Rentrée du cinéma 2016 : la sélection ambitieuse du FIFDA

Le Festival International des Films de la Diaspora Africaine (FIFDA) déballe ses valises dans les cinémas parisiens du 9 au 11 septembre, à l'occasion de la rentrée du cinéma. Nous vous invitons à l'édition 2016, qui, fidèle à la philosophie du festival, comprend cette année des perles de réalisation francophones et anglophones, où la profondeur et les relations humaines occupent le haut du pavé. Diarah Ndaw-Spech, organisatrice du festival, a bien voulu répondre à nos questions. 

 

Selon vous, quel film nous transportera, cette année ? 

Il y en aura plusieurs:

La première mondiale du documentaire de la réalisatrice Keria Maamei « Nos Plumes » qui explore le travail d’une "nouvelle vague" littéraire hétéroclite française issue des banlieues.

«Image» un thriller à propos des relations entre  le monde des média  et les quartiers populaires de Bruxelles. Le film a fait la une des salles en Belgique pendant plus de 10 semaines.

« Supremacy » un thriller avec Danny Glover basé sur une histoire vraie qui illustre vivement les tensions raciales constantes aux Etats Unis aujourd’hui.

« Héros Invisibles : Afro-Américains Dans La Guerre Civile Espagnole » une page de l’histoire de la solidarité entre les peuples devant un ennemi commun.

Pensez-vous que le cinéma est plus à même de faire passer certains messages mieux que d'autres médias comme le livre par exemple ? 

Déjà, en 1960, celui qui est considéré par beaucoup comme le père de Cinéma Africain, Ousmane Sembène, a choisi de passer de l’écriture au cinéma pour mieux faire passer ses messages. Il avait compris, déjà à son époque, la force de l’image pour communiquer plus facilement et à plus large échelle. L’impact de l’image est plus important que jamais aujourd’hui. Pas juste en Afrique, dans le monde entier !  C’est pour ça que le cinéma a un grand potentiel pour aider à faire évoluer les idées et les sociétés.

Quels sont les grands thèmes abordés cette année ? 

La grande turbulence dans nos sociétés contemporaines.  Les tensions montent, l’intolérance s’installe, l’abus de pouvoir et la corruption abondent, et les gens se révoltent contre les injustices.  Ces thèmes sont présents dans Image, Supremacy, Insoumise, Hogtown et Dzaomalaza Et Les Mille Soucis.

Les questions identitaires d’appartenance et d’acceptation sont abordées dans Nos Plumes, Ben & Ara, et la Belle Vie. 

Diriez-vous que nous allons vers un cinéma plus international, plus porté vers l'innovation ? 

Avec la globalisation, l’information circule plus que jamais. Cela peut avoir un effet de standardisation à travers les cultures.  Beaucoup de jeunes réalisateurs partout dans le monde prennent comme modèle le cinéma fait à Hollywood. Cela peut limiter les initiatives novatrices. D’un autre côté, la technologie a démocratisé cette forme d’art.  Cela permet à de nouvelles voix de s’exprimer sans dépendre d’un système qui a le pouvoir de la censure et de l'argent.  Des films indépendants comme Nos Plumes, Hogtown ou Ben & Ara sont des films d’auteurs où sont abordés des thèmes  qui les concernent les créateurs. Ces films n’auraient probablement pas pu exister sans les nouvelles technologies.  Un cinéma plus international ? Certainement. Plus porté vers l’innovation ? C’est encore à débattre.

Rendez-vous aux Cinémas La Clef (Paris 5ème, 34 rue Daubenton, métro Censier-Daubenton), et Etoile Lilas (Paris 20ème, Place du Maquis du Vercors, métro Porte des Lilas).  

Pour aller plus loin : Rendez-vous sur le site du FIFDA (www.fifda.org). 

Spiritualités mêlées : le soufisme en terre animiste

Soufisme aux ComoresDans un article du Nouvel Obs, Souleymane Bachir Diagne s’imaginait expliquant à son enfant les fondements du soufisme. Tantôt définie comme la branche mystique de l’Islam, tantôt vue comme une démarche purement spirituel et indépendante du dogme, le soufisme est aujourd’hui plus que jamais d’actualité : Eric Geoffroy en parlant de la spiritualité musulmane, la désignait comme la seule solution pour la pérennité de l'Islam.

Quand on parle de soufisme en terre africaine, le nom qui vient à l’esprit est souvent celui de Thierno Bokar, enseignant de l’écrivain Amadou Hampate Bâ. Au Mali comme au Sénégal, et aujourd’hui en Afrique du Sud, le soufisme est une démarche adoptée de façon individuelle ou communautaire. Cependant, il existe un pays où le soufisme est non seulement une démarche communautaire, mais aussi une tradition nationale : il s’agit des Comores. Si le pays est peu connu pour sa pratique spirituelle, il n’en est pas moins imprégné au point que les rituels soufis font partie du quotidien. La confrérie, la relation de maître à disciple, les savoirs ésotériques s’y croisent sans dire leur nom. Attitude humble propre à la spiritualité, ou symptôme d’une exposition à l’endoctrinement ?

Aux origines : un terreau propice au mysticisme

La légende voudrait que les Comores aient d’abord été peuplées par des djinn, “esprits” en arabe, enfermés dans les îles par le roi Salomon, fils de David. Les récentes fouilles archéologiques laissent supposer que la théorie serait fondée sur un réel passage des troupes de Salomon, puisque des reliques de tombes portant le sceau du personnage biblique, ainsi que des pratiques juives, ont été répertoriées dans l’archipel. A cela peut s’ajouter la forte présence, encore aujourd’hui, de rites purement animistes hérités des esclaves venus du Mozambique, du Zimbabwe et probablement du Botswana. Les coeurs étaient déjà sensibles aux discours religieux. Selon la tradition orale, au 7ème siècle, deux hommes en quête spirituelle auraient quitté l’archipel pour se rendre à la Mecque, où un certain Muhammad prêchait la nouvelle religion, héritière du christianisme et du judaïsme. Arrivés après la mort de Muhammad, ils seraient retournés aux Comores avec un enseignement fortement imprégné de la dimension spirituelle de l’islam, qui n’a eu aucun mal à se mêler aux croyances existantes pour donner lieu à une richesse spirituelle inédite.

Des savoirs jalousement gardés

Certaines familles semblent être gardiennes de savoirs ésotériques associés au soufisme. Cela est dû à la présence, très tôt, des confréries les plus influentes du monde soufi : Les confréries Qadirî, Shadhilî et Ba Alawiya. Héritage du chiisme, seconde mouvance adoptée par les musulmans à l’aube de l’expansion de l’Islam, qui accordent une place particulière à la famille du prophète, et du shérifisme, de même nature, également observé au Sénégal, le respect accordé au prophète et à sa famille alimente la pratique religieuse. Les sharifs sont, selon la tradition, chargés d’être les “éclaireurs de l’humanité”, donc les gardiens de certains savoirs sensibles. C’est ainsi que l’on retrouve dans les foyers sharif, ainsi que chez certains initiés, des corpus contenant invocations et talismans, qui sont dispensés au reste de la population avec parcimonie. La littérature poétique soufie y est enseignée de fait dans les écoles coraniques : la période du Mawlid, célébration de la naissance du prophète, fait l’objet d’une fête nationale. Des noms comme Al Habib Umar, Mwinyi Baraka, sont connus dans la sphère soufie mondiale.

Manifestations

L’amour du prophète, et par extension l’amour de l’humanité, sont les socles de la tradition soufie. C’est cet amour que femmes et hommes célèbrent lors de séances de méditation plus ou moins animées et riches de sens : les hommes se laissent porter par la transe mystique lors des cérémonies de daïra*, chantent leur amour pendant les madjliss**, quand les femmes se parent les mains de henné pour les ouvrir à la manière d’une corolle de fleur lors des dayba***. Car le mysticisme, aux Comores, est festif, et il n’est pas rare de déceler dans certaines célébrations une énergie semblable à celle des cérémonies animistes, qui ont elles aussi leur place – la danse des djinn est en l’occurrence la plus courante.

Le danger des fondamentalismes

Néanmoins, on peut se demander si cette omniprésence ne menace pas, justement, le caractère unique de la spiritualité. Presque toutes les familles comoriennes disposent d’un corpus immatériel de rituels tirés de la tradition soufie : invocations qui suivent chacune des 5 prières quotidiennes, anecdotes sur des personnalités marquantes. Bien souvent, ces rituels sont répétés sans que les auteurs en sachent l’origine ou la signification profonde, et la langue arabe, utilisée pour la plupart des rites, n’est pas comprise du plus grand nombre. Un détail qui, s’il ne constitue pas un problème en soi, fait des plus jeunes, en cette terre où les musulmans avaient su préserver la tolérance, l’ouverture et l’émulation intellectuelle prônées par l’Islam, une proie facile pour les fondamentalistes de tout horizon.

Touhfat Mouhtare

1  Eric Geoffroy, L'islam sera spirituel ou ne sera plus, Seuil

2 Carte blanche à SB Diagne, Le Nouvel Obs : http://bibliobs.nouvelobs.com/idees/20151115.OBS9536/le-soufisme-explique-a-mon-fils.html

3 Tradition orale. Gevrey, 1870

4 Comores, plaque tournante de l’esclavage, Ali T. Ibouroi, 2002. * Cérémonies de célébration soufie.

Photo : le deba-chant soufi de mayotte- Source  cfred-toulet

Le racisme local aux Comores

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Et si le racisme, cette fâcheuse tendance dont nous aimons tant blâmer les autres, prenait racine chez nous, en nous, dans nos foyers ? Il s’agit, dans cet article, non pas de ce que Frantz Fanon nomma plus justement « haine de soi », mais d’une forme de racisme qui se rapproche de la xénophobie. J’ai choisi de parler de celle qui sévit encore aux Comores, archipel connu pour son brassage multiculturel, et dont les mœurs sont encore, malgré un léger progrès, bien loin d’atteindre l’idéal du melting pot. Comme tout cas de xénophobie, ce cas a sa propre histoire. 

Washenzi, ou les barbares d’Afrique de l’Est

Les missionnaires Européens arpentant l’Afrique de l’Est se sont heurtés à une curieuse dénomination destinée à ce qu’ils appelaient une « mystérieuse tribu » rejetée par les habitants de la région : Washenzi. Depuis, Shenzi, un terme Swahili signifiant « sauvage », « barbare », a fait son petit bonhomme de chemin vers l’archipel voisin des Comores. Le terme fut d’abord attribué aux esclaves Makuwa importés de la côte mozambicaine. Ceux-ci, installés dans des cantons selon un système proche du féodalisme européen, étaient relégués vers l’intérieur des îles, soumis aux descendants d’Arabes venus de Zanzibar et constituants de la noblesse comorienne. Aujourd’hui, le terme a pris une connotation péjorative et désigne toute personne aux habitudes sales, indécentes, ou, dans les accès de colère, une famille ou un village dont la physionomie des habitants rappelle les ancêtres Africains…Une connotation qui agit encore aujourd’hui sur les choix de mariage. 

Sabena, les rescapés de Madagascar

Une compatriote me racontait un jour l’histoire houleuse de son mariage avec un jeune homme dont sa famille ne voulait pas. Les raisons du refus étaient motivées par un argument simple : ce jeune homme était un Sabena. 

La compagnie aérienne belge éponyme a joué un rôle majeur dans les années 70s, et son nom est resté dans les mémoires comme un hommage à l’un des conflits les plus destructeurs entre deux populations. Cette période, qui fut celle des indépendances et d’une toute nouvelle fragilité économique et identitaire aux Comores et à Madagascar, fut également le théâtre d’une haine latente entre les Comoriens immigrés sur la Grande Ile et les habitants de celle-ci. Le 20 décembre 1976, l’année suivant l’indépendance des Comores, un incident apparemment minime donne lieu à une escalade de violence qui coûtera la vie à 2000 Comoriens. Le gouvernement comorien fait alors appel à la compagnie belge Sabena pour rapatrier ses ressortissants. Démunis, traumatisés par l’expérience, certains ayant adopté les habitudes et la langue de leur pays d’accueil, d’autres étant des métis Comoriens-Malgaches, les rescapés hériteront du nom de la compagnie qui les ramena sur l’archipel. Aujourd’hui, comme une sangsue laissée par l’histoire sur une identité nationale qui se cherche encore, les « Sabena » sont encore méprisés par une partie de la population. 

Beau comme un Arabe, un Indien ou un Blanc 

Aujourd’hui, le résultat de ces préjugés est encore visible, même s’il s’est fondu dans des mœurs de moins en moins marquées par la division raciale de la société. On dit spontanément d’un nouveau-né qu’il est beau dès lors qu’il a la peau plus claire que la moyenne ; on se moque « gentiment » quand il naît avec les oreilles foncées, prélude à une pigmentation prochaine. On dit d’un homme bien habillé et plus basané que foncé qu’il est « beau comme un Arabe », d’une femme aux cheveux lisses et à la physionomie évocatrice qu’elle est « belle comme une Indienne ». Et si les parents rechignent moins à laisser leur enfant épouser la personne de son choix, quelle que soit sa couleur dominante, le changement dans le mode de pensée n’est visible qu’à l’échelle insulaire. Car entre les quatre îles qui composent ce petit archipel de quelques 700 mille habitants, les clichés ont, comme en n’importe quel pays, la vie dure. Ainsi, les habitants de l’île d’Anjouan sont des « travailleurs acharnés », mais des « fourbes dont il faut savoir se méfier » ; ceux de l’île de Mohéli de « simples paysans qui reculent sans cesse face au progrès » ; ceux de l’île de Mayotte les « traîtres » (parce qu’ils persistent à rester dans le giron Français) et des « incultes » ; les trois groupes sont nommés avec condescendance Wamassiwa, « Gens des îles », par les habitants de Ngazidja, et le nom français de cette île, Grande-Comore, n’offre qu’un aperçu de l’image que certains habitants gardent de leur terre (la plus grande île, celle dont la langue est mère des « dialectes » parlés dans les autres îles). 

 

Touhfat Mouhtare

Tango Negro : les origines africaines du Tango

10685336_743860012347737_964423496988455681_nSans le Tango, qui aurait su que l’Argentine fut autrefois peuplée de Noirs, et que leur histoire est liée à celle du pays de la pampa ? C’est à la question des origines de cette danse, et, au-delà, des origines africaines d’une partie du peuple argentin, que Dom Pedro, né en Angola, a réalisé Tango Negro. Le film a été projeté lors du FIFDA, en septembre dernier, au Comptoir Général de Paris. Retour sur une aventure musicale et historique saisissante, avec le réalisateur.

Sur le fil du temps : de Ntangu à Tango

Sur une place de Buenos Aires, un couple danse. Une pointe de désespoir se lit, souvent, dans le regard des partenaires, au moment de se détacher l’un de l’autre. Puis ils se raccrochent l’un à l’autre, comme en dérive, et la femme fait une moue de résignation.  

Ensuite, apparaît la photo d’une famille de Noirs dont les ancêtres furent emmenés de force en Argentine. « Le Tango, c’est trois temps de tristesse », entend-on : celle de l’immigré, celle du gaucho, et celle, moins connue, de l’esclave arraché à sa terre natale. Cette « danse de salon », affiliée à une strate élevée de la société argentine d'origine européenne, puise ses racines en Afrique, jusqu’à son nom même : Tango vient de Ntangu, ou le temps qui passe, affirme un musicologue.

Et du temps a passé, depuis l’arrivée des Noirs issus de la traite négrière du 18ème siècle sur le territoire Argentin, depuis qu’ils ont servi de chair à canon lors de la guerre d’indépendance du pays, lors du même siècle.

Aujourd’hui, un Noir en Argentine suscite l’interrogation, et est souvent confondu avec un Uruguayen. Il faut effectuer une remontée dans le temps pour s’apercevoir que les deux pays ont eu le même passé esclavagiste.

Pour le réalisateur, le voyage dans le temps permet de résoudre un mal plus profond, celui de l’identité africaine, dont les éclats se lisent un peu partout dans le monde : « le but est non seulement de contribuer à la connaissance du monde, mais aussi à nous réapproprier nos valeurs culturelles africaines présentes sur tous les continents ».

La musique, thérapie d’un peuple

Ce qui est troublant, derrière la caméra de Dom Pedro, c’est la similitude des mouvements effectués par les danseurs avec certaines danses africaines, comme le Soumou du Mali. Troublante aussi, la mélancolie de la mélodie et de la voix qui chante. C’est comme si le chanteur, quelque part en lui, portait un héritage qui survit au silence par le biais de sa voix. Un sentiment que partage l’auteur : « Ce film est d'abord une thérapie personnelle; tout au long de ma vie. Je crois que les conditions de déportation, de souffrances et de dépaysement sont à la base de la mélancolie et de la nostalgie. Personnellement, je sens encore vibrer dans mes veines les souffrances endurées par tous ceux des nôtres victimes des traitements inhumains au cours des siècles passés. Et si les spectateurs concernés peuvent se sentir réconfortés et revigorés en regardant ce film, la thérapie devient alors collective. C'est en fait une recherche de "réparation" autant morale que physique; car il nous la faut pour conjurer le mauvais sort en relation avec un certain passé depuis révolu. Voilà pourquoi je souhaite que ce film soit vu par un grand nombre des gens, aussi bien Africains que du reste du monde. On est voués à la même enseigne ! ».

Guérir le passé par la musique, donc. Pour permettre aux générations futures de mieux appréhender le monde.

Le défi des générations futures

Des générations qui devront « reprendre ce que nous aurons laissé en suspens ».

Celles-ci auront à marcher sur le fil d’une histoire à double tranchant : d’un coté, le piège de l’afrocentrisme, de l’autre celui de l’amnésie culturelle. Une menace contre laquelle l’auteur met en garde les jeunes afro-descendants d’aujourd’hui, et les jeunes en général : « alors que les uns croiront toujours à des images « façonnées » à l’avantage de certains, d’autres resteront accrochés à ce qu’ils considèrent comme une vérité intrinsèquement biblique ! ».

Il y a donc à s’écouter les uns les autres, afin d’éviter que prospère ce climat de « méfiance » inter-culturelle que l’on peut déceler aujourd’hui.

Le voyage…des mots

Mais Tango Negro se situe bien au-delà de l’histoire d’une danse. Si la musique est l’élément dominant, c’est la quête d’une terre ancestrale originelle, d’un berceau tantôt prêté à l’humanité, tantôt relégué au dernier plan, comme on peut l’entendre dans la chanson de cette femme Argentine dont les mots comportent de curieuses consonances Yoruba.  « C’est indéniable, l’Afrique a été précurseur de bien des courants dont le reste l’humanité s’est enorgueillie sans vergogne. Et le Tango est peut-être l’un de ces courants.  Beaucoup de mots ou d’expressions dans le parlé et dans la célébration des rituels religieux dans l’ensemble des pays d’Amérique latine sont d’obédience « kongo ». Et, lors de mon passage en Argentine et en Uruguay, j’ai observé que les populations usent de ces mots sans en connaitre réellement la signification ! ».

La langue, c’est bien connu, est le véhicule de l’histoire. C’est pourquoi le réalisateur exhorte les chercheurs en sciences humaines d’Afrique et d’Amérique Latine à construire entre les deux continents des ponts, des groupes de travail pour retracer les origines de ces mots. Des mots comme Nkumba, nom d’une danse du bassin du Congo, dont le nom a peu à peu dérivé en Rumba.

C’est que la guerre d’indépendance a effacé, en occasionnant la mort de centaines de milliers de militaires originaires d’Afrique, toute trace d’une contribution de ceux-ci à l’héritage culturel argentin. Si certains pourraient attribuer au film un coté « orienté », ils n’en seraient pas moins enchantés par la poésie et la charge émotionnelle dont il est imprégné, de la mélancolie du début à la note d’espoir qui le clôture.

Touhfat Mouhtare

Energie solaire : une équation à plusieurs inconnues

Nouvelle imageLorsqu’on parle du Green Business en Afrique, la première idée qui émerge est celle de l’énergie solaire pour pallier l’accès difficile à l’électricité. A eux seuls, l’Asie du Sud et l’Afrique subsaharienne comptent 80% des 1,5 milliard d’habitants lésés par une alimentation électrique défaillante, faute de moyens techniques et financiers.[1] L’énergie solaire n’est pas seulement une alternative : constitué de douze entreprises allemandes, le projet DESERTEC estime qu’en couvrant 1% de la planète de panneaux solaires, on fournirait plus d’énergie que l’on en consomme en une année. Le projet entend recouvrir les déserts du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord de panneaux solaires pour vérifier ses études.[2] Fortement ensoleillée pendant 325 jours par an[3], l’Afrique subsaharienne semble être la zone la plus indiquée, non seulement pour sa propre alimentation en énergie, mais aussi pour l’alimentation en énergie du monde. La solution semble toute trouvée. Alors pourquoi tarde-t-elle tant à être appliquée ?

Docteur en Génie électrique de l'ENS de Cachan, spécialisé depuis quelques années dans les énergies renouvelables, Ahamada Baroini, fondateur de la société Krytech (Krytec Technologies), nous fait part des blocages et des perspectives d’avenir qu’ouvre la piste solaire.

Un secteur verrouillé

Alimenter l’Afrique en énergie solaire, cela fait plus de six ans  qu’Ahamada Baroini y pense. Il a voulu voir plus grand que les lampes solaires ou les panneaux. Après avoir tenté de solidifier des partenariats en Algérie, Côte d’Ivoire, Ghana et au Tchad, il s’est tourné un moment vers le co-développement, via des initiatives soutenues par l’Agence Française pour le Développement. Les secteurs visés étaient l’électroménager, l’éclairage et l’alimentation des sites isolés. Mais le secteur de l’énergie, en Afrique, dépend énormément des sociétés d’envergure déjà en place, dont la principale source de revenus repose sur les énergies fossiles : groupes électrogènes alimentés au pétrole, centrales nucléaires.

« J’ai commencé à travailler sur les premiers frigos solaires en Algérie, avec un associé. Ensemble, nous avons traité avec les grands groupes capables d’investir dans nos projets. Mais alors que les produits étaient encore à l’état de prototypes, le fabriquant d’un des composants que j’utilisais m’appelle pour me dire qu’il a soudainement reçu des commandes de plus de 2000 pièces dont le prix unitaire est d’environ 120 €. Le produit n’était pas encore testé; il y avait donc eu une fuite de l’information. Il faut comprendre une chose : fabriquer des objets innovants volumineux implique de mettre en péril toute une industrie reposant sur les énergies fossiles, lesquelles permettent à des sociétés implantées depuis plusieurs années de perdurer. Menacer cette place, c’est menacer un équilibre économique établi. S’il s’effondre, il faudra plusieurs années à ces sociétés pour se relever.

« Dans le cas du co-développement le même problème se pose », poursuit-il. "Car les idées sont très vite reprises et transmises dans le réseau. Un réseau que je suppose être constitué d'officines de grands groupes français et/ou des services français, qui, eux aussi, préservent, en collaboration avec les pouvoirs locaux, leurs zones d’influence et d’intervention « humanitaire » pour consolider leur position. En cas de refus de coopération, vous trouverez vos projets émerger sous d’autres formes, dans d’autre plateformes associatives ou ONG. De plus, le soutien d’un politique est souvent nécessaire pour faire avancer votre dossier, vous risquez ainsi d’être injustement catalogué à Droite ou à Gauche d’un parti politique, comme ce fut mon cas suite à la présentation de mes activités".

Economie et politique : les liaisons dangereuses

Pour que le business de l’énergie solaire pénètre avec force en Afrique, il faut pouvoir franchir une barrière qui s’est consolidée au fil des années. Celle-ci est constituée d’un marché centralisé par les Etats et de dirigeants de sociétés qui sont très proches du pouvoir. Y entrer sans jouer le jeu politique se révèle très vite une démarche compliquée. « Par ailleurs, », rappelle Ahamada Baroini, « si les différents secteurs concernés par l’énergie solaire comme les batteries en lithium Ion impliquent des produits coûteux mais de longue durée, ils portent un coup à certains corps de métier, notamment celui de la fabrication des groupes électrogènes. Avec l’accroissement des coupures électriques, les groupes électrogènes sont devenus un accessoire indispensable, et les sociétés qui les fabriquent et les commercialisent ont vu leur place se pérenniser. C’est également un pan de l’économie qui reste très lié au pouvoir, et il est malheureusement difficile de proposer une alternative qui mettrait tout un corps de métier sur le déclin ». Cependant, il existe des solutions.

Les solutions

Agir avec les pays émergents via le visage d'une association : cela s’est produit récemment avec des femmes d’une association Camerounaise, parties en Inde pour apprendre divers usages de l’énergie solaire, l’extraction d’eau dans les zones difficiles d’accès en l’occurrence.

Mais je pense qu’il faut impérativement créer des collectifs avec les jeunes de la diaspora qui ont des compétences en électricité nécessaires pour maitriser l'énergie solaire, et les faire participer à des petits projets en lien avec des associations basées en Afrique.

Le recours au financement participatif : j’encourage le recours aux plateformes de ce type, qui se multiplient et permettent de monter sur pied des projets qui, mis bout à bout, peuvent considérablement changer les choses.

Propos recueillis par Touhfat Mouhtare

 

 


[1] source : www.scidev.net

 

[2] source : http://bit.ly/1ulyACW

 

[3] NASA 2008, Carte mondiale de l'énergie solaire potentielle (insolation en kWh/m2/jour) (crédit: Hugh Ahlenius, PNUE / GRID-Arendal Maps and Graphics Library).