Intervention en Centrafrique : L’Afrique, toujours en retard

Terangaweb_Enjeux Centrafrique

Le régime de François Bozizé s’est effondré suite aux assauts soutenus de la « coalition » (Seleka en sango) des disgraciés, opposants, et mécontents. L’effondrement de ce régime a été la conclusion d’une série de troubles politiques et sécuritaires, symptomatiques de la faillite structurelle de l’État. La prise du pouvoir par cette coalition n’a pas permis de rétablir le monopole de la violence légitime de l’État dans ce pays, contesté depuis une dizaine d’années par des groupuscules armés dont certains sont originaires des pays voisins. L’anarchie et l’insécurité qui se sont installées et les séries de pillages commis par les éléments de la Seleka font qualifier la situation de « pré-génocidaire » par le département d’État américain. Après moult refus de s’impliquer dans ce dossier, la France annonçait ce 26 novembre l’envoi de 1 000 soldats pour résorber les tensions dans ce pays. La communauté des États africains, passive à certains égards, prenait acte, manquant encore une fois l’occasion de concrétiser un idéal longtemps proclamé.

Pourquoi cette situation pré-génocidaire?

Bien avant la chute du régime de François Bozizé, la Centrafrique possédait toutes les caractéristiques d’un État en faillite. Le nord de la Centrafrique était le repaire de groupuscules armés, rebelles à l’autorité des États voisins (comme le Front uni pour le changement du Tchad qui a lancé son offensive sur Ndjamena en 2008 à partir de cette région),  alors que les régions australes constituaient le territoire de nomadisation de groupes comme l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), du sinistre Joseph Kony. Le gouvernement de Bozizé a montré ses limites face à la prolifération de ces groupes, limites qui s’expliquent par des raisons plus néopatrimoniales que découlant de l’intérêt national. Le rapport de l’International Crisis Group de juin 2013, pour expliquer la démission de Bangui de certaines de ses régions comme la Vakaga et la Haute-Kotto, fait part de cette anecdote de Bozizé à son fils Jean-Francis, alors ministre de la défense : « si tu leur donnes tous les équipements qu’ils réclament, sois sûr que dans les quatre heures qui suivent, ils effectueront un coup d’État à mon encontre ».

Il n’est pas étonnant que face à cette démission de l’État et la mise à l’écart de certains groupes ethniques par le régime, tous ceux qui avaient des reproches envers Bozizé se soient coalisés au sein d’une organisation pour exprimer leurs griefs et, vu leurs premiers succès, prendre le pouvoir en République centrafricaine. L’Union des forces démocratiques pour le rassemblement (UFDR), la Convention des patriotes pour la justice et la paix (CPJP), la Convention patriotique pour le Salut du Kodro, principaux membres de la Seleka, ont commencé leur offensive contre Bangui en décembre 2012 avant d’être arrêtés par les forces tchadiennes de la Mission de consolidation de la paix en Centrafrique (MICOPAX). Le non-respect des accords de Libreville II et l’obstination du régime à trouver une solution militaire au conflit ont été parmi les facteurs ayant entrainé la reprise des hostilités, la défaite de Bozizé le 24 mars 2013, et sa fuite en hélicoptère pour le Cameroun, avec bien sûr cinq mallettes dont le contenu est aisément devinable.

La Seleka est une agrégation de groupes divers, unis le temps de quelques mois par leur opposition à Bozizé. Une chose est de prendre le pouvoir, c’en est une autre que de gouverner. Michel Djotodia, chef d’État de la transition, a dissous la Seleka en septembre 2013 mais n’a pu forcer les différents groupes à déposer les armes et à retourner à leurs occupations civiles. La présence de ces différentes milices, dont le gouvernement de transition s’est déchargé, a causé la multiplication d’actes de violence (pillages, viols, meurtres…) qui s’étaient manifestés lors de la marche vers Bangui de la coalition. Le gouvernement de transition, représentatif de peu, ne pouvait jamais assurer un contrôle ferme sur tous ces groupuscules, plus intéressés par l’appât du gain que le bien-être des populations, comme l’illustre les affrontements pour le contrôle des zones minières de Gaga. La prédation a progressivement pris une tournure ethnico-religieuse. Les exactions de ces groupes de combattants, majoritairement musulmans, ont entrainé la formation de milices d’auto-défenses des populations chrétiennes, qui désiraient « jouer le match retour » en s’attaquant aux populations musulmanes. Viols, meurtres d’enfants et de femmes, pillages, profanations de symboles religieux s’associent à la malaria pour créer une situation apocalyptique au cœur de l’Afrique.

L’Afrique et la France en Centrafrique

La passivité de certains pays et organisations du continent ont quelque peu rendu nécessaires (encore une fois) le déploiement des troupes françaises en Centrafrique. Dans la perspective foucaldienne, l’émergence de la biopolitique ou gouvernance des populations était LA manifestation de la modernité. Mark Duffield ajoute à ce concept une perspective marxisante (donc structurelle) pour analyser la gouvernance mondiale libérale et son corollaire, l’intervention pour garantir la sécurité humaine. Selon son interprétation des notions de « biopouvoir » et de « biopolitique » de Foucault dans Getting Savages to Fight Barbarians, la gouvernance des populations se manifeste aussi à travers les politiques de développement où les recommandations des organisations internationales et des États du Nord confinent les sociétés des pays en développement dans des systèmes auto-régénérateurs, censés assurer leur autonomie par le strict minimum, en gouvernant par procuration leurs conditions de vie malgré la fin de la colonisation. La perpétuation de ce cycle, par les sauvages (ceux qui veulent le développement proposé par le néolibéralisme) sur les barbares (ceux qui refusent, combattent le développement) n’est ainsi qu’une continuation de l’administration indirecte, par les chefs de canton, des populations colonisées. L’idéal du développement n’a de sens ainsi que par la réalité du sous-développement. Sans ce dernier, le premier n’aura aucun sens d’où la nécessité de le pérenniser.

La résurgence des conflits internes (et l’émergence des « nouvelles guerres » si l’on souscrit à l’hypothèse de Mary Kaldor) constitue une autre manifestation de cette dialectique. Pour Duffield, elle renforce l’importance du développement et l’intervention pour rétablir la sécurité humaine des différentes entités internationales.  Si l’État ne peut pas assurer le monopole de la violence légitime dans son territoire, il est ainsi légitime d’intervenir et de gouverner les corps. Dans le contexte centrafricain, les États africains ont eu des attitudes allant de la complicité avec la Seleka à la défense armée du régime de Bozizé.  Ce régime s’est progressivement aliéné le soutien de ses voisins comme le Tchad et le Gabon à cause du non-respect des accords de paix et de transition, signés sous l’égide de la Communauté économique des États d’Afrique Centrale (CEEAC). De plus, le Tchad reprochait au régime de Bozizé son inaction dans la région du Vakaga, région qui a servi à la tentative de renversement du régime de Déby par le Front Uni pour le Tchad (FUC) en 2006. L’inaptitude du pouvoir de Bozizé à contrôler ces régions et son obstination à ne pas respecter les accords signés sous les auspices du Tchad et du Congo-Brazzaville ont sans doute contribué à son isolement au sein des pays de la CEEAC.

Bourdes et malheurs se sont abattus sur Bozizé depuis son arrivée au pouvoir. Si l’on en croit le rapport de l’International Crisis Group de juin 2013 sur la situation dans ce pays, les rapports se sont refroidis entre la RCA  d’une part et la Guinée équatoriale et le Congo-Brazzaville d’autre part depuis le décès de l’ancien président Ange-Félix Patassé. Le soutien manifeste de la RCA à Nkosazana Dlamini-Zuma à la tête de l’Union Africaine au détriment du gabonais Jean Ping a réfréné les ardeurs de Libreville envers Bozizé. Il en est de même entre Bangui et Yaoundé suite à l’affaire Ntsimi.

En dépit de cet isolement régional, Bozizé a longtemps bénéficié du soutien politique et militaire de l’Afrique du Sud face à la Seleka, et à la froideur de ses voisins. Était-ce dû au soutien de Bozizé à la candidature de Dlamini-Zuma? Ou simplement à la  volonté de l’Afrique  du Sud de s’affirmer comme pôle de puissance en Afrique subsaharienne? Sans doute toutes ces considérations ont influé sur la décision de Pretoria de déployer des troupes dans cet État en janvier 2013.

L’intervention de l’Afrique du Sud, dans un rôle que la France endossait régulièrement dans ses anciennes colonies (Hollande a refusé de prendre des mesures actives en soutien au régime en décembre 2012), n’a pas pu empêcher la chute de Bozizé comme on le sait. Mais elle constituait un pas vers le règlement des affaires du continent par les pays d’Afrique, vœu pieu souvent proclamé dans les accords par États et organismes africains. L’Afrique du Sud postapartheid a toujours privilégié  la  résolution des conflits africains par l’Afrique, reléguant de ce fait à l’arrière-plan des États qui ont toujours eu une certaine idée de leur rôle en Afrique. Seulement, ce déploiement des troupes a été mal vu par les autres pays de la CEEAC. De même, les premières pertes humaines face aux éléments de la Seleka ont suscité un débat en Afrique du  Sud, sur cette intervention hors de la SADC. L’argument de la sauvegarde d’intérêts miniers a été même avancé par les détracteurs pour critiquer la position de Pretoria. Le Tchad, le Gabon et autres satellites de la France dans la région, comme on l’a vu avait déjà des reproches envers Bozizé et n’ont pas vu d’un bon œil cette politique sud-africaine. De même, ce n’est pas la première fois que Pretoria se heurte à Paris et à ses satellites dans la médiation de conflits internes en Afrique. Que ce soit en République démocratique du Congo qu’en Côte d’Ivoire, ces États ont toujours eu des approches différentes, ambitions qui ont sans doute aggravé les violences qu’ils voulaient endiguer.

L’Afrique, toujours en retard.

Face au risque de guerre civile ethno-religieuse en Centrafrique, une intervention pour préserver la sécurité des individus s’impose, qu’importe ce qu’on peut penser de la souveraineté de ce pays. L’incapacité de l’État à assurer la sécurité des individus et l’incapacité des États africains à prévenir tout d’abord le conflit Seleka-Bozizé et ensuite les actes prédateurs des milices armées sur les populations rend le déploiement des troupes françaises quelque peu nécessaire. Comme en Côte d’Ivoire et comme au Mali,  on note un échec de l’Afrique à trouver une solution à ses propres problèmes. Si Le Monde se demande : «Qui mieux que la France pour jouer les pompiers en République centrafricaine ? », c’est que les élites africaines ont encore une fois échoué à relever les défis de l’indépendance.

L’approche de l’Afrique du Sud (axée sur la défense de Bozizé) n’était sans doute pas la meilleure mais, soutenue et amendée par les entités africaines, pouvait grandement contribuer à éviter l’état dans lequel se trouve ce pays aujourd’hui. L’isolement de la Centrafrique au sein de sa région a de même contribué à cette situation. Au final, 1000 hommes seront déployés par Paris pour une intervention de courte durée. Sans doute, les États de la CEEAC viendront en appui pour résorber la crise avec le déploiement de leurs propres troupes. Fallait-il que les églises soient brûlées, les civils attaqués, les femmes violées pour que le monde réagisse. Il est vrai que tous les yeux étaient tournés vers le Mali durant cette année 2013. Le redéploiement de soldats tchadiens basés alors en Centrafrique dans ce pays a sans doute facilité la tâche au Seleka. Quoiqu’il en soit, cette intervention ne signalera pas la fin de la crise humanitaire en Centrafrique? Il faudra gouverner les corps, contrôler les populations, et puis ce sera au tour des ONG de jouer leur sinistre partition. Mais tout d’abord inciter les sauvages à réfréner les ardeurs des barbares.

Une histoire de la Centrafrique : Lettre ouverte à Barthélémy Boganda

Michel-Djotodia-chef-de-la-coalition-rebelle-S-l-ka-et-le-pr-sident-centrafricain-Fran-ois-Boziz-"Cher Patriarche Barthélémy, votre Oubangui-Chari est entrain de tarir ; au pied de votre tombe, je vous le dirai, ce soir !"

    « Rien ne s’accomplit de grand sans de grands hommes                                                                                                                                                                  Charles De Gaulle

 

Cher Patriarche Barthélémy BOGANDA, vous fûtes un grand homme ! Vous appartenez sans aucun doute à la communauté des Africains du siècle, ces Africains qui méritent éternelle reconnaissance. Vous faites partie de ces braves combattants, pères de notre (nos) indépendance(s), témoins des jours heureux et des deuils partagés. Votre pays fut jadis une terre bienheureuse. La Centrafrique est un beau pays au beau paysage, aux ressources abondantes. Mais, quel gâchis !

En ce dimanche saint, ce dimanche des Rameaux, l’information a fini de faire le tour du monde : les rebelles de la coalition SELEKA sont entrés à Bangui, obligeant le Général François Bozizé à plier bagages, à céder le trône, trône qu’il avait lui-même conquis par les mêmes procédés. Si le dimanche des rameaux commémore l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem, l’entrée des rebelles dans la capitale centrafricaine en cette veille du dernier dimanche avant pâques ne saurait être glorieuse. A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire… Triste !

Je suis triste que ce pays que vous avez tant aimé, vous le grand panafricaniste, soit suspendu de l’Union Africaine par son Conseil de Paix et Sécurité. La mesure est juridiquement et politiquement juste mais le fait que la Centrafrique l’ait méritée est regrettable. Le comportement de ses élites est inacceptable (coups d’Etat, complots, putsch, subversions, rébellions…).

A tout point de vue, Barthélémy BOGANDA a été un patriote sincère, un panafricaniste convaincu. Député de l’Oubangui-Chari de 1946 à 1958, il se distingua par ses prises de positions courageuses et son sens aigu des responsabilités. Rien d’étonnant pour ce géant dont le nom (Boganda) signifie dans une des langues locales : « Je suis ailleurs, je ne suis nulle part ». Rien d’étonnant pour ce chrétien qui avait très tôt exprimé sa volonté de devenir prêtre. C’est en 1946 que Mgr Grandi, évêque de Bangui l’incite à compléter son œuvre humanitaire et sociale par une action politique. Il est donc clair que Boganda est entré en politique au nom des plus hautes vertus, au nom d’un devoir sacré. En est- il de même pour ses successeurs ? Excepté Abel GOUMBA, et dans une moindre mesure David DACKO, tous ses successeurs n’ont jamais eu ce sens élevé des devoirs et cet absolu désintéressement. Boganda a été un grand panafricaniste. Pendant la période de l’autonomie interne des territoires, le patriarche Boganda avança l’idée d’une grande République Centrafricaine élargie à quatre territoires (l’Oubangui Chari, le Tchad, le Congo Brazzaville et le Gabon). Il avait fait de son mieux, malheureusement ! Selon Abel GOUMBA, compagnon de Boganda et ancien Vice-président de la Centrafrique, interrogé par France 5, lorsque le patriarche envoya une délégation à Libreville pour présenter ce projet de fédération, ils (les membres de la délégation) n’ont même pas été autorisés à fouler le sol gabonais. C’est ainsi que la délégation n’a même pas pu s’entretenir avec ceux qui tenaient uniquement à leur « petit Gabon ». Comme Houphouët Boigny de la Cote d’Ivoire, Léon MBA ne voulait pas que « son petit Gabon » devienne la « vache laitière » pour d’autres Etats. Triste ! Et pourtant, Boganda ne comptait pas s’arrêter là, car il voyait l’unité africaine en trois étapes : la République Centrafricaine d’abord, l’Union des ex-colonies des pays de langue latine ensuite, et enfin la Grande Union Africaine. Dommage !

C’est cette grande icône de l’engagement politique, ce membre du cercle des vrais leaders africains qui a disparu un dimanche de Pâques 1959, dans un accident d’avion dont les causes ne sont toujours pas élucidées.

Cher patriarche, votre disparition a plongé vos militants et votre pays dans un grand désarroi. La Centrafrique pleurera toujours son digne fils ! C’est votre cousin David DACKO, un instituteur, qui vous succéda mais il fut renversé fin 1965 par son cousin Jean Bedel BOKASSA, chef des armés qui a réussi à retourner la situation en sa faveur en neutralisant la gendarmerie. Et le calvaire commença ! C’est comme qui dirait que les deux grands fleuves de votre beau pays : l’oubangui et le chari commençaient à tarir, à ne plus être cette source à la grande eau.

Bokassa se fait couronner empereur en 1977. Bokassa 1er, Empereur de Centrafrique, s’appelait-il. Celui qui, pendant quatorze ans régna sur la Centrafrique, mérite assurément de figurer au panthéon de la bouffonnerie. Sous l’hermine, se cachait un dictateur aux méthodes impitoyables. Comme un tigre en papier ne peut jamais tenir longtemps, Bokassa est renversé le 21 septembre 1979 alors qu’il se trouvait en Libye par l’opération Barracuda sur ordre du président Français Giscard D’ESTAING. Un transit français dépose sur l’aéroport de Bangui son successeur (et prédécesseur) David Dacko, encore étonné du rôle qu’on lui a fait jouer. Vous avez toujours su que la France ne fait jamais les choses gratuitement. Les événements suivants vous donneront raison parce qu’il fut chassé du pouvoir le 1er Septembre 1981 par le Général André KOLINGBA qui instaura un régime militaire. KOLINGBA régna jusqu’à 1993, année où, suivant le courant de la démocratisation lancé par le sommet de la Baule, les premières élections multipartites ont lieu et Ange- Félix PATASSE est élu président de la République. Malheureusement, cette parenthèse démocratique sera de courte durée. En 2001, une tentative de coup d’Etat provoque de violents affrontements à Bangui. Malgré l’intervention de la communauté internationale (MINURCA), le 15 mars 2003, le Général François Bozizé réussit, avec l’aide de militaires français et de miliciens tchadiens un nouveau coup d’Etat et renversa le Président Patassé. Et le samedi dernier, les rebelles de la coalition SELEKA ont annoncé leur entrée dans Bangui, demandant aux Forces Armées Centrafricaines (FACA) de ne pas combattre et au Président François Bozizé de quitter le pouvoir ; quelques heures plus tard, ils prennent le palais présidentiel.

Voilà cher patriarche, l’histoire de votre patrie depuis que vous êtes partis rejoindre les cieux.
De l’outre-tombe, vous ne devez vraiment pas être fier de cette nation, je le présume. La vie (ou la mort) ne vous a même pas donné la chance de voir votre pays accéder à l’indépendance totale (en 1960) mais vous vous êtes acquitté de votre tâche avec abnégation. Pendant l’autonomie interne (à partir de 1958), votre pays étant devenu une République, vous l’avez dirigé en tant que chef charismatique, soucieux des préoccupations de son peuple. Hommage doit vous être rendu, comme du reste il doit l’être à tous ces patriotes africains, héros combattants, à qui nous devons l’indépendance dont certains sont hélas souvent mal connus. Sur ce registre, nous rendons un vibrant hommage à Kenneth KAOUNDA, premier Président de la Zambie indépendante (ex Rhodésie du Nord), quoi que l’on puisse dire. Surnommé le « Gandhi Africain », KAOUNDA a été inspiré dans son action politique et son comportement de tous les jours par les préceptes que GANDHI a enseigné aux communautés indiennes : non violence, désobéissance civile, résistance passive. Hommage et reconnaissance doivent être aussi rendus au camerounais Ruben UM NYOBE, surnommé Mpodol (le sauveur). C’est à lui que l’on doit la réunification du Cameroun par un discours mémorable à la tribune des Nations Unies. Il est l’une des figures emblématique de la lutte pour l’indépendance du Cameroun. Um Nyobé est mort assassiné par l’armée française le 13 septembre 1958. Il partagea cette fin tragique avec ses compagnons Félix- Roland MOUMIE et Ernest OUADIE. Il est vrai que UM NYOBE est proclamé héros national du Cameroun en juin 1991 ; cependant, il mérite d’être mieux connu et toute son œuvre ressuscitée.

 Que dire de Patrice Lumumba, leader du MNC (Mouvement National Congolais) qui refusa le paternalisme belge ? Lumumba est un héros, un martyr, sacrifié par les plans sordides des Belges combinés aux tactiques de la CIA, avec la complicité de certains de ses compatriotes, des figures affreuses qui ne voyaient pas au-delà du bout de leur nez. Quant à Lumumba, lui et deux de ses compagnons moururent atrocement, torturés, assassinés et leurs corps jetés dans une cuve d’acide sulfurique. Tout cela parce qu’il défendait la dignité de son peuple et l’unité de son pays (empêcher à tout prix les velléités sécessionnistes du Katanga et du Kassaï). Au Sénégal, le temps est venu de redonner à Mamadou DIA et à Valdiodio NDIAYE toute la place que méritent ces vieux lions, artisans de notre indépendance. Parlant d’eux je pense naturellement au Mali avec le grand Modibo Keita… La lise est longue !

 Assurément, les coups d’Etat en Afrique constituent un frein pour la démocratie, un véritable cancer. Les bruits de botte et des armes est de plus en plus assourdissant sur le continent. Il est temps de mettre un terme à ce cycle infernal, ce cycle peu honorable. Il s’agira d’accepter courageusement de mettre un terme aux « tutelles » et au « parrainage ». Collaborer avec l’ancien colonisateur sur des bases claires empreintes de respect réciproque et de sincérité. Il est impératif d’arrêter de convoiter les trônes que pour les lambris dorés du pouvoir, pour des intérêts égoïstes ou pour se venger de frustrations exclusivement personnelles. L’Afrique doit avancer, donc les africains doivent changer. Les informations reçues du continent périodiquement sont inquiétantes. Il appartient à la jeunesse africaine d’exiger un changement de comportement des élites en vue d’envisager l’avenir avec beaucoup plus de sérénité et d’espoir. Ce continent regorge de ressources innombrables, de talents connus ou cachés, une histoire, des leaders qui ont combattu pour l’indépendance et qui nous ont légué un héritage inestimable.

Il est temps que nous apprenions à noyer les passions particulières dans un bain de volonté générale, apprendre à nous surpasser pour sauver l’Afrique.

Boganda, vous aviez œuvré pour la cohésion, pour une Afrique prospère, c’était votre cri de cœur qui exaltait les vertus de l’unité, de la dignité et de la grandeur africaine. Votre projet de la grande République Centrafricaine avait commencé à inquiéter les milieux colonialistes, aidés par d’autres dirigeants africains qui n’avaient pas la même clairvoyance que la vôtre, c’est pourquoi vous vous êtes contentés d’une République Centrafricaine épousant les seules limites de l’Oubangui-Chari.

Nonobstant ces tourbillons, ces coups d’Etat, ces complots, ces reniements, il est encore possible de remettre ce pays sur les rails du progrès. Et j’ose espérer que la prochaine fois, je vous rendrai compte de choses moins tristes. Pourquoi pas, assez glorieuses ?

 

Jeu de yo-yo entre Bozizé et la Séléka en Centrafrique

Bozizé et sélékaIl faut regarder du côté de la Centrafrique, et, au-delà, de l’Afrique Centrale. Cette partie du continent connaît des troubles géopolitiques importants depuis près de deux décennies qui, la plupart, sont liés au désordre de l’orée des indépendances. La région des grands lacs est ainsi marquée par un conflit qui peine à s’éteindre, les deux Kivu de la RDC n’ont pas connu d’accalmie durable, le la RDC et le Rwanda s’affrontent quasi-ouvertement, et les personnes victimes de tuerie, d’actes de barbarie, ou de déplacement se comptent en centaines de milliers.

Mais la Centrafrique mérite une attention toute particulière, car le conflit qui y gît dénote un certain malaise au sein de la classe politique dirigeante d’Afrique Centrale. Le leadership diplomatique de cette zone n’arrive pas à se dessiner, même si avec le conflit centrafricain, celui du Congo Brazzaville et celui du Tchad s’affirment tant bien que mal. Combiné à une présence très gênante de la France, ce manque de leadership pose le problème de l’avenir politique d’une zone en proie aux velléités sécessionnistes.

Comme la plupart de ses voisins, la République centrafricaine a raté le cap de la reconstruction économique après la décolonisation survenue en 1958. Victime d’une instabilité au sommet de l’Etat après l’indépendance, elle parvient bon an mal an à réaliser un passage démocratique avec l’élection d’Ange-Félix Patassé en 1993, avec l’aide de la France. Mais cette instabilité institutionnelle va reprendre de plus belle dix ans plus tard lorsqu’il se fait renverser par le Général François Bozizé. Le régime de ce dernier fait face depuis 2004 aux violentes contestations de plusieurs factions rebelles.

On assiste depuis cette date à une sorte de jeu de yo-yo entre le pouvoir et les rebelles ; ces derniers font tomber des villes sous leur contrôle avant de les perdre, entérinent des accords avec le gouvernement et les rompent de temps à autre… La formation actuelle connue sous le nom de Séléka (Alliance en Sango) et qui regroupe notamment l’Union des Forces Démocratiques pour le Renouvellement (UFDR), dirigée par Michel Djotodia, ainsi que la Convention des Patriotes pour la Justice et la Paix (CPJP), semble faire double jeu, en prenant à partie la communauté internationale.
Ainsi, les Accords de 2007, qui prévoyaient une amnistie et une réintégration des troupes de l’UFDR dans les rangs de l’armée gouvernementale ont été rompus de manière unilatérale sous prétexte qu’ils n’étaient « pas respectés » par le régime de Bozizé (sic). Plusieurs villes tombent en décembre 2012 dont Bria (minière), Kabo et Ouadda. Cette grande offensive aura quand même eu le mérite de faire revenir le pouvoir à la table des négociations. Pour se faire octroyer des ministères-clés comme celui de la Défense, dans le gouvernement d’union nationale dirigé par Nicolas Tiangaye, issu de la société civile. Le Kwa na Kwa (parti de Bozizé) ne conserve que le Département des Affaires étrangères, de la Sécurité publique et celui de l’Economie, signe d’un affaiblissement de son pouvoir.

C’est pourquoi il faut regarder du côté de la Centrafrique, et, au-delà, de l’Afrique centrale. Le conflit centrafricain est révélateur d’un malaise profond, d’un point de vue diplomatique, au sein de la classe dirigeante de cette partie du continent. Ce malaise se transpose aujourd’hui jusqu’aux Etats-Unis d’Amérique et à l’ONU. Leur décision de faire retirer leur personnel non-indispensable, au cœur du conflit, traduit un désintérêt inquiétant pour l’avenir du pays et de la région. Il faut que la communauté internationale se penche sur le dossier centrafricain, pour conserver les acquis du gouvernement d’union nationale. La double implication tchadienne et congolaise est salutaire, car la Centrafrique a plus besoin de soutien politique, militaire et financier que de désengagement.

En ce qui les concerne, les deux parties en présence (Kwa na Kwa et Séléka), elles doivent chacune lâcher du lest dans leurs invectives réciproques, pour faire perdurer la paix et le gouvernement d’union. François Bozizé, en particulier, devrait s’occuper de la relance économique pour exploiter rationnellement les importants gisements miniers du pays avec l’aide des partenaires internationaux. S’il continue de présider aux destinées de son pays jusqu’en 2016, comme le prévoient les Accords, il a du pain sur la planche et le temps presse. Il ne devrait pas rendre les armes les poches pleines d’or et les mains pleines de sang. De son côté, la Séléka n’a pas fait la lumière sur ses véritables liens avec l’Armée de Résistance du Seigneur (rébellion ougandaise) ni avec la rébellion tchadienne. Des connivences avec celles-ci seraient impardonnables. Les responsabilités sont donc partagées dans le conflit centrafricain.