« Man with a plan » : les défis du président Buhari

buhari-2015-mesageVoilà maintenant six semaines que Muhammadu Buhari a officiellement pris le pouvoir au Nigéria, après une élection historique. Le Major-Général a d’ores et déjà relevé un premier défi, et non pas des moindres : mettre fin à la domination du People’s Democratic Party (PDP), sans rival depuis l’instauration de la Quatrième République en 1999, et défaire un candidat au portefeuille largement mieux fourni pour conduire le Nigéria vers la première alternance démocratique de son histoire.

Six semaines, c’est bien peu pour juger de l’action de Buhari, au regard de l’ampleur de la tâche. Buhari a cependant déjà envoyé un nombre de signaux intéressants, et fixé sans doute possible sa première priorité : éradiquer Boko Haram. Conscient de l’embarras que représente la secte islamiste pour l’image internationale du Nigéria, le président y a consacré ses premières visites diplomatiques au Niger et au Tchad (qui s’étaient souvent plaints de l’attentisme de son prédécesseur) et au G7 en Allemagne, afin de mobiliser la communauté internationale. Le Cameroun, pourtant rarement en bons termes avec son voisin nigérian, devrait prochainement faire l’objet d’une visite de Buhari après la fin du Ramadan.

Aux efforts pour améliorer la collaboration régionale s’ajoutent ceux, tout aussi essentiels, pour améliorer l’efficacité de l’armée nigériane. Là aussi, les premiers signaux envoyés par Buhari sont prometteurs. Le commandement de l’armée devrait être déplacé dans les prochaines semaines d’Abuja à Maiduguri, plus près de la ligne de front ; la hiérarchie militaire vient d'être épurée des généraux incompétents mis en place par Goodluck Jonathan, remplacés par des officiers respectés par les troupes ; et les checkpoints militaires installés à travers le pays sans grande efficacité vont être démantelés pour libérer des effectifs supplémentaires. D’ici quelques mois, une fois la réorganisation de l’armée en marche, on peut s’attendre à ce que la lutte contre Boko Haram connaisse des avancées significatives.

Au-delà de Boko Haram, qui concentre l’attention des médias internationaux, Buhari aura fort à faire face à l’immensité des défis qui l’attendent. Morceaux choisis :

  • Relever les finances publiques, laissées dans un état déplorable par quinze années de gabegie.
  • S’attaquer à la corruption, généralisée à tous les échelons de l’État
  • Apporter l’électricité à un peuple habitué à vivre dans l’obscurité ou  le bruit des générateurs (pour ceux qui en ont les moyens).
  • Mettre fin au paradoxe qui fait que le plus gros producteur de pétrole du continent puisse régulièrement connaître de longues pénuries d’essence
  • Diversifier l’économie et s’extraire d’une dépendance au pétrole qui a montré ses dangers depuis la fin de l’année dernière, avec l’effondrement des cours du baril.

Face à ces défis, Buhari a pour instant opté pour une approche méthodique, prudente et sans précipitation. Le président consulte, écoute, lit beaucoup, et surtout prend soin de constituer une équipe plus compétente et intègre que ses prédécesseurs. Si la barre n’est certainement pas très haute, la tâche n’en est pas moins difficile, et révélateur des travers de la classe politique nigériane dans son ensemble. Selon certaines sources, seule une petite dizaine de « ministrables » auraient survécu aux enquêtes imposées par Buhari sur leur passé et l’origine de leur patrimoine, sur plus d’une cinquantaine de dossiers examinés. Séparer le bon grain de l’ivraie d’une manière aussi exigeante et méthodique est certainement chose nouvelle au Nigéria, plus habitué aux nominations imposées par certains parrains politiques ou dictées par des considérations ethniques ou régionales. L’exercice est de fait appelé à se prolonger encore quelques semaines : la composition du gouvernement n’est pas attendue avant septembre, soit quatre mois avant l’entrée en fonction du président.

Pendant ce temps, cependant, l’opinion publique s’impatiente. Déjà, certains commentateurs de la presse nigériane ont affublé au président un nouveau surnom, « Baba-Go-Slow » ; déjà, commencent à se propager des rumeurs sur son état de santé fragile, ses capacités intellectuelles limitées ou ses trous de mémoire supposés. C’est peut-être là le principal faux-pas de Buhari : maintenir les Nigérians dans l’expectative et donner libre cours aux spéculations. Que Buhari souhaite ancrer son régime sur des bases solides avant de lancer son programme de réformes est tout à fait louable ; mais à trop peu communiquer sur ces travaux préparatoires, il risque de donner l’impression d’un président sans repères et en manque d’initiative.

La bataille de l’opinion publique risque de ne pas être de tout repos, tant les attentes sont grandes. Améliorer la gouvernance et réformer les institutions apporte rarement des progrès visibles à court terme, et fait généralement se lever une armée de détracteurs qui avaient tout à gagner au statu quo. La comparaison avec le président guinéen Alpha Condé est instructive : si Condé a probablement fait plus pour son pays en cinq ans pour tous ses prédécesseurs réunis, le citoyen lambda n’a guère vu l’impact de ces réformes sur son portefeuille, et sa présidence s’est heurtée à une vague quasi-ininterrompue de mécontentement social nourri par des espoirs déçus.

Désireux tel qu’il est de faire bouger le système, Buhari va probablement connaître un scénario par moments similaire. Comment le président, ancien dictateur devenu démocrate, saura faire face à ces probables remous reste aujourd’hui une inconnue. Une chose est sûre : le Nigéria que Buhari s’apprête à gouverner est bien différent de celui qu’il avait dirigé d’une main de fer lors de son premier passage au pouvoir, entre 1983 et 1985. Entreprenant, ouvert aux médias, las de ses souffrances et  impatient de changement, ce Nigéria-là ne se laissera pas dompter. Goodluck, Mister Buhari !

Goodluck President Buhari !

-Nigerian people have decided! Muhammadu Buhari won the presidential elections, defeating Goodluck Jonathan. Buhari’s victory shows that the people of Nigeria want to experience change. They chose to believe in the promises of the charismatic 72 year-old.  

After several attempts, Buhari has been eventually elected president. It is a great victory for the former general who claims to have converted to democracy after governing the country for 20 months following a military coup.  

Recognizing defeat, Goodluck Jonathan made the –not so traditional- phone call to the victor.

Jonathan is one of the many leaders who bought the country to ruins. This man was the caricature of the careless, incompetent political leader, who had no concern for the fate of his country or the suffering of his people.  

Institutionnal alternance is essential for democracy

In spite of  fears and negative predictions, Nigeria achieved to organize democratic and transparent elections. The State and especially Attahiru Jega, the impressive President of the electoral commission (INEC), have to be congratulated for this achievement.

After 6 military coups and tragic post electoral violence, this was the first democratic alternation in the country. After 3 failed attempts, Muhammadu Buhari has finally become the President of Nigeria, putting an end to 16 years of the reign of the PDP (People's Democratic Party).

The difficulties are starting for President Buhari. He won the elections but he still has to transform a country plagued by corruption, poverty and precarity. The fall in oil prices puts a lot of pressure on the economy. The growth of the GDP, mostly consisting of the oil revenues, is not as inclusive. Millions of people are left out of the system. Two thirds of the population live under the poverty line, with less than a dollar a day.

Buhari's challenges for the future

Goodluck lost the presidential elections and the trust of many Nigerian people because he could not offer an efficient solution to the challenge posed by the Boko Haram sect. The case of the kidnapping of hundreds of young girls in Chibok is the perfect illustration to the chaotic governance.

The military defeats of the Nigerian army and its inability to protect the population from the massacres show that the State cannot guarantee the minimal security  to the population facing the abominations of Shekau and his men. In this article, I have already dealt with the scandalous behaviour of  the presidency at the massacre of 2000 people in Baga.

The Nigerians have lost trust in a State that is supposed to protect them. They feel that they have lost their dignity and cannot deal with the challenges ahead. The recent victories against the northern sect became possible thanks to the intervention of the military troops from Cameroon, Chad and Niger (country poorer than Nigeria) along with the Nigerian army.

The first challenge for Muhammadu Buhari is to find a solution to the Boko Haram situation. He has promised to give more weapons to the Nigerian army, to improve their training and to reinforce the intelligence service. In his latest speeches, the President has committed to take serious actions against Boko Haram, who has recently pledged allegeance to Daech. The new security policies of Nigeria will influence the stability of the whole region and the continent. Nigeria, which is the epicentre of Boko Haram threat, has to be strong and committed to fight against Shekau and his men in order to destroy the sect in the sub-region.

The other urgent challenge facing the Nigerian leader is to build a real unity in the country. This sense of unity is lacking in Nigeria, as well as in other countries. In 2011, the results of the elections showed a clear divide between the muslim majority in the North of the country and the Christian majority in the South. In 2015, the pathetic presidency of Jonathan has involuntarily mitigated the divide between the Christian south and the Muslim north where the shariah law is applied in some states.

Even if Jonathan has achieved to lose states that were traditionally hostile to a candidate from the North, the results of the 28th March elections show that there is a breach in the sense of nation and the solution for this problem will be long and difficult to find. Seeing the results of Buhari in the northern states (especially the states of Kano and Zamfara) and the scores of Jonathan in the states of Abia, Rivers, Delta and Bayealsa, it will be difficult for Buhari to unite all the people. He will have to create a sense of national unity, with the symbolism and the courage of his acts.

It is a good thing that the views of the former general on Shariah have changed. He is no longer against the application of the law on the national territory since 2011. During his electoral campaign, he guaranteed freedom of religion to every Nigerian citizen. It would be a big step for the country to implement clear acts in favor of secularism.

West Africa needs a strong Nigeria, with a dynamic economy and clearly defined policies. The sub-region needs a strong leader, and once that is established, it could serve as a model for the continent and its new hegemonic ambition. Can we count on President Buhari ? Let's wait and see.

Translated by Bushra Kadir