Paul Sika : Portrait d’un photo maker

511px-Paul_Sika_portraitPaul Sika est un diamant. Vous songez à arrêter votre lecture, cet article serait trop flatteur ? Détrompez-vous. L’artiste a plusieurs facettes, l’une facétieuse, l’autre spirituelle. A la fin de notre entretien, je suis rentrée songeuse. Une ambivalence qui intrigue…

D’une initiation impromptue à une quête absolue

L’ambiguïté apparaît d’emblée dans son parcours : en pleines études d’informatique à Londres, le jeune étudiant a une révélation.  Sa vocation est scellée devant la bande-annonce de Matrix 2, en devanture d’un magasin d’électroménager. Désinvolte, Paul ajoute qu’il s’agissait d’une « chaine inconsciente ». Biberonné aux mangas et aux jeux vidéo, son étincelle de l’art jaillit d’un blockbuster américain… Le déclic le pousse alors à investir dans un bel appareil photo professionnel, quoi qu’en disent les jaloux, et à mettre en boite tout et n’importe quoi. Le choix de la photo et non de la vidéo, a priori curieux, se justifie patiemment : le temps statique du médium intermédiaire de la photo offrirait un meilleur entrainement, collant à sa personnalité méticuleuse. Finalement, entrainement et bien plus avec affinités, Paul y est resté. Lui qui se revendique du « photo making », il nous offre des œuvres où la technique cinématographique semble transposée sur le papier glacé. Autodidacte, il poursuit son apprentissage par une cinéphilie boulimique, notant des détails sur un petit carnet dans les salles obscures. Il s’intéresse brièvement à la photo de mode, avant de la trouver ennuyeuse. Progressivement, son cheminement de petit Poucet se double d’une jolie vision. L’artiste apprenti construit alors sa théorie, expliquant son parcours et sa recherche. Un idéal de beauté, s’épanouissant dans l’art, les mathématiques ou le sport – chaque pot a son couvercle – serait enfoui dans chacun de nous. Il importe de se mettre en route pour découvrir ce « joyau ».  Le mot est jeté, « transcendance » ; ne vous effrayez pas, « chacun son truc », mais il s’agit de percer. Le peintre-photographe nous parle de Drogba, lui qui ne le connaissait pas jusqu’à peu. Le footballeur a trouvé son joyau, parvenant à ce niveau de beauté, et a transcendé ce qui semblait inaccessible au profane. Platon des temps modernes en quête d’un éblouissant Graal et amoureux de Bob l’éponge. Tout en contrastes. 

Le réel pris entre histoires et matière

At the Heart of Me - Paul SikaL’ambivalence demeure dans la conception de l’art pour Paul Sika. Il se décrit comme une éponge, absorbant le réel avec appétit. La matière est saisie à plein objectif, les objets bruissent et grouillent dans un éclat de couleurs assourdissant. Ces aplats s’épurent par le lien tendu par l’artiste : la photo n’est qu’un médium visuel pour « ce qui doit être beau ». Paul Sika délaisse la politique et les bavardages pour convoquer « l’imaginaire pur », il se veut conteur.  « Je raconte une histoire, une saga » : le flash des images, leur mélange, forment un puzzle qu’il est libre à chacun de recevoir. Toucher d’abord, et puis, éventuellement, signifier.  Paul orchestre un processus où la découverte prime sur la créativité, où la quête revient au galop, même pour le spectateur. Au milieu de ce questionnement éthéré, des pincées enfantines sont saupoudrées. L’artiste rêve à la mention des BD et des mangas de son enfance ; son monde est tissé par ses fils animés, qu’il identifie comme un univers de « vrais artistes », loin des galeries glacées de Londres ou Paris. Attention, l’homme est geek mais esthète. Un jeu vidéo, s’il n’est pas « joli », est renvoyé aux oubliettes. La gaieté est aussi un critère clef : Bob l’éponge rafle la mise : le personnage jaune égaye les gens, il ferait « davantage pour l’humanité » que d’absconses œuvres d’art contemporain. Toucher les gens, le fin mot de l’histoire. 

Enfance et pragmatisme : « la cool attitude »

Et puis, ou surtout, Paul est cool. Avec son air intello et un sourire rigolo, il nous invite à « kiffer la vie ». Etre connu n’a aucun sens sinon d’avoir ses œuvres vues, qu’elles appartiennent aux autres et qu’elles soient aussi « cool pour eux ». 

Cette désinvolture va de pair avec son attrait pour l’enfance. Elle se lit dans son admiration pour le monde de Mickey et Minnie : pour Paul,  Disney est un « super grand artiste », créateur d’émotions et capable de guérir les plaies enfouies. Si l’enfance est un état « où tout est cool et possible », Paul nous invite à ne pas avoir peur de son imagination, à la nourrir et à ne pas s’arrêter de chercher à retrouver ce que l’on a délaissé en grandissant. 

La tête dans la lune ? Pas tout à fait. A nos questions sur l’industrie de l’art en Afrique, l’artiste est sceptique.  Contrairement à certains de ses confrères, il ne rejette pas cette pragmatique expression. Pour Paul, l’art est à un état embryonnaire en Afrique, surtout en raison d’un manque d’accessibilité : les canaux de distribution sont à développer et les propositions sont à adapter à la réalité africaine. En particulier, la vision des galeristes serait à remodeler sur le terreau local, et à la déraciner d’une éducation ou d’une projection européenne qui sonne faux ici.  Le partage doit primer, pour que les gens puissent s’approprier l’art, qui reste malheureusement trop perçu comme n’étant « pas pour eux ». A la question méta-conceptuelle « Art en Afrique ou art africain ? », Paul nous balance un sourire malicieux et nous envoie nous référer à notre joyau… 

Les pieds sur terre, Paul les a indéniablement. Sa vision enfantine est comme contrebalancée par un pragmatisme lucide sur le marché de l’art. Il emploie des termes encore une fois souvent dénigrés par beaucoup d’autres. Paul souligne la nécessité de comprendre le métier, notamment pour pouvoir distribuer, partie majeure de son business. Il nous dit s’intéresser de près à la partie administrative de sa carrière, justifiant qu’il faut comprendre son business pour en faire partie. A ce titre, il fait partie d’un projet de formation et d’accompagnement aux jeunes entrepreneurs ivoiriens et est engagé dans les initiatives entrepreneuriales locales. Ne pas se disperser est sa hantise, il n’aime pas trop la casquette de vendeur mais endosse celle du communicant avec plaisir et volonté. Sa bipolarité nous impressionne : entre créativité et gestion, l’artiste dirige son affaire en maitre. Tellement qu’il en paraitrait surdoué, comme l’y enjoint un autre artiste et ami ivoirien, Jean-Etienne Yangzi : « L’Afrique nous demande d’être des surdoués aujourd’hui ». 

En guise de mot de la fin, Paul Sika nous glisse de foncer, « d’impacter l’humanité ». Rien que ça…

Pauline Deschryver et Stephane Madou

Nous vous invitons à découvrir le travail de Paul Sika sur son site internet.

Cécile Fakhoury – Galeriste à Abidjan

La galerie Cécile Fakhoury est un îlot en bordure du tumultueux boulevard Latrille. Une enceinte pourvue d’un cube de béton, pavée de verdure et plantée d’étranges sculptures en bois. Un tour de l’exposition en cours et nous filons dans une pièce aérienne et épurée, à l’image de la maitresse des lieux. Cécile Fakhoury nous écoute, nous sommes un peu intimidés … Qu’est-ce que l’art contemporain ?

IMG_5850-copieL’histoire a débuté il y a bien longtemps. Fille d’un galeriste, collectionneur d’art moderne, la voie était toute tracée. Quoique. Après des études parisiennes, la française débarque à Abidjan et décide d’ouvrir une galerie, sa galerie ; nous sommes en septembre 2012. Les débuts sont difficiles, stigmates de la crise obligent. La machine est lancée, pivotant entre les deux pôles des marchés local et international. Les ventes varient mais l’aspiration reste la même : développer le marché local, tout en s’inscrivant dans l’écosystème international de l’art contemporain. La galeriste, qui bat le pavé des foires mondiales – « le nerf de la guerre » – affirme son plaisir à vendre à Abidjan. Cette satisfaction se lit dans les histoires des artistes présentés. Nombre d’entre eux ont un passé nomade, ils sont partis et revenus au pays, à l’instar de Jems Robert Koko Bi ou de François-Xavier Gbré. Les œuvres du premier sont massives, assaillantes, convoquant le sur-place. Il vit en Allemagne. Le second, qui vit et travaille en Côte d’Ivoire, somme le spectateur de lire l’événement dans le vide. Ses photographies témoignent d’une histoire du silence où l’homme, absent sur l’image, est au cœur. Des histoires invisibles pourtant criantes et inexorables.  Des artistes bel et bien présents, de « bons témoins » de leur époque.

Quand Cécile Fakhoury parle, le « nous » abonde. Les artistes présentés dans la galerie deviennent un groupe emporté par un élan, une vocation. « Le projet de ma vie », nous glisse la galeriste : titillée sur ses talents entrepreneuriaux, Cécile Fakhoury nous parle de sa volonté de placer ses artistes dans de bons musées, de construire et de sortir avec eux du pays … pour mieux y revenir. Rencontrés au fil des cercles d’initiés, d’ici et d’ailleurs, les artistes de la galerie Fakhoury ont des profils divers et jouent avec des palettes variées (photographie, sculpture, peinture, etc.). Leur « dénominateur commun » est de raconter notre vie d’aujourd’hui. Cet ancrage ultra actuel, en opposition à l’art moderne, est le suc de l’art contemporain pour la galeriste et la caractéristique de ses artistes. 

La vocation va de pair avec une démarche résolument pragmatique. La galerie devient une « structure économique », un « espace commercial » : la question n’est pas posée, sans ambages l’art est synonyme de marché pour Cécile Fakhoury. Si elle ne se retrouve pas dans le qualificatif d’entrepreneur – trop proactif pour elle – la galeriste évoque son cube en « son projet », « sa réalité quotidienne », nourri de son attrait artistique depuis l’enfance. 

Affirmant sans détour que l’aspect financier est inexorable, Cécile Fakhoury partage une vision enthousiaste sur le marché de l’art contemporain africain. 15_JRKB_nomansland_Expo_vues_GCF_6De nombreux facteurs participent à son développement, avec l’essor de multiples foires internationales (Art Dubaï, 1 :54 et Freeze London à Londres, biennales, etc.). L’attrait et la motivation pour l’art, perdus pendant les crises, reviennent petit à petit. A Abidjan, cette curiosité renouvelée participe à la multiplication des propositions et à l’ouverture de nouveaux lieux, tels que la fondation Donwahi. Avec cette dernière, voisine de la galerie Fakhoury, les liens sont vifs pour « créer un pôle » dans la ville. S’engager à développer un marché local contribue à nourrir un marché international, l’un n’allant pas sans l’autre pour la galeriste. Cette stimulation bat en brèche l’idée d’une concurrence néfaste : la rareté des acteurs sur le marché l’en prévenant. Cécile Fakhoury concède rêver de voir pousser une galerie en face de la sienne, « un marché ne se fait pas tout seul ». Sa vision d’une meilleure dynamique grâce à un tissu plus dense de galeries détonne dans le discours commun.

Quant à savoir qui sont les acheteurs, le discours se répète. A l’instar de l’art traditionnel, l’art contemporain africain reste malheureusement peu connu des autochtones. La foule et la gloire des expositions au Quai Branly ne trouvent guère d’équivalents sous nos tropiques. Les étrangers demeurent les premiers acquéreurs des œuvres produites sur le continent noir. D’où l’enthousiasme et la fierté quand des locaux se font collectionneurs. Portrait robot de ces derniers : des jeunes entre 30 et 40 ans ayant fait leurs études hors d’Afrique. Cette tendance est à entretenir, d’où les efforts de sensibilisation déployés par la galerie. Avec son équipe, la communication inclut des actions de visibilité sur les réseaux sociaux, sur le site internet et des évènements ponctuels. Les plus jeunes, au cœur de l’envie de la galeriste de faire connaître cet art, sont loin d’être oubliés. Le cube blanc se transforme de temps à autres en cour de récréation, une fois le scepticisme général des parents abidjanais surmonté…

Pauline Deschryver

Source photo Galerie Cécile Fakhoury /

Site de la galerie http://cecilefakhoury.com/

Paul Sika: Portrait of a photo maker

511px-Paul_Sika_portraitPaul Sika is a diamond… I’d say. Do you suddenly feel the urge to stop your reading? Do you think this article aims only to flatter? Not at all! The artist we are refering to is multi-talented, sometimes playful and sometimes spiritual. At the end of our interview, I was lost in thought on my way home. I was facing a dilemma…an intriguing one at that.

A journey from unexpected initiation to an absolute quest

While he was studying computer sciences in London, Paul had a revelation. This was the beginning of him doubting his career path. His calling was sealed when he saw a movie trailer of Matrix 2 through the window of an electrical appliance shop. Paul casually adds that this was the beginning of an ‘‘unconscious cycle’’. Brought up on mangas and video games, this experience was different, because his love for art came from an American blockbuster.

This triggered him to invest in a very nice camera and despite what critics said, he began to wrap-up anything and everything. His choice of photos and not videos is very interesting because the static effect of a photo as an intermediary, offers an exercise which matches his meticulous personality. So, for this reason added to his fondness for this vocation, Paul decided to continue in this line. A great defender of ‘‘photo making’’, Paul’s works reflect what happens when cinematography techniques are transposed on glossy paper.

Self-taught in dark rooms, he started his training first in cinema, but this lasted for a short time. He noted all the important details in a small notebook. Next, he moved on to fashion photography but he found this boring. Slowly, his path of Tom Thumb progressed to a bigger vision. Paul began to define his theory, gaining more insight into his path and his search. For him, ideal beauty can blossom in art, mathematics, or sport. It can be found in each one of us. The most important is to align your path in order to discover this jewel.

So Paul came up with this word, ‘‘transcendence’’. Do not be afraid, to each his own, means to break through. The painter-photographer refers to Drogba, who he is quite familiar with. Drogba had found his jewel that gave birth to beauty and which transcended something which was thought inaccessible by the layman. A modern Plato, in search of a stunning grail but also in love with SpongeBob. These are contrasting elements.

 

The real struggle between fiction and real life.

At the Heart of Me - Paul SikaFor Paul Sika, there exists a dilemma in the concept of art. He describes himself as a sponge, absorbing real life with his appetite. Real life is captured in full view. The objects rustle and bustle in the deafening splash of colors. These colors swatches purify each other through the link created by the artist. That is to say that, pictures are just a visual medium for things that are and have to be beautiful. Paul Sika abandons politics and chatter and reunites pure imagination. He sees himself as a story teller. He says, ‘‘I am telling a story, a saga’’. The flash of images, this mix, forms a puzzle that is easy for everyone to receive.

The aim is to first touch and then give off a meaning. Paul orchestrates this process which places discovery over creativity. Discovery becomes a test even for the audience. In the midst of this ethereal inquisition, we recognize a reflection of some childhood longings, as the artist would like to mention the cartoons and mangas of his childhood days. His world is woven by these animated threads, which he identifies as a world of "true artists", far from the glass-walled galleries in London and Paris. However, remember that this man is a geek but also an aesthete. If a video game is not beautiful, it is quickly forgotten. Also, humor is a very important criterion. In this domain, SpongeBob is a winner that takes it all; this young character cheers people up. For Paul, he does more for humanity than the vague contemporary art creations. Touching lives is the major aim of the story.

Childhood and Pragmatism: ‘‘The cool attitude’’

Another thing that you should know about Paul is that he is a cool person. He has this air of intelligence and a humorous smile. With all these qualities, he invites us all to ‘‘enjoy life…’’ to love it. Being famous does not mean a thing to him. His only aim is to have his works viewed by others that they may belong to others and also be perceived as cool to other people.

This feeling stems from his love for children stories. This can be seen in his love for Mickey and Minnie. Paul also thinks that Disney is a wonderful and talented artist, a creator of emotions who is capable of healing hidden wounds. If childhood is a situation where all is cool and possible, Paul encourages us never to fear our imagination but to nourish it and continue to search for whatever we left behind while we were growing up.

Do you think Paul has his head in the clouds? I do not think so. When I asked him about his view of art in Africa, the artist was skeptical. He has quite a contrasting view to his colleagues in the industry. He accepts the practical side to his ideas. For him, Art is still at its beginning stages in Africa, mostly because it is not accessible to everyone. The supply chain needs to be better developed and adapted to African reality.

More particularly, gallery owners need to remodel their businesses to fit the local industry and they should separate their vision of art from the European model, which does not work in Africa. Most people think that art is not for them, so sharing should be the major objective so that people can easily appropriate art.

On the Meta-conceptual question, ‘‘is there art in Africa or can we call it African Art?’’ Paul gives a mischievous smile and suggests that we refer to the jewel within us…

Paul has both feet firmly on the ground. His childhood dreams are still balanced by his clear pragmatism in the art industry. He uses terms often abandoned by others as he highlights the need to understand the vocation especially in distribution, which is a major part of the business. He adds that it is important to focus on the administrative part of the vocation. In all, it is important to have a thorough understanding of the business, in order to be part of it.

On this basis, he is presently involved in training for young Ivoirian entrepreneurs and in other entrepreneurial initiatives. One of his fears is not being able to multitask. He does not like to put on only one cap but enjoys that of being the eager and willing communicant. His bipolarity is impressive. His ability to be creative and to be a manager, allows him to direct his business in an expert way. His multitalented personality inspired a fellow artist and friend from Ivory Coast, Jean-Etienne Yangzi to say ‘‘in our time, Africa needs us to be multi-talented’’.

In conclusion, Paul Sika encourages us to plunge in, to continue to impact humanity. Nothing more than that…