La 4è édition du FIFDA, sous le signe de la motivation

– Que fais-tu cet été ?

– Cet été, je change le monde !

FIFDAlogo2000dpi-2Freedom Summer, le dernier film de Stanley Nelson, documentariste étasunien, spécialisé dans l’histoire contemporaine des africains américains a été présenté pour la première fois en dehors des USA, le 05 septembre, en ouverture de la 4 édition du Fifda. Dans cette nouvelle production, Stanley Nelson arpente son terrain favori : les Mouvements pour des Droits Civiques (le pluriel est de rigueur). Dans le prolongement de « freedom riders » (2011), et s’appuyant sur l’élan commémoratif, le cinéaste revient cinquante ans en arrière, pour tenter de saisir dans l’ensemble, toutes les sensibilités, toutes les parties qui ont pris part, au cours de l’été 1964, à une formidable aventure humaine. Si « freedom riders » racontait les tribulations des volontaires durant la traversée héroïque, « freedom summer » place la focale sur les activités effectives de ces centaines de jeunes qui ont littéralement pris d’assaut le Mississipi, levant ainsi le voile sur un des plus abjectes système de ségrégation et de terrorisme d’Etat. Les deux films reposent sur les témoignages de participants, d’historiens, de politiques et aussi sur une impressionnante somme d’archives photographiques et audio-visuelles.

Une jeunesse « folle » en mission…

« Nous étions fous, nous ne savions pas ce que nous faisions » reconnaît une participante à l’opération. Mais cette folie a été libératrice, il fallait vivre pleinement l’utopie pour affronter la société blanche du Mississipi qui tenait sur deux piliers : les lois de Jim Crow et le Klux Klux Klan. Et pourtant, sur le papier, la mission était simple : faire appliquer la loi et notamment le XV è amendement qui accordait le droit de vote et d’être éligible à tous les citoyens.   « Ce que nous voulions c’est simplement voter » déclare une actuelle élue africaine américaine. Mais dans ce « deep South », l’inscription sur les listes électorales pour les populations noires est un éprouvant parcours du combattant. Le candidat à l’enregistrement est soumis à un examen long et très exigent ; en cas de succès, il s’expose à de violentes représailles sociales : perte d’emploi, expulsion, emprisonnement, etc.

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C’est donc dans ce climat d’oppression absolue qu’affluent de toute l’Amérique ces jeunes chevaliers de la démocratie, membres de la SNCC (Student Nonviolent Coordinating Committee). Ils allaient intrépides, au-devant des métayers, des ouvriers des champs de coton, des domestiques les exhortant à aller s’inscrire. Aux phases de sensibilisations se mêlent celles d’éducation, de découverte mutuelle, de vie en harmonie. Enfin noirs et blancs peuvent partager la même espérance dans une Amérique nouvelle. Cette quête ultime triomphe de la peur, de l’abattement, des tentatives d’intimidations des autorités du Mississippi. Elle s’incarne mieux dans la personne de Fannie Lou Hamer.

L’héroïne qui crève l’écran…

Une autre mission du « Freedom summer » était de jeter la lumière sur la barbarie politique dans le Mississipi. Il visait à sortir de l’invisibilité les souffrances quotidiennes des milliers de noirs en donnant la parole à des êtres uniques. Fannie Lou Hamer est certainement la plus emblématique d’entre eux. Doté d’un courage et d’un franc-parler éclatant, cette ancienne employée d’une plantation effrayait plus que n’importe quel autre militant le pouvoir ségrégationniste. Le film de Stanley Nelson a le mérite de réhabiliter pour la postérité le combat personnel de cette femme d’exception. Son émouvant témoignage au « credentials committee » a du être interrompu par le président en personne. Lyndon Johnson, qui ne voulait pas que l’Amérique entendre la militante, a dû « improviser » une conférence de presse à la Maison blanche pour une insignifiante annonce. Le flegmatique Robert Moses, président de la SNCC et cerveau du « freedom summer », est au commentaire cinquante ans plus tard :

Le président Lyndon Johnson ne s’émeut pas du témoignage de Martin Luther King ! Il a peur du témoignage de Fannie Hamer. Il décida aussitôt que le pays ne devait l’entendre en direct […] Elle avait le Mississippi dans ses os. Martin Luther King ou les militants de la SNCC ne pouvaient accomplir ce que Fannie Lou Hamer a fait. Ils ne pouvaient pas être métayers et exprimer ce que cela signifiait vraiment. C’est ce que Fannie Lou Hamer a fait.

En route vers une trilogie…

Le prochain projet du réalisateur américain, présent à cette séance, sera consacré au Black Panther Party (frémissements dans la salle à l’annonce du sujet), suite logique des deux premiers volets. La continuité sur la forme (le même fond sonore variant du grave au gracile, des animations ralenties sur les photos),  comme sur le contenu (renforcé par la présence des mêmes personnages) fait de ces films de véritables documents mémoriels et assurent la transmission d’une histoire pas forcément connue. Stanley Nelson fait une œuvre salutaire.

https://www.youtube.com/watch?v=DcvsWXrS2PI

Ramcy Kabuya

Vue panoramique sur le 4ème FIFDA, Paris

Pour sa rentrée, l'Afrique des idées vous propose de revenir sur quelques unes de ses réalisations de l’été.

5588755031_1d8cfef16e_bPartenaire de la 4ème   édition du Festival International de Film de la Diaspora Africaine, l'Afrique des idées a déployé un petit dispositif pour couvrir l’événement qui s’est tenue à Paris du 05 au 07 septembre dernier. Le temps d’un week-end plusieurs lieux ont accueilli des films que l’on ne voit pas forcément, des productions qui, sans ce genre d’organisation auront beaucoup de mal à rencontrer un public. Un week-end de voyage, de rencontre, de débat pour donner à voir d’autres univers et à entendre un autre discours.

Installé à Paris en 2009, prolongement d'une expérience qui se poursuit aux Etats-Unis, le Fifda est un espace de visibilité pour des productions cinématographiques en lien avec l’Afrique et ses diasporas. C’est un domaine d’intervention très large dans lequel se croisent des sensibilités différentes, plusieurs esthétiques et une diversité de public. Sous la direction de Diarah N’daw-Spech et Reinaldo Barroso-Spech, au fil des années le festival prend ses galons. L’évolution se lit à la fois par les nombres des films et des lieux proposés. Chaque année, la programmation s’élargit autant qu’elle gagne un nouveau bastion, un nouveau territoire. Au cinéma  la Clef (75005) qui était le seul à « ouvrir » ses portes au FIFDA en 2012, se sont progressivement ajoutées les salles Etoiles Lilas, Le Brady, Le Comptoir général, et Le Lucernaire. Ce développement dans l’espace permet de créer plusieurs spots qui mettent en lumière la très riche activité cinématographique des Afriques. Croissance également pour le festival lui-même qui, selon la codirectrice Diarah N’daw-Spech, intéresse un public plus important, bénéficie d’une bonne couverture médiatique et arrive à fédérer plus de partenaires. Ainsi, le parcours de cette 4 è édition, traversant presque Paris, nous a mené dans 4 lieux à la découverte d’un cinéma vivant, ambitieux et très contemporain.

La soirée de lancement a eu lieu au Cinéma Etoile le vendredi 05 septembre. En ouverture, la première européenne de Freedom summer, le dernier film de Stanley Nelson, un réalisateur connu du Fifda. En 2012, sa précédente réalisation et pendante de l’actuelle, était déjà dans la programmation du Festival. Cette soirée co-organisée en partenariat avec l’Observatoire de la diversité et l’Ambassade des Etats-Unis en France a connu une participation active de l’Afrique des idées, dans le débat après la projection. Stanley Nelson (réalisateur) et Lareus Gangoueus (Afrique des idées) ont conversé avec Fulvio Caccia (modérateur/ Observatoire de la diversité) sur l’historique du film, son contenu et surtout son importance pour la jeunesse actuelle, pour les minorités en France et ailleurs. Dans ces prolongements, Awa Sacko publiera très prochainement un entretien avec Stanley Nelson dont le film (une présentation dans le dossier) a enthousiasmé le public venu nombreux.

Ce départ réussi augurait de la bonne tenue d’un festival qui, en dépit de la diversité des films proposés, gardait une grande cohérenceHomeAgain. Le cycle migration-transmigration autour duquel gravitaient plusieurs films, pas forcément récents, était le noyau de la programmation. Le fait de faire se côtoyer des œuvres de différents âges est bien méritoire à plusieurs égards. Il permet de (re)découvrir des pièces du patrimoine cinématographique d’Afrique et  de sa diaspora rappelle la trajectoire du septième art dans ces contrées tout en soulignant la permanence de certains questionnements. Tout ce qui a trait au départ, à l’exil, à la vie ailleurs est alors appréhendé dans un dynamisme entre le présent et le passé. Dynamique est aussi le changement de prisme : les allers retours entre la fiction et le documentaire sont un double éclairage qui permettent de saisir la complexité des phénomènes. Dans ce sens, Home again de Sudz Sutherland et Expulsés de Rachèle Magloire et Chantal Regnault sont deux faces de la même pièce. Ces films qui passaient pour la première fois en France, traitent autant de la difficulté du retour que de la citoyenneté instable de la diaspora africaine dans plusieurs pays occidentaux. L’un comme l’autre met l’accent sur l’absurdité des systèmes judicaires à l’égard des ces « migrants de l’intérieur » qui, pour la plus part, ont toujours vécu dans les pays qui les expulse, après qu’ils aient purgé une peine de prison pour un délit mineur.

Mais le Fifda c’est surtout l’Afrique avec laquelle l’équipe entretient des liens de travail à travers les festivals : elle se rend régulièrement au Fespaco et Diarah N’daw Spech a participé en tant que membre du jury au dernier festival de Durban. C’est aussi l’Afrique à l’écran dans toute sa diversité, dans sa contemporanéité. Et quoi de plus contemporain que les rues, celle de Douala ou celles encore plus tumultueuses de Kinshasa ? Trois films, trois regards (dynamisme et multiplicité de point de vue) nous ont fait vivre la pulsation kinoise à travers sa musique, ses contradictions. De la figure de Papa Wendo, l’immortel interprète de Marie-Louise, chanson récemment samplée par le jeune rappeur Alex Finkelstein, à Kinshasa la pieuvre du sculpteur Freddy Tsimba, nous avons ici aussi l’idée de transmission, la recherche de ce lien entre le passé, le présent et l’avenir.

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Le festival s’est achevé avec la projection du documentaire de Dom Pedro dans lequel  le cinéaste effectue une plongée dans les profondeurs du Tango et remonte à la surface l’africanité de cette musique.

Pour ceux qui auront raté l’un ou l’autre de ces films, le fifda assure travailler de concert avec les salles pour qu’ils soient reprogrammés tout en essayant de les rendre disponibles en DVD. En session rattrapage, il y a les ciné-clubs à Paris tout au long de l’année mais aussi l’équipe d’Afrique des idées. Claudia Soppo Ekambi, analysera pour nous le film W.A.K.A. de Françoise Ellong et Touhfat Mouhtare, en amatrice des (mé)tissages entreprendra une conversation avec Dom Pedro autour de son film, Les racines africaine du Tango.

Ramcy Kabuya

Kinshasa est une fiction

FILM.-KINSHASA-MBOKA-TE-CHEIKFITANEWS.NET_Kin’sasa Mboka te ! Cette phrase que tous les kinois ont fait leur, a été signée par le plus fin et le plus grand des sociologues que la ville ait porté, en la personne de Franco Lwambo Makiadi. Nul autre n’a su mieux que lui, traduire dans ses chansons l’ambiance cacophonique et tonitruante de Kin, la-belle. Dans Kinshasa Makambo, le Grand-Maître montrait déjà comment dans cette ville le faux était terriblement vrai ; l’éphémère avait ce caractère pérenne et persistant et devant lui, tout se faisait et se défaisait, porté par une inextinguible rumeur, qui monstrueusement, se nourrissait d’elle-même et vivait de sa mort.

Dans la pure tradition du président de l’OK Jazz, l’orchestre Wenge BCBG, par l’entremise de J.B. Mpiana renoue avec la description urbaine. Sur l’album T.H., le morceau intitulé Kinshasa raconte la désillusion d’un villageois arrivé dans la Capitale, par défi, pour dit-il, « voir Kinshasa et puis mourir. » Mais sa déception n’a d’égal que ses espérances, rien ne correspond aux descriptions, rien ne vient flatter ses fantasmes. Il a pitié de lui-même car c’est un monde tout en contradiction qui s’ouvre à lui ; les évènements se chevauchent et se télescopent. Pendant que la police arrête des voleurs, d’autres larcins se commettent sur le même périmètre ; alors que les uns sont affligés par un deuil, les autres font entendre les fastes des réjouissances festives ; les marchés jouxtent les poubelles… Nous sommes bien dans la ville de tous les extrêmes qui ne peut mieux se désigner que la formule, « la ville qui n’en était pas une », une traduction approximative de Kinshasa Mboka te. Mais peut-être faut-il préférer cette autre traduction tout aussi hasardeuse, « Kinshasa est une fiction. » Le caractère à la fois réel et irréel de la fiction, cette sorte de présence absence se rapproche un peu plus de la phrase en lingala qui sert de titre au documentaire sorti en 2013 cosigné par Douglas Ntimasiemi et Raffi Aghekian.

Kinshasa Mboka te est une plongée profonde dans la ville. Le film, à l’instar du titre, ne nous épargne aucun paradoxe et semble même en faire une force. Mais lorsqu’on aborde cette cité monstrueuse, quelque soit le média, on se demande comment faire pour raconter une ville aussi multiple ; comment procéder pour faire tenir en 52 minutes, la métropole de plus de douze millions d’habitants. Douglas et Raffi choisissent avec une efficacité certaine, d’effectuer de multiples entrées. La première a lieu grâce à la chaine Molière TV, un média spécialisé dans l’information de proximité et qui traque, avec la complicité des kinois, les faits divers dans toutes les communes de la ville. Deuxièmement, les deux réalisateurs suivent le sculpteur Freddy Tsimba dans ses pérégrinations urbaines. L’artiste court de décharge en décharge à la recherche de «  sa matière première » tout en discourant sur les opportunités et les potentialités insoupçonnées de la ville. Les paroles d’artistes traversent tout le film : celle du plasticien, certes, mais également celle du slameur, Fier-d’être, ou celle du dessinateur Mfum’Eto, adepte du mysticisme et se présentant, le plus béatement du monde, comme un intermédiaire entre le monde visible et le « monde parallèle. ». Il faut ajouter aussi des membres de la société civile, les travailleurs sociaux intervenant auprès des enfants en rupture familiale ; les autorités communales, les représentants de la police et quelques personnages atypiques comme le chef coutumier gardien du cimetière ou le prophète Atoli complètent le tableau. Ce dernier mène une croisade contre les enseignements des missionnaires blancs tout en se confectionnant un flamboyant pédigrée. Il se présente en effet comme successeur, voir descendant de Kimpa Vita et Simon Kimbangu. Ses fidèles chantent, dans une réelle ferveur, la délivrance et la révélation que leur apporte le prophète. Ce sont tous ces foyers à partir desquels on projette les lumières sur Kinshasa.

Le constat premier : nous sommes bien loin des impressions du jeune Victor Augagneur Houang. Kinshasa n’a plus rien de la ville fantôme que regardait, enfant, le personnage d’Henri Lopès. Dans Le lys et le flamboyant, le narrateur se souvient que :

« sur la rive d’en face, on discernait les grues et les hautes tours de Léopoldville. La capitale du Congo belge ressemblait à une cité déserte, un monde de béton sans âme qui vive, une vaste nécropole assoupie dans le silence et l’immobilité. » (p. 138).

Le désert imposé par l’administration coloniale a fait place une immense foule qui se rue dans les artères de Kin dès les premières lueurs du jour. Les kinois aiment s’amasser; ils s’agglutinent autour de la moindre curiosité, commentent avec assurance, contestent avec fracas, se laissent persuader, se remettent à douter, invoquent le ciel, crient à la magie, conspuent et admirent, le tout en même temps. Les images de la ville montrent toutes un grouillement permanent, un flux ininterrompu de kinois au corps à corps avec leur ville.

Mais peu à peu les protagonistes se rejoignent tous autour d’une préoccupation commune. Une menace insidieuse pèse sur la ville. Elle tourmente aussi bien l’artiste que l’enfant abandonné ; les autorités civiles et la police nationale en font leur priorité et toute la rédaction de Molière Tv se mobilise pour contrecarrer les activités des Kuluna. C’est ainsi que l’on appelle à Kinshasa les bandes de délinquants qui sévissent dans les quartiers populaires. Le témoignage d’un ancien chef de gang est particulièrement édifiant en ce sens qu’il donne à voir l’inquiétante évolution du phénomène. Ce qui n’était qu’une guéguerre de quartier dans laquelle les rivaux s’intimidaient plus que ne s’affrontaient véritablement, s’est transformé en réseau de criminalité. Les nouveaux Kuluna usent de leur machette pour causer des blessures susceptibles d’entrainer la mort. Mais, comme d’habitude, en pareilles circonstances, ceux qui paient le plus fort tribut dans cette banalisation de la violence sont les plus fragiles, les enfants des rues qui portent en eux le traumatisme d’un coup de machette. Selon les éducateurs du centre Lokombe, ces enfants ont tout perdu et il n’est pas difficile de s’en apercevoir lorsqu’on rencontre les figures de shégué qui ont même oublié leur propre nom. Parmi ceux qui fréquent l’ONG, le jeune homme baptisé chinois koko, base électrique : la première partie du nom se traduirait par « vieux chinois », ce qui, pour un gamin d’à peine une dizaine d’année est d’un pur cynisme. Lui comme les autres enfants tentent de résister à la délinquance en se débarrassant des images de violence. Il leur faut un nouvel imaginaire, une nouvelle façon d’appréhender ce réel oppressif. Et c’est à niveau que le travail de l’artiste intervient.

Par sa sculpture, Freddy Tsimba essaie de susciter des interrogations au sein de la population tout en détournant l’arme des kuluna de son image négative et menaçante. Déplaçant sont atelier dans la rue, travaillant de jour comme de nuit, sous le regard intrigué des  habitants qui participent par leur présence, à l’élaboration de l’œuvre. Il se crée, dans la spontanéité et la familiarité kinoises, une dynamique de parole autour du geste artistique qui, se faisant, anéantit la violence des objets incriminés. Les machettes soudées se transforment en toiles, en nattes, en brique ; la froide agression se métamorphose en chaleur d’un foyer ; à l’insécurité d’avant succède le confort ; au trouble, l’apaisement. Le tour de force de l’artiste est d’instaurer une nouvelle négociation là où les mots d’un bourgmestre ne cherchaient qu’à s’attirer les faveurs de sa hiérarchie. Alors que les victimes parlent de téléphone volé, de petite délinquance, voilà que le zélé fonctionnaire fait état de grand complot contre le pouvoir et exhibe en trophées quelques adolescents sous l’emprise de la drogue et se félicite de les envoyer très vite en prison pendant que la justice populaire s’en remet aux vieilles recettes. Interrogée par les reporter de Molière, une jeune femme voit dans la prison un processus trop long et pas assez radical, elle demande donc l’émasculation pure et simple.

Mais pendant que Freddy soude dans la nuit, engageant une franche discussion avec les curieux, quelques notes au piano suivies de quelques accords de violon, transperçant les nuages, la voix d’une speakerine commente les images de la vingt cinquième commune de Kinshasa. Une maquette futuriste des plus kitchs lance la promesse d’un quartier haut de gamme sur une ile de la ville. Un premier pavillon à l’esthétique douteux sert de d’échantillon à l’ensemble à la grande satisfaction de l’ingénieur. Pendant que la première locataire s’échine sur son archet, on peut encore voir des pirogues taillées dans les troncs d’arbres glisser sur le fleuve. Et comme dans un rêve, on s’échappe par les nuages pour revenir dans les rues de Kinshasa, porté par la musique du Tout Puissant Ok Jazz. Par ce montage, plus que jamais la « cité du fleuve » apparaît comme une parenthèse, un intermède qui ne fera pratiquement jamais partie de Kinshasa, trop plate, trop molle, trop régulière, elle ne pourra qu’être ce que l’anthropologue Marc Augé appelle un « non-lieu », un espace sans identité. Kinshasa est faite d’anecdotes toujours à la limite du vraisemblable comme le poisson qui se transforme en femme au bout de l’hameçon d’un pêcheur, le faux magicien qui s’excuse auprès de l’État et qui reconnaît sa perdition mais aussi, la déconstruction de l’iconographique occidentale selon le Prophète Atoli. Son prêche s’appuie sur un « calendrier américain » racontant la victoire d’un christ blanc sur un diable noir dans une injustice totale : « les poings du premier pèsent deux mille kilos alors que ceux du second n’affichent sur la balance que deux maigres kilos. » Mais lui étant l’envoyé de Dieu, vient révéler toute la vérité sur les mensonges du christianisme.

Même sur le plan de la spiritualité Kinshasa reste en accord avec elle-même. Elle veut tout et son contraire. Mfum’Eto déclare vivre avec les esprits du monde parallèle et le chef coutumier, gardien du cimetière sait reconnaître le moment où les ancêtres sont en éveil. Mais c’est sans doute Freddy Tsimba qui résume le mieux, la dynamique contradictoire de Kinshasa : « si tu comprends trois pourcent de Kinshasa, ca te suffit pour vivre en paix. Ce n’est pas la peine d’essayer de le comprendre à cinquante pourcent car tu ne parviendras même pas aux cinq premiers. Même si tu te targues d’être kinois, le tout c’est de savoir à quelle échelle tu la maitrises. Seuls les trois pourcents te permettront de t’en sortir. Parce que Chaque jour, il y a une nouvelle ville qui nait. D’ici à demain, ce sera une nouvelle Kinshasa qu’il va falloir apprendre à connaître. »

Kinshasa Mboka té est incontestablement un des meilleurs films qui ait été fait sur l’esprit kinois.

Ramcy Kabuya

Kinshasa Mboka té

2013 – RD Congo – Belgique, Documentaire, 52 minutes
director: Douglas Ntimasiemi
scénario : Douglas Ntimasiemi – Raffi Aghekia
editing: Olivier Jourdain