L’Inde : un partenaire qui nous aime ?

Le débat sur l’importance de la coopération euro-africaine n’est pas encore tranché que l’on voit naitre sur le continent une autre forme de coopération – Asie-Afrique – menée par la Chine, avec une facette bien différente de celle qu’ont connu les pays africains depuis leur indépendance. Asie-Afrique certes, mais elle semble se limiter à une coopération sino-africaine, tant la présence de la R.P.C. sur le continent dans divers secteurs (BTP, Commerce, les grands projets, l’agriculture,…) est importante. On en arrive à oublier que l’Asie offre d’autres partenaires tout aussi importants que la Chine avec des opportunités potentiellement plus intéressants : l'Inde probablement?

La valeur de l'Inde sur le continent africain n'est perçue que sur le marché de l'audiovisuel où elle a su évincer le Brésil par les nombreuses séries qu'elle propose (comme vaidehi) et qui occupent tout un continent. Pourtant, à l'Afrique, l'Inde a plus à offrir.

Avec une croissance estimée à 5.3% pour 2013 et une population de plus d’un milliard d'habitants (qui croît à hauteur de 1,4% par an), les besoins de l'Inde en énergie, en minerais et sur le plan agricole devraient croître significativement dans les années à venir. Ces perspectives ont fait prendre conscience aux autorités et investisseurs indiens, de l'importance stratégique que revêt une coopération avec l'Afrique qui constitue une réserve importante en ressources minières et agricoles ; comme en témoigne les sommets Inde-Afrique et autres rencontres d’affaires, très peu couverts par les média-africain mais qui sont des rencontres économiques très lucratives pour les deux parties. En huit ans, ils ont permis à l’Inde d’investir près de 75 Mds USD dans 1000 projets sur les continents.

Cependant l’Inde n’est pas nouvelle sur le continent. Bien avant les indépendances, elle était là pour aider certains pays africains dans leur lutte pour l’indépendance (On n’oubliera pas que dès 1967, l’Inde reconnaissait déjà officiellement l’ANC d’Afrique du Sud). Très présente en Afrique centrale et australe depuis les indépendances, elle s’illustre dans l’agroalimentaire, le textile et les télécommunications : Tata dans l’industrie automobile et le transport, Cipla dans l’industrie pharmaceutique ou encore Bharti dans les télécommunications. Le secteur privé indien croit en l’Afrique et n’hésite pas à cet effet à investir sur le continent et ceux sans espérer une formalisation officielle des relations indo-africaines ; contrairement à la Chine dont la présence sur le continent est l’œuvre d’un intérêt sans cesse croissant affiché par le régime en place.

Cette coopération ne se limite pas à la recherche de profit sur le continent, mais aussi à valoriser ses compétences. Certains n’hésitent pas à participer ou à renforcer le capital humain, voir même se faire employer par des africains. On retiendra le cas du géant nigérian Dangoté, qui a bâti son empire sur les épaules de son CEO Edwin Devakumar, un indien, qui n’a ménagé aucun effort pour faire rayonner ce groupe, depuis qu’il y a été pris en 1992 en tant que directeur des deux usines de textiles. Alors que la coopération avec la Chine n’arpente pas une voie participative, l’Inde partage avec l’Afrique ces connaissances et ses expériences. Elle offre à des étudiants et professionnels, l’opportunité de se faire former en Inde, dans divers domaines, contrairement à la Chine dont l’approche est plus sélective en termes de développement du capital humain.

La conquête de l’Afrique par l’Inde, tend à prendre une tournure officielle : multiplication des ambassades et consulats dans les pays africains ; organisation de sommets et rencontres d’affaires. Et pour cause, de 2000 à 2011, les importations indiennes en provenance d’Afrique ont été multipliées par 8 passant de 4,1 Mds USD (2000) à 35,3 Mds USD (2011), selon les données UNCTAD ; et se concentrent essentiellement sur du pétrole brut, de l’or, de la noix de cajou, du cuivre, et d’autres minerais. L’Afrique est en retour un marché important pour l’Inde, elle y exporte notamment du textile, des produits pharmaceutiques (concurrence sérieuse avec la France), du riz (en plus de la Thaïlande), du pétrole raffiné et de l’automobile (notamment les motocyclettes).

L’intérêt de l’Inde pour l’Afrique réside dans le sous-sol du continent, toutefois elle tente de participer à l’émergence du tissu industriel bien que concentré dans la transformation de produits d’intérêt indien : mise en place d’industrie de textile (Ghana), de transformation de noix de cajou (Cote d’Ivoire – Guinée Bissau), de raffinerie de pétrole (Angola ou Soudan). Toutefois, elle a encore du mal à s’imposer dans les grands travaux d’infrastructures, qui est l’essence d’une bonne visibilité de l’aide au développement, et dans lequel excelle la Chine. Par ailleurs, elle n’hésite pas à s’impliquer dans des missions d’ordre diplomatique comme le ferait les partenaires européens ; contrairement à la Chine.

L’Inde offre à l’Afrique une forme de coopération, qui tend à concilier le modèle chinois et celui des partenaires classiques européens : une ingérence limitée, une méthode participative, soit une coopération sud-sud « saine » qui pourrait porter de bons fruits, même si l’Inde n’a pas le capital de la Chine. En outre, l’Inde a su capitaliser une expérience en Afrique grâce à sa présence historique, surtout dans les pays anglo-saxons avec lesquels ils partagent l’histoire de la colonisation, et aux liens de solidarité qu’elle a su lier avec certains pays.

Toutefois, cette main de développement et de solidarité que l’Inde tend à l’Afrique doit être prise avec assez de prudence. Le modèle asiatique de coopération telle que présentée et menée par la Chine, a su flatter l’Africain dès ses débuts mais s’est finalement montré défaillant (exploitation sans partage, exclusion de la main d’œuvre locale, …). Il demeure que l’Inde reste pour l’Afrique, un partenaire avec lequel il devrait repenser la coopération sans les défis de développement et de réduction de pauvreté auxquels fait face ce nouveau partenaire, pour ne pas se faire prendre au piège comme cela a été le cas avec la Chine.


Ananou Foly

La Chinafrique, ou De l’intérêt bien entendu

 

A l’heure où la coopération Sud-Sud semble être la panacée selon les dirigeants africains, il est un pays émergent qui allie intérêts stratégiques et aide au développement sur le continent : la Chine. Le pays a en effet développé une stratégie d’intervention très efficace dans de nombreux pays d’Afrique, en sécurisant son accès à des ressources naturelles vitales pour sa croissance, mais également en contribuant au développement du continent à travers des financements à des projets que les banques traditionnelles hésitent à soutenir.

Le rapport de l’ONU intitulé La coopération de l’Afrique avec les partenaires de développement nouveaux et émergents : options pour le développement en Afrique  paru en 2010 analyse les intérêts chinois en Afrique, qui relèvent à la fois d’impératifs économiques et  d’un pragmatisme politique incontestable. La Chine a en effet multiplié  les investissements dans le secteur de l’énergie (pétrole, minéraux) et a redoublé d’efforts pour maintenir  de fortes relations commerciales sur le continent afin de s’assurer d’un accès privilégié aux matières premières et de  garantir des débouchés à ses exportations, principalement des technologies  à bas niveau ou intermédiaire. L’essentiel de la politique de coopération chinoise se concentre sur les pays riches en ressources naturelles (Angola, Nigéria, Afrique du Sud), et le modèle de développement intègre à la fois l’importation de matières premières et une coopération technique diversifiée (infrastructures, logements).  Le rapport montre que l’Afrique profite elle aussi de l’intérêt de la Chine pour ses richesses naturelles, le montant de l’aide au développement chinoise étant en constante augmentation depuis vingt ans.

Toutefois l’idée d’un pillage des ressources naturelles par la Chine est souvent évoquée par les médias occidentaux, affirmation remise en question dans un papier publié par la Banque africaine de développement en mai dernier, intitulé China’s engagement and aid effectiveness in Africa . L’auteur note ainsi que contrairement aux idées reçues, la coopération chinoise a joué un rôle globalement positif dans le développement du continent africain, en intervenant dans des secteurs où les acteurs du développement étaient peu présents, tels que les transports ou les NTIC. Il est pourtant difficle de faire la part entre aide et IDE et de schématiser le modèle de l’aide chinoise, compte tenu de ses composantes très diverses, allant de l’assistance technique à des allègements de dette.  Les tests économétriques publiés dans le rapport montrent une forte corrélation entre l’aide chinoise et deux autres facteurs, à savoir le montant de l’investissement direct à l’étranger chinois et la nature des relations diplomatiques avec le pays bénéficiaire.  En revanche, le montant du PIB par tête ou même les insuffisances en matière de gouvernance ne constituent pas des facteurs déterminants pour  l’attribution  de l’aide.

Les publications de recherche divergentes montrent qu’il  est encore tôt pour mesurer l’impact de la Chinafrique sur le développement en Afrique.  Face à la progression chinoise dans le pré carré des acteurs traditionnels du développement , un autre enjeu de long terme se dessine : la coordination entre les donneurs occidentaux et la Chine en matière d’aide au développement sur le continent .

 

Leïla Morghad