À quoi sert l’Union Africaine ?

L’Union Africaine (UA) est une organisation continentale à l’échelle de l’Afrique qui regroupe aujourd’hui 53 États. Ses objectifs principaux sont de permettre l’intégration politique et socio-économique du continent, de garantir la paix, la sécurité et la démocratie et d’être la voix de l’Afrique à travers le monde. Cependant, les intérêts des différents pays africains semblent aujourd’hui encore très divergents : ainsi, l’Union Africaine a-t-elle permis l’intégration continentale en dépit de la diversité de la situation africaine ?
 
Il apparaît dans un premier temps que l’Union Africaine se fixe clairement l’objectif de l’intégration continentale mais le contexte africain rend cette tâche complexe.La création de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) en mai 1963 à Addis-Abeba est portée par l’idéal panafricain de l’unité continentale. À sa naissance, l’OUA comptait 32 pays membres. Tous les pays africains (sauf le Maroc) sont aujourd’hui membres de l’Union Africaine (UA), l’organisation qui succéda à l’OUA lors du sommet de Durban (Afrique du Sud) en 2002. Trois pays sont aujourd’hui suspendus (Côte d’Ivoire, Érythrée et Madagascar) conformément à l’article 4 de la Charte de l’UA qui interdit les coups d’État au sein des pays membres.
L’OUA puis l’UA ont toutes deux poursuivi la volonté de l’unité politique à l’échelle continentale tout en affirmant la nécessité de la coopération au sein des différentes régions du continent.
 
Les premiers pas de l’OUA dans la réalisation de sa première vocation qui était de libérer le contient se sont avérés prometteurs. L’OUA a en effet accompagné la fin de la décolonisation de l’Afrique, prenant effet avec les indépendances des colonies portugaises en 1974-1975 (Angola, Mozambique, Guinée-Bissau). L’OUA a aussi combattu le régime de l’apartheid en Afrique du Sud, un pays qui était d’ailleurs exclu de cette organisation pour cause de racisme.
À la naissance de l’UA en 2002, le bilan de l’OUA était mitigé : il apparaissait clairement que les réalisations de cette organisation n’étaient pas à la hauteur des ambitions affichées mais son mérite aura été de permettre une prise de conscience des faiblesses du continent et de tracer les voies pour les améliorer.
 
Néanmoins, l’équilibre entre l’unité continentale et la coopération consolidée à l’échelle régionale est très complexe à instaurer.
 
En effet, l’Afrique se compose de plus de 50 États ; parmi eux, une vingtaine compte moins de 10 millions d’habitants, et près d’une dizaine moins d’un million. D’un point de vue tout à fait pragmatique, dans un contient où les États ont récemment accédé à leur indépendance, il paraît très compliqué que ces derniers soient prêts à consentir des abandons de souveraineté au profit de l’intégration continentale.
Par ailleurs, le paradoxe de l’Afrique est qu’il s’agit du continent qui compte le plus d’organisations régionales, sous-régionales, commerciales et sectorielles alors que dans le même temps l’intégration continentale en est encore à son stade embryonnaire.
 
Le modèle qui semble davantage fonctionner en Afrique est celui des organisations régionales qui poursuivent un but précis et qui regroupent un nombre réduit d’acteurs. L’Autorité du Bassin du Niger ou encore l’Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal ont par exemple permis d’éviter les conflits autour du partage de l’eau.
 
Aussi, en dépit des efforts pour tirer les leçons de ses échecs passés, l’UA ne semble pas aujourd’hui incarner l’Organisation de l’intégration continentale africaine.
 
L’exemple de l’Afrique du Nord est à ce titre frappant. Non seulement l’UA était totalement absente du débat et des décisions prises lors des révolutions tunisiennes et égyptiennes mais lors de la conclusion des accords bilatéraux entre l’Union Européenne et les pays du Maghreb, ces derniers ne semblaient guère prendre en considération l’UA.
De la même manière, l’UA est aux yeux des États-Unis tout sauf un interlocuteur, ces derniers multipliant les traités bilatéraux avec les pays africains sans en référer à aucun moment à l’UA.
 
L’élection du guide Kadhafi à la présidence de l’UA en 2009 et son intronisation en tant que « roi des rois traditionnels d’Afrique » nuit encore plus à la crédibilité d’une organisation déjà fragile. À l’instar de toute autre organisation régionale qui compterait parmi ses États membres un pays moteur, rares sont les pays africains qui disposent aujourd’hui des moyens, tant économiques que militaires, pour assurer ce rôle.
Au fil du temps, l’OUA et l’UA, hormis les quelques missions de maintien de la paix effectuées dans les années, ont surtout fait office de club de rencontre régulière entre chefs d’États africains. L’UA a été impuissante face aux coups d’État au Niger et à Madagascar ou encore lors du conflit post-électoral en Côte d’Ivoire.
 
En conclusion, il apparaît que L’UA est aujourd’hui une organisation politique, disposant d’une bureaucratie continentale mais dont l’efficacité est réduite. Elle a certes échoué dans nombre de ses objectifs mais elle a tenté de s’engager activement dans la résolution des conflits, dans le maintien de la paix et la promotion de la démocratie.
Il semble aujourd'hui que l’avènement d’une Afrique stable et unie politiquement passera par le renforcement des ensembles régionaux plus cohérents et reconnus.
 
 
Youssef Halaoua

Pirates somaliens: le rapport Lang décrypte les enjeux

Organisation des Nations Unies, résolution du Conseil de Sécurité, intervention d’une coalition armée internationale, il est clair que ce vocabulaire n’est pas sans rappeler les évènements libyens. Il ne s’agira cependant pas ici des mercenaires du Colonel Kadhafi mais des pirates au large de la Somalie.

Jack Lang, conseiller spécial du Secrétaire Général de l’ONU pour les questions juridiques liées à la piraterie au large des côtes somaliennes a présenté son rapport en janvier dernier. Ce document s’articule autour de 25 propositions dans le but « d’identifier des mesures supplémentaires à prendre pour aider les États de la région et d’autres [Etats] à poursuivre et incarcérer les personnes impliquées dans les activités de piraterie, et d’étudier la disposition d’États de la région à accueillir éventuellement un des possibles nouveaux mécanismes judiciaires ».

Le coût des actes de piraterie le long des côtes somaliennes supporté par la communauté  internationale s’évalue entre 7 et 12 milliards de dollars. Par ailleurs, six éléments viennent aggraver ce constat : l’intensification de la violence, la professionnalisation des pirates, l’allongement de la durée de captivité, la sophistication du mode opératoire, l’extension de la zone des attaques ainsi que l’augmentation du montant des rançons versées par navires.

Ce rapport, très instructif, nous éclaire sur cette situation complexe et souligne une fois de plus l’importance stratégique de ce couloir maritime.
 
 
                                                                                                   Youssef  Halaoua

Libye : chronique d’une révolte annoncée

« Pourquoi voulez-vous qu’on me critique ? Moi je ne dirige rien, je n’ai pas le pouvoir, pas de compétences politiques ou administratives. C’est le peuple qui gère ses affaires, c’est lui qui détermine les lois et qui prend les décisions ». Voici les déclarations du colonel Kadhafi le 12 décembre 2007, à Paris, lors d’un entretien accordé à David Pujadas.
 
Pour tout citoyen d’une démocratie moderne, la mise en scène politique et le vocabulaire employé en Libye semble tout droit sorti de l’univers de Kafka. Le colonel Kadhafi n’est en effet ni Président, ni chef de gouvernement mais Frère Guide de la Révolution et Roi des Rois d’Afrique. En effet, tel que le prévoit le fonctionnement des institutions libyennes, le colonel Kadhafi n’est qu’un simple conseiller. Le peuple libyen, libre et seul maître du pouvoir, se réunit en congrès populaire pour discuter et décider des propositions faîtes par le Guide. Comme chacun de nous peut aujourd’hui le constater, la réaction et la réponse du Guide au soulèvement populaire sont en totale adéquation avec les présupposés théoriques énoncés ci-dessus.
 
L’auteur de ces lignes a vécu en Libye pendant 6 mois, entre janvier et juin 2009, et l’avenir de ce pays paraissait déjà particulièrement incertain. Le régime mis en place par Kadhafi depuis plus de 40 ans n’était pas préparé à affronter ni les évolutions sur la scène intérieure, ni les défis sur le plan international. Déjà en 2009, le Guide semblait être arrivé à un point de non-retour pour quatre raisons : son régime était largement déconnecté des réalités locales et de la population, il régnait une atmosphère de fin de règne qui n’arrangeait rien à l’immobilisme d’un régime miné par la corruption, les institutions publiques et les circuits décisionnels semblaient totalement paralysés et enfin la société civile était caractérisée par un grave manque de personnalités publiques et d’intellectuels à même de penser et de mettre en œuvre une quelconque réforme.
 
Le Guide et son régime sont en effet totalement déconnectés des réalités locales et de la population, en particulier de la jeunesse. Une des particularités de la Libye est son taux de fécondité très élevé, de l’ordre de 3,15 enfants par femme. La population est donc très jeune, avec une majorité d’habitants âgés de moins de 30 ans. Comme nous avons pu le constater au début du soulèvement populaire, ce sont principalement des jeunes non armés qui constituaient le corps des troupes des opposants. C’est le symptôme d’une jeunesse qui n’a rien à perdre, livrée à elle-même, avec une formation scolaire de très faible niveau et pour qui l’avenir n’offre aucune perspective (ni en terme de formation, ni en terme d’emplois). Une jeunesse qui s’ennuie et dont la caractéristique principale est d’être bien moins docile que ses aînés. La question des rapports entre hommes et femmes n’améliore guère le paysage. Comment en effet quitter le domicile familial pour se marier (les relations amoureuses ne sont possibles que dans le cadre du mariage) sans situation professionnelle et donc sans logement ?
 
C’est ici qu’apparaît le premier grand décalage entre le Guide et la réalité. Ce dernier continue en effet de mettre en avant l’identité bédouine et tribale de son pays alors que sa jeunesse (qui constitue on le rappelle la majorité de la population) ne rêve et n’aspire qu’aux éléments les plus clinquants de la société occidentale, sans toutefois y avoir accès (téléphone portable avec écran tactile, télévision écran plat, grosse voiture, etc.). C’est dans un tel contexte que la consommation de drogue dure (facilement disponible et à bas prix), de pornographie (télévision par satellite et internet) ainsi que la prostitution ont explosé.
 
Par ailleurs, grâce à la récente ouverture du pays sur l’étranger et l’accès aux grands médias arabes, la population libyenne s’est rendue compte du grand décalage en terme de développement entre son pays et les monarchies pétrolières du Golfe (en particulier dans le secteur de la santé et de l’éducation). Il apparaît alors clairement que les réelles volontés du Guide ne sont absolument pas d’emprunter la voie du développement ni de permettre à sa population d’élever son niveau de vie.
 
Les évènements actuels mettent aussi au grand jour le rôle joué par la corruption dans le système mis en place par le Guide Kadhafi. La corruption constituait autant le ciment que la glu du régime libyen. Kadhafi assurait en effet la stabilité de son régime et son maintien au pouvoir par un subtil mélange de tribalisme et de corruption en s’achetant la loyauté des hommes forts et des seigneurs locaux. À la manière d’un chef d’orchestre qui de la pointe de sa baguette garantirait l’existence d’une mélodie harmonieuse, le Guide, du boutde son carnet de chèques, s’était fait l’arbitre des tensions tribales afin d’éviter la constitution de ligues hostiles qui auraient pu entrer en dissonance avec la voix du régime. Dans cette même logique de son maintien au pouvoir par la paix sociale, la population libyenne était conçue comme un client dont la fidélité devait s’acheter à bas coût. Les salaires étaient maintenus à un niveau assez bas mais toujours suffisant pour pouvoir s’approvisionner en produits subventionnés.
 
Le tissu socio-économique était d’ailleurs au stade embryonnaire. Même dans la région de Tripoli, seule zone sous influence directe du régime, la structure économique était très fragile. Elle était principalement constituée de bédouins, dont la sédentarisation remonte à l’accession au pouvoir du Guide en 1969, bien souvent rustres et ignares, occupés dans des emplois de faible niveau, dans une administration publique congestionnée, inefficace et corrompue. Le secteur privé était quant à lui assez peu développé, maintenu à son expression la plus primaire, que ce soit dans les services ou dans l’industrie.
 
Quant aux revenus issus de l’exploitation des ressources naturelles, une infime partie d’entre eux est investie en Libye. Il n’y a aucune volonté du Guide de créer une dynamique de développement. Bien au contraire, ces avoirs financiers sont gérés de façon tout à fait opaque avec l’aide de relais locaux en Europe centrale ou orientale et en Asie dont les pratiques sont tout autant douteuses. De cette manière, quiconque viendrait détrôner le Guide ne pourrait faire valoir les droits du pays que sur une infime partie de cette richesse. De plus, la politique panafricaine menée par Kadhafi est perçue par le peuple libyen comme une vaste entreprise de détournement de cet argent public. Une politique qui a pour conséquence d’accentuer le racisme traditionnel déjà présent parmi la population libyenne envers les Noirs.
 
En conclusion, le soulèvement populaire actuel est à mettre en lien avec ce grand décalage entre le régime de Kadhafi et sa population. Comme on peut le voir aujourd’hui à travers ses déclarations et sa réponse aux évènements, le Guide ne reconnaît pas, voire pire ignore les évolutions au sein de son pays. Bien au contraire, il se cache derrière ses lunettes de soleil afin de ne pas être aveuglé par l’éblouissante et cruelle réalité des souffrances de son peuple. 
 
 
Youssef HALAOUA