Trois entrepreneurs des TIC en Afrique anglophone

Herman Heunis, le créateur du concurrent de Facebook en Afrique anglophone

Cet ingénieur originaire de Namibie est le seul africain à pouvoir se vanter de tenir tête à Facebook ! En Afrique du Sud, il écrase le géant californien. Son réseau social Mxit (http://www.mxit.com/), lancé en 2003, compte aujourd’hui plus de 10 millions d’utilisateurs en Afrique du Sud là où Facebook peine avec 3,9 millions de comptes. En tout, en Afrique sub-saharienne, Mxit compte près de 24 millions d’utilisateurs et ne cesse de croître. Ce service permet aux utilisateurs d’échanger des messages (à l’image des tchat) sur téléphone mobile pour un prix beaucoup moins important que le prix des SMS classique (environ 1 centime contre 75 centimes…). Plus proche de la réalité africaine où le téléphone mobile fait office d'ordinateur portable (près de 500 millions de mobiles sur le continent), Mxit s’est imposé avec sa simplicité d’usage comme le maître des réseaux sociaux en Afrique du Sud. L'une des clés de son succès est que le service soit exclusivement proposé sur Mobile. Le parc des téléphones mobiles en Afrique du Sud est 8 fois plus important que celui des PC. Mixt a même conquis d’autre continent, puisque les consommateurs Indonésiens ont adopté ce service. Une simplicité à l’image de son fondateur, amoureux de la nature et des voyages en VTT. Herman Heunis vit et innove depuis Stellenbosch (en Afrique du sud), au milieu des vignobles. 

Chris Uwaje, le parrain Nigerian de la cybersécurité

Chris Uwaje est un personnage central et influent de la scène technologique africaine. Considéré comme le gourou de l’innovation au Nigeria, cet ingénieur informatique évolue depuis plus de trente ans dans le milieu des nouvelles technologies. Trente années à essayer de convaincre et d’évangéliser le Nigeria. Ce pionnier dirige l’entreprise Connect Technologies, et préside l’Institut des développeurs de logiciel du Nigeria (ISPON). Spécialiste de l’utilisation des technologies appliquées à la gouvernance, il est également l’un des premiers à avoir compris les enjeux de la cybersécurité en Afrique de l’Ouest. Il donne des conférences un peu partout dans le monde et sensibilise à la nécessité pour les Etats africains d’exister sur les territoires digitaux mais aussi d’être capables de s’y défendre et de contre-attaquer. Entrepreneur et militant de la cause technologique, il est certain que la création de logiciel et le développement d’un écosystème de codeurs africains pourra contribuer au développement économique du continent. «Les banquiers ont des banques, les professeurs ont des écoles…Mais les développeurs de logiciels n’ont pas de lieu consacré à leur profession», aime-t-il à dire en martelant que le développement de logiciel pourra générer des millions d’emplois au Nigeria.

Ndubuisi Ekekwe, la microélectronique au service des NTIC

La notice biographique de Ndubuisi Ekekwe indique qu'il détient deux doctorats (dont un en génie électrique et informatique de l'Université Johns Hopkins, Baltimore) quatre maîtrises et un MBA de l'Université de Calabar, au Nigéria, terminé en mars 2009. Il est le fondateur de l'Atlantique Semiconductors & Microelectronics Ltd (Fasmicro). C'est la première maison de conception de circuit intégré en Afrique . Il a aussi occupé le poste de Directeur de banque à la Diamond Bank of Lagos. Le Professeur Ekekwe est un inventeur – notamment titulaire d'un brevet américain sur une puce utilisée dans les robots chirurgicaux. Il a aussi rédigé une feuille de route sur la monnaie unique africaine où il a présenté cette étude à un congrès de l'Union Africaine. Il vit actuellement à Boston et a fait partie de l'équipe qui a créé le capteur XL à l'intérieur des iPhone et iPod. Il est l'auteur d'un document stratégique sur l'avenir de la microélectronique au Nigeria à l'horizon 2020 qui fait autorité dans le domaine.

Philippe Jean

Rupu, la startup kenyane du web qui monte…

Peut être ne connaissez vous pas Rupu ? Vous avez plus de chance d’avoir entendu parler de Groupon, entreprise américaine au succès phénoménal ayant lancé avec brio le concept de site d’achats groupés. Pour vous faire une idée, rendez-vous directement sur leur site : www.groupon.com. Rupu est le Groupon à la sauce kenyane ! Même concept, même discount attractif, même modèle économique. Je suis tombée par hasard sur Rupu, en suivant un lien sur Facebook que plusieurs de mes amis kenyans avaient « liké ». Cela faisait un moment que je m’intéressais à ce type de business et j’ai sauté sur l’occasion pour envoyer un email à l’équipe de Rupu en leurs proposant une interview. Ils l’ont rapidement acceptée et nous nous sommes retrouvés après nos journées de travail respectives autour d’un verre. J’ai donc eu le plaisir de rencontrer Ben Maina, CEO de Rupu et Munyutu Waigi, co-fondateur de Rupu. Ben et Munyutu sont de jeunes entrepreneurs brillants, dynamiques et charismatiques :

Ben Maina s’occupe des affaires quotidiennes de Rupu tandis que Munyutu, travaillant en parallèle sur d’autres projets, est consultant et accompagne l’évolution stratégique de Rupu. Ben vient du secteur des télécoms. Il a d’abord travaillé dans le développement de projets auprès d’un fournisseur d’accès à internet pendant 5 ans puis chez Zuku (offre triple play kenyane) en tant que directeur du marketing pendant 2 ans. Il a ensuite décidé de laisser parler sa fibre entrepreneuriale en participant à la création de Rupu. C’est en réalité Munyutu qui l’a invité à rejoindre cette aventure, ce que Ben a tout de suite accepté. Il est alors devenu directeur du marketing chez Rupu en novembre 2010 et en avril 2011 il passe CEO alors que Munyutu développe de nouveaux projets.

Munyutu Waigi, co-fondateur de Rupu

Munyutu a un background de consultant (il a notamment travaillé pour Accenture). Après diverses expériences (dont certaines dans les NTIC), Munyutu décide d’entrer chez Ringier (http://www.ringier.ch/), entreprise suisse qui opère dans divers secteurs dont le développement de sites et services sur Internet. Munyutu décide de les aider à lancer Rupu au Kenya. Il n’a fallu que 2 mois après la première rencontre pour que Munyutu ouvre la plateforme d’achats groupés kenyane. Munyutu me raconte qu’à l’origine ce n’est pas la version kenyane de Groupon qui était en préparation mais un autre type de plateforme internet. Mais le Groupon américain attire l’attention du jeune entrepreneur. Les retours sur investissement sont énormes et le marché Kenyan lui semble prêt. Pourquoi ne pas pousser le projet dans une nouvelle direction ? C’est en 2010 que l’idée émerge et elle est immédiatement mise en œuvre. En effet, le modèle de Groupon demande des investissements minimum : il faut monter le site certes mais il n’y a pas de stocks à acheter ou à gérer par exemple. De plus, les prestations de service sont délivrées par les commerçants partenaires. Le tout est d’adapter l’offre au marché kenyan. En 5 semaines Rupu est lancé.

Je reviens sur ce point clef « adapter l’offre au marché kenyan », qu’est-ce que cela signifie exactement ?
1. Pour Ben et Munyutu, le point le plus important est le suivant: arriver à gagner la confiance des futurs clients. En effet, le e-commerce est un marché complètement neuf au Kenya. Les gens sont très réticents à laisser leurs coordonnées bancaires sur un site internet. Il faut véritablement « éduquer » le potentiel client à faire confiance au modèle que Rupu propose. Mais le marché évolue vite et en très peu de temps l’équipe de Rupu commence à voir la différence. Le client commence à apprivoiser l’outil. 2011 voit le nombre de deals augmenter et confirmer la pertinence du modèle.
2. Arriver à évoluer sur un marché beaucoup plus restreint qu’aux Etats Unis et en Europe où le taux de pénétration d’internet n’a aucune commune mesure avec celui, bien moindre, du Kenya (environ 10%).
3. En plus « d’éduquer » le consommateur, il s’agit également de faire bouger les lignes du côté des opérateurs de paiement en ligne. Le marché est tellement nouveau que les entreprises développant ce type de produit sont tout aussi nouvelles. Il s’agit pourtant pour Rupu d’assurer une qualité de service irréprochable. Ils ont donc du avancer main dans la main avec d’autres acteurs du secteur pour parvenir à une offre solide. Pour information suivez ce lien pour découvrir la liste de leurs partenaires et comprendre comment les clients paient sur le site de Rupu: https://www.rupu.co.ke/page/how_to_buy.

Une première question se pose : quel est le profile type du client de Rupu? Ben et Munyutu avaient pour cible, au départ, les personnes âgées de 18 à 40 ans, hommes et femmes. Depuis plus d’un an que Rupu est en ligne, il a plutôt attiré la tranche 24-40ans (80% de leur clientèle), et il s’agit à 56% de femmes. Ils viennent plutôt de la « upper class », ils ont majoritairement accompli des études supérieures et vivent principalement à Nairobi et à Mombasa. A noter qu’effectivement, les deals sont plutôt focalisés sur ces deux villes. Il est encore trop tôt pour proposer des affaires ailleurs (accès internet moindre, clientèle cible moins importante, etc).

Deuxième acteurs clés : les commerçants qui participent à la formule. Qui sont-ils ? Au début, Ben et Munyutu ont tout simplement frappé à la porte des entreprises qui semblaient correspondre à l’offre qu’ils voulaient proposer. Ils ont consulté leurs amis, leurs familles, leurs réseaux pour savoir ce que de potentiels clients pouvaient rechercher. Puis ils ont répété ce qui a marché et corrigé les erreurs commises. Il n’est toutefois pas facile de convaincre un commerçant de travailler avec Rupu, selon Ben et Munyutu. C’est un marché complètement nouveau, il est très difficile de convaincre les gens qu’un tel modèle puisse marcher et, même, leur être bénéfique. En effet, il s’agit de proposer des deals deux fois moins chers au client et de laisser 50% de la marge restante à Rupu… Ce modèle est exactement le même que celui du Groupon américain. Mais en prenant le temps de prouver par des chiffres que le modèle fonctionne et de convaincre de sa pertinence en tant qu’outil marketing pour les commerçants, ils ont progressivement réussi à entrer en partenariat avec de plus en plus d’entreprises. Et maintenant que la sauce a pris, ce sont les commerçants qui viennent frapper à leur porte …

Mais est-ce que ces commerçants partenaires sont capables de gérer le flux de nouveaux clients ? En effet, tous les deals fonctionnent sur l’effet volume : « je vous fais profiter d’un massage à 1000 Kenyan Shillings (9€) à condition que cette offre attire 15, 20, 30 clients ». Du coup, la question est de savoir si ce salon de massage sera capable d’assumer un nombre de clients soudainement supérieur à la demande habituelle. La question n’est pas anodine car si tel n’était pas le cas la publicité qu’offre Rupu au commerçant pourrait vite jouer en sa défaveur si ce dernier n’était pas capable d’assurer une bonne qualité de services. Il est donc important, et pour Rupu et pour son partenaire, de trouver le moyen d’éviter ce genre de problème. Ben et Munyutu m’expliquent alors que, lors de la mise en place d’un partenariat avec un commerçant, Rupu joue un vrai rôle de conseiller. Ils aident le commerçant à structurer au mieux son deal en fonction de ses capacités. Pourquoi ne pas imposer un nombre maximum de massages que vous voulez mettre à disposition du public (par exemple 10 plutôt qu’une offre indéfinie et illimitée qui pourrait voir ce chiffre largement augmenter) ? Pourquoi ne pas étaler dans le temps la période de validité du « coupon massage » vendu par Rupu ? 10 deals étalés sur 3 mois sont plus faciles à gérer que 10 deals à assurer sur 1 semaine. De plus, le client doit systématiquement appeler pour réserver ou prévenir les commerçants suffisamment à l’avance pour que ces derniers puissent s’organiser. Ces quelques règles permettent donc d’assurer aux commerçants les services que Rupu vend sur son site.

Ben Maina, PDG de Rupu

Mais à part Ben et Munyuty, qui se cachent derrière Rupu ? L’équipe est encore petite : 10 personnes travaillent à temps plein (la majorité avec un background dans le secteur des nouvelles technologies ainsi que du staff administratif (RH et financier). 7 autres personnes travaillent et sur Rupu et sur d’autres projets financés par Ringier. Ben et Munyutu insistent pourtant sur une chose : le marché est tellement nouveau qu’il n’existe pas de personne ayant un profil professionnel ou académique qui corresponde exactement au business développé par Rupu. Il s’agit davantage de trouver des personnes motivées par le projet qui ont une personnalité en adéquation avec la startup et ceux qui y travaillent déjà. Ben et Munyutu investissent essentiellement dans des personnalités et leur potentiel. L’ambiance de travail est détendue, le dialogue ouvert, les blagues fusent mais, attention, on prend son travail au sérieux et les résultats doivent être là. Ben et Munyutu tiennent à ce que chacun puisse prendre des initiatives et ne reste pas cantonner à des travaux répétitifs sans prise de responsabilités comme dans la plupart des grosses entreprises kenyanes. L’âge moyen au bureau est de 25-26 ans. Les équipes sont donc très jeunes ! C’est le dynamisme et la réactivité qui comptent : Munyutu a une idée pour faire évoluer la plateforme, il en parle à Ben qui la relaie aux équipes et un débat ouvert s’en suit. Si l’impression générale est bonne, si les outils sont là, l’idée est mise en place aussitôt. Munyutu insiste sur le fait qu’il a envie de venir tous les jours au travail et d’apprendre de nouvelles choses, chose possible dans l’environnement particulièrement stimulant qu’ils ont réussi à créer.

Au fait, vers quoi se dirige la belle énergie des équipes de Rupu ? Ben et Munyutu font un premier constat : nous étions 4ème sur le marché quand Rupu a été créé, nous sommes devenus 1er en 6 mois. Et après de nombreuses nuits passées au bureau, de poids perdu puis gagné, quelle satisfaction de rencontrer des gens qui vous apprennent par hasard qu’ils ont acheté un deal sur Rupu ! La prochaine étape c’est d’accompagner ce business vers un marché grand public avec une base clientèle beaucoup plus importante. Le but est de faire connaître à un maximum de personnes Rupu et de les amener à acheter au moins une fois sur le site. En réalité Ben et Munyutu aimeraient dans un premier temps qu’un maximum de personnes achète en ligne, pas nécessairement sur Rupu. Le tout est d’attirer la population kenyane vers un marché nouveau. Ben et Munyutu comptent travailler 1 ou 2 ans de manière intensive sur le marché kenyan avant de réfléchir à une expansion régionale. Il faut néanmoins tenir compte du fait que le taux de pénétration d’internet dans les pays d’Afrique de l’est n’est pas toujours très élevé et qu’on ne peut pas s’aventurer sur un marché trop jeune sous peine de ne pas décoller. Il faudra faire les bons choix stratégiques…

Et c’est tout ce qu’on leurs souhaite !  Pour les habitants de Nairobi et pour les curieux voici leur site : www.rupu.co.ke

Léa Guillaumot