Quelles villes africaines ont le plus fort potentiel de croissance ?

Central_accra-2Les entreprises qui cherchent à s’implanter en Afrique devraient sérieusement envisager de créer des représentations à Accra, Lusaka et Luanda si l’on en croît l’Indice de croissance des villes africaines publié le 28 janvier 2013 par MasterCard lors du forum Africa Knowledge. L'indice, produit pour le compte de MasterCard par le professeur George Angelopulo de University of South Africa, inclut 19 villes d’Afrique subsaharienne, en les classant en fonction de leur potentiel de croissance économique entre 2012 et 2017. Voici l'intégralité du classement des 19 villes sélectionnées dans l'indice : 

01. Accra  (Ghana)    02. Lusaka  (Zambie)   03. Luanda (Angola)    04. Dar es-Salaam  (Tanzanie)   05.  Addis-Abeba   (Ethiopie)   06. Nairobi   (Kenya)   07. Kampala  (Ouganda)   

08. Johannesburg  (Afrique du Sud)    09.  Kinshasa (République Démocratique du Congo)  10. Durban  (Afrique du Sud)   11. Cape Town  (Afrique du Sud)   12. Mombasa  (Kenya)

13.  Lagos (Nigeria)   14.  Abuja (Nigeria)   15. Dakar (Sénégal)    16. Harare (Zimbabwe)   17. Kano (Nigeria)   18. Abidjan (Côte d'Ivoire)  19. Khartoum (Soudan). 


Examiner le potentiel des pôles urbains dynamiques d'Afrique 

Les capitales du Ghana, de la Zambie et de l'Angola ont été identifiées comme les villes d'Afrique subsaharienne qui ont le plus grand potentiel de croissance économique au cours des cinq prochaines années. Khartoum, la capitale du Soudan devrait afficher la plus faible croissance de toutes les villes incluses dans l'étude. Pour compiler l'index, le professeur Angelopulo a examiné diverses données relatives au niveau de la croissance économique des villes. Selon lui, la capitale ghanéenne Accra est en tête de liste en raison de la croissance de son PIB par habitant ces dernières années, de celle de la consommation projetée, de son environnement réglementaire solide, et de la relative facilité d’y faire des affaires par rapport à d'autres villes africaines. 

Johannesburg, le centre économique de l’Afrique du Sud est moins bien classé sur la liste en raison de prévisions de croissance atone dues à sa relative maturité par rapport à d'autres villes du continent. Harare (Zimbabwe), Kano (Nigeria), Abidjan (Côte d'Ivoire) et Khartoum (Soudan) ont été considérées comme les pôles ayant le potentiel de croissance le plus faible parmi les 19 villes examinées dans l'étude. Bien que ces villes aient obtenu de bons scores dans certaines catégories, comme l'indice global de la santé ou le niveau des investissements directs étrangers, leur potentiel de croissance a été affecté par de faibles scores dans des domaines tels que les environnements politiques et réglementaires, ralentissement de la croissance économique historique et les difficultés d’y faire des affaires.

 

Bâtir une stratégie à l'échelle des villes plutôt que des pays 

Les Nations Unies estiment que la population urbaine de l'Afrique va tripler d'ici 2050, pour atteindre 1,23 milliards de personnes. Il est prévu que d’ici là, 60% de la population du continent vivra dans des zones urbaines. « L'un des principaux défis économiques et sociaux de l’Afrique est de savoir comment ses villes attireront d'importants investissements étrangers en étant compétitives au niveau mondial, servant de pôles d'attraction pour l'investissement et la croissance, de points chauds de l'innovation et, surtout, en développent des environnements d'affaires intéressants et prospères », a déclaré Georges Angelopulo.

L'année dernière, le cabinet de conseil McKinsey a suggéré dans un rapport que les villes et non les pays, devraient orienter les décisions d'investissement en Afrique, notant que « la plupart des entreprises n'étudient pas les villes quand elles calibrent leurs stratégies ». Le cabinet a constaté que « moins d'un cadre dirigeant sur cinq prennent leurs décisions d'implantation et de recrutement à l’échelle de la ville, plutôt qu’à l’échelle des pays ». Or le rapport indique que les entreprises qui comprennent l’évolution des marchés urbains dans leurs secteurs d’activités et qui bâtissent une présence précoce à une échelle suffisante sont susceptibles de bénéficier d'être les précurseurs jouissant d'un meilleur accès au marché et des marges les plus élevées. « Regarder les villes plutôt que les pays peut être révélateur. Prenez l’exemple des produits pour la lessive. Nous nous attendons à voir plus de croissance des ventes de ces produits à São Paulo qu’en France ou en Malaisie au cours de la prochaine décennie », souligne l’étude.

La croissance de l'urbanisation, combinée au fait que le centre de gravité de l'économie mondiale se déplace vers les marchés émergents dynamiques tels que ceux trouvés en Afrique, signifie que les villes du continent joueront un rôle beaucoup plus important dans la croissance économique de leurs pays respectifs.

 

Séverine Dupont, article initialement paru chez notre partenaire Next-Afrique

Comment résoudre le problème des embouteillages à Nairobi ?

Les embouteillages à Nairobi constituent un problème majeur de la capitale kényane. Ils sont un des sujets favoris de début de soirée (parfait pour briser la glace et tomber tous d’accord) mais surtout un casse-tête quotidien. On se tient donc au courant des routes fermées puis réouvertes, des policiers nouvellement installés sur tel carrefour, tel croisement. On apprend, sans le vouloir, par cœur, l’anatomie des routes pour épargner son véhicule des bosses et des trous les plus meurtriers. Mais des solutions à moyen-long terme sont-elles envisagées ? La réponse est oui : et par le secteur public, et par le secteur privé. Cet article n’a pas pour vocation à être exhaustif mais abordera quelques initiatives importantes.

La question des infrastructures routières dans le programme national « Vision 2030 »

Le programme « Vision 2030 », lancé en 2008 par le Président kényan Mwai Kibaki, a été élaboré dans le but de déterminer les grandes lignes à suivre pour permettre au Kenya de passer du statut de pays à bas revenu (low income country) à pays à revenu moyen (middle income country). Le programme comprend différents projets clés indispensables au développement économique, social et politique du pays et inclus, en toute logique, un volet infrastructure. Concernant les infrastructures routières, nous pouvons retenir deux projets phares : 1) Road Network Expansion (expansion du réseau routier), 2) Commuter Rail Network (Réseau ferré entre la capitale et sa banlieue). Le premier consiste à développer de grands axes routiers sur tout le territoire (route Kenya-Ethiopie, Isiolo-Merille, Marsabit-Turbi-Moyale, etc.). Les travaux sur certains n’ont pas encore commencé, d’autres sont en cours, et certains déjà complétés. On peut notamment mentionner la « Thika Highways », autoroute qui vient d’être inaugurée le 9 novembre 2012 par le Président Mwai Kibaki.

Le second projet se focalise sur le développement des transports publics, un point qui parait indispensable à la résolution du problème des embouteillages. Un certain nombre de gares (dont Syokimau, Imara Daima, Makadara, Jomo Kenyatta International Airport, Nairobi Central Railway) devront être créées ou réhabilitées afin d’inciter les futurs passagers à opter pour les chemins de fer plutôt que les routes. Ce qui nécessitera d’offrir un service fiable, abordable et sécurisé qui apportera une vraie valeur ajoutée par rapport aux autres options: voitures privées, matatu (petits bus locaux mettant un point d’honneur à ne pas respecter les règles de circulation) et bus. Mentionnons sur ce volet l’inauguration le 13 novembre 2012 de la première gare mentionnée (Syokimau) qui permettra chaque jour à plusieurs milliers de citoyens kényans de se rendre à Nairobi sans connaître le cauchemar des embouteillages sur les grands axes comme Mombasa Road (route reliant Nairobi à Mombasa connue pour ses kilomètres de trafic aux heures de pointe).

La solution d'un acteur privé inattendu : IBM

Du côté des initiatives privées, IBM s’invite dans le débat. Un acteur inattendu qui a peut être son rôle à jouer pour démêler les noeuds de la circulation urbaine. En effet, en août dernier, IBM a annoncé l’ouverture d’un centre de recherches à Nairobi qui traitera, entre autres, des problèmes liés au trafic routier et proposera des solutions innovantes à ces derniers. Il ne s’agit pas d’un nouveau sujet de recherches pour IBM puisque l’entreprise traite ces questions depuis plusieurs années à travers son programme Smarter Cities – des villes plus intelligentes (faisant partie d’un volet plus important appelé Smarter Planet – une planète plus intelligente). La partie infrastructure du programme traite, entre autres, du domaine des transports.

Pour rester sur le sujet des embouteillages, IBM produit depuis 2008 un sondage nommé Global Commuter Pain Survey qui mesure le niveau d’énervement, de frustration et de stress auquel font face les usagers de la route. Ce sondage est mené dans une vingtaine de villes dans le monde et auprès de plus de 8000 personnes. L’année dernière, le sondage a classé Nairobi 4ème ville la plus pénible dans laquelle circuler (après Mexico, Shenzen et Beijing). Face à ces problématiques, IBM cherche à proposer des solutions pratiques et technologiques. Parmi ces dernières nous pouvons en mentionner deux: 1) le traffic prediction intelligent tolling systems ou Intelligent Transportation et 2) l’Integrated fare management for transportation.

Le premier a pour objectif d’analyser l’état du flux routier et de prédire les embouteillages en ville en combinant des données historiques et des données en temps réel collectées sur le terrain. Ce qui permet une meilleure gestion du flux routier, une meilleure réactivité lors d’accidents, de prévenir le trafic et de prendre des décisions avisées concernant les investissements nécessaires en infrastructures (et en rendre certains moins pressants via un contrôle optimisé des routes existantes). Ce système permet également d’offrir aux usagers de la route des informations quant à l’état de ces dernières afin qu’ils prennent les meilleurs décisions pour choisir leur itinéraire quotidien (quand partir au travail, via quelle route, quel changement d’itinéraire à effectuer, etc).

Le deuxième permet d’aider les entreprises de transports en commun à déterminer quel est le système de tarif le plus adapté aux clients visés et les meilleurs moyens de paiement (notamment la mise en place de cartes multi-transports beaucoup plus faciles à utiliser et moins coûteuses pour les usagers). Cet outil permet en conséquence de rendre les transports publics plus attractifs et de décongestionner indirectement les axes routiers.

Avec cette panoplie de solutions publiques et privées, espérons que, dans les années à venir, le trafic routier de Nairobi s’améliore sous peine de restreindre grandement son développement économique et de rendre fous ses habitants…

Léa Guillaumot

Le mall : temple de la bourgeoisie à Nairobi

Avant de parler de l’expérience shopping (center) de Nairobi, il faut d’abord parler de Nairobi. Nairobi, “en chiffres”, c’est :
1) ~3.4 millions d’habitants (niveau du dernier recensement effectué en 2009, elle serait la douzième ville africaine la plus peuplée),
2) Une surface représentant 0.1% du territoire kényan et regroupant près de 8% de la population totale du Kenya.
3) Une part dans la population urbaine totale du Kenya qui a progressé de 5% en 1948 à 32% en 2009, pour un taux de croissance urbaine de 4,2% par an depuis 5 ans.

Nairobi est donc une grande ville africaine en expansion et en construction constante. On ne compte plus le nombre de routes bouchées, déviées, détruites et reconstruites qui redessinent chaque jour les itinéraires routiers.

Au milieu de ce bourgeonnement de nouveaux buildings, celui des malls est concomitant à la croissance de la classe moyenne, qui fait tant parler d'elle et dont on réalise l’impact sur le paysage urbain de Nairobi. La capitale, étant également un énorme hub “expats” (la majorité des organisations internationales telles les Nations Unies y possède des bureaux locaux d’envergure), ces derniers sont aussi une cible toute trouvée. Ils y trouvent l’essentiel (et bien plus) des produits dont ils ont besoin (ou non : le superflu y a aussi sa place).

Concept et cartographie du mall

Arrêtons-nous un instant sur le concept de mall. Nous ne parlons pas ici de simples supermarchés mais de vrais écosystèmes où le consommateur peut vider son portefeuille dans une variété infinie de produits et d’activités: restaurants, casinos, cinémas, bijouteries, boutiques de lingerie, meubles de maison, etc. Nairobi en compte presque une vingtaine dont quelques uns qui se détachent du lot en termes de taille et/ou de réputation: Westgate Shopping Mall (un des plus récents et des plus clinquants, ouvert en 2007), Sarit Centre (à l’influence indienne), The Village Market (mall chic où la communauté UN se retrouve le week-end), le Yaya Center (repère des français de Nairobi, voisin de l’école française), the Junction, Prestige ou encore Galleria Mall. Presque tous abritent “le” supermarché de Nairobi: le Nakumatt, destination ultime de l’étranger en quête de son pot de Nutella où de son camembert made in France. Carrefour en somme.

Ces malls s’étalent assez équitablement sur toute la ville et principalement à proximité des quartiers résidentiels (Kilimani, Westland, Karen…), comme le font également les restaurants et les bars. Ils créent donc de véritables “pôles” d’activités, séparés les uns des autres et quasi indépendants où les gens se donnent rendez-vous le soir et le week-end. Le mall rythme clairement la vie de l’upper/middle class kényane et des expatriés de Nairobi.

De grands projets en perspectives: l’exemple de Garden City

Le succès de ces mini temples de la consommation ne passe pas inaperçu et attire assez logiquement les investisseurs. Actis, fonds ayant déjà investi près de 4 milliards de dollars dans les marchés émergents (Afrique, Amérique du Sud, Asie), n’en est pas à son premier coup d’essai dans le secteur. Après The Junction Mall au Kenya, The Palms au Nigeria et l’Accra Mall au Ghana, Actis se tourne vers un nouveau projet d’envergure: le Garden City (l’annonce de l’investissement, dont le montant exact a été gardé confidentiel, a été faite en Juillet dernier). Il s’agira d’un mix entre quartier résidentiel (500 nouvelles maisons prévues), espace commercial (50 000 m2 réservés à la construction d’un mall) et de détente avec 2 hectares destinés à la construction d’un parc de loisirs (incluant un espace pour les concerts). 

Garden City sera le premier mall “LEED” (Leadership in Energy and Environmental Design) d’Afrique de l’Est. L’idée étant donc d’en faire une construction respectueuse de l’environnement et peu consommatrice en eau et électricité (permettant également aux commerçants de faire des économies). Le mall attirera des marques locales et internationales (notamment sud africaine) avides de toucher le marché kényan. Ce projet est également boosté par l’inauguration, ce mois-ci, de l’autoroute de Thika, projet majeur de 360 millions de dollars, couvrant la distance de 42 km entre Nairobi et Thika (ville importante de ~200 000 habitants située au Nord Est de la capitale), qui desservira Garden City.

Pour conclure, le mall est un monde en soi mais un monde à part. Si leur multiplication est un signe de dynamisme économique indéniable, n’oublions pas que la majorité de la population ne s’y rend jamais ou très peu. 46% de la population kényane vit toujours en dessous du seuil de pauvreté.

Léa Guillaumot

Respirez, vous êtes au parc Al Azhar

Coincé au Caire parce que vos amis vous ont laissé tomber pour le weekend Mer Rouge, avec au programme 15 heures de minibus pour 2 heures de plage ? Pas grave, allez donc faire un tour au parc Al Azhar et vous aérer les poumons pour la modique somme de 7 EGP (moins d’un euro).

Le parc Al Azhar, c’est un peu le projet de développement urbain idéal, la success story qu’on aime décrire dans les conférences sur Le Caire et l’urbanisation durable. Selon la légende, l’Aga Khan, en visite au Caire, aurait vu de son balcon la colline Darassa, jonchée d’ordures, au milieu d’un quartier populaire délaissé par les pouvoirs publics et aurait dit : « c’est là où je veux construire mon parc ». Et comme Son Altesse a les moyens de ses ambitions et de la suite dans les idées, le parc a été inauguré 20 ans plus tard, à la suite de travaux colossaux : nettoyage de la décharge, traitement et remblaiement du terrain de 30 hectares, installation de bassins artificiels en sous-sol, entre autres. Les travaux ont permis de mettre au jour une section de l’ancienne muraille ayyoubide de la ville, qui était partiellement enfouie sous les déchets.

Le parc, c’est aussi un beau projet de développement intégré : la fondation Agha Khan ne s’est pas contentée de créer le parc, qui a revalorisé le quartier voisin de Darb Al Ahmar, mais a aussi consacré des fonds pour restaurer les monuments islamiques du quartier. Des dizaines d’habitants ont été embauchés pour construire le parc, et d’autres pour l’entretenir.

Contrairement aux autres parcs du Caire, plutôt populaires, tout le monde se rend à Al Azhar, quelle que soit son origine sociale : le ticket d’entrée à 7 EGP est accessible à tous ou presque, et de nombreuses familles s’offrent cette sortie pendant le weekend. Les familles modestes pique-niquent, et les plus chanceux vont se sustenter aux cafés et restaurants du parc. Dans une ville où les classes sociales se mélangent rarement, le parc est parvenu à attirer des profils différents, et on croise parfois des touristes, qui n’en reviennent pas de pouvoir se promener dans l’indifférence la plus totale.

Plus d’infos sur la genèse du projet ici : http://www.akdn.org/publications/2007_aktc_egypt.pdf

Leïla Morghad

N’Djamena, une ville qui se modernise dans la douleur

Sous le soleil écrasant de ce mois de juin, il n’y a pas beaucoup d’âmes qui circulent à midi aux alentours de l’aéroport international Hassan Djamous, pourtant situé en pleine capitale du Tchad. Rien à voir avec l’agitation de la salle de débarquement où des douaniers s’activent fébrilement à fouiller les bagages des passagers. Les environs de l’aéroport se résument à un immense terrain vague. Qui imaginerait qu’il y a à peine deux ans cet endroit abritait les locaux de l’école de la gendarmerie nationale, un camp militaire ainsi que la prison d’arrêt centrale ?

Place de la Nation, N'Djamena

Sorti de l’aéroport, le voyageur peut s’engager dans la mythique avenue Charles de Gaulle, bordée d’une rangée de banques et de grands restaurants et qui débouche sur la désormais célèbre Place de la nation. Elle se trouve juste en face de la présidence de la République protégée farouchement par les bérets rouges de la garde présidentielle. Cette place où se déroulent les grands hommages républicains se veut à la hauteur des nouvelles ambitions des autorités tchadiennes. Elle s’étend sur plusieurs hectares et a été construite à coup de milliards de franc CFA pour célébrer le cinquantenaire de l’indépendance du Tchad en 2010. Faute de jardin public ou de parc digne de ce nom dans la ville, elle est devenue le rendez vous des balades amoureuses du crépuscule.

A peine un kilomètre plus bas, en passant devant l’unique cinéma de la capitale tchadienne, « la Normandie », qui renait de ses cendres, l’on tombe sur le tout nouveau complexe hospitalier de la mère et de l’enfant et sur les bâtiments flambant neuf de la Faculté de médecine. Dire qu’en ces lieux et places se trouvait Gardolé, le plus vieux quartier de la ville… Tout un symbole pour décrire les déguerpissements et expropriations qui accompagnent la réalisation de ces ouvrages urbains. Autant d’opérations d’aménagement passées en force dont on peut imaginer les bouleversements engendrés. En à peine cinq ans, le visage de la ville a complètement changé. Des nouveaux bâtiments sortent de terre : hôpitaux, facultés d’université, ministères, hôtels, lycées… en grande partie réalisés sous la bannière des « grands projets présidentiels» et financés par les fonds issus des revenus du pétrole. Tous les grands axes sont rebitumés et de nouvelles rues, bordées de tous types de commerces, apparaissent.

Le million d’habitants de la capitale tchadienne se lève très tôt. Le plus souvent à moto, casque de rigueur, les travailleurs et les écoliers commencent leur journée dès 7h du matin. Les principales activités commerciales sont informelles. Les deux grands marchés de la ville (le marché central et le marché à mil) ne cessent de grossir et de s’étendre pour engloutir presque toutes les habitations environnantes. Les murs de clôture des habitations sont remplacés par les arcades des nouveaux commerces et l’intérieur transformé en dépôt de marchandises. La démolition il y a deux mois du troisième marché, le marché de quartier de Dembé, ne semble pas décourager les commerçants dans leurs entreprises. Déguerpissement du centre ville, expropriations, démolitions, relogement, indemnisations…ou pas. La marche vers la modernisation de la ville est menée à rythme cadencé et forcé. C’est dit- t- on le prix du progrès. Mais cette dynamique se fait sans réelle concertation ni information des habitants. Elle se fait même avec violence. Et la violence, cette ville en a connu.

Ville martyre, elle est née d’une guerre et en a connu plein d’autres. En 1900, trois colonnes de l’armée française ont convergé sur les rives du fleuve Chari, pour combattre et vaincre un esclavagiste et tyran venu du soudan (Rabah Fadlallah, 1842-1900) avec ses mercenaires qui sévissaient dans la région. Après avoir abattu Rabah, le commandant François J.A. Lamy installa son camp à coté du fleuve et de trois villages. La bourgade qui se développe se nomme Fort Lamy jusqu’en 1973 et le retour « des pères de la nation » à la notion d’authenticité. La capitale fut alors renommée Ndjamena. Ce qui signifie littéralement en arabe tchadien « nous nous reposons » ou « on en a fini » (avec la violence, les guerres…). Mais le martyr de la ville continue, avec la guerre civile de 1979, la dictature des années 80 et son lot de disparus et de victimes, et plus récemment avec les deux attaques rebelles en 2006 et 2008. Depuis, N’Djaména semble jeter aux oubliettes ce passé. Elle fait peau neuve, n’hésitant pas effacer ce qui pourrait faire figure de lieux de mémoire ou de monuments historiques, les remplaçant par des nouveaux. Résolument tournée vers l’avenir et avec l’ambition de devenir la « vitrine de la sous région ».

Djamal HALAWA

Pour un avenir sans bidonvilles en Afrique

Des millions d’Africains vivent dans des bidonvilles et la croissance rapide de la population urbaine exacerbe le problème. Le continent est confronté à un immense défi : « améliorer les conditions de vie des habitants des bidonvilles tout en prévenant la formation de ce type d’habitat », déclare Joan Clos, Directeur exécutif du Programme des Nations Unies pour les établissements humains (ONU-Habitat). Selon les estimations d’ONU-Habitat, 200 millions de personnes en Afrique subsaharienne vivaient dans des bidonvilles en 2010, soit 61,7 % de la population urbaine de la région, le taux le plus élevé au monde. L’Afrique du Nord comptait 12 millions d’habitants de bidonvilles, ce qui représentait seulement 13,3 % de ses citadins, le taux le plus bas dans les pays en développement. Le manque d’installations sanitaires adéquates, d’eau potable et d’électricité, auquel viennent s’ajouter l’insalubrité des logements et le surpeuplement, aggrave la propagation des maladies et les décès évitables, selon un rapport récent de la Fédération internationale des Associations de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Les bidonvilles contribuent à la faible espérance de vie. Au Mali, par exemple, plus de 80 % de la population est mal logée et l’espérance de vie est de seulement 51 ans, selon le Programme des Nations Unies pour le développement.

La situation du Mali est révélatrice de la situation d’une grande partie de l’Afrique subsaharienne. Gakou Salimata Fofana, ancienne Ministre malienne du logement, des affaires foncières et de l'urbanisme, préconise des mesures urgentes de la part des ministres africains du logement. « Nous devons prendre des mesures cruciales », estime-t-elle. « Faute de quoi, nous courrons le risque d’avoir une population urbaine [au Mali] d’environ 6 millions d’âmes vivant encore dans des établissements informels d’ici à 2020 », soit près du double du nombre actuel. L’obtention de villes sans bidonvilles se heurte à de nombreux obstacles. Le Ministre algérien de l'habitat et de l'urbanisme, Noureddine Moussa, a fait remarquer que l’expansion des villes en Afrique limite la capacité des pouvoirs publics locaux et nationaux d’assurer la sécurité et de fournir des services sociaux de base en matière de santé, d’éducation, d’eau et d’assainissement. En outre, ajoute M. El Hadj, le changement climatique et l’urbanisation auront des effets conjugués imprévisibles. En 2007, un rapport d’évaluation du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, créé par l’Organisation météorologique mondiale et le Programme des Nations Unies pour l'environnement, a averti que « l’urbanisation et le changement climatique pourraient avoir comme effet synergique d’accroître l’incidence des maladies ».

Les habitants des bidonvilles sont également confrontés à des problèmes environnementaux en raison de la faible qualité des matériaux de construction utilisés dans les bâtiments et du fait que les bidonvilles sont situés pour la plupart sur des terrains marginaux. Bon nombre de ces quartiers sont exposés aux incendies accidentels. En septembre 2011, par exemple, plus de 100 personnes ont trouvé la mort lors de l’explosion d’un oléoduc percé à Mukuru wa Njenga, un bidonville densément peuplé de Nairobi. La mise en œuvre d’un plan africain de développement urbain à l’échelle continentale dépendra des particularités de chaque pays sur le plan de la géographie, du climat, des compétences ou des ressources financières. À Rabat, les ministres ont évoqué la possibilité de relever ces défis au moyen d’une collaboration efficace et avec le soutien de partenaires internationaux, y compris l’Organisation des Nations Unies.

Des progrès en cours

 Bidonville à Rabat

Certains points sont cependant positifs. D’après un rapport publié par ONU-Habitat en 2010, des pays comme l’Égypte, la Libye et le Maroc ont « presque diminué de moitié le nombre total d’habitants de bidonvilles en zone urbaine et la Tunisie l’a ramené à zéro ». Le Ghana, le Sénégal et l’Ouganda ont également réalisé des progrès constants, en réduisant de 20 % dans certains cas le nombre d’habitant des bidonvilles. Au Nigéria, ce chiffre est passé de 75 % de tous les citadins en 1990 à 61,9 % en 2010. En Afrique du Sud, la proportion a chuté, passant de 46,2 à 28,7 % au cours de la même période. Le modèle de développement urbain du Maroc continue de susciter beaucoup d’intérêt. En 2004, le gouvernement a lancé son propre programme « Villes sans taudis », une stratégie de développement urbain visant à permettre aux habitants des bidonvilles d’occuper des logements décents avec l’accès à l’eau, à l’énergie et à des installations sanitaires. En 2011, quelque 100 000 nouveaux logements avaient déjà été créés dans différentes régions du pays. Dans l’ensemble, 37 des 83 villes du Maroc ont été transformées, un changement qui a profité à plus de 1,5 million de personnes. Ces villes disposent désormais de lampadaires, de systèmes de drainage, d’eau potable, de routes, d’installations sanitaires et d’autres infrastructures. L’aménagement de la Vallée du Bouregreg (près de Rabat) et d’autres « espaces verts » est aussi remarquable.

Fathallah Oualalou, ancien Ministre marocain du logement et actuel maire de Rabat, a associé les efforts d’urbanisation réussis à la mise en œuvre effective de la feuille de route élaborée en 2010 à Bamako (Mali), lors de la troisième conférence des ministres africains du logement — faisant remarquer que ces réunions peuvent en effet s’avérer utiles. La feuille de route met l’accent sur l’efficacité de la gestion des terres, le logement durable, le transport urbain et l’assainissement, entre autres questions. M. Moussa, Ministre algérien de l’habitat, énumère d’autres facteurs de succès. Il s’agit notamment de la gestion efficace et équitable des terres, de la promulgation de lois foncières adaptées afin que les femmes et autres groupes vulnérables puissent y avoir accès et de l’amélioration des conditions de vie dans les grands ensembles de logement. L’installation d’écoles, de dispensaires, d’électricité et d’assainissement est importante, déclare M. Moussa. « On ne peut concevoir de plan de développement durable sans urbanisation durable », fait-il valoir. L’urbanisation doit être maîtrisée, ajoute-t-il, et des efforts doivent être réalisés « pour réduire les inégalités entre les riches et les pauvres en offrant des services de base à l’ensemble de la population ».

 

Kaci Racelma, article initialement paru sur la revue d'analyse sur l'Afrique de l'ONU, Afrique Renouveau

 

Crédit photo : Bidonville au Cap ; Bidonville à Rabat 

Les enjeux de gouvernance de la ville de Dakar vus par son maire Khalifa Sall

Khalifa Sall, maire de la ville de Dakar, était de passage dans les locaux de Sciences-po Paris le 26 mars pour rencontrer des étudiants en gestion urbaine des grandes villes. Terangaweb en a profité pour recueillir les propos de l’édile de Dakar sur les enjeux de gouvernance et de développement auxquels est confrontée la capitale sénégalaise.

Khalifa Sall bonjour. Comment présenteriez-vous la ville de Dakar dont vous êtes le maire ?
Khalifa Sall :
Dakar est une ville avec un positionnement géographique et des infrastructures qui lui donnent de nombreuses opportunités. Pendant de nombreuses années, c’était la capitale de toute l’Afrique de l’Ouest. Dakar est une ville côtière, industrielle jusqu’aux années 1970, et jeune. Dans les années 1980, la ville a beaucoup évolué. Au Sénégal, on a connu une sécheresse qui a fait que la ville, belle et bien dessinée pour 400 000 habitants, s’est retrouvée avec 2 millions d’habitants – et tous les problèmes qui vont avec. L’essentiel de cette augmentation est un exode rural, une immigration interne due à l’absence de pluies dans le reste du pays. Ceux qui sont arrivés sont des gens sans éducation moderne, sans métier, sans culture urbaine. Ce qu’ils savent faire se résume essentiellement à la vente, et entraîne une croissance urbaine chaotique.
Avant la sécheresse, cette zone s’appelait le Cap Vert, et il y avait de nombreux marécages. On y produisait des légumes. La sécheresse a tout changé, et le chômage des jeunes a explosé. Les années 1980 – 2000 ont été aussi celles des politiques d’ajustement structurel, réduisant l’impact des politiques publiques, notamment dans les zones urbaines. A partir des années 2000, une nouvelle ville se construit après la période d’ajustements structurels qui s’est achevée avec une dévaluation – la monnaie a été divisée par deux. Le contexte international a fortement déterminé la suite de l’histoire avec notamment les Stratégies de Réduction de la Pauvreté (SRP). Les politiques nationales et internationales ont un impact sur les populations locales. En 2009, lorsque nous avons été élus, on avait une ville surpeuplée, mal lotie, un habitat non maîtrisé et une population désœuvrée.

Quelles sont les priorités de votre mandat ?
Khalifa Sall :
Je tiens tout d’abord à préciser dans quel courant de penser et d’action je me situe. Moi, je suis un socialiste socio-démocrate. Je prône la justice sociale associée à l’efficacité dans la gestion. J’ai fait partie du gouvernement et j’ai aussi été député : je connais l’échec et la difficulté.
Quand je suis devenu maire de Dakar, la première demande de la population était liée à l’emploi. Notre première priorité a donc été de donner du travail à la population, c’est la question de la capacitation des ressources humaines. Au Sénégal, nous considérons que notre population est la plus grande richesse nationale. La deuxième priorité qui s’est imposée à nous, c’est l’aménagement urbain. On a des problèmes d’assainissement, d’inondation, et de construction d’infrastructures. Dakar est une ville où les rues sont encombrées de machins ambulants, comme on les appelle chez nous.
A ces deux priorités, nous avons ajouté la question de la gouvernance. La gestion participative et la culture de la citoyenneté sont devenues des problématiques centrales de notre municipalité. Le budget est aujourd’hui consultable sur i

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nternet[1], et tous nos travaux sont des appels d’offre publics. La gestion est inclusive, et tout le monde est au courant de ce qu’il se passe.
En ce qui concerne la culture citoyenne, l’idée est que les gens sachent que quelqu’un est là parce qu’il a un projet, pas par clientélisme. La conscience citoyenne relève d’un travail politique et citoyen. A coté de la ville de Dakar, on a impliqué la société sénégalaise ; on a des conseils consultatifs, des organes qui regroupent tous les éléments de la société civile. C’est une structure de contrôle et de conseil qui relève de la gestion participative et permet de responsabiliser les populations. Ce ne sont pas de simples consommateurs, ce sont aussi des bénéficiaires.
Cette gouvernance là était essentielle, c’était une rupture qu’il fallait imposer. Pendant ces élections, j’ai battu le fils du président de la République et le président du Sénat ; donc je ne vais pas avoir le travail facile, mais on essaye d’être intelligents.

Quelle est votre marge de manœuvre par rapport au gouvernement central ?
Khalifa Sall :
Notre mairie est de gauche et fait face à un gouvernement de droite. C’est une cohabitation qui pose des difficultés. Ceci étant dit, il faut préciser que le Sénégal a une organisation décentralisée depuis l’indépendance. C’est un concept fondamental de la construction du pays. La décentralisation a beaucoup évolué et a abouti à une plus grande responsabilité des collectivités locales ; la dernière réforme a supprimé le contrôle a priori et celui a posteriori. Il y a uniquement un contrôle de légalité dans 3 ou 4 domaines, ce qui laisse beaucoup de marge aux autorités locales. Donc, grâce au code des collectivités locales, on a des domaines où l’on sait que nous sommes légitimes et avons des compétences déléguées. Pourtant, chaque jour nous sommes en conflit avec le pouvoir central. Heureusement, notre gestion transparente et participative nous a beaucoup aidés dans les conflits où l’opinion a tranché.

Comment travaillez-vous avec les acteurs économiques pour les pousser à investir dans votre ville ?
Khalifa Sall :
Ceux qui viennent investir veulent des conditions physiques et financières pour sécuriser leurs investissements. Dans notre gouvernance, on a fait des Partenariats Public-Privé une priorité. La mairie n’a pas vocation à faire certains investissements, mais on doit initier, intéresser et accompagner les investissements. En parallèle à cela, nous faisons les investissements nécessaires pour mettre en place les structures qui font défaut. Nous faisons 25 milliards de francs CFA d’investissements en promouvant des dossiers d’Appel d’Offre où l’on essaye de promouvoir la micro-entreprise et la micro-finance. Aujourd’hui, on développe les programmes à Haute Intensité de Main d’œuvre. Ainsi, par exemple, la ville de Dakar a acheté le matériel pour refaire le pavé, et on a recruté des jeunes que l’on va former à poser et entretenir le pavé. C’est un projet de démarrage : on leur donne un savoir-faire, on leur donne un métier, ils obtiennent des revenus.
Pour nos investissements, nous allons maintenant sur le marché sans passer par l’Etat ; les villes peuvent aller sur le marché financier et international pour lever des fonds. Mes investissements, je ne les fais pas avec l’argent de l’Etat, je les fais avec des fonds privés, de l’argent privé que j’ai obtenu en présentant une ville rentable où il y a des opportunités de profit. Les villes se sont émancipées et autonomisées.
Aujourd’hui, par la coopération décentralisée, on a construit la diplomatie des villes. Martine Aubry était à Dakar il y a 15 jours. Cette diplomatie est devenue une réalité politique qui est en train de devenir économique. C’est une très grande transformation.

Quelle est l’importance de l’aide internationale au développement pour une ville comme Dakar ?
Khalifa Sall :
L’aide est un échec. Quand la France donne 10 000 euros, près de 5 000 euros reviennent en France : les travaux sont fait par les Français, les études aussi. Nous, on doit développer un savoir-faire, pas juste l’infrastructure. Après 20 ans d’aide et d’ajustements structurels, on saurait si l’aide marche. Aujourd’hui, on bâtit un partenariat où je dis ce que je veux, vous me dites ce que vous pouvez m’apporter, on discute, on s’entend. A Bruxelles, je leur parle de la non efficacité de l’aide. Moi, je n’ai pas besoin d’argent : le développement de la ville, c’est nous qui devons le faire. Ce que nous attendons des partenaires c’est du gagnant-gagnant ; nous avons les conditions pour que vous fassiez de l’argent, venez. La politique internationale devrait se concentrer sur cela. Aujourd’hui, le paysan qui cultive du coton doit faire face au coton européen et étasunien subventionné. C’est là le vrai problème, la détérioration des termes de l’échange.

 

Propos recueillis par Marwa Belghazi

 


[1] Budget et comptes administratifs de la ville consultables sur la page officielle : http://www.villededakar.org/