Burundi, Congo… Du silence à l’indifférence

JPG_BurundiUne grande partie de l’Afrique centrale semble aujourd’hui complètement en dehors des radars médiatiques et diplomatiques. Qui pense au Burundi, qui chaque heure, sombre un peu plus dans la violence ? Au Congo-Brazzaville, où les voix dissidentes ne nous reviennent plus qu’en de lointains échos. Faut-il inexorablement attendre le terrorisme et la guerre pour faire mine de s’intéresser à l’Afrique ? Comment ignorer qu’ils ne sont que les produits de nos indifférences d’hier ?

Tant bien que mal, le petit Burundi avait pourtant réussi à trouver un équilibre politique. C’était les accords d’Arusha, en 2000. Ils mettaient fin, progressivement, à une guerre civile qui avait coûté la vie à plus de 300 000 personnes. Ils établissaient aussi un partage du pouvoir entre la majorité hutu et la minorité tutsi et des principes simples comme la limitation à deux du nombre de mandats présidentiels. Ces accords sont aujourd’hui en lambeaux. Après deux mandats, le président Pierre Nkurunziza s’est accroché à son fauteuil coûte que coûte, au prix d’une spirale de violence inouïe, d’assassinats ciblés, de journalistes malmenés, voire torturés. Passé à tabac par les services de renseignement, le correspondant de l’AFP et RFI a été contraint de se réfugier à l’étranger. Le pouvoir a également menacé à mots couverts une envoyée spéciale de la radio française accusée d’”action perturbatrice”, de “reportages de malédictions” et de “fausse informations incendiaires”. Depuis fin avril, des centaines de personnes ont été tuées, même si le bilan précis est difficile à établir. 5.000 soldats de l’Union africaine sont annoncés pour mettre fin aux violences. Mais quand et pour faire quoi ? Comment les déployer sans l’accord du pouvoir ?

Du côté de la communauté internationale, les appels à la modération et au calme se succèdent depuis des mois, sans effet. Le dialogue inter-burundais, piloté par l’Ouganda, est au point mort. Quand bien même les critères ethniques ne recouvrent pas les multiples lignes de fractures dans le pays, les chancelleries sont tétanisées par le fantôme de 1994. Les 800 000 victimes, tutsis et hutus modérés, du génocide rwandais qu’elles n’avaient pu empêcher. Si le pire advenait, l’ONU, dans une note dévoilée il y a quelques jours, reconnaît qu’elle ne pourrait y faire face sans moyens supplémentaires. L’ampleur des violences dépasserait “les capacités de protection des Nations Unies”, déplore ce texte.

Des appels de la communauté internationale, il y en a, aussi, au Congo-Brazzaville, mais si peu. Le paysage politique y est comme congelé. Le pays visiblement indissociable de son président Denis Sassou Nguesso, revenu au pouvoir par les armes en 1997, après une guerre civile, encore une. Pour 2016, une constitution l’empêchait de s’accrocher au pouvoir. Qu’importe, une autre a été écrite à la hâte et adoptée par référendum en octobre. Quelques jours avant le vote, François Hollande avait estimé que Denis Sassou Nguesso avait, après tout, tout à fait  le droit de consulter son peuple. La France est il est vrai un partenaire historique du Congo, où Total est le principal acteur de secteur pétrolier. Aussitôt critiqué par les ONG et l’opposition congolaise, le président français avait rectifié le tir quelques heures plus (trop) tard par un communiqué condamnant toute violence et rappelant l’importance de la liberté d’expression.

Puisque les critiques se font rares, la présidentielle au Congo a été avancée au mois de mars au lieu du mois de juillet. Avec cet inattendu changement de calendrier, l’opposition redoute de n’avoir ni le temps, ni les moyens de préparer la campagne, mais qui s’en soucie ? Les opposants ont certes depuis longtemps perdu une partie de leur crédibilité. Sans accès aux médias, ni véritable aura au sein d’une population désabusée, ils sont souvent divisés, sans ressources, exposés aux appels du pied et aux francs CFA de la présidence, qui bénéficie à plein des ressources pétrolières.

Le 20 octobre, des jeunes sont descendus dans la rue aux cris de “Sassoufit”. La répression des manifestations a fait 17 morts selon l’opposition. Dix jours après, cette même opposition annonçait des grandes marches dans tout le pays, pour contester les résultats du référendum. Sans explications crédibles, les manifestations ont finalement été annulées. Interrogé à Paris, l’écrivain Alain Mabanckou, tout en appelant le président à laisser le pouvoir, a dénoncé l’attitude d’une opposition “qui quand ça a commencé à crépiter s’est cachée et a laissé la jeunesse congolaise sous les balles”. Pessimiste, il a même prédit deux nouveaux mandats pour Denis Sassou Nguesso, “vu le larbinisme de l’opposition”.

A Bujumbura comme à Brazzaville, tout est fait pour que rien ne change. Ailleurs la situation de ces deux pays comme bien d’autres en Afrique, suscite au mieux une vague indifférence, au pire, des réponses dégainées comme des boomerang, pour dire qu’après tout “c’est ça l’Afrique”. Comme si “là bas”, plus qu’ailleurs, un président avait le droit de disposer de son peuple à guise, et de faire de son pays son jardin tâché de sang… Jusqu’à quand ?

Adrien de Calan

Le Congo-Brazzaville sous haute tension

JPG_CongoSassouVote 270416Une élection présidentielle décriée, le retour de la violence et des fantômes du passé, voilà où en est le Congo-Brazzaville, plus que jamais à l’écart d’une Afrique qui bouge et rêve d’un tournant démocratique. Il y a des eu des alternances au Sénégal, au Nigéria, au Bénin et une révolution au Burkina Faso… À Brazzaville, il y a un chef d’État jusqu’au-boutiste qui cumule plus de trente ans au pouvoir.

La volonté coûte que coûte de Denis Sassou Nguesso de briguer un troisième mandat et le déroulement du scrutin présidentiel du 20 mars sont le signe d’une radicalisation du pouvoir. Avant le vote, des diplomates confiaient l’impossibilité de dialoguer avec un régime de plus en plus recroquevillé sur lui-même. À Brazzaville, certaines chancelleries ont tenté de s’accrocher tant bien que mal à l’élection en conseillant aux opposants d’aller défendre leurs chances. Mais le résultat est là. Le calendrier électoral a été bousculé au bon vouloir du président, avec une élection anticipée de plusieurs mois. Et le scrutin n’a pas été crédible, ont convenu l’Union européenne et les États-Unis, qui ont dénoncé des “irrégularités généralisées” et l'arrestation d’opposants.

Le vote s’est déroulé dans un troublant silence: l’ensemble des télécommunications ont été coupées la veille du scrutin et durant plusieurs jours. Étrangement, les résultats ont été proclamés au beau milieu de la nuit du 23 mars, donnant sans surprise une victoire par KO dès le premier tour au président Sassou. Le lendemain trois journalistes ont été agressés, après un entretien avec Jean-Marie Michel Mokoko, l’un des principaux candidats de l’opposition.

Avec 60% des voix, le chef de l’État a fait moins bien qu’en 2009 (78,6%) ou qu’en 2002 (89,4%) et on pourrait arguer que les conditions du vote n’ont pas été pires que par le passé. Seulement, le contexte a radicalement changé. De Y en a marre au Sénégal au Balai citoyen burkinabè, la société civile africaine se fait de plus en plus entendre. Et le refus d’un troisième mandat, qui a conduit à chasser du pouvoir Blaise Compaoré, est devenu un mot d’ordre, décliné au Congo avec l’expression “Sassoufit”.

En outre, l’argumentaire principal de Denis Sassou Nguesso, celui d’être le garant de la stabilité et de la paix dans un pays qui a tant souffert de la guerre civile, perd de sa crédibilité. Le temps fait son effet et s’il n’a pas effacé les blessures, il fragilise ce discours du prétendu pacificateur, qui passe de plus en plus pour celui qui met de l’huile sur le feu.

Depuis la nuit du 3 au 4 avril, la situation sécuritaire est extrêmement confuse. Cette nuit-là, des affrontements ont eu lieu entre forces de l’ordre et hommes en armes dans les quartiers sud de Brazzaville. Le bilan officiel fait état de 17 morts, trois policiers, deux civils et douze assaillants. Dénonçant une “attaque terroriste”, le gouvernement a aussitôt accusé d’anciens miliciens ninjas, à la solde du Pasteur Ntumi, un ex-rebelle de la guerre civile qui s’était rallié au pouvoir en 2007, contre un titre paradoxal de délégué général chargé de la promotion des valeurs de paix.

Depuis ces affrontements, les autorités ont lancé plusieurs raids aériens sur les villages de son fief, dans le Pool, un département du sud du Congo. Les combats se déroulent à “huis clos”, a dénoncé une ONG congolaise. Il y a très peu d’informations, aucun bilan confirmé même si une ONG comme Amnesty International évoque le chiffre de 30 morts à partir de témoignages sur place. Monseigneur Portella, l’Evêque de Kinkala, préfecture du Pool, a réclamé sur RFI la fin des bombardements. Au passage, il s’est dit perplexe sur le déroulement des événements du 3-4 avril et a dénoncé le manque de transparence des dernières élections. Cette prise de parole d’un homme d’Église n’est pas anodine. Depuis de longs mois, la conférence épiscopale congolaise avait en partie abandonné son rôle traditionnel d’autorité morale, critique de la vie politique au Congo. Fin 2014, les évêques avaient ainsi renoncé à un message de Noël réclamant de préserver la constitution. Ils avaient eu droit à une réunion houleuse avec le chef de l’État, qui allait faire adopter une nouvelle loi fondamentale quelques mois plus tard pour pouvoir se présenter à nouveau… Et leur message de Noël était passé à la trappe.

D’autres voix sont aussi de plus en plus critiques à l’égard du régime, dénonçant une “dictature” au Congo, des termes qui n’étaient pas forcément employés par le passé. Parmi elles, l’écrivain Alain Mabanckou pour qui l’élection a été une forme de déclic. Jusqu’il y a quelques mois, il était plutôt discret sur la situation politique congolaise en dénonçant globalement la corruption ou les difficultés de la démocratie en Afrique sans parler spécifiquement de son pays. Il dénonce maintenant avec force une élection “frappée de petite vérole” et qui s’est déroulée “dans les ténèbres les plus absolues”.

Inexorablement, la vie politique congolaise se transforme en un référendum permanent pour ou contre Sassou, où les dés sont pipés. Bien sûr rien ne dit que sans lui, le Congo irait mieux, que d’autres responsables politiques échapperaient subitement aux sirènes de l’argent du pétrole, qu’ils parviendraient à dépasser les divisions géographiques et ethniques qui ressurgissent à chaque crise. Mais avec lui, le pays se porte bien mal.

Adrien de Calan

Kabila et Sassou face à leurs constitutions



 

 

JPG_KabilaSassou 030215Les présidents des deux Congo sont confrontés au même problème : leurs Constitutions respectives les empêchent de briguer un nouveau mandat. Mais ils ne sont pas tout à fait dans la même situation.

Ironie du sort, Denis Sassou Nguesso et Joseph Kabila, à qui on a régulièrement prêté des différends sont confrontés exactement au même problème en ce début d’année 2015. Et il se résume à chaque fois à un numéro: 57 (et 58) au Congo Brazzaville et 70 en RDC, les articles constitutionnels qui les empêchent de briguer un troisième mandat à la tête de leur pays. Si la loi fondamentale reste en l’état et si ils la respectent, Sassou Nguesso, tout comme Kabila auront quitté le pouvoir fin 2016.

Après le précédent burkinabè, le débat fait donc rage à Brazzaville comme à Kinshasa, les deux capitales les plus proches du monde – séparées seulement par le fleuve Congo, franchi en sept minutes de canot rapide, avant d’affronter les formalités administratives qui dureront elles beaucoup plus longtemps,  qu'importe la rive où l’on accoste.

À Brazzaville, le sujet est officiellement sur la table depuis le 31 décembre et l’appel du principal mouvement de la majorité, le Parti congolais du travail (PCT), à la rédaction d’une nouvelle Constitution, plus adaptée à la situation du pays. L’ancien texte serait dépassé estime le parti du président Sassou, car rédigé en 2002 dans une période post-conflit, après la sanglante guerre civile qu’a connu le pays.

Bien sûr cette nouvelle Constitution n’a rien à voir avec l’éventualité d’une énième candidature du président Sassou, assure le PCT… Pourtant, l’opposition et quelques rares dissidents de la majorité y voient une simple manœuvre pour justifier un « coup d’État constitutionnel », assurant le maintien au pouvoir du chef. Denis Sassou Nguesso a quant à lui sobrement jugé sain et démocratique un tel débat constitutionnel dans son message de vœux à la Nation.

À Kinshasa, le débat a pris un tour nouveau depuis les violences survenues entre le 19 et le 22 janvier dans la capitale et à Goma à l’est du pays. À l’origine de ces affrontements, dont le bilan est  estimé par les ONG à plus de quarante morts, un projet de loi électorale qui a mis le feu aux poudres. En effet, un article particulièrement controversé, y laissait craindre un report de l’élection présidentielle, ce qui n’était pas tout à fait du goût de l’opposition. Celle-ci dénonçait, là encore, une tentative du président Kabila de s’accrocher au pouvoir. Face à la contestation populaire, l’article a finalement été retiré.

Preuve qu’à Kin’, comme à Brazza, la question constitutionnelle est sensible, même si en RDC ni le parti majoritaire (le PPRD), ni le président n’ont officiellement pris position dans le débat.

Deux situations bien différentes

Les deux chefs d’État sont donc face au même défi, ils restent néanmoins dans des situations bien différentes, autant liées à la nature de leurs pays qu’à l' histoire politique de chacun d'entre eux..

Il y a d’abord un géant face à un petit poucet. La RDC avec ses 80 millions d’habitants est l'un des pays les plus grands et peuplés d’Afrique. Et plusieurs parties du territoire échappent encore au contrôle des autorités à l’est du pays et dans le nord de la province du Katanga. Maï Maï, ADF Nalu, ou anciens rebelles hutus rwandais FDLR… les difficultés avec les groupes armés sont loin d’être réglées dans les Kivus.

Par contraste, le Congo-Brazza avec ses quatre millions d’habitants, fait figure de petit pays tranquille. Et Brazzaville de village paisible qui dévisage avec inquiétude la « Gotham City » Kinshasa aux grandes tours défraichies. Le calme, la paix, après la guerre civile de 1997 qui a marqué les esprits sont d’ailleurs les arguments volontiers convoqués par le camp du président Sassou pour appeler à son maintien au pouvoir.

Sassou et Kabila, c’est aussi deux personnalités et deux situations politiques très différentes.

À 43 ans, Joseph Kabila reste un chef d’État énigmatique et discret, assez malicieux certainement pour avoir échappé, depuis 2001 et l’assassinat de son père, aux chausses trappe inhérentes à l’exercice du pouvoir en RDC. Il reste toutefois très difficile de mesurer la nature et l’étendue de son autorité quand les richesses du sous-sol de son pays et le désordre qui y règne renforcent sans cesse les convoitises et les rivalités.

Sur le plan intérieur, Kabila dispose de concurrents reconnus comme Etienne Tshisekedi, le leader de l’UDPS apprécié notamment à Kinshasa et qui revendique depuis 2011 sa victoire aux dernières élections présidentielles.  Dans la majorité même, des concurrents s’affirment et affichent leur opposition à la révision constitutionnelle. Depuis quelques semaines, le charismatique gouverneur du Katanga, Moise Katumbi, connu pour les succès de son équipe de football le Tout Puissant Mazembe, fait ainsi parler de lui en rejetant implicitement une nouvelle candidature de Kabila. Et il n’est pas le seul au sein de la majorité à prendre ses distances.

À 71 ans, Denis Sassou Nguesso est lui un animal politique  plus expérimenté. Il a déjà plus de trente ans de pratique du pouvoir derrière lui, malgré la parenthèse de la présidence Lissouba entre 1992 et 1997 avant son retour par les armes. Le président a habilement fragilisé les partis d’opposition historique comme l’UPADS, celui de l’ancien président Lissouba, ou le MCDDI, celui de feu Bernard Kolélas, autre rival des années 1990, en attirant ses adversaires dans son giron grâce ,disent ses détracteurs, à l’attraction qu’exercent les richesses pétrolières du pays. Au sein de l’opposition, on serait ainsi bien en peine de distinguer des figures fédératrices et reconnues par la population. Des opposants minoritaires existent bel et bien mais ils ont du mal à se faire entendre dans un paysage médiatique sous contrôle.

Quant à la majorité, à l’image du PCT, héritier des années socialistes au Congo, elle reste à l’unisson avec son chef, même si quelques dissonances notables apparaissent ces dernières semaines par les voix d’anciens ministres comme André Okombi Salissa ou Charles Zacharie Bowao ou même d’un membre du gouvernement actuel Guy Parfait Kolélas (fils de Bernard…), opposées au changement constitutionnel.

Homme d’expérience, par contraste avec un Kabila bien discret sur la scène diplomatique, Sassou Nguesso exerce aussi son influence à l'international depuis de nombreuses années avec la confiance de ses partenaires. Il est par exemple le médiateur dans la crise centrafricaine. 

Un même défi donc et des situations différentes pour les présidents Kabila et Sassou. Mais ces réalités dans toute leur complexité ne permettent évidemment pas d’annoncer quels seront les prochains épisodes pour l’un ou l’autre de ces chefs d’Etat congolais. Qui aurait pu prédire qu'au Burkina Faso, une révolution populaire allait contraindre Blaise Comparé à quitter le pouvoir après 27 ans à la tête du pays ?

Adrien de Calan