Le système financier malgache

Madagascar sort de cinq ans de crise politique. Dans ce contexte délicat, il est utile de faire le point sur la santé du système financier. Il croît à partir d'une petite base et des risques apparaissent mais restent contenus. Les réformes visant à soutenir le développement du secteur financier sont néanmoins essentielles dans la mesure où il ne peut actuellement soutenir la diversification et la croissance économiques du fait d'un accès restreint aux financements. Un système financier plus développé permettrait de renforcer l'effet des politiques publiques, tant budgétaires que monétaires, et de faire de l'accès au crédit un moteur de la croissance. Il est nécessaire de renforcer la surveillance, d’améliorer la mise en place de la réglementation et de définir un cadre de résolution des crises pour assurer la stabilité financière.

  1. Panorama

Evolution du taux de change

Ces dernières années, Madagascar a enregistré une volatilité considérable des  flux de la balance des paiements. Cette volatilité était imputable à des investissements de grande échelle dans des projets miniers  et à l’instabilité économique causée par la récente crise. Il est donc difficile de porter un jugement définitif sur la stabilité et la compétitivité extérieures de Madagascar. Si les modèles du taux de change ne donnent pas une évaluation claire de la valorisation, d’autres preuves plus larges mettent en exergue l’insuffisance de la compétitivité.

 

Répercussion du taux de change à Madagascar

On estime que la répercussion du taux de change sur les prix intérieurs se situe aux environs de -0.35 à son pic, chiffre similaire aux estimations pour les autres pays d’Afrique subsaharienne. Il est également prouvé que les chocs plus marqués sur le taux de change ont une répercussion plus prononcée sur les prix que les chocs de moindre envergure. Cela suggère que les autorités devraient laisser le taux de change réagir aux chocs au lieu de laisser les déséquilibres s’accumuler ce qui finira par déboucher sur des corrections plus perturbatrices.

 

La mobilisation des recettes fiscales à Madagascar

Le ratio des recettes fiscales de Madagascar est l’un des plus faibles d’Afrique subsaharienne, et est loin de répondre aux besoins de développement importants du pays. L’objectif du gouvernement est de porter le ratio des impôts au PIB à 14 % environ à moyen terme. Pour y parvenir, il faudra prendre des mesures visant à élargir l’assiette de l’impôt, notamment en limitant les incitations fiscales, en faisant mieux respecter les obligations fiscales et en réduisant les possibilités d’évasion fiscale. Pour encourager la morale fiscale, ces efforts devront aller de pair avec une amélioration des services publics. 

 

  1. Recommendations

 

Comme c'est le cas dans de nombreux pays à faible revenu, le secteur bancaire domine le système financier malgache.

Dans l'ensemble, les banques sont en bonne santé mais il existe des poches de vulnérabilité, notamment chez les acteurs les plus récemment arrivés. Les nombreuses IMF offrent des services financiers restreints aux foyers à faible revenu, contribuant ainsi au renforcement de l'accès au système financier. Le reste du secteur financier national se constitue principalement des compagnies d'assurance. Il n'y a pas de marché boursier et le marché obligataire ne finance que l'état. L'analyse comparative montre que le système financier malgache n'est pas particulièrement inhabituel, vu les caractéristiques structurelles du pays.

Le système bancaire est stable mais comporte des poches de vulnérabilité, les principaux risques étant la concentration des crédits et la qualité des actifs; le secteur de la microfinance mérite un suivi minutieux.

Les ISF semblent indiquer que les banques sont, dans l’ensemble, suffisamment capitalisées, rentables et liquides. La profondeur financière s'est renforcée ces dernières années et correspond globalement aux caractéristiques structurelles du pays. Il reste néanmoins une marge d'approfondissement, ce qui faciliterait la mise en œuvre de la politique budgétaire et permettrait de gérer plus facilement la volatilité et de soutenir les investissements et la croissance. Le secteur de la microfinance doit être suivi de près, en particulier la gouvernance des IMF, la fermeture récente d'une institution étant un signal d'alarme clair.

 

La réglementation micro-prudentielle et la surveillance des banques et institutions de micro financement pourrait être renforcée.

Ce processus est déjà en cours avec le renforcement de l'équipe à la Commission de la Supervision Bancaire et Financière (CSBF). De nombreuses lacunes identifiées dans le PESF de Madagascar (2005) et de nombreuses analyses et recommandations faites à l'époque restent pertinentes. Une mesure importante serait de renforcer la surveillance internationale et de signer des arrangements administratifs avec des autorités de surveillance étrangères.

De plus, il ne suffit pas, pour avoir une bonne surveillance d'avoir un cadre réglementaire solide, qui existe déjà à Madagascar, mais il faut vouloir agir et le pouvoir, ce qui semble actuellement moins évident. La capacité d'action doit exister en droit et en fait. Les autorités de surveillance doivent avoir des ressources adéquates, du personnel compétent et en nombre suffisant et doivent rendre des comptes pour contrebalancer leur indépendance opérationnelle.

 

Les autorités sont incitées à améliorer la qualité de leurs statistiques et à avoir une vision plus globale du système financier et des risques systémiques.

En janvier 2013, la banque centrale a constitué une division de la stabilité financière dont le rôle est d'assurer un suivi macro prudentiel du secteur financier et d'identifier les principaux risques systémiques en mettant sur pied un système d'alerte précoce. Il est essentiel de développer cette compétence  alors que le système financier se complexifie, avec des interconnexions de plus en plus nombreuses entre banques et non-banques. Comme la crise mondiale l'a montré, avoir une vision systémique des choses permet aux autorités de surveillance de compléter leur approche micro prudentielle en intégrant les externalités qui s'accumulent. Il faudrait renforcer encore cette fonction. Le prochain Rapport sur la stabilité financière, résultant d'une autoévaluation, est un moyen de faire avancer une analyse de ce type.

 

Un autre domaine d'analyse potentiel est le cadre de prévention et de résolution des crises.

Le fait que des banques théoriquement insolvables puissent poursuivre leurs opérations ou qu'il faille plusieurs années pour fermer de telles banques pourrait illustrer des faiblesses dans le cadre de résolution des défaillances bancaires. Il sera important de définir un système de prévention des crises financières et des régimes spéciaux de résolution pour fermer les établissements bancaires.

Les récents évènements qui se sont déroulés dans la Grande Ile, notamment l’accueil des sommets du COMESA et le plus récent sommet de la francophonie vont apporter une bouffée d’air à l’économie malgache, il reste maintenant au gouvernement de bien gérer les investissements et les dons octroyés par les partenaires mondiaux de Madagascar afin d’éviter de replonger dans la série de crise qu’a connu le pays depuis son indépendance jusqu’aujourd’hui.

 

Omar Ibn Abdillah

 

Le capital-investissement acclimaté à l’Afrique: un modèle en construction

capitalMalgré les taux de croissance élevés de la dernière décennie, le volume des investissements en Afrique est resté modeste comparé aux autres régions du monde. Le continent ne représente que 6.5% des transactions du capital-investissement sur les marchés émergents contre 78% pour les pays émergents d’Asie (1).  Une situation qui résulte de la stratégie des sociétés de capital-investissement ; ces dernières investissent principalement dans les entreprises à forte capitalisation. Les grandes entreprises des secteurs du pétrole, des mines, de la banque, des télécommunications sont privilégiées au détriment des PME, certes peu structurées, mais représentant l’essentiel du tissu économique des pays. La moyenne des tickets d’investissement est d’environ 10 millions de dollars -hors Afrique du Nord- (2) ; des montants que très peu de sociétés ont la capacité d’absorber. Il se pose ainsi la nécessité de repenser le modèle actuel du capital-investissement dans un contexte où, les performances des entreprises des marchés cibles sont affectées par la baisse des cours des matières premières, réduisant davantage les opportunités d’investissement.

 

Le développement de compétences entrepreneuriales : La solution face à l’effet paradigme

L’effet paradigme résulte des divergences entre les méthodes de gouvernance d’entreprise appliquées par les fonds d’investissements et celles souvent moins orthodoxes des PME africaines. Ce qui constitue un frein au développement du capital-investissement.

Il convient de présenter l’entreprise comme un système composé d’éléments en interaction permanente. Envisager une entreprise en tant que système revient à la considérer comme un ensemble organisé composé de différentes fonctions, individus, ayant tous des objectifs, pouvant être contradictoires. C’est cette contrariété en termes d’objectifs qui oblige le manager à adopter un modèle de gestion moderne afin de concilier les buts et assurer une croissance maitrisée. L’entreprise moderne met en place des procédures, établie des organigrammes, définit les responsabilités et les délégations de pouvoirs puis assigne les rôles aux individus. En Afrique, les PME ou les entreprises en début d’activité communément appelées  start-ups,  sont caractérisées par la concentration du pouvoir entre les mains du chef d’entreprise, qui n’est généralement pas prêt à le partager. Une autre caractéristique de ces entreprises est qu’elles sont pour la plupart familiales. On entreprend en famille. Des facteurs socioculturels peuvent expliquer cet état de fait. L’esprit communautaire, le sentiment d’appartenance à un groupe social, souvent  le village, est particulièrement présent dans les sociétés africaines. Zady Kessi, écrivain et Président du Conseil économique et social de Côte d'Ivoire,  disait dans Culture africaine et gestion de l’entreprise moderne (1998), que « L’esprit communautaire constitue la clef de voûte de l’édifice social africain ».

La mise en place d’un système de développement de compétences entrepreneuriales et d’apprentissage de bonnes pratiques, intégrant cette caractéristique indissociable à la culture de « l’entreprise africaine », qu’est l’esprit communautaire, trouve ainsi sens. Pour ce faire, le modèle des incubateurs est une piste. En effet les incubateurs, en plus d’être des lieux d’apprentissage, sont des lieux de socialisation. On apprend à se connaitre, à partager, à collaborer. Le lien de famille n’est plus le seul moteur de collaboration, donc de productivité. Pour l’investisseur, il permet de diffuser les meilleures pratiques en matière de gestion d’entreprise, mais aussi d’aligner ses intérêts avec ceux de l’entrepreneur ou du dirigeant de la PME dans l’optique de favoriser l’entrée au capital et le partenariat à long terme. Le développement du numérique accélère la transition vers ce nouveau modèle. De plus en plus de centres d’innovations se créent sous l’impulsion d’institutionnels et d’investisseurs. Au Ghana, le  « MEST » est un précurseur. Il a été créé en 2008 grâce au soutien de Meltwater, une multinationale spécialisée dans l’analyse de données en ligne. On le voit plus récemment  au Sénégal avec Cofina start-up House l’incubateur du groupe COFINA, une institution de financement. Cette approche qui semble se développer davantage en faveur des start-ups n’est pas exclusive aux entreprises en démarrage. Le capital humain étant le principal accélérateur de croissance ; les dirigeants des PME dans une démarche participative, au cours de périodes d’incubation ou de « camps de formation » organisés au sein de ces lieux, pourraient être invités à travailler ensemble hors du cadre familial. Le changement de génération à la tête des PME facilite la mise en œuvre de tels programmes. Ces moments seraient des occasions pour faire connaitre les règles du financement, en l’occurrence du capital-investissement, et faire apprendre l’orthodoxie en matière de gouvernance d’entreprise ; favorisant ainsi l’entrée au capital des PME.

 

Promouvoir des équipes locales et une nouvelle stratégie de levée de fonds

La particularité de la plupart des fonds d’investissement  intervenant en Afrique est de disposer d’équipes à très hauts potentiels. Ceci entraine des coûts de gestion élevés; ces dernières ayant des niveaux de rémunération identiques ou proches des standards occidentaux. Des équipes qui souvent, ne résident pas dans les pays où s’opèrent leurs investissements. Pour  J-M. Severino, Président d’I&P -un fonds d’investissement dédié aux PME africaines-, « avec les structures de coûts que doivent supporter les professionnels opérant depuis Londres, Paris ou Dubaï, il est quasiment impossible d’imaginer être rentable en investissant seulement 500 000 euros ou 1 million par opération». Une contrainte qui justifie le fait que ces fonds préfèrent participer à des transactions de plusieurs millions. Pour permettre aux structures plus modestes telles que les PME et les start-ups d’avoir accès aux énormes ressources du capital-investissement, il faut nécessairement favoriser la mise en place d’équipes locales. Cela passe par des transferts de compétences via des partenariats-métiers avec des structures ou des professionnels aguerris du capital-investissement. Ces équipes locales présentent l’avantage d’être proches des entreprises bénéficiaires des investissements. Ce qui s’avère primordial pour la réussite de ces dernières pour lesquelles un accompagnement dit « hand-on » ; c'est-à-dire au plus près de l’entrepreneur, est essentiel. Jean-Marc Savi de Tové, ancien de Cauris Management et associé du fonds Adiwale explique que, « La difficulté de ce métier, c’est qu’il faut vivre à moins de 5 Km de l’entreprise dans laquelle on investit, car l’entrepreneur va avoir besoin de vous presqu’en permanence ».  Les exemples de Teranga Capital au Sénégal ou de Sinergi au Burkina, des fonds soutenus par l’investisseur I&P et dirigés par des équipes locales sont illustratifs. Ces fonds investissent en moyenne entre 30  000 et 300 000 euros. Des montants qui correspondent aux besoins des entreprises.

Aussi réorienter la stratégie de levée de fonds s’avère indispensable. Au Sénégal par exemple -pays ayant bénéficié d’un des montants les plus élevés d’investissement d’impact en  Afrique de l’Ouest- ; sur 535 millions de dollars levés sur la période 2005-2015, plus de 80% ont été mobilisés par le biais de transactions de plus de 10 millions de dollars (3). Les investisseurs habituels des fonds d’investissement ont des exigences de rentabilité qui peuvent contraindre les gestionnaires à cibler, les grandes entreprises présentant un profil de risque moins prononcé ou, des transactions dans les projets d’infrastructures, au détriment des entreprises de plus petite taille ne garantissant pas le niveau de rentabilité souhaité. S’orienter vers des investisseurs sociaux à vocation entrepreneuriale, c'est-à-dire privilégiant un impact social par l’accompagnement des entreprises, favoriserait l’accès aux ressources aux PME et aux start-up. Il s’agit entre autres des fondations, des institutions de développement au travers de programmes spécialisés, d’investisseurs privés, etc. Selon la Banque mondiale, les jeunes représentent 60% de l’ensemble des chômeurs africains. Le rapport Perspectives Économiques en Afrique du Groupe de la Banque Africaine de Développement publié en 2012 indiquait que le continent avait la population la plus jeune au monde, avec 200 millions d’habitants âgés de 15 à 24 ans ; un chiffre qui devrait doubler d’ici 2045. Les défis auxquels fait face l’Afrique, en l’espèce la problématique du chômage des jeunes, rendent davantage pertinent cette approche et le choix du continent comme terre d’investissement pour ces investisseurs. Ce capital dit « patient » permet de rallonger la durée des investissements. En moyenne de sept (7) ans dans le modèle classique, la durée des investissements pourrait aller au-delà de dix (10) ans et ainsi garantir une croissance réelle des entreprises financées.

 

Instaurer un cadre législatif et fiscal avantageux et encourager la création d’associations locales du capital-investissement

Disposer  d’un environnement juridique et fiscal incitatif pour le capital-investissement, véritable alternative à l’emprunt bancaire, est essentiel au plein essor de ce mode de financement. Le développement de ce concept a toujours été précédé par l’introduction d’un cadre juridique organisateur. Aux Etats-Unis où est né le capital-investissement, il a fallu la promulgation du décret de la Small Business Investment Act (4) par le gouvernement américain en 1958, pour voir se développer le métier de capital-investisseur. Certains pays africains ont pris la mesure de l’importance du capital-investissement en édifiant des réglementations propres à ce métier ; c’est le cas de l’Afrique du sud et de l’île Maurice -où sont enregistrés la plupart des fonds d’investissement opérant en Afrique-. Dans l’espace UEMOA, une loi Uniforme sur les entreprises d’investissement à capital fixe a été prise et transposée par certains pays. Malgré des avancées sur le plan fiscal de cette loi, elle reste silencieuse sur certains points. S’agissant de la gouvernance des sociétés, elle n’indique pas les modalités de gestion et de contrôle. Par ailleurs, aucun texte ne précise clairement le capital minimum requis. Des améliorations restent à apporter afin de rendre cette loi plus efficace et incitative ; notamment en rendant possible un accompagnement financier par  les Etats, à ces sociétés, avec pour objectif de favoriser le soutien financier aux PME et aux start-ups. Cela passe par l’orientation de l’épargne locale, en l’occurrence celle collectée par les caisses de retraite, vers les fonds dédiés.

Afin de dynamiser le secteur du capital-investissement en Afrique, la mise en place d’associations locales est essentielle. Tel que préconisé par Jean Luc Vovor, – associé de Kusuntu Partners- lors d’une conférence tenue à Lomé sur le sujet ; les associations locales de capital-investissement devraient avoir pour mission d’informer et de promouvoir cette classe d’actif, parfois méconnue, auprès des partenaires que sont les entreprises en l’occurrence les PME et les start-ups, les sociétés d’investissement, les fonds de pension et les Etats.

La diffusion d’informations passe au préalable par le développement de programmes de recherches liés à ce secteur ; avec des recherches sectorielles, des enquêtes, le développement de normes, et aboutissant sur des sessions de formation et d’information. L’association sud-africaine de capital-risque et de capital-investissement (SAVCA), par son action, a favorisé l’instauration et la promotion de la réglementation relative aux fonds de pension en 2011 ; des amendements ont permis auxdits fonds de faire passer à 10% la part du capitalinvestissement géré. Il s’agit là du rôle déterminant que pourraient jouer les associations locales dans le développement du capital-investissement en Afrique.

 

Un écosystème entrepreneurial dynamique est essentiel au développement du capital-investissement en Afrique. Contribuer à l’éclosion de cet écosystème passe par la mise en place de centres de développement de compétences entrepreneuriales, en favorisant l’accès au financement. Les programmes comme celui lancé récemment par la BAD et la Banque européenne d’investissement, Boost Africa, qui ambitionnent de couvrir la totalité du secteur de la création d’entreprise ; en aidant à constituer un portefeuille de 25 à 30 fonds au cours des prochaines années sont à multiplier. Pour croitre et créer des emplois durables, les entreprises à forts potentiels que sont les start-ups et les PME ont besoin d’investisseurs capables de s’adapter à leur niveau de risque. Le capital-investissement en Afrique doit s’inscrire dans un cadre plus global mêlant développement de compétences, promotion d'équipes locales, accès au financement, et implication des pouvoirs publics.

 

 

Larisse Adewui

 

  1. Source : EMPA, Fundraising & Investment Analysis, Q4 2014
  2. Source : EMPA, Fundraising & Investment Analysis, Q4 2014
  3. Source : Le Marché de l’investissement d’impact en Afrique de l’Ouest : Etat des lieux, tendances, opportunités et enjeux actuels, Pages 12-17
  4. La Small Business Act est une loi du congrès des Etats-Unis votée en 1958,  visant à favoriser le développement des PME.

L’Afrique, fer de lance d’une révolution financière ?

Partout dans le monde, on assiste à un bouleversement du paysage financier[1]. Les banques traditionnelles sont prises de vitesse par des acteurs nouveaux, dits barbarement fintech et/ou opérateurs de mobile banking (MNO ou MVNO)[2], optimisant l’usage des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). En Afrique, cette tendance est croissante. Ce continent peut-il mener la voie d’une nouvelle ère financière ? 

L’Afrique, épicentre technologique des services financiers

Le phénomène de digitalisation financière est plus aigu sur le continent africain pour de nombreuses raisons. Tout d’abord, les startups étiquetées « fintech » grouillent. Ce constat est sans équivoque et ce, dans la plupart des pays africains, notamment en Afrique de l’Est et en Afrique du Sud. Certaines se sont même fait remarquées sur la scène internationale, attirant investisseurs étrangers en quête de solides retours et/ou d’impact social. Ainsi, sur l’ensemble des investissements alloués aux jeunes entreprises africaines dans les NTIC en 2015, 30% concernaient les fintech[3]. Soutenues par un écosystème favorisant le développement de ces entreprises – avec une offre croissante d’accompagnement par des incubateurs et des concours entrepreneuriaux – ces pépites jouissent d’un environnement de plus en plus favorable à leur éclosion.

L’Afrique peut se targuer d’être le continent du mobile money et banking (ou m-paiement). La majorité des services de mobile money s’opérant à l’échelle planétaire ont lieu en Afrique (52%)[4]. Leur développement est exponentiel avec, en 2015, trois fois plus d’utilisateurs de portefeuille mobile et numérique qu’aux Etats-Unis et avec un rythme de croissance trois fois supérieur[5]. Cependant, certaines précisions s’imposent. D’une part, parler de rupture technologique en Afrique revient à négliger la situation actuelle. Contrairement aux pays occidentaux où l’offre bancaire est bien ancrée auprès une clientèle large, l’Afrique – avec des nuances pour l’Afrique du Sud – ne dispose pas de banques jouissant d’une telle base clientèle (9 Africains sur 10 n’ont pas accès aux services bancaires). Dès lors, ces acteurs créent des infrastructures et des services là où l’existant est quasi nul. D’autre part, la révolution en question n’est pas brutale mais par phases. Le déferlement du mobile money appartient à une première tendance, certes non achevée mais déjà talonnée par une seconde vague d’innovation menés par les fameuses fintechs. Alors que les services de mobile money, sont, dans l’ensemble, pilotés par de grands groupes de télécommunications et basés sur le téléphone portable, les fintechs sont surtout le fait d’entrepreneurs innovants en solo et axées sur l’usage d’internet[6].

Pionnière ou retardataire ?

Cette distinction permet de mieux apprécier si l’Afrique fait figure de pionner à l’échelle internationale ou si elle ne fait que rattraper un fort retard de bancarisation, avec des moyens qui lui sont propres. La réponse n’est pas binaire : l’Afrique crée de zéro des solutions répondant à des besoins basiques, pour combler le déficit de réponse adaptée des acteurs traditionnels. Cependant, la forme prise par ces solutions introduit un paradigme nouveau que les pays développés sont en train de copier, prenant dès lors l’Afrique pour modèle. Ainsi, on assiste à un bourgeonnement d’offres bancaires à distance en France (exemples de Soon, Hello Bank pour n’en citer que certaines) ; encore embryonnaires au Nord, elles font en revanche partie intégrante du paysage au Sud. En revanche, le focus sur le Nigeria du dernier rapport du cabinet KPMG sur les services financiers en Afrique souligne que les banques traditionnelles africaines semblent connaître les mêmes problématiques que leurs consœurs occidentales en ce qui concerne le passage au numérique. La conversion de leurs clients – qui utilisent déjà les plateformes numériques mais pour d’autres usages – à des services bancaires en ligne ne va pas de soi et la facilité d’utilisation reste un défi pour nombre de banques africaines.

Pourquoi un positionnement d’avant-garde ?         

Tout problème appelle une solution. C’est cette raison simple qui explique principalement l’ébullition constatée en matière de services financiers innovants. Elle se vérifie magistralement dans la problématique cruciale du financement des PME. Délaissées des banques – qui, peu flexibles, requièrent un nombre faramineux de garanties et comprennent mal leurs capacités de crédit – respectivement trop petites et trop grandes pour la plupart des fonds d’investissement et les institutions de microfinance – avec un ticket d’entrée trop élevé/petit pour ce segment – les PME reçoivent un meilleur accueil auprès de plateformes telles que Merchant Capital ou Rainfin en Afrique du Sud qui ont une connaissance fine de leurs besoins avec une proposition de valeur adaptée et flexible.

Similairement, alors que des institutions de la place existent pour répondre à des problématiques du quotidien, l’utilisation du numérique permet à d’autres acteurs de proposer des solutions plus adaptées, en accord avec les préférences des consommateurs africains[7]. Ainsi, en matière de transferts d’argent, face aux mastodontes occidentaux, l’opérateur de mobile money QuickCash cible les populations non desservies en brousse, reliant en particulier les planteurs de cacao en Côte d’Ivoire et leur famille dans les pays frontaliers. De même, la fintech WorldRemit a su s’imposer en se montrant plus réactive et moins chère pour répondre aux requêtes majeures de la diaspora. Ces exemples soulignent que, l’agilité et l’innovation, au-delà même de la technologie, sont les clés expliquant le succès des fintechs en Afrique. Dans le même registre, l’histoire de M’Pesa confirme cette hypothèse : c’est en saisissant que la population utilisait le temps de communication comme une monnaie d’échange, que Safaricom a eu l’idée de lancer l’opérateur de mobile banking kenyan.

Une tendance en plein essor

Premièrement, le marché est encore très peu desservi et ne demande qu’à croitre. Les chiffres sont cités à tour de bras mais leur effet demeure significatif : sur près de 330 millions d’adultes, 80% manquent d’accès aux services bancaires formalisés. Deuxièmement, une intégration est en cours, à la fois de manière organisationnelle et sectorielle. D’une part, banques et opérateurs de services virtuels tendent de plus en plus à s’associer pour renforcer leur service client et accroitre leur couverture. On peut ainsi citer les unions entre la Commercial Bank of Africa (CBA) et Safaricom au Kenya, créant M-shwari, ou entre des institutions de microfinance et M-Birr en Ethiopie. Multipliant les services, l’intégration entre MTN avec une division de la Standard Bank en Afrique du Sud, entre Airtel et Equity Bank au Kenya ou entre les opérateurs télécom et la Société Tunisienne de Banque ont favorisé des offres nouvelles, telles que la consultation des comptes, le transfert d'argent d'un compte bancaire à un autre via le mobile, le paiement de factures, le prêt bancaire, etc. En Afrique de l’Ouest, cette tendance a favorisé la forte croissance enregistrée depuis 2013 dans le mobile-money[8].

D’autre part, l’innovation est dynamisée par une intégration sectorielle. Cette caractéristique positionne sans conteste l’Afrique comme pionnière. L’utilisation des technologies déployées par les fintechs ouvre la voie à l’inclusion d’autres services financiers (e-santé, e-assurance, e-éducation, etc.). Ainsi, à l’instar de M’Kopa, des fintechs se sont mises à offrir à leurs clients des services divers et variés étoffant leur modèle économique et leur part de marché. C’est dans cette perspective que peut se comprendre la dernière annonce par Jumia de se doter se son propre système de financement par mobile.

Les raisons foisonnent pour que cette tendance se maintienne à vive allure. Jusqu’à présent, contrairement à leurs analogues américains, les fintechs africaines n’ont pas ou peu tiré profit de la masse de données qu’elles drainent quotidiennement. C’est pourtant une mine d’or ! L’analyse de ces informations permettraient entre autres de mieux cibler leur clientèle, avec des offres plus adaptées, de réduire les risques, etc. Une autre opportunité vient de l’adaptation du marché du travail aux problématiques émergeant à mesure que se constitue une classe moyenne à l’aise avec les technologies numériques. De nouveaux métiers et de nouveaux modèles apparaissent. Au Rwanda, les entreprises Rwanda Online et Pivot Access se sont alignées avec la vision nationale de devenir un hub numérique en Afrique en se positionnant comme des plateformes de services intégrés facilitant la vie au quotidien de la population (visa, enregistrement d’entreprise, paiement des impôts, etc. … le tout en ligne). Enfin, et non des moindres, la bonne marche des fintechs va de pair avec la nécessité de répondre urgemment à des enjeux sociaux : leur développement favorise l’inclusion financière, l’entrepreneuriat, l’égalité financière pour les deux sexes et la réduction de la corruption.

Les freins et nuances de ce développement

Si la vague des fintechs est excitante à plus d’un titre en raison de son impact socio-économique majeur pour le continent, elle doit toutefois être nuancée. Tout d’abord, elle s’inscrit dans une mode pour les startups en NTIC. Etre un entrepreneur en Afrique est branché, être un entrepreneur fintech, ça l’est doublement. Le revers de cette clinquante médaille est l’illusion qui peut s’ensuivre. Alors que les fintechs pullulent, bon nombre d’entre elles ont une vie très courte. Le taux d’échec, comme partout, est très élevé, tandis que le discours ambiant semble faire fi des difficultés inhérentes à ce secteur. En Afrique, ces dernières s’expliquent par un manque de capacités techniques. Les diplômés rechignent souvent à rejoindre des startups face à des propositions bien plus alléchantes de grandes entreprises[i]. L’autre écueil tient à la stratégie de distribution. M’Pesa a trébuché sur cet obstacle de taille en Afrique du Sud, en copiant son modèle kenyan et en négligeant l’effet de réseau indispensable pour réussir dans ce marché.

Sur le plan macroéconomique, deux enjeux majeurs pourraient entraver l’expansion des fintechs africaines. D’une part, l’absence ou le patchwork de cadres règlementaires pose un risque à la fois pour les usagers et les acteurs financiers. Comment s’assurer de la viabilité du système ? Comment prévenir toute bulle financière dans un marché faiblement/mal régulé ? Des codes tels que le The GSMA Mobile Money Code of Conduct, the SMART Campaign et the UN Principles for Responsible Investment, ont commencé à voir le jour mais ils restent embryonnaires face à un écosystème fourmillant et peu discipliné. D’autre part, si l’Afrique peut se constituer en modèle, son offre reste limitée à l’intérieur de ses frontières. Selon le rapport de l’UNCTAD, l’exportation des services technologiques africains est marginal, représentant seulement 0,3% des exportations mondiales en technologie de pointe[9], amoindrissant toute idée de positionnement pionner.

En conclusion, le trait le plus inspirant des fintechs africaines, mais qui ne leur est pas propre, est certainement leur agilité. Moins que la technicité, c’est leur spontanéité qui fait pâlir les banques occidentales, ou les poussent à les accompagner pour mieux s’en inspirer[10].

 

 

Pauline Deschryver


[1] http://cdn.resources.getsmarter.ac/wp-content/uploads/2016/08/mit_digital_bank_manifesto_report.pdf

[2] Par Fintech, on entend des innovations techniques appliquées aux services financiers classiques et des services financiers modifiant le paradigme financier ; MNO est l’acronyme anglais pour les opérateurs de réseau mobile virtuel

[3] Disrupt Africa African Tech Startups Funding Report 2015

[4] State of the Industry Report Mobile Money, GSMA 2015

[5] Source : VC4 Africa

[6] White Paper « The powerful rise of the 2nd generation of mobile banking in Africa », FINTECH Circle Innovate & Bankin Reports

[7] Selon le dernier rapport de KPMG sur le secteur bancaire en Afrique, le service client est le premier critère d’évaluation pour une banque

[8] On peut citer les associations entre les groupes Ecobank, BNP Paribas, Société générale et BIAO qui se sont associés à travers leurs filiales d'Afrique de l'Ouest avec Orange, MTN et Airtel.

[9] UNCTAD Technology and Innovation Report

[10] A l’instar d’institutions comme Barclays, qui a mis en place une communauté promouvant les fintechs africaines, Barclays Rise.


L’intégration financière en Afrique: encore un long chemin à parcourir!

mf2L’intégration financière désigne l’ensemble des processus liant les marchés financiers d’un pays à ceux d’autres pays de la même région ou de reste du monde.  Le fonctionnement optimal des marchés financiers est la condition préalable à l’accroissement des échanges, à la répartition efficace des facteurs de production et à la diversification du risque.  Sur le continent africain, le marché des capitaux souffre pour l’heure d’un manque de liquidité et d’une faible capitalisation. De plus, la vision à court terme qui prévaut en matière d’instruments financiers et de financement bancaire nuit à la stabilisation du marché financier continental. En outre, le manque d’intégration des marchés financiers ne permet pas aux autorités bancaires régionales de disposer d’instruments de politiques monétaire et budgétaire efficaces de régulation des marchés.

S’il est admis que les marchés financiers contribuent positivement à la croissance économique comme le montre les travaux de Rousseau et Sylla (2001), ils restent encore très peu développés en Afrique. Pour y remédier, les communautés économiques régionales (CER) en Afrique ont ainsi fait de la consolidation des marchés financiers et de la mise en commun des ressources financières le fer de lance de leur action. Dans le cadre d’un marché régional africain parfaitement intégré, les réseaux bancaires nationaux et les places boursières seraient constamment interconnectés, ce qui favoriserait une meilleure allocation régionale du crédit et de l’épargne en faveur des investissements les plus performants. Cela suppose un desserrement des contraintes liées à la libre circulation des capitaux ainsi qu’une harmonisation des règles financières et fiscales au sein d’un même sous-groupe régional. Une telle intégration permettrait aux pays africains  les moins compétitifs d’accéder aux marchés financiers des communautés économiques régionales et de financer leur développement économique.

Lors de la conférence “Réussir l’intégration financière de l’Afrique” organisée par la Banque de France  en mai 2014, Ronald Mc Kinnon a souligné la volatilité des mouvements de capitaux récemment investis dans les pays émergents. Cette volatilité peut fragiliser les états africains particulièrement sensibles à l’évolution du niveau général des prix des matières premières.

Pour Richard Agenor, chercheur associé à l’Université de Manchester, le principal enjeu de l’intégration financière de l’Afrique est de parvenir à faire converger les économies régionales afin de permettre une mobilisation de l’épargne internationale vers des investissements de développement économique.  En palliant à l’insuffisance de l’épargne interne,  l’intégration financière permettra de rendre plus efficace l’allocation des financements et de renforcer le cadre de l’accès aux services financiers.

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Dans ce contexte le développement des banques transfrontières incitera à une meilleure coordination des superviseurs ainsi qu’à une plus grande convergence des règlementations financières. Le renforcement des cadres règlementaires régionaux et nationaux reposera sur une modernisation structurelle et le développement des innovations financières telles que la finance islamique, la microfinance ou le mobile banking.

La Bourse régionale des Valeurs Mobilières: un pas vers l’intégration financière de l’Afrique ?

On dénombre aujourd’hui plus de vingt bourses des valeurs sur le continent africain. La région ouest-africaine fait d’ailleurs figure de pionnière avec la création de la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) constituée de huit pays d’Afrique de l’Ouest. Ces groupements permettent aux places boursières africaines d’atteindre une masse de flux financiers importants et d’attirer les investissements privés tout en gagnant en visibilité sur le marché financier mondial. En outre, une telle fusion pose les jalons pour la mise en place d’une Autorité de régulation boursière régionale et ainsi une harmonisation de la règlementation en matière de cotation et d’échanges.

Plusieurs pays – dont le Botswana, le Ghana et le Nigeria – se sont ainsi engagés dans la voie des privatisations d’entreprises publiques et des reformes structurelles afin de stimuler leurs marchés boursiers. L’étude publiée par Magnusson et Wydick en 2002 démontrait  ainsi, grâce à une analyse économétrique portant sur l’incidence des prix sur les données disponibles relatives aux entreprises et à l’environnement financier, que l’efficacité des marchés financiers du Nigeria et du Botswana est actuellement comparable à celles des pays émergents d’Asie et d’Amérique latine.

Par ailleurs, parallèlement à la performance de la bourse sud-africaine qui se classe au premier rang en Afrique en terme de capitalisation de montant des échanges et de nombre de sociétés cotées[1], la BRVM créée à Abidjan en 1998 permet aux États membres (Benin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo) et aux opérateurs étrangers d’échanger des titres financiers. Cette place boursière permet aussi la cotation des entreprises transfrontalières.  En effet, il faudrait dans les années à venir multiplier les cotations croisées permettant aux États membres de multiplier les cotations multilatérales au sein d’une même CER sans toutefois renoncer aux organismes de régulation nationaux.  Grâce aux cotations croisées, des introductions en bourse hors du cadre strict des frontières nationales seraient possibles. De même, les entreprises transnationales pourraient développer simultanément des cotations de leurs titres sur toutes les places boursières du continent. Enfin, les investisseurs privés tireraient également profit de ce système transnational qui leur permettrait de mobiliser des ressources hors des frontières de leur pays de résidence.  L’acte constitutif de l’Union Africaine (2000) a ainsi fait de la mise en place d’un marché boursier panafricain, l’un de ses principaux objectifs.

Daphnée Sétondji


[1] CEA African Security Exchange Association Year Book 20014, African Stock Market Review PNUD

 

Placer le secteur financier au cœur de la lutte contre la fuite des capitaux

transfert-capitaux-argent-dollarUn article précédent discutait de l’implication du secteur financier dans le phénomène de fuite des capitaux du continent africain. Il précisait que le secteur financier dans les pays africains présente quelques caractéristiques qui constituent une faille dans le système, favorisant la sortie de capitaux du continent. Conscients du problème, les gouvernements africains ont mis en place un certain nombre de mesures visant soit à limiter la sortie des capitaux, soit à faire rapatrier les fonds sortis de façon illégale. En outre, certaines initiatives mises en œuvre à l’échelle internationale pourraient contribuer à limiter la sortie des capitaux du continent. Malgré ces différentes mesures, le phénomène semble se maintenir. Dans ce contexte, on peut s’interroger sur l’efficacité de ces initiatives et l’existence d’éventuelles contraintes à leur performance, à la lumière desquels des solutions plus pérennes pourraient être identifiées pour réduire la fuite des capitaux, quelle que soit leur nature, du continent.

L’essentiel des initiatives mis en œuvre, aux niveaux africain ou international, ne s’attache pas au système financier. Il porte davantage sur certaines causes de la fuite des capitaux, notamment la corruption ou les détournements de deniers publics. Cette stratégie se justifie par la corruption, les détournements de fonds et dans une moindre mesure l’évasion fiscale, qui sont considérés comme les principales sources de sortie de capitaux du continent. Ainsi, ont été mis en place, une Convention de l’Union Africaine pour prévenir et lutter contre la corruption, un Panel de Haut Niveau sur les flux financiers illicites (dirigé par Thabo Mbeki) et le Programme africain anti-corruption. Si ce premier a pour but de renforcer la capacité des pays africains dans la lutte contre la corruption sous toutes ses formes, aussi bien dans le secteur privé que public ; le second s’apparente davantage à une voix unifiée des pays africains dans les débats à l’international concernant la lutte contre la fuite des capitaux. Le programme africain anti-corruption, initié par la Commission Economique de l’ONU pour l’Afrique and l’Union Africaine, pour la période 2011 – 2016, est un programme conçu spécifiquement pour permettre aux pays africains de recouvrer les fonds détournés ou volés. Au-delà de ces initiatives africaines, il existe aussi des stratégies régionales comme la CIABA (pour la CEDEAO) ou encore mieux au niveau de chaque pays (comme l’OFNAC pour le Sénégal, appuyé par sa CREI), qui ont pour mission principale de lutter contre la corruption, les détournements, etc. Au niveau international, de nombreuses institutions ont été établies pour lutter contre le phénomène. Certaines ont d’ailleurs instauré des normes qui peuvent permettre de circonscrire les flux de capitaux sortant d’un pays. On peut citer notamment le Groupe d’Action Financière (GAFI), la Banque des Règlements  Internationaux (BRI) (la banque centrale des banques centrales) et les divers programmes de l’Onu (notamment l’UNCAC), de l’OCDE ou encore du G20. Seulement, très peu de pays africains participent à ces programmes ou institutions. A titre d’exemple, seule l’Afrique du Sud participe au GAFI, qui a établi des normes pour lutter contre les transactions illégales. Ce sont, en plus de l’Algérie, les deux seuls pays d’Afrique qui se sont soumis aux normes de la BRI. L’une des plus récentes et la plus souscrite par les pays africains (près d’une vingtaine)[1]est celle du G20 qui s’appuie sur des traités bilatéraux entre les pays du G20 et les pays dits “paradis fiscaux” concernant la levée du secret bancaire.

Dans ce contexte, l’impact escompté de toutes ces initiatives n’est que limité. Selon une étude de Johannesen et Zucman (2012), la signature des traités du G20 relative à la levée du secret bancaire n’a eu qu’un impact négligeable sur les dépôts dans les paradis fiscaux concernés. Très peu d’évadés fiscaux ont transféré leurs avoirs vers d’autres paradis fiscaux. Shaxson et Christensen (2011) ont trouvé un résultat similaire. De fait, plusieurs facteurs empêchent ces différents programmes de porter des fruits considérables.

Tout d’abord, les politiques africaines ne semblent pas déterminer à lutter effectivement contre le phénomène. Les dirigeants demeurent passifs, préservant leurs intérêts personnels. Ceci se traduit par un faible engagement dans les initiatives internationales visant à lutter contre le phénomène. Comme décrit précédemment, très peu de pays africains participent aux programmes, institutions ou autres initiatives internationales mis en place pour lutter contre la fuite des capitaux. Ainsi les spécificités des pays africains ne sont pas intégrées dans les réformes et autres normes visant à circonscrire le problème. Moshi (2007) souligne dans une étude que les normes et autres recommandations de la GAFI ne tiennent pas compte du fait que dans les économies africaines, les transactions financières se font majoritairement en espèces, ni de l’importance de l’informel (même dans le système financier). De plus, les pays initiateurs de ces programmes (très souvent les pays développés) ne se conforment pas toujours eux-mêmes aux recommandations qu’ils font aux pays africains. A titre d’exemple, dans le cadre des accords signés par les pays du G20 et leurs partenaires, les sanctions prévues pour les banques qui refusent de divulguer les informations relatives aux comptes utilisés pour échapper à la taxation sont économiquement insignifiantes et ne sont pas dissuasives pour les banques. Il est donc difficile d’asseoir la crédibilité de ces programmes dans les pays africains et de garantir leur efficacité vis-à-vis de la fuite des capitaux. L’existence de faiblesses au niveau réglementaire et la mauvaise gouvernance constituent aussi des obstacles considérables à la mise en œuvre de ces programmes. De nombreuses banques (et pays) utilisent d’ailleurs cet argument pour ne pas rapatrier des fonds, clairement identifiés comme provenant de détournement ou d’activités illicites, au pays bénéficiaire. On peut, par ailleurs mentionner les différences profondes qui existent dans les réglementations entre les pays. De fait, une activité considérée comme illégale dans un pays, peut ne pas l’être dans un autre et donc exclure toute action judiciaire dans le pays où les fonds détournés ont été placés.

Si les sources potentielles de la fuite des capitaux sont diverses et qu’elle est facilitée par les caractéristiques du secteur financier dans de nombreux pays africains, les diverses actions entreprises (très concentrées sur les transactions illicites) par les autorités se heurtent à de nombreux obstacles qui obèrent leur efficacité. Il conviendrait dans ce contexte de renforcer le système financier au niveau local et d’en faire un outil de lutte contre la fuite des capitaux. Si le secteur financier offre des conditions incitatives, des produits tout à fait intéressants et garantie la sécurité des avoirs des agents,  ces derniers investiraient moins dans des produits à l’étranger. Ceci requiert, en outre, un fort engagement des politiques pour la mise en place d’un mécanisme de supervision efficace et indépendant, qui s’appuie sur des compétences réelles et une réglementation adaptée, afin de garantir un secteur financier sain et restaurer la confiance des agents. Ceci permettrait par ailleurs de renforcer la résilience du secteur vis-à-vis de toutes les transactions illicites. On pourra s’appuyer sur des mesures dissuasives pour les banques et toutes les institutions financières, comme des sanctions économiques. Les banques se verraient ainsi contraintes de réduire leur implication dans des transactions à caractère illicite, exigeant davantage d’informations sur la nature de certaines ressources financières ou renforçant le mécanisme de contrôle interne de ces institutions. Des indicateurs sur la transparence pourraient aussi être envisagés, et constituer une base de crédibilité des banques. Plus généralement, l’amélioration de la gouvernance dans les pays africains, serait un facteur déterminant dans la lutte contre la fuite des capitaux et pour le rapatriement des fonds illégalement sortis du continent. Elle permettrait, en outre aux pays africains d’avoir une voix conséquente dans les initiatives internationales, qui présentent elles même des faiblesses à  surmonter, notamment en ce qui concerne le secret bancaire.

Si la lutte contre la fuite des capitaux n’est pas, pour l’heure, une priorité pour les pays africains, elle pourra s’intégrer dans une stratégie plus globale de financement des économies africaines dans la mesure où le développement du secteur financier, sur fond d’une réglementation adéquate et un mécanisme de surveillance approprié, constitue un excellent rempart.

Foly Ananou


[1] Plus d’informations sur le Portail d’Echanges sur les Informations Fiscales  

 

 

Le système financier dans les pays africains favorise-t-il la fuite des capitaux ?

B9vYsyBCEAI08uW.jpg-largeEn plus de la fuite des cerveaux, la fuite des capitaux constitue aujourd’hui l’un des problèmes majeurs des pays en développement, en particulier dans les pays d’Afrique sub-saharienne. Selon une étude de Ndikumana et al. (2015) portant sur 39 pays africains (dont 4 en Afrique du Nord), la sortie de capitaux de ces pays entre 1970 et 2010 aurait atteint 1300 Mds USD en parité du pouvoir d’achat 2010 (soit 82% du PIB des pays considérés).

Avant toute chose, il faut préciser qu’il n’existe pas de définition formelle du phénomène. Dans cette étude, la définition de la fuite des capitaux inclut à la fois les flux liés à des activités illégales comme légales. Ainsi, les ressources issues de la corruption, des activités criminelles (vente de drogue, trafic d’humains ou d’organes) ou encore l’évasion fiscale en font partie. En dépit de la place importante du secteur financier dans ce mécanisme, son rôle est parfois minimisé puisqu'il est considéré comme un simple intermédiaire des échanges. Cet article se propose de mettre en évidence les caractéristiques du secteur financier africain qui favorisent la fuite de capitaux du continent.

En effet, conférer un rôle de second plan au secteur financier dans la fuite des capitaux, c’est supposer qu'il ne souffre  pas de failles dans son organisation et fonctionnement. Or, lorsqu'on tient compte de la faiblesse des circuits de financement du secteur privé en Afrique, cette hypothèse est très vite réfutée. Voici donc les quatre principales raisons qui pourraient expliquer le rôle centrale du système financier africain dans la fuite de capitaux :

1. Le secteur est dominé par les banques étrangères. Selon les données de la Banque Mondiale sur le Développement Financier Mondial, les actifs des banques étrangères représentent près de 60% des actifs consolidés du secteur bancaire en Afrique subsaharienne. Cette proportion est comparable à celle observée dans les pays développés et dépasse de loin celle qui est en vigeur dans des pays similaires d’Amérique Latine, du Moyen Orient ou de l’Asie de l’Est. De plus, ces banques sont majoritairement issues des pays développés; une situation qui peut favoriser le rapatriement des capitaux de l'Afrique vers ces pays.

En effet, beaucoup de résidents en Afrique considèrent les banques originaires de pays développés plus sures et préfèrent placer leurs économies dans ces dernières parce qu’étant adossées à des banques internationales. Ces multinationales ont des opportunités d’affaires un peu partout dans le monde et peuvent investir les fonds disponibles dans leurs filiales africaines dans des projets jugés plus rentables en dehors du continent, surtout si elles jugent l’environnement économique local très peu favorable. Une telle stratégie d'investissement des fonds placés est favorable à la sortie du continent de ressources acquises même de façon illégale. C'est ainsi que selon un article de l’Express, le président gabonais s’est servi de la filiale de Citibank au Gabon pour faire sortir sa fortune « mal acquise ».

2. Un marché financier atrophié offrant peu dinstruments financiers. Un article publié sur cette plateforme identifiait déjà cette situation, et invitait à développer davantage les marchés financiers en Afrique[1]. Le cas particulier du marché des titres publics illustre bien cette situation. Certains pays y ont recours, notamment en Afrique de l’Ouest et du Nord, mais les montants mis en adjudication ne représentent qu’une infime partie des besoins de financement des Etats ou ne servent qu’à financer des besoins ponctuels de trésorerie. Ce faible niveau de développement du marché financier peut aussi induire la fuite des capitaux. En effet, un marché atrophié n’offre que très peu d’instruments financiers pour des agents en capacité de financement, obligeant ces derniers à placer leurs ressources dans des produits à plus forte rentabilité, notamment à l’extérieur. 

3. Une supervision de lactivité bancaire non effective et peu efficace. La supervision de l’activité bancaire est généralement assurée par les banques centrales. Ce cadre leur offre les moyens d’empêcher la fuite des capitaux, surtout ceux ayant un caractère illicite. Or ces banques centrales sont encore généralement sous l’emprise des pouvoirs publics, ce qui affaiblit leur autorité et leurs actions vis-à-vis de la fuite des capitaux. Le Général Sani Abacha (président du Nigéria entre 1993 et 1998), par exemple, n’hésitait pas à intervenir dans la gestion de la banque centrale nigériane à l’époque et aurait permis ainsi à certains de ces collaborateurs et à lui-même de placer près de 2,5 Mds USD dans des comptes personnels à Londres[2].

De plus, le cadre réglementaire qui régit la supervision de l’activité bancaire semble inadéquat. Selon la base de données de la Banque Mondiale sur la réglementation bancaire, si de nombreux pays africains ont des règles précises en matière d’activité bancaire, elles sont systématiquement violées par de nombreuses banques dans plusieurs pays africains – soit parce que les règles sont complètement déconnectées de la réalité économique ou parce qu’il n’existe pas de réelles mesures punitives en cas de non-respect.

Par ailleurs, le capital humain en charge de la supervision bancaire n’a toujours pas les compétences techniques pour cet exercice. Si dans les pays de l’UEMOA, la surveillance du secteur bancaire – à travers le contrôle de vérification – se déroule systématiquement à chaque exercice depuis plusieurs années, dans d’autres pays du continent, elle n’intervient que tous les 2 ou 5 ans (Mehran et al. 1998). Dans certains pays, une expérience préalable dans le secteur bancaire, notamment dans l’audit bancaire, n’est pas exigée des superviseurs bancaires.

4. Le mobile Banking. Le développement du mobile Banking en Afrique a fortement révolutionné l’activité économique. Cependant, il pourrait aussi faciliter la fuite de capitaux. Si l'on ne pourrait être certain de son impact sur la fuite des capitaux, on peut au moins s’en inquiéter du fait de l'absence de cadre règlementaire approprié dans certains pays. Pour l’heure, le mobile Banking demeure un moyen financier sain qui facilite les transactions entre agents économiques et ne concerne que de très faibles montants, avec un minimum de supervision exercé par les opérateurs de téléphonie.

Au delà des points ci-dessus mentionnés, la finance internationale a des pratiques qui incitent certains agents économiques africains à placer leur épargne dans des banques installées à l’étranger. Le secret bancaire[3] mais aussi les services financiers qui limitent la traçabilité des transactions effectuées, constituent des facteurs incitatifs pour de grosses fortunes africaines, notamment celles voulant échapper à la fiscalité.

De toute évidence, le système financier de nombreux pays africains présente des failles qui favorisent la sortie massive de capitaux du continent et par voie de conséquence, réduisent la mobilisation de capitaux au niveau local pour financer le développement. Il convient donc de renforcer le système financier en mettant en place des cadres règlementaires permettant de limiter la sortie de capitaux du continent, tout en créant des conditions incitatives pour aue les agents disposant de capacité de financement les investissent sur le continent. Un prochain article discutera plus amplement de possibles solutions à la fuite des capitaux.

Foly Ananou

Référence : 

Ndikumana, L., Boyce, J. K. and Ndiaye, A. S. (2015). Capital Flight from Africa: Measurement and Drivers. In S. I. Ajayi and L. Ndikumana (Eds.), Capital Flight from Africa: Causes, Effects and Policy Issues. Oxford: Oxford University Press.

 

 

 


[1] Une série d’articles par Tite Yokossi, à retrouver sur http://terangaweb.com/?s=tite+yokossi

 

[3] Non divulgation des informations relatives aux clients