La question raciale au Brésil

Après l’article sur La Négation du Brésil du cinéaste Joao Zito Araujo, j’ai aussi voulu faire communiquer ce film avec (Raça), son deuxième film projeté au FIFDA (Festival International des Films de la Diaspora Africaine). Les deux films ont un lien, celui de la condition noire brésilienne; le second répondant au premier. Joao Zito Araujo est un écrivain, cinéaste, spécialisé dans les documentaires sur la question raciale, notamment sur la représentation des afro-descendants. Métis, il nous livre des films sans concession où le spectateur devient témoin. Lauréat du prix MacArthur,  il a été primé de nombreuse fois, et le film Race qui fait ici l'objet de notre article a été clôturé il y a deux ans.  

Race de Joao Zito Araujo et de Megan Mylan, est un documentaire qui traite de la condition noire au Brésil, plus clairement des voies d'émancipation de la communauté noire. L'auteur engagé s’intéresse aux parcours de trois brésiliens noirs: Tiny Dos Santos, petite-fille d'esclaves, (appartenant à un groupe dont la caractéristique est qu'il a conservé des habitudes très marquées de l'Afrique comme les traditions religieuses, les chants, y associant le culte des saintes proches du catholicisme) ; Paulo Paim, seul sénateur noir (de l'époque), qui se bat pour le droit des terres; Netinho  Paula, chanteur et présentateur de télévision  qui a fondé la chaîne de télévision Da Gente, première chaîne dirigée par un Noir et pour des Noirs. Tous ces personnages nous entraînent dans une aventure palpitante où l'on voit les Noirs se battre pour leur droit à la visibilité et au respect.

Tiny se bat afin que les terres de ses ancêtres soient préservées. Cette communauté du Quilombo montre  une force sans égale afin de faire reculer les autorités qui veulent toujours plus déboiser  leur localité. Plus que la question des territoires, c'est le respect d'un groupe qui est demandé, le respect de pouvoir être différent  et de réclamer sa présence en dépit d'une envie de négation de cette dernière par les autorités.

Netinho, ex membre du groupe  Negritude Junior, tente l'impossible en fondant sa chaîne de télévision de  proximité. Une chaîne de télévision où les Noirs peuvent enfin se voir. Où ils ont l'impression qu'on s'adresse à eux, dans un pays où les plus visibles à la télévision sont les personnes de type caucasien.

Paulo Paim soutient le droit pour les démunis de conserver leurs terres, et veut faire voter  une loi  sur l’égalité raciale.

Joao Zito Araujo laisse la caméra se balader de l'un à l'autre, sans vraiment s'impliquer par la voix d'un narrateur.  Il n' y a pas ce parti pris qui ressortait de La Négation du Brésil , le lecteur est porté par l'émotion à chaque étape du film. Les étapes que chaque membre traverse sont vécues comme des montagnes à chaque fois déplacées, et c'est bien le cas. La montagne pour la naissance d'une chaîne pour les Noirs; la montagne pour faire voter une loi qui rencontre des oppositions évidentes; la montagne face à une politique d'exclusion (?)…

Les défis pour obtenir gain de cause amènent le spectateur à s'interroger sur les réels droits des Noirs au Brésil. On  a l'impression qu'il existerait une sorte de bicephalisme où d'un côté il y aurait les  avantages des Blancs et les difficultés des Noirs. Ceci ressort du fait que la tonalité même du film se veut assez pathétique,  et le ton engagé de ce documentaire ne cache pas les desseins du réalisateur. Race est clairement plus engagé que La Négation du Brésil. Le fait de laisser parler les protagonistes permet une plus grande dénonciation car ceux-ci s'expriment sans filtres.  

Race est un film épique au sens presque étymologique. Il est l'histoire d'une communauté noire  dans sa lutte pour se faire entendre, dans son droit à la parole. Le documentaire ne laisse pas le spectateur indifférent  et réussit à le  sensibiliser sur la question même du mot ‘race’, et de son emploi. En regardant le documentaire on se demande comment sont noués les fils du ‘racisme’ (forcément présent, de manière quasi évidente) dans la conscience collective. Le film nous montre que le racisme peut se cacher dans les médias, bref, les instances de pouvoir. Et pour dénouer ces fils, des individus comme les trois protagonistes du documentaire, se sentent obligés de s’impliquer.

Comme dans La Négation Du Brésil, le réalisateur interroge la visibilité noire, qui passe souvent par sa négation ou son oubli. Dans Race, les Noirs sont oubliés dans les médias, la politique. Ceux ci doivent donc créer leurs propres symboles religieux, lieux de culture, lois de vote, afin de gagner en autonomie. Si dans le La Négation Du Brésil  les Noirs avaient pu paraître passifs, dans Race, ils sont plutôt offensifs, ils font l'action politique, sociale et musicale. Ils sont aux premières lignes de leurs changements. Point de messie salutaire, dans Race, les Brésiliens noirs retroussent leurs manches et négocient, cherchent leurs propres victoires. Ils refusent le statut de victimes. En nous partageant les tranches de  vies de ces trois protagonistes Joao Zito réussit un tour de force en attirant et en captivant les spectateurs. Les combattants de la liberté que sont ces hommes et femmes, nous montrent le prix du changement.

Pénélope Zang Mba

Ce  film a été vu dans le cadre du partenariat entre l'Afrique des idées et le FIFDA (5ème édition à Paris)

Le racisme local aux Comores

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Et si le racisme, cette fâcheuse tendance dont nous aimons tant blâmer les autres, prenait racine chez nous, en nous, dans nos foyers ? Il s’agit, dans cet article, non pas de ce que Frantz Fanon nomma plus justement « haine de soi », mais d’une forme de racisme qui se rapproche de la xénophobie. J’ai choisi de parler de celle qui sévit encore aux Comores, archipel connu pour son brassage multiculturel, et dont les mœurs sont encore, malgré un léger progrès, bien loin d’atteindre l’idéal du melting pot. Comme tout cas de xénophobie, ce cas a sa propre histoire. 

Washenzi, ou les barbares d’Afrique de l’Est

Les missionnaires Européens arpentant l’Afrique de l’Est se sont heurtés à une curieuse dénomination destinée à ce qu’ils appelaient une « mystérieuse tribu » rejetée par les habitants de la région : Washenzi. Depuis, Shenzi, un terme Swahili signifiant « sauvage », « barbare », a fait son petit bonhomme de chemin vers l’archipel voisin des Comores. Le terme fut d’abord attribué aux esclaves Makuwa importés de la côte mozambicaine. Ceux-ci, installés dans des cantons selon un système proche du féodalisme européen, étaient relégués vers l’intérieur des îles, soumis aux descendants d’Arabes venus de Zanzibar et constituants de la noblesse comorienne. Aujourd’hui, le terme a pris une connotation péjorative et désigne toute personne aux habitudes sales, indécentes, ou, dans les accès de colère, une famille ou un village dont la physionomie des habitants rappelle les ancêtres Africains…Une connotation qui agit encore aujourd’hui sur les choix de mariage. 

Sabena, les rescapés de Madagascar

Une compatriote me racontait un jour l’histoire houleuse de son mariage avec un jeune homme dont sa famille ne voulait pas. Les raisons du refus étaient motivées par un argument simple : ce jeune homme était un Sabena. 

La compagnie aérienne belge éponyme a joué un rôle majeur dans les années 70s, et son nom est resté dans les mémoires comme un hommage à l’un des conflits les plus destructeurs entre deux populations. Cette période, qui fut celle des indépendances et d’une toute nouvelle fragilité économique et identitaire aux Comores et à Madagascar, fut également le théâtre d’une haine latente entre les Comoriens immigrés sur la Grande Ile et les habitants de celle-ci. Le 20 décembre 1976, l’année suivant l’indépendance des Comores, un incident apparemment minime donne lieu à une escalade de violence qui coûtera la vie à 2000 Comoriens. Le gouvernement comorien fait alors appel à la compagnie belge Sabena pour rapatrier ses ressortissants. Démunis, traumatisés par l’expérience, certains ayant adopté les habitudes et la langue de leur pays d’accueil, d’autres étant des métis Comoriens-Malgaches, les rescapés hériteront du nom de la compagnie qui les ramena sur l’archipel. Aujourd’hui, comme une sangsue laissée par l’histoire sur une identité nationale qui se cherche encore, les « Sabena » sont encore méprisés par une partie de la population. 

Beau comme un Arabe, un Indien ou un Blanc 

Aujourd’hui, le résultat de ces préjugés est encore visible, même s’il s’est fondu dans des mœurs de moins en moins marquées par la division raciale de la société. On dit spontanément d’un nouveau-né qu’il est beau dès lors qu’il a la peau plus claire que la moyenne ; on se moque « gentiment » quand il naît avec les oreilles foncées, prélude à une pigmentation prochaine. On dit d’un homme bien habillé et plus basané que foncé qu’il est « beau comme un Arabe », d’une femme aux cheveux lisses et à la physionomie évocatrice qu’elle est « belle comme une Indienne ». Et si les parents rechignent moins à laisser leur enfant épouser la personne de son choix, quelle que soit sa couleur dominante, le changement dans le mode de pensée n’est visible qu’à l’échelle insulaire. Car entre les quatre îles qui composent ce petit archipel de quelques 700 mille habitants, les clichés ont, comme en n’importe quel pays, la vie dure. Ainsi, les habitants de l’île d’Anjouan sont des « travailleurs acharnés », mais des « fourbes dont il faut savoir se méfier » ; ceux de l’île de Mohéli de « simples paysans qui reculent sans cesse face au progrès » ; ceux de l’île de Mayotte les « traîtres » (parce qu’ils persistent à rester dans le giron Français) et des « incultes » ; les trois groupes sont nommés avec condescendance Wamassiwa, « Gens des îles », par les habitants de Ngazidja, et le nom français de cette île, Grande-Comore, n’offre qu’un aperçu de l’image que certains habitants gardent de leur terre (la plus grande île, celle dont la langue est mère des « dialectes » parlés dans les autres îles). 

 

Touhfat Mouhtare