Le Congo-Brazzaville sous haute tension

JPG_CongoSassouVote 270416Une élection présidentielle décriée, le retour de la violence et des fantômes du passé, voilà où en est le Congo-Brazzaville, plus que jamais à l’écart d’une Afrique qui bouge et rêve d’un tournant démocratique. Il y a des eu des alternances au Sénégal, au Nigéria, au Bénin et une révolution au Burkina Faso… À Brazzaville, il y a un chef d’État jusqu’au-boutiste qui cumule plus de trente ans au pouvoir.

La volonté coûte que coûte de Denis Sassou Nguesso de briguer un troisième mandat et le déroulement du scrutin présidentiel du 20 mars sont le signe d’une radicalisation du pouvoir. Avant le vote, des diplomates confiaient l’impossibilité de dialoguer avec un régime de plus en plus recroquevillé sur lui-même. À Brazzaville, certaines chancelleries ont tenté de s’accrocher tant bien que mal à l’élection en conseillant aux opposants d’aller défendre leurs chances. Mais le résultat est là. Le calendrier électoral a été bousculé au bon vouloir du président, avec une élection anticipée de plusieurs mois. Et le scrutin n’a pas été crédible, ont convenu l’Union européenne et les États-Unis, qui ont dénoncé des “irrégularités généralisées” et l'arrestation d’opposants.

Le vote s’est déroulé dans un troublant silence: l’ensemble des télécommunications ont été coupées la veille du scrutin et durant plusieurs jours. Étrangement, les résultats ont été proclamés au beau milieu de la nuit du 23 mars, donnant sans surprise une victoire par KO dès le premier tour au président Sassou. Le lendemain trois journalistes ont été agressés, après un entretien avec Jean-Marie Michel Mokoko, l’un des principaux candidats de l’opposition.

Avec 60% des voix, le chef de l’État a fait moins bien qu’en 2009 (78,6%) ou qu’en 2002 (89,4%) et on pourrait arguer que les conditions du vote n’ont pas été pires que par le passé. Seulement, le contexte a radicalement changé. De Y en a marre au Sénégal au Balai citoyen burkinabè, la société civile africaine se fait de plus en plus entendre. Et le refus d’un troisième mandat, qui a conduit à chasser du pouvoir Blaise Compaoré, est devenu un mot d’ordre, décliné au Congo avec l’expression “Sassoufit”.

En outre, l’argumentaire principal de Denis Sassou Nguesso, celui d’être le garant de la stabilité et de la paix dans un pays qui a tant souffert de la guerre civile, perd de sa crédibilité. Le temps fait son effet et s’il n’a pas effacé les blessures, il fragilise ce discours du prétendu pacificateur, qui passe de plus en plus pour celui qui met de l’huile sur le feu.

Depuis la nuit du 3 au 4 avril, la situation sécuritaire est extrêmement confuse. Cette nuit-là, des affrontements ont eu lieu entre forces de l’ordre et hommes en armes dans les quartiers sud de Brazzaville. Le bilan officiel fait état de 17 morts, trois policiers, deux civils et douze assaillants. Dénonçant une “attaque terroriste”, le gouvernement a aussitôt accusé d’anciens miliciens ninjas, à la solde du Pasteur Ntumi, un ex-rebelle de la guerre civile qui s’était rallié au pouvoir en 2007, contre un titre paradoxal de délégué général chargé de la promotion des valeurs de paix.

Depuis ces affrontements, les autorités ont lancé plusieurs raids aériens sur les villages de son fief, dans le Pool, un département du sud du Congo. Les combats se déroulent à “huis clos”, a dénoncé une ONG congolaise. Il y a très peu d’informations, aucun bilan confirmé même si une ONG comme Amnesty International évoque le chiffre de 30 morts à partir de témoignages sur place. Monseigneur Portella, l’Evêque de Kinkala, préfecture du Pool, a réclamé sur RFI la fin des bombardements. Au passage, il s’est dit perplexe sur le déroulement des événements du 3-4 avril et a dénoncé le manque de transparence des dernières élections. Cette prise de parole d’un homme d’Église n’est pas anodine. Depuis de longs mois, la conférence épiscopale congolaise avait en partie abandonné son rôle traditionnel d’autorité morale, critique de la vie politique au Congo. Fin 2014, les évêques avaient ainsi renoncé à un message de Noël réclamant de préserver la constitution. Ils avaient eu droit à une réunion houleuse avec le chef de l’État, qui allait faire adopter une nouvelle loi fondamentale quelques mois plus tard pour pouvoir se présenter à nouveau… Et leur message de Noël était passé à la trappe.

D’autres voix sont aussi de plus en plus critiques à l’égard du régime, dénonçant une “dictature” au Congo, des termes qui n’étaient pas forcément employés par le passé. Parmi elles, l’écrivain Alain Mabanckou pour qui l’élection a été une forme de déclic. Jusqu’il y a quelques mois, il était plutôt discret sur la situation politique congolaise en dénonçant globalement la corruption ou les difficultés de la démocratie en Afrique sans parler spécifiquement de son pays. Il dénonce maintenant avec force une élection “frappée de petite vérole” et qui s’est déroulée “dans les ténèbres les plus absolues”.

Inexorablement, la vie politique congolaise se transforme en un référendum permanent pour ou contre Sassou, où les dés sont pipés. Bien sûr rien ne dit que sans lui, le Congo irait mieux, que d’autres responsables politiques échapperaient subitement aux sirènes de l’argent du pétrole, qu’ils parviendraient à dépasser les divisions géographiques et ethniques qui ressurgissent à chaque crise. Mais avec lui, le pays se porte bien mal.

Adrien de Calan

Why is media freedom questionnable in Congo-Brazzaville ?

Congo – Brazzaville is known to have a very fragile media in Central Africa. Since the country transitionned to political pluralism after its Sovereign National Conference in the 1990s, the media was also diversified. However it became more and more difficult for the journalists to be independent given the structural difficulties and the concentration of power in the hands of a few people.

A single newspaper for the whole country

The difficulties encountered in the difficult pressare absurd. Dépêches de Brazzaville is the only newspaper in Congo. It is completely commited to President Denis Sassou Nguesso. Created in 1998 by Jean-Paul Bigasse (the President's communication advisor), the newspaper was published every month in four color printing. It then turned into a weekly newspaper in 2004 and then a daily in 2007. It is one of the few newspapers to have computerised editing, a printing press and is subsidised by the State. It is the only affordablenewspaper (200 FCFA) whereas other newspapers cost at least double the price and do not receive any financial help from the state.

Other newspapers in Africa are as fragile economically. The costs are quite high in the written press, especially paper, purchased in the neighboring countries the Democratic Republic of Congo, and the printing. Except two well established newspapers, Dépêches de Brazzaville and the bi-weekly La Semaine Africaine, other newspapers such as La Rue dies and Tam-Tam Africa are published very irregularly depending on the vagaries of the troubled economy. Their journalists earn a low income and sometimes no income at all. Although there is officially a collective agreement that sets a minimum wage of 90,000 CFA francs (137 euros), it is very rarely followed.

This economic vulnerability has a direct influence on the content of the articles. It partly explains the confusion in many newspapers between articles and advertisements appearing in many media that are not presented as such. Unsufficient advertising and low sales weaken these newspapers even more. Thus the "comorra" (originating from the Democratic Republic of Congo) is widely practiced by many underpaid journalists who are paid to publish a specific press release or article.

Dangerous liaisons between politics and media

From this economic vulnerability stems other issues, one of which is the dangerous liaisons between journalism and politics. According to researcher Marie-Soleil Frère, "in Congo, the majority of the media is the instrument of individual strategies of conquest or conservation of power". Public media is in the hands of the political officials who play a direct role in the country's political game. As a matter of fact, DRTV television channel is owned by the general Nobert Dabira who is a senior Congolese official close to the government. MN TV is owned by Maurice Nguesso, elder brother of the president. Top Tv is owned by his daughter Claudia. Independent newspapers are often directly or indirectly linked to political parties or officials. "As the sector becomes more dynamic, the amount of the pro-government propaganda also increases in the columns of the newspapers and on the radio. The media contributes to the cult of personality, losing all credibility and respect in the eyes of the public". This statement could be read a few months ago in the Congolese barometer media, created by the Friedrich Ebert Foundation in collaboration with professionals of the country.

This context of over-politicization and media individualisation has several negative effects. It led some independent newspapers to become a platform for the settlement of scores in the political cenacle by relaying rumors about ministers and favouring anathema to a deep analysis. It also hinders the structuring of the profession and the establishment of professional solidarity that is essential in the most challenging times such as elections. According to "senior" professionals, this solidarity is all the more important because the profession is suffering from a deep lack of training, in a country where civil wars have greatly damaged the education system.

Another major obstacle to the independence of the press is the intimidation, especially when the political situation gets tougher. This is the case in recent weeks with the ongoing debate on the constitutional amendment that would allow the President Sassou to run for a third office. Two journalists were recently expelled: Sadio Kante Morel (freelance journalist) on September 22, and Cameroonian Elijah Smith (from MN TV) on September 26. He was physically assaulted two days after covering a meeting of the opposition.

In addition to this direct violence, many journalists state that media independence is primarily limited by self-censorship. In a context of extreme fragility, taking the risk of opposing potential funders or threathening the existence of the newspapers seems somewhat questionable. According to a report by the Panos Institute, even historical newspapers and reliable references as La Semaine Africaine, bi-weekly created in 1954, backed by the Catholic Church and the Episcopal Conference, negotiate "a relative neutrality" by supporting occasionally the system to avoid trouble and ensure its existence. But in an ultra-pyramidal political system, how can they escape this temptation?

Any solutions?

Solutions to these issues are not easy to find. However, there are interesting initiatives that attempt to solve these problems.

Firstly, the lack of means can be solved by international donations. It requires that the people suggest useful projects with a long-term training program and that international donors such as the United States or the European Union, would be solicited especially during the elections. In neighboring DRC, and in a different context, Radio Okapi has proved that with a substantial budget (millions of dollars) funded by the UN, a channel can provide independent information of quality. But this kind of financial help has its limits: what happens when the donor withdraws? Congo-Brazzaville is a stable and potentially rich country. In this situation, how to access such funds generally directed in priority to countries which are in crisis?

Digital technology is a major opportunity in a country where an entrepreneur, Verona Mankou, claims to have created the first African touch pad. If digital technology is probably too often presented as a totem that would solve all problems, it has at least the advantage of reducing costs and broadcasting to a much larger audience. In Congo, a small community of people living in Brazzaville has started a network in a social media platform that rapidly relays informations, especially to the connected diaspora. This network could have a major role in controlling the information although it is difficult to assess its actual impact in a country where the access to internet is limited to a minority of the population.

 

Another challenge is to be independent from politics. In a pyramidal system, it is difficult to be independent as the political debate in Congo is very limited and has lost all credibility. It is thus easier to focus instead on economic and social issues. There are very interesting projects such as the work of the Association Syfia (http://syfia.over-blog.com), supported by the European Union. The association is composed of a team of journalists who work on human rights issues in Congo. Syfia plays the role of a small news agency and offers reports on the daily struggles of citizens. The main issues concern the relationship between Bantu and indigenous people (pygmies) and the place of women in the economy and the society or environmental protection. Recently, a website http://www.ifrikiamag.com offered a comedic platform to decrypt the clichés or quirks of the Congolese society, and present some cultural operators in the country. Even media close to the President's entourage can diversify their programs and show stories and social issues that meet the actual concerns and expectations of the public, such as the new bimonthly Terrafrica and the private channel TV service Equator Service Television.

 

Some might say that media avoids the political debate and concentrates on society and culture. However, in recent years, it is largely thanks to the artists and the vitality of the Congolese cultural scene (the playwright Dieudonné Niangouna, the dancer DeLaVallet Bidiefono, the visual artists Bill Kouélany and Gastineau Massamba …) that the dramas of the recent history of Congo could be analysed.

Translated by Aymeric LOUSSALA

Expulsion des Kinois au Congo Brazzaville

Expulsion Congo Bzv

Tout est parti, d’une sombre affaire de Kulunas. Des ressortissants de la RDC, brigands de grands chemins qui, après avoir semé la terreur à Kinshasa, se sont repliés sur Brazzaville où ils s’illustrent en  vols, braquages, viols, meurtres et autres exactions. Causant ainsi un climat d’insécurité dans les rues de la capitale : « Il ne fait pas bon de traîner dans certains quartiers à la tombée de la nuit » peut-on entendre alors.

Les autorités policières locales ont décidé d’agir fermement pour enrayer le phénomène au moyen de la mise en œuvre d’une politique répressive: arrestations, expulsions du territoire, …

Mais très vite, et on l’a bien vu venir, l’amalgame a été fait entre ces voyous et tous les ressortissants de la RDC (communément appelé Zaïrois ou Kinois) présents à Brazzaville ; des raccourcis ont été trouvés pour mettre tout le monde dans le même panier,  tout zaïrois étant un Kuluna potentiel

C’est l’immigration clandestine que l’on pointe du doigt désormais. De véritables rafles ont lieu dans les quartiers populaires pour mettre la main sur ces indésirables et les reconduire au Beach de Brazzaville, où des ferries (sur lesquels ils s’entassent au péril de leur vie) les attendent et les ramèneront au plus vite chez eux, à Kinshasa.

Papiers ou pas papiers, dehors ?!

Plusieurs témoignages font état de personnes en situation régulière, qui se seraient vues sommer de plier bagage et de quitter le territoire Congolais.

«  Des policiers ont fait irruption chez nous, déplore la mine déconfite une dame dans un reportage diffusé sur un web TV. Tout de suite nous leur avons présenté nos papiers et les actes de naissance de nos enfants nés à Brazzaville. Ils les ont tout simplement déchirés et nous ont demandé de partir après nous avoir brutalement malmenés. »

Il semblerait cependant, et il est utile de le souligner, que des ressortissants de la RDC, détenteurs d’une carte consulaire l’aient assimilée à un titre de séjour et se soient crus en situation régulière ….

Il n’en reste pas moins vrai que cette opération de « nettoyage » baptisée Mbata ya ba kolo (en français : la gifle des aînés) par les forces de l’ordre a donné lieu à une libéralisation de la parole et de l’acte xénophobe : Injures, humiliations, passages à tabac, viols …

 « C’est une mesure salutaire ! Peut-on lire sur les réseaux sociaux. Nos autorités ont raison de réagir fermement pour mettre un terme au désordre. Il y a peut-être des débordements dans la manière dont l’action est menée, c’est regrettable. Mais les Zaïrois en situation illégale doivent partir ! »

Congolais de Brazzaville et Congolais de Kinshasa, frères ou ennemis ? Quelles relations entretiennent ces deux peuples qui n’en formaient qu’un avant la conférence de Berlin de 1885 et le partage de l’Afrique par nos chers bons colons ? Pourquoi en dépit de liens culturels très étroits et de ce passé historique commun, sont-ils incapables de vivre en bonne harmonie ?

expulsion_congo1Les raisons du désamour

C’est sous le règne du Maréchal Mobutu Sese Seko (1965-1991), que la RDC alors « Zaïre » connait une importante vague d’émigration. La mal gouvernance et la corruption des élites dégradent la situation économique du pays, rendant ainsi précaires les conditions de vie d’une écrasante majorité de la population. La république du Congo, sœur voisine, parait dès lors comme une terre d’accueil idéale pour beaucoup de Zaïrois qui espèrent y trouver un gagne pain et accéder à un niveau de vie décent. C’est dans les petits boulots qu’ils s’y illustreront principalement, les basses besognes dédaignées par les locaux (ramassage des ordures ménagères,  vente à la sauvette …), les métiers manuels (maçonnerie, cordonnerie, couture, …)

Mais gagner sa vie en « terre étrangère » n’est pas toujours chose aisée, alors quelques-uns ont recours à des moyens moins avouables : la prostitution, la petite criminalité …

Peu à peu, le mot « Zaïrois » prend une connotation péjorative et même injurieuse dans la conscience collective locale. Au Congo Brazzaville comme partout ailleurs en effet, l’immigré est jugé en fonction de son pouvoir économique. Est-il investisseur, créateur d’emplois et de richesse ? On le respecte, on l’honore. Est-il à la recherche d’un moyen de subsistance et prêt à se contenter du peu que l’on consent à lui donner ? On le traite avec condescendance, il devient un sujet de raillerie… Nulle surprise donc !

Méfiance et mépris

Ne dites jamais à un congolais de Brazzaville qu’il est un zaïrois ! Vos mots sonneront à ses oreilles comme une offense. Il n’a rien à voir avec ces gens-là, c’est un intellectuel lui, un érudit qui manie avec aisance la langue de Molière. Et puis il n’est pas voleur comme l’autre… Comment diable osez-vous ?

Du Brazzavillois, le Kinois dira pour sa part, que celui-ci est pétri d’orgueil, hautain, amoureux du costard, dépourvu de tout sens de l’initiative ; il n’apprécie que le travail de bureau et refuse à tout prix de se salir les mains.

« Quand tous les zaïrois auront quitté Brazzaville lesquels assureront le ramassage de vos ordures ménagères ? »  murmurent quelques-uns.

La question a lieu d’être posée.

En bon débrouillard l’immigré Kinois a su se montrer inventif, et a très vite proposé ses services dans des domaines d’activités encore inexploités au Congo Brazzaville : La collecte des ordures ménagères par exemple. Celle-ci est plus qu’indispensable dans un pays où il n’existe aucun service de voirie…

A-t-on seulement songé aux conséquences de ces « départs forcés » ?

Les ressortissants de la RDC : Au cœur de l’économie formelle et informelle

Ils sont maçons, tailleurs, menuisiers, cordonniers, coiffeurs, …. établis au Congo Brazzaville depuis plus de vingt ans parfois. Ils s’acquittent (la plupart du moins) de la patente que les agents des impôts leur exigent, et font ainsi tourner l’économie locale.

Pourquoi les expulse-t-on alors qu’ils n’ont à leur charge aucun acte répréhensible ?

expulsion-de-congo-brazaUn dispositif répressif pour masquer les lacunes d’une politique d’immigration défaillante

Boucs émissaires ! Ce sont là les mots qui me viennent tout de suite à l’esprit quand j’analyse la situation. Boucs émissaires. Point barre !

Qu’advient-il de la chasse aux Kulunas ? Car c’est bien de cela qu’il s’agissait au départ : arrêter ces bandits qui sèment la terreur dans nos rues. A-t-on pu les identifier de façon certaine grâce aux témoignages de leurs victimes ?  Ont-ils été interpellés ? Séjournent-ils dans nos prisons ou a-t-on préféré la solution de facilité, c’est-à-dire expulser tout le monde, tous les ressortissants Zaïrois, il y aura forcément des Kulunas dans le lot.

Tout le zèle déployé autour de cette opération « Mbata ya ba kolo » me laisse pantoise. En l’espace de quelques semaines l’immigration clandestine est devenue une priorité nationale alors que jusqu’ici aucun effort n’avait été fait dans ce sens.

Il n’existe pas de politique d’immigration clairement définie au Congo Brazzaville. Les frontières sont poreuses, les flux migratoires échappent totalement au contrôle des autorités compétentes. Et les Zaïrois sont loin d’être les seuls à y résider de façon illégale…

Et la corruption ! La corruption des fonctionnaires du Beach de Brazzaville, principal point d’entrée des migrants de l’autre rive du fleuve, pourquoi l’occulte-t-on ?

A l’heure actuelle les expulsions se poursuivent massivement, dans la violation totale des droits de l’homme. On rapporte plusieurs pertes en vies humaines (des nourrissons morts par asphyxie dans les ferries, des individus tombés à l’eau et noyés, …). Une situation grave mais jusqu’à ce jour ni Denis Sassou Nguesso ni Joseph Kabila, présidents respectifs du Congo Brazzaville et de la RDC, ne se sont officiellement exprimés sur la question.

Au regard de ce vent de xénophobie qui souffle sur Brazzaville, force est de constater encore une fois que les mots intégration, régularisation, droit du sol, naturalisation, … véritables revendications des Africains en Europe, constituent un paradigme qui peine encore à trouver un écho favorable dans nos pays d’Afrique. 

Vous restez un étranger, en dépit de la durée de votre séjour. Vos enfants restent des étrangers, même s’ils sont nés sur votre terre d’adoption. Vivez en toute discrétion et vous parviendrez peut-être à vous fondre dans la masse … Peut-être… Mais gare à vous si un jour l’un des vôtres (un frère, un cousin, et même votre animal domestique pourquoi pas) est l’auteur d’un forfait.  Comme lui vous serez mis au banc des accusés et l’on vous rappellera alors que vous êtes un étranger !

Ralphanie Mwana Kongo

« Demain j’aurai vingt ans »

Nous sommes dans les années 70 en république populaire du Congo, du coté de Pointe-Noire, la capitale économique de ce pays. C'est un régime marxiste-léniniste qui s'applique. Michel a entre neuf et dix ans. Il est le fils unique de maman Pauline et il fait partie de la grande famille de papa Roger qui l'a choisi pour fils. Son oncle René est un marxiste exalté donnant une place importante à Marx, Engels et Lénine dans son salon et qui n'hésite pas en parallèle à spolier son entourage familial de tous les biens matériels issus des héritages successifs.
Michel nous conte les personnages hauts en couleur de son enfance dans un quartier populaire de Pointe-Noire et l'apprentissage de la vie d'un mome. Par l'amitié de Lounès, le fils du tailleur du quartier. Par l'amour de Caroline, la soeur de Lounès. Par la rivalité de Mabélé, un prétendant de Caroline, footballeur, castagneur et lecteur de Marcel Pagnol. Par le sens des responsabilités de papa Roger. Par la folie de Petit Piment, qui fut dans un autre vie un étudiant en philosophie et un cadre d'entreprise. Par la détresse de sa mère dans son désir de concevoir d'autres enfants. Par maman Martine, sa deuxième mère…

Ce que le regard de Michel restitue, c'est à la fois l'atmosphère de ce quartier, l'ambiance d'une époque où etre traité de "capitalistes!" ou "impérialistes!" au Congo était la pire des insultes. Mais Alain Mabanckou brosse également par les nouvelles que papa Roger écoute de La voix de l'Amerique, les hauts faits de l'actualité internationale de l'époque, comme les frasques d'Idi Amin Dada, la chute et les pérégrinations du Chah d'Iran, la neutralisation de Jacques Mesrine ou les otages du Liban…

Je trouve très interessant la manière avec laquelle il rappelle combien cette actualité façonne l'imaginaire de la jeunesse de ce que l'on appelait le Tiers monde. Michel écoute avec la meme attention que son père, ce poste radio ainsi que les interprétations passionnées de papa Roger. Ce roman alterne à la fois entre la réalité de ce que Michel voit autour de lui et cette intrusion du lointain. Mabanckou utilise une écriture qui permet d'exprimer le ressenti de Michel, de mieux rentrer dans l'imaginaire en gestation de cet enfant. De comprendre ses mécanismes de défense face l'absurdité des choix des adultes ou encore dans une lutte féroce pour gagner le coeur d'une fille. Par les mots plutot qur par les poings.

L'interet de ce roman réside dans ces petites étincelles d'émotion que nous transmet Michel, dans son désir d'etre accepté et d'etre aimé. Pour terminer, il est difficile d'évoquer un texte du romancier congolais sans les références littéraires qu'il sème avec extase dans ses livres. Il y a en une qui traverse tout l'ouvrage : celle à Arthur Rimbaud. dont le visage sourit à Michel. C'est assez amusant de voir cet enfant se débattre pour tenter de rentrer et comprendre un texte de ce poete.

Un roman qui m'a replongé dans une époque où je rêvais d'avoir 20 ans jour. Ce titre, Demain j'aurai vingt ans, est inspiré d'un vers de Tchicaya U Tam'si, celui qu'on appelait aussi le Rimbaud noir. Un très beau roman.

A table, chez tonton René, on me fait asseoir à la mauvaise place, juste en face d'un vieux Blanc qui s'appelle Lénine et qui n'arrete pas de me regarder alors que moi, je ne le connais pas et que lui ne me connait pas. Moi aussi, comme je ne suis pas d'accord qu'un vieux Blanc qui ne me connait pas me regarde méchamment, eh bien je le regarde droit dans les yeux. Je sais que c'est impoli de regarder les grandes personnes droit dans les yeux, c'est pour ça que je regarde en cachette sinon mon oncle va s'énerver et me dire que je manque de respect à son Lénine que le monde entier admire.

Page 16, Editions Gallimard
 

Lareus Gangoueus

Alain Mabanckou, Demain j'aurai vingt ans
Editions Gallimard, 382 pages, paru le 19 aout 2010