Migration et transferts financiers, enjeu de développement : cas du Sénégal

okLa migration, conséquence de la répartition inégale des richesses dans le monde. Tout au long de l’histoire de l’humanité, les mouvements migratoires n’ont cessé de se succéder et semblent toucher tous les continents du monde. Ces migrations, lorsqu’elles ne sont pas forcées, résultent directement de la répartition inégale des richesses, qui poussent les personnes à aller là où sont ces richesses. Selon certains auteurs, la volonté et la capacité d’émigrer à l’étranger résultent à la fois de la personnalité et de la situation socio-économique du candidat migrant, des circuits d’informations auxquels il a accès, des réseaux migratoires, des contextes politiques et économiques des pays d’origine et d’accueil et de leurs rapports historiques. En effet il est certain que la distribution des hommes à la surface de la terre résulte pour une large part des grandes migrations qui se sont déroulées le plus souvent sur de longues périodes.

De tout temps, les géographes ont été fascinés par les emplacements des hommes et des civilisations. Toute l’histoire du monde n’est qu’une suite de nomadismes, de conquêtes, de migrations. Les hommes ne sont que mobilité étrange paradoxe que de rêver à la fois aux racines et à la route. Ces flux, objets géographiques ne sont que devenir. Dans leur ampleur, l’audace de leur avancée, dans leurs échecs et leurs reculs, se joue l’éternel équilibre entre le possible héritage du passé et l’anticipation de l’avenir. Ces migrations toujours renouvelées ont marqué l’espace aux cours des siècles et les géographes n’en ont pas toujours retenus la même image  (Bonnamour, in Gonin P et Charef M,  2005).

Comme toute espèce animale, l’homme se déplace continuellement dans l’espace. Ses déplacements ne sont pas aléatoires, ils sont dictés par ses besoins et ses aspirations, et par le jeu des contraires et des potentialités du milieu géographique dans lequel il vit (Noin D, 2001)

Soit les hommes vont là où sont les richesses, soit les richesses sont là où sont les hommes. Les migrations sont donc une expression courageuse de la volonté qu’ont les individus de surmonter l’adversité pour vivre mieux  (Annan K, 2006).

A l’échelle mondiale, les migrations sont devenues partie intégrante des politiques et stratégies de développement, aussi bien dans les pays d’origines que dans les pays d’accueil. D’après les chiffres de l’ONU (2005), le nombre de migrants a presque doublé en 20 ans. En 2005, 191 000 000 de personnes vivaient hors de leurs pays d’origine (OCDE, 2005).

Au Sénégal, les effets des sécheresses vont se combiner à ceux des PAS[1] pour favoriser le développement de l'émigration qui va connaître de forts changements dans ses modalités et dans sa géographie. En effet, l'émigration est une pratique de longue date qui a fortement marqué l’évolution des sociétés sénégalaises. Amorcé par les habitants de la vallée du fleuve Sénégal, le mouvement migratoire était d'abord et durant longtemps saisonnier ou temporaire (« navétane[2] » ou « noorane ») avant de gagner des destinations lointaines (émigration vers les pays frontaliers ou de la sous-région).

En effet, la migration sous régionale est une conséquence directe de la crise économique qui touchait les territoires ruraux (sécheresses). Les populations du bassin arachidier se déplaçaient  pour chercher du travail. Les jeunes qui avaient la force de cultiver la terre convergent vers les grandes villes et finissent par un abandon massif des activités agricoles. L’idéal est la recherche d’une meilleure condition de vie à travers une migration régionale dans un premier temps, puis vers une migration internationale dans une seconde étape.

Au Sénégal, près de 100 milliards de FCFA sont transférés chaque année et ce chiffre ne concerne que les canaux officiels[3] de transfert. L'utilisation de ces revenus et leurs impacts dans les zones de départ prennent des formes variées induisant des changements plus ou moins notables. Ainsi ces impacts sur le milieu doivent être recherchés et analysés dans leurs dimensions tant économiques et sociales, que géographiques.

En plus, l'​’apport des migrants internationaux est indéniable dans les transformations de l’habitat (Tall 1994) et la reproduction des groupes domestiques (Blion, 1998). Beaucoup de villages de la vallée du fleuve Sénégal par exemple dépendent, en partie, des envois d’argent venus de l’extérieur. Cependant, la variation des points de vue et des lieux d’études incite à relativiser le rôle de premier plan attribué aux migrants internationaux dans leurs villages d’origine. Dia (H), 2008. 

Il est alors légitime de se demander dans quelle mesure les transferts financiers contribuent-ils au développement ? En effet, les émigrés investissent dans leurs localités d’origine mais participent également à l’entretien de leurs familles par le biais des envois financiers. La priorité accordée à l’amélioration des conditions de vie de la famille du migrant montre à quel point les transferts migratoires sont nécessaires à la satisfaction des besoins élémentaires des ménages. Cette destination est, rappelons-le, le dénominateur commun des motifs de départ et d’envoi d’argent de la plupart des émigrés.

L’impact des transferts d’argent des migrants sur leurs pays d’origine a, depuis une dizaine d’années, fait l’objet d’un grand nombre de travaux à la fois théorique et empiriques. Quelle que soit l’approche adoptée, l’un des effets positifs des transferts d’argent des migrants sur lesquels il y a l’unanimité est l’impact sur la pauvreté. Car c’est le lien le plus tangible et le moins controversé des liens entre migration et développement (Ratha, 2007). L’effet le plus senti est l’augmentation des ressources des ménages, le lissage de leurs dépenses de consommation et des effets multiplicateurs de celles-ci sur l’ensemble des revenus (Gupta, Pattillo et Wagh 2007).

Au Sénégal, la seule étude qui montre à notre connaissance les impacts de transferts sur l’économie est celle effectuée par la DPEE[4]. Le tableau suivant récapitule les résultats de l’étude sur les effets des transferts sur les dépenses par tête et sur l’incidence de la pauvreté.

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Le tableau montre en particulier que les transferts accroissent de près de 60% en moyenne les dépenses par tête des ménages qui en sont bénéficiaires, ce qui réduit de près d’un tiers (30,7%) l’incidence de la pauvreté au plan national.

Le soutien apporté au budget familial par les envois d’argent des migrants constitue une forme d’assurance contre la précarité des conditions de vie des bénéficiaires et l’instabilité de l’environnement macroéconomique. Mais, étant donné l’importance et la régularité des transferts de fonds, comparés aux propres capacités de création de richesses et aux revenus personnels d’un grand nombre de ménages bénéficiaires, ce rôle finit par installer ces derniers dans une situation de dépendance vis-à-vis de cette ressource. Une fois mise en place, la relation de dépendance devient même réciproque, elle place aussi le migrant dans l’obligation de subvenir régulièrement aux besoins de consommation courante des membres de la famille. Si le migrant tient compte de l’urgence des problèmes à résoudre, sa capacité d’épargne et d’investissement personnelle peut s’en trouver largement entamée. En l’absence d’un contrôle par le migrant de l’utilisation finale de ses envois d’argent, même les transferts destinés à financer ses projets personnels ne sont pas à l’abri d’un « détournement » au profit de besoins jugés plus urgents.

La situation s’apparente à celle que les économistes, à la suite de Keynes, appellent la « trappe à liquidité »[5]. On peut la décrire de la manière suivante : en présence d’envois massifs d’argent, tout flux supplémentaires de transferts est, faute d’utilisation productive, rapidement englouti dans le budget familial, avec la certitude de recevoir d’autres envois aux prochaines échéances. En raison des anticipations des destinataires les flux de transferts servent ainsi à entretenir les comportements de dissipation des ressources de la part de ces derniers.

La spirale pauvreté-migration-transferts-pauvreté fonctionne d’autant mieux que le lien de dépendance se double d’un contrat d’assurance entre le migrant et sa famille d’origine. Elle ne s’emballe lorsque les transferts ne se limitent plus seulement à lisser les dépenses de consommation du ménage bénéficiaires, mais transforment et diversifient également ses besoins de consommation.

Ba Cheikh

Références :

Gupta (S), Patillo (C), 2007a, « L’impact bénéfique des envois de fonds sur l’Afrique », Finances et Développements, pp.40-43.

Noin (D), Géographie de la population, Paris, Masson, 3e édition, 281p.

OCDE, 2005 « Migration, transfert de fonds et développement ».

Ratha (D), 2007: www.worldbank.org/prospects/migrationandremittances.

Diop (A), 2008, Développement local, gouvernance territoriale, enjeux et perspectives, éditions Karthala, 85p.

Diop (M.C.), Mars 2012, La Société sénégalaise entre le local et le global, collection hommes et sociétés, éditions Karthala, 728p.


[1] Programmes d’ajustements structurels

[2] Les Navétanes sont des migrants saisonniers d'Afrique de l'Ouest, notamment au Sénégal et en Gambie. Ces vastes déplacements de population, souvent en provenance de Guinée, étaient généralement liés à la culture de l'arachide.

[3] A part la voie formelle pour transférer de l’argent, il existe une autre forme pour envoyer des fonds au Sénégal, cette forme se traduit par une organisation informelle des transferts.

[4] Direction de la Prévision et des Etudes Economiques

[5] Mise en évidence par Keynes et vulgarisée par Hicks, la « trappe à liquidité » désigne une situation où le taux d’intérêt tombe si bas que tous les agents économiques s’attendent à ce qu’il augmente. Leur préférence pour la liquidité devient absolue et toute augmentation de la masse monétaire devient sans effet sur l’activité réelle

Americanah, by Chimamanda Ngozi Adichie

Like most of the main characters in Chimamanda Ngozi Aidichie’s novels, Ifemelu is a young Igbo, Nigerian and African woman. After a long stay in the USA, she thinks about going back to Lagos, the city where she spent her youth and went to primary and secondary school. In a dull hair salon where she gets her hair plaited, she remembers her early years, her departure from Nigeria thirteen years ago, and her arrival in the USA. She recalls how difficult migration has been for her and how her naive expectations about this dreamland were so different from the Eden that she was promised at the university in Nigeria.

Through these very precise images, the reader dives into the world of Nigerian migrants in America. The author also gives a strict and distant perspective on the people who run or go to Mariama’s hair salon. During the events of the day and by an association of ideas, we will witness her stay in America.

 Why does the Nigerian youth leave ? 

Ifemelu left Nigeria to study in the University of Philadelphia. She is from the Nigerian middle class and an only child. Her father is a civil servant and was fired for some untoward behaviour towards his superiors. Her mother, converted to evangelism, faces the circumstances of life with a mysticity that Ifemelu devours with ferocity and distance. This is a recurring theme in the other novels of the author, such as « Purple Hibiscus ». It is interesting to see the journey of her mother through the different religious movements in Nigeria. This journey sums up the incongruities of the believers. Adichie, like Achebe, precisely observes the influence of protestantism on Nigerian people.

Her perspective of the society through this character might seem a little too harsh, if compared to the more nuanced analysis of the father of Nigerian litterature in « Things fall apart » where he leaves room for  the readers for their own interpretation. Ifemelu is a special character and particularly lucid and critical of the wrongs of the society she lives in. When her young aunt who is a doctor is financially supported by a high ranked official of the military, Ifemelu is the only one to criticise the « Mentor ».

These educated women are dependent on the financial power of these men. This situation is unbearable and will not cease to dictate Ifemelu life's choice. Why do they leave ? Obinze, who is Ifemelu's boyfriend, expresses very well the reasons why the African youth, fed by the Western culture, leaves the continent. The feeling of isolation and at the same time, the thirst to discover others and conviction that a better life is waiting in these fictitious worlds.

A difficult landing

For Ifemelu and Obinze, it will be very difficult to arrive in these lands of exile and asylum, such as the UK or the USA. Through these two perspectives, Adichie describes the life paths of the African youth confronted to these closed and idealised spaces. And the originality of this novel lies in the fact that it focuses on young people from the middle class leaving the continent. How do they survive in a constricted environment and confront the challenge of paying the rent when you do not even exist for the administration ? The love affair between Obinzé and Ifemelu will distend with the challenges of living in the West. Adichie beautifully describes this landing and attempt of immersion or evolution of the identity of the Nigerian migrants.

The issue of the identity

This issue is the main focus of the novel and the discourse of Adichie. How do we stay ourselves when others define us ? This question is analysed very powerfully before her departure to Nigeria and after the return to the home country through the USA and UK. The criteria of analysis will be the language, the hair, the race. Honest and haughty, Ifemelu wants to keep the African authenticity in the American land and does not want to be restricted to the « black » label, even though she fully understands the importance of this heritage in America. It is in America that she understands what it means to be Black. She accepts it because she has no other choice. She looks at America from a non-American African perspective. In her blog, she has a very sarcastic and ironic tone to describe Obama's America that is still scarred by the weight and suffering of the racial relationships. Americanah gives a good understanding of the Ferguson protests. Hollywood hides it well : the American dream has only one color. Ifemelu has an interesting opinion on the identity issues, and the tensions between African-American and Africans and the image of misery and compassion the white elite casts on the African continent.

The return to the home country

After giving it a lot of thought, Ifemelu decides to come back to Nigeria. But nobody understands her. The novel is organized in such a way that the reader has a global understanding of the challenges and realities facing the young woman at home. This decision is her own choice. The attitude toward the migrant is described precisely by the protagonist. Meeting with the long lost friends. Women's worries about the ideal marriage. The arrogance of Americanahs, i.e the young Nigerians who came back from the USA to make a fortune. The identity crisis is particularly striking when we observe the American references dictating the relationships between each one of them. Americanah ! Returning home also means being reunited with Obinze. This is a genuine novel where the characters are as important as the issues that are presented.

Conclusion

Due to the restricitions of a web article, this article is far from being exhaustive. Americanah is the reference for the African migration because it raises all the problems dealing with this issue. In my humble opinion, this is the best novel dealing with issues of migration. Chimamanda Ngoazi Adichie goes as far as rightfully criticizing a racial and often racist America. History weighs heavily on the society and ethnies. Obama is not enough to bring down the social constructs. Ifemelu has a thruthful perspective of the American society but she is also very critical of her own country. Feminism is also very present in the novel and is developped in a new form of public speaking. It is dealt with at the end in a subversive way. The author voices the opinion of the Nigerian middle class, like in her previous novels. I can see, without a doubt, that this book is brilliant, very well written and deals with deep issues. We had the opportunity to ponder on these issues at the Café des Livres, for the African Business Club.

Translated by Bushra Kadir