Portrait de Quentin Rukingama, président du club Diallo Telli, think-tank sur l’Afrique (1)

QR - ProfileC’est autour d’un déjeuner italien que nous nous retrouvons avec Quentin Rukingama, Burundais, dans la ville de Nairobi, à parler de l’Afrique et de l’Europe et à deviser sur le monde. Voici le fruit de nos échanges lors d’une paisible après-midi Kenyane.

Cette interview est divisée en deux parties : 1) le parcours de Quentin Rukingama et 2) son point de vue sur l’Afrique .

I. QUI ES-TU ?

A. Du Burundi à Lille, Du Saint-Esprit à l’Université

Je suis né dans ce beau pays qu’est le Burundi à Bujumbura sa capitale. J’y ai vécu jusqu’à 18 ans avec quelques aller-retour en France (dont 2 années entières : une en Bretagne et une à Versailles en internat). De cette enfance au Burundi, je garde en tête et dans le cœur ma scolarité au lycée jésuite du Saint-Esprit. Les jésuites sont une congrégation tournée vers la formation. Ils forment l’Homme à tous points de vue : la scolarité y est riche et très compétitive mais on y développe également des valeurs humaines telles la fraternité. Cette approche était particulièrement intéressante dans un pays qui a connu la guerre, synonyme de déchirure sociale. Je me rappelle que nous célébrions la Journée de la Fraternisation, une fois par an, où élèves de tous niveaux et corps professoral partageaient et échangeaient via le sport, la culture (spectacles de danses traditionnelles entre autres) et un bon repas (cuisiné collectivement).

Au Saint-Esprit, j’ai également suivi des cours de religion. J’ai même découvert la religion musulmane via l’enseignement d’un père jésuite. Mon école était catholique mais nous invitait à la découverte d’autres religions et accueillait également des élèves issus d’autres confessions. Cette ouverture et cette harmonie étaient merveilleuses et constituaient un enseignement de taille sur la tolérance dont notre monde à vraiment besoin.

En 2004, je quitte le Burundi et je m’installe à Lille. Même si la température qui m’y attendait n’était pas des plus chaudes, les gens que j’y ai rencontrés étaient particulièrement chaleureux et ouverts. La ville est jeune et très étudiante. Rajouter à cela, je profite alors de la proximité d’autres grandes villes européennes que j’ai le plaisir de visiter : Paris, Bruxelles, Cologne, Amsterdam et Londres. Lors de mes années universitaires, en parallèle de cette découverte de l’Europe, j’ai effectué plusieurs voyages en Afrique pendant mes vacances : Sénégal, Ethiopie, Kenya, Zimbabwe et Rwanda. Ces visites m’ont permis de comprendre l’étendue de la diversité africaine, de sa richesse et ont stimulé en moi l’envie d’y retourner. Ces découvertes de deux parties du monde bien différentes au même moment de ma vie m’ont notamment appris à cultiver l’humilité devant l’immensité du monde et à ne pas juger autrui a priori. Le fait de voyager ouvre véritablement les horizons, la réflexion et la tolérance.

B. Les études supérieures : l’éco-gestion, puis la comptabilité pour finir par la finance

Cette période universitaire en France, m’a d’abord mené en Eco-Gestion à l’université de Lille I puis à l’Ecole Supérieure des Affaires (Lille II) où j’ai obtenu ma licence en comptabilité. J’ai continué avec une première année de master en Finance dans la même université pour finir par un master de recherche dans la même matière. J’effectuais alors un double cursus avec l’école de commerce SKEMA en Analyse Financière Internationale. Ce master de recherche a pris un sens tout particulier puisque j’ai commencé à m’y plonger au moment même de l’effondrement de la banque d’investissement Lehman Brothers. Le retour vers les fondamentaux économiques et financiers, la remise en contexte de ces derniers en pleine crise, la réflexion sur les changements nécessaires pour en sortir ont été autant d’étapes qui se sont révélées, pour moi, particulièrement riches en apprentissage. Je n’aurais certainement pas eu le même regard vis-à-vis de ce master dans un autre contexte.

C. Le monde du travail !

J’ai eu assez rapidement envie de mettre les mains dans le cambouis et d’entrer dans la vie active. Ma découverte du monde professionnel s’est faite via un premier stage chez Grant Thornton à Lille en comptabilité puis en audit. J’ai ensuite enchaîné par ma première expérience parisienne chez Peugeot Citroën, au sein de Banque PSA Finance. Le rôle de cette banque est de proposer des financements aux grosses sociétés clientes de la marque et également de financer les voitures des showrooms appartenant au réseau (Peugeot Citroën se faisant donc banque de ses concessionnaires). A cette occasion, j’ai également pu travailler avec des pays émergents tels que l’Argentine et le Brésil via le soutien aux réseaux locaux de vente. Ce fut donc ma première expérience bancaire, plutôt singulière et originale.

J’ai ensuite découvert le monde de la « corporate finance » via mon expérience chez Investisseur et Partenaire (fonds de private equity focalisé sur l’investissement dans les PMEs Sub-sahariennes). Me revoilà donc à travailler pour un continent qui m’est cher et exerçant un des métiers qui m’intéressent. Je découvre alors les énormes opportunités du continent africain. Le plus grand enseignement que je retire de cette expérience, quand on parle d’investissement, c’est que ce qui compte c’est l’Homme. On a tendance à l’oublier, à se perdre dans les chiffres mais c’est le point fondamental à garder en ligne de mire. L’investissement est alors une vraie aventure humaine basée sur la confiance et la détermination. Et pour en revenir à ce mot de « confiance » il a une importance particulièrement grande en Afrique. Perdre la confiance de quelqu’un c’est très lourd de sens et ressenti comme une vraie blessure. En fait, en Europe la confiance a été remplacée par un système et des lois se traduisant par des partenariats et des contrats alors qu’en Afrique on se repose encore essentiellement sur l’humain. 

Après cette découverte très enrichissante de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique Centrale chez I&P, j’ai voulu acquérir une expérience financière encore plus technique (faire de la modélisation, des valorisations d’entreprises…). Je suis alors rentré chez Axior Corporate Finance, une boutique de fusions et acquisitions. J’y découvre l’amour du travail parfaitement effectué et le rythme effréné du métier. Arrivé au terme de cette expérience je me mets en recherche d’un emploi. J’y est consacré un an qui s'est révèlé être une des périodes les plus enrichissantes de ma vie. J’en ai profité pour réfléchir à mes vraies envies, me poser des questions existentielles (sur mon désir de revenir en Afrique notamment) et je me suis retrouver extrêmement occupé par mes différents engagements, dont le Club Diallo Telli ! 

D. Le club Diallo Telli, force de proposition !

Au cours de cette année sabbatique, j'ai repris avec des amis la direction d’une association : le club Diallo Telli, club de réflexion (Think Tank) sur l’Afrique. Il est créé en 1991 par des cadres africains soucieux de fédérer leur capacité d’action pour leurs pays d’origine et le continent africain. L’objectif du club peut se résumer par le raffermissement des liens de solidarité entre africains, le développement économique des pays présents sur le continent et leur rayonnement culturel. L’activité de « Think tank » du Club consiste à : 1) Développer une capacité d’analyse et de réflexion prospective sur les enjeux auxquels font face les pays africains ; 2) Disposer d’une vision et de solutions relatives aux problématiques étudiées ; 3) Mettre à disposition des outils d’analyse de l’évolution du continent africain et peser dans le débat public (auprès d’acteurs clefs). 

diallo telli

Le Think Tank s’organise autour de deux axes :
a) L’organisation d’évènements favorisant le débat. En effet, le Club Diallo Telli se veut moteur de rencontres, agitateur d’idées et fédérateur d’échanges à travers : 1) des rencontres entre membres et sympathisants (créer une solidarité et intéresser le public à nos réflexions) ; 2) l’organisation de dîners-débats en invitant des spécialistes sur des questions bien déterminées (exemple de sujet déjà traité: « en quoi la crise de la zone euro peut représenter une opportunité pour l’Afrique ») ; 3) des conférences regroupant des acteurs variés pour favoriser de riches échanges ; 4) L’organisation d’un grand colloque qui s’attaque à un thème majeur (choisi avec attention tout au long de l’année) et aboutit à des propositions concrètes regroupées dans un livre-blanc.

b) La production éditoriale sous la forme : 1) du livre-blanc bien sûr; 2) mais aussi de notes d’analyse sur des problématiques d’actualité, 3) et d’études sur des thèmes spécifiques (qui peuvent être menées par un expert entouré de membres du club). Le but étant donc d’être force de propositions. 

Pour atteindre ses objectifs, le Club tient énormément à la diversité, car de la diversité née la richesse. Nous essayons de brasser un maximum de nationalités (africaines ou non) et de gens aux expériences diverses qui permettent d’aborder différents sujets et de nourrir la réflexion plus largement. 

african-guarantee-fundE. L’African Guarantee Fund et le retour aux sources

Après avoir passé cette année à chercher ma voie, à m’engager dans une association et à écrire une thèse (« Les pôles de compétitivité en Afrique de l’Est »), je trouve une opportunité qui provoque mon enthousiasme : travailler dans le Fonds Africain de Garantie (African Guarantee Fund : AGF), qui me permet de découvrir le tissu des petites et moyennes entreprises (PME) africaines via les produits de garanties que l’institution propose. 

AGF a été créé en 2011 à l’initiative de la Banque Africaine de Développement (BAD), et jouit également de financements du gouvernement hollandais via Danida et du gouvernement espagnol via l’Aecid. L’idée de ce fonds est de promouvoir le financement des PME (le « missing middle » – pour un article sur cette notion cliquez ici,). La mission d’AGF est de soutenir les infrastructures de financement qui existent déjà (ex : banques traditionnelles, banques de développement, fonds d’investissement, institutions de microfinance) afin d’augmenter leur volume d’investissement (en dette ou équity) vers les PME. Il s’agit pour AGF de partager avec ces institutions leurs risques via des produits de garantie. AGF est basé à Nairobi et a pour ambition de couvrir toute l’Afrique. Le fonds de garantie représente actuellement 50M€ et devrait aboutir, à terme, à une enveloppe de 500 M€. Il s’agit donc de ma première expérience professionnelle en Afrique et, à cette occasion, je reviens à mes origines en déménageant en Afrique de l’Est !

(A suivre, mardi prochain : la vision de l'Afrique de Quentin). 

Entretien réalisé par Léa Guillaumot

Comment résoudre le problème des embouteillages à Nairobi ?

Les embouteillages à Nairobi constituent un problème majeur de la capitale kényane. Ils sont un des sujets favoris de début de soirée (parfait pour briser la glace et tomber tous d’accord) mais surtout un casse-tête quotidien. On se tient donc au courant des routes fermées puis réouvertes, des policiers nouvellement installés sur tel carrefour, tel croisement. On apprend, sans le vouloir, par cœur, l’anatomie des routes pour épargner son véhicule des bosses et des trous les plus meurtriers. Mais des solutions à moyen-long terme sont-elles envisagées ? La réponse est oui : et par le secteur public, et par le secteur privé. Cet article n’a pas pour vocation à être exhaustif mais abordera quelques initiatives importantes.

La question des infrastructures routières dans le programme national « Vision 2030 »

Le programme « Vision 2030 », lancé en 2008 par le Président kényan Mwai Kibaki, a été élaboré dans le but de déterminer les grandes lignes à suivre pour permettre au Kenya de passer du statut de pays à bas revenu (low income country) à pays à revenu moyen (middle income country). Le programme comprend différents projets clés indispensables au développement économique, social et politique du pays et inclus, en toute logique, un volet infrastructure. Concernant les infrastructures routières, nous pouvons retenir deux projets phares : 1) Road Network Expansion (expansion du réseau routier), 2) Commuter Rail Network (Réseau ferré entre la capitale et sa banlieue). Le premier consiste à développer de grands axes routiers sur tout le territoire (route Kenya-Ethiopie, Isiolo-Merille, Marsabit-Turbi-Moyale, etc.). Les travaux sur certains n’ont pas encore commencé, d’autres sont en cours, et certains déjà complétés. On peut notamment mentionner la « Thika Highways », autoroute qui vient d’être inaugurée le 9 novembre 2012 par le Président Mwai Kibaki.

Le second projet se focalise sur le développement des transports publics, un point qui parait indispensable à la résolution du problème des embouteillages. Un certain nombre de gares (dont Syokimau, Imara Daima, Makadara, Jomo Kenyatta International Airport, Nairobi Central Railway) devront être créées ou réhabilitées afin d’inciter les futurs passagers à opter pour les chemins de fer plutôt que les routes. Ce qui nécessitera d’offrir un service fiable, abordable et sécurisé qui apportera une vraie valeur ajoutée par rapport aux autres options: voitures privées, matatu (petits bus locaux mettant un point d’honneur à ne pas respecter les règles de circulation) et bus. Mentionnons sur ce volet l’inauguration le 13 novembre 2012 de la première gare mentionnée (Syokimau) qui permettra chaque jour à plusieurs milliers de citoyens kényans de se rendre à Nairobi sans connaître le cauchemar des embouteillages sur les grands axes comme Mombasa Road (route reliant Nairobi à Mombasa connue pour ses kilomètres de trafic aux heures de pointe).

La solution d'un acteur privé inattendu : IBM

Du côté des initiatives privées, IBM s’invite dans le débat. Un acteur inattendu qui a peut être son rôle à jouer pour démêler les noeuds de la circulation urbaine. En effet, en août dernier, IBM a annoncé l’ouverture d’un centre de recherches à Nairobi qui traitera, entre autres, des problèmes liés au trafic routier et proposera des solutions innovantes à ces derniers. Il ne s’agit pas d’un nouveau sujet de recherches pour IBM puisque l’entreprise traite ces questions depuis plusieurs années à travers son programme Smarter Cities – des villes plus intelligentes (faisant partie d’un volet plus important appelé Smarter Planet – une planète plus intelligente). La partie infrastructure du programme traite, entre autres, du domaine des transports.

Pour rester sur le sujet des embouteillages, IBM produit depuis 2008 un sondage nommé Global Commuter Pain Survey qui mesure le niveau d’énervement, de frustration et de stress auquel font face les usagers de la route. Ce sondage est mené dans une vingtaine de villes dans le monde et auprès de plus de 8000 personnes. L’année dernière, le sondage a classé Nairobi 4ème ville la plus pénible dans laquelle circuler (après Mexico, Shenzen et Beijing). Face à ces problématiques, IBM cherche à proposer des solutions pratiques et technologiques. Parmi ces dernières nous pouvons en mentionner deux: 1) le traffic prediction intelligent tolling systems ou Intelligent Transportation et 2) l’Integrated fare management for transportation.

Le premier a pour objectif d’analyser l’état du flux routier et de prédire les embouteillages en ville en combinant des données historiques et des données en temps réel collectées sur le terrain. Ce qui permet une meilleure gestion du flux routier, une meilleure réactivité lors d’accidents, de prévenir le trafic et de prendre des décisions avisées concernant les investissements nécessaires en infrastructures (et en rendre certains moins pressants via un contrôle optimisé des routes existantes). Ce système permet également d’offrir aux usagers de la route des informations quant à l’état de ces dernières afin qu’ils prennent les meilleurs décisions pour choisir leur itinéraire quotidien (quand partir au travail, via quelle route, quel changement d’itinéraire à effectuer, etc).

Le deuxième permet d’aider les entreprises de transports en commun à déterminer quel est le système de tarif le plus adapté aux clients visés et les meilleurs moyens de paiement (notamment la mise en place de cartes multi-transports beaucoup plus faciles à utiliser et moins coûteuses pour les usagers). Cet outil permet en conséquence de rendre les transports publics plus attractifs et de décongestionner indirectement les axes routiers.

Avec cette panoplie de solutions publiques et privées, espérons que, dans les années à venir, le trafic routier de Nairobi s’améliore sous peine de restreindre grandement son développement économique et de rendre fous ses habitants…

Léa Guillaumot

Le mall : temple de la bourgeoisie à Nairobi

Avant de parler de l’expérience shopping (center) de Nairobi, il faut d’abord parler de Nairobi. Nairobi, “en chiffres”, c’est :
1) ~3.4 millions d’habitants (niveau du dernier recensement effectué en 2009, elle serait la douzième ville africaine la plus peuplée),
2) Une surface représentant 0.1% du territoire kényan et regroupant près de 8% de la population totale du Kenya.
3) Une part dans la population urbaine totale du Kenya qui a progressé de 5% en 1948 à 32% en 2009, pour un taux de croissance urbaine de 4,2% par an depuis 5 ans.

Nairobi est donc une grande ville africaine en expansion et en construction constante. On ne compte plus le nombre de routes bouchées, déviées, détruites et reconstruites qui redessinent chaque jour les itinéraires routiers.

Au milieu de ce bourgeonnement de nouveaux buildings, celui des malls est concomitant à la croissance de la classe moyenne, qui fait tant parler d'elle et dont on réalise l’impact sur le paysage urbain de Nairobi. La capitale, étant également un énorme hub “expats” (la majorité des organisations internationales telles les Nations Unies y possède des bureaux locaux d’envergure), ces derniers sont aussi une cible toute trouvée. Ils y trouvent l’essentiel (et bien plus) des produits dont ils ont besoin (ou non : le superflu y a aussi sa place).

Concept et cartographie du mall

Arrêtons-nous un instant sur le concept de mall. Nous ne parlons pas ici de simples supermarchés mais de vrais écosystèmes où le consommateur peut vider son portefeuille dans une variété infinie de produits et d’activités: restaurants, casinos, cinémas, bijouteries, boutiques de lingerie, meubles de maison, etc. Nairobi en compte presque une vingtaine dont quelques uns qui se détachent du lot en termes de taille et/ou de réputation: Westgate Shopping Mall (un des plus récents et des plus clinquants, ouvert en 2007), Sarit Centre (à l’influence indienne), The Village Market (mall chic où la communauté UN se retrouve le week-end), le Yaya Center (repère des français de Nairobi, voisin de l’école française), the Junction, Prestige ou encore Galleria Mall. Presque tous abritent “le” supermarché de Nairobi: le Nakumatt, destination ultime de l’étranger en quête de son pot de Nutella où de son camembert made in France. Carrefour en somme.

Ces malls s’étalent assez équitablement sur toute la ville et principalement à proximité des quartiers résidentiels (Kilimani, Westland, Karen…), comme le font également les restaurants et les bars. Ils créent donc de véritables “pôles” d’activités, séparés les uns des autres et quasi indépendants où les gens se donnent rendez-vous le soir et le week-end. Le mall rythme clairement la vie de l’upper/middle class kényane et des expatriés de Nairobi.

De grands projets en perspectives: l’exemple de Garden City

Le succès de ces mini temples de la consommation ne passe pas inaperçu et attire assez logiquement les investisseurs. Actis, fonds ayant déjà investi près de 4 milliards de dollars dans les marchés émergents (Afrique, Amérique du Sud, Asie), n’en est pas à son premier coup d’essai dans le secteur. Après The Junction Mall au Kenya, The Palms au Nigeria et l’Accra Mall au Ghana, Actis se tourne vers un nouveau projet d’envergure: le Garden City (l’annonce de l’investissement, dont le montant exact a été gardé confidentiel, a été faite en Juillet dernier). Il s’agira d’un mix entre quartier résidentiel (500 nouvelles maisons prévues), espace commercial (50 000 m2 réservés à la construction d’un mall) et de détente avec 2 hectares destinés à la construction d’un parc de loisirs (incluant un espace pour les concerts). 

Garden City sera le premier mall “LEED” (Leadership in Energy and Environmental Design) d’Afrique de l’Est. L’idée étant donc d’en faire une construction respectueuse de l’environnement et peu consommatrice en eau et électricité (permettant également aux commerçants de faire des économies). Le mall attirera des marques locales et internationales (notamment sud africaine) avides de toucher le marché kényan. Ce projet est également boosté par l’inauguration, ce mois-ci, de l’autoroute de Thika, projet majeur de 360 millions de dollars, couvrant la distance de 42 km entre Nairobi et Thika (ville importante de ~200 000 habitants située au Nord Est de la capitale), qui desservira Garden City.

Pour conclure, le mall est un monde en soi mais un monde à part. Si leur multiplication est un signe de dynamisme économique indéniable, n’oublions pas que la majorité de la population ne s’y rend jamais ou très peu. 46% de la population kényane vit toujours en dessous du seuil de pauvreté.

Léa Guillaumot

Les villes africaines manquent d’eau

En dépit des efforts de modernisation de l’infrastructure de distribution de l’eau, passant notamment par la vague de privatisation des sociétés qui en avaient la charge, expérience qui a montré ses limites, l’accès à l’eau courante et potable demeure un problème de très grande ampleur dans la plupart des villes africaines. Le dossier de Pambazuka News dresse un état des lieux alarmant.

Mombasa : peuplée de 3,3 millions d’habitants, c’est la deuxième ville du Kenya. Seuls 52% des habitants de cette ville ont accès à l’eau potable, 16% étant connectés directement au réseau d’eau courante chez eux, et 36% y ayant accès par l’intermédiaire de bornes fontaines. Le reste de la population, et notamment celle des bidonvilles, n’a accès à l’eau potable que par le biais des vendeurs d’eau ambulants, qui vendent le litre d’eau à des prix prohibitifs (jusqu’à 10 fois celui de la borne-fontaine !). Distant des ressources en eau de plusieurs centaines de kilomètres, le réseau d’alimentation et de distribution de la ville se caractérise par sa vétusté, qui entraîne des pertes considérables (fuites d’eau). Une étude a chiffré le coût de la réhabilitation de ce réseau, dans l’optique d’une desserte de l’ensemble des habitants en eau courante, à 1 milliard $US. Un coût en investissement que le pouvoir d’achat des habitants de Mombassa est incapable d’amortir. Etant donné les externalités négatives des problèmes liés à l’eau sur le développement économique et social général de la ville, il serait sans doute judicieux de trouver d’autres sources de financement (taxation des entreprises, des revenus élevés, etc.).

Nairobi : la situation de la capitale du Kenya n’est pas plus reluisante que celle de sa consœur. Elle est particulièrement dramatique dans l’un des plus grands bidonvilles d’Afrique, Kibera, relié à aucune sorte de système de distribution d’eau. Face à ce marché captif, le prix du litre d’eau potable en bouteille s’est envolé et est plus cher que celui de l’essence. Construit dans la plus complète anarchie, ne bénéficiant de quasiment aucune infrastructure, Kibera est également confronté au problème de l’assainissement. Le bidonville s’est rendu célèbre pour ses « toilettes volantes » : « les habitants se débarrassent de leurs excréments dans des sacs plastiques qu’ils lancent en l’air, n’importe où » (Michel Makpenon). Dans le reste de la ville, le réseau de distribution d’eau existant, vétuste, gaspille l’eau et fait l’objet de branchements sauvages par des consommateurs pirates.

Cotonou : la première ville du Bénin présente a priori une situation plus enviable : 98,9% des habitants y ont accès à l’eau potable. Mais seuls 43,6% ont l’eau courante à la maison, fournie par la Société Nationale des Eaux du Bénin (SONEB). Le reste de la population achète l’eau par seaux d’eau chez des voisins qui ont l’eau courante. Cela implique donc de nombreuses contraintes pour les femmes, les principales concernées par cette tâche. Le besoin d’extension du réseau d’eau courante se fait pressant, d’autant plus que la ville connaît un boom démographique important. De lourds investissements en perspectives…

Dakar : selon le sociologue Moussa Diop, la capitale sénégalaise fournit un exemple intéressant de volontarisme politique en faveur de l’accès à l’eau. Deux plans d’investissements, le Projet Sectoriel Eau (PSE, 1996-2003, 216 milliards de FCFA) et le Plan Sectoriel à Long Terme (PELT, 2003-2007, 300 milliards FCFA), financés par des bailleurs de fonds internationaux avec pour chef de file la Banque mondiale (44%) et l’Agence française de développement (28%), ont permis d’augmenter la production d’eau potable de 83% entre 1996 et 2006 à Dakar, et d’y augmenter le nombre de clients de la Société des eaux (SDE, l’Etat en étant l’actionnaire majoritaire) de 60%. Dorénavant, 76% des Dakarois ont un branchement privé.
Au-delà de cet effort d’extension du réseau de distribution, la SDE se singularise par son action sociale : les tarifs diffèrent selon les revenus des consommateurs. « Le Sénégal, comme la plupart des pays en développement, a choisi d’adopter une tarification progressive de l’eau potable qui dépend du volume d’eau consommé. Pour les abonnés domestiques, le système de tarification comporte trois tranches – tranche sociale, tranche pleine (ou normale) et tranche dissuasive – pour les lesquelles le tarif varie dans un rapport de un à quatre : 191,32 de francs CFA/m3 dans la première et 788,67 de francs CFA/m3 dans la troisième. », (Moussa Diop). Concrètement, la tranche sociale est subventionnée par l’Etat à hauteur de 60%.
Malgré tous ces efforts, les banlieues dakaroises (Pikine Guinaw rails,Thiaroye, Grand Yoff, etc.) souffrent toujours d’importants problèmes d’accès à l’eau, de coupures d’eau récurrentes. Les constructions anarchiques, en dehors de toute planification urbaine, rajoutent au problème du raccordement au réseau d’eau courante. Et les projections démographiques indiquent que dès 2015, le réseau actuel ne sera plus en mesure de répondre à la demande en eau des Dakarois. En considérant le statut privilégié au Sénégal de la capitale dans son accès à l’eau courante, on mesure l’étendue des défis qui se posent aux planificateurs publics.

 

Emmanuel Leroueil