J’ai lu “Un Dieu et des Moeurs” du romancier sénégalais Elgas

Moins de 48h…

C’est ce qu’il m’a fallu pour lire, dévorer devrais-je dire, les 335 pages de “Un Dieu et des Moeurs” de mon ami et compatriote El Hadji Souleymane Gassama alias Elgas. 97 pages le premier jour, les 238 pages suivantes le lendemain. D’une traite. Cela faisait pourtant deux ans que je n’avais plus terminé un livre, même en étalant sa lecture sur plusieurs mois, même s’il ne faisait que 100 pages, même s’il s’agissait d’une relecture du grand Cheikh Anta Diop. Deux ans. Ainsi, quelques jours après en avoir achevé la lecture et après avoir vécu deux années où aucun livre ne m’avait assez “accroché”, il est évident pour moi, que nous tenons là un très grand écrivain, peut être l’un des plus grands que le Sénégal n’ait jamais enfanté. Oui, rien que ça.

Que dire de ce livre ? Je commencerai par un avertissement : “Un Dieu et des moeurs” est un livre obus qui vise à heurter les consciences sans concession et parfois avec une acidité voulue afin de poser le débat sur la place de la religion (L’Islam) et de la tradition (ancestrale négro-africaine) au Sénégal. Ces deux éléments qui forment ce que nous appelons être “notre culture”, sont pour Elgas la cause fondamentale de la plupart de nos tares : fatalisme face à la misère, déresponsabilisation individuelle, indifférence complice à l’égard de l’exploitation des talibés, persistance de Un Dieu et des moeurs, un roman de Elgasl’excision, des mariages forcés, de la croyance exacerbée dans l’irrationnel et du clanisme familial pour n’en citer que quelques-unes.

Un livre obus donc. Un livre cru où l’on sent Elgas tiraillé entre un pessimisme profond sur le devenir de la société sénégalaise et un amour irrationnel pour cette terre dans laquelle il ne se reconnait pourtant presque plus.

“Un Dieu et des moeurs” est aussi un livre construit de manière originale, à mi-chemin entre le carnet de voyages, le journal intime, le roman et l’essai. Un bric-à-brac littéraire diablement entraînant, divisé en deux grandes parties : tableaux d’un séjour et mauvaise foi. Dans Tableaux d’un séjour, Elgas brosse magistralement 15 portraits sociétaux et raconte ses 15 nuits au Sénégal, tableaux où il décrit de manière minutieuse, violente, touchante ou choquante des tranches de vies, comme celle de cette femme à peine trentenaire et déjà mère de 10 enfants, ou encore de ces talibés venus sonner à sa porte sous une pluie battante, tremblotant de froid et d’effroi à l’idée de rentrer tard chez leur “serigne” sans apporter la somme qu’il leur réclame quotidiennement. Une première partie d’une exceptionnelle qualité littéraire, parfois hilarante (L’Huile, le Sexe et les sénégalaises) et renfermant une grande sensibilité où Elgas retranscrit notamment cette lettre émouvante qu’il écrit à son Papa décédé quelques mois auparavant.

La seconde partie intitulée Mauvaise foi, moins volumineuse, et que j’aurai aimé voir développée, traite de la place de la religion dans la société sénégalaise et le dogmatisme progressif qui s’y est installé au détriment de la raison et d’une spiritualité saine ou ouverte comme l’Islam insouciant de son enfance. Elgas y explique en détail ce qu’il appelle le “fanatisme mou”, sorte de violence et d’intolérance silencieuse enfouie en chacun ou presque des musulmans modérés qui composent la majorité des sénégalais. Un avertissement franc, et salutaire du reste, y est également fait sur le morcellement confrérique du Sénégal, la fanatisation d’une partie de la jeunesse et la fragilisation d’un des piliers de la République à savoir la laïcité, rappelant que les germes de la violence religieuse qui a éclaté au sein de pays qui nous sont proches, sont également présents dans notre société et bien plus qu’on ne le pense. Elgas y exprime également un universalisme assumé du point de vue des choix politiques et culturels, point sur lequel lui et moi avons encore des divergences, divergences qui cependant s’effacent devant notre humanisme commun et l’urgence des défis sociétaux internes que les africains, représentés par les sénégalais dans ce livre, se doivent de relever avec courage et détermination.

On peut avoir l’impression, et je l’ai eue en lisant le livre, qu’Elgas se bat contre tout et contre tout le monde. Il y égratigne en effet les militants panafricanistes et leur “afrocentrisme”, la jeunesse bourgeoise dakaroise qui rejette en façade et uniquement à travers le discours l’Occident et ses valeurs mais qui vit selon ses codes au quotidien. Il attaque également le leg confrérique supposé être à la base de la concorde nationale, les hommes politiques – vus à travers son propre père – pour leur complicité intéressée dans le développement de l’obscurantisme ainsi que les intellectuels pour leurs analyses périphériques qui n’osent pas selon-lui faire une analyse complète et poser le débat, forcément douloureux, de la religion et de la tradition au Sénégal. En réalité, il me semble que ce procédé volontairement vindicatif et corrosif, parfois à la limite de la caricature, vise à susciter un débat autour de la religion et des réactions, qui quelles qu’elles soient, seront toujours plus bénéfiques que le silence assourdissant qui pèse sur la société toute entière. Silence qui, lentement mais surement, l’enfonce dans la misère, le fatalisme et l’obscurantisme. Comme l’a récemment écrit l’autre révélation littéraire de cette année 2015, Mbougar Sarr, “Un Dieu et des moeurs” d’Elgas est un livre salutaire. En effet, la Société sénégalaise, plus que jamais, a besoin de poser le débat de la religion et de la tradition en son sein. Ce livre en est une introduction, violente, mais ô combien brillante, que je vous recommande vivement. 

Parole d’un lecteur admiratif.

Fary

Boko Haram, cette barbarie ordinaire.

 

boko-haram-afpNos semaines sont rythmées par les attentats hebdomadaires de Boko Haram. Comme toujours, expériences syrienne et irakienne obligent, la lassitude essouffle les indignations. Progressivement, cette barbarie s’ordinarise. On prie pour en échapper, en psalmodiant sur le talisman de la chance ou de l’éloignement. Pour la logistique des carnages, l’hydre sous régional ne fait pas dans la grande production : une fille, une femme, un homme travesti en femme pour l’occasion, peu importe, un voile intégral, une ceinture explosive, un lieu populeux, bingo. Autre symbolique macabre, il semble y avoir un tarif-plancher de victimes : un peu plus d’une dizaine de morts. Maroua, Ndjamena, Fotokol, écoles expérimentales de l’adoption d’une nouvelle tragédie. Dans ce continent historiquement épargné par des attaques suicides ; il est glaçant de noter comme l’on consent, finalement, impuissants, à voir ces rubriques habiter nos bulletins d’infos.

S’en offusque-ton outre mesure ? Au-delà des 140 caractères où l’émotion s’étrangle ? Une marche ? Une veillée ? Au-delà de la dépêche où les pays expriment solidarité, émotion et condamnation ? A vrai dire pas vraiment. J’ai un nouvel appétit pour les communiqués officiels de dénonciation des attentats émanant des Etats africains. Ils disent mille choses qu’il faut savoir s’infliger malgré l’ennui diplomatique de leur conception. Les Etats africains sont prompts, à quelques milliers de mètres des abords immédiats du Lac Tchad, à témoigner « leur solidarité » avec les Etats frappés.

Le mot n’a jamais sonné aussi faux. Il n’a jamais été autant une imposture. Il n’a jamais si brillamment porté en lui,  la fuite, l’égoïsme et la peur. Pire que la fragilité, la pauvreté, les sociétés en lambeaux, les pays africains ajoutent une lâcheté à leur impuissance : la peur. De leurs grandes scansions panafricaines aux exaltations virilistes, ce que le combat contre Boko Haram révèle, c’est la peur. Pas celle naturelle de l’échaudé qui craint, pas sa variante prudente, pas même la phobie tétanisée tout à fait compréhensive de pays souvent suppliciés. Non, c’est une peur égoïste. C’est la peur poltronne et lâche du soldat qui laisse ses collègues en premières lignes. C’est le second ennemi au front.

Dans le front contre l’embryon de l’EI, le Tchad, le Niger, et un peu moins le Cameroun, ont tenu un rang honorable. Déby, tout couvert de tares qu’il soit, a réduit l’expansion du monstre. Il a rogné son territoire, essoufflé son autorité, l’a débusqué de sa forêt providentielle avec l’appui nigérian. Ne reste plus que la bête mal égorgée qui dans sa tourmente gicle et macule. Cette bête blessée et sa toile, qui a essaimé pernicieusement dans la sous-région. Une bête dont les hoquets vengeurs et désespérés ensanglantent les pays engagés. C’est en représailles que Boko Haram frappe le Cameroun et le Tchad. Il envoie un signal. Il met en garde. Il dissuade. Pour le moins, l’effet opère comme une anesthésie. Face à Boko Haram, les pays africains n’ont même pas mandaté, ils se sont tus, baignant dans leur peur d’être la cible.

Cette attitude dit ceci que la candeur géopolitique africaine demeure  inquiétante. Tant qu’une détermination et un travail concerté, impliquant tous les pays africains sans exception, pour lutter contre tous les terroristes, ne seront pas mis sur pieds, les zones de pourrissement changeront, sans que la source ne soit tarie.

Le terrorisme n’est pas l’affaire de malchanceux géographiques, c’est l’affaire de germes à l’affût d’une brèche de chaos géopolitique, c’est l’affaire de terreau de frustration et de fanatisme. Toutes choses que les Etats du continent cultivent abondamment. Cette peur fragmentera plus le continent, créant des inégalités, des porosités, des trafics dont les métastases se diffuseront très vite. Peut-être est-il temps que les sociétés civiles sortent du confort des dénonciations et de l’attentisme. Il ne suffit pas d’attendre la verticalité des sentences étatiques, il faut les presser, les orienter, les colorer.

Il n’y a pas de calendrier naturel de guérison des maux africains. L’Homme seul et son extension sociétale en tiennent l’antidote.  Il est des moments où les solidarités transnationales prennent, ce sont souvent des moments de douleur. Après la vague des indépendances, les décennies noires, le dit frémissement économique, il serait impardonnable à ce continent de rater l’opportunité de faire corps contre Boko Haram.  C’est un défi aussi urgent que formidable : une Afrique par le bas.

Elgas

Article initialement sur www.ajonews.info http://ajonews.info/peur/