En Côte-d’Ivoire l’histoire d’Houphouët-Boigny veut-elle se répéter ?

En un petit fracas, le Président Ouattara met en pièces la nouvelle Constitution ivoirienne et repositionne le pays vers une potentielle nouvelle période d’instabilité. Morceaux choisis : «… la nouvelle constitution m’autorise à faire deux mandats à partir de 2020… la stabilité et la paix passent avant tout, y compris avant mes principes »[1]déclare-t-il. Mais dans la réalité cette posture, outrageusement incarnée par ceux qui ne veulent pas respecter les termes fixés par les mandats constitutionnels, n’est en rien nouvelle. Mieux, elle est contre-productive et génère des tensions.

Sorti de Ivy League et après avoir arpenté les couloirs des grandes institutions financières, Ouattara a bâti une réputation de développeur efficace en Afrique et notamment en Côte-d’Ivoire où il a fait ses armes en politique auprès du Président Houphouëten tant que Premier Ministre. Lorsqu’il prenait les rênes de la Côte-d’Ivoire en 2010 après une longue et coûteuse crise, personne ne se doutait que la Côte-d’Ivoireconnaîtra un come-back économique. Le pays est redevenu la locomotive de UEMOA et affiche des performances économiques à faire pâlir. Après une croissance économique soutenue sur le quinquennat 2010-2015, les perspectives sont tout aussi bonnes. Selon la BAD[2], le pays connaîtrait 7,9 % de croissance en 2018 et 7,8 % en 2019, malgré une chute de 35% des cours du cacao[3]entre novembre 2016 et janvier 2017. Par ailleurs, le déficit est projeté pour être en baisse de 1 point (de 3.8% à 2.8% du PIB). L’endettement reste maîtrisé même si sa soutenabilité deviendra problématique lorsque les remboursements exigibles des euro-obligations s’entasseront entre 2024-2028. La Côte-d’Ivoireest un turbo économique qui surfe sur des investissements publics aussi structurants que dynamiques et un boom des investissements privés. Néanmoins les performances sociales et de redistribution de la croissance sont encore attendues. Et, Ouattara doit encore donner la preuve de sa bonne gouvernance en matière de sécurité et de stabilité politique. Les sautes d’humeur des mutins à Bouake et l’attaque terroriste de Grand-Bassam en 2016 rappellent fort bien que le pays est encore vulnérable sur ce plan. Ils ont tôt fait de faire sauter le verrou de la fragile stabilité avant même que Ouattara lui-même ne se prépare à assener au pays le coup de grâce avec l’idée d’un troisième voire quatrième mandat. Bien qu’il y ait une nouvelle Constitution, les compteurs des acteurs politiques et même de la population ne se remettent pas à zéro, bien au contraire, ces acteurs sont impatients.

Mieux, les germes de la crise ivoirienne n’ont pas pour autant disparus comme par enchantement. L’alliance entre le Rassemblement des Républicains (RDR) et le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) n’est pas une soupape sûre contre les interminables luttes de positionnement entre le clan Ouattara et celui de son allié circonstanciel, Bédié. Gbagbo est toujours à La Haye et ses partisans n’ont certainement pas bu jusqu’à la lie les appels au dialogue, lequel dialogue n’est pas encore synonyme de réconciliation. Le passif de la crise n’a pas encore pas épongé par les ivoiriens et malgré les interventions extérieures, la réconciliation devra être ivoirienne ou ne sera pas. Même les circonstances de l’arrivée au pouvoir de Ouattara appellent à la prudence et à plus d’investissement dans le processus de liquidation du passif couvé de la crise. Les protagonistes de la crise sont encore presque tous vivants. Pire, ils sont mécontents pour certains, impatients pour d’autres, à noter qu’être pensionnaire de la Haye ne rime pas avec inactivité politique.

Pour l’ascension au pouvoir du Président Ouattara, remontons rapidement dans le temps. Sur les cendres chaudes de la crise d’« ivoirité », en 2002 lors d’un putsch, un groupe de jeunes échoue à prendre la Présidence de la République mais se replie sur la moitié Centre et Nord du pays où il organise une administration parallèle. Les processus de paix de Marcoussis et de Ouagadougou vont coup sur coup produire des résultats mitigés jusqu’aux élections qui opposeront Ouattara et Gbagbo en 2010. Les résultats, contestés par Gbagbo, donnent Ouattara gagnant et plongent le pays dans une crise post-électorale pendant laquelle les exactions reprochées à Gbagbo sont perpétrées. Le pays parvient néanmoins à retrouver le chemin d’une certaine accalmie après l’installation du Président Ouattara qui déroule un quinquennat à succès macro-économique. Entre temps, il renouvèle son mandat et fait adopter une nouvelle Constitution en 2016. Parce qu’il arrive au pouvoir tel qu’il y est arrivé et malgré la paix mosaïquement maintenue sur le territoire, même la « légalité » de se présenter à de nouvelles élections ne garantira pas une légitimité à Ouattara.

Les acteurs de l’opposition ivoirienne trouvent de quoi alimenter leur réprobation contre le Président Ouattara. Si les partisans du Président atténuent le choc, le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) monte au créneau et à travers son Secrétaire Exécutif se fend d’un communiqué : « Ouattara ne sera pas candidat pour un troisième mandat. C’est écrit dans la Constitution qu’au plus tard, le 5 décembre 2020, le président sortant devra se soumettre à une passation des charges avec le nouveau président »[4]. Quant à Pascal Affi N’Guessan, Président d’un camp du Front Populaire Ivoirien (FPI), il s’indigne en ces termes : « comment Ouattara peut s’imaginer un troisième ou un quatrième mandat. Ce serait même une violation flagrante de la Constitution et de la volonté exprimée par les Ivoiriens. On ne peut pas dire que l’application de la loi dépend des circonstances, des situations, ou des ambitions des uns et des autres. La loi, c’est la loi. »[5]. Le camp du Président de l’Assemblée à travers la voix de Félicien Sekongo, Président du Mouvement pour la promotion des valeurs nouvelles en Côte d’Ivoire (MVCI, composé d’ex-rebelles) « invite les Ivoiriens à se concentrer sur l’essentiel, contenu uniquement dans la sauvegarde de la démocratie, l’amélioration des conditions de vie du peuple, largement endommagées et laisser monsieur Ouattara, assis seul devant la marre à s’amuser à y lancer des pavés… »[6]. Au fond l’intérêt général et la stabilité qu’évoque le Chef de l’État ivoirien sont fortement menacés et malgré toute la mesure dans ses propos, l’avis de l’ancien Président de la Cour Constitutionnelle, Francis Wodié, le révèle : « Nous en sommes encore au stade des supputations, des hypothèses. Mais le président de la République est un homme majeur, un homme responsable qui sait ou doit savoir ce qu’il doit faire, non pas seulement pour lui-même, mais d’abord pour le pays. Donc c’est à lui de voir, de juger pour n’avoir à faire que ce qui va dans le sens de l’intérêt de la Côte d’Ivoire, donc de l’intérêt général »[7].

Mais en réalité, la position de Ouattara rappelle bien celle du Président Houphouët,qui, au nom de sa Côte-d’Ivoire chérie qu’il a bâtie de sa main et de son intelligence, a voulu garder les choses en main jusqu’à ce que la mort l’en sépare en 1993. Seulement, Ouattara n’est pas Houphouët. C’est un principe de gouvernance très usité dans nos contrées : on préfère une stabilité coûteuse au respect des principes d’alternance politique. Et, dans les pays africains où les modèles politiques sont encore à l’essai, avec une tendance accrue au rétropédalage sur les avancées démocratiques, il est bien fréquent que le chef pense qu’il est indispensable, irremplaçable et que la stabilité du pays ne tient qu’à lui. Il se fait cheviller au corps une certitude que les choses tiennent parce qu’il les maintient. Dans l’absolue hypothèse que c’est le cas, il est aussi d’évidence que lorsqu’il ne les tiendra plus, qu’avec certitude les choses vont péricliter. Et tout naturellement, les exemples foisonnent pour démontrer qu’à une administration forte et longue succède une crise qui décape tout le progrès économique construit au long des années : Côte-d’Ivoire, Gabon, Lybie, Togo, etc. Face au dilemme institutions fortes ou hommes forts, nos modèles peinent à choisir les formes résilientes qui ne peuvent en rien dépendre de la finitude des hommes mais uniquement de la chaîne générationnelle qui donne aux institutions une forme d’infinitude. Peut-être qu’il n’y a même pas de dilemme et que le bon sens voudrait que l’on s’attèle à bâtir des institutions fortes quitte à les voir occasionnellement, si bonne fortune nous arrive, sous le leadership d’hommes forts. A tout le moins, quand bien même on aurait la maladresse de les confier à des hommes faibles, la force des institutions, leur fondation légale et légitime survivront au temps.

Parce que la Côte-d’Ivoire est la locomotive de l’UEMOA et joue un rôle stratégique pour toute la sous-région Ouest Africaine, les autres pays doivent s’y intéresser. Ils doivent proactivement préparer leur leadership à prévenir et notamment à éviter la contagion qui commence par les exemples complaisants. Les aventures de structuration de la CEDEAO plutôt ambitieuses sur l’intégration économique et monétaire sont des enjeux assez colossaux qui dépendent d’une Côte-d’Ivoire stable, solide, prospère et où l’histoire d’Houphouëtne se répète pas.

[1]http://www.jeuneafrique.com/565618/politique/cote-divoire-comment-le-discours-dalassane-ouattara-sur-le-3e-mandat-a-evolue/  Edition n° 2995 de Jeune Afrique

 

[2]https://www.afdb.org/fr/countries/west-africa/cote-d%E2%80%99ivoire/cote-divoire-economic-outlook/

[3]Le cacao est le principal produit d’exportation du pays

[4]http://www.jeuneafrique.com/565139/politique/cote-divoire-3e-mandat-pour-ouattara-inacceptable-et-irrealisable-selon-lopposition/

[5]http://www.jeuneafrique.com/565139/politique/cote-divoire-3e-mandat-pour-ouattara-inacceptable-et-irrealisable-selon-lopposition/

[6]http://www.jeuneafrique.com/565139/politique/cote-divoire-3e-mandat-pour-ouattara-inacceptable-et-irrealisable-selon-lopposition/

[7]http://www.jeuneafrique.com/565139/politique/cote-divoire-3e-mandat-pour-ouattara-inacceptable-et-irrealisable-selon-lopposition/

Côte d’Ivoire : réconciliation acquise ou à construire ?

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La Côte d’Ivoire a connu une longue et difficile période de divisions sociales exacerbées par  des conditions économiques peu favorables, et par des hommes politiques animés par de sinistres intentions. Ces divisions ont conduit à des démonstrations inouïes de violence entre les différents groupes qui la composent. Or, avant ces circonstances dévastatrices, ces derniers n’entraient pas des relations aussi bellicistes. La crise post électorale de 2010-2011, ayant conduit à plus de 3000 morts en moins de cinq mois, a été le paroxysme de ces violences inter-ethniques à forts relents politiques.

Retour sur quinze années ponctuées de malentendus et de guerres fratricides alors qu’un scrutin déterminant pointe à l’horizon.

La prochaine élection présidentielle en Côte d’Ivoire est prévue au mois d’octobre de cette année. Force est de se demander si, d’une part, les populations, avec les différentes mesures prises par l’Etat pour tenter d’apaiser leurs peines, de compenser les pertes subies, de leur faire tourner la page sur les horreurs vécues et de remettre au goût du jour le « vivre ensemble » dans la paix, et d’autre part, l’Etat, représenté par ses instances et dirigeants, ont mesuré l’impact de ces incitations à la haine. S’ils ont pris la pleine mesure de leurs conséquences socio-économiques. S’ils les prennent en compte dans leurs différents calculs politiques afin de ne plus faire sombrer les peuples dans ce genre d’errements meurtriers.

Contexte

Comme beaucoup de pays africains, la Côte d’Ivoire est composée de plusieurs groupes sociaux. Il s’agit d’une soixantaine d’ethnies regroupées dans quatre grands groupes, allant au-delà des frontières ivoiriennes, partageant des codes sociaux plus ou moins différents mais vivant sur un même territoire dont les limites ont été dessinées depuis la conférence de Berlin de 1884. À l’indépendance du pays, en 1960, son premier président, Félix Houphouët Boigny, avait, d’une certaine manière, intégré cet état des choses dans sa stratégie de gouvernance en positionnant des « fils » et des « cadres des régions » qui pourraient être considérés, en réalité, comme représentants des différentes ethnies du pays.

Ce système de gouvernance n’était pas admis par tous comme le montrent les tentatives de scission qui se sont manifestées dès les premières années d’indépendance du pays, au royaume du Sanwi situé dans Sud-est du pays. Tentatives énergiquement refrénées par le nouveau président : les « évènements du Guébié »,  qui s’étaient déclenchés dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire en 1970, auraient conduit à la mort de 4 000 personnes au minimum.

En plus de ses groupes ethniques, la Côte d’Ivoire a été très tôt enrichie d’une forte population étrangère. Les résultats du recensement général de la population et de l’habitat de 1975 indiquent que la population non-ivoirienne représente 22% de la population totale. Ce taux atteint 28% en 1988 avec une majorité de Burkinabè, Maliens et Guinéens – plus de 80% des étrangers – d’après le recensement effectué cette année-là. Malgré leur contribution à la croissance démographique et au développement économique du pays, ces populations étrangères culturellement proches des Ivoiriens du Nord sont rapidement mises en cause pour le déséquilibre économique et l’insécurité accrue dans le pays. En effet, la Côte d’Ivoire connaît dans les années 1980 ses premiers Plans d’Ajustement Structurel, destinés à redresser son économie qui avait subi les effets de la crise des années 1970.

A ces considérations économiques et sociales, s’ajoute la dimension politique lorsqu’à la mort du président Houphouët-Boigny, sous le président par intérim Henri Konan Bédié, le code électoral est modifié avec la précision que nul ne peut être élu président de la République s'il « n'est Ivoirien de naissance, né de père et mère eux-mêmes Ivoiriens de naissance ». Cette disposition légale empêche le candidat Alassane Ouattara de se présenter à l’élection présidentielle. Son père étant d’origine burkinabè, il est accusé d’être de nationalité « douteuse ».

Conséquemment, les conflits entre les communautés, attisés par ces différents facteurs, se déclarent et se multiplient dans le pays. Le coup d’Etat de 1999 permet au Général Robert Gueï de prendre le pouvoir. Sous sa présidence une nouvelle constitution est adoptée, en 2000, avec notamment l’article 35 reprenant la loi introduite précédemment sous Henri Konan Bédié, avec un débat sur certains de ses termes jugés « confligènes ». Laurent Gbagbo accède au pouvoir à l’issue de la présidentielle d’octobre 2000, marquées par des heurts après le refus du Général Robert Gueï de reconnaître les résultats et des batailles meurtrières entre les militants du président élu et ceux d’Alassane Ouattara. Durant son règne, les populations du Nord constituant environ 40% de la population du pays et soutenant majoritairement le candidat Alassane Ouattara écarté, sont exclues des postes de responsabilité jusqu’en 2007, année où Guillaume Soro, chef de la rébellion qui avait éclaté en 2002 après la tentative de coup d’État durant la même année, est nommé Premier ministre. L’élection présidentielle prévue en 2005 a finalement lieu en 2010 à la suite de plusieurs accords, impliquant la communauté internationale et par lesquels la candidature d’Alassane Ouattara est acceptée.

Une guerre civile est de nouveau déclenchée à la fin de l’élection présidentielle du fait d’un désaccord sur les résultats du scrutin, entre le président sortant soutenu par le Conseil Constitutionnel et Alassane Ouattara soutenu par la communauté internationale. Les affrontements tournent, une nouvelle fois, à des exactions et violences inter-ethniques qui prennent officiellement fin en mai 2011.

Accords, mesures de réconciliation et réunification

Pendant toutes les années de conflits, différentes mesures et accords ont été mis en place pour favoriser l’unité du peuple. Ces actions visent en premier lieu la cessation des affrontements mais aussi la mise en place d’un climat plus propice à la paix et au développement économique.

En 2001, un Forum de réconciliation nationale est organisé par le Président Gbagbo pour examiner les questions sources de conflit à savoir la nationalité, la propriété des terres et les conditions d’emploi dans les forces de sécurité. Tous les partis politiques étaient conviés à ce forum dont les recommandations finales ne seront pas finalement toutes appliquées. Après l’éclatement de la guerre civile en 2002, des négociations sont entamées entre un groupe de contact créé au niveau de la CEDEAO et la Côte d’Ivoire. Elles conduiront à un cessez-le-feu signé par le président Gbagbo et les rebelles qui exigeaient son départ. Par la suite, des pourparlers sont entamés au Togo pour renforcer ce retour vers la paix. Des accords seront finalement signés par tous les partis politiques en 2003 à Linas-Marcoussis, en France, avec notamment comme disposition la création d’un gouvernement de réconciliation nationale. Ils ne seront jamais appliqués complètement. Malgré d’autres cessez-le-feu et accords signés par la suite, le pays reste secoué par des affrontements meurtriers.

C’est en 2012, qu’un processus de désarmement, de démobilisation, de réinsertion, de réintégration socio-économique des ex-combattants (DDRR) est réellement entrepris. Ce programme permet de contribuer à la sécurité et à la stabilité du pays dans un contexte d'après-guerre et de favoriser ainsi la reconstruction et le développement. L’article Côte d'Ivoire: Paix, sécurité, émergence explique de manière plus détaillée les missions, objectifs et résultats de l’agence (ADDR) créée dans le cadre de ce programme.

Une Commission dialogue, vérité et réconciliation (CDVR) a été créée en 2011 pour situer les responsabilités, entendre les victimes, auteurs et témoins des crises politico-militaires qui ont déstabilisé la Côte d’Ivoire depuis 1999. Critiquée pour ses résultats peu visibles, ses activités se sont officiellement achevées en décembre 2014 avec un rapport comportant des recommandations comme la libération de prisonniers, le dégel des avoirs ou la réparation des préjudices subis. En mars 2015, une nouvelle Commission nationale pour la réconciliation et l’indemnisation des victimes (Conariv) a été créée pour parachever le travail du CDVR. Elle dispose d’un Fonds d’indemnisation des victimes des crises survenues en Côte d’Ivoire et d’un organe chargé de l’indemnisation et de cohésion sociale, à savoir le Programme National de Cohésion Sociale (PNCS).

Enfin, le système judiciaire du pays considéré comme étant de nouveau fonctionnel, des procès ont été enclenchés contre les différents acteurs ayant pris part à la dernière crise. C’est dans ce cadre que Simone Gbagbo, ex-Première dame de Côte d’Ivoire a été jugée et condamnée à 20 ans de prison en mars 2015. Cependant, des organismes de défense des droits de l’homme comme l’ONG Human Rights Watch mettent en garde le président contre une politique de justice partiale qui ferait obstacle à une véritable réconciliation.

Des débats soulevés sur l’éligibilité d’Alassane Ouattara dans le cadre de la prochaine élection ont vite été écartés. L’article 35, toujours en cause, devrait être modifié après ce scrutin par voie référendaire. Il semblerait alors que la machine soit véritablement en marche vers l’émergence dans l’unité que vise le président Ouattara pour 2020.

Toutefois, sa réponse : « il s’agit d’un simple rattrapage », en janvier 2012, lors de sa visite en France, à une remarque d’un journaliste de l’Express sur la nomination de nordistes aux postes clés, questionne cette dynamique d’unité et de réconciliation. Il faudrait qu’en tant que chef de l’Etat, Alassane Ouattara ne tombe pas dans un clientélisme ethnique qui plongerait à nouveau le pays dans le chaos : le plus lourd tribut serait encore payé par les populations.

Oulématou Camara

Sénégalaise, Oulématou s’intéresse aux questions politiques, économiques et culturelles du monde et particulièrement de l’Afrique. Titulaire d’un diplôme en Supply Chain Management, domaine dans lequel elle exerce, elle a rejoint l’Afrique des idées car elle souhaite contribuer à ces réflexions qui sont, selon elle, la première étape vers la mise en œuvre d’actions de développement constructives.

 

La justice « comme si » de la CPI

Gbagbo HayeLe 28 février dernier s’est achevée, à la Haye, l'audience de confirmation des charges retenues par le bureau du procureur de la Cour Pénale Internationale contre l’ancien président Ivoirien Laurent Gbagbo. Ce fut une assez lamentable et honteuse procédure.

J’ai écrit ici, et je maintiens qu’il est dans l’ordre des choses que Laurent Gbagbo et les autorités officielles du pays durant les dix ans qu’il passa à sa tête aient à s’expliquer et à répondre des crimes qui leur sont imputés. C’est bien le minimum.

Bon gré, mal gré ils dirigeaient au moins une partie de la Côte d’Ivoire quand bon nombre de violences ont été commises. Il serait insupportable que justice ne soit pas rendue. Mais de quelle justice parle-t-on exactement ? Pour quiconque a suivi l’audience de la semaine dernière, en fait pour quiconque a suivi l’attitude de la CPI depuis l’arrestation de Laurent Gbagbo en avril 2011, il est impossible d’y retrouver l’idéal de justice contenu dans le traité de Rome.

Le propre bureau du procureur de la CPI impute un peu moins d’un millier de meurtres, agressions sexuelles et autres violations des droits de l’homme au « camp Gbagbo »… sur les plus de 3000 supposément commis durant la crise post-électorale de 2010-2011. Le propre bureau du procureur de la CPI demande la condamnation de Laurent Gbagbo en tant que « co-auteur indirect » de ces crimes.

Ainsi, le premier procès de la "crise ivoirienne" conduit par la CPI concerne le "co-auteur indirect" supposé, d’un peu moins d’un tiers des crimes commis durant un cinquième des dix années de conflits en Côte d’Ivoire… 

Le langage corporel des magistrats de la Haye, la semaine dernière était pénible à décrypter. Eux-mêmes savent, cela se voit, cela se sent, qu’en poursuivant sur cette voie la CPI s’instaure comme auxiliaire du pouvoir d’Alassane Ouattara et agit, consciemment ou non, comme caution morale de la liberté accordée à Foffié Kouakou et aux autres « commandants de zone » de la rébellion dirigée par Soro Guillaume. Et surtout comme voile aux violences qui aujourd'hui encore se produisent dans le pays.

Aujourd’hui, on l’oublie un peu, Guillaume Soro est président de l’Assemblée Nationale – et compte sur la protection d’Alassane Ouattara, pour le jour où la CPI penserait vouloir commencer à s’intéresser à son cas. Et les commandants de zone ont tous nommés « commandants de légions », officiers supérieurs de la nouvelle armée « réunifiée », responsables des principales garnisons militaires du pays, par Alassane Ouattara. Les crimes commis par ces hommes et/ou sous leurs ordres dans le centre, le Nord et surtout l’ouest de la Côte d’Ivoire, au cours de la dernière décennie défient même les limites pourtant lâches dans ce domaine, en Afrique occidentale.

Le problème, contrairement à ce qui est affirmé depuis le début par les partisans de Laurent Gbagbo, n’est pas le « deux poids, deux mesures » de la CPI, ni même la « justice des vainqueurs » conduite par le pouvoir d’Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire. Le vrai problème c’est que l’idée même de justice, dans le cadre de la crise ivoirienne, est désormais un non-sens. Quel qu’il soit le verdict de la CPI sera teinté et souillé. Il rappelle également l’incroyable impuissance de la Cour Pénale Internationale.

Fatou Bensouda, procureure de la CPI, n’a probablement jamais été plus honnête que lorsqu’elle déclare à Jeune Afrique : « notre rôle est de nous assurer que leurs principaux auteurs seront poursuivis, mais nous ne pouvons engager des poursuites contre tous. » En revanche, elle ne peut pas être sérieuse lorsqu’elle ajoute : « L'action de la CPI permettra de faire éclater la vérité pour faciliter la réconciliation. (…) Mais, rassurez-vous, aucune partie prenante à la crise ne sera épargnée. »

Bien sûr que les crimes commis par les soutiens d’Alassane Ouattara resteront impunis tant qu’il aura besoin de leur appui pour se maintenir au pouvoir. Faut-il le rappeler? La CPI ne dispose d'aucun pouvoir de police et ne peut intervenir qu'à la demande des Etats. Et bien évidemment, le procès de Laurent Gbagbo à la Haye qui aurait pu – s’il avait eu un sens, s’il s’était déroulé en même temps que celui d'un des responsables du camp d'en face – Soro Guillaume, qui sait? à défaut d’avoir Alassane Ouattara lui-même à la barre des accusés – aider à repartir les responsabilités et commémorer la mémoire de toutes les victimes, s’oriente vers une pitrerie préchrétienne où un bouc émissaire doit porter seul les péchés du peuple.

Comme s’il y avait un peuple (quiconque croit encore aux chimères d'une "réconciliation" n'a qu'à faire un tour sur n'importe lequel des forums "Facebook" qui s'organisent spontanément sur le site www.abidjan.net pour perdre toute illusion.)

Comme si aujourd’hui encore, à l’instant même où j’écris ces lignes, les sbires du régime proches du régime de Ouattara ne sillonnaient pas les camps de réfugiés, à la recherche de « sympathisants » de Gbagbo.

J’écrivais qu’il fallait souhaiter longue vie à Guillaume Soro, dans l’espoir qu’un jour ou l’autre, une alternance politique en Côte d’Ivoire lui fasse perdre la protection dont il bénéficie, et qu’il puisse répondre – lui et la racaille qui l’entoure – du coup d’état manqué de septembre 2002 et de la barbarie qui s’en suivit.

J’avais tort, la vieille maxime « justice delayed is justice denied » s’applique aussi à l’Afrique. Au moins autant que le Traité de Rome.  

 

Joël Té-Léssia

PS : Il va sans dire que cette chronique n'engage que moi, et ne prétend nullement représenter la position "officielle" de Terangaweb et de ses membres.