RCA : Une recrudescence des atrocités sous le regard indifférent de la communauté internationale

Alors qu’en début 2016 tous les regards étaient remplis de l’espoir de voir la République Centrafricaine (RCA) sortir d’une troisième guerre civile,[1] ce pays niché au cœur du continent africain n’aura pourtant connu aucun répit depuis. A deux doigts d’une nouvelle crise humanitaire grave, la violence dans le Sud-est du pays explose en raison de la rivalité entre groupes armés pour le contrôle du trafic illicite qui sévit dans la région.

Le Sud-est du pays : nouveau champ de bataille entre groupe armés

Depuis mai 2017, le Sud-est du pays est le théâtre de violents affrontements entre les groupes d’auto-défense anti-Balaka pro-chrétiens et animistes et les factions ex-Séléka pro-musulmanes, en constante quête de nouveaux contrôles territoriaux. Il faut dire que les enjeux sont particulièrement élevés dans cette région située à la frontière avec la République Démocratique du Congo, puisque les opportunités de contrôle des différents trafics illicites de diamants, or et café y sont particulièrement attractives. Le récent phénomène de vide sécuritaire, découlant du départ des forces armées américaines et ougandaises installées dans ladite région depuis 2011 dans le but de combattre l’Armée de résistance du Seigneur (LRA)[2], exacerbe l’intensité des affrontements dans cette nouvelle zone rouge.

L’artillerie lourde des groupes armés face aux casques bleus

En mai dernier, une attaque d’une violence inouïe et inédite depuis 2014 a été perpétrée dans le quartier musulman de Bangassou. Cette attaque a  engendré la mort d’au moins 26 civils et d’un casque bleu marocain, alors que plusieurs militaires de la MINUSCA avaient déjà péri à proximité du quartier  durant cette même semaine[3].

Selon les experts onusiens, il viserait délibérément une base de la mission de l’ONU en Centrafrique, à l’aide d’une artillerie particulièrement lourde, puisqu’il s’agissait de mortiers et de lance-grenades[4]. Ces faits semblent refléter un ressentiment croissant vis-à-vis des casques bleus, à travers une volonté d’intimidation claire de ces derniers. Les groupes armés semblent ainsi gagner à chaque fois un peu plus de contrôle sur les territoires de la frontière, poussés par des idéaux religieux véhiculés par la manipulation de leurs leaders.

Il faut bien avouer que l’impopularité des forces des Nations-Unies provient du bilan de leur mission sur le sol centrafricain. En effet, le bilan de la mission internationale de soutien à la Centrafrique en 2013, puis celui de l’actuelle MINUSCA, établie plus récemment, n’auront pas été particulièrement concluant jusqu’à maintenant. L’ambition centrale de la mission  des casques bleus – celle de démobiliser les groupes armés – se situe depuis plusieurs années au point mort, puisque ni le gouvernement ni les groupes ne semblent y trouver leur compte en matière de négociation[5]. De ce fait, malgré la mise en place d’un fonds de plus de 40 millions de dollars, les conditions politiques et sécuritaires empêchent l’ONU de répondre à ses objectifs et font que l’organisation peine à aller au-delà de ses fonctions de contingence. L’absence de capacités à générer le changement engendre un discrédit de l’organisme, qui ne joue pas en la faveur d’une sortie négociée du conflit entre les groupes religieux.

Le bilan du côté du gouvernement n’est pas plus flamboyant, puisque le spectre des décennies d’absence de gouvernance empêche le nouveau gouvernement de reprendre ses droits sur les territoires allant au-delà de la capitale. Les spécialistes parlent d’un état fantôme où le gouvernement serait incapable d’une gestion normale du pays jusqu’aux fonctions régaliennes les plus basiques[6]. Malgré le vent d’espoir engendré par les élections de 2016, l’absence totale de budget au niveau des provinces n’est pas de bonne augure pour une potentielle évolution positive de la situation[7].

Des atrocités subies par les populations à une crise humanitaire imminente

L’attaque de Bangassou atteste d’une vague de violence particulièrement barbare alors que cette région était  récemment encore considérée comme l’un des seuls sanctuaires du pays depuis le retrait de la force française « Sangaris » en octobre 2016[8].

En raison de la recrudescence de la violence, la RCA se retrouve à nouveau au bord d’une nouvelle crise humanitaire de large envergure. Selon UN OCHA[9], en mai dernier, plus de 100'000 personnes furent victimes de déplacement interne et 19'000 se seraient rendues en République Démocratique du Congo pour y chercher refuge.  Cette dernière vague de déplacement porte la valeur totale de la population déplacée proche du million, soit un quart de la population totale du pays[10]. Les trois-quarts restants dépendent encore largement de l’aide humanitaire internationale. Au final, le pays accuse un bilan dramatique, très proche de celui d’avant les élections de 2016, alors que les financements humanitaires enregistrés au début de l’année peinent à couvrir plus de 16% des besoins identifiés par l’ONU[11].

Au-delà de la crise humanitaire qui menace de sévir dans le pays, la totalité du territoire national souffre également de lourdes vagues de violations chroniques des droits de l’homme, commises de toutes parts, en raison de l’importance des ressources naturelles. Le « mapping des violations graves du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaires commises sur le territoire de la RCA de janvier 2003 à décembre 2015 », présenté au Conseil de Sécurité de l’ONU, est assez édifiant sur le sujet.

Quel avenir pour la RCA ?

Alors que tout laisse à penser que les zones rouges du conflit sont en fréquente évolution, n’épargnant aujourd’hui presque plus aucune partie du pays, et que le contrôle effectué par les forces rebelles ne cesse d’augmenter tant sur le plan territorial qu’économique,  l’inertie politique du Conseil de Sécurité des Nations-Unies et de la communauté internationale ne permettent pas d’espérer une issue négociée du conflit entre le gouvernement, les forces armées pro-chrétiennes et les forces musulmanes. L’incapacité des Nations-Unies à aller de l’avant avec le programme de « Démobilisation, Désarmement et Réintégration » des forces armées présentes sur le territoire, semble présager d’un maintien du statut quo, caractérisé par un Etat dépendant de l’aide humanitaire internationale, incapable d’administrer son territoire et dont la sécurité ne peut être garantie que par la présence de casques bleus onéreux sans grande capacité de contrôle. Seule une habile manœuvre diplomatique pourrait venir débloquer cette situation sans issue, à travers un regain de terrain et de force de négociation de la part du Conseil de Sécurité, en contraignant le Gouvernement à exiger des actions concrètes de la part des groupes, telles que la confiscation de l’économie de guerre[12]. Cependant, force est de constater que sans une active mobilisation à la fois des acteurs régionaux et internationaux, la République Centrafricaine restera encore longtemps sous perfusion humanitaire.

                                                                                                                                                                                              Nadge PORTA

 


[1] « Les élections en République centrafricaine reportées à mercredi », liberation.fr, décembre 2015 http://www.liberation.fr/planete/2015/12/25/les-elections-en-republique-centrafricaine-reportees-a-mercredi_1422888

 

 

 

[2] « Pourquoi la crise centrafricaine dure et va durer », lemonde.fr, mai 2017 http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/05/26/pourquoi-la-crise-centrafricaine-dure-et-va-durer_5134074_3212.html

 

 

 

[3]« L’ONU s’alarme de l’usage inhabituel d’armes lourdes en Centrafrique », lemonde.fr, mai 2017,  http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/05/19/l-onu-s-alarme-de-l-usage-inhabituel-d-armes-lourdes-en-centrafrique_5130323_3212.html

 

 

 

[4] Ibidem.

 

 

 

[5] « Pourquoi la crise centrafricaine dure et va durer», lemonde.fr, mai 2017 http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/05/26/pourquoi-la-crise-centrafricaine-dure-et-va-durer_5134074_3212.html

 

 

 

[6] Ibidem.

 

 

 

[7] Ibid.

 

 

 

[8] L’opération Sangaris avait permis, (avec 12'500 casques bleus à l’appui), le retour au calme à Bangui, la capitale de la RCA.

 

 

 

[9] United Nations Office of Coordination for Humanitarian Affairs. 

 

 

 

[10] « Central Africain Republic risks sliding back into major crisis », reliefweb.int, Juin 2017 http://reliefweb.int/report/central-african-republic/central-african-republic-risks-sliding-back-major-crisis

 

 

 

[11] UN OCHA Humanitarian Needs Plan for the Central African Republic.

 

 

 

[12] « Pourquoi la crise centrafricaine dure et va durer», lemonde.fr, mai 2017 http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/05/26/pourquoi-la-crise-centrafricaine-dure-et-va-durer_5134074_3212.html

 

 

 

Conflit en Centrafrique: où en sommes-nous?

Terangaweb_Enjeux CentrafriqueL’instabilité qui règne en Centrafrique depuis le coup d’état du 24 mars 2013 fait craindre le pire. Le coup d’Etat a plongé la RCA dans le chaos avec un risque de somalisation. Des pillages et attaques se produisent encore aujourd’hui dans la capitale. A cela s’ajoute un massacre ethnique entre des populations musulmanes et chrétiennes qui vivaient par le passé en paix et qui se déchirent actuellement sous le prétexte du religieux.


Et que certaines personnes considèrent comme une frustration entre une communauté nordiste longtemps marginalisée et qui a vu son heure venir pour s’accaparer  du pouvoir. Le drame que vit le pays ressemble davantage au conflit horrible entre Tutsi et Hutu au Rwanda, et à celui de la secte islamiste Boko Haram contre les chrétiens du Nord du Nigéria. Un climat d’insécurité qui interpelle la communauté internationale afin d’éviter un autre génocide au continent africain.

La Centrafrique, un pays dans le chaos

Tout est parti du renversement, en mars dernier, du régime de François Bozizé par une coalition de groupes armés d’opposition appelée « Seleka »[1] qui a pris le contrôle de Bangui, la capitale de la RCA. Cette coalition hétéroclite de mouvements rebelles a multiplié les exactions au cours de sa marche vers Bangui. Avant d'installer, une fois la capitale sous son contrôle, un président auto-proclamé : Michel Djotodia, dont la présidence a pris fin avec sa démission le vendredi 10  janvier lors du Sommet de la CEEAC à Ndjamena. Depuis lors, les violences n'ont pas cessé dans le pays malgré une légère accalmie observée après le départ de Djotodia.

Le pays s’enfonce depuis des mois dans un engrenage où on observe des exactions contre des populations civiles, le pillage systématique des villages, la désorganisation complète des services d’un Etat incapable d’assurer ses missions régaliennes. Originaires de la région du Nord du pays et majoritairement musulmans, les hommes de la Séléka ont créé un véritable désordre dans le pays. En dehors  de terrifier la population et de générer l’insécurité, les Séléka visent en effet spécifiquement les chrétiens (majoritaires dans le pays à plus de 80%). Ces derniers sont massacrés (enfants, jeunes comme vieillards), violés, mutilés, brûlés vifs et leurs commerces pour ceux qui en possèdent vidés. Par ailleurs, dans les zones où il existait déjà des tensions locales entre populations nomades et sédentaires, la présence de la Séléka a alimenté le conflit.

En réaction à cette criminalisation du pays par ces forces de la terreur, des milices se sont organisées : on les appelle les "anti-Balaka" (balaka qui signifie « machette » en sango). Au départ, c'étaient des villageois qui s'armaient pour se défendre contre les exactions de la Séléka. « Sauf que cela s'est transformé en attaques ciblées contre les musulmans, avec les mêmes brutalité et cruauté que la Séléka »[2]. Désormais on note des actes de vengeance, de représailles contre la population musulmane du pays. Et il ne se passe pas une journée sans qu’un musulman n’ait été tué ou lynché ou même que son activité ou son commerce soit vandalisé.

Le conflit semble prendre une tournure  inter-communautaire et laisse craindre « un conflit religieux et ethnique à l'échelle du pays avec le risque d'aboutir à une spirale incontrôlable débouchant sur des atrocités » affirme Ban Ki Moon. Si le terme génocide est avancé par certains, et considéré comme excessif par d’autres, nous pouvons dire avec le Ministre des affaires étrangères français, Laurent Fabius que nous ne sommes pas loin de cette situation. La situation humanitaire dans le pays est déjà très préoccupante, avec de nombreux morts et blessés sans oublier les malades et les affamés.

Des répercussions préjudiciables

L’impact de la crise centrafricaine est extrêmement lourd pour le pays et sa population, mais également pour les pays de la sous région. En effet, « L’ampleur des violations des droits humains perpétrées à travers le pays par les groupes armés qui sèment la mort et la désolation depuis mars 2013 est sans précédent »[1]. On note plus de 3 000 morts à ce jour d’après Amnesty International. De nombreux centrafricains vivent cachés dans des forêts avec la hantise de se faire massacrer par les Séléka ou par les anti-balaka. Et de nombreux enfants mineurs participent comme soldats dans cette crise du côté de la Séléka comme chez les anti-balaka. « Le désespoir du peuple centrafricain est plus profond que jamais du fait de ces atteintes persistantes et de grande ampleur aux droits humains, qui sont des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité »[2].

De même, le pays est en train de se vider de sa population qui trouve refuge dans les pays voisins. D’après l’Agence des Nations Unies pour les Refugiés (UNHCR), le nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays est estimé à plus de 400 000, contre quelque 94 000 au début de l'année 2012. Environ 65 000 individus se sont enfuis en République démocratique du Congo (RDC), en République du Congo (Congo), au Tchad et au Cameroun, de sorte que le nombre total de réfugiés centrafricains est aujourd'hui proche de 220 000. Le personnel des Nations Unies et de certaines de ses institutions spécialisées qui avait été évacué au lendemain des événements de mars est revenu dans le pays. Cependant, la présence d'individus armés d'un bout à l'autre du territoire crée une forte insécurité ; des incidents, dont des attaques contre les bureaux, les entrepôts et les véhicules des institutions onusiennes et des autres organisations, continuent de se produire. Cette situation a également de graves conséquences sur l'accès humanitaire, obligeant certaines organisations à réduire ou à suspendre à titre temporaire leurs opérations[3].

L’autre fait criard concerne la santé. L’impact des récents événements est extrêmement lourd pour un système de soins qui était déjà gravement dysfonctionnel. L’instabilité et la peur de se déplacer ont drastiquement réduit l’accès aux soins, la perte de revenus économiques rend, pour la population, le paiement des soins encore plus difficile, le système d’approvisionnement en médicaments, déjà défaillant, est désormais totalement inexistant. Depuis des mois, le système d’approvisionnement en médicaments est interrompu. Autant de raisons qui présagent une aggravation du déficit sanitaire dans les prochains mois surtout pour la communauté musulmane, menacée dans plusieurs villes du pays.

 La situation est aussi alarmante concernant la malnutrition dans le pays. Des indices au niveau national, relevant des enquêtes nutritionnelles conduites en juillet 2012 montrent des taux de Malnutrition Aigüe Globale de 8% et de Malnutrition Aigüe Sévère de 1,9%, comparables aux résultats de l’enquête de 2010. Le taux de malnutrition chronique est de 38,7%. Les plus  menacés sont les enfants qui sont exposés à ce phénomène dont le risque est l’augmentation du taux de mortalité infantile. L’instabilité et le problème sécuritaire ont aggravé les questions de sécurité alimentaire préexistant : mauvaises récoltes, marchés mal ravitaillés, pillages des faibles réserves de nourritures et volatilité du prix des denrées alimentaires. Le pays n’est plus ravitaillé suffisamment par ses voisins dont le Cameroun à cause du danger qui prévaut dans le pays. Les différents fournisseurs qui approvisionnent le pays craignent pour la sécurité de leur personnel à l’exemple des chauffeurs de camion qui transportent la marchandise en RCA et qui sont pour la plupart des musulmans. Une réalité préoccupante qui interpelle la communauté internationale pour sortir le peuple centrafricain du désespoir et du chaos.

Des réponses pour l’heure improductives

Hélas! actuellement les différentes réponses pour stabiliser et pacifier le pays sont vaines. La situation sécuritaire continue de se détériorer. Si l’opération Sangaris a permis de mettre en déroute les Séléka, celle-ci n’a pas pour autant empêché les massacres et le regain de violence entre les factions musulmanes et chrétiennes. Et la présence de la Mission Internationale de Soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA) pour une période de 12 mois officiellement pour mettre fin à la « faillite totale de l'ordre public, l'absence de l'état de droit et les tensions interconfessionnelles » est au ralenti par rapport à ses objectifs.

La mise en place du gouvernement de transition avec à sa tête Madame Cathérine Samba-Panza n’arrange rien tant le pays reste toujours dans une situation difficilement contrôlable. A cela s’ajoutent les anti-balaka qui sont devenues un casse tête chinois pour les autorités en place et les forces internationales qui apportent leur aide à la RCA. Celles-ci sont considérées comme « des ennemis  de la paix » selon le commandant de l’opération Sangaris, le Français Francisco Soriano. Les miliciens anti-balaka sont accusés de « stigmatiser les communautés » et  d' « agresser la force Sangaris ». Un autre problème qui se pose est celui de leur désarmement. Leur arsenal[4] est composé d’une variété d’armes dont l’origine ou la provenance reste pour la plupart inconnue. Ce qui montre que le chemin vers la réconciliation nationale, sans être un vœu pieux, est encore long et parsemé d’obstacles pour qu’on revoie un jour, musulmans et chrétiens marcher ensemble main dans la main.

Comme on peut le constater, la RCA doit dépasser le clivage ethnique pour sortir de la situation dans laquelle elle se trouve. C’est une action concertée et non exclusive qui est aujourd’hui envisageable pour le pays et prenant en compte toutes les parties au conflit. La paix et l’harmonie ne pourront revenir que, le jour où les communautés musulmanes et chrétiennes décideront d’enterrer la hache de guerre. L’exemple du Rwanda et le miracle Sud-africain, doivent inspirer les Centrafricains. Et cela représente un défi pour eux et pour la communauté internationale qui doit l’accompagner dans ce long processus.

Rodrigue Nana Ngassam

[1] Journée de solidarité avec le peuple centrafricain, SAMEDI 21 DECEMBRE 2013 DE 10H00 A 20H00

SALLE RENE-ROUSSEAU- 48, RUE JULES FERRY 94500 CHAMPIGNY – SUR – MARNE, « SORTIR LE PEUPLE CENTRAFRICAIN DU CHAOS », p. 2. http://www.journaldebangui.com/files/communiques/534.pdf (consulté le 07 février 2014 à 16h 12).

[2] Ibid.,

[3] Toutes les organisations humanitaires travaillant dans le pays ont été touchées par des incidents de sécurité depuis le début de la crise. À Bangui, les bureaux et les résidences des agences des Nations Unies et des ONG internationales ont été pillés à de multiples reprises. Le personnel qui a été menacé a rapporté de sérieuses conséquences physiques et psychologiques.

[4] Il s’agit des fusils automatiques, des mortiers, des mitrailleuses légères et mêmes lourdes, des grenades, des roquettes anti -chars et des obus de mortiers etc. 

[1] La Séléka, terme qui signifie « coalition » en sango (la langue nationale), est un regroupement de partis et de leurs ailes militaires, c’est un mouvement peu cohérent en réalité composé de bandes armées très autonomes. Si ce mouvement est centrafricain, il comporte également des mercenaires étrangers, notamment soudanais et tchadiens.

[2] Explique pour metronews Philippe Bolopion, directeur auprès de l'ONU de Human Rights Watch (HRW), depuis Washington où il s'est rendu pour témoigner devant le Congrès américain.

Intervention en Centrafrique : L’Afrique, toujours en retard

Terangaweb_Enjeux Centrafrique

Le régime de François Bozizé s’est effondré suite aux assauts soutenus de la « coalition » (Seleka en sango) des disgraciés, opposants, et mécontents. L’effondrement de ce régime a été la conclusion d’une série de troubles politiques et sécuritaires, symptomatiques de la faillite structurelle de l’État. La prise du pouvoir par cette coalition n’a pas permis de rétablir le monopole de la violence légitime de l’État dans ce pays, contesté depuis une dizaine d’années par des groupuscules armés dont certains sont originaires des pays voisins. L’anarchie et l’insécurité qui se sont installées et les séries de pillages commis par les éléments de la Seleka font qualifier la situation de « pré-génocidaire » par le département d’État américain. Après moult refus de s’impliquer dans ce dossier, la France annonçait ce 26 novembre l’envoi de 1 000 soldats pour résorber les tensions dans ce pays. La communauté des États africains, passive à certains égards, prenait acte, manquant encore une fois l’occasion de concrétiser un idéal longtemps proclamé.

Pourquoi cette situation pré-génocidaire?

Bien avant la chute du régime de François Bozizé, la Centrafrique possédait toutes les caractéristiques d’un État en faillite. Le nord de la Centrafrique était le repaire de groupuscules armés, rebelles à l’autorité des États voisins (comme le Front uni pour le changement du Tchad qui a lancé son offensive sur Ndjamena en 2008 à partir de cette région),  alors que les régions australes constituaient le territoire de nomadisation de groupes comme l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), du sinistre Joseph Kony. Le gouvernement de Bozizé a montré ses limites face à la prolifération de ces groupes, limites qui s’expliquent par des raisons plus néopatrimoniales que découlant de l’intérêt national. Le rapport de l’International Crisis Group de juin 2013, pour expliquer la démission de Bangui de certaines de ses régions comme la Vakaga et la Haute-Kotto, fait part de cette anecdote de Bozizé à son fils Jean-Francis, alors ministre de la défense : « si tu leur donnes tous les équipements qu’ils réclament, sois sûr que dans les quatre heures qui suivent, ils effectueront un coup d’État à mon encontre ».

Il n’est pas étonnant que face à cette démission de l’État et la mise à l’écart de certains groupes ethniques par le régime, tous ceux qui avaient des reproches envers Bozizé se soient coalisés au sein d’une organisation pour exprimer leurs griefs et, vu leurs premiers succès, prendre le pouvoir en République centrafricaine. L’Union des forces démocratiques pour le rassemblement (UFDR), la Convention des patriotes pour la justice et la paix (CPJP), la Convention patriotique pour le Salut du Kodro, principaux membres de la Seleka, ont commencé leur offensive contre Bangui en décembre 2012 avant d’être arrêtés par les forces tchadiennes de la Mission de consolidation de la paix en Centrafrique (MICOPAX). Le non-respect des accords de Libreville II et l’obstination du régime à trouver une solution militaire au conflit ont été parmi les facteurs ayant entrainé la reprise des hostilités, la défaite de Bozizé le 24 mars 2013, et sa fuite en hélicoptère pour le Cameroun, avec bien sûr cinq mallettes dont le contenu est aisément devinable.

La Seleka est une agrégation de groupes divers, unis le temps de quelques mois par leur opposition à Bozizé. Une chose est de prendre le pouvoir, c’en est une autre que de gouverner. Michel Djotodia, chef d’État de la transition, a dissous la Seleka en septembre 2013 mais n’a pu forcer les différents groupes à déposer les armes et à retourner à leurs occupations civiles. La présence de ces différentes milices, dont le gouvernement de transition s’est déchargé, a causé la multiplication d’actes de violence (pillages, viols, meurtres…) qui s’étaient manifestés lors de la marche vers Bangui de la coalition. Le gouvernement de transition, représentatif de peu, ne pouvait jamais assurer un contrôle ferme sur tous ces groupuscules, plus intéressés par l’appât du gain que le bien-être des populations, comme l’illustre les affrontements pour le contrôle des zones minières de Gaga. La prédation a progressivement pris une tournure ethnico-religieuse. Les exactions de ces groupes de combattants, majoritairement musulmans, ont entrainé la formation de milices d’auto-défenses des populations chrétiennes, qui désiraient « jouer le match retour » en s’attaquant aux populations musulmanes. Viols, meurtres d’enfants et de femmes, pillages, profanations de symboles religieux s’associent à la malaria pour créer une situation apocalyptique au cœur de l’Afrique.

L’Afrique et la France en Centrafrique

La passivité de certains pays et organisations du continent ont quelque peu rendu nécessaires (encore une fois) le déploiement des troupes françaises en Centrafrique. Dans la perspective foucaldienne, l’émergence de la biopolitique ou gouvernance des populations était LA manifestation de la modernité. Mark Duffield ajoute à ce concept une perspective marxisante (donc structurelle) pour analyser la gouvernance mondiale libérale et son corollaire, l’intervention pour garantir la sécurité humaine. Selon son interprétation des notions de « biopouvoir » et de « biopolitique » de Foucault dans Getting Savages to Fight Barbarians, la gouvernance des populations se manifeste aussi à travers les politiques de développement où les recommandations des organisations internationales et des États du Nord confinent les sociétés des pays en développement dans des systèmes auto-régénérateurs, censés assurer leur autonomie par le strict minimum, en gouvernant par procuration leurs conditions de vie malgré la fin de la colonisation. La perpétuation de ce cycle, par les sauvages (ceux qui veulent le développement proposé par le néolibéralisme) sur les barbares (ceux qui refusent, combattent le développement) n’est ainsi qu’une continuation de l’administration indirecte, par les chefs de canton, des populations colonisées. L’idéal du développement n’a de sens ainsi que par la réalité du sous-développement. Sans ce dernier, le premier n’aura aucun sens d’où la nécessité de le pérenniser.

La résurgence des conflits internes (et l’émergence des « nouvelles guerres » si l’on souscrit à l’hypothèse de Mary Kaldor) constitue une autre manifestation de cette dialectique. Pour Duffield, elle renforce l’importance du développement et l’intervention pour rétablir la sécurité humaine des différentes entités internationales.  Si l’État ne peut pas assurer le monopole de la violence légitime dans son territoire, il est ainsi légitime d’intervenir et de gouverner les corps. Dans le contexte centrafricain, les États africains ont eu des attitudes allant de la complicité avec la Seleka à la défense armée du régime de Bozizé.  Ce régime s’est progressivement aliéné le soutien de ses voisins comme le Tchad et le Gabon à cause du non-respect des accords de paix et de transition, signés sous l’égide de la Communauté économique des États d’Afrique Centrale (CEEAC). De plus, le Tchad reprochait au régime de Bozizé son inaction dans la région du Vakaga, région qui a servi à la tentative de renversement du régime de Déby par le Front Uni pour le Tchad (FUC) en 2006. L’inaptitude du pouvoir de Bozizé à contrôler ces régions et son obstination à ne pas respecter les accords signés sous les auspices du Tchad et du Congo-Brazzaville ont sans doute contribué à son isolement au sein des pays de la CEEAC.

Bourdes et malheurs se sont abattus sur Bozizé depuis son arrivée au pouvoir. Si l’on en croit le rapport de l’International Crisis Group de juin 2013 sur la situation dans ce pays, les rapports se sont refroidis entre la RCA  d’une part et la Guinée équatoriale et le Congo-Brazzaville d’autre part depuis le décès de l’ancien président Ange-Félix Patassé. Le soutien manifeste de la RCA à Nkosazana Dlamini-Zuma à la tête de l’Union Africaine au détriment du gabonais Jean Ping a réfréné les ardeurs de Libreville envers Bozizé. Il en est de même entre Bangui et Yaoundé suite à l’affaire Ntsimi.

En dépit de cet isolement régional, Bozizé a longtemps bénéficié du soutien politique et militaire de l’Afrique du Sud face à la Seleka, et à la froideur de ses voisins. Était-ce dû au soutien de Bozizé à la candidature de Dlamini-Zuma? Ou simplement à la  volonté de l’Afrique  du Sud de s’affirmer comme pôle de puissance en Afrique subsaharienne? Sans doute toutes ces considérations ont influé sur la décision de Pretoria de déployer des troupes dans cet État en janvier 2013.

L’intervention de l’Afrique du Sud, dans un rôle que la France endossait régulièrement dans ses anciennes colonies (Hollande a refusé de prendre des mesures actives en soutien au régime en décembre 2012), n’a pas pu empêcher la chute de Bozizé comme on le sait. Mais elle constituait un pas vers le règlement des affaires du continent par les pays d’Afrique, vœu pieu souvent proclamé dans les accords par États et organismes africains. L’Afrique du Sud postapartheid a toujours privilégié  la  résolution des conflits africains par l’Afrique, reléguant de ce fait à l’arrière-plan des États qui ont toujours eu une certaine idée de leur rôle en Afrique. Seulement, ce déploiement des troupes a été mal vu par les autres pays de la CEEAC. De même, les premières pertes humaines face aux éléments de la Seleka ont suscité un débat en Afrique du  Sud, sur cette intervention hors de la SADC. L’argument de la sauvegarde d’intérêts miniers a été même avancé par les détracteurs pour critiquer la position de Pretoria. Le Tchad, le Gabon et autres satellites de la France dans la région, comme on l’a vu avait déjà des reproches envers Bozizé et n’ont pas vu d’un bon œil cette politique sud-africaine. De même, ce n’est pas la première fois que Pretoria se heurte à Paris et à ses satellites dans la médiation de conflits internes en Afrique. Que ce soit en République démocratique du Congo qu’en Côte d’Ivoire, ces États ont toujours eu des approches différentes, ambitions qui ont sans doute aggravé les violences qu’ils voulaient endiguer.

L’Afrique, toujours en retard.

Face au risque de guerre civile ethno-religieuse en Centrafrique, une intervention pour préserver la sécurité des individus s’impose, qu’importe ce qu’on peut penser de la souveraineté de ce pays. L’incapacité de l’État à assurer la sécurité des individus et l’incapacité des États africains à prévenir tout d’abord le conflit Seleka-Bozizé et ensuite les actes prédateurs des milices armées sur les populations rend le déploiement des troupes françaises quelque peu nécessaire. Comme en Côte d’Ivoire et comme au Mali,  on note un échec de l’Afrique à trouver une solution à ses propres problèmes. Si Le Monde se demande : «Qui mieux que la France pour jouer les pompiers en République centrafricaine ? », c’est que les élites africaines ont encore une fois échoué à relever les défis de l’indépendance.

L’approche de l’Afrique du Sud (axée sur la défense de Bozizé) n’était sans doute pas la meilleure mais, soutenue et amendée par les entités africaines, pouvait grandement contribuer à éviter l’état dans lequel se trouve ce pays aujourd’hui. L’isolement de la Centrafrique au sein de sa région a de même contribué à cette situation. Au final, 1000 hommes seront déployés par Paris pour une intervention de courte durée. Sans doute, les États de la CEEAC viendront en appui pour résorber la crise avec le déploiement de leurs propres troupes. Fallait-il que les églises soient brûlées, les civils attaqués, les femmes violées pour que le monde réagisse. Il est vrai que tous les yeux étaient tournés vers le Mali durant cette année 2013. Le redéploiement de soldats tchadiens basés alors en Centrafrique dans ce pays a sans doute facilité la tâche au Seleka. Quoiqu’il en soit, cette intervention ne signalera pas la fin de la crise humanitaire en Centrafrique? Il faudra gouverner les corps, contrôler les populations, et puis ce sera au tour des ONG de jouer leur sinistre partition. Mais tout d’abord inciter les sauvages à réfréner les ardeurs des barbares.

Jeu de yo-yo entre Bozizé et la Séléka en Centrafrique

Bozizé et sélékaIl faut regarder du côté de la Centrafrique, et, au-delà, de l’Afrique Centrale. Cette partie du continent connaît des troubles géopolitiques importants depuis près de deux décennies qui, la plupart, sont liés au désordre de l’orée des indépendances. La région des grands lacs est ainsi marquée par un conflit qui peine à s’éteindre, les deux Kivu de la RDC n’ont pas connu d’accalmie durable, le la RDC et le Rwanda s’affrontent quasi-ouvertement, et les personnes victimes de tuerie, d’actes de barbarie, ou de déplacement se comptent en centaines de milliers.

Mais la Centrafrique mérite une attention toute particulière, car le conflit qui y gît dénote un certain malaise au sein de la classe politique dirigeante d’Afrique Centrale. Le leadership diplomatique de cette zone n’arrive pas à se dessiner, même si avec le conflit centrafricain, celui du Congo Brazzaville et celui du Tchad s’affirment tant bien que mal. Combiné à une présence très gênante de la France, ce manque de leadership pose le problème de l’avenir politique d’une zone en proie aux velléités sécessionnistes.

Comme la plupart de ses voisins, la République centrafricaine a raté le cap de la reconstruction économique après la décolonisation survenue en 1958. Victime d’une instabilité au sommet de l’Etat après l’indépendance, elle parvient bon an mal an à réaliser un passage démocratique avec l’élection d’Ange-Félix Patassé en 1993, avec l’aide de la France. Mais cette instabilité institutionnelle va reprendre de plus belle dix ans plus tard lorsqu’il se fait renverser par le Général François Bozizé. Le régime de ce dernier fait face depuis 2004 aux violentes contestations de plusieurs factions rebelles.

On assiste depuis cette date à une sorte de jeu de yo-yo entre le pouvoir et les rebelles ; ces derniers font tomber des villes sous leur contrôle avant de les perdre, entérinent des accords avec le gouvernement et les rompent de temps à autre… La formation actuelle connue sous le nom de Séléka (Alliance en Sango) et qui regroupe notamment l’Union des Forces Démocratiques pour le Renouvellement (UFDR), dirigée par Michel Djotodia, ainsi que la Convention des Patriotes pour la Justice et la Paix (CPJP), semble faire double jeu, en prenant à partie la communauté internationale.
Ainsi, les Accords de 2007, qui prévoyaient une amnistie et une réintégration des troupes de l’UFDR dans les rangs de l’armée gouvernementale ont été rompus de manière unilatérale sous prétexte qu’ils n’étaient « pas respectés » par le régime de Bozizé (sic). Plusieurs villes tombent en décembre 2012 dont Bria (minière), Kabo et Ouadda. Cette grande offensive aura quand même eu le mérite de faire revenir le pouvoir à la table des négociations. Pour se faire octroyer des ministères-clés comme celui de la Défense, dans le gouvernement d’union nationale dirigé par Nicolas Tiangaye, issu de la société civile. Le Kwa na Kwa (parti de Bozizé) ne conserve que le Département des Affaires étrangères, de la Sécurité publique et celui de l’Economie, signe d’un affaiblissement de son pouvoir.

C’est pourquoi il faut regarder du côté de la Centrafrique, et, au-delà, de l’Afrique centrale. Le conflit centrafricain est révélateur d’un malaise profond, d’un point de vue diplomatique, au sein de la classe dirigeante de cette partie du continent. Ce malaise se transpose aujourd’hui jusqu’aux Etats-Unis d’Amérique et à l’ONU. Leur décision de faire retirer leur personnel non-indispensable, au cœur du conflit, traduit un désintérêt inquiétant pour l’avenir du pays et de la région. Il faut que la communauté internationale se penche sur le dossier centrafricain, pour conserver les acquis du gouvernement d’union nationale. La double implication tchadienne et congolaise est salutaire, car la Centrafrique a plus besoin de soutien politique, militaire et financier que de désengagement.

En ce qui les concerne, les deux parties en présence (Kwa na Kwa et Séléka), elles doivent chacune lâcher du lest dans leurs invectives réciproques, pour faire perdurer la paix et le gouvernement d’union. François Bozizé, en particulier, devrait s’occuper de la relance économique pour exploiter rationnellement les importants gisements miniers du pays avec l’aide des partenaires internationaux. S’il continue de présider aux destinées de son pays jusqu’en 2016, comme le prévoient les Accords, il a du pain sur la planche et le temps presse. Il ne devrait pas rendre les armes les poches pleines d’or et les mains pleines de sang. De son côté, la Séléka n’a pas fait la lumière sur ses véritables liens avec l’Armée de Résistance du Seigneur (rébellion ougandaise) ni avec la rébellion tchadienne. Des connivences avec celles-ci seraient impardonnables. Les responsabilités sont donc partagées dans le conflit centrafricain.