Comment résoudre le problème des embouteillages à Nairobi ?

Les embouteillages à Nairobi constituent un problème majeur de la capitale kényane. Ils sont un des sujets favoris de début de soirée (parfait pour briser la glace et tomber tous d’accord) mais surtout un casse-tête quotidien. On se tient donc au courant des routes fermées puis réouvertes, des policiers nouvellement installés sur tel carrefour, tel croisement. On apprend, sans le vouloir, par cœur, l’anatomie des routes pour épargner son véhicule des bosses et des trous les plus meurtriers. Mais des solutions à moyen-long terme sont-elles envisagées ? La réponse est oui : et par le secteur public, et par le secteur privé. Cet article n’a pas pour vocation à être exhaustif mais abordera quelques initiatives importantes.

La question des infrastructures routières dans le programme national « Vision 2030 »

Le programme « Vision 2030 », lancé en 2008 par le Président kényan Mwai Kibaki, a été élaboré dans le but de déterminer les grandes lignes à suivre pour permettre au Kenya de passer du statut de pays à bas revenu (low income country) à pays à revenu moyen (middle income country). Le programme comprend différents projets clés indispensables au développement économique, social et politique du pays et inclus, en toute logique, un volet infrastructure. Concernant les infrastructures routières, nous pouvons retenir deux projets phares : 1) Road Network Expansion (expansion du réseau routier), 2) Commuter Rail Network (Réseau ferré entre la capitale et sa banlieue). Le premier consiste à développer de grands axes routiers sur tout le territoire (route Kenya-Ethiopie, Isiolo-Merille, Marsabit-Turbi-Moyale, etc.). Les travaux sur certains n’ont pas encore commencé, d’autres sont en cours, et certains déjà complétés. On peut notamment mentionner la « Thika Highways », autoroute qui vient d’être inaugurée le 9 novembre 2012 par le Président Mwai Kibaki.

Le second projet se focalise sur le développement des transports publics, un point qui parait indispensable à la résolution du problème des embouteillages. Un certain nombre de gares (dont Syokimau, Imara Daima, Makadara, Jomo Kenyatta International Airport, Nairobi Central Railway) devront être créées ou réhabilitées afin d’inciter les futurs passagers à opter pour les chemins de fer plutôt que les routes. Ce qui nécessitera d’offrir un service fiable, abordable et sécurisé qui apportera une vraie valeur ajoutée par rapport aux autres options: voitures privées, matatu (petits bus locaux mettant un point d’honneur à ne pas respecter les règles de circulation) et bus. Mentionnons sur ce volet l’inauguration le 13 novembre 2012 de la première gare mentionnée (Syokimau) qui permettra chaque jour à plusieurs milliers de citoyens kényans de se rendre à Nairobi sans connaître le cauchemar des embouteillages sur les grands axes comme Mombasa Road (route reliant Nairobi à Mombasa connue pour ses kilomètres de trafic aux heures de pointe).

La solution d'un acteur privé inattendu : IBM

Du côté des initiatives privées, IBM s’invite dans le débat. Un acteur inattendu qui a peut être son rôle à jouer pour démêler les noeuds de la circulation urbaine. En effet, en août dernier, IBM a annoncé l’ouverture d’un centre de recherches à Nairobi qui traitera, entre autres, des problèmes liés au trafic routier et proposera des solutions innovantes à ces derniers. Il ne s’agit pas d’un nouveau sujet de recherches pour IBM puisque l’entreprise traite ces questions depuis plusieurs années à travers son programme Smarter Cities – des villes plus intelligentes (faisant partie d’un volet plus important appelé Smarter Planet – une planète plus intelligente). La partie infrastructure du programme traite, entre autres, du domaine des transports.

Pour rester sur le sujet des embouteillages, IBM produit depuis 2008 un sondage nommé Global Commuter Pain Survey qui mesure le niveau d’énervement, de frustration et de stress auquel font face les usagers de la route. Ce sondage est mené dans une vingtaine de villes dans le monde et auprès de plus de 8000 personnes. L’année dernière, le sondage a classé Nairobi 4ème ville la plus pénible dans laquelle circuler (après Mexico, Shenzen et Beijing). Face à ces problématiques, IBM cherche à proposer des solutions pratiques et technologiques. Parmi ces dernières nous pouvons en mentionner deux: 1) le traffic prediction intelligent tolling systems ou Intelligent Transportation et 2) l’Integrated fare management for transportation.

Le premier a pour objectif d’analyser l’état du flux routier et de prédire les embouteillages en ville en combinant des données historiques et des données en temps réel collectées sur le terrain. Ce qui permet une meilleure gestion du flux routier, une meilleure réactivité lors d’accidents, de prévenir le trafic et de prendre des décisions avisées concernant les investissements nécessaires en infrastructures (et en rendre certains moins pressants via un contrôle optimisé des routes existantes). Ce système permet également d’offrir aux usagers de la route des informations quant à l’état de ces dernières afin qu’ils prennent les meilleurs décisions pour choisir leur itinéraire quotidien (quand partir au travail, via quelle route, quel changement d’itinéraire à effectuer, etc).

Le deuxième permet d’aider les entreprises de transports en commun à déterminer quel est le système de tarif le plus adapté aux clients visés et les meilleurs moyens de paiement (notamment la mise en place de cartes multi-transports beaucoup plus faciles à utiliser et moins coûteuses pour les usagers). Cet outil permet en conséquence de rendre les transports publics plus attractifs et de décongestionner indirectement les axes routiers.

Avec cette panoplie de solutions publiques et privées, espérons que, dans les années à venir, le trafic routier de Nairobi s’améliore sous peine de restreindre grandement son développement économique et de rendre fous ses habitants…

Léa Guillaumot

Le mall : temple de la bourgeoisie à Nairobi

Avant de parler de l’expérience shopping (center) de Nairobi, il faut d’abord parler de Nairobi. Nairobi, “en chiffres”, c’est :
1) ~3.4 millions d’habitants (niveau du dernier recensement effectué en 2009, elle serait la douzième ville africaine la plus peuplée),
2) Une surface représentant 0.1% du territoire kényan et regroupant près de 8% de la population totale du Kenya.
3) Une part dans la population urbaine totale du Kenya qui a progressé de 5% en 1948 à 32% en 2009, pour un taux de croissance urbaine de 4,2% par an depuis 5 ans.

Nairobi est donc une grande ville africaine en expansion et en construction constante. On ne compte plus le nombre de routes bouchées, déviées, détruites et reconstruites qui redessinent chaque jour les itinéraires routiers.

Au milieu de ce bourgeonnement de nouveaux buildings, celui des malls est concomitant à la croissance de la classe moyenne, qui fait tant parler d'elle et dont on réalise l’impact sur le paysage urbain de Nairobi. La capitale, étant également un énorme hub “expats” (la majorité des organisations internationales telles les Nations Unies y possède des bureaux locaux d’envergure), ces derniers sont aussi une cible toute trouvée. Ils y trouvent l’essentiel (et bien plus) des produits dont ils ont besoin (ou non : le superflu y a aussi sa place).

Concept et cartographie du mall

Arrêtons-nous un instant sur le concept de mall. Nous ne parlons pas ici de simples supermarchés mais de vrais écosystèmes où le consommateur peut vider son portefeuille dans une variété infinie de produits et d’activités: restaurants, casinos, cinémas, bijouteries, boutiques de lingerie, meubles de maison, etc. Nairobi en compte presque une vingtaine dont quelques uns qui se détachent du lot en termes de taille et/ou de réputation: Westgate Shopping Mall (un des plus récents et des plus clinquants, ouvert en 2007), Sarit Centre (à l’influence indienne), The Village Market (mall chic où la communauté UN se retrouve le week-end), le Yaya Center (repère des français de Nairobi, voisin de l’école française), the Junction, Prestige ou encore Galleria Mall. Presque tous abritent “le” supermarché de Nairobi: le Nakumatt, destination ultime de l’étranger en quête de son pot de Nutella où de son camembert made in France. Carrefour en somme.

Ces malls s’étalent assez équitablement sur toute la ville et principalement à proximité des quartiers résidentiels (Kilimani, Westland, Karen…), comme le font également les restaurants et les bars. Ils créent donc de véritables “pôles” d’activités, séparés les uns des autres et quasi indépendants où les gens se donnent rendez-vous le soir et le week-end. Le mall rythme clairement la vie de l’upper/middle class kényane et des expatriés de Nairobi.

De grands projets en perspectives: l’exemple de Garden City

Le succès de ces mini temples de la consommation ne passe pas inaperçu et attire assez logiquement les investisseurs. Actis, fonds ayant déjà investi près de 4 milliards de dollars dans les marchés émergents (Afrique, Amérique du Sud, Asie), n’en est pas à son premier coup d’essai dans le secteur. Après The Junction Mall au Kenya, The Palms au Nigeria et l’Accra Mall au Ghana, Actis se tourne vers un nouveau projet d’envergure: le Garden City (l’annonce de l’investissement, dont le montant exact a été gardé confidentiel, a été faite en Juillet dernier). Il s’agira d’un mix entre quartier résidentiel (500 nouvelles maisons prévues), espace commercial (50 000 m2 réservés à la construction d’un mall) et de détente avec 2 hectares destinés à la construction d’un parc de loisirs (incluant un espace pour les concerts). 

Garden City sera le premier mall “LEED” (Leadership in Energy and Environmental Design) d’Afrique de l’Est. L’idée étant donc d’en faire une construction respectueuse de l’environnement et peu consommatrice en eau et électricité (permettant également aux commerçants de faire des économies). Le mall attirera des marques locales et internationales (notamment sud africaine) avides de toucher le marché kényan. Ce projet est également boosté par l’inauguration, ce mois-ci, de l’autoroute de Thika, projet majeur de 360 millions de dollars, couvrant la distance de 42 km entre Nairobi et Thika (ville importante de ~200 000 habitants située au Nord Est de la capitale), qui desservira Garden City.

Pour conclure, le mall est un monde en soi mais un monde à part. Si leur multiplication est un signe de dynamisme économique indéniable, n’oublions pas que la majorité de la population ne s’y rend jamais ou très peu. 46% de la population kényane vit toujours en dessous du seuil de pauvreté.

Léa Guillaumot