Que veulent dire les réélections d’Alpha Condé et d’Alassane Ouattara ?

alpha_conde_et_alassane_ouattara1Si, de Bouteflika à Robert Mugabe, on ne fait pas fi depuis quelques années du débat sur l’âge des chefs d’Etat africains, les jeunes de Guinée et de Côte d’Ivoire, pourtant soucieux de leur avenir, ont voté pour des personnalités représentant sensiblement le passé. Ces victoires de septuagénaires rompus à la bataille politique sont emblématiques d’une difficulté récurrente au sein des oppositions africaines.

Pourquoi les jeunesses guinéenne et ivoirienne ont-elles accordées leur confiance aux anciens Condé et Ouattara ? Ils ne sont sans doute pas nombreux, ceux qui, parmi eux se souviennent de l’Alpha Condé, opposant teigneux et bouillant, familier des geôles de Lassana Conté. Tout comme rares sont ceux qui trépignent encore au souvenir de l’appel au secours du « vieux » Houphouët Boigny au brillant technocrate Alassane Ouattara pour sauver la Côte d’Ivoire de la crise économique, en 1990.

A Conakry comme à Abidjan, le « Un coup Ko » a rendu groggy une opposition aussi dispersée que disparate, aussi désorganisée qu’incohérente

En Afrique, les oppositions n’ont souvent que pour seule ambition de remplacer le président sortant. On cherche le consensus contre un homme, oubliant l’édification d’une véritable alternative politique et d’un projet de société crédible.

Alors que, contrairement à ce que semble penser une partie de l’élite politique, les électeurs ne sont guères des aventuriers incapables de choix de raison face à l’impérieuse question du destin de leur pays. Nos opinions publiques ont foncièrement mûri et les électeurs sont dans l’attente d’une meilleure gouvernance, qui prennent en considération leurs préoccupations, notamment les plus élémentaires et impactent positivement leurs conditions de vie.

Malgré la plume de Thierno Monénembo qui reproche à l’opposition guinéenne d’être « trop légaliste, trop démocrate », la réélection de Condé tout comme celle de Ouattara suivent une logique claire : ils ont, mieux que la « jeune garde » de l’opposition, réussi à donner espoir à travers des réalisations et à forger l’assurance de lendemains meilleurs. Tiendront-ils parole ?

Et devant une cinglante défaite, leurs oppositions ont, soit refusé de combattre, soit invoqué, une énième fois, la fraude devenue un point Godwin, déjà vu !

Du défi de transformer les promesses en actes

Le défi de cette classe politique finissante est de préparer le passage du témoin à une nouvelle génération, et de ne pas s’inscrire dans une tentative, qui sera vaine, de s’agripper au pouvoir. Un vent de renouveau souffle en Afrique et le continent se place lentement mais sûrement au cœur des problématiques mondiales. Le point noir de la carte du monde, jadis océan de misère, compte dorénavant comme une opportunité économique.

Mais je demeure convaincu que cette belle promesse africaine restera vaine si nous n’arrivons pas à construire des modèles démocratiques solides et à la hauteur des défis qui nous interpellent.

C’est là le grand défi de notre génération de « smarts » (l’expression est du caustique ancien premier ministre du Québec, Jacques Parizeau) : au delà du gazouillis des réseaux sociaux et des objets connectés, il devient en effet urgent de transformer enfin cette énergie et cet élan en un engagement concret pour la démocratie et le progrès social.

L’Afrique a besoin que sa nouvelle élite quitte sa zone de confort technocratique pour s’engager à prendre le pouvoir, et à gouverner. Car la révolution transformatrice, celle qui charriera une Afrique nouvelle, ne sera pas twettée. Elle est à fabriquer et imposer. Il faut que la jeunesse intègre cette réalité.

Hamidou Anne

Côte d’Ivoire : réconciliation acquise ou à construire ?

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La Côte d’Ivoire a connu une longue et difficile période de divisions sociales exacerbées par  des conditions économiques peu favorables, et par des hommes politiques animés par de sinistres intentions. Ces divisions ont conduit à des démonstrations inouïes de violence entre les différents groupes qui la composent. Or, avant ces circonstances dévastatrices, ces derniers n’entraient pas des relations aussi bellicistes. La crise post électorale de 2010-2011, ayant conduit à plus de 3000 morts en moins de cinq mois, a été le paroxysme de ces violences inter-ethniques à forts relents politiques.

Retour sur quinze années ponctuées de malentendus et de guerres fratricides alors qu’un scrutin déterminant pointe à l’horizon.

La prochaine élection présidentielle en Côte d’Ivoire est prévue au mois d’octobre de cette année. Force est de se demander si, d’une part, les populations, avec les différentes mesures prises par l’Etat pour tenter d’apaiser leurs peines, de compenser les pertes subies, de leur faire tourner la page sur les horreurs vécues et de remettre au goût du jour le « vivre ensemble » dans la paix, et d’autre part, l’Etat, représenté par ses instances et dirigeants, ont mesuré l’impact de ces incitations à la haine. S’ils ont pris la pleine mesure de leurs conséquences socio-économiques. S’ils les prennent en compte dans leurs différents calculs politiques afin de ne plus faire sombrer les peuples dans ce genre d’errements meurtriers.

Contexte

Comme beaucoup de pays africains, la Côte d’Ivoire est composée de plusieurs groupes sociaux. Il s’agit d’une soixantaine d’ethnies regroupées dans quatre grands groupes, allant au-delà des frontières ivoiriennes, partageant des codes sociaux plus ou moins différents mais vivant sur un même territoire dont les limites ont été dessinées depuis la conférence de Berlin de 1884. À l’indépendance du pays, en 1960, son premier président, Félix Houphouët Boigny, avait, d’une certaine manière, intégré cet état des choses dans sa stratégie de gouvernance en positionnant des « fils » et des « cadres des régions » qui pourraient être considérés, en réalité, comme représentants des différentes ethnies du pays.

Ce système de gouvernance n’était pas admis par tous comme le montrent les tentatives de scission qui se sont manifestées dès les premières années d’indépendance du pays, au royaume du Sanwi situé dans Sud-est du pays. Tentatives énergiquement refrénées par le nouveau président : les « évènements du Guébié »,  qui s’étaient déclenchés dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire en 1970, auraient conduit à la mort de 4 000 personnes au minimum.

En plus de ses groupes ethniques, la Côte d’Ivoire a été très tôt enrichie d’une forte population étrangère. Les résultats du recensement général de la population et de l’habitat de 1975 indiquent que la population non-ivoirienne représente 22% de la population totale. Ce taux atteint 28% en 1988 avec une majorité de Burkinabè, Maliens et Guinéens – plus de 80% des étrangers – d’après le recensement effectué cette année-là. Malgré leur contribution à la croissance démographique et au développement économique du pays, ces populations étrangères culturellement proches des Ivoiriens du Nord sont rapidement mises en cause pour le déséquilibre économique et l’insécurité accrue dans le pays. En effet, la Côte d’Ivoire connaît dans les années 1980 ses premiers Plans d’Ajustement Structurel, destinés à redresser son économie qui avait subi les effets de la crise des années 1970.

A ces considérations économiques et sociales, s’ajoute la dimension politique lorsqu’à la mort du président Houphouët-Boigny, sous le président par intérim Henri Konan Bédié, le code électoral est modifié avec la précision que nul ne peut être élu président de la République s'il « n'est Ivoirien de naissance, né de père et mère eux-mêmes Ivoiriens de naissance ». Cette disposition légale empêche le candidat Alassane Ouattara de se présenter à l’élection présidentielle. Son père étant d’origine burkinabè, il est accusé d’être de nationalité « douteuse ».

Conséquemment, les conflits entre les communautés, attisés par ces différents facteurs, se déclarent et se multiplient dans le pays. Le coup d’Etat de 1999 permet au Général Robert Gueï de prendre le pouvoir. Sous sa présidence une nouvelle constitution est adoptée, en 2000, avec notamment l’article 35 reprenant la loi introduite précédemment sous Henri Konan Bédié, avec un débat sur certains de ses termes jugés « confligènes ». Laurent Gbagbo accède au pouvoir à l’issue de la présidentielle d’octobre 2000, marquées par des heurts après le refus du Général Robert Gueï de reconnaître les résultats et des batailles meurtrières entre les militants du président élu et ceux d’Alassane Ouattara. Durant son règne, les populations du Nord constituant environ 40% de la population du pays et soutenant majoritairement le candidat Alassane Ouattara écarté, sont exclues des postes de responsabilité jusqu’en 2007, année où Guillaume Soro, chef de la rébellion qui avait éclaté en 2002 après la tentative de coup d’État durant la même année, est nommé Premier ministre. L’élection présidentielle prévue en 2005 a finalement lieu en 2010 à la suite de plusieurs accords, impliquant la communauté internationale et par lesquels la candidature d’Alassane Ouattara est acceptée.

Une guerre civile est de nouveau déclenchée à la fin de l’élection présidentielle du fait d’un désaccord sur les résultats du scrutin, entre le président sortant soutenu par le Conseil Constitutionnel et Alassane Ouattara soutenu par la communauté internationale. Les affrontements tournent, une nouvelle fois, à des exactions et violences inter-ethniques qui prennent officiellement fin en mai 2011.

Accords, mesures de réconciliation et réunification

Pendant toutes les années de conflits, différentes mesures et accords ont été mis en place pour favoriser l’unité du peuple. Ces actions visent en premier lieu la cessation des affrontements mais aussi la mise en place d’un climat plus propice à la paix et au développement économique.

En 2001, un Forum de réconciliation nationale est organisé par le Président Gbagbo pour examiner les questions sources de conflit à savoir la nationalité, la propriété des terres et les conditions d’emploi dans les forces de sécurité. Tous les partis politiques étaient conviés à ce forum dont les recommandations finales ne seront pas finalement toutes appliquées. Après l’éclatement de la guerre civile en 2002, des négociations sont entamées entre un groupe de contact créé au niveau de la CEDEAO et la Côte d’Ivoire. Elles conduiront à un cessez-le-feu signé par le président Gbagbo et les rebelles qui exigeaient son départ. Par la suite, des pourparlers sont entamés au Togo pour renforcer ce retour vers la paix. Des accords seront finalement signés par tous les partis politiques en 2003 à Linas-Marcoussis, en France, avec notamment comme disposition la création d’un gouvernement de réconciliation nationale. Ils ne seront jamais appliqués complètement. Malgré d’autres cessez-le-feu et accords signés par la suite, le pays reste secoué par des affrontements meurtriers.

C’est en 2012, qu’un processus de désarmement, de démobilisation, de réinsertion, de réintégration socio-économique des ex-combattants (DDRR) est réellement entrepris. Ce programme permet de contribuer à la sécurité et à la stabilité du pays dans un contexte d'après-guerre et de favoriser ainsi la reconstruction et le développement. L’article Côte d'Ivoire: Paix, sécurité, émergence explique de manière plus détaillée les missions, objectifs et résultats de l’agence (ADDR) créée dans le cadre de ce programme.

Une Commission dialogue, vérité et réconciliation (CDVR) a été créée en 2011 pour situer les responsabilités, entendre les victimes, auteurs et témoins des crises politico-militaires qui ont déstabilisé la Côte d’Ivoire depuis 1999. Critiquée pour ses résultats peu visibles, ses activités se sont officiellement achevées en décembre 2014 avec un rapport comportant des recommandations comme la libération de prisonniers, le dégel des avoirs ou la réparation des préjudices subis. En mars 2015, une nouvelle Commission nationale pour la réconciliation et l’indemnisation des victimes (Conariv) a été créée pour parachever le travail du CDVR. Elle dispose d’un Fonds d’indemnisation des victimes des crises survenues en Côte d’Ivoire et d’un organe chargé de l’indemnisation et de cohésion sociale, à savoir le Programme National de Cohésion Sociale (PNCS).

Enfin, le système judiciaire du pays considéré comme étant de nouveau fonctionnel, des procès ont été enclenchés contre les différents acteurs ayant pris part à la dernière crise. C’est dans ce cadre que Simone Gbagbo, ex-Première dame de Côte d’Ivoire a été jugée et condamnée à 20 ans de prison en mars 2015. Cependant, des organismes de défense des droits de l’homme comme l’ONG Human Rights Watch mettent en garde le président contre une politique de justice partiale qui ferait obstacle à une véritable réconciliation.

Des débats soulevés sur l’éligibilité d’Alassane Ouattara dans le cadre de la prochaine élection ont vite été écartés. L’article 35, toujours en cause, devrait être modifié après ce scrutin par voie référendaire. Il semblerait alors que la machine soit véritablement en marche vers l’émergence dans l’unité que vise le président Ouattara pour 2020.

Toutefois, sa réponse : « il s’agit d’un simple rattrapage », en janvier 2012, lors de sa visite en France, à une remarque d’un journaliste de l’Express sur la nomination de nordistes aux postes clés, questionne cette dynamique d’unité et de réconciliation. Il faudrait qu’en tant que chef de l’Etat, Alassane Ouattara ne tombe pas dans un clientélisme ethnique qui plongerait à nouveau le pays dans le chaos : le plus lourd tribut serait encore payé par les populations.

Oulématou Camara

Sénégalaise, Oulématou s’intéresse aux questions politiques, économiques et culturelles du monde et particulièrement de l’Afrique. Titulaire d’un diplôme en Supply Chain Management, domaine dans lequel elle exerce, elle a rejoint l’Afrique des idées car elle souhaite contribuer à ces réflexions qui sont, selon elle, la première étape vers la mise en œuvre d’actions de développement constructives.