En août 2017, le Président français, Emmanuel Macron, a créé un Conseil Présidentiel pour l’Afrique (CPA) auquel il a attribué la mission de se rapprocher des diasporas africaines via la société civile et de donner un nouveau visage aux relations entre la France et l’Afrique. Véritable outil de soft power, le CPA a achevé le 5 février une tournée en France dédiée à l’Entreprenariat. Il y a dévoilé de nouvelles mesures d’accompagnement des entrepreneurs désirant investir en Afrique mais aussi les résultats d’un sondage inquiétant sur l’intégration de la diaspora africaine en France.
Dans cet entretien accordé à l’Afrique des Idées, le coordonnateur de ce Conseil, Wilfrid Lauriano Do Rego, revient sur ce malaise profond qui traverse la diaspora et brandit la carte de l’entreprenariat pour y remédier. Nommé en 2019, en succession de Jules Armand Aniambossou, ce franco-béninois de 61 ans est actuellement un des acteurs de la politique africaine d’Emmanuel Macron. Membre de l’influent Club du XXIème siècle – un think tank select qui vise à promouvoir la diversité dans la société française – Wilfrid Lauriano Do Rego est également Président du conseil de surveillance du cabinet d’audit KPMG France où il a acquis une longue expérience dans les secteurs de l’énergie et des infrastructures.
L’Afrique des Idées : Selon un sondage que vous avez commandé au cabinet Opinionway, 73% des membres de la diaspora africaine affirment que l’égalité des chances n’est pas respectée en France. Vous attendiez-vous à ce résultat ?
Wilfrid Lauriano Do Rego : En toute sincérité, non. Je savais que ce sentiment existait mais je ne pensais pas qu’il serait de cette ampleur. Le plus surprenant pour moi est que la diaspora africaine place l’inégalité des chances bien avant l’éducation et l’emploi qui sont, comme vous savez, des sujets majeurs pour la population française. La diaspora interrogée dans le cadre de cette étude voulait montrer qu’elle n’avait pas les mêmes chances de compétir que le reste des Français. Elle nous met face à un très grand malaise, mais elle nous montre aussi l’existence de leviers d’amélioration.
Lesquels ?
Au sein du CPA, nous sommes convaincus que le remède à ce malaise est l’entreprenariat. Les différents porteurs de projets que nous avons pu rencontrer durant cette tournée en France ont relevé trois obstacles qui les empêchaient de saisir leur chance et d’initier leurs propres projets : la formation, le mentoring et le financement. Nous leur avons proposé sept solutions très concrètes. Aider l’entrepreneuriat, c’est œuvrer pour l’égalité des chances.
Avant d’arriver aux solutions, comment comprendre que ce sentiment d’inégalité des chances en France soit aussi important chez la diaspora africaine alors que 54% de cette dernière se dit satisfaite de sa position sociale ?
Certes, les membres de la diaspora africaine s’inquiètent des inégalités dans notre société mais en même temps ils acceptent l’existence de leviers d’amélioration comme l’éducation. Je tiens à rappeler que 75% des sondés estiment que la relation entre la France et le continent africain est une chance et qu’ils sont prêts à se lancer dans des projets d’entreprenariat en lien avec le continent. Donc, quelque part, nous sommes face à une inquiétude mais aussi à des pistes de solutions.
Près de 54% des personnes interrogées dans le cadre de ce sondage disent ne pas appartenir à la diaspora africaine. Comment peut-on faire partie d’une diaspora et ne pas l’assumer ?
C’est toute l’ambiguité du terme « diaspora ». Ceux qui réussissent et qui sont d’origine étrangère ont peut-être le sentiment qu’on veut les ramener en arrière en leur parlant de leurs origines. Certains refusent cette notion d’appartenance. Le sujet que vous soulevez est très complexe. La définition de la diaspora reste, à mon sens, liée à l’histoire de chacun. Elle invoque l’acceptation ou non de ses propres origines, l’appartenance à la première, deuxième ou troisième génération, la tranche d’âge…Durant ce Tour de France de l’Entreprenariat, j’ai personnellement relevé trois types d’audiences : des entrepreneurs qui ne voulaient pas parler de diaspora parce qu’ils se pensaient uniquement français. D’autres qui étaient preneurs de toutes les pistes d’intégration et puis une troisième tranche qui ne voulait pas parler d’Afrique mais préférait trouver son chemin ici en France. Tout cela pour vous dire qu’il n’y a pas une seule diaspora, mais plusieurs.
Cette ambiguïté ne convoque-t-elle pas le débat crispé sur les identités qui a lieu actuellement en France ?
Tout à fait. Je pense que cette notion de diaspora est complétement liée à l’identité. Certains vous diront qu’ils sont français tout court. D’autres se voient français mais d’origine africaine.
Les trois quarts des sondés déclarent ne pas envoyer d’argent en Afrique alors que les transferts de la diaspora africaine vers leur continent – près de 10 milliards d’euros en 2019 – dépassent de loin les aides au développement. Comment expliquez-vous cette contradiction ?
Cela est surprenant en effet. Il me semblait que la solidarité de la diaspora africaine était beaucoup plus forte. Pendant cette période de la Covid-19, nous avons tous remarqué que nos concitoyens d’origine africaine s’étaient mobilisés pour aider leurs familles en Afrique. Ce qui me pousse à dire que ce chiffre a été peut-être focalisé sur les transferts d’argent directs et ne prend pas en compte les pistes indirectes d’envoi d’argent (ndlr : remise en espèce via des proches)
Vous disiez tout à l’heure que le Tour de France de l’Entreprenariat a débouché sur sept solutions concrètes. Comment comptez-vous les implémenter ?
En effet, durant notre tournée, nous avons pu percevoir combien l’entreprenariat est l’enseignement le plus précieux. Il existe un potentiel d’innovation encore inexploité chez nos jeunes et, pour le mettre en valeur, nous allons nous adjoindre le soutien de grands partenaires français telsBPI France, l’Agence Française de Développement, Business France et Expertise France.
Quant aux solutions que nous mettons en place, elles sont au nombre de sept :
-Solution 1 : Deuxième phase du Programme MEETAfrica pour les jeunes entrepreneurs.
– Solution 2 : « PASS Africa », un parcours unique dédié aux entrepreneurs plus matures.
– Solution 3 : Créer la communauté « PASS Africa / EuroQuity ».
– Solution 4 : Application web CPA pour l’entrepreneuriat des diasporas.
– Solution 5 : Valoriser les diasporas dans le programme « Entrepreneuriat pour tous ».
– Solution 6 : Nouveau programme « Talents en commun » pour les experts de l’action publique.
– Solution 7 : Le Chèque Relance V.I.E pour la mobilité des jeunes professionnels en Afrique.
Chaque pays africain a sa propre politique d’entreprenariat et d’émergence industrielle. Avez-vous confronté vos ambitions avec la réalité des marchés cibles en Afrique ?
Nous ne sommes que des catalyseurs. C’est aux entrepreneurs d’étudier la faisabilité de leurs projets dans les marchés cibles et de nous convaincre de la pertinence de leurs choix. Ils y sont d’ailleurs obligés. Sans une étude de marché convaincante, aucun projet ne pourra être financé. Il faut garder à l’esprit que nous ne sommes pas dans une logique de dons ou de subventions. Les projets doivent tenir la route. Maintenant, au cas où les candidats au financement présentent des projets incomplets, nous nous engageons à les accompagner jusqu’à ce qu’ils arrivent à livrer des projets viables.
Le CPA veut-il faire de ces nouveaux entrepreneurs les ambassadeurs de la France en Afrique ?
Oui. Ces entrepreneurs seront mis aux avant-gardes dans la relation entre la France et l’Afrique. Le Président Emmanuel Macron s’est engagé à développer de nouveaux liens avec l’Afrique par le prisme de la société civile et de l’entreprenariat.
A un an de la présidentielle en France, quel bilan faites-vous de l’action du CPA ?
Le Conseil Présidentiel pour l’Afrique (CPA) a été fondé par le Président, Emmanuel Macron, en août 2017 pour véhiculer une nouvelle vision de la politique extérieure de la France envers l’Afrique. Il réunit des personnalités issues de la société civile qui croient à la puissance de l’entreprenariat dans le développement du continent. Depuis cette date, le CPA a accompagné des chantiers majeurs comme la restitution des biens culturels en Afrique, la réforme du franc CFA et, tout récemment, le Tour de France de l’Entreprenariat. Le 5 février dernier, pour souligner encore plus son engagement africain, le Président Macron a clôturé la dernière étape de ce Tour en présence de deux ministres : Mme Élisabeth Moreno, ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances, et de Franck Riester, ministre délégué, chargé du Commerce extérieur et de l’Attractivité.
Quel est le chantier qui vous tient à cœur et que vous auriez aimé mener au sein du CPA ?
En toute franchise, c’est l’accès de la diaspora africaine à l’espace public. Le sondage sur les diasporas africaines a montré que 80 % des personnes interrogées ne se sentent pas représentées dans l’espace public français (médias, fonction publique, élus…). Remédier à cette situation permettrait à la population africaine qui se sent marginalisée de se regarder autrement. Une plus grande visibilité des Africains dans nos espaces publics abolirait les clichés et permettrait de voir ces derniers dans des postures de réussite et de challenge.