L’entrepreneuriat en Afrique de l’Ouest … So cool ?

entrepVous avez sans doute, vous aussi, appris l’existence de tel ou tel concours de business plans, de tel incubateur ou d’espace de co-working. Autant d’anglicismes à la mode qui fourmillent sur les panneaux publicitaires et les encarts Facebook. Quelle est la portée de ces évènements ? Quelle est la réelle importance de l’entrepreneuriat sur le développement et l’économie des pays ? Cet article brosse les actions initiées pour impulser le développement de l’entrepreneuriat en Afrique de l’Ouest et les limites de leurs portées.

 

Dans la myriade des initiatives en Afrique de l’Ouest, quel est le bilan des actions favorisant l’émergence et la croissance d’un écosystème entrepreneurial solide ? Les concours entrepreneuriaux organisés par des multinationales se multiplient. De même, des acteurs dédiés s’emparent de cette tendance pour organiser des évènements le temps d’un weekend, au niveau national ou panafricain. Les réseaux pullulent, centrés autour des NTIC ou des femmes. Enfin, les espaces de co-corking sont aussi à la mode, entre inspiration de la Silicon Valley et adaptation à la sauce africaine.

 

Des résultats encore très mitigés …

Néanmoins, au milieu de cette fièvre entrepreneuriale, le bilan est en demi-teinte. Peu d’organisations sont opérationnelles et peuvent présenter des résultats durables d’accompagnement. Nombreuses sont les structures à avoir joué d’effets d’annonce sans que leurs portes n’aient été foulées par des porteurs de projets. Tout comme sont pléthores les acteurs vendant de la poudre d’entrepreneur sans savoir vraiment de quoi il retourne.

Pour ceux pouvant se targuer d’une certaine expérience, beaucoup se contentent d’un copié-collé de présentations trouvées sur internet ou glanées d’incubateurs étrangers sans vraiment prendre en compte les besoins et enjeux locaux. Enfin, et non des moindres, rares sont les concours et évènements suivis d’un accompagnement de long-terme, à même de créer un véritable renforcement des capacités et de constituer un tremplin qualitatif pour ces jeunes entreprises. Or, ce sont pourtant ces ingrédients qui sont capables de fournir un terreau fertile pour ces pousses entrepreneuriales. Rien ne sert de conter fleurette aux porteurs de projets, il faut les accompagner, les comprendre et leur offrir des outils spécifiques.

 

… qui ne doivent pas inciter à renoncer mais plutôt favoriser un meilleur suivi !

A l’inverse, on assiste à une certaine course aux concours parmi les entrepreneurs. Qui les blâmera ? Le chômage demeure majeur, avec une jeunesse qui compte pour 60% de l’ensemble des chômeurs en Afrique Subsaharienne. L’entrepreneuriat apparaît alors comme une voie de survie. L’Afrique présentant un record dans le domaine avec la plus forte proportion mondiale de potentiels jeunes créateurs d’entreprise (60%)[1]. L’engouement actuel alimente cette frénésie où, aux dires d’un entrepreneur ivoirien, « écument toujours les mêmes à courir après les prix ». Gros chèque, notoriété, réseau, les carottes sont affriolantes tandis que peu de concours proposent une formation à la clef.

Or, en Afrique plus qu’ailleurs, les jeunes entreprises ont besoin de formation technique. Elles sont les premières à le reconnaître et à  le réclamer. Alors que la Côte d'Ivoire a inscrit l’entrepreneuriat au programme scolaire, il faut plaider pour que la sensibilisation dès le plus jeune âge se concilie à la fois avec un enseignement technique et professionnel et avec une offre d’assistance technique (AT) accessibles et de qualité. Là encore, des efforts sont à poursuivre : l’éducation professionnelle est marginale, et les fournisseurs d’AT sont encore trop peu visibles, et souvent trop peu outillés pour fournir un appui efficient. De même, l’offre en financement manque la cible qui en requiert le plus. Le paysage est compartimenté entre micro-finance, banque et quelques fonds d’investissement avec des taux d’intérêt et des demandes de garanties trop élevés et des tickets inadaptés aux besoins, tandis que les PME africaines ne disposent bien souvent pas d’une éducation financière suffisante pour construire un solide dossier de financement.

On ne citera personne mais il faut cependant conclure en reconnaissant que se construit, doucement mais sûrement, une communauté entrepreneuriale engagée et expérimentée et que des entreprises championnes émergent, portées par de jeunes leaders ambitieux pour leur pays et leur continent. Les partenaires de développement l’ont compris également, en cherchant à mieux connaître ces pépites encore embryonnaires pour mieux y investir. Ainsi, la Société Financière Internationale entend participer à hauteur de 20 à 25% dans un programme d'investissement de 250 millions de dollars dans des fonds de capital-risque dédiés aux PME en Afrique.

Ainsi, la donne a changé. Rangez votre cravate, le fonctionnariat est en train de passer de mode. Au milieu de la fièvre, l’engouement est réel. Reste à ne pas perdre de vue que l’entrepreneuriat, même sans patron, est un travail à part entière.

 

Pauline Deschryver

 


[1] Global Entrepreneurship Monitor, Youth Business International (GEM/YBI) sur l’entrepreneuriat chez les jeunes, Rapport 2013

La lutte contre le proxénétisme en Afrique de l’Ouest

La lutte contre le proxénétisme dans les pays de l’Afrique de l’Ouest que sont : Nigéria, Niger, Ghana, Bénin, Togo, Côte-D’ivoire, Burkina-Faso, Sénégal, Gambie, Mauritanie, Mali, Cap Vert, Guinée Bissau, Libéria, Sierra Léone, n’a pas produit les résultats escomptés. Les états ont beaucoup plus axés la lutte sur la question sanitaire, à savoir les maladies sexuellement transmissibles (MST) et en particulier le SIDA. La faiblesse d’une réglementation dissuasive a constitué un terrain fertile au développement du proxénétisme.

On note néanmoins des excursions policières et des contrôles de routines dans les Etats mais ces actions ne sont pas pérennes et coordonnées dans le temps. Au Sénégal par exemple, la nouvelle plaque tournante de la prostitution en Afrique, les actions de la Division des investigations criminelles, de la sureté urbaine et du Groupement mobile d’intervention (GMI) ont permis de démanteler de nombreuses auberges, maquis et hauts lieux du proxénétisme dans les quartiers de Dakar comme la Corniche, le virage des Almadies, les Hlm, les Parcelles Assainies, Grand-Dakar ou encore Grand-Yoff. Rappelons que la prostitution est légalisée au Sénégal depuis 1969.

En Guinée Conakry, pour lutter contre la prostitution, la police arrête, rase, filme clients et prostituées et diffuse les images dans les médias audiovisuels locaux (Enquête de l’événement, L'envers et le décor du " business-sexe " à Ouagadougou, 16 juin 2009).

Au Burkina-Faso, Mali, Togo, Bénin et Côte-D’ivoire, on procède à la fermeture des bordels et chambres de passe pour freiner la propension de la prostitution dans la ville et aussi par des descentes policières musclées dans les grandes villes. Selon l'article 423 du Code pénal burkinabè, la prostitution est définie comme étant "le fait pour une personne de l'un ou de l'autre sexe de se livrer habituellement à des actes sexuels avec autrui moyennant rémunération. Est puni d'un emprisonnement de 15 jours à deux mois et d'une amende de 50 000 à 100 000 FCFA ou de l'une de ces deux peines seulement quiconque se livre habituellement à la prostitution par racolage sur la voie publique". La loi du 13 avril 1946 toujours en vigueur, en son article 3, stipule que "seront punis d'un emprisonnement de 6 mois et d'une amende de 200 000 F CFA ceux qui, par gestes, paroles, écrits ou par tout autre moyen, procéderaient publiquement ou tenteraient de procéder au racolage de personnes de l'un ou de l'autre sexe en vue de provoquer la débauche ". Cette même loi réprime le proxénétisme qu'il soit exercé par un individu, un hôtel, ou un pourvoyeur de local privé, c'est-à-dire les gérants ou propriétaires de chambres de passe, de maison closes ou d'hôtel.

Au Ghana, la prostitution n’est pas reconnue comme une activité légale. La Police procède par des interpellations en vue de décourager des fois les jeunes filles et dames qui s’adonnent au plus vieux métier mais l’identification des cibles est un casse-tête car les activités se pratiquent souvent la nuit non plus dans des chambres ordinaires mais plus dans des hôtels et parfois dans des foyers conjugaux en l’absence d’un des partenaires du couple.

La prostitution est intimement liée au trafic des êtres humains et elle constitue même son bras armé. Selon le fond des nations unies pour l’enfance (UNICEF) et l’organisation internationale du travail), entre 200.000 et 300.000 enfants seraient chaque année victimes de la traite en Afrique occidentale1

La majorité de ces enfants ont plus de 90% de chance de se voir violentés, violés ou d’intégrer un réseau de prostitution. Le rapport sur la traite des êtres humains 2010 épingle la Côte d'Ivoire comme étant un pays de destination pour les enfants et les femmes victimes de la traite des personnes, en particulier à des fins de travail forcé et de prostitution forcée, encore qu’elle soit aussi un pays de transit et d’origine. Le rapport poursuit en affirmant que filles qui sont recrutées au Ghana et au Nigéria pour travailler comme serveuses dans les restaurants et les bars, finissent souvent par tomber dans la filière de la prostitution. La police ivoirienne a démontré qu’elle méconnaissait le phénomène de l’exploitation sexuelle des mineures, en effet lors d’une investigation, elle a démantelé un réseau utilisant des mineurs a des fins de prostitution mais elle a vite fait de conclure qu’il s’agissait de prostitution volontaire et non de traite des enfants2.

La Gambie est devenue une destination de choix pour les amateurs de mineurs mais plus spécifiquement pour les amatrices occidentales de très jeunes éphèbes noirs. Des femmes connues sous le pseudonyme "Marie-Claire’’, âgés entre 45-60 dont les pays d’origine sont : les Pays-Bas, la Belgique, la Suisse, du Royaume-Uni, et parfois de la France, se mettent à la recherche de jeunes mineurs. On peut les apercevoir se faire appliquer de la crème solaire sur le dos faire par des adolescents surnommés les «bumsters»3

La lutte contre ce phénomène en Gambie est entrain de porter des fruits non négligeables. Elle est l’œuvre des gérants d’hôtels, dont un grand nombre commence à s’organiser pour lutter contre le phénomène des «Marie-Claire» mais on déplore que beaucoup d’entre elles bénéficient de la complicité de la police et les conditions sociales rendent la situation moins reluisante. A cela, il convient de parler aussi de la lutte contre la prostitution des africaines dans les capitales occidentales. En effet beaucoup de jeunes filles considèrent l’Europe comme un eldorado, elles tombent dans les filets des réseaux criminels qui les obligent à se prostituer. Nous avons le témoignage de Rose, victime d’exploitation sexuelle.

Rose raconte : «Je pensais être libre en Europe », lance-t-elle, songeuse, assise dans le petit appartement lugubre de la ville portuaire de Gênes qu’elle partage avec deux autres travailleuses du sexe. Nous avons été enfermés dans un appartement pendant un mois et demi », se souvient-elle. « Ils ont vidé nos sacs et confisqué nos passeports » Rose pensait qu’elle se rendait en Europe pour y poursuivre ses études et travailler à temps partiel pour se faire un peu d’argent. Mais la jeune nigériane n’imaginait pas que les études n’étaient qu’un leurre et que la prostitution était le travail qui les attendait4

Les « Mamas » (pseudonyme que portent les femmes qui envoient les filles en Europe pour la prostitution) au Nigéria sont les véritables bras armés de la prostitution. Elles transforment ces filles en de véritables esclaves sexuels, les obligeant par un rite d’alliance vaudou à leur rembourser des sommes colossales sinon ces filles risqueraient de mourir ou devenir folles.

Les trafiquants exigent des filles qu’elles leur remboursent 50 000 euros (60 000 de dollars) environ pour les frais de voyage et d’hébergement, celles-ci devant travailler pour eux jusqu’à apurement de leur dette. En Avril 2015, un réseau de prostitution nigérian a été mis au jour à Nice(France) par la sureté. Ce fut un réseau de prostitution organisé par les «mamas » et dont la figure de proue était un prêtre officiant au sein de la communauté nigériane azuréenne5 .

En Mai 2014, un important réseau de proxénétisme en bande organisée, traite des êtres humains en bande organisée, blanchiment en bande organisée et association de malfaiteurs a été démantelée en France. Cette Bande était sous la houlette des « mamas »6. .

Solutions contre cette nouvelle forme d’esclavage humain

La lutte contre la prostitution sous toutes ses formes passe d’abord par rééducation de nos sociétés. La société africaine est malade et agonisante. Les valeurs ancestrales de dignité, d’ardeur dans le travail sont en voie de disparition. Notre société est un centre de consommation sociale irréfléchie que la globalisation est entrain d’ensevelir. Il est grand temps de rééduquer la jeunesse africaine. L’impact néfaste de certaines déviations de la culture occidental sur nos sociétés africaine n’est plus à démontrer. Cela se perçoit dans le mode vestimentaire, la manière de parler…

Il ne s’agit pas ici de faire le procès de la culture occidentale ou de sacraliser les sociétés africaines mais de comprendre le comportement de la jeunesse africaine par les déviations occidentales (pornographie, prostitution, homosexualité…) que l’on tente d’uniformiser en valeur universelle. En effet grâce au NTIC de nouvelles valeurs comportementales ont fait leur entrée en Afrique.

Si la jeunesse africaine est défaillante, c’est parce que les anciens aussi ont échoué quelque part. Les anciens ne sont plus des modèles disait le journalisme burkinabè Norbert Zongo. Nous devons donc éduquer la jeunesse sur la base des repères car ces stars de la pop américaines en général ne sont pas des repères fiables pour notre jeunesse.

Enfin, sans être trop idéaliste, la rééducation de nos sociétés doit passer par sa reconstruction. Nous devons détruire les valeurs de médiocratie et de cupidité, et construire notre société sur des valeurs d’honnêteté et surtout de la culture du mérite.

Par ailleurs, il est impératif de lutter contre la paupérisation dans nos sociétés. Nous devons donner à chaque Homme le moyen de gagner honnêtement et dignement sa vie. Ils sont nombreux ces jeunes diplômés en Afrique de l’ouest, laissés a eux-mêmes qui vagabondent dans les rues de Lomé, Ouagadougou, Bamako. Elles sont nombreuses aussi ces familles au bord de la dépression pour qui les besoins fondamentaux restent un luxe, elles assistent impuissantes a la flambée des prix de premières nécessités. Au même moment les dirigeants se targuent d’une croissance à 5 pourcent ou 7pourcent, ils sont en réalité les fossoyeurs de leur peuple. Eux qui se pavanent avec des voitures de la jet-set parisienne ou londonienne et dont les comptes bourrés en Suisse pourrissent dans les oubliettes devant la misère de nombreuses familles africaines qui plongent dans la résignation ou la rébellion.

Pour reprendre les propos d’un homme politique burkinabè : Si l’odeur de l’argent pouvait tuer mes voisins de quartier seraient déjà morts. La lutte contre la prostitution sous toutes ces formes passe par une coopération sous-régionale et internationale beaucoup plus grande entre les services de sécurité car avec la traite des enfants et le proxénétisme international, elle est entrain de devenir transnational. Il est aussi important de renforcer la sécurité frontalière car la porosité des frontières facilite le proxénétisme transnational des zones rurales vers les capitales des pays voisins.

Pour conclure avec les solutions, nous pensons qu’il faudrait une législation dissuasive et des textes juridiques uniformisés en Afrique de l’Ouest. La lutte contre la prostitution passe par une coopération sécuritaire, juridique sous régionale mais aussi par des plans d’actions d’éducation civique et morale et de lutte contre la pauvreté.

Octave Bayili

(1) Wilfried Relwende Sawadogo,The Challenges of Transnational Human Trafficking in West African Studies Quarterly, volume13, issues1-2, printemps 2012 http://www.africa.ufl.edu/asq/v13/v13i1-2a5.pdf,p3

(2) Source : Ambassade des Etats-Unis en Côte-D’ivoire http://french.cotedivoire.usembassy.gov/tip2010.html

(3) Source : Quotidien Britannique, Gambie. Banjul, nouveau paradis des pédophiles The Guardian – Londres www.guardian.co.uk/

(4) Source : IRIN, Gênes, 7 novembre http://www.irinnews.org/fr/report/69058/nigeria-la-prostitution-brise-leur-r%C3%AAve-de-libert%C3%A9

(5) Source : Nice-Matin, http://www.nicematin.com/nice/info-nice-matin-un-reseau-de-prostitution-nigeriane-mis-au-jour-a-nice.2188696.html 

(6) Source : http://www.prostitutionetsociete.fr/actualites/actualites-france/un-important-reseau-de

Les causes du proxénétisme et les acteurs en présence

Selon le lexique des termes juridiques, le proxénétisme peut être défini comme une activité délictueuse de celui ou de celle qui, de quelque manière que ce soit, contraint une personne à se prostituer, favorise ou tire profit de la prostitution d’autrui. De nombreux faits, pouvant directement ou indirectement faciliter la prostitution, sont assimilés par le législateur à l’infraction de proxénétisme.  L’Afrique de l’Ouest est en proie a ce fléau grandissant et les rues des grandes villes ouest-africaines sont quotées à la bourse de l’immoralité et du commerce sexuel.

A titre d'illustration, quelques grandes places africaines du tapinage : l’Avenue Kwamé N’Krumah et Bolomankoté au Burkina-Faso, la rue Princesse de Yopougon en Côte d’Ivoire, la rue d’Anfangua au Mali, la croisette au Niger, l’avenue Ponty au Sénégal, etc.

Les adolescentes font l’objet d’exploitation sexuelle par les tenanciers de maisons closes comme en témoigne Ouaga Camping (une maison close a Ouagadougou) qui fut épinglé par les services municipaux. Elles sont aussi insérées dans les rouages du tourisme sexuel. C’est l’exemple de Saly, station balnéaire située à environ 90 km de Dakar, qui est surtout le haut lieu du tourisme sexuel au Sénégal.  Raoul Mbog affirme :

«Saly est le point de ralliement des Occidentaux vieillissants qui souhaitent goûter aux charmes de jeunes Sénégalais(es), pas toujours majeur(e)s.»

A cela il faut ajouter le proxénétisme des africaines dans les pays occidentaux comme la Suisse, l’Italie, la France, la Hollande, le Danemark. 

Les causes de la prostitution sont à rechercher d’abord dans les conditions de vie des populations. En effet, les programmes d’ajustement structurel (PAS) des années 1990 ont conduit au licenciement de nombreux chefs de famille. La conséquence des PAS a été la désintégration de la structure familiale. Chaque membre de la famille étant laissé à son sort. Les filles qui sont les plus vulnérables, vont développer des moyens de survie telle que la prostitution.

Après les programmes d’ajustement structurel, la dévaluation du franc CFA dans l'espace francophone va sonner le glas de la paupérisation croissante des familles africaines. En parallèle à cela, il faut noter la cupidité d’un monde libéral sans humanisme qui ne fait que creuser les écarts sociaux entre les riches et les pauvres. En témoigne la crise économique de 2008 qui soulèvera de nombreuses vagues de protestations appelées « émeutes de la faim » en Afrique de l’Ouest (Burkina-Faso, Sénégal, Mali, Togo, etc.) où «  les pauvres demandaient des comptes au plus riches»

Il faut ensuite prendre en compte les causes politiques de la prostitution. La gabegie financière, la corruption et la  mauvaise gouvernance démocratique en Afrique matérialisées par la patrimonialisation du pouvoir politique et assassinats politiques ont conduit les populations a être abandonnées à leur sort. A cela il faut ajouter les conflits sociopolitiques et guerres civiles avec son lot de misère et d’exactions criminelles tel que le proxénétisme. 

La crise post-électorale ivoirienne ou la guerre civile au Libéria ont été des facteurs favorables au développement du proxénétisme surtout de l'exploitation sexuelle des mineurs. Combien de lycéennes et étudiantes qui pour satisfaire leurs besoins élémentaires à savoir se nourrir, se loger, se soigner, sont obligés de vendre leur corps en échange de maigres sommes d’argent. 

A coté des professionnels du sexe, il ya des mineurs qui sont esclaves des réseaux mafieux. La plupart provienne des zones rurales et venues en ville pour chercher du travail comme ménagère, serveuse dans les débits de boisson. Malheureusement elles tombent entre les mains de personnes mal intentionnées qui les utilisent à d’autres fins.  

Enfin, nous pouvons évoquer des raisons sociologiques pour expliquer la recrudescence de ce fléau. La prostitution quoiqu’on puisse en dire, répond à un besoin social. Les prostituées sont prisées par des hommes de tout âge et de toute catégorie sociale. Si la prostitution existe, est-ce parce que la société se conçoit mal sans elle ?

En 2009, le maire de la ville de Ouagadougou décide d’entrer en lutte contre les tenanciers de chambre de passe et autres hauts lieux du proxénétisme dont la plupart faisait recours à des filles mineures. Dans le rang de ces  filles on notait celles de nationalités burkinabè, nigériane et ghanéenne surtout. Il a été dénombré près de cinq mille prostituées dans la ville de Ouagadougou (selon le projet SIDA III). La lutte menée par le maire s’est heurtée à l’opposition d’une grande partie de la population, dans un pays où le poids de la tradition ancestrale et de la religion dominent la conscience collective.

Aussi nous pouvons dire que la prostitution est un métier libéral. C'est-à-dire que de la même manière que l’on décide de devenir enseignant, on décide de devenir prostituée.   

Octave Bayili

Prostitution, crime organisé en Afrique de l’Ouest

La prostitution  ou le plus vieux métier du monde peut être définie comme un fléau social qui gangrène nos sociétés africaines.  Ce terme vient du latin «prostitution »  et  désigne une activité consistant à échanger des relations sexuelles contre une rémunération. Les Programmes d’ajustement structurel (PAS) des années 1990 et les effets pervers de la globalisation ont causé la paupérisation et la désintégration du tissu social et familial qui ont permis le développement de la prostitution.  La prostitution est de nos jours une véritable industrie qui fait vivre des milliers de personnes en Afrique de l’ouest.  Les jeunes filles de tout âge, neuf ans parfoiss’adonnent  à la prostitution volontairement ou de force, dans la quête de leur pitance quotidienne sous le regard passif de la société, qui ne fait que creuser les inégalités sociales. En témoignent la crise économique de 2008 qui a été suivie par de nombreuses vagues de protestations appelées « émeutes de la faim » en Afrique de l’Ouest (Burkina Faso, Sénégal, Mali, Togo, etc.) où les pauvres demandaient des comptes aux plus riches.

La prostitution n’est pas légale dans la plupart des états de l’Afrique de l’Ouest. Le Sénégal a légalisé la prostitution en 1969. Au Mali, la prostitution n’est pas interdite. La constitution malienne stipule que : La personne humaine est sacrée et inviolable. Tout individu a droit à l’intégrité physique de sa personne, par contre le fait de pousser une personne à se prostituer, ou par exemple de recevoir l’argent de la  prostituée, est sanctionné par la loi2.

Au Ghana, Burkina-Faso, Togo, Guinée-Conakry, Nigéria, la prostitution n’est pas reconnue comme une activité légale.

Les textes en la matière en Afrique de l’Ouest interdisent le racolage et l’exploitation sexuelle. Le racolage est une forme de prostitution qui consiste à arpenter les artères des grandes villes a la recherche d’un partenaire sexuel.

Les filles mineures sont intégrées dans le cercle vicieux de la prostitution. Utilisées comme « des bêtes sexuelles » par des réseaux mafieux et criminels afin d’assouvir les appétits sexuels démesurés de leurs clients. Elles sont de plus en plus nombreuses en Afrique de l’Ouest, ces jeunes adolescentes qui se  prostituent. Selon les services officiels du Togo, 27 000 prostituées travaillent dans le grand Lomé ; 31% d’entre elles ont moins de 18 ans. Au Ghana selon le Service de santé du Ghana (GHS, 2012), 750 000 adolescentes âgées de 15 à 19 ans tombent enceintes chaque année et 15,5% ont eu des rapports sexuels avant l’âge de 15 ans.

Une étude menée par l’Alliance pour les droits de la santé reproductive (ARHR) a révélé que, l’âge du premier rapport sexuel dans certains districts du Ghana est aussi bas que huit (8) ans.

Les adolescentes sont victimes d’esclavage sexuel orchestré par les gourous du proxénétisme. L’Afrique de l’Ouest est aussi en proie au tourisme sexuel et selon Raoul Mbog,  journaliste à Slate Afrique cela est du à La faiblesse d’une réglementation dissuasive et une population libérée du poids des traditions qui font de l'Afrique un nouveau repaire pour touristes sexuels. Des pays comme la Gambie, le Sénégal, Mali, Burkina-Faso y sont confrontés.

A ce type de prostitution comme crime organisé, s’ajoute les réseaux de prostitutions africains en Europe qui ont aussi des antennes de recrutement des futures esclaves sexuels en Afrique de l’ouest. 

La Suisse est considérée comme  L'eldorado européen de la prostitution africaine. Selon l'inspecteur Sylvain Lienhard de la brigade des mœurs de Lausanne, le Cameroun et le Nigeria sont les deux pays les plus représentés dans le milieu de la prostitution africaine en Suisse. Les prostitués nigérianes et ghanéennes rivalisent d’ardeur. Celles des nigérianes sous l’influence des mamas (terme nigérian utilisé pour désigner les marraines du proxénétisme) arpentent les rues des capitales européennes (Rome, Genève, Londres, etc.).

Le choix de notre sujet s’inscrit dans un contexte de dénaturation et d’exploitation croissante de la personne humaine. Nos objectifs peuvent se résumer a la volonté d’aboutir a une lutte nationale et sous régionale en Afrique de l’Ouest contre la prostitution et surtout celle des mineurs par les réseaux mafieux et le proxénétisme africain en Europe et en Afrique, par l’élaboration régionale des politiques et textes juridiques communs en la matière mais une coopération régional beaucoup plus accrue entre les services de sécurité.

Octave Bayili

(1) Imoro T. Ayibani, Isidore Kpotufe, Prostitution des mineurs en Afrique de l’Ouest : des enfants de 9 ans dans la pratique publiée le mardi 24 juin 2014   |  Sidwaya 

(2) Bassala Touré, Source : La Nouvelle Patrie du 24 déc. 2014 – Plus de données : http://maliactu.net/mali-la-prostitution-feminine-un-phenomene-qui-prend-de-lampleur/#sthash.8htGCErl.dpuf.

(3) Photo à la une Matthias Kihr

Boko Haram, cette barbarie ordinaire.

 

boko-haram-afpNos semaines sont rythmées par les attentats hebdomadaires de Boko Haram. Comme toujours, expériences syrienne et irakienne obligent, la lassitude essouffle les indignations. Progressivement, cette barbarie s’ordinarise. On prie pour en échapper, en psalmodiant sur le talisman de la chance ou de l’éloignement. Pour la logistique des carnages, l’hydre sous régional ne fait pas dans la grande production : une fille, une femme, un homme travesti en femme pour l’occasion, peu importe, un voile intégral, une ceinture explosive, un lieu populeux, bingo. Autre symbolique macabre, il semble y avoir un tarif-plancher de victimes : un peu plus d’une dizaine de morts. Maroua, Ndjamena, Fotokol, écoles expérimentales de l’adoption d’une nouvelle tragédie. Dans ce continent historiquement épargné par des attaques suicides ; il est glaçant de noter comme l’on consent, finalement, impuissants, à voir ces rubriques habiter nos bulletins d’infos.

S’en offusque-ton outre mesure ? Au-delà des 140 caractères où l’émotion s’étrangle ? Une marche ? Une veillée ? Au-delà de la dépêche où les pays expriment solidarité, émotion et condamnation ? A vrai dire pas vraiment. J’ai un nouvel appétit pour les communiqués officiels de dénonciation des attentats émanant des Etats africains. Ils disent mille choses qu’il faut savoir s’infliger malgré l’ennui diplomatique de leur conception. Les Etats africains sont prompts, à quelques milliers de mètres des abords immédiats du Lac Tchad, à témoigner « leur solidarité » avec les Etats frappés.

Le mot n’a jamais sonné aussi faux. Il n’a jamais été autant une imposture. Il n’a jamais si brillamment porté en lui,  la fuite, l’égoïsme et la peur. Pire que la fragilité, la pauvreté, les sociétés en lambeaux, les pays africains ajoutent une lâcheté à leur impuissance : la peur. De leurs grandes scansions panafricaines aux exaltations virilistes, ce que le combat contre Boko Haram révèle, c’est la peur. Pas celle naturelle de l’échaudé qui craint, pas sa variante prudente, pas même la phobie tétanisée tout à fait compréhensive de pays souvent suppliciés. Non, c’est une peur égoïste. C’est la peur poltronne et lâche du soldat qui laisse ses collègues en premières lignes. C’est le second ennemi au front.

Dans le front contre l’embryon de l’EI, le Tchad, le Niger, et un peu moins le Cameroun, ont tenu un rang honorable. Déby, tout couvert de tares qu’il soit, a réduit l’expansion du monstre. Il a rogné son territoire, essoufflé son autorité, l’a débusqué de sa forêt providentielle avec l’appui nigérian. Ne reste plus que la bête mal égorgée qui dans sa tourmente gicle et macule. Cette bête blessée et sa toile, qui a essaimé pernicieusement dans la sous-région. Une bête dont les hoquets vengeurs et désespérés ensanglantent les pays engagés. C’est en représailles que Boko Haram frappe le Cameroun et le Tchad. Il envoie un signal. Il met en garde. Il dissuade. Pour le moins, l’effet opère comme une anesthésie. Face à Boko Haram, les pays africains n’ont même pas mandaté, ils se sont tus, baignant dans leur peur d’être la cible.

Cette attitude dit ceci que la candeur géopolitique africaine demeure  inquiétante. Tant qu’une détermination et un travail concerté, impliquant tous les pays africains sans exception, pour lutter contre tous les terroristes, ne seront pas mis sur pieds, les zones de pourrissement changeront, sans que la source ne soit tarie.

Le terrorisme n’est pas l’affaire de malchanceux géographiques, c’est l’affaire de germes à l’affût d’une brèche de chaos géopolitique, c’est l’affaire de terreau de frustration et de fanatisme. Toutes choses que les Etats du continent cultivent abondamment. Cette peur fragmentera plus le continent, créant des inégalités, des porosités, des trafics dont les métastases se diffuseront très vite. Peut-être est-il temps que les sociétés civiles sortent du confort des dénonciations et de l’attentisme. Il ne suffit pas d’attendre la verticalité des sentences étatiques, il faut les presser, les orienter, les colorer.

Il n’y a pas de calendrier naturel de guérison des maux africains. L’Homme seul et son extension sociétale en tiennent l’antidote.  Il est des moments où les solidarités transnationales prennent, ce sont souvent des moments de douleur. Après la vague des indépendances, les décennies noires, le dit frémissement économique, il serait impardonnable à ce continent de rater l’opportunité de faire corps contre Boko Haram.  C’est un défi aussi urgent que formidable : une Afrique par le bas.

Elgas

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Rencontr’Afrique avec Gilles Olakounlé Yabi: la montée du terrorisme en Afrique de l’Ouest

JPG_Gilles Yabi 050315L’Afrique des Idées a organisé le samedi 21 mars sa première Rencontr’Afrique de l’année à Dakar avec Dr. Gilles Olakounlé Yabi, ancien directeur Afrique de l'Ouest pour International Crisis Group (ICG) et président-fondateur du WATHI, sur le thème de la montée du terrorisme en Afrique de l’Ouest : enjeux et défis sécuritaires. Le modérateur Lagassane Ouattara a  rappelé la formation en économie du développement de Gilles Yabi et son passage à l’International Crisis Group (ICG), avant de créer le WATHI, think tank citoyen et participatif qui propose des idées sur l’Afrique. Il a une expérience de plusieurs années sur les questions de crise en Afrique. Le WATHI est ouvert aux Africains ayant conscience de l’état du continent, de l’immensité des défis, et confiance dans l’avenir. Le WATHI (inspiré de « waati » qui signifie temps en bambara) est donc une boîte à idées qui cherche à produire et diffuser les idées, promouvoir du débat informé et agir pour changer les systèmes (politiques, économiques, sociaux) dans l’objectif de construire des sociétés africaines fortes, solidaires et progressistes.

Gilles Yabi a abordé le thème de la montée du terrorisme en Afrique de l’Ouest en rappelant que c’est un phénomène mondial qui a connu plus récemment une progression en Afrique en général et en Afrique de l’Ouest en particulier. 

Eléments de définition

Il n’y a pas de définition universelle du terrorisme, et les perceptions sont très variées

  • Il y a une définition de l’ONU via un groupe de haut niveau mis en place par le Secrétaire Général des Nations Unies et son groupe de contact
  • L’Institut pour l’économie et la paix, qui publie l’Indice Mondial du Terrorisme, le définit comme "l’utilisation illégale de la force, réelle ou sous forme de la menace, à travers la peur, la coercition, ou l’intimidation par des acteurs non étatiques". Son rapport 2014 dénombre 18 000 personnes tuées par terrorisme en 2013. Ils sont concentrés sur 5 pays (Irak, Afghanistan, Nigeria, Pakistan, Syrie) mais le phénomène reste mondial.

La situation en Afrique

Avec 1 500 personnes tuées en 2013 selon l'IMT, et bien plus en 2014, Boko Haram, actif depuis 2009, est un problème continental et pour l’Afrique de l’Ouest dont le Nigeria est un pays essentiel. Le mode d’action de Boko Haram est assez différent de ce qui se passe dans le monde arabe. Boko Haram utilise des modes qui relèvent davantage du crime organisé et des gangs. 12% des attaques l’ont été par attentat-suicide, mais la plupart consistent en des assauts armés. Hormis Boko Haram, il y a six autres groupes terroristes actifs au Nigeria, dont les plus connus sont le Mouvement pour l’émancipation du Delta du Niger (MEND), qui a un agenda politique de revendication d’une meilleure répartition des ressources pétrolières au profit des régions du Sud-Sud du Nigeria.

Il est important cependant d’inscrire Boko Haram et son émergence dans le contexte des politiques nationales des Etats concernés (corruption, pauvreté, faiblesse de l'Etat, frontières multiples…). La corruption,  la faiblesse ou l’absence de l’Etat dans des régions périphériques créent un contexte favorable à la diffusion et à la pénétration des idées d’un groupe comme Boko Haram. Le comportement des forces de défense et de sécurité est également un facteur important pour réduire la menace ou au contraire l’aggraver. Par exemple, les forces nigérianes avaient attaqué Boko Haram en 2009 à Maiduguri, au moment où le groupe ne se cachait pas. La police avait arrêté Muhammad Yusuf, le leader du groupe, et l’avait exécuté. Les survivants de la répression de 2009 sont entrés dans la clandestinité et ne sont réapparus que plus d’un an plus tard, sous la direction d’Abubakar Shekau. Si une approche différente avait été adoptée en 2009, et qu’il y avait eu un processus judiciaire, peut-être qu’on n’aurait pas créé un contexte favorable à l’émergence de la version très violente de Boko Haram sous Shekau.

Pour le Mali, AQMI existait depuis des années mais en 2012, a profité de la quasi-disparition de l’Etat malien au Nord pour s’installer, dans le sillage de groupes armés ancrés localement. AQMI a eu de nombreuses années pour développer des liens familiaux par mariages dans les régions touareg, pour pénétrer le tissu social à travers des réalisations et échanges économiques. Le gouvernement malien avait de son côté pris la mauvaise habitude de s’appuyer sur des relais locaux au Nord parfois liés eux-mêmes aux réseaux de trafics. Le conflit en Libye a servi de déclencheur à la crise au Mali, mais le contexte avait été largement créé par la mauvaise gouvernance et une certaine démission des autorités politiques et militaires du pays face aux défis, il est vrai, immenses de la sécurité dans le nord.

Il faut aussi mettre en lien le développement du terrorisme avec la mondialisation qui charrie des opportunités mais aussi de graves menaces, difficiles à contenir en particulier par les Etats les plus faibles. La mondialisation permet une plus grande mobilité des idéologies religieuses et politiques radicales, des moyens financiers et logistiques au service des groupes terroristes et permet des moyens de communication efficaces. Il est ainsi devenu possible de mobiliser des jeunes dans des actions armées à des milliers de kilomètres, à travers une communication astucieuse et moderne sur internet, en récupérant l’actualité internationale. 

Est-ce que c’est notre problème ? Sommes-nous concernés ? Est-ce une priorité pour l’Afrique de l’Ouest?

Le terrorisme est bien notre problème à tous en Afrique de l’Ouest. Mais la solution militaire, même si elle est devenue nécessaire par exemple au Nigeria pour faire face à Boko Haram, n’est pas la solution. Le phénomène Boko Haram révèle que nombre d’Etats ont perdu prise sur leurs sociétés. Les Etats ont perdu la capacité à regarder leurs sociétés en face, telles qu’elles sont devenues après des décennies de négligence de régions périphériques et de démission politique. La présence d’AQMI et de groupes connexes dans le Sahel et le Sahara, mouvements qui s’approvisionnent en Libye, elle-même en décomposition, l’interconnexion des pays de la région, tous ces facteurs font qu’aucun pays n’est à l’abri d’une attaque terroriste. Tous les pays sont concernés parce que des groupes ancrés dans un pays peuvent frapper dans un autre, comme on l’a vu par exemple avec al-Shabaab au Kenya.

Enfin, il faut poser la question du renseignement en n’oubliant pas que plus on donne des moyens aux services de renseignement et aux forces de sécurité, plus l’espace de libertés des citoyens a tendance à se réduire.  Il faut également être conscient des risques de récupération politique de la question du terrorisme. 

Mouhamadou Moustapha Mbengue

 

Afrique de l’Ouest : une année manquée ?

croissance_nicolasL’Afrique de l’Ouest va-t-elle manquer le coche de l’année en cours et ne pas profiter au mieux des opportunités qui lui étaient offertes pour être en 2014 un des champions de la croissance subsaharienne ?

Certains des atouts annoncés ont bien été concrétisés. Les investissements en infrastructures se sont effectivement accélérés et quelques projets phares sont lancés comme la Boucle Ferroviaire qui devrait concerner 5 pays de l’Union Monétaire Ouest Africaine (UEMOA). Le secteur minier est resté très actif et quelques nouveaux gisements ont été identifiés. Le fonctionnement de l’UEMOA demeure une référence en Afrique Subsaharienne et permet de progresser sur divers grands chantiers comme celui de la fiscalité. La Côte d’Ivoire a repris son rôle de moteur économique de la zone, avec un taux de croissance supérieur à 10% en 2013 comme en 2014, et attire des investisseurs étrangers en nombre croissant.

Pourtant, alors que la fin d’année approche, le sentiment d’ensemble est la déception.  

L’occasion offerte d’une concentration de l’attention sur les grands sujets économiques, grâce à l’absence d’élections majeures en 2014 et à la fin des crises ivoirienne et malienne, a été rarement mise à profit. Au Mali, les faibles progrès dans les négociations avec les touarègues et une sécurité encore fragile ont bloqué une bonne part des projets de relance dans la partie Nord du pays tandis que les insuffisances constatées dans la gouvernance freinent le soutien des grands partenaires financiers. Les investissements publics comme privés s’effectuent donc au ralenti et le taux de croissance de 6,5% annoncé pour 2014 semble difficile à justifier. Au Niger, les actions menées dans le cadre d’un ambitieux Plan de Développement à moyen terme ont vu leurs effets pénalisés par de vives tensions politiques et par les grandes faiblesses persistantes de l’administration. Au Burkina Faso, les bonnes performances des années précédentes risquent d’être amoindries en 2014 par les problèmes énergétiques rencontrés et par l’impact négatif sur les investissements des contestations déjà engagées à propos des élections présidentielles de novembre 2015. Au Sénégal, les résultats obtenus par la nouvelle équipe ne sont pas jusqu’ici à la hauteur des attentes. Dans le voisinage de l’UEMOA, deux  pays qui semblaient être des piliers de la croissance régionale font face à de sérieux handicaps : le Ghana en raison de la forte chute de valeur de sa monnaie ; le Nigeria par suite de la montée en puissance du terrorisme dans le Nord du pays.   

Deux principales raisons peuvent être avancées pour ce contretemps généralisé. La région s’est d’abord heurtée à deux handicaps exogènes. Les risques instillés par les groupes terroristes n’ont pas disparu malgré la défaite de ceux-ci au Mali : la menace s’est faite moins directe mais reste toujours pesante dans toute la bande sahélienne et y gêne les investissements, des entreprises comme de l’Etat. Les dégâts causés par le virus Ebola depuis début 2014 se sont rapidement amplifiés et propagés : l’épidémie frappe maintenant officiellement quatre pays, y compris le géant nigérian, mais l’étendue réelle de la contagion est mal connue et les moyens de la stopper non encore identifiés, ce qui provoque parfois une panique contreproductive. A côté de ces éléments externes, le retard croissant pris dans les transformations structurelles constitue sans doute l’élément déterminant des performances décevantes. Les financements requis sont en effet désormais plus facilement mobilisables grâce au renouveau de la confiance envers toute l’Afrique subsaharienne et la diversification continue des bailleurs de fonds. Les priorités stratégiques d’investissements font partout l’objet d’un large agrément, ce qui facilite leur mise en œuvre. En revanche, faute de volonté politique, les réformes les plus difficiles mais aussi les plus décisives sont reportées ou menées à pas trop lents : transformation en profondeur de l’administration afin d’accroitre son efficacité et son honnêteté ; lutte contre la corruption sous toutes ses formes; appui effectif à l’initiative privée tournée vers les activités productives ; modernisation et renforcement de l’agriculture, maîtrise des inégalités et amélioration du caractère inclusif de la croissance. En Afrique francophone plus qu’ailleurs, ces mutations sont indispensables pour détruire les blocages à une croissance économique plus vive et mobiliser au profit de cet objectif toutes les énergies disponibles. L’Etat est en effet dans cette région un acteur économique encore trop important. Il lui faut absolument concentrer ses efforts sur la création d’un environnement mieux adapté au développement, laisser plus de champ libre au secteur privé en exigeant de lui en contrepartie qualité des projets et respect des règles fixées, et veiller à une nette amélioration de la répartition des fruits de la croissance.

L’année 2015 ne sera guère propice à des avancées majeures en ces domaines difficiles. En Côte d’Ivoire et au Burkina Faso, qui semblent être les pays plus enclins à ce type de réformes, l’attention sera très vite focalisée sur les élections de fin d’année, ce qui devrait ralentir le traitement des sujets les plus difficiles. Ailleurs, il restera d’abord nécessaire de passer en la matière des paroles aux actes. Pour cela, les Autorités doivent être convaincues du caractère vital de ces transformations pour leurs pays. Pour les en convaincre, deux influences extérieures pourraient être déterminantes. Après avoir soutenu très justement la mise à niveau des infrastructures, les partenaires financiers devraient renforcer leur appui financier et technique à ces mutations et en faire une nouvelle priorité. C’est en effet une condition nécessaire pour atteindre l’accélération de la croissance que certains, comme la Banque Africaine de Développement (BAD) appellent maintenant de leurs vœux. Il  faudra cependant de la part de ces institutions un grand effort de réflexion stratégique et de meilleure écoute des contraintes locales pour que leur message soit entendu. L’autre acteur essentiel devrait être l’UEMOA : sa solidité, son fonctionnement sans heurts lui donnent une responsabilité décisive en la matière. Il sera toujours plus facile aux Etats de mettre en œuvre des actions délicates  décidées en commun que de les imposer seuls face à des oppositions ou des lobbys peu soucieux de l’intérêt général. L’Union pourrait donc utilement renforcer son rôle aussi bien dans la promotion de grands investissements structurants que dans celle de réformes institutionnelles ou environnementales.

Le pari est difficile mais il est fondamental. En plus des menaces actuelles déjà évoquées, l’Afrique de l’Ouest doit affronter, peut-être encore plus que d’autres parties de l’Afrique subsaharienne, trois challenges essentiels. A court terme, celui des emplois à offrir en masse à une jeunesse exigeante, mais à laquelle sont données des formations souvent mal adaptées et des opportunités de travail en nombre insuffisant. A moyen terme, une explosion démographique encore non maîtrisée et exceptionnellement rapide. Selon les estimations du « Population Reference Bureau » et faute d’infléchissement des tendances présentes, la population des 8 pays de l’Union devrait être multipliée par 2,5 en 35 ans et dépasser les 250 millions de personnes en 2050, après avoir franchi un seuil de 140 millions d’habitants dans 10 ans. Il est facile d’imaginer l’immensité des actions à accomplir pour apporter à ceux-ci un niveau de vie et de progrès social acceptables. A plus long terme enfin, des modifications climatiques notables, dont les effets sont jusqu’ici très peu pris en compte.

L’urgence devait donc être le maître mot. Le temps politique n’est cependant pas le même que le temps économique… jusqu’à ce que les faits reprennent le dessus sur les promesses.

L’Afrique de l’Ouest : Vers un pôle de compétitivité énergétique ?

Il est vrai que les statistiques abondent en ce qui concerne la performance économique de l’Afrique subsaharienne. Il est aussi vrai que cette croissance est tirée par les secteurs énergétiques et miniers réputés pour leur  forte valeur ajoutée que par l’ouverture de lignes commerciales avec l’Asie et l’Amérique du Sud. Quand bien même les externalités et les effets d’échelles sont nombreux, il n’en demeure pas moins que la question de l’amélioration du niveau de vie des populations du continent suscite des réactives vives et divergentes. C’est la raison pour laquelle nous parlerons d’un projet qui en plus d’améliorer le bien-être des populations est susceptible d’améliorer la compétitivité  économique et énergétique de l’Afrique de l’Ouest : Le Gazoduc de l’Afrique de l’Ouest (GAO).

Nouvelle imageLe GAO est un projet ambitieux qui date des années 80 et  qui permet de nos jours l’acheminement du gaz naturel entre le Nigéria, le Bénin, le Togo et le Ghana. Long d’environ 700 km, il fournit en gaz naturel les principales centrales de production d’énergie électrique des pays concernés. L’opportunité d’une telle infrastructure est multiple. Tout d’abord le gaz naturel demeure l’énergie fossile la plus compétitive pour la production d’électricité. D’autre part, la découverte de nombreux gisements dans les bassins du Golfe de Guinée assure un stock de réserve important pour une exploitation à long terme. Contrairement au pétrole qui est souvent exporté et peu traité localement pour son raffinage, l’exploitation du gaz naturel permet une plus value locale plus importante; surtout quand nous savons que le Nigéria torchait autrefois l’équivalent de toute la consommation énergétique de l’Afrique faute de débouchés.

Nouvelle imagLe gazoduc est fonctionnel depuis 2011 et relie des centrales de la Communauté Electrique Bénin (CEB)[i] au Bénin et au Togo, et de la Volta River Authority (VRA)[ii] au Ghana. Grâce au prix du gaz naturel, le coût de revient du kWh produit est plus compétitif que les sources traditionnelles. La fonctionnalité du gazoduc a même entrainé des  meilleures perspectives de l’offre d’électricité compte tenu de la multiplication des projets de centrales. Il s’agit d’un atout important dans la mesure où, conformément au plan directeur du secteur de l’énergie de l’UEMOA, les interconnexions  et l’homogénéisation des réseaux électriques de chaque pays faciliteront les transferts d’énergie et permettront de rendre les tarifs de livraison de l’électricité à un prix soutenable aux populations. Les questions de tarification, d’extension et de contrat dépendent d’une autorité de régulation : l’AGAO : Autorité de Gazoduc de l’Afrique de l’Ouest. D’un point de vue macroéconomique, la disponibilité et la compétitivité de l’électricité dynamiseront la zone UEMOA à travers la baisse des prix des produits industriels, manufacturés ainsi que des services. Le bien être social sera amélioré de facto et nous pourrons alors supposer que les performances économiques statistiques s’accompagnent d’une amélioration du cadre et du niveau de vie des populations.

Toutefois, malgré l’engouement et les espoirs suscités par l’opérationnalisation d’un tel projet, des contraintes restent à surpasser. Nous n’en citerons que deux: d’une part, les volumes contractuels ne sont pas encore respectés car le gazoduc transporte moins de 50% des capacités garanties. Ceci affecte le démarrage des projets de construction, ainsi que les centrales actuelles qui tournent au ralenti ou en sous régime malgré une demande en énergie sans cesse croissante. D’autre part, la question de la sécurité du gazoduc en offshore est plus que d’actualités avec la recrudescence de la piraterie maritime et de la pêche illégale. Rappelons qu’en 2012, le dragage de l’ancre d’un pétrolier piraté puis détourné dans les eaux togolaises a entrainé la rupture du gazoduc et son indisponibilité pendant plus de dix mois. Il s’en est suivi une recrudescence des délestages entrainant un recours au fuel lourd ou au Jet A1 dont les couts de production sont prohibitifs.

La mise en place  d’un cadre de concertation et de prévention contre les troubles susceptibles d’affecter le bon fonctionnement du gazoduc s’avère nécessaire. C’est à cet effet que des forums et réunions s’organisent dans les quatre pays concernés de façon régulière.

Dans une Afrique où les infrastructures et les projets communs sont rares, nous devons saluer cette initiative Ouest africaine d’un Partenariat Public Privé qui relève de l’Afro responsabilité.

 

Léomick SINSIN

 

 


[i] La CEB est une organisation inter étatique entre le Bénin et le Togo. Elle fut créée à la fin des années 60. Elle gère la production, le transport et la distribution d’énergie électrique entre les deux pays.

 

 

[ii] La VRA est la principale structure ghanéenne en charge de la production d’énergie électrique.  Elle gère entre autres le barrage d’Akosombo ainsi que de nombreuses sources thermiques.