4ème FIFDA – W.A.K.A, un film de Françoise Ellong

 

WAKA affiche  La 4ème édition du FIFDA- Festival des films de la diaspora Africaine s’est tenue cette année du 5 au 7 septembre à Paris. Parmi la sélection du jury, le film W.A.K.A, premier long métrage de la réalisatrice Françoise Ellong, paru en 2013 et projeté le dimanche lors de la journée consacrée aux « migrations-transmigrations ».

Le film entièrement tourné à Douala par une équipe franco-camerounaise raconte l’histoire de Mathilde une jeune femme qui élève, seule, son fils Adam. Mathilde, interprétée par Patricia Bakalack, recherche une source stable de revenus afin de subvenir aux besoins de son fils mais nulle part elle ne parvient à faire accepter sa condition de mère et de surcroit célibataire. A court d’options, Mathilde se résigne à accepter une proposition lourde de conséquences: Mathilde devient Maryline, une W.A.K.A. 

Dans l’argot camerounais, une « waka » désigne une prostituée. Ce nom dérive du verbe anglais « to walk » qui signifie marcher et par extension, les WAKA sont celles qui marchent la nuit, à la recherche de clients. Le jour Mathilde est la mère d’Adam et la nuit elle devient Maryline, la WAKA. Mathilde pouponne Adam, l’emmène à l’école et lui fournit un toit et pour permettre cela Maryline doit se laisser aller à des pratiques humiliantes, parfois violentes avec des inconnus. La frontière qui sépare ces deux mondes est donc bien fine et les rend, résolument, interdépendants. Ainsi, alors que Mathilde essaie tant bien que mal de protéger son fils du monde de la prostitution plusieurs personnages et situations influencent le destin de ce couple mère-fils. Famille, voisins ou encore camarades de classe, tous observent et sanctionnent le choix de cette mère qu’ils accablent ou saluent. Il faut également composer avec les rencontres qui rythment la vie nocturne de Maryline et leurs intentions peu scrupuleuses. A cet égard, on ne peut manquer d’évoquer Bruno, le proxénète intransigeant qui refuse de voir son affaire impactée par la situation de Mathilde. Celle à qui il a donné le nom de Maryline doit travailler quoiqu’il lui en coûte et il compte bien y veiller. Arrivera t-elle à l’écarter d’Adam ? Quel prix devra t-elle payer pour cela ? 

A bien des égards le film proposé par Françoise Ellong est convaincant. D’abord le scénario est cohérent et tient les spectateurs en haleine tout le long par des mises en scènes crédibles. Le jeu des acteurs, plus ou moins confirmés, est remarquablement mis en valeur par un sérieux travail cinématographique. Les sons, images, plans et montages participent à créer l’atmosphère adaptée à chaque scène en révélant tantôt l’ambiance lugubre d’un trottoir où s’agitent des prostituées ou la tendresse partagée à un anniversaire. A ce titre, il faut saluer notamment le choix des lieux qui donnent à voir une ville de Douala diverse et propice aux tournage de jour comme de nuit.

Grâce à tous ces éléments, W.A.K.A met en scène des personnages complexes permettant de se questionner sur des sujets qui le sont tout autant. Ils sont à la fois attachants et repoussants ; par moments on aimerait les soutenir mais on ne peut ignorer leurs écarts et on s’empresse de les juger. Mathilde est certes une prostituée mais est-ce que solution qu’elle choisit à un moment précis pour de multiples raisons doit annuler tout son passé, diminuer son combat ou la condamner dans ses rapports avec les autres et la soustraire irrémédiablement à leur amour? Est-ce parce que des femmes sont réduites à ce moyen qu’elles en perdent leur humanité ? Ce sont ces questions difficiles et ô combien nécessaires que le spectateur est amené à étudier à travers à ce film. 

On aura donc rapidement compris que l’intention du film va au-delà qu’une plongée dans l’univers de la prostitution à Douala mais se concentre sur le parcours d’une jeune mère en difficulté. En réalité, la prostitution n’est rien de plus qu’un cadre, un prétexte pour raconter le combat de Mathilde en tant que mère. Françoise Ellong explique et justifie d’ailleurs ce choix dans la note d’intention qui accompagne le film :

« En choisissant de confronter cette femme à l'univers de la prostitution, le but est clairement de la mettre dans une position jugée dégradante au regard de la société, afin de montrer au mieux sa force et son combat en tant que mère. Au delà de ce que ce barbarisme évoque spécifiquement aux Camerounais, la lecture du titre doit être faite sous la forme d'un acronyme. Ainsi, W.A.K.A dans ce contexte, bien que référant à l'univers global de la prostitution, signifie Woman Acts for her Kid Adam. »

Travail sincère des acteurs, rendu cinématographique intéressant, histoire touchante et réalisatrice engagée, finalement, W.A.K.A est un film camerounais à voir et à soutenir pour diverses raisons qui somme toute se résument en une seule : c’est un BON film. 

 

Claudia Muna Soppo

Hemley Boum : Vues sur le VIH, Douala, le Cameroun

Hemley« Si d’aimer… » est sûrement le plus beau roman qu’il m’ait été donné de lire ces derniers mois. Je suis conscient de la difficulté de ce type d’assertion, car il va falloir démontrer mes dires. Mais, ne pouvant réfréner  mon plaisir de lecteur,  il m’était difficile de commencer cette note par cette pensée.

Pourtant, avec les abords austères de la couverture du roman, une  quatrième de couverture peu stimulante et le traitement d’un sujet plus que lourd, les impacts du sida, oui, le texte d’Hemley Boum n’avait rien d’attrayant, tant qu’on n’avait pas pris la peine de découvrir ses pages et d’amorcer le premier chapitre. 
 
Salomé introduit ce roman. Elle nous parle avec précision. Elle décrit un univers féerique quelque part dans les beaux quartiers de Douala. Une femme belle, convoitée, accomplie dans un emploi valorisant, installée dans une magnifique baraque qu’elle a pris soin de retaper avec son époux, Pacôme Lissouck. Un coin de paradis suscitant de multiples convoitises et envies. Aux mots maîtrisés de cette femme comblée, le besoin de reconnaissance est là, affirmé. Et pourtant, cette façade de Potemkine n’a que d’utile fonction que de masquer les turpitudes d’une relation où Salomé est profondément humiliée par un mari volage, totalement otage de ses pulsions. Enceinte, elle découvre qu’elle est séropositive.
 
Je pourrai m’arrêter sur une description de cette première prise de parole de ce roman polyphonique, faite par Salomé Lissouck, née Béma. Princesse Béma. Elle traduit l’esprit de cette œuvre dense dans laquelle Hemley Boum gratte, arrache le vernis sensé enjolivé, embellir les formes pour creuser l'intériorité de ses personnages. La rage de l’épouse contaminée qui jusque là avait supporté les frasques de son Pacôme de mari va permettre d’explorer le fonctionnement et le système de pensée de Salomé. Comment une femme instruite, à priori indépendante en arriver. Cette analyse brillamment faite, plonge le lecteur dans l’univers d’une certaine bourgeoisie camerounaise, avec ses codes. La colère de Salomé éclate et se déverse sur Céline, la call-girl qui a infecté son mari. Quand Moussa, l’homme à tout faire de Céline lui remet un cahier de notes sur le parcours tragique de sa protégée,  Salomé reconsidère ses positions et se rapproche de cette femme.
 
C’est un roman polyphonique s’appuyant sur trois prises de parole. Celles de Moussa, Salomé et de sa meilleure Valérie médecin de son état et femme libre. Ces différents regards s’articulent autour de la figure de Céline Njock, prostituée de Douala. Le propos est de reconstituer les parcours respectifs qui converger vers Céline. Hemley Boum use de cette alchimie pour dresser des portraits attachants du Cameroun contemporain. Celui du « maguida », cet héritier des événements qui suivirent la tentative de coup d’état de 1984 qui durent pour de nombreux cas fuirent vers le nord du pays en raison de la répression du pouvoir en place naissant de Biya. Celui de la bourgeoisie de Douala au travers de Salomé. Celui des classes moyennes qu’incarne Valérie. Celui des sous kwats de la capitale économique du Cameroun réalisé à partir de l’histoire Céline Njok. Hemley Boum conte plusieurs mondes qui vivent ou vivotent tout en s’ignorant parfaitement. Une Afrique des villes où la violence des rapports est sourde, mais que la romancière camerounaise a le mérite de rassembler autour de Céline.
 
Elle a la qualité de poser des descriptions abouties, conduites par une écriture sobre, un poil classique, mais ô combien efficace.  Et elle offre des rebondissements avec une efficacité redoutable. Je le dis, c’est un roman comme on en trouve très peu dans l’espace francophone. Dense. Le traitement du sida de ses impacts ravageurs est analysé avec minutie sans pour autant déséquilibrer le texte. Naturellement, il donne lieu à une auscultation du match amoureux comme le dit si bien la critique littéraire Anaïs Héluin sous toutes ses formes. Pacôme et Salomé. Mais aussi les espoirs détruits de Céline. Les modèles flétris des parents. Hemley Boum n’enjolive pas, ne milite pas, elle dit, elle décrit quelque chose avec le désir de dire vrai, de dénoncer les lâchetés des hommes, de déconstruire des modèles oppressants dans lesquels nombres d’africaines s’enferment pour préserver un pré-carré. A quel prix ? Insaisissable, même les personnages qui semblent s’inscrire dans ce que d’aucuns nommeront sous le terme d’émancipation, ne sont pas épargnés par moult de questions. La misère n’est pas synonyme de vertu, l’univers familial de Céline qui jouit de la richesse d’une prostituée tout en la tenant suffisamment à distance en témoigne remarquablement.
 
Ecoutez, il faut bien que je m’arrête. On pourrait traiter, analyser ce roman sous plusieurs angles, mais je vous conseillerai de vous faire une idée. Lisez Si d’aimer… d’Hemley Boum.
 
Bonne lecture !
 
Editions La Cheminante, 400 pages, première parution en 2012
Prix littéraire Ivoire 2013