Eradiquer la menace terroriste au Nigéria par la coopération régionale: nécessité et moyens d’actions

nigeria-dc-protestLa présente note d’analyse s’intéresse aux initiatives nationales et régionales de lutte contre le terrorisme au Nigéria.  Elle établit le constat selon lequel la menace terroriste incarnée par la secte Boko Haram résulte de défaillances dans la gestion par l’Etat d’une secte religieuse ayant un fort ancrage local. La secte Boko Haram est analysée comme un mouvement religieux dont les actions se sont radicalisées au fil des années en réponse aux prises de position et de décision des dirigeants locaux et fédéraux nigérians. L’internationalisation de ses attaques en Afrique de l’Ouest et du Centre justifie la détermination des États de ces sous-régions à mener des actions concertées en vue d’aboutir à son éradication.  L’auteur analyse ensuite comment « la responsabilité de protéger » pourrait fonder l’organisation de l’action défensive et offensive régionale contre Boko Haram. Lisez l’intégralité de ce Policy Brief.

Boko Haram, cette barbarie ordinaire.

 

boko-haram-afpNos semaines sont rythmées par les attentats hebdomadaires de Boko Haram. Comme toujours, expériences syrienne et irakienne obligent, la lassitude essouffle les indignations. Progressivement, cette barbarie s’ordinarise. On prie pour en échapper, en psalmodiant sur le talisman de la chance ou de l’éloignement. Pour la logistique des carnages, l’hydre sous régional ne fait pas dans la grande production : une fille, une femme, un homme travesti en femme pour l’occasion, peu importe, un voile intégral, une ceinture explosive, un lieu populeux, bingo. Autre symbolique macabre, il semble y avoir un tarif-plancher de victimes : un peu plus d’une dizaine de morts. Maroua, Ndjamena, Fotokol, écoles expérimentales de l’adoption d’une nouvelle tragédie. Dans ce continent historiquement épargné par des attaques suicides ; il est glaçant de noter comme l’on consent, finalement, impuissants, à voir ces rubriques habiter nos bulletins d’infos.

S’en offusque-ton outre mesure ? Au-delà des 140 caractères où l’émotion s’étrangle ? Une marche ? Une veillée ? Au-delà de la dépêche où les pays expriment solidarité, émotion et condamnation ? A vrai dire pas vraiment. J’ai un nouvel appétit pour les communiqués officiels de dénonciation des attentats émanant des Etats africains. Ils disent mille choses qu’il faut savoir s’infliger malgré l’ennui diplomatique de leur conception. Les Etats africains sont prompts, à quelques milliers de mètres des abords immédiats du Lac Tchad, à témoigner « leur solidarité » avec les Etats frappés.

Le mot n’a jamais sonné aussi faux. Il n’a jamais été autant une imposture. Il n’a jamais si brillamment porté en lui,  la fuite, l’égoïsme et la peur. Pire que la fragilité, la pauvreté, les sociétés en lambeaux, les pays africains ajoutent une lâcheté à leur impuissance : la peur. De leurs grandes scansions panafricaines aux exaltations virilistes, ce que le combat contre Boko Haram révèle, c’est la peur. Pas celle naturelle de l’échaudé qui craint, pas sa variante prudente, pas même la phobie tétanisée tout à fait compréhensive de pays souvent suppliciés. Non, c’est une peur égoïste. C’est la peur poltronne et lâche du soldat qui laisse ses collègues en premières lignes. C’est le second ennemi au front.

Dans le front contre l’embryon de l’EI, le Tchad, le Niger, et un peu moins le Cameroun, ont tenu un rang honorable. Déby, tout couvert de tares qu’il soit, a réduit l’expansion du monstre. Il a rogné son territoire, essoufflé son autorité, l’a débusqué de sa forêt providentielle avec l’appui nigérian. Ne reste plus que la bête mal égorgée qui dans sa tourmente gicle et macule. Cette bête blessée et sa toile, qui a essaimé pernicieusement dans la sous-région. Une bête dont les hoquets vengeurs et désespérés ensanglantent les pays engagés. C’est en représailles que Boko Haram frappe le Cameroun et le Tchad. Il envoie un signal. Il met en garde. Il dissuade. Pour le moins, l’effet opère comme une anesthésie. Face à Boko Haram, les pays africains n’ont même pas mandaté, ils se sont tus, baignant dans leur peur d’être la cible.

Cette attitude dit ceci que la candeur géopolitique africaine demeure  inquiétante. Tant qu’une détermination et un travail concerté, impliquant tous les pays africains sans exception, pour lutter contre tous les terroristes, ne seront pas mis sur pieds, les zones de pourrissement changeront, sans que la source ne soit tarie.

Le terrorisme n’est pas l’affaire de malchanceux géographiques, c’est l’affaire de germes à l’affût d’une brèche de chaos géopolitique, c’est l’affaire de terreau de frustration et de fanatisme. Toutes choses que les Etats du continent cultivent abondamment. Cette peur fragmentera plus le continent, créant des inégalités, des porosités, des trafics dont les métastases se diffuseront très vite. Peut-être est-il temps que les sociétés civiles sortent du confort des dénonciations et de l’attentisme. Il ne suffit pas d’attendre la verticalité des sentences étatiques, il faut les presser, les orienter, les colorer.

Il n’y a pas de calendrier naturel de guérison des maux africains. L’Homme seul et son extension sociétale en tiennent l’antidote.  Il est des moments où les solidarités transnationales prennent, ce sont souvent des moments de douleur. Après la vague des indépendances, les décennies noires, le dit frémissement économique, il serait impardonnable à ce continent de rater l’opportunité de faire corps contre Boko Haram.  C’est un défi aussi urgent que formidable : une Afrique par le bas.

Elgas

Article initialement sur www.ajonews.info http://ajonews.info/peur/

 

Goodluck President Buhari !

-Nigerian people have decided! Muhammadu Buhari won the presidential elections, defeating Goodluck Jonathan. Buhari’s victory shows that the people of Nigeria want to experience change. They chose to believe in the promises of the charismatic 72 year-old.  

After several attempts, Buhari has been eventually elected president. It is a great victory for the former general who claims to have converted to democracy after governing the country for 20 months following a military coup.  

Recognizing defeat, Goodluck Jonathan made the –not so traditional- phone call to the victor.

Jonathan is one of the many leaders who bought the country to ruins. This man was the caricature of the careless, incompetent political leader, who had no concern for the fate of his country or the suffering of his people.  

Institutionnal alternance is essential for democracy

In spite of  fears and negative predictions, Nigeria achieved to organize democratic and transparent elections. The State and especially Attahiru Jega, the impressive President of the electoral commission (INEC), have to be congratulated for this achievement.

After 6 military coups and tragic post electoral violence, this was the first democratic alternation in the country. After 3 failed attempts, Muhammadu Buhari has finally become the President of Nigeria, putting an end to 16 years of the reign of the PDP (People's Democratic Party).

The difficulties are starting for President Buhari. He won the elections but he still has to transform a country plagued by corruption, poverty and precarity. The fall in oil prices puts a lot of pressure on the economy. The growth of the GDP, mostly consisting of the oil revenues, is not as inclusive. Millions of people are left out of the system. Two thirds of the population live under the poverty line, with less than a dollar a day.

Buhari's challenges for the future

Goodluck lost the presidential elections and the trust of many Nigerian people because he could not offer an efficient solution to the challenge posed by the Boko Haram sect. The case of the kidnapping of hundreds of young girls in Chibok is the perfect illustration to the chaotic governance.

The military defeats of the Nigerian army and its inability to protect the population from the massacres show that the State cannot guarantee the minimal security  to the population facing the abominations of Shekau and his men. In this article, I have already dealt with the scandalous behaviour of  the presidency at the massacre of 2000 people in Baga.

The Nigerians have lost trust in a State that is supposed to protect them. They feel that they have lost their dignity and cannot deal with the challenges ahead. The recent victories against the northern sect became possible thanks to the intervention of the military troops from Cameroon, Chad and Niger (country poorer than Nigeria) along with the Nigerian army.

The first challenge for Muhammadu Buhari is to find a solution to the Boko Haram situation. He has promised to give more weapons to the Nigerian army, to improve their training and to reinforce the intelligence service. In his latest speeches, the President has committed to take serious actions against Boko Haram, who has recently pledged allegeance to Daech. The new security policies of Nigeria will influence the stability of the whole region and the continent. Nigeria, which is the epicentre of Boko Haram threat, has to be strong and committed to fight against Shekau and his men in order to destroy the sect in the sub-region.

The other urgent challenge facing the Nigerian leader is to build a real unity in the country. This sense of unity is lacking in Nigeria, as well as in other countries. In 2011, the results of the elections showed a clear divide between the muslim majority in the North of the country and the Christian majority in the South. In 2015, the pathetic presidency of Jonathan has involuntarily mitigated the divide between the Christian south and the Muslim north where the shariah law is applied in some states.

Even if Jonathan has achieved to lose states that were traditionally hostile to a candidate from the North, the results of the 28th March elections show that there is a breach in the sense of nation and the solution for this problem will be long and difficult to find. Seeing the results of Buhari in the northern states (especially the states of Kano and Zamfara) and the scores of Jonathan in the states of Abia, Rivers, Delta and Bayealsa, it will be difficult for Buhari to unite all the people. He will have to create a sense of national unity, with the symbolism and the courage of his acts.

It is a good thing that the views of the former general on Shariah have changed. He is no longer against the application of the law on the national territory since 2011. During his electoral campaign, he guaranteed freedom of religion to every Nigerian citizen. It would be a big step for the country to implement clear acts in favor of secularism.

West Africa needs a strong Nigeria, with a dynamic economy and clearly defined policies. The sub-region needs a strong leader, and once that is established, it could serve as a model for the continent and its new hegemonic ambition. Can we count on President Buhari ? Let's wait and see.

Translated by Bushra Kadir

 


    

En finir avec les images dégradantes des Africains dans les médias !

dignity and respectL'Afrique a longtemps été victime des discours injustes sur son histoire et son développement. Aujourd'hui, ces discours ont légèrement changé de contenu notamment sur le plan économique. Cependant le continent est encore victime d'une image dégradante sur ses populations à travers les photos et vidéos qui y sont prises et diffusées massivement. L'image, ici fait référence à la représentation sociale qui est faite des populations africaines par les Africains eux-mêmes et par les autres. Quoique cette image ne soit qu'un reflet de notre perception, elle résulte d'images physiques, photos et vidéos, présentées par les médias et autres médiums de communications. En dépit du nouveau discours dont fait l'objet l'Afrique, la prise et la diffusion de ces images dégradantes prend de l'ampleur avec un caractère discriminatoire mais sous une responsabilité partagée.

 

Un phénomène de grande ampleur en progression

L'image de l'Afrique et de l'Africain fait souvent l'objet d'un traitement dégradant dans les médias. L'un des cas les plus emblématiques est celui de cette photo prise en 1994 par le photographe Sud-Africain Kevin Carter lors de la famine soudanaise.1 Cette image fige dans le temps un enfant soudanais, affaibli par la faim et la malnutrition, rampant vers le camp des Nations Unies devant un charognard attendant sa mort. Paradoxalement, cette photo a reçu le prix Pulitzer de 1994. De même, les prix Pulitzer de la photographie décernés en 1998 et 2004 représentent tous des enfants en prise avec les conséquences des conflits armés en Afrique.

Ces cas emblématiques masquent en réalité la multitude d'images photographiques et vidéos dégradantes sur l'Afrique, projetés tous les jours sur les panneaux publicitaires, les chaînes de télévision, les réseaux sociaux et les sites web. C'est le cas en particulier des images des violences en Centrafrique qui ont fait le tour du Monde. On y voyait alors des jeunes armés de machettes découper leurs concitoyens en raison de leur religions. L'Afrique des Idées avait d'ailleurs initié une pétition contre l'utilisation d'images dégradantes des victimes du conflit centrafricain. Les corps jonchant le sol après les attaques de Boko Haram dans le Nord Est du Nigeria sont exhibés dans les médias sans prendre la peine de flouter les visages. Le même traitement est fait des images issues des attaques des Shebabs à Nairobi et plus récemment à l'Université de Garissa. Jusqu'à une date récente, les victimes de la fièvre Ebola sont montrés dans leur agonie à la télé, comme si cela permettrait de les soigner ou d'éviter que d'autres ne soient contaminés. La liste est loin d'être exhaustive…

Un phénomène exclusivement africain ?

Certes, ces images de violence reflètent parfaitement la réalité des maux auxquels sont confrontés certains États africains. Cependant, elles véhiculent une image dégradante du continent et contribuent à saper la dignité de ses habitants. Or, les mêmes maux qu'elles mettent en évidence se retrouvent un peu partout dans le monde. Et pourtant, lorsqu'on examine le traitement fait des images de violence des autres continents ont s'aperçoit très vite du caractère discriminatoire de cette pratique. Les encadrés ci-dessous présentent le résultat d'une recherche effectuée sur Google Image avec le mot clé "violence continent" en remplaçant successivement continent par "Afrique", "Europe", "Amérique" et "Asie". Le résultat montre clairement le traitement discriminatoire que subit l'Afrique par rapport aux autres continents.

Les premières images qui ressortent lorsqu'on tape le mot clé "violence Afrique" sur Google Image montrent des victimes poignardées ou brûlées et des bourreaux armés de machettes ou de kalachnikovs. On y aperçoit même des enfants mutilés, des femmes en détresse, en somme des images épouvantables. Le résultat est encore plus choquant lorsqu'on fait une recherche vidéos: âme sensible s'abstenir. Cependant, sur les autres continents la recherche d'images de violence renvoie à des tableaux et graphiques statistiques, des caricatures ou des images de manifestations. Cela veut-il dire pour autant qu'il n'y a pas de violence sur les autres continents ? L'Afrique en a-t-elle le monopole ?

Résultat de la recherche d'image sur Google à partir du mot clé "violence continent" ce dimanche 5 avril 2015 à 13h à Paris.

Des responsabilités partagées

Le but de cette plaidoirie n'est pas d'identifier un accusé car malheureusement la responsabilité de cette situation est partagée entre les Africains eux-mêmes et les médias et ONG internationaux. En effet, ces images dégradantes sont également reprises par la plupart des médias africains. Dans le cas de Ebola par exemple, il est rare de trouver une chaîne africaine qui n'ait pas montré les images des ces dames pourchassées dans les rues du Libéria, de la Sierra Leone et de la Guinée par des êtres non identifiables vêtus de blanc. Les malades en agonie dans les camps sont présentés, interviewés sans aucune retenue. Il s'agit au fond d'une pratique généralisée du journalisme dans plusieurs pays africains qui ignore la dignité humaine dans des situations de détresse, car ce ne sont pas que des images de violence qui sont montrées mais généralement des images qui sapent la dignité de la personne humaine.

Dans ces conditions, comment peut-on interpeller les médias internationaux sur leur traitement des images des africains ? Qu'est ce qui empêcherait ces médias d'appliquer aux images des victimes africaines les mêmes règles en vigueur dans leur pays. Autrement, qu'est ce qui justifierait que l'on montre à la télé les vieilles villageoises souffrant d'Ebola alors qu'en même temps personne n'a jamais vu le visage d'un Européen victime d'Ebola. Et pourtant, il en existe. La recherche du sensationnel justifierait-elle ce traitement discriminatoire ?

Il existe pourtant des moyens simples d'inverser cette tendance en commençant par les Africains eux-mêmes. Dans la plupart des pays du continent, il existe des autorités indépendantes chargées de réguler la diffusion de l'information, de même que des observatoires de la déontologie des médias.

Ces institutions ont un rôle clé à jouer dans l'inversion de la tendance à la diffusion des images dégradantes sur l'Afrique. Il suffit pour cela qu'elles les interdisent, comme dans les pays Européens. Parallèlement, des actions concrètes de pétition à l'endroit des grands médias internationaux devraient les amener à signer une charte de traitement des images en provenance des zones de conflits et d'intervention humanitaire. Cette charte devrait être complétée par un mécanisme de classement des médias selon le traitement qu'ils font de l'image des africains.

D'aucuns peuvent objecter qu'il s'agit d'un épiphénomène par rapport à l'immensité des défis qui incombent aux pays africains. Certes, la satisfaction de besoins dits de base amène souvent à occulter la prééminence des dimensions psychologiques dans le processus de développement humain. Pourtant, que vaut bien un être conscient qui n'a aucune dignité ou en qui on ne place aucune confiance ? Que peut-il bien créer ou inventer ? Par ailleurs, ce traitement dégradant de l'image des Africains n'est à la gloire de personne puisqu'en définitive c'est bien l'image de l'Homme qui est dégradée indépendamment de la couleur de la peau, de la religion et du sexe.

Georges Vivien Houngbonon


 

1 Le photographe s'est suicidé trois mois plus tard après avoir pris cette image.

Nigerian politics : a small arrangement between friends

IBB-OBJ-and-GMB-150x150On the 28th of March, Nigeria, the largest economy in Africa, will be having its presidential elections. This will have an determining impact on the uncertain future of a country also dealing with the issues of violence with Boko Haram. The election, the most inclusive in the history of the country, could lead to a new wave of violence. Terangaweb.com has dedicated a series of articles to the elections and this first article by Tity Agbahey, is focused on the ambiguous relationships in the country’s political class. 

On the 28th of March, Nigerian voters will go to the polls to elect their new president. In a country with a population of about 178 million (also the largest economy in Africa), this time is usually troubling because it is almost always accompanied by election violence. However this year, the stakes are even higher as it may lead to the first party change since 1999. That was the year of return to civilian rule. Since then, the People’s Democratic Party (PDP) holds the power. The PDP candidate, Goodluck Ebele Jonathan is facing Muhammadu Buhari, the All Progressives Congress (APC) candidate. APC is a coalition of opposition parties which was created in July 2013. If Buhari wins the elections, Nigeria will be led by a different party. This represents a small revolution, very small. As a matter of fact, in Nigeria, there are no coincidences. Politics is an arrangement between friends. The fate of more than 100 million lives rests in the hands of small portion of the society, who are always the same people.

Ironically, even if President Jonathan’s critics claim he is “the worst president Nigeria has ever known”, his election in 2011 raised the hopes of many. It represented a change in a country where the political class always remained the same. Four years ago, Jonathan was presented as a man of the people, without ties to the upper reaches of power, since he is a native of a minority ethnic group that had been under represented in politics.

In an immensely rich country with a mostly poor population, the people identified with this man who told the story of his modest upbringing ‘‘with no shoes nor school bag’’. He is not a soldier and has never led the country. He was a clean slate. In fact, his political ascension looks much like an accident. In 2005, during his term as the deputy governor of his home state, Bayelsa, he was appointed as governor and replaced Diepreye Alamieyeseigha, who was impeached. Two years later, he moved on to Abuja, where he became the vice-president to Umaru Yar’Adua, who died in 2010. He, thus, became the president of the immense country. With no attachments, he said. Not even to the highest reaches of power, his mandate was doomed for failure right from the beginning. This is because in Nigeria, politics has been a game of soldiers (who are still involved today) for a long time, before civilians got involved. Some of them actually. And the same ones. In Nigeria, there are no coincidences. Why should the decision be left to the citizens when you can always agree among friends?
In 2006, as President Obasanjo’s mandate was ending, he tried to modify the constitution, so as to run a third time in the elections. Unfortunately, this motion was rejected by the Nigerian senate. So, Obasanjo was left with no other choice than to leave at the end of his second mandate in 2007. He decided to play the role of an elder statesman, who by all means must express his opinion about the political leaders of the country.

Nevertheless, there are other ways to govern. According to the zoning rule in Nigeria, political power is meant to alternate between the north and the south. After Obasanjo (south-west), the power was to go to someone from the north. Therefore, the outgoing president decided to support, infact impose Umaru Yar’Adua’s candidacy in the elections. Umaru Yar’Adua was the former governor of Katsina state and the brother of Shehu Musa Yar’Adua, vice-president to…Olusegun Obasanjo, while he was president under the military regime from 1976 to 1979. Nigerian politics is like a bad movie, always with the same characters that only change position and title. In that manner, Obasanjo was president from 1976 to 1979 under military rule and was president again under civilian rule from 1999 to 2007. At the end of his mandate, he was replaced by Umaru Yar’Adua, the brother of his vice president from 1976 to 1979.

On the other hand, Goodluck Jonathan’s supporters say that it is his lack of political bonds with the upper class of the political and military circles that is destroying the efforts of this Bayelsan native. They say that, some ill-intentioned politicians first sponsored Boko Haram. They did that to discredit Jonathan’s rule. Now, Boko Haram has become the monster that it is today. At one time, Boko Haram was sponsored by the Northern governors; however, the monster has grown wings of its own and is no more under their control. It is terrorizing both the north and south and makes no distinction between religion nor ethnic group. Nigeria has lost some of its territory to the terrorist group. The situation is alarming especially from a humanitarian perspective.

In 2011, we all thought that Jonathan would bring change. He, who had not yet known corruption, criminal indecency or ridicule. However, the American dream is not the Nigerian dream. In 2015, bruised, terrorised and desperate, Nigeria is trying to stop this enchanted interlude. Zoning can wait, truth can wait. For the time being, we want a saviour and as often as this happens, we do not have to search afar off. Muhammadu Buhari is an attractive choice for those who are looking for a radical response to the troubles of Nigeria.
In the soap opera of Nigerian politics since, Buhari has played quite a number of roles since 1960: Major General, Minister of Petroleum and natural resources under Obasanjo (from 1976 to 1979), and President from 1983 to 1985. Since then, he has been trying to return to power.
He lost three times (2003, 2007, 2011). Now, he runs for the fourth time and might just win. Nigeria needs fresh blood. Fresh blood at 72 years! Well no one cares, it is experience that matters and old friends like: Babangida, Yar’Adua and the undeterred Obasanjo.
Nigeria dey oh !

Translated by Onyinyechi Ananaba

Boko Haram au Cameroun : plaidoyer pour une architecture de sécurité régionale

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Boko Haram au Cameroun, ce n’est pas nouveau. Les incursions du mouvement terroriste dans le Nord du pays existent depuis un moment ; bien que leurs actions spectaculaires de ce mois de janvier attirent un peu plus notre regard. Il est certain qu’il ne saurait y avoir de hiérarchie pour les atrocités commises par la bande d’Abubakar Shekau, mais il est des actes à la puissance symbolique. Une puissance telle que la situation du Cameroun requiert l’attention de la CEEAC et de la CEDEAO en priorité, de l’Union africaine (UA) en second et de la communauté internationale globalement.

Au cœur de l’été dernier, « BH » comme les moque si bien l’humour camerounais (en référence au plat très apprécié Beignets Haricots) tentait d’enlever le Vice-Premier Ministre du Cameroun Amadou Ali dans sa localité de Kolofata où il séjournait pour la fête de la Tabaski. Tentative doublement symbolique puisque l’homme est à la fois un haut personnage de l’Etat et un notable de cette province frontalière du Nigéria. Ayant revêtu des uniformes de l’armée camerounaise et camouflé leurs voitures en véhicules officielles, les combattants de BH capturèrent le sultan de Kolofata et la femme d’Ali (libérés plus tard) et tuèrent le frère du sultan.

Aussi donc l’opération de déstabilisation par Boko Haram est-elle allée crescendo dans ses objectifs et dans ses cibles. Mais qu’est-ce qui motive Boko Haram au Cameroun ?  L’objectif est double. Dans un premier temps il s’agit de s’offrir une base arrière pouvant servir de repli en cas de regain des forces armées nigérianes. Dans un deuxième temps, le Cameroun permettrait de faire la liaison avec les extrémistes qui sévissent déjà en Centrafrique et au Tchad. Ce dernier objectif accréditerait la thèse selon laquelle, la convergence doctrinaire des mouvements sévissant dans les quatre pays que nous avons cités – s’il n’est pas encore totalement avéré – viserait à créer un bastion islamique en plein milieu de l’Afrique centrale.

L’obtention d’un bastion stratégique dans les Nord respectifs du Cameroun et du Nigéria n’est cependant pas chose aisée tant combattre sur deux fronts est déjà difficile pour une armée de métier. C’est sans compter sur le repli de l’armée nigériane ; repli provoqué par les revers infligés par Boko Haram et précipité entre autres par les considérations électorales qui saisissent le Président nigérian Goodluck Jonathan.

On mentionne beaucoup lesdites considérations comme cause principale de ce repli arguant qu’une autre déconvenue de l’armée enterrerait les espoirs de réélection du président sortant. Certes, c’est un facteur non négligeable  mais qui paraitrait presque secondaire tant les difficultés du pouvoir fédéral nigérian à pacifier et intégrer le Nord du pays sont anciennes. Il est honnête de préciser que ces difficultés ne sont pas particulières au Nord puisqu’au Sud, le Biafra des années 1970, le MOSOP des années 90 ou encore  le MEND d’aujourd’hui témoignent de difficultés qui touchent aussi le sud du pays et la région pétrolifère du delta du Niger. Boko Haram a fleuri sur un terreau fertile et il serait dommage de prendre les conséquences pour des causes.

Il n’en demeure pas moins que depuis que les militaires nigérians ont quelque peu baissé pavillon et semblent avoir abandonné à Boko Haram l’Etat du Borno frontalier du Cameroun, les militants ont pu se concentrer sur un seul front. Avec les conséquences malheureuses que nous connaissons.

Ces attaques en terre camerounaise s’accompagnent de tentatives de subversion propres à ces mouvements, dont le manuel de combat mêle guerre conventionnelle et guérilla. Avérée ou pas, cette subversion est un danger que les autorités camerounaises prennent au sérieux, vis-à-vis d’un mouvement qui souhaite couper du reste du pays le Nord à majorité musulmane. C’est ainsi qu’il faudrait interpréter l’arrestation en début janvier de 13 chefs traditionnels du Mayo-Tsanaga (département frontalier du Nigéria) pour complicité présumée de terrorisme avec Boko Haram. Il est encore trop tôt pour condamner ces hommes à qui la présomption d’innocence doit bénéficier mais au vu de la tentative de kidnapping évoqué plus haut, il n’est pas à exclure que Boko Haram dispose de « sympathisants » locaux.

Depuis ce kidnapping de juillet dernier qui causa la mort du frère du sultan de Kolofata, les incursions se sont multipliées, les combats intensifiés et les enjeux clarifiés. Le formidable renfort de 7 000 hommes décidé par le président camerounais Paul Biya répond à la prégnance de la menace. L’engagement camerounais dispense des enseignements à plus d’un égard. Tout d’abord il confirme la sensibilité des pays africains d’Afrique de l’Ouest et du Centre à la contamination des conflits révélant une fois de plus le problème des frontières. Mais plus que leur porosité, c’est le manque de coopération des États frontaliers qui est une nouvelle fois sur le banc des accusés. A cette culpabilité se rajoute une autre qui ne peut plus être ignorée tant les événements la mettent en évidence : le manque de coopération des organisations de sécurité régionale dans la prévention et la gestion des conflits.

Cette nécessaire architecture interrégionale est un défi que la situation actuelle doit permettre de développer ; car les conflits sont les malheureuses mais parfois nécessaires opportunités qui peuvent révéler d’heureuses entreprises. 

A l’heure où ces lignes sont écrites, la question nigériano-camerounaise de Boko Haram –  puisqu’il ne faut plus séparer les deux – fait l’objet d’une proposition de création d’une force multinationale, reste à savoir si le mandat se fera sous l’égide de l’UA et quels rôles joueraient la CEDEAO et la CEEAC.

Bien entendu, nous nous garderons d’un optimisme béat ou même trop prononcé puisque le souverainisme des Etats – celui du Nigéria dans le cas en l’espèce – tend à s’exacerber au fur et à mesure que la crise s’aggrave, sempiternel obstacle de l’intégration continentale… Ainsi le président Jonathan réitère-t-il le principe de non-ingérence et souhaite régler le problème en s’associant au Cameroun, à la République Centrafricaine et  au Tchad qui a décidé de prêter main forte aux deux premiers.

Quoi qu’il en soit, ce qui se passe aujourd’hui à la frontière du Cameroun et du Nigéria fustige la rigidité  coupable des frontières de nos espaces régionaux. Le temps de  l’intégration par cercles se passe de mode car les menaces que posent Boko Haram (ou encore Ansar Dine dans la bande sahélienne) la rendent obsolète – en matière de sécurité du moins. Les agissements de ces derniers et leurs « succès » témoignent qu’eux ont compris que la « transfrontalisation » des enjeux est un atout. A nos États de comprendre que l’inter-régionalisme est le nôtre.

Enfin dernier point et non des moindres : celui de la circulation des Armes Légères et de Petit Calibre (ALPC). Aujourd’hui plus d’un milliard d’armes légères et de petit calibre circuleraient dans le monde entier selon les estimations du Graduate Institute Studies de Genève. Une portion considérable de ce milliard alimente des groupes comme Boko Haram ou encore Ansar Dine. Malheureusement à cette prolifération des ALPC se rajoute maintenant le danger des armes lourdes qui essaiment davantage depuis la crise libyenne. A tel point qu’aujourd’hui certaines armées africaines déjà si peu bien dotées doivent faire face à des ennemis qui font plus que rivaliser par leur puissance de feu. Mais là il faudrait aussi évoquer l’autre immense écueil qu’est le manque de ressources et de professionnalisation des forces de défense et de sécurité en Afrique. Mais ça c’est un autre débat, un autre article…                              

Cheikh GUEYE

 

 

Annus Malum ou Annus Bonum ?

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Par rapport à 2013, l'année 2014 a connu moins d'événements significatifs. Cependant, lorsqu'on regarde en Afrique, les populations civiles et certains hommes politiques ont passé soit un Annus Malum ou un Annus Bonum.[1] Cet article revient sur ces événements phares afin de constituer une référence par rapport à laquelle les événements de l'année 2015 pourront être mis en perspectives.

Annus Malum pour les populations Guinéennes, Sierra-Léonaise et Libérienne qui ont été frappées par l'éruption de l'épidémie de maladie à virus Ebola en 2014. Nul besoin de refaire l'arithmétique macabre pour évoquer la violence de cette épidémie. Au-delà de ces populations c'est tous les Africains qui ont vécu sous la peur de voir les perspectives d'émergence économique ralenties par une épidémie dont le vaccin ne leur était pas accessible. Alors que le problème du manque d'infrastructure est pointé du doigt pour expliquer la propagation de l'épidémie, on ne peut pas manquer de souligner le manque extrême de recherche médicale en Afrique sur les maladies tropicales, surtout lorsqu'on sait que le virus a été identifié depuis 1976.

Annus Malum pour les populations Nigérianes obligées de vivre sous la terreur du groupe islamiste Boko Haram. Cette terreur a atteint son paroxysme lorsque le 14 avril, plus de deux cent filles ont été enlevées à Chibok dans le Nord-Est du pays. Au delà de l'émotion que cette situation peut susciter, il est intriguant qu'elles n'aient pas eu le bonheur de fêter les fêtes de fin d'année avec leurs proches et amis dans le premier Etat producteur de pétrole en Afrique. Il ne se passe plus une semaine sans qu'un attentat n'arrache la vie à des personnes vacant tout simplement à leurs occupations quotidiennes. Cette situation met en évidence que le terrorisme se nourrit surtout de la pauvreté et des inégalités. La redistribution des richesses et la mise en place de politiques sociales dans les couches vulnérables de la société devraient donc être privilégiées comme solutions de long terme de prévention du terrorisme.

Annus Malum pour les pays producteurs de pétrole en Afrique avec la chute vertigineuse des cours du pétrole. Cette situation vient leur rappeler que la dure loi de l'offre dont l'abondance fait nécessairement baisser les prix, mais aussi la dépendance du cours par rapport au contexte géopolitique et au progrès technologique notamment dans les énergies renouvelables. Il convient dès lors d'envisager l'utilisation des moyens financiers générées par ces ressources naturelles pour construire les bases d'économies nationales moins dépendantes des ressources naturelles et génératrices de recettes publiques pour le financement des infrastructures du développement.

Annus Malum, voire même "Annus Horibilis" pour Blaise Compaoré qui s'est vu obliger de fuir son pays comme un vulgaire individu après avoir consacré 27 années de sa vie à se faire réélire président de son pays. Ce triste sort vient rappeler aux dirigeants qui s'éternisent au pouvoir ou qui ont l'intention de le faire la nécessité de favoriser le renouvellement du leadership. Au cœur de ce constat se trouve la question de l'organisation de la vie politique dans les pays Africains. Tout se passe comme si lorsqu'il n'existe pas d'opposition ou tout simplement une organisation politique capable de proposer une alternative, les dirigeants au pouvoir profitent pour mettre la main sur certains secteurs importants de l'économie ou ne sont plus découragés de commettre des délits ou crimes. Dans ces conditions, quitter le pouvoir est tout simplement synonyme de vulnérabilité.

Faut-il dire Annus Bonum pour la francophonie qui a échappé à la règle en renouvelant son leadership avec en prime une femme, fruit du métissage, en la personne de Michaëlle Jean ? Certains Africains y verront plutôt un Annus Malum dans la mesure où le nouveau président n'est pas de nationalité africaine. Ces malentendus montrent à quel point le défi de l'intégration culturelle reste à relever au sein de l'espace francophone pour faire en sorte que les peuples qui y vivent fassent abstraction des "différences administratives" pour embrasser l'idéal de partager une langue commune qu'est le français.

Faut-il dire Annus Bonum pour la démocratie en Afrique qui semble faire des progrès avec l'élection d'un président démocratiquement élu à Madagascar et en Tunisie ; mettant fin à des transitions politiques instables. Cependant, à y voir de près, le pouvoir n'a fait que changer de tête à Madagascar alors qu'en Tunisie il reste dans les mains d'une génération dont on se demande si elle mesure encore les enjeux des décennies à venir. Que ce soit en Tunisie ou au Burkina Faso, voire même en Egypte, partout où des soulèvements populaires ont renversés des régimes existants, force est de constater que l'absence d'une alternative crédible, ou du moins d'une structure d'idées, laisse place à la régénération de l'ancien régime.

Pris ensemble, ces événements viennent rappeler une fois de plus en quoi les questions liées à la santé, à l'éducation, à la création et à la redistribution des richesses, ainsi que celles liées au fonctionnement des institutions politiques demeurent des défis à relever en Afrique. Alors que le continent s'engage dans une phase de croissance, quelles sont les stratégies sur lesquelles ces gouvernements devraient miser pour s'assurer que cet épisode de croissance soit la promesse de futures Annus Bonum pour l'ensemble des populations africaines. Il est vain d'en fournir les détails ici, mais nous nous tâcherons de proposer dans un prochain article une présentation schématique des alternatives qui s'offrent aux gouvernements africains. En attentant, Annus Bonum à tous.

Georges Vivien Houngbonon


[1] Les termes latins "Annus Malum" et "Annus Bonum" se traduisent comme "Mauvaise année" et "Bonne Année" respectivement.

Le frère Abubakar

Abubakar Shekau
Credit photo: AFP

Je me suis amusé à imaginer ce qu’aurait pu être Abubakar Shekau s’il avait dévié de la voie de tueur. Il en ressort quelques projections intéressantes, dont une assez évidente : Shekau n’est pas la naissance dans une île déserte d’un monstre comme on s’emploie à le dire. Tout dans cet homme suinte la consanguinité de plusieurs éléments identitaires en vogue dans le continent, à qui, cette fois-ci, la charge tueuse du terrorisme apporte la folie de la mort. Shekau a des dizaines de géniteurs, personnes ou idéologies, tous plus ou moins, ont été aux premiers plans de la scène africaine. Contestés ou adulés, ils annonçaient l’arrivée de l’enfant maudit.

C’est, nous confient les rares biographies qui daignent parler de sa vie, entre 65 et 75 que serait né Shekau. Ça donne du temps pour naître, ma foi. Enfance pauvre dans le nord du Nigéria. Rudesse de la vie de rue. Tentation des stupéfiants. Autodidacte. Séjours en asile pour malades mentaux. Evasion presque mythifiée de ces mêmes établissements. Sa vie est romanesque mais à coup sûr, on en ferait un mauvais livre. L’homme, au contraire des génies du crime, est assez creux. Il offre assez peu de sophistication dans son œuvre, c’est un garçon qui rêve au type gangster, qui se saoule à sa cuvée : le révolutionnarisme, le virilisme, la rébellion. Le cas est rude mais la légende est en marche. Comme toujours, l’ingrédient majeur qui oriente une destinée, c’est une rencontre : il en fait une, celle de Mohamed Yusuf. Le creux jadis, s’inonde désormais du texte religieux, rincé jusqu’au pourpre du sang. Pour aboutir le legs, il épouse la femme de son mentor quand il trépasse. S’abreuver aux mêmes orifices.

Entre la fascination qu’il trouve à cette voie, l’idolâtrie qu’il voue au frais modèle, l’appel à la vie de héros macabre, la réalité d’un Nord-Nigéria qui a épousé la charia dans des noces aphones mais mielleuses, Shekau naissait véritablement à la terreur. C’est en substance ce qu’on apprend, de manière ramassée, de la vie de cet homme. De là, viendraient les barils de sang. Les moissons de jambes explosées. Le chaos chez le colosse d’Afrique. L’émoi vif d’une centaine de fillettes offertes à l’indécence des Hommes. C’est assez recevable, on fait bien sans doute de se nourrir de ces biographies, on aurait tort de s’y emprisonner.

Mohamed Yusuf n’est pas son seul mentor. Yaya Jammeh et Dadis Camara sont des pères à la marge. Ils auront débroussaillé un genre : celui du ridicule politique, porté par l’énergie, enraciné par l’usage du crime, familiarisé par une déraison que l’on finit par adopter. Des bouchers de guerre que les deux décennies africaines 80-2000, ont engendré, des Ansoumana Mané, en passant par Kony et bien d’autres, il tient cette insensibilité face à la mort. Pour combler un déficit de crédit, il adopte la recette de Jammeh et bien d’autres. Il faut porter Dieu en bandoulière : Yaya l’a sous forme de coran à la main, Abubakar sous forme d’épée, à la main aussi. Des pasteurs, leaders religieux, qui répandent l’oraison du fanatisme dans le continent, il tient cette emprise sur les siens qui procède par la transe. Du soufisme, dont il n’est pas du reste, il tient probablement ce refus de tout confort, cette « hygiène douteuse », cette réclusion des lumières du monde et la martyrologie d’un combattant de Dieu. Des jeunes rappeurs révolutionnaires, il tient cette empreinte de son passé urbain. Des exciseurs et bourreaux des femmes, il emprunte cette infériorisation des femmes, qu’une culture locale avait déjà balisée. Mais ces consanguinités et affinités ne sont pas les seules car Shekau dit « aimer l’Afrique ». Il l’aime virginale. Sans souillure occidentale. Sans école. Dans une pureté identitaire et religieuse qui n’autorise le compromis. Il dit que c’est le cœur de son combat. On n’est pas à l’abri qu’il invoque Machiavel pour expliquer ses moyens pour y parvenir…

On ne peut dire qu’il soit le seul dépositaire d’un tel discours. Après des siècles de dégringolades, le panafricanisme, mute, se régénère le souffle, dans ce dévoiement total qui s’alourdit de la mort. Voilà le drame de cet homme et du nôtre : il prétend se battre pour l’Afrique. On ne pourra pas éternellement, d’un revers de main, le pointer du doigt comme le mauvais enfant d’une famille, sans qu’elle-même ne soit comptable. Shekau s’est nourri par petites bouchées, de tous les résidus qui traînent dans le continent. Même dans l’exercice de mise en scène personnelle auquel il s’adonne, où le comique le dispute à la tragique désinvolture, il rappelle le fringant Dadis Camara à son pinacle, sermonnant à loisir un monde à ses pieds.

C’est de cette partie peu visitée de sa vie, où Shekau apparaît tout simplement comme notre frère, qu’il faut parler. Il ne nous est pas étranger. Il est la somme, comme le synthétisent toutes les poubelles, de toutes les déjections idéologiques que l’on jette en pâture au motif de la prophétie d’un retour à des « valeurs du passé ».

Quand la terreur s’appelle Boko Haram

JPG_BokoHaram_110614Effroi, indignation et incompréhension. Tels sont les sentiments qui règnent lorsque le nom du groupe islamiste nigérian Boko Haram est mentionné dans les médias. Considéré comme une secte ou un mouvement terroriste à doctrine essentiellement anti-occidentale, Boko Haram semble aujourd’hui invincible. Ses sévices font trembler le géant économique africain, des régions du nord jusqu’au cœur de la capitale, Abuja. De 2002 à 2014, le nombre de victimes n’a cessé de croître et la fragilité inquiétante de l’armée et du gouvernement nigérians n’en rendent pas la situation moins complexe. 

Là où tout a commencé

Boko Haram n’est certainement pas le premier groupe à s’être inscrit dans la mouvance islamiste au Nigéria. L’islamisme radical au Nigéria a émergé à partir des années 1970, avec notamment le mouvement de Muhammad Marwa (« Maitatsine »),  un jeune prédicateur du nord-est du Nigéria. Cependant, ces groupes, fortement combattus par l’armée nigériane ont été amenés à se dissoudre dans les années 1980, provoquant de ce fait l’éparpillement de leurs adeptes. En 2000, l’un d’entre eux commence à se démarquer des autres et attire tout particulièrement l’attention : Mohammed Yusuf, un théologien formé en Arabie Saoudite. Ce radicaliste pose les bases de Boko Haram et se présentera désormais comme en étant le chef spirituel. Jusqu’ici, niveau idéologique, rien ne change : le groupe prétend combattre l’école occidentale – ce qui renvoie directement à la traduction de Boko Haram en haoussa : « l’école occidentale est un péché » -, la mixité des sexes, l’instruction des femmes, la corruption des valeurs traditionnelles et le relâchement des mœurs. Notons qu’avant tout, le groupe réclame l’instauration d’un Etat islamique dans le Nord du Nigéria. Pour mieux comprendre les conditions de la naissance de Boko Haram, il faudrait encore aller chercher plus loin. Manifestement, le mouvement serait né d’un sentiment de mise à l’écart et de marginalisation vis-à-vis du reste du pays, et surtout du sud (majoritairement chrétien). C’est en dénonçant la corruption et les abus policiers que Boko Haram gagne le plus de fidèles. Au début des années 2000, le groupe recrute de plus en plus de membres, tous estimant avoir été abandonnés par les élites politiques locales et nationales, le pouvoir central et les policiers fédéraux. 

A partir de 2003, le gouvernement nigérian commence une bataille sans merci contre Boko Haram. Ainsi, cette année-là, le fief de Mohammed Yusuf à Maiduguri, dans l’État de Borno, est attaqué par la police d’Etat. La secte se réfugie donc dans l’Etat de Yobe, près de la frontière nigérienne ; son chef spirituel y implante une école qui attire principalement des analphabètes et des élèves coraniques mais aussi des personnes très cultivées. Il faudra attendre six ans, en juillet 2009, pour que le destin de Boko Haram prenne un autre tournant. Le groupe lance une violente campagne contre les quartiers généraux de la police dans plusieurs villes du nord ; de violentes confrontations avec les forces de sécurité nigérianes s’en suivent pendant cinq jours. La répression militaire fait plus de 800 morts dont celle de l’instigateur du mouvement, Mohammed Yusuf (qui aurait été exécuté sommairement dans les bureaux de la police). Dès lors, le groupe se fragmente sur quatre États du Nord et ses militants prennent la fuite. Cette répression, tout en ayant particulièrement affaibli Boko Haram, aura eu pour effet de le rendre encore plus agressif et déterminé.

Effroyable ? Oui mais aussi instable…

Après la répression policière de 2009, Boko Haram tombe dans la clandestinité. Qui plus est, ses objectifs et le profil de ses victimes évoluent considérablement. La visée de ses membres n’est plus tant d’instaurer un Etat islamique dans le Nord que de déstabiliser le pays et défier les autorités locales : alors que ses ennemis avaient tout d’abord été les musulmans ne respectant pas la charia, Boko Haram se tourne vers la terreur indiscriminée contre les civils. Un nouvel homme prend également la tête du mouvement terroriste : Abubakar Shekau, connu pour ses positions extrémistes. Ce dernier, qui faisait notamment partie de l’entourage de Yusuf, s’exprime désormais à travers des vidéos, pour éviter d’être facilement repéré. Nourri par un sentiment de vengeance, Boko Haram peine à trouver une stratégie claire. Par ailleurs, les différentes factions du mouvement islamiste n’arrivent pas aisément à trouver un consensus et ne sont pas forcément animées par les mêmes motivations. Il est aujourd’hui difficile de mettre précisément le doigt sur ce que le mouvement terroriste veut. Ses sévices demeurent infâmes : attentats,  attaques d’églises, incendies, massacres d’étudiants dans leur sommeil,…

En juin 2011, le groupe attaque le siège de la police à Abuja; deux mois plus tard, un attentat est perpétré contre le siège des Nations Unies à Abuja. À la fin de 2011,  Boko Haram commence à cibler les Églises.  Les autorités nigérianes hésitent sur la réponse à adopter devant ces attaques, et tendent à privilégier une réponse militaire faite de répressions mal organisées, entrecoupées de quelques périodes de dialogue. L’armée se met à bombarder des villages suspectés d’héberger des membres de Boko Haram. Puis en mai 2013, un état d’urgence est appelé dans plusieurs Etats du Nord-Est du Nigéria. Quant au mouvement terroriste, il répond en rasant des villages entiers, soupçonnant les civils de tenir main forte à l’armée. La violence n’a donc plus de limites et, sans aucun doute, les civils demeurent les principales victimes de ces confrontations. Le 14 avril 2014, Boko Haram prouve à nouveau son pouvoir de nuisance en organisant un attentat à Abuja, le pire qu’ait connu la capitale fédérale (au moins 88 victimes). Le lendemain, le groupe kidnappe plus de 200 lycéennes dans leur dortoir à Chibok, dans l’État de Borno au nord-est du pays, suscitant une vive émotion au Nigéria et dans la communauté internationale

#BringBackOurGirls : indignation tardive

Autant le kidnapping des lycéennes est inadmissible, autant les circonstances dans lesquelles cet acte a été commis sont horribles. En effet, des hommes armés se sont présentés à l’internat du lycée de Chibok, à Borno et une fois sur place, ils ont mis le feu à plusieurs bâtiments avant de tuer un soldat et un policier. Se faisant passer pour des militaires venus sécuriser l’établissement, ils ont obligé les lycéennes à en sortir, les ont fait monter dans des camions et se sont dirigés directement dans la forêt de Sambisa, connue pour être un terrain abritant des camps de Boko Haram. Dans une vidéo diffusée le 5 mai, Abubakar Shekau reconnaît officiellement l’enlèvement des jeunes filles et déclare qu’il va les « vendre sur le marché ». Puis, dans une nouvelle vidéo, le 12 mai, il affirme les avoir converties et être prêt à les libérer à la seule condition qu’elles soient échangées contre des prisonniers détenus par le gouvernement. Une demande que les autorités nigérianes ont aussitôt refusé.

Une protestation mondiale, Bring Back Our Girls (« Ramenez nos filles ») a ainsi vu le jour sur les réseaux sociaux mais aussi à la télévision ou dans les rues. Le principe est assez enfantin : il suffit de se photographier avec une pancarte sur laquelle ce même message est inscrit et de poster la photo sur Facebook, Twitter, Instagram … Cette innovation a de nombreux partisans : de Michelle Obama, en passant par des acteurs américains à la petite amie du footballeur Cristiano Ronaldo ou de simples inconnus. Et pourtant : rien de nouveau sous le soleil. Boko Haram n’en est certainement pas à sa première attaque et des femmes kidnappées et/vendues, ce n’est pas ce qui manque dans l’histoire de l’humanité… D’où vient donc cet émoi tardif ? Et à qui peut-il bien s’adresser ? Il serait insensé de croire que les membres de Boko Haram puissent se laisser amadouer par ces photos, que le gouvernement nigérian puisse miraculeusement trouver une stratégie efficace pour retrouver ces filles ou encore que les fidèles à ce mouvement de masse entendent la récupération des lycéennes au moyen d’une mission sanglante, conduite par des forces secrètes. Il est certes indubitable que le geste est louable. Cependant, peut-il vraiment apporter une solution au calvaire des victimes ? Peut-on aujourd’hui se satisfaire d’aider son prochain en un clic ? La cause est grave et le réveil de l’opinion internationale rassurant, toutefois, une réflexion commune sur une issue pratique à cette situation semblerait plus à même de faire la différence.

Et maintenant ?

Des efforts ont été consentis par le gouvernement nigérian, après qu’il ait été fortement critiqué pour son inaction aux niveaux local et international. En effet, suite au refus d’échanger des otages contre des prisonniers, le président nigérian, Goodluck Jonathan, a appelé les familles ainsi que les forces de sécurité à une « coopération maximale » afin de retrouver au plus vite les victimes. La fédération a ainsi annoncé l’envoi de renforts militaires dans la zone de l’extrême Nord-Est pour lutter contre le groupe extrémiste. Cette mesure n’a pas pour autant freiné la multiplication des attentats au cours des dernières semaines, dont certains dans des villes bien plus au sud que le bastion traditionnel de Boko Haram au nord-est ; on pourra notamment citer ceux de Jos, Kano et Gamboru Ngala au cours des dernières semaines. On pourrait aussi se questionner sur le niet catégorique affiché par  le gouvernement nigérian vis-à-vis de potentielles négociations  mais ceci nous dirigerait inéluctablement vers une plus grande question : peut-on négocier avec des terroristes ? L’enjeu est de taille : refuser, c’est allonger le calvaire des otages, tandis qu’accepter, c’est accorder à ces individus une légitimité politique dont ils ne sont pas dignes.  Le fait est que les acteurs sont partagés, au sein même de la fédération. Celle-ci est sujette à de nombreuses tensions et une course féroce pour le pouvoir, vu la richesse en ressources naturelles et tout particulièrement pétrolifères du pays. Ceci implique une désunion or, pour combattre leur ennemi commun, Boko Haram en l’occurrence, une seule et même direction est impérative.

A l’échelle internationale, les Etats-Unis, la France, le Royaume-Uni mais aussi Israël et la Chine ont offert leur aide, dépêchant leurs experts sur les lieux. La porte-parole de la diplomatie américaine, Marie Harf, a néanmoins déclaré que « beaucoup d’entre elles ont probablement été déplacées hors du pays, vers des pays voisins ». Le sommet de Paris, convoqué par le président français François Hollande, s’est donc parfaitement inscrit dans le cadre de cette coopération internationale, invitant les pays voisins à y participer dans le but de trouver une solution sur le plan régional. Les jeunes filles étant toujours difficiles à localiser, malgré les déclarations du chef de l’armée de l’air faites le 26 mai 2014, un dialogue s’impose bel et bien pour les retrouver. Répressions violentes et brutales dirigées par l’armée nigériane n’auront pour effet que d’attiser la haine de Boko Haram ; or, il s’agit ici de la vie de lycéennes innocentes. Selon le think-tank International Crisis Group, le gouvernement nigérian, pour relever ce défi, doit absolument développer et adopter des stratégies plus complètes pour réinstaller la sécurité dans le pays mais surtout dans le but d’une réelle réconciliation. Ainsi, par l’intermédiaire de l’ancien président, Olusegun Obasanjo, des contacts ont été établis entre Boko Haram et les autorités nigérianes. On peut imaginer que le pire cauchemar d’un otage puisse être de voir le lien de communication entre ses bourreaux et les autorités de son pays rompu. Comme le disait le religieux anglican de nationalité britannique et ancien otage au Liban, Terry Waite, « aucun soulèvement ou mouvement terroriste n’a été vaincu par la guerre ou la violence ». Pour agir ensemble et plus efficacement, les acteurs concernés, aux niveaux fédéral ou étatique, doivent prendre conscience que ce problème a plusieurs dimensions, toutes aussi délicates les unes que les autres : politique, sociale et économique. Il s’agira de prouver que le Nigéria, ce géant aux pieds d’argile, au-delà de sauver ces filles, est capable de restaurer le respect de la loi et de l’ordre par lui-même.

Khadidiatou Cissé

Quel serait l’impact de Boko Haram sur les prochaines élections au Nigéria?

imagesAu cours des dernières semaines, la bataille politique entre le People’s Democratic Party (PDP) et son rival de l'opposition, le All Progressives Congress (APC), a été largement reléguée au second plan au Nigeria. Au lieu de cela, tous les yeux sont fixés sur Boko Haram et la façon dont le gouvernement compte endiguer la menace.

Bien que le groupe militant islamiste n'ait pas réussi à attaquer des cibles de plus grande envergure depuis 2011 – quand il a bombardé le bâtiment des Nations Unies à Abuja et le siège de la Force de police du Nigeria – il a considérablement augmenté ses attaques sur des cibles moins sécurisés, en particulier sur des civils. Cette année seulement, Boko Haram aurait tué plus de 2.000 personnes; le mois dernier, il a bombardé une station de bus occupé sur les franges de la capitale; et il a toujours en otage plus de 200 écolières enlevées dans la ville de Chibok.

Boko Haram et les élections

Mis à part les conséquences profondément tragiques des activités violentes du groupe, les activités de Boko Haram pourraient également affecter l'environnement politique du Nigeria et le déroulement des prochaines élections en 2015 de diverses manières.

Pour commencer, la violence en cours dans le Nord-Est pourrait poser un risque grave pour la conduite même des élections générales. Beaucoup de personnes ont été déplacées, le conflit pourrait empêcher une population découragée d’aller voter, et l'instabilité pourrait tout simplement rendre logistiquement impossible pour les fonctionnaires électoraux d’accomplir leur travail. Il y a eu des appels en direction du gouvernement fédéral pour adopter une posture militariste et imposer l’état d'urgence ; mais pour l'instant le président Goodluck Jonathan a préféré prolonger l'état d'urgence de six mois.

Il peut avoir des raisons d'être prudent. Après tout, l'insécurité dans le Nord a également affecté la perception du président Jonathan parmi les électeurs. Son gouvernement a été sévèrement critiqué pour sa gestion de la situation sécuritaire et la côte de popularité du président est à un niveau historiquement bas de 49% . Ce mécontentement suggère qu'il pourrait faire face à des difficultés s’il envisage de se présenter à l’élection l'année prochaine ; une ambition qui le mettrait dans une situation précaire avec de nombreux personnages puissants des États du Nord. Déjà, sa décision de prolonger l’état d’urgence de six mois a été critiquée par certains leaders régionaux du fait que cette approche n’a produit aucun effet jusqu’à présent.

Plus généralement, les tensions régionales ont toujours été une partie inaliénable de la politique du Nigeria et ne va certainement pas disparaître à l'approche des élections. Au mieux, l'ethnicité et la religion feront tout simplement partie de la rhétorique dans les sables mouvants d'une année pré-électorale, et pourront en partie affecter le choix des électeurs. Au pire, cependant, les tensions religieuses et ethniques deviendront politisées et dégénéreront en violence, perturberont le processus électoral et de déstabiliseront l'équilibre politique et économique du pays.

En ce qui concerne l'économie, la localisation de l'insurrection dans le Nord-Est a largement épargnée l'économie nationale dans son ensemble. Certaines installations de télécommunications, et dans une moindre mesure des installations pétrolières et gazières, ont été attaquées dans le Nord, mais les plus grandes industries du Nigeria sont pour la plupart situées dans le sud. L'économie chancelante du Nord-Est se compose essentiellement de l'agriculture et des petites et moyennes entreprises qui ont effectivement subies les effets de l’insurrection. En outre, la nécessité d'augmenter les dépenses en matière de sécurité signifie qu'il y a encore moins de fonds publics disponibles pour l'exécution des projets d’infrastructure régionale et les programmes sociaux.

boko_haramLa lutte contre Boko Haram

Il est difficile de dire si le gouvernement nigérian pourra inverser la tendance de la violence avant les élections de 2015, prévues pour Février. Toutefois, le président Jonathan a déclaré aujourd'hui qu'il a ordonné une "guerre totale" contre Boko Haram et il a récemment accepté des offres d'assistance militaire des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de la France et de la Chine.

D'une part, il est généralement admis que la technologie et la connaissance des forces étrangères seront utiles, tandis que les troupes étrangères sont moins susceptibles d'être à risque d’une infiltration de Boko Haram. Mais dans le même temps, certains Nigérians craignent que l'aide occidentale ne viendrait pas sans un prix, et ce malaise a été accrue par le fait que certains partenaires aient annoncé que l’aide ne sera pas nécessairement limitée à la rescousse des filles Chibok enlevés. En outre, alors que l'intervention étrangère pourrait contribuer à certaines opérations, il reste à voir si elle sera capable d'inverser la tendance plus large de la violence et ses causes sous-jacentes.

En effet, il existe un réel besoin de solutions globales qui vont au-delà des offensives militaires. Étant donné que les opérations de l'armée ont souvent conduit à des pertes civiles, créant ainsi un sentiment d’insécurité de la part des populations face aux forces militaires, l’action militaire doit certainement être plus stratégique. Mais comme le conseiller à la sécurité nationale l’a souligné à juste titre, une approche plus souple est également nécessaire pour inverser le cours de la radicalisation. Typiquement, une réponse socio-économique à long terme qui s'attaque à la pauvreté, au chômage et les frustrations qui conduisent les groupes marginalisés à chercher des moyens violents est également cruciale.

Dans les prochains mois, alors que le pays se prépare pour les élections, la gestion de la menace Boko Haram sera déterminante. L'administration actuelle – les deux gouvernements et les gouvernements des États fédéraux – doit travailler avec l'opposition ainsi que des partenaires internationaux pour assurer que le processus démocratique ne soit pas entammé.

Un article de notre partenaire Think Africa Press, initialement paru en Anglais et traduit en Français par Georges Vivien Houngbonon

Nigéria : Mister Goodluck et Président Jonathan

Terangaweb_Goodluck JonathanGoodluck Jonathan se trouve en très mauvaise posture. Depuis quelques mois, le président nigérian est l’objet d’une vive contestation au sein même de son parti, le People’s Democratic Party (Parti démocratique populaire, PDP), au pouvoir depuis le début de la Quatrième République en 1999. A la tête du pays le plus peuplé d’Afrique (170 millions d’habitants), géant économique, le président Jonathan, au pouvoir depuis la mort de son prédécesseur Umaru Yar’Adua en 2010, devient de plus en plus impopulaire. En plus d’une gestion maladroite des affrontements avec la secte islamiste Boko Haram, il souffre d’un grand manque de légitimité au sein de son parti.

37 députés du PDP ont rejoint les rangs de l’opposition le 18 décembre 2013. Jonathan a ainsi perdu sa majorité parlementaire, une situation qui ne s’était jamais produite au Nigéria. Les conséquences qu’elle va engendrer sont incalculables pour le moment. D’une part,  il est difficile de savoir comment le Président Jonathan va gouverner sans majorité au parlement ; de l’autre, l’avenir est incertain quant à l’élection présidentielle de 2015. Cet important  revers est un pas de plus dans la fronde ouverte en septembre 2013 par six gouverneurs issus du Nord musulman qui ont créé le New PDP. L’enjeu de la dispute : Pour ne rien arranger à l’affaire, l’ancien Président Olusegun Obasanjo est entré dans la danse en écrivant une lettre très acerbe à son successeur, l’accusant de faire surveiller des adversaires politiques ainsi que des centaines de Nigérians par les services de l’Etat. Pis, des agents de police s’en sont pris aux locaux des auteurs de la fronde ; ces derniers crient à l’intimidation et dénoncent des méthodes dictatoriales.

Le Président Jonathan se trouve désormais devant une situation très délicate, où se joue l’avenir politique du Nigéria, au-delà de celui du PDP. Car la fronde actuelle contre Jonathan renvoie directement à l’enjeu politique dominant au Nigéria depuis l’indépendance, à savoir l’équilibre fragile et instable du pouvoir entre le nord musulman et le sud chrétien du pays. À son accession au pouvoir en 1999, les responsables du PDP s’étaient mis d’accord sur un partage informel du pouvoir : le président étant limité à deux mandats consécutifs (huit ans) la présidence tournerait tous les deux mandats entre un politicien nordiste et un politicien sudiste,. Ainsi, après Obasanjo (un Yoruba du sud) de 1999 à 2007, c’est Umaru Yar’Adua (ancien gouverneur de Katsina, au nord) qui a pris les rênes du pays. Mais sa mort précipitée en 2010 a bousculé cet arrangement subtil : Goodluck Jonathan, le vice-président originaire du Sud, est alors devenu président ; il a été réélu en 2011, et souhaite briguer un nouveau mandat en 2015. S’il venait à gagner ces élections, il gouvernerait alors jusqu’en 2019, soit un mandat de près de dix ans ; et au total, le Nord n’aurait eu le pouvoir que trois ans (2007-2010) sur les 20 ans de règne du PDP (1999-2019). Une situation que beaucoup de politiciens nordistes considèrent tout simplement comme inacceptable.

Si Goodluck Jonathan persiste dans l’autoritarisme, il risque de voir s’aggraver la saignée au PDP qui pourrait perdre l’élection présidentielle de 2015. En revanche, il lui est encore possible de limiter les dégâts en tentant de reconquérir les militants qui ont quitté le navire afin de sauver l’essentiel : l’unité politique du parti et la stabilité du Nigéria. Le mieux serait de renoncer à se représenter en 2015.

Il faut prêter attention à ces luttes politiques qui se déroulent au Nigéria parce qu’elles ont des relents ethniques et religieux, en plus des enjeux économiques qui tournent essentiellement autour du pétrole (le pays en est le premier producteur en Afrique). Goodluck Jonathan fait face depuis son arrivée au pouvoir en 2010 à un grand mécontentement social. La montée du prix du carburant en 2010 avait ravivé les tensions entre musulmans du Nord et chrétiens du Sud, tensions qu’il avait très mal gérées au demeurant.

La défection successive de ces gouverneurs et parlementaires qui ont rejoint l’All Progressives Congress (APC), principale coalition d’opposition, est un coup très dur pour le Président Jonathan. C’est pourquoi il doit prêter une grande attention à la façon dont il va gérer cette nouvelle situation en évitant tout autoritarisme. Il devrait faire revenir ces responsables du PDP qui ont rejoint l’opposition et lever toute équivoque sur sa potentielle candidature en 2015. La plaie Boko Haram est trop gênante pour que le Nigéria entre dans un autre cycle de violences. Surtout si celles-ci ont des versants ethniques et religieux dans une Afrique déjà très meurtrie par ce genre de conflits.

Terrorisme : l’Afrique à la croisée des chemins

Le spectre du terrorisme hante l’Afrique. Mali, Nigéria, Algérie, Somalie, Kenya, Ouganda… le développement des organisations terroristes et criminelles devient un problème de plus en plus urgent à résoudre pour les autorités africaines concernées. Au moment où les enjeux de l'action terroriste deviennent de plus en plus importants, la situation semble paradoxale : d’une part les moyens pour une politique anti-terroriste efficace et durable font défaut ; d’autre part, les groupes criminels deviennent de plus en plus puissants et gagnent de l’influence au niveau de populations désespérées qui rêvent de lendemains meilleurs.

Le terrorisme annihile toutes les perspectives des programmes de développement économiques et sociaux dans les zones où il prolifère. La situation est telle que ces organisations criminelles s’imposent comme les principaux acteurs et régulateurs de zones sous leur contrôle en Afrique subsaharienne. Les flux économiques (commerce légale et trafics illégaux) et de personnes (migrations de populations autochtones, circulation des touristes et du personnel des ONG et aux acteurs de la communauté internationale) sont en passe d’être sous le contrôle complet des groupes terroristes au Sahel et au Sahara. Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI), par exemple, est en passe de transformer le Sahara en vrai marché. Le nouveau « Sahara Stock Exchange » est de plus en plus actif avec pour valeur de transaction les otages internationaux et toutes sortes de biens matériels objets de trafics (cigarettes, drogues, armes). Avec des revendications d’ordre politique et social, les actions d’Ansar Dine, autre groupe terroriste salafiste qui contrôle désormais le Nord Mali, sont facilitées par la disponibilité des sources illicites de financement et la coopération avec d’autres mouvements tels que Boko Haram (l'instruction est illicite) et le Mouvement d'Unité pour le Jihad en Afrique de l'Ouest (MUJAO).

Comme l’a montré Abdelkader Abderrahmane, chercheur à la Prévention des Conflits et Analyses des Risques' (CPRA) et à l’Institut d'Etudes de Sécurité (ISS) (Ethiopie) dans un papier publié récemment, le Trafic d'armes, de drogues et le blanchiment d'argent sont devenus monnaie courante entre tous ces groupes criminels. De plus, « des liens grandissants se tissent entre les narco-terrroristes présents en Afrique de l'ouest et les groupes mafieux européens tels que la Camorra » poursuit le chercheur. Par le biais de ces coopérations, ces groupes qui font beaucoup parler d’eux s'aident mutuellement, bénéficient de leurs expertises respectives et pourront à court terme se transformer en groupes hybrides comme le sont actuellement les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC) qui sont un exemple de groupe basé sur une idéologie politique qui, avec le temps, a muté en groupe crimino-narco-terroriste selon Abdelkader Abderrahmane.

Il semble donc urgent de trouver des solutions pour endiguer cette prolifération terroriste et criminelle. Un meilleur contrôle des transferts d’armes conventionnelles à l’intérieur du continent est le prélude à cette lutte. La transparence de tout contrat d’armement devrait être confirmée par une autorité compétente africaine. Beaucoup plus de clairvoyance de la part des autorités politiques pourrait, de plus, permettre des avancées significatives dans la lutte contre le fait terroriste en Afrique. Pour le cas malien, il est important de palier tout risque de contagion régionale. L’impasse géopolitique dans laquelle se trouve actuellement le Mali devient de plus en plus préoccupante. Le no-man-land que devient cette partie du Sahara peut être le prélude à une nouvelle dynamique terroriste, une base arrière et un centre de formation pour tous ceux qui se reconnaissent dans cette stratégie. Le processus démocratique qui a nécessité tant d’effort pour s’enclencher risque de s’effondrer sous l’action de ces groupes criminels et l’Afrique en a assez de devoir toujours « repartir à zéro ».

 

Papa Modou Diouf