La facture énergétique, un frein pour une bonne performance économique de l’Afrique ?

2013_03_AFS_energy-growth_img L’énergie est depuis longtemps au cœur d’enjeux géopolitiques et économiques qui s’articulent du local au mondial. Ainsi, la pénurie énergétique qui menace le monde pourrait sans doute avoir des impacts importants sur l’Afrique. Dotée d’un potentiel important, elle est courtisée par tous les pays industrialisés, les entreprises pétrolières et nucléaires, et les producteurs de biocarburants. De ce fait, l’Afrique tend à devenir le principal fournisseur du monde. Ainsi, elle compte au moins 16 pays producteurs de pétrole dont les plus importants  sont le Nigeria (2,5 millions de baril/jour), la Lybie (environ 2 millions de baril/jour), l’Algérie (1,9 millions de baril/jour), et l’Angola (1 million de baril/jour). Cependant le continent n’est pas à l’abri de cette famine énergétique qui s’annonce.

Importante réserve mondiale d’or noir convoitée, l’Afrique est cependant très dépendante du pétrole venant de l’extérieur (notamment le carburant et le gaz) : c’est un paradoxe africain.

2013_03_AFS_energy-growth_imgi Alors qu’elle fournit au monde entier du pétrole brut, elle doit importer l’énergie nécessaire pour assurer sa consommation énergétique (production d’électricité, gaz butane, carburants,…). Le cas le plus palpant est celui du Nigéria qui malgré son statut de plus grand producteur africain n’arrive pas à assurer sa sécurité énergétique notamment à cause de ses raffineries défectueuses. Le continent dispose de plusieurs raffineries ; mais la production reste largement en deçà de la capacité installée, du fait de la mauvaise gestion.[1] Cette production ne sert dans une moindre mesure qu’à alimenter la demande  intérieure en constante progression estimée à près de 1,6 millions de baril/jour en  2012.[2] Dès lors, les pays Africains doivent recourir aux importations de produits raffinés pour combler ce déficit de production.

 

2013_03_AFS_energy-growth_imgiiLe continent tend à prendre son envol vers le développement (perspective de croissance 2013 à 5% selon la BAD) avec l’émergence du secondaire et la tertiarisation prononcée de son économie mais sa dépendance face à l’extérieur pour l’énergie pourrait ralentir le processus de rattrapage du continent. En effet, si la richesse qui se crée sert à assurer, en partie, une facture énergétique (plus de 10% en moyenne des valeurs des importations) qui tend à s’alourdir (la rareté de l’or noir dans les prochaines années devraient en renforcer le prix conjuguée à une demande croissante du continent), alors les marges de manœuvre pour une politique économique efficiente et efficace (indépendane de l’aide extérieure) seraient sans doute restreintes. La vente de brut est une source importante de devises pour le continent, grâce à la performance des industrie extractives, qui permet de maintenir un niveau de croissance assez élevé sur la dernière décennie cependant elle subit assez bien la volatilité des cours du brut, notamment en 2008 et 2009.

2013_03_AFS_energy-growth_imgiiiHormis les échanges de produits pétroliers, le continent dégage un solde commercial moins déficitaire (cf. figure ci-après). Partant de ce constat, si les exportations de brut devraient se poursuivre, la tendance pourrait s’inverser au profit du continent même si un effet pervers lié à la demande pourrait se créer. En effet, la demande inhibée de produits pétroliers[3] peut se reporter sur d’autres biens, notamment les produits alimentaires, les machines, les automobiles, induisant ainsi une hausse des prix intérieurs et créant une entorse au développement de certains secteurs de l’activité économique.

2013_03_AFS_energy-growth_imgiiiiProduire soi-même ou changer de sources d’énergie (le solaire par exemple) seraient des solutions envisageables. Cependant, créer ou renforcer les raffineries déjà présentes nécessiteraient des investissements supplémentaires auxquels les pays ne sauraient consentir surtout qu’ils mènent de front une lutte pour doter le continent d’infrastructures adéquates et lutter contre la pauvreté.  Le recours à d’autres sources d’énergie comme le solaire, le charbon, l’éolienne, l’hydroélectricité qui tendent à faire l’unanimité sur le continent (nécessitent tout autant des investissements importants). Par ailleurs, ces nouvelles technologies pourraient freiner la dynamique du secteur secondaire (qui revêt une grande importance dans cette phase de décollage de l’Afrique) et dont la structure productrice repose énormément sur le pétrole. L’Afrique serait-elle donc condamnée à s’appuyer sur l’énergie importée ?

Il serait tout d’abord nécessaire d’évaluer les impacts de cette lourde facture énergétique sur l’économie africaine et de penser à la mise en place d’un mix énergétique au lieu d’un virement radical d’un type d’énergie à un autre. En plus, un renforcement du partenariat public-privé, pourrait éviter d’avoir recours à des prêts ou à l’aide extérieure. Cependant, la réflexion menée autour de l’internalisation de la production énergétique (sur la base d’autres sources) pourrait induire le continent dans un cercle encore plus vicieux. Ceci d’autant que nombre de pays Africains sacrifient leur agriculture au profit de cultures destinées à la production de biocarburants (Caoutchouc, Noix de Cajou, Hévea, …) destinés à l’extérieur (Chine, Inde, Brésil) au lieu d’être transformées sur place pour substituer les importations de carburants. Le cercle vicieux pourrait encore se recréer : Du brut exporté pour du carburant importé plus cher, passerait-on à l’exportation de produits agricoles pour du biocarburant importé ?

Ananou Foly


[1] 45 raffineries pour une capacité totale théorique de 2,8 millions de baril/jours

 

 

[2] Elle pourrait atteindre 2,5 millions de baril/jour d’ici 2025 selon le CITAC (Continuous Improvement Training and Consultancy)

 

 

[3] La diminution de la part des importations de produits pétroliers face une poursuite d’exportations de brut est créateur de richesse, du fait de l’excédent de la Balance Commerciale. La richesse qui ainsi se crée est une motivation à l’augmentation de la consommation (notamment de qualité).

 

 

L’Inde : un partenaire qui nous aime ?

Le débat sur l’importance de la coopération euro-africaine n’est pas encore tranché que l’on voit naitre sur le continent une autre forme de coopération – Asie-Afrique – menée par la Chine, avec une facette bien différente de celle qu’ont connu les pays africains depuis leur indépendance. Asie-Afrique certes, mais elle semble se limiter à une coopération sino-africaine, tant la présence de la R.P.C. sur le continent dans divers secteurs (BTP, Commerce, les grands projets, l’agriculture,…) est importante. On en arrive à oublier que l’Asie offre d’autres partenaires tout aussi importants que la Chine avec des opportunités potentiellement plus intéressants : l'Inde probablement?

La valeur de l'Inde sur le continent africain n'est perçue que sur le marché de l'audiovisuel où elle a su évincer le Brésil par les nombreuses séries qu'elle propose (comme vaidehi) et qui occupent tout un continent. Pourtant, à l'Afrique, l'Inde a plus à offrir.

Avec une croissance estimée à 5.3% pour 2013 et une population de plus d’un milliard d'habitants (qui croît à hauteur de 1,4% par an), les besoins de l'Inde en énergie, en minerais et sur le plan agricole devraient croître significativement dans les années à venir. Ces perspectives ont fait prendre conscience aux autorités et investisseurs indiens, de l'importance stratégique que revêt une coopération avec l'Afrique qui constitue une réserve importante en ressources minières et agricoles ; comme en témoigne les sommets Inde-Afrique et autres rencontres d’affaires, très peu couverts par les média-africain mais qui sont des rencontres économiques très lucratives pour les deux parties. En huit ans, ils ont permis à l’Inde d’investir près de 75 Mds USD dans 1000 projets sur les continents.

Cependant l’Inde n’est pas nouvelle sur le continent. Bien avant les indépendances, elle était là pour aider certains pays africains dans leur lutte pour l’indépendance (On n’oubliera pas que dès 1967, l’Inde reconnaissait déjà officiellement l’ANC d’Afrique du Sud). Très présente en Afrique centrale et australe depuis les indépendances, elle s’illustre dans l’agroalimentaire, le textile et les télécommunications : Tata dans l’industrie automobile et le transport, Cipla dans l’industrie pharmaceutique ou encore Bharti dans les télécommunications. Le secteur privé indien croit en l’Afrique et n’hésite pas à cet effet à investir sur le continent et ceux sans espérer une formalisation officielle des relations indo-africaines ; contrairement à la Chine dont la présence sur le continent est l’œuvre d’un intérêt sans cesse croissant affiché par le régime en place.

Cette coopération ne se limite pas à la recherche de profit sur le continent, mais aussi à valoriser ses compétences. Certains n’hésitent pas à participer ou à renforcer le capital humain, voir même se faire employer par des africains. On retiendra le cas du géant nigérian Dangoté, qui a bâti son empire sur les épaules de son CEO Edwin Devakumar, un indien, qui n’a ménagé aucun effort pour faire rayonner ce groupe, depuis qu’il y a été pris en 1992 en tant que directeur des deux usines de textiles. Alors que la coopération avec la Chine n’arpente pas une voie participative, l’Inde partage avec l’Afrique ces connaissances et ses expériences. Elle offre à des étudiants et professionnels, l’opportunité de se faire former en Inde, dans divers domaines, contrairement à la Chine dont l’approche est plus sélective en termes de développement du capital humain.

La conquête de l’Afrique par l’Inde, tend à prendre une tournure officielle : multiplication des ambassades et consulats dans les pays africains ; organisation de sommets et rencontres d’affaires. Et pour cause, de 2000 à 2011, les importations indiennes en provenance d’Afrique ont été multipliées par 8 passant de 4,1 Mds USD (2000) à 35,3 Mds USD (2011), selon les données UNCTAD ; et se concentrent essentiellement sur du pétrole brut, de l’or, de la noix de cajou, du cuivre, et d’autres minerais. L’Afrique est en retour un marché important pour l’Inde, elle y exporte notamment du textile, des produits pharmaceutiques (concurrence sérieuse avec la France), du riz (en plus de la Thaïlande), du pétrole raffiné et de l’automobile (notamment les motocyclettes).

L’intérêt de l’Inde pour l’Afrique réside dans le sous-sol du continent, toutefois elle tente de participer à l’émergence du tissu industriel bien que concentré dans la transformation de produits d’intérêt indien : mise en place d’industrie de textile (Ghana), de transformation de noix de cajou (Cote d’Ivoire – Guinée Bissau), de raffinerie de pétrole (Angola ou Soudan). Toutefois, elle a encore du mal à s’imposer dans les grands travaux d’infrastructures, qui est l’essence d’une bonne visibilité de l’aide au développement, et dans lequel excelle la Chine. Par ailleurs, elle n’hésite pas à s’impliquer dans des missions d’ordre diplomatique comme le ferait les partenaires européens ; contrairement à la Chine.

L’Inde offre à l’Afrique une forme de coopération, qui tend à concilier le modèle chinois et celui des partenaires classiques européens : une ingérence limitée, une méthode participative, soit une coopération sud-sud « saine » qui pourrait porter de bons fruits, même si l’Inde n’a pas le capital de la Chine. En outre, l’Inde a su capitaliser une expérience en Afrique grâce à sa présence historique, surtout dans les pays anglo-saxons avec lesquels ils partagent l’histoire de la colonisation, et aux liens de solidarité qu’elle a su lier avec certains pays.

Toutefois, cette main de développement et de solidarité que l’Inde tend à l’Afrique doit être prise avec assez de prudence. Le modèle asiatique de coopération telle que présentée et menée par la Chine, a su flatter l’Africain dès ses débuts mais s’est finalement montré défaillant (exploitation sans partage, exclusion de la main d’œuvre locale, …). Il demeure que l’Inde reste pour l’Afrique, un partenaire avec lequel il devrait repenser la coopération sans les défis de développement et de réduction de pauvreté auxquels fait face ce nouveau partenaire, pour ne pas se faire prendre au piège comme cela a été le cas avec la Chine.


Ananou Foly