Un article précédent discutait de l’implication du secteur financier dans le phénomène de fuite des capitaux du continent africain. Il précisait que le secteur financier dans les pays africains présente quelques caractéristiques qui constituent une faille dans le système, favorisant la sortie de capitaux du continent. Conscients du problème, les gouvernements africains ont mis en place un certain nombre de mesures visant soit à limiter la sortie des capitaux, soit à faire rapatrier les fonds sortis de façon illégale. En outre, certaines initiatives mises en œuvre à l’échelle internationale pourraient contribuer à limiter la sortie des capitaux du continent. Malgré ces différentes mesures, le phénomène semble se maintenir. Dans ce contexte, on peut s’interroger sur l’efficacité de ces initiatives et l’existence d’éventuelles contraintes à leur performance, à la lumière desquels des solutions plus pérennes pourraient être identifiées pour réduire la fuite des capitaux, quelle que soit leur nature, du continent.
L’essentiel des initiatives mis en œuvre, aux niveaux africain ou international, ne s’attache pas au système financier. Il porte davantage sur certaines causes de la fuite des capitaux, notamment la corruption ou les détournements de deniers publics. Cette stratégie se justifie par la corruption, les détournements de fonds et dans une moindre mesure l’évasion fiscale, qui sont considérés comme les principales sources de sortie de capitaux du continent. Ainsi, ont été mis en place, une Convention de l’Union Africaine pour prévenir et lutter contre la corruption, un Panel de Haut Niveau sur les flux financiers illicites (dirigé par Thabo Mbeki) et le Programme africain anti-corruption. Si ce premier a pour but de renforcer la capacité des pays africains dans la lutte contre la corruption sous toutes ses formes, aussi bien dans le secteur privé que public ; le second s’apparente davantage à une voix unifiée des pays africains dans les débats à l’international concernant la lutte contre la fuite des capitaux. Le programme africain anti-corruption, initié par la Commission Economique de l’ONU pour l’Afrique and l’Union Africaine, pour la période 2011 – 2016, est un programme conçu spécifiquement pour permettre aux pays africains de recouvrer les fonds détournés ou volés. Au-delà de ces initiatives africaines, il existe aussi des stratégies régionales comme la CIABA (pour la CEDEAO) ou encore mieux au niveau de chaque pays (comme l’OFNAC pour le Sénégal, appuyé par sa CREI), qui ont pour mission principale de lutter contre la corruption, les détournements, etc. Au niveau international, de nombreuses institutions ont été établies pour lutter contre le phénomène. Certaines ont d’ailleurs instauré des normes qui peuvent permettre de circonscrire les flux de capitaux sortant d’un pays. On peut citer notamment le Groupe d’Action Financière (GAFI), la Banque des Règlements Internationaux (BRI) (la banque centrale des banques centrales) et les divers programmes de l’Onu (notamment l’UNCAC), de l’OCDE ou encore du G20. Seulement, très peu de pays africains participent à ces programmes ou institutions. A titre d’exemple, seule l’Afrique du Sud participe au GAFI, qui a établi des normes pour lutter contre les transactions illégales. Ce sont, en plus de l’Algérie, les deux seuls pays d’Afrique qui se sont soumis aux normes de la BRI. L’une des plus récentes et la plus souscrite par les pays africains (près d’une vingtaine)[1]est celle du G20 qui s’appuie sur des traités bilatéraux entre les pays du G20 et les pays dits “paradis fiscaux” concernant la levée du secret bancaire.
Dans ce contexte, l’impact escompté de toutes ces initiatives n’est que limité. Selon une étude de Johannesen et Zucman (2012), la signature des traités du G20 relative à la levée du secret bancaire n’a eu qu’un impact négligeable sur les dépôts dans les paradis fiscaux concernés. Très peu d’évadés fiscaux ont transféré leurs avoirs vers d’autres paradis fiscaux. Shaxson et Christensen (2011) ont trouvé un résultat similaire. De fait, plusieurs facteurs empêchent ces différents programmes de porter des fruits considérables.
Tout d’abord, les politiques africaines ne semblent pas déterminer à lutter effectivement contre le phénomène. Les dirigeants demeurent passifs, préservant leurs intérêts personnels. Ceci se traduit par un faible engagement dans les initiatives internationales visant à lutter contre le phénomène. Comme décrit précédemment, très peu de pays africains participent aux programmes, institutions ou autres initiatives internationales mis en place pour lutter contre la fuite des capitaux. Ainsi les spécificités des pays africains ne sont pas intégrées dans les réformes et autres normes visant à circonscrire le problème. Moshi (2007) souligne dans une étude que les normes et autres recommandations de la GAFI ne tiennent pas compte du fait que dans les économies africaines, les transactions financières se font majoritairement en espèces, ni de l’importance de l’informel (même dans le système financier). De plus, les pays initiateurs de ces programmes (très souvent les pays développés) ne se conforment pas toujours eux-mêmes aux recommandations qu’ils font aux pays africains. A titre d’exemple, dans le cadre des accords signés par les pays du G20 et leurs partenaires, les sanctions prévues pour les banques qui refusent de divulguer les informations relatives aux comptes utilisés pour échapper à la taxation sont économiquement insignifiantes et ne sont pas dissuasives pour les banques. Il est donc difficile d’asseoir la crédibilité de ces programmes dans les pays africains et de garantir leur efficacité vis-à-vis de la fuite des capitaux. L’existence de faiblesses au niveau réglementaire et la mauvaise gouvernance constituent aussi des obstacles considérables à la mise en œuvre de ces programmes. De nombreuses banques (et pays) utilisent d’ailleurs cet argument pour ne pas rapatrier des fonds, clairement identifiés comme provenant de détournement ou d’activités illicites, au pays bénéficiaire. On peut, par ailleurs mentionner les différences profondes qui existent dans les réglementations entre les pays. De fait, une activité considérée comme illégale dans un pays, peut ne pas l’être dans un autre et donc exclure toute action judiciaire dans le pays où les fonds détournés ont été placés.
Si les sources potentielles de la fuite des capitaux sont diverses et qu’elle est facilitée par les caractéristiques du secteur financier dans de nombreux pays africains, les diverses actions entreprises (très concentrées sur les transactions illicites) par les autorités se heurtent à de nombreux obstacles qui obèrent leur efficacité. Il conviendrait dans ce contexte de renforcer le système financier au niveau local et d’en faire un outil de lutte contre la fuite des capitaux. Si le secteur financier offre des conditions incitatives, des produits tout à fait intéressants et garantie la sécurité des avoirs des agents, ces derniers investiraient moins dans des produits à l’étranger. Ceci requiert, en outre, un fort engagement des politiques pour la mise en place d’un mécanisme de supervision efficace et indépendant, qui s’appuie sur des compétences réelles et une réglementation adaptée, afin de garantir un secteur financier sain et restaurer la confiance des agents. Ceci permettrait par ailleurs de renforcer la résilience du secteur vis-à-vis de toutes les transactions illicites. On pourra s’appuyer sur des mesures dissuasives pour les banques et toutes les institutions financières, comme des sanctions économiques. Les banques se verraient ainsi contraintes de réduire leur implication dans des transactions à caractère illicite, exigeant davantage d’informations sur la nature de certaines ressources financières ou renforçant le mécanisme de contrôle interne de ces institutions. Des indicateurs sur la transparence pourraient aussi être envisagés, et constituer une base de crédibilité des banques. Plus généralement, l’amélioration de la gouvernance dans les pays africains, serait un facteur déterminant dans la lutte contre la fuite des capitaux et pour le rapatriement des fonds illégalement sortis du continent. Elle permettrait, en outre aux pays africains d’avoir une voix conséquente dans les initiatives internationales, qui présentent elles même des faiblesses à surmonter, notamment en ce qui concerne le secret bancaire.
Si la lutte contre la fuite des capitaux n’est pas, pour l’heure, une priorité pour les pays africains, elle pourra s’intégrer dans une stratégie plus globale de financement des économies africaines dans la mesure où le développement du secteur financier, sur fond d’une réglementation adéquate et un mécanisme de surveillance approprié, constitue un excellent rempart.