer le passé n’est pas une attitude de régression mais de compréhension des piliers qui ont permis d’implanter durablement des schémas politiques, économiques, sociaux et culturels en Afrique. La Conférence de Berlin de 1885 initiée par les conquérants coloniaux sous la houlette du Chancelier Bismarck consacrait le partage de l’Afrique et la mainmise impérialiste sur ces ressources considérées à l’époque comme démesurément illimitées. Cet acte fondateur de la ruée vers l’Afrique, prélude à la colonisation, donnait le signal d’un « gâteau africain » découpé en territoires physiques et géographiques mais aussi en viviers économiques et de rentes pour les puissances occidentales. La suite ne fut qu’une succession de « prises d’intérêt économique et de ressources vitales » à sens unique, asséchant le continent africain, souvent avec la complicité d’acteurs locaux habilités à jouer les auxiliaires de liaison entre le Nord et le Sud.

130 ans plus tard, l’Afrique est toujours au centre de toutes les attentions vues du Nord et même de l’Orient. La Chine complète le tableau des puissances classiques en quête de vitalité économique. Se joue depuis deux décennies au moins en Afrique une guerre économique avec des outils de concurrence féroce entre globalement la France, les Etats-Unis, les Anglais d’un côté et les Chinois qui, forts de leurs longs compagnonnages tiers-mondistes avec l’Afrique, souhaitent durablement s’installer en maîtres dans les secteurs stratégiques sur le continent. Ils ne sont pas les seuls mais restent sur les lignes de front les acteurs prédominants sur l’espace économique et politique africain.

Après la Conférence de Berlin, la colonisation, les indépendances, la guerre froide, et la néo-colonisation et maintenant le cycle nouveau des régimes « post- Chute du Mur de Berlin », que propose l’Afrique pour les Africains et au monde ?

A cet effet, la nouvelle génération d’Africains aguerrie aux mutations géopolitiques dispose d’un avantage imparable : une grande capacité d’adaptation aux transformations et changements culturels du monde d’une part et d’autre part la position ambitieuse d’acteurs et « influenceurs » de nouveaux modèles qu’ils soient économiques et politiques. Le changement de paradigme tient en un axiome : l’Africain des années 2000 fait précéder la vision pragmatique d’un continent émergent, avançant avec ses failles et ses attributs de satisfaction, avant la réalité hypothétique d’une Afrique forte à l’essor économique insolent et à la stabilité politique incontournable.

De quoi l’Afrique est-elle le nom ?

Le continent est aujourd’hui celui des progrès divers et variés sur l’éducation, la santé, l’agriculture, les technologies. A l’horizon 2050, sa démographie sera la plus importante au monde. Actuellement forte d’un peu plus du milliard d’habitants, elle sera la terre d’un habitant sur quatre dans le monde dans trente ans. De fait, c’est le territoire de toutes les consommations et donc des besoins et opportunités. Corrélativement, le continent est celui des ressources : une jeunesse de plus en plus qualifiée en quête de destin collectif, un patrimoine naturel riche en forêts, mers et terres arables et des atteintes climatiques amoindries par un environnement encore vert et préservé. Pour exemple, le deuxième poumon vert du monde après l’Amazonie est au cœur de l’Afrique.

Ces différentes implications placent l’Afrique, pour les puissances internationales et multinationales, comme la terre de tous les attraits car un accès à plus d’un milliard de consommateurs est à la fois source de croissance économique, d’impact culturel et rayonnement international et d’influence politique et géopolitique.

Ainsi, ce continent devenu fortement compétitif apparait de fait comme le champ de bataille économique et politique du monde. Il y a lieu de s’interroger sur les retours de croissance pour l’Afrique elle-même. Le postulat d’une Afrique imprégnée dans la guerre économique et les luttes d’influence, loin d’être démontré, est suffisamment intéressant à analyser comme un nouveau facteur du bouillonnement des relations internationales. Le développement du continent, encore inégalement réparti, déséquilibré du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, malgré des ressources enviées, souffre aujourd’hui de la démonstration objective d’une conscience politique et continentale affirmée.

Au-delà du romantisme sur l’afro-optimisme, l’émergence en action

Il n’est pas un jour où des professeurs de foi, débordants d’enthousiasme invitent à croire en l’Afrique-Lumière, celle sortie miraculeusement de ses ténèbres séculaires par la seule magie du vœu. Le progrès économique, le salut social, la stabilité politique ne peuvent être réduits à des incantations bienheureuses. Aujourd’hui, les référentiels sur les lendemains qui chantent de l’Afrique ne sont pas différents de ceux qui ont été à l’origine de l’émergence de la Chine, du Brésil, de la Turquie, de la Corée du Sud, de la Malaisie, et que savons-nous encore ?

Concrètement, l’Afrique ne peut s’analyser comme un bloc émergent, sujet aux aléas d’une éventuelle récession économique, d’une crise politique, d’un conflit géopolitique. Il existe plusieurs Afrique(s). Le Rwanda, le Maroc, dans une moindre mesure le Nigéria ou l’Afrique du Sud représentent aujourd’hui des points de satisfaction avec la précaution admise mais non souhaitée d’une rechute.

Ainsi pour garder le cap et demeurer compétitif sur les marchés internationaux, les pays africains pris spécifiquement ou dans leur globalité doivent répondre à un ensemble structurant de critères non-exhaustifs mais qui permettant d’établir un climat de confiance pour le monde des affaires. L’existence d’infrastructures routières et maritimes (autoroutes, lignes ferroviaires et fluviales) et de circulation des biens et personnes (aéroports, ports), des conditions politiques stables et la sécurité, une main d’œuvre qualifiée et des cadres techniques de haut-niveau, la réduction de la corruption, des systèmes de santé et académiques adéquats, des capacités d’accueil et d’hébergement aux standards internationaux sont quelques préoccupations pour tous ceux qui souhaitent investir et travailler en Afrique. Un pays doté de structures bancaires et d’assurances sécurisées, de circuits administratifs et institutionnels fluides et dynamiques est rassurant. Le Maroc est l’exemple le plus abouti qui cumule tous ces points ; ce qui en fait aujourd’hui un leader en Afrique et une porte d’entrée vers l’Afrique subsaharienne.

De fait, il est très important que les pays africains soient accompagnés, dans le cadre de l’élaboration de leurs politiques publiques et  économiques, de concepteurs d’outils méthodologiques et adaptés au contexte administratif et culturel sur le développement de stratégie internationale et de promotion d’investissements extérieurs. L’urgence de cellules d’expertise géopolitique, de veille et d’intelligence économique dans les administrations publiques et chambres de commerce, les ministères des finances, du commerce, du tourisme, des affaires étrangères, dans les ambassades demeure un impératif.

Intégration africaine, paix et croissance durable

La nouvelle génération d’Africains est consciente que ces enjeux de développement doivent prédominer tout débat d’émergence et créer les conditions d’un partenariat entre le monde et l’Afrique où la croissance est partagée de façon équitable. La seule obsession qui vaille le déploiement de toutes les énergies de Rabat à Pretoria ou encore de Brazzaville à Harare n’est pas de rattraper un quelconque retard économique sur d’autres blocs de la planète, mais de dessiner les passerelles qui mènent à une intégration économique inclusive. Cela implique aussi pour les 54 Etats l’urgence d’aboutir en définitive à une véritable Union Africaine qui disposera de moyens et ressources politiques afin de s’imposer dans cette insaisissable compétition internationale. Modernisation des procédures administratives et nationales, professionnalisation des formations et mobilisation des ressources humaines vers le même objectif à la fois défensif et offensif, diversification des partenariats et coopération sud-sud, réelle intégration africaine économique et politique permettront d’accéder à une légitime prétention, celle de faire face aux défis de ce monde virevoltant en assurant durablement la croissance économique et la paix.

Il y va de l’équilibre du continent et du monde.

Régis HOUNKPE

Le fantasme du « capitalisme autoritaire » en Afrique

kagameLa croissance économique africaine est peut-être discutable et exagérée, mais il l’est tout autant de suggérer que l’Afrique devrait suivre aveuglément les traces des états émergents et autoritaires d’Asie.

Dans sa récente publication dans Foreign Policy, Rick Rowden affirme que le bas niveau d’industrialisation de l’Afrique laisse penser que le continent n’est pas « le miracle de croissance » que décrivent certains observateurs. Son article, qui est une réponse à une analyse très optimiste publiée par McKinsey, The Economist, et Time Magazine, entre autres, bat en brèche l’hypothèse d’une croissance économique en Afrique, la qualifiant de « mythe ». Selon lui, étant donné que l’Afrique ne participe qu’à une infime partie du commerce mondial, elle ne peut pas être mis au même niveau que les économies asiatiques.

Des exemples à suivre

Si Rowden a raison d’attirer l’attention sur l’exagération irrationnelle qui va souvent de pair avec l’évocation d’une « croissance économique africaine », son argumentation reste très affaiblie, du point de vue analytique et des solutions préconisées. Tout d’abord, Rowden présente une description très enjolivée de la « croissance miracle » des pays de l’Asie de l’Est. Il affirme que ce groupe – souvent désigné par l’expression « Tigres de l’Asie » et comprenant la Corée du Sud, Taïwan, et Singapour, avec la Chine en plus – a réussi à développer sa capacité de production, en créant en très peu de temps des emplois. Selon lui, étant donné que ces pays ont effectué « un très bon travail », les économies africaines devraient, logiquement, en faire de même.

Cependant, si les politiques industrielles asiatiques ont rapidement donné des résultats, elles ont aussi été appliquées par le biais de plans autoritaires et répressifs qui ont souvent mené à des violations manifestes des droits de l’homme. Ainsi, on entend souvent parler de technocrates bénévoles, de subventions généreusement allouées, de stratégies d’exportation intelligemment conçues, et de protectionnisme afin de favoriser l’industrie locale. En revanche, on entend beaucoup moins parler des règles quasi-martiales, de la répression dans le travail, des prêts accordés de façon opaque aux nababs, ou encore des manifestations violentes contre les changements constitutionnels non démocratiques ; tous ces points furent pourtant des parties intégrantes de ce « modèle de développement ».

Que dirait-on d’un Etat africain qui imposerait la loi martiale et maintiendrait les salaires bas au nom d’une « compétitivité internationale », un Etat qui marcherait sur les droits des travailleurs, où seraient arrêtés les responsables des syndicats ? Un Etat qui dans le même temps fermerait les yeux sur les activités des industriels corrompus, tant que les quotas d’exportation sont satisfaits ? Un Etat qui pourtant recevrait une aide importante des USA en échange des terres extirpées aux paysans locaux qui perdent ainsi leur principal gagne-pain ? Séduisantes méthodes, non ? Ceci est pourtant une description de la Corée du Sud lors de sa phase de croissance « miracle ». Et si le programme de réforme agraire coréen (initié, il faut le préciser, par l’armée américaine) a mené à une distribution plus équitable des terres, certains observateurs affirment que cela n’a pas amélioré la situation des paysans, qui devaient rembourser leurs dettes, sur une durée de cinq ans, à des taux usuraires, au gouvernement qui dans le même temps continuait à maintenir artificiellement les coûts de production à un bas niveau.

singapourMais malgré la répression et l’autoritarisme mis en place, des pays comme la Corée du Sud et Singapour n’ont pas réussi leur mutation en une seule décennie, ce qui représente les délais que se fixent les « afro-optimistes » dans leur analyse, et que Rowden rejette en déclarant qu’il n’y a pas encore eu de révolution structurelle pouvant le permettre. Mais nos réserves ne se portent pas seulement sur l’expérience est-asiatique. L’Angleterre a été prise par Rowden dans son article comme autre exemple (comme l’original, en réalité) de la doctrine du « développement par l’industrialisation ». Il faudrait rappeler les implications du processus « d’industrialisation » de l’Angleterre : l’asservissement et la colonisation de la moitié de la planète pour faciliter l’accès aux matières premières, l’exploitation de la classe ouvrière domestique en tant que main d’œuvre bon marché, et le cercle d’inclusion qui consistait en la privatisation d’une terre sous un prétexte agricole, poussant tous les habitants, à l’exception des propriétaires, vers le dénuement, et, par extension, les usines et les mines, où beaucoup d’entre eux périrent.

Des données peu fiables

Même en se basant sur des données strictement économiques, l’analyse de Rowden reste faible. Son point de vue sur le plan de la production semble être essentiellement basé sur deux rapports : un de l’ONU, et un autre de la Banque Africaine du Développement (BAD). Toute analyse de la BAD doit être prise avec des pincettes, car il s’agit quand même d’une institution qui a déclaré qu’il y avait 300 millions d’africains appartenant à la classe moyenne, considérant que tous ceux qui gagnaient entre 2 et 20 dollars appartenaient à cette catégorie. 60% de ce groupe gagnait entre 2 et 4 dollars par jour, franchissant à peine le seuil de pauvreté… La critique, basée sur de telles données, passe à côté des avancées qu’a connues le secteur de la production, sur le terrain. Des zones de traitement industriel émergent dans beaucoup de marchés locaux, d’Ethiopie au Ghana, participant à l’approvisionnement de plusieurs industries, autant à l’est qu'à l’ouest du continent, dans des secteurs aussi divers que le textile, les chaussures, le bois et les meubles, le cuir, l’automobile, et d’autres biens de grande consommation. L’application du Africa Growth and Opportunity Act, une loi américaine, a permis la multiplication par trois des importations – hors pétrole – américaines provenant de l’Afrique sur des produits tels que les textiles et vêtements, les produits agricoles manufacturés et les chaussures.

Ce choix de Rowden pose d’autres problèmes, en ce sens qu’il nourrit une vue simpliste qui présente les produits manufacturés comme de simples marchandises ; en considérant que les matières premières et les ressources naturelles sont de « mauvais » types d’exportation, et affirmant qu’une grande dépendance dans les produits basés sur ce type de ressources est l’indication d’un « bas niveau de diversification économique et d’une absence de progrès technologique ». Il s’agit là d’une très vieille idée reçue, émise par les économistes Raul Prebisch et Hans Singer. Mais les choses ne sont aussi simples : certains penseurs ont déjà fait remarquer qu’en se basant sur une réflexion aussi étriquée, un pays comptant beaucoup d’ateliers de pressurage à une échelle industrielle serait considéré comme « développé », nonobstant la qualité de vie de ses citoyens.

L’idée que les pays développés doivent passer des exportations de produits à base de ressources naturelles à celles des produits manufacturés est trop simpliste, surtout quand on considère le fonctionnement réel des marchés. Le profil commerçant de beaucoup des actuels pays riches et industrialisés du monde – le Canada, les USA, la Norvège, l’Australie et la Nouvelle-Zélande inclus – compte une grande part d’exportation de ressources et marchandises naturelles. Les marchés des puissances émergentes sont souvent dominés par des exportations de produits naturels aussi. L’agriculture, les combustibles et les produits miniers comptent pour 63% des exportations du Brésil, comparé aux 32,8% d’exportations de produits manufacturés – tout en important 72% de produits industriels. Il s’agit là d’un pays dont le commerce repose essentiellement sur ses ressources naturelles, et il s’agit aussi d’un pays qui, de par ses multiples initiatives sur le plan de la protection sociale, a, de façon historique, réduit les inégalités de façon plus drastique que quiconque, et a aussi capitalisé la plus grande évolution en terme de bien-être de ses habitants sur les cinq dernières années, d’après une étude du Boston Consulting Group.

Le Chili, aujourd’hui membre de l’OCDE, a une économie essentiellement dominée par l’exploitation de ressources naturelles, surtout le cuivre. Les éléments manufacturés constituent seulement 13% des exportations du pays. Et l’un des Etats en voie de développement les plus brillants en Afrique – et l’un des rares, globalement, à avoir un modèle solide de gouvernance démocratique – est le Botswana, grand pays exportateur de diamants. Rick Rowden semble considérer les exportations de produits naturels comme un indicateur de sous-développement, en notant qu’ils ont baissé « jusqu’à un niveau aussi bas que 13% en 2008 » en Asie et dans le Pacifique, constituant de toute évidence une avancée majeure : c’est tout simplement faux. Ces marchés ont des taux très bas d’exportations de ce type parce qu’ils n’ont pas plus de ressources naturelles que ce qu’ils consomment, ce qui en fait de faibles exportateurs. Il n’y a qu’à voir les efforts fébriles des compagnies de pétrole asiatiques en Afrique pour comprendre que leurs pays d’origine seraient très satisfaits si, grâce aux bienfaits de la géologie, ils avaient plus de ressources de ce genre dans leur sol.

petrole_afrique-300x210Ce qu’il faut noter, c’est que les pays ne « laissent pas tomber » leurs exportations de produits naturels dès lors qu’ils deviennent industrialisés, ou qu’ils sont en voie de le devenir, comme des enfants enlèveraient les petites roues de leurs vélos. En vue d’un développement réussi, ce qui importe, ce n’est pas qu’un pays choisisse de vendre des produits manufacturés ou le contraire : le succès repose sur des paramètres plus complexes, sur les institutions locales et les résultats obtenus.

Un optimisme mesuré

Certains observateurs trop optimistes concernant l’Afrique se sont peut-être laissés aller à une exubérance clairement irrationnelle, en ne considérant que les revenus à foison, les télévisions à écran plat, et la classe moyenne composée de 300 millions de personnes. Mais on ne peut pas simplement considérer la croissance en Afrique comme un mythe, surtout si on prend en compte les bases sur lesquelles Rowden s’appuie. Si les économistes sont prompts à présenter les Etats asiatiques comme les symboles et les modèles d’une industrialisation fulgurante, ils ne devraient pas passer sous silence les réalités socio-politiques de ces pays– les structures autoritaires inhérentes à une évolution capitaliste rapide. De plus, il est nécessaire d’effectuer plus de recherches sur le terrain afin d’établir avec exactitude la valeur qu’acquiert le marché africain ; à ce niveau, citer deux rapports ne suffit pas.

Les économies des pays africains ont, bien sûr, besoin de développer les secteurs requérant plus de main d’œuvre, couvrant la production industrielle d’assemblage, les services, et une gamme variée de produits manufacturés. En réalité, ce processus est déjà en cours, mais se manifeste d’une façon différente : l’évolution « rapide » n’est pas une considération neutre en terme de délais, et en la préconisant, il faut être prêt à accepter les plans politiques qui en sont à l’origine. Les défenseurs d’un « état de croissance » peuvent arguer que la douleur est le prix à payer pour la réussite économique, et que les générations futures en seraient les premiers bénéficiaires. Mais nous devons garder à l’esprit aussi bien les processus que les objectifs, sans omettre les réalités qui ont sous-tendu ces processus. En fin de compte, avant d’encourager certains modèles, nous devrions avoir cette maxime de Confucius en mémoire : « N’impose jamais aux autres ce que tu n’accepterais pas pour toi-même ».

 

Adam Robert Green, article initialement paru chez notre partenaire Think Africa Press, traduit de l'anglais par Souleymane LY  

Repenser l’Afrique

Alors que l’élection présidentielle française suscite beaucoup d’engouement à travers le monde, il serait intéressant de se questionner sur l’incidence d’un nouveau président français sur la gouvernance en Afrique et plus particulièrement en Afrique francophone. Sachant les relations peu reluisantes qui ont existé entre les pays d’Afrique francophone et la France sous les régimes précédents, cette analyse s’avérerait utile pour anticiper les perspectives de développement de l’Afrique à l’issue des grands changements politiques qui s’annoncent en Europe. Toutefois, au lieu d’attendre un quelconque changement en France pour espérer un progrès en Afrique, il semble plus raisonnable de saisir cette occasion pour relancer le débat sur les perspectives de développement de l’Afrique, notamment sur la vision et l’approche à adopter.

Concernant les perspectives de développement de l’Afrique, deux visions s’opposent mais se complètent. La première, à laquelle est attribuée l’appellation d’afro-pessimisme, se base sur les maux de l’Afrique pour anticiper une issue catastrophique ; alors que la seconde souvent dénommée l’afro-optimisme, s’appuie davantage sur les progrès économiques de l’Afrique[1] pour prévoir une issue favorable au continent. D’un point de vue économique, les arguments avancés par les « afro-pessimistes » correspondent bien aux réalités que traversent les pays Africains. Qu’il s’agisse de la croissance démographique combinée avec le manque d’infrastructures, ou de la faiblesse du poids de l’industrie dans la production en Afrique, tous ces faits sont bien corroborés par les chiffres actuellement disponibles. Cependant, cette vision, ou plutôt ce discours, ne donne aucune incitation à entreprendre des actions pour le développement.

Quant aux « afro-optimistes », leur discours consiste essentiellement à mettre en avant l’importance du dividende démographique[2] qui résultera de la forte croissance démographique, l’existence d’une classe moyenne qui en réalité n’est pas significative et la transition démocratique en cours sur le continent. Toutefois, au regard des récents développements politiques particulièrement en Afrique de l’Ouest et au Soudan et du fait de leurs conséquences économiques, l’argument de la transition démocratique se retrouve affaibli et n’est valable que dans des pays particuliers (Sénégal). Quant à l’importance du dividende économique dans le renforcement de l’offre de travail, il omet la complémentarité entre la quantité et la qualité de la main d’œuvre, notamment dans les secteurs secondaires et tertiaires. En effet, les taux de scolarisation ont principalement augmenté dans le primaire avec des défaillances sur la qualité de l’éducation compte tenu des effectifs pléthoriques dans les salles de classe. Dès lors, il n’est pas garanti que les jeunes issus d’un tel système éducatif soient à même d’être employés dans des industries qui préfèrent délocaliser en Chine. Il en résulte donc que la vision « afro-optimiste » semble être trop optimiste et ne pas prendre assez en compte la mesure des défis qui demeurent énormes et durables.

Même si l’on accepte volontiers cette présentation de l’Afrique, ne serait-ce que pour lui donner une image positive, il serait très préjudiciable d’oublier les problèmes et surtout d’ignorer les résultats – en termes de pauvreté – qui accompagnent ces performances. Comme le montre le graphique ci-dessous, la part de la population vivant en dessous de 2 dollars[3] par jour dans les pays en développement d’Afrique Sub-saharienne n’a pas significativement changé au cours des trois dernières décennies ; contrairement aux autres régions du Monde et notamment à la Chine.

Source : Données de la Banque Mondiale (En dehors de la Chine, les données présentées concernent les pays en développement dans les régions mentionnées)

Cela montre qu’en dépit des progrès réalisés, une masse importante de la population, environ 70%, demeure démunie des ressources financières nécessaires à une vie décente. Cette situation appelle à la formulation d’une nouvelle vision du développement qui permettrait d’apporter les solutions appropriées aux défis actuels de l’Afrique. Puisque chacune des deux visions évoquées ci-dessus semblent se positionner sur un aspect de la réalité et en occultent d'autres, il serait envisageable de les fusionner pour en faire une seule vision intégrale qui s’appuie sur les progrès réalisés pour se projeter dans l’avenir en tenant compte des défis actuels.

Cependant, la matérialisation de cette nouvelle vision de l’Afrique dans le développement économique et social devra s’appuyer sur une approche plus cohérente et rigoureuse. En effet, il est très rare de trouver un ouvrage publié qui fait le diagnostic de l’Etat de l’Afrique et qui identifie la véritable cause de ses problèmes. En général, les causes identifiées varient selon les auteurs. A l’instar de l’identification de ces multiples causes, d’aucuns diront qu’il s’agit de la mauvaise gouvernance ou de la corruption. Or, la démarche logique voudrait qu’avant la proposition d’une approche pour résoudre un problème, il faut d’abord l’identifier. Il se peut d’ailleurs que la cause soit le fait qu’aucune cause n’ait été trouvée. Pour éviter de se référer au discours de M. Sarkozy à Dakar ou  d’attendre qu’un « nouveau Président » vienne nous donner la réponse, il est temps que nous nous y mettions.

Georges Vivien Houngbonon


[1] Pour une description des deux visions, se référer à Emmanuel Leroueil. 2011. «  Déconstruire les discours de l’afro-pessimisme et de l’afro-optimisme ». Terangaweb.

[2] Une importance relative de la part des jeunes actifs dans la population.

[3] Dollars des Etats-Unis en parité du pouvoir d’achat

Les Africains, champions du monde de l’optimisme !

Le dernier baromètre mondial de l’optimisme a consacré les pays africains comme champions mondiaux. Avec trois pays au sein des 10 premières places (Nigéria 1er, Ghana 3e, Cameroun 7e), l'Afrique ressort comme le continent le plus optimiste, et de loin. Ceci peut sembler paradoxal au regard de divers autres classements du bien-être et du PIB dans lesquels les pays africains trustent les dernières places. Pourquoi les africains sont-ils optimistes ? Cet optimisme a-t-il un réel impact sur la réussite économique ?

Alors même que des émeutes inter religieuses secouent ses provinces septentrionales, le Nigéria vient remporter la palme symbolique de pays le plus optimiste du monde, d’après le résultat du sondage BVA/Gallup réalisé fin décembre dernier. Plus globalement, le sondage « récompense » les pays africains, le Nigéria occupant la première place, le Ghana et le Cameroun occupant respectivement les 3e et 7e places respectivement. L’Afrique ressort comme le continent le plus optimiste, loin devant l’Amérique du nord et l’Asie, l’Europe de l’ouest fermant la marche. Le renversement de l’espérance serait-il le signe d’un renversement inéluctable de l’échelle des puissances mondiales ?

Jusqu’à présent, et depuis le début de l’ère contemporaine, le monde occidental (États-Unis et Europe Occidentale) faisait preuve d’un optimisme et d’une foi inégalée en son futur. Les intellectuels occidentaux ont toujours eu foi dans le futur, croyant aux bienfaits des progrès de la science et de la technologie pour propager leur vision du monde ainsi que leurs idéaux aux autres peuples du monde entier.

Aujourd’hui, la machine semble grippée…la faute à une crise économique qui a rebattu les cartes dans la géopolitique mondiale. Les peuples européens dont les rêves s’agençaient autour de la construction d’une Europe forte et d’États protecteurs voient ceux-ci s’effriter devant les dissensions internes au sein de l’Euroland et la situation alarmante des Etats obligés de sacrifier les peuples à l’autel de l’irrationalité des marchés. Aux États-Unis, les espoirs soulevés par le candidat Obama, ont été balayés par l’incapacité des camps démocrate et républicain à dessiner un scénario crédible de sortie de crise. Au pays du rêve américain, moins d’un américain sur deux pense que la vie de ses enfants sera meilleure que la sienne !

Pendant ce temps, dans les pays émergents que sont la Chine, le Brésil et dans une moindre mesure certains africains, l’heure est à l’espoir. La croissance économique de ces dernières années ainsi que l’émergence de classes moyennes dynamiques et d’entreprises conquérantes propagent ces ondes positives.

Économiquement, la foi en un avenir meilleur permet à l’investisseur de risquer son épargne en pariant sur la future santé des entreprises ; c’est elle qui pousse le consommateur à commencer car il sait que le futur ne lui réserve aucune péripétie nécessitant une protection sous la forme d’épargne. Mais c’est aussi cette foi dans le futur qui crée et entretient des bulles dont l’éclatement peut être douloureux pour ces jeunes nations.

Attention donc aux gouvernements car le niveau d’espoir est intimement proportionnel à la violence de ces espoirs déchus. Que les Africains gardent le moral alors même qu’on leur prête les pires conditions de vie au monde relève du miracle. Il faut capitaliser sur cette pensée positive pour entreprendre les réformes qui permettront de réaliser ces rêves.

Ted Boulou

Source Photo: http://sustoptions.blogspot.com

L’afro-optimisme selon Lionel Zinsou

Si l’afro-optimisme était une école de pensée, Lionel Zinsou en serait sans doute le chef de file. Ce banquier d’affaires franco-béninois, qui dirige le plus grand fond d’investissement français, PAI Partner, et par ailleurs conseiller du Président béninois Yayi Boni, estime que « l’Afrique sera bientôt au centre du monde ». Dans le cadre de la série d’entretiens que Terangaweb a réalisée avec lui, après « Lionel Zinsou, le parcours atypique d’un franco-béninois » et en attendant « L’Afrique et ses 4 anomalies », Lionel Zinsou justifie son afro-optimisme.

Terangaweb : Monsieur Zinsou, vous êtes considéré comme l’un des plus fervents tenants de l’afro-optimisme. Sur quelles bases se fonde votre position ?

Lionel Zinsou : Il me faut tout d’abord expliquer le contexte dans lequel j’ai été amené à défendre l’afro-optimisme. J’ai pendant longtemps eu des réserves de parole du fait de mes fonctions professionnelles. J’ai été un cadre de Danone puis un banquier qui ne parlait pas de ses affaires. La seule liberté de parole que j’avais portait sur des sujets autres que ceux sur lesquels je travaillais et qui me tenaient à coeur. C’est ainsi qu’en tant que citoyen, je préside le cercle Fraternité, cercle d’amitié autour de Laurent Fabius. Je siège aussi au Conseil de surveillance du quotidien Libération. On m’a questionné sur le manque de cohérence de cet engagement avec le « libéralisme » de mon métier de capitaliste ! (Rires)
L’Afrique était un autre domaine citoyen sur lequel j’avais le droit d’exprimer mon avis. En 2003-2004, puis lors du sommet de Gleaneagles en 2005, il y a eu des changements au niveau international concernant le continent. Georges Bush et Tony Blair se sont notamment ralliés à l’idée de désendetter les Pays les moins avancés (PMA) situés principalement en Afrique. Le magazine Le Point a alors publié un entretien avec moi sur la croissance et même la renaissance de l’Afrique du fait de cette actualité, ce qui a donné le ton de ma position ensuite. A partir de ce moment, mon point de vue a commencé à être audible.

Terangaweb
: Et quel est exactement le point de vue que vous défendez sur la situation de l’Afrique ?

Lionel Zinsou : On me disait : « on sait que l’Afrique va mal, qu'elle est en guerre, que le chômage progresse, que les pandémies progressent, pourquoi nous raconter que tout cela est faux ? ». Moi je disais : « les pandémies régressent dans des proportions qu’on a rarement vues ; la conflictualité est en baisse continue suivant les indices calculés par l'OCDE ; les taux de croissance positifs augmentent depuis les années 2000, il y a consensus sur le fait que ces taux de croissance sont sans doute sous-estimés et ils ne sont surpassés que par l'Asie.»
J’ai donc rappelé une série de banalités. L’Afrique est désendettée : on est passé d’un endettement de 120% du PIB à 20% au cours de la décennie 2000, notamment sur la période 2004-2010. Cette situation s’explique par l’annulation d’une partie de la dette des pays les plus pauvres, et par le remboursement en ce qui concerne certains Etats comme l’Algérie et le Nigéria. L’Afrique enregistre parallèlement le taux d’épargne le plus élevé après l’Asie. Il existe donc de meilleurs indicateurs financiers.

Il en va ainsi de nos réserves de change : on accumule ces réserves parce qu’on a une balance de marchandises excédentaire. L’Afrique est par exemple le seul continent à avoir une balance commerciale excédentaire avec la Chine. La balance de capitaux est aussi très excédentaire parce que les remboursements de crédits sont réduits, parce qu’il y a une croissance des investissements directs étrangers et que le rapatriement de l’épargne des migrants est égal ou supérieur à l’aide publique au développement. On a environ 500 milliards de dollars dans les coffres de nos banques centrales.

Terangaweb : Mais cette situation que vous décrivez concerne-t-elle l’ensemble du continent ?

Lionel Zinsou : On m'oppose souvent qu’il y a une hétérogénéité de l’Afrique. Par exemple : les pays pétroliers et les autres. La croissance du Bénin sur dix ans est cependant supérieure à celle du Nigéria. Les fluctuations des matières premières donnent des écarts à court terme, mais à moyen terme la tendance de croissance est à peu près identique sur l’ensemble du continent. Si on met de côté les pays qui sont en période d’après guerre et qui enregistrent des résultats de croissance élevés à court terme (cas de la Sierre Leone, du Mozambique, de l’Angola, du Libéria et bientôt de la Côte d’Ivoire), il y a une vraie convergence des taux de croissance à moyen terme en Afrique. Cette croissance homogène s’échelonne autour de 5% ; la variance et les écarts types restent faibles ; ce sont les situations de départ qui singularisent quelques pays plus avancés dans leur développement humain.

Terangaweb : Cette croissance homogène à l’échelle du continent n’a-t-elle pas été remise en cause par la dernière crise économique ?

Lionel Zinsou : Une partie de l’Afrique a vécu une crise forte en 2009 – 2010 ; c’est notamment le cas des pays pétroliers, de l’Afrique du Sud et de l’Egypte qui sont plus intégrés dans le commerce international. En réalité, plus on était une économie moderne, plus il existait un risque de croissance négative. Mais globalement l’Afrique n’est pas entrée en récession et le continent a été un de ceux qui ont le mieux résisté à la crise. On peut parler de ces choses là ou ne pas les dire. J’ai choisi de les dire. Bien sûr, il y a du chômage, des émeutes de la faim, et on peut donc en limiter la portée. On peut dire que la croissance n’est pas le développement. Mais cela ne sert à rien de dire qu’il n’y a pas de croissance en Afrique. Il n’y en a pas eu pendant au moins 25 ans, donc maintenant qu’il y en a il faut plutôt s’en réjouir.
Et même si l’on prend des grandeurs de consommation, de production industrielle et agricole, de télécommunications, de rendement de l’impôt, de bancarisation etc …, on peut toujours recouper au niveau micro-économique qu’il se passe quelque chose en Afrique en ce moment. La plupart des indicateurs économiques sont au vert, ce sont des chiffres de croissance globale qui renvoient à des transformations considérables et d’une rapidité presque inconnue dans l’histoire. Je suis maintenant prêt à en discuter la pertinence en termes de qualité du développement mais c'est un autre sujet.

Terangaweb : Ce discours, pas souvent ni suffisamment exprimé en général, fait de vous un vrai afro-optimiste…

Lionel Zinsou : De manière générale, je ne partage pas le fatalisme ni le pessimisme d’analystes comme Stephen Smith (auteur de Négrophobie). L’Afrique possédera le quart de la population d’âge actif du monde dans 30 ans . Historiquement, l’atelier du monde est là où réside le plus grand nombre de gens d’âge actif. Dans 30 ans, cet endroit sera l’Afrique et non plus la Chine. Inexorablement, l’Afrique sera importante ne serait-ce qu’en termes démographiques. Et il faut se rendre compte à quel point, historiquement, l’Afrique est un continent vide : 250 millions d’habitants en 1960 sur 30 millions de km², environ 30 millions 100 ans auparavant, aujourd’hui 850 millions et dans 30 ans environ 1,5 milliard d’habitants. Le continent était vide. Aujourd’hui, c’est le début d’une espèce de plénitude de l’Afrique. C’est une dimension incontournable.
Je souhaite aussi répondre à une question qui revient sans arrêt : la dégradation du service public en Afrique. On oublie qu’auparavant, à la veille de l'Indépendance, ces services publics n’existaient pas ou très peu. Prenez le service public d'éducation. Le fait le plus frappant est la rapidité récente des progrès de l’alphabétisation. Il s’agit de l’un des rares Objectifs du Millénaire qui vont être atteint. On est passé de 20% à 70% d’une classe d’âge scolarisée au Bénin, avec une population passée de 2 millions à 10 millions d’habitants. Donc on ne peut pas se contenter de dénigrer les services publics en Afrique. Tous les débats sont ouverts sur le développement, mais les faits de base vont dans le bon sens.

Propos recueillis par Emmanuel Leroueil, Nicolas Simel Ndiaye et Tite Yokossi
 

Déconstruire les discours de l’afro-pessimisme et de l’afro-optimisme (2)

La principale critique que l’on puisse adresser à l’afro-pessimisme est son fatalisme. L’Afrique serait incapable de valoriser ses ressources humaines à venir. Les taux de croissance élevés des pays émergents s’expliquent avant tout par la réallocation du facteur travail – la main d’œuvre – de l’économie du secteur primaire ou de l’économie informelle d’autosubsistance vers le secteur secondaire et tertiaire, à forte valeur ajoutée. Selon les afro-pessimistes, l’Afrique serait incapable d’une telle réallocation de sa main-d’œuvre.  Alors que l’histoire récente nous offre des exemples d’une telle réussite ailleurs dans le monde, quel est l’argument qui expliquerait que l’Afrique ne puisse y arriver ? Un biais culturel ? Des institutions irrémédiablement faibles et des politiques intrinsèquement corrompus ?

L'afro-pessimisme, un discours du courant des catastrophistes et angoissés du nouveau millénaire

Il est important à cet égard d’analyser les ressorts psychologiques et idéologiques qui animent l’afro-pessimisme et l’afro-optimisme. L’afro-pessimisme s’inscrit bien sûr dans la tendance longue d’une certaine forme de paternalisme occidental, l’équation démographie galopante et non résilience du tissu économique ne servant qu’à envelopper poliment un regard culturaliste dépréciateur sur les Africains qui ne seraient « pas encore entrés dans l’Histoire »[1]  pour certains, qui seraient tout simplement une race inférieure pour d’autre. Mais l’afro-pessimisme, tel qu’il s’énonce notamment en Europe à partir des années 1990, présente aussi une grande nouveauté par rapport à cette tradition, et n’en est parfois pas même issu. Ce discours s’inscrit aussi aujourd'hui dans le courant des catastrophistes et angoissés du nouveau millénaire. La dérive sécuritaire et les politiques anti-immigrés des démocraties du monde développé en sont quelques-uns des symptômes. Le monde court à sa perte : développement des virus transfrontaliers, réchauffement climatique et catastrophes naturelles, choc des cultures et des civilisations, prolifération du terrorisme, menaces contre l’identité et les valeurs de l’Occident. Dans cette vision, l’Afrique serait le chaudron de toutes ces catastrophes : une masse d’affamés du Sud qui cherchent à tout prix un avenir meilleur au Nord qu’ils mettent en danger ; des gens culturellement différents qui attisent les peurs et la violence, bref, une menace directe ou indirecte au modèle Occidental. L’afro-pessimisme découle en partie du sentiment d’assiégé et de déclin qui se propage chez certains groupes d’opinion en Europe et en Amérique du Nord.  Il appelle à un interventionnisme occidental : il faut aider les Africains qui courent à leur perte, incapables qu’ils sont de se prendre en main tout seul, et qui risquent en plus de nous entraîner avec eux dans leur abysse de problèmes. Cet interventionnisme afro-pessimiste peut se parer des mêmes atours de bons sentiments et de réelle bonne volonté qui caractérisait en son temps la mission civilisatrice des puissances coloniales. Il débouche parfois même sur des initiatives louables, sous la forme d’appels à l’aide au développement ou à l’aide humanitaire d’urgence. 

Les Africains désillusionnés rejoignent les rangs des afro-pessimistes

Il serait toutefois extrêmement réducteur d’affirmer que l’afro-pessimisme soit l’apanage des non-Africains, des Occidentaux. En effet, nombre d’Africains sont des afro-pessimistes. Cinquante années de désillusions ont nourri ce sentiment chez beaucoup d’enfants du continent noir. Le bouc-émissaire habituel est trouvé en la personne des élites africaines : corrompues, non patriotiques, asservies à l’Occident, elles seraient les principales fossoyeurs de l’Afrique postcoloniale. Le problème est que ce constat ne s’applique pas seulement au personnel politique au pouvoir, mais affecte également l’opposition, les milieux d’affaires, les intellectuels, et par extension toute personne qui sort du lot et qui pour cette raison est suspecte. Tous corrompus, tous pourris ! Et ceux qui ne le sont pas, c’est juste parce qu’ils n’en auraient pas eu l’occasion… Les afro-pessimistes du continent ne croient pas en eux et aux Africains. Beaucoup se sont également réappropriés des clichés culturels comme celui sur l’indolence supposée des Africains par rapport aux Chinois. Mais la principale source de l’afro-pessimisme reste l’incompréhension de la situation actuelle, des facteurs explicatifs du « sous-développement » africain et des moyens à mettre en œuvre pour restaurer une fierté et une puissance sur la scène internationale que chacun caresse secrètement. Les mécanismes de la Modernité du système socio-économique dans lequel nous vivons échappent à la plupart des habitants du continent qui, faute d’explications et de discours prospectifs clairs, peuvent éventuellement s’enfermer dans le pessimisme et la prostration. 

L'afro-optimisme, discours des marchés

Le discours de l’afro-optimisme, notamment dans sa variante actuelle sur l’ « émergence » de l’Afrique, est quant à lui un discours des marchés financiers et des classes entrepreneuriales, un discours d’auto-persuasion, destiné à susciter la confiance, et notamment celle des investisseurs. Le problème de ce discours est qu’il est aveugle à beaucoup trop d’éléments qui constituent la réalité africaine. Ainsi de la déconnexion croissante entre d’une part une infime partie de la société, connectée au système financier et économique mondialisé, qui bénéficie des facilités d’accès aux financements, de déplacement des biens et des personnes ; et d’autre part l’écrasante majorité de la population qui reste dans une économie d’autosubsistance précapitaliste, ou même de la catégorie basse de la classe moyenne, celle des fonctionnaires d’Etat et des petits employés, qui vivent avec de faibles salaires souvent irréguliers, et dont le quotidien est fait de débrouilles et autres combines pour assurer le mode de vie de leur statut social semi-privilégié.

Aveuglement aussi sur les lacunes d’un agrégat comme la croissance moyenne des pays africains, qui cache d’énormes disparités entre les taux de croissance des pays exportateurs de pétrole et de gaz (Angola, 20% de croissance du PIB en 2007) et des pays en crise comm le Zimbabwe (contraction de -6,9% du PIB en 2007). Aveuglement sur l’impact social extrêmement faible de ces taux de croissance élevés quand ils existent : la situation sociale en Angola, en Guinée-Equatoriale ou en Tunisie est à ce titre très parlante. De plus, la plupart des économies qualifiées d’émergentes en Afrique[2] ne sont pas des économies diversifiées et sont donc à la merci de tout retournement du marché sur lequel s’appuient leurs exportations.

L'aveuglement de l'afro-optimisme face à la dégradation sociale

Le problème de l’afro-optimisme est qu’il s’extasie devant des moyens (l’accès aux capitaux en Afrique, le renforcement relatif des institutions politiques et économiques) qui ne servent pourtant pas encore à répondre aux fins légitimes attendues par les populations africaines : assurer du travail au plus grand nombre, assurer les conditions minimales du bien-être de tous. L’Afrique est encore bien loin d’approcher ces objectifs, et n’en prend pas forcément la direction. Les inégalités se creusent de manière alarmante au sein des populations africaines, le gap générationnel s’exacerbe entre la jeunesse du continent, qui constitue la majorité de sa population, se définit par ses références syncrétiques, ses aspirations au consumérisme et au confort, et est confrontée à une réalité sociale faite de chômage de masse et de sphère publique et politique fermée, avec des autorités sociales, économiques et politiques composées essentiellement par les générations précédentes, qui remontent parfois aux tous premiers temps de l’époque postcolonial, comme c’est le cas dans l’Algérie de Bouteflika ou du Zimbabwe de Mugabe. L’Afrique est traversée par des tensions endogènes aux prolongements et aux effets aujourd’hui inconnus. L’afro-optimisme couvre d’un voile impudique ces enjeux.

Enfin, à la racine même de ce discours, ce qui gêne est son présupposé idéologique sur les effets quasiment linéaires et positifs du développement économique dans la mondialisation libérale, pour peu qu’on en accepte les règles du jeu. Certes, diront certains, malgré de forts taux de croissance, il y a toujours trop de pauvres en Afrique. Mais, tout d’abord, leur part relative par rapport au reste de la population a baissé et, ensuite, nous n’en sommes qu’aux premières heures de l’effet de rattrapage. Car la richesse produite actuellement finira par profiter au plus grand nombre ; cela prendra peut-être cent ans comme en Europe occidentale, mais cela adviendra tôt ou tard. Après l’émergence viendra la convergence.
Ce discours libéral, en plus d’être simpliste à l’extrême, dangereux socialement, est aussi contre-productif économiquement en proposant l’extraversion de l’économie africaine, réduite au statut d’eldorado du retour sur investissement pour capitaux étrangers. Si l’Afrique souhaite réellement se réapproprier les règles du jeu du capitalisme en particulier et de la Modernité en général, il faudra que son développement soit endogène, s’appuie sur la mobilisation de ses propres ressources, résorbe ses propres tensions internes. Cette mobilisation n’a rien d’évident mais n’est pas impossible.

Emmanuel Leroueil

[1] : Discours de Dakar de Nicolas Sarkozy

[2] : le cabinet de conseil BCG a publié une étude qui répertorie comme économies africaines émergentes l’Afrique du Sud, l’Algérie, le Botswana,  l’Egypte, l’île Maurice, la Lybie, le Maroc et la Tunisie.

Déconstruire les discours de l’afro-pessimisme et de l’afro-optimisme (1)

En ce début de XXI° siècle, la situation du continent africain et de sa population suscite des débats passionnés et controversés. Schématiquement, les discours se structurent autour de deux pôles : les « afro-pessimistes » et les « afro-optimistes ». Les premiers posent une équation imparable : la démographie africaine est en plein boom, la population devrait doubler d’ici à 2050 pour atteindre entre 1,8 à 2 milliards d’habitants. Les économies africaines, très faiblement industrialisées, seront incapables d’accueillir cette nouvelle masse d’arrivants sur le marché du travail et les taux de chômage, déjà très fortement élevés, vont exploser.

L’Afrique du XX° siècle a déjà connu une urbanisation sans industrialisation. A la différence de l’Europe, l’exode rural ne s’est pas accompagné de la modernisation de l’agriculture et d’emplois industriels dans les villes à même d’intégrer au tissu économique les nouveaux arrivants. De plus, l’échappatoire de l’émigration vers de « nouvelles frontières » s’est bloqué pour les Africains de la seconde moitié du XX° siècle ; les visas coûtent chers et s’obtiennent difficilement,  l’émigration clandestine se fait souvent au péril de sa vie. L’exode rural débouche donc en Afrique vers les bidonvilles autour des mégapoles et grandes villes, une population qui continue à vivre dans une économie d’autosubsistance par de petites activités de commerce ou de service dans le marché au noir, dans des conditions d’habitat souvent indignes et problématiques au niveau sanitaire, alimentaire, éducatif et tout simplement logistique (manque d’électricité). En 2010, sur les 400 millions de citadins  estimés en Afrique, 60% vivraient dans des logements insalubres.

A cette urbanisation chaotique de l’Afrique s’ajoute une agriculture qui s’est très peu modernisée. A côté d’exploitations tournées vers l’exportation qui se caractérisent par une faible productivité et une spécialisation sur des produits agricoles souvent peu rémunérés et soumis à une concurrence inégale des produits du Nord, une très importante portion de la population continue à vivre d’une agriculture d’autosubsistance. Les afro-pessimistes soulignent également les conséquences du réchauffement climatique en Afrique, qui va considérablement handicaper les plans d’autosuffisance alimentaire. Le manque d’eau se fera beaucoup plus pressant dans la région sahélienne et certains prédisent déjà d’importantes migrations de population dans cette zone où les paysans risquent de ne plus pouvoir vivre de leur terre.

La vision d’avenir des « afro-pessimistes » est donc que ces problèmes se poseront bientôt à la puissance 2. Des mégapoles ingérables où prolifèreront les problèmes de santé publique comme le choléra ou les problèmes de pollution, une masse de jeunes désœuvrés radicalisés qui sera un terreau favorable pour toutes les formes d’extrémisme, une agriculture incapable de répondre aux besoins d’alimentation de sa population, ce qui débouchera sur des famines renouvelées, une balance commerciale déficitaire pour la plupart des économies nationales, des besoins en financement sans fin. Le cercle vicieux de la dette, de l’appauvrissement et du sous-développement ne serait donc pas prêt de se terminer pour le continent africain. A ce tableau noir s’ajoute l’absence criante de leadership en Afrique, la corruption endémique, bref, un environnement institutionnel faible et parasite qui ne serait pas prêt de changer dans les années à venir.

La vision d’avenir des « afro-optimistes » est différente à bien des égards. Ces derniers s’appuient principalement sur le retour de la croissance en Afrique, autour de 3% en moyenne durant la décennie 2000-2010[1], sur la constitution d’une classe moyenne à pouvoir d’achat élevé et au consumérisme affirmé, pour diagnostiquer les signaux « d’émergence » de nombre d’économies africaines. Plusieurs pays, les « lions de l’Afrique », seraient appelés à suivre les glorieuses traces de la Chine, de l’Inde ou du Brésil. L’Afrique serait le futur relais de croissance de l’économie mondiale, un marché potentiel énorme pour les produits des grandes multinationales comme en témoigne le succès inattendu du secteur des télécoms. Alors que les pays développés vont bientôt faire face à une équation démographique très compliquée où la part des inactifs par rapport aux actifs va fortement augmenter, équation qui se posera d’ailleurs également pour des pays émergents comme la Chine, la vitalité démographique africaine serait son meilleur atout pour l’avenir. Les taux de scolarisation y ont fortement augmenté, une classe moyenne supérieure se forme aux meilleures écoles occidentales, le marché du travail africain devrait donc être le principal vivier en ressources humaines des années à venir. D’aucuns prédisent qu’après l’Asie, c’est à l’Afrique que profiteront les délocalisations d’industrie dans notre économie mondialisée, de même que la délocalisation de services. Enfin, ajoutent-ils, l’Afrique part de tellement bas qu’elle ne peut que rattraper ses concurrents dans l’économie-monde. Bien que rassemblant 12% de la population mondiale, le continent africain ne représente actuellement que 1% du PIB mondial et 2% du commerce international. Dans la conception téléologique de la mondialisation libérale, l’Afrique ne peut que rattraper son retard.

Ce discours a connu un certain engouement durant les années 2000. Trois facteurs, à mi-chemin entre le conjoncturel et le structurel, ont apporté de l’eau à ce moulin. Tout d’abord, la croissance phénoménale des investissements étrangers privés en Afrique. Ensuite, la hausse des prix des matières premières, qu’il s’agisse des ressources minières, pétrolières ou gazières du sous-sol africain ou des produits agricoles qui constituent l’essentiel des exportations de nombre de ces pays. Même si les prix de certaines de ces matières premières s’est infléchi ces dernières années, l’analyse structurelle qui part de l’hypothèse de l’augmentation constante de la demande mondiale tirée par les grands pays émergents, et notamment la Chine, induisant une hausse à moyen terme du prix de ces matières premières, reste globalement recevable. Enfin, le dernier argument des années 2000 ayant suscité la vague d’afro-optimisme est celui des progrès de la démocratie en Afrique, de la maturation du processus de « state-building » par rapport aux décennies précédentes. De nombreuses alternances politiques (Sénégal, Ghana, Libéria, Bénin) ont illustré ce mouvement. Les coups d’Etat militaire ne sont plus la voie royale pour renverser un gouvernement. La communauté internationale, et notamment l’Union africaine, a fait peser des contraintes qui ont poussé les militaires putschistes a rendre le pouvoir aux civils aux termes d’élections plus ou moins neutres. L’exemple isolé d’Amadou Toumani Touré au Mali en 1991 s’est répété en Guinée Conakry en 2010 et au Niger en 2011. Les nombreux démêlés électoraux de la fin de la décennie 2000, ceux du Kenya en 2008 ou de la Côte d’Ivoire en 2010, ne seraient que les symptômes de la maturation du champ politique africain, les pratiques de bourrage d’urnes, d’élections trafiquées, ne passant plus comme lettre à la poste.

Bien que chacun de ces deux types de discours comporte une part de vérités, aucun d’eux n’est vraiment satisfaisant. (à suivre)

 

Emmanuel Leroueil

 


[1] : Bien que faible en tant que tel pour une économie en voie de développement, cette moyenne de 3% de croissance est supérieure à la moyenne mondiale sur la décennie 2000-2010, ce qui constitue une nouveauté pour l’Afrique dont la croissance était auparavant inférieure à la croissance mondiale.