Wilfrid Lauriano Do Rego : « Nos entrepreneurs seront les nouveaux ambassadeurs de la France en Afrique »

En août 2017, le Président français, Emmanuel Macron, a créé un Conseil Présidentiel pour l’Afrique (CPA) auquel il a attribué la mission de se rapprocher des diasporas africaines via la société civile et de donner un nouveau visage aux relations entre la France et l’Afrique. Véritable outil de soft power, le CPA a achevé le 5 février une tournée en France dédiée à l’Entreprenariat. Il y a dévoilé de nouvelles mesures d’accompagnement des entrepreneurs désirant investir en Afrique mais aussi les résultats d’un sondage inquiétant sur l’intégration de la diaspora africaine en France.

Dans cet entretien accordé à l’Afrique des Idées, le coordonnateur de ce Conseil, Wilfrid Lauriano Do Rego, revient sur ce malaise profond qui traverse la diaspora et brandit la carte de l’entreprenariat pour y remédier. Nommé en 2019, en succession de Jules Armand Aniambossou, ce franco-béninois de 61 ans est actuellement un des acteurs de la politique africaine d’Emmanuel Macron. Membre de l’influent Club du XXIème siècle – un think tank select qui vise à pro­mouvoir la diversité dans la société française – Wilfrid Lauriano Do Rego est également Président du conseil de surveillance du cabinet d’audit KPMG France où il a acquis une longue expérience dans les secteurs de l’énergie et des infrastructures.

L’Afrique des Idées : Selon un sondage que vous avez commandé au cabinet Opinionway, 73% des membres de la diaspora africaine affirment que l’égalité des chances n’est pas respectée en France. Vous attendiez-vous à ce résultat ?

Wilfrid Lauriano Do Rego : En toute sincérité, non. Je savais que ce sentiment existait mais je ne pensais pas qu’il serait de cette ampleur. Le plus surprenant pour moi est que la diaspora africaine place l’inégalité des chances bien avant l’éducation et l’emploi qui sont, comme vous savez, des sujets majeurs pour la population française. La diaspora interrogée dans le cadre de cette étude voulait montrer qu’elle n’avait pas les mêmes chances de compétir que le reste des Français. Elle nous met face à un très grand malaise, mais elle nous montre aussi l’existence de leviers d’amélioration.

Lesquels ?

Au sein du CPA, nous sommes convaincus que le remède à ce malaise est l’entreprenariat. Les différents porteurs de projets que nous avons pu rencontrer durant cette tournée en France ont relevé trois obstacles qui les empêchaient de saisir leur chance et d’initier leurs propres projets : la formation, le mentoring et le financement. Nous leur avons proposé sept solutions très concrètes. Aider l’entrepreneuriat, c’est œuvrer pour l’égalité des chances.

Avant d’arriver aux solutions, comment comprendre que ce sentiment d’inégalité des chances en France soit aussi important chez la diaspora africaine alors que 54% de cette dernière se dit satisfaite de sa position sociale ?

Certes, les membres de la diaspora africaine s’inquiètent des inégalités dans notre société mais en même temps ils acceptent l’existence de leviers d’amélioration comme l’éducation. Je tiens à rappeler que 75% des sondés estiment que la relation entre la France et le continent africain est une chance et qu’ils sont prêts à se lancer dans des projets d’entreprenariat en lien avec le continent. Donc, quelque part, nous sommes face à une inquiétude mais aussi à des pistes de solutions.

Près de 54% des personnes interrogées dans le cadre de ce sondage disent ne pas appartenir à la diaspora africaine. Comment peut-on faire partie d’une diaspora et ne pas l’assumer ?

C’est toute l’ambiguité du terme « diaspora ». Ceux qui réussissent et qui sont d’origine étrangère ont peut-être le sentiment qu’on veut les ramener en arrière en leur parlant de leurs origines. Certains refusent cette notion d’appartenance. Le sujet que vous soulevez est très complexe. La définition de la diaspora reste, à mon sens, liée à l’histoire de chacun. Elle invoque l’acceptation ou non de ses propres origines, l’appartenance à la première, deuxième ou troisième génération, la tranche d’âge…Durant ce Tour de France de l’Entreprenariat, j’ai personnellement relevé trois types d’audiences : des entrepreneurs qui ne voulaient pas parler de diaspora parce qu’ils se pensaient uniquement français. D’autres qui étaient preneurs de toutes les pistes d’intégration et puis une troisième tranche qui ne voulait pas parler d’Afrique mais préférait trouver son chemin ici en France. Tout cela pour vous dire qu’il n’y a pas une seule diaspora, mais plusieurs.

Cette ambiguïté ne convoque-t-elle pas le débat crispé sur les identités qui a lieu actuellement en France ?

Tout à fait. Je pense que cette notion de diaspora est complétement liée à l’identité. Certains vous diront qu’ils sont français tout court. D’autres se voient français mais d’origine africaine.

Les trois quarts des sondés déclarent ne pas envoyer d’argent en Afrique alors que les transferts de la diaspora africaine vers leur continent – près de 10 milliards d’euros en 2019 – dépassent de loin les aides au développement. Comment expliquez-vous cette contradiction ?

Cela est surprenant en effet. Il me semblait que la solidarité de la diaspora africaine était beaucoup plus forte. Pendant cette période de la Covid-19, nous avons tous remarqué que nos concitoyens d’origine africaine s’étaient mobilisés pour aider leurs familles en Afrique. Ce qui me pousse à dire que ce chiffre a été peut-être focalisé sur les transferts d’argent directs et ne prend pas en compte les pistes indirectes d’envoi d’argent (ndlr : remise en espèce via des proches)

Vous disiez tout à l’heure que le Tour de France de l’Entreprenariat a débouché sur sept solutions concrètes. Comment comptez-vous les implémenter ?

En effet, durant notre tournée, nous avons pu percevoir combien l’entreprenariat est l’enseignement le plus précieux. Il existe un potentiel d’innovation encore inexploité chez nos jeunes et, pour le mettre en valeur, nous allons nous adjoindre le soutien de grands partenaires français telsBPI France, l’Agence Française de Développement, Business France et Expertise France.

Quant aux solutions que nous mettons en place, elles sont au nombre de sept :

-Solution 1 :  Deuxième phase du Programme MEETAfrica pour les jeunes entrepreneurs.

– Solution 2 : « PASS Africa », un parcours unique dédié aux entrepreneurs plus matures.
– Solution 3 :  Créer la communauté « PASS Africa / EuroQuity ».

– Solution 4 : Application web CPA pour l’entrepreneuriat des diasporas.
– Solution 5 : Valoriser les diasporas dans le programme « Entrepreneuriat pour tous ».
– Solution 6 : Nouveau programme « Talents en commun » pour les experts de l’action publique.
– Solution 7 : Le Chèque Relance V.I.E pour la mobilité des jeunes professionnels en Afrique.

Chaque pays africain a sa propre politique d’entreprenariat et d’émergence industrielle. Avez-vous confronté vos ambitions avec la réalité des marchés cibles en Afrique ?

Nous ne sommes que des catalyseurs. C’est aux entrepreneurs d’étudier la faisabilité de leurs projets dans les marchés cibles et de nous convaincre de la pertinence de leurs choix. Ils y sont d’ailleurs obligés. Sans une étude de marché convaincante, aucun projet ne pourra être financé. Il faut garder à l’esprit que nous ne sommes pas dans une logique de dons ou de subventions. Les projets doivent tenir la route. Maintenant, au cas où les candidats au financement présentent des projets incomplets, nous nous engageons à les accompagner jusqu’à ce qu’ils arrivent à livrer des projets viables.

Le CPA veut-il faire de ces nouveaux entrepreneurs les ambassadeurs de la France en Afrique ?

Oui. Ces entrepreneurs seront mis aux avant-gardes dans la relation entre la France et l’Afrique. Le Président Emmanuel Macron s’est engagé à développer de nouveaux liens avec l’Afrique par le prisme de la société civile et de l’entreprenariat.

A un an de la présidentielle en France, quel bilan faites-vous de l’action du CPA ?

Le Conseil Présidentiel pour l’Afrique (CPA) a été fondé par le Président, Emmanuel Macron, en août 2017 pour véhiculer une nouvelle vision de la politique extérieure de la France envers l’Afrique. Il réunit des personnalités issues de la société civile qui croient à la puissance de l’entreprenariat dans le développement du continent. Depuis cette date, le CPA a accompagné des chantiers majeurs comme la restitution des biens culturels en Afrique, la réforme du franc CFA et, tout récemment, le Tour de France de l’Entreprenariat. Le 5 février dernier, pour souligner encore plus son engagement africain, le Président Macron a clôturé la dernière étape de ce Tour en présence de deux ministres : Mme Élisabeth Moreno, ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances, et de Franck Riester, ministre délégué, chargé du Commerce extérieur et de l’Attractivité.

Quel est le chantier qui vous tient à cœur et que vous auriez aimé mener au sein du CPA ?

En toute franchise, c’est l’accès de la diaspora africaine à l’espace public. Le sondage sur les diasporas africaines a montré que 80 % des personnes interrogées ne se sentent pas représentées dans l’espace public français (médias, fonction publique, élus…). Remédier à cette situation permettrait à la population africaine qui se sent marginalisée de se regarder autrement. Une plus grande visibilité des Africains dans nos espaces publics abolirait les clichés et permettrait de voir ces derniers dans des postures de réussite et de challenge.

LES BLEUS DE TREVOR NOAH

Le 15 juillet dernier, l’Equipe de France de football remportait la vingt-et-unième coupe du monde de l’Histoire, lors d’une victoire face à la Croatie (4-2). La particularité de cette équipe : seize des vingt-trois joueurs Français sont d’origine subsaharienne. Une particularité que n’a pas manqué de mettre en avant, Trevor Noah, dans son émission The Daily Show, dès le lendemain. Une mise en avant qui a soulevé un tollé en France, de la part de nombreux citoyens, mais aussi de personnalités comme le basketteur Nicolas Batum ou l’animateur Nagui et jusqu’à l’Ambassadeur de France aux Etats-Unis. Dans le même temps, la presse italienne et l’ex-sélectionneur croate s’adonnaient à des réflexions racistes sur cette même équipe de France, dans un anonymat confondant. Décryptage d’un événement qui en dit bien plus qu’il n’y paraît. Continue reading « LES BLEUS DE TREVOR NOAH »

Rencontr’Afrique avec Moussa MARA, ex-premier ministre malien

12799286_1086686241352492_6876720818068507230_nLe jeudi 25 février 2015, L’Afrique des idées a eu l’honneur de recevoir l’ex premier ministre Malien, président du parti politique YELEMA (« Changement ») et expert-comptable, Moussa MARA. Dans les locaux de l’Alliance Française, le premier ministre a éclairé l’assistance sur la situation politique et économique du Mali, dont il a dirigé le gouvernement d’avril 2014 à janvier 2015.

Une profonde refondation de l’organisation de l’Etat comme gage de stabilité

Dans son intervention, il a soulevé ce qui selon lui constitue les causes profondes de la crise politique au Mali. Il a notamment fait référence au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat Malien, hérité de l’époque coloniale. Cette organisation serait en déphasage avec la réalité du terrain. Le Mali est vaste et très divers tant dans sa végétation que dans la composition de sa population.  Cette diversité n’a  cependant pas été prise en compte dans l’organisation mise en place par l’administration coloniale. La partie septentrionale du pays ne devrait pas être gérée de la même manière que le sud du pays. Cette négation de la diversité du pays dans l’organisation du pays a eu de néfastes conséquences, notamment l’absence de contrôle des autorités Etatiques sur le nord du pays.

Le premier ministre est revenu ensuite sur l’accord d’Alger qu’il estime être un accord important pour l’avenir du Mali et qualitativement intéressant dans ses dispositions. L’accord remet profondément en cause le fonctionnement de l’Etat tel qu’il est hérité de la colonisation. Il rompt avec les pratiques antérieures et prône une réelle refondation du fonctionnement de l’Etat Malien. Ce qui explique, selon lui, les fortes résistances rencontrées dans sa mise en œuvre. La société civile a été très intimement liée  à la négociation, donnant encore plus de crédit à cet accord qui dépasse le simple cadre d’un accord politique.

Le terrorisme : d’une potentielle menace à une durable et scabreuse réalité

L’Afrique est aujourd’hui minée par le terrorisme. Jadis une menace loin de nos contrées, ce fléau s’est durablement installé à l’intérieur de nos frontières. D'après les chiffres de Global Terrorism Index, l'Afrique subsaharienne aurait le plus grand nombre de morts causés par une attaque terroriste par rapport aux autres régions du monde en 2014. Le Mali depuis quelques années n’est pas épargné par ces attaques terroristes.

 Le terrorisme est devenu, selon le premier ministre, une menace qui s’est durablement installée dans nos territoires et avec laquelle il faudra apprendre à vivre .L’imminence de la menace doit contraindre les Etats concernés à un changement profond de comportement. Les Etats africains devraient étudier rigoureusement les différents types d’actions terroristes pour déjouer au maximum les tentatives de ces nébuleuses. Un succès de la lutte antiterroriste passe notamment par une formation adaptée des forces armées africaines face à cette atypique menace qui fort malheureusement devient de plus en plus banale sur nos territoires.

La nécessaire maitrise de l’eau pour une agriculture plus productive

Le développement de l’Afrique passe nécessairement par l’agriculture. Cette réalité n’a pas échappé à Mr MARA.

L’intensification de la production agricole est nécessaire pour amorcer un développement  économique durable du Mali selon les propos du président de YELEMA. Aujourd’hui encore, la production agricole du pays est trop dépendante des aléas climatiques. En effet, le niveau de pluviométrie détermine généralement la quantité mais aussi la qualité des récoltes. La maîtrise de l’eau serait primordiale pour résoudre les difficultés de ce secteur et enclencher un réel développement économique au Mali.

La jeunesse Malienne ne doit pas  constituer une menace mais un atout

Dans son propos, le premier ministre a également livré sa vision de la jeunesse malienne. Il a insisté sur le fait que la jeunesse malienne ne doit pas constituer une menace pour les dirigeants politiques mais un réel facteur de développement. En effet, le Mali a une démographie très dynamique avec une natalité très élevée. Cependant la vitalité de la natalité ne constitue pas pour le moment un réel atout pour le pays. Le premier ministre pense qu’il faut revoir le système éducatif malien qui prédestine quasiment tous les futurs étudiants à l’enseignement supérieur. Il faudrait réorienter les formations au Mali en amenant les jeunes vers des formations professionnelles et techniques plutôt que vers des études universitaires qui les mènent à des qualifications dont le Mali n’a pas ou peu besoin, et par voie de conséquence irrémédiablement au chômage. Il a aussi souligné la difficulté budgétaire du système éducatif notamment l’enseignement supérieur. 78% du budget de l’enseignement  est affecté à l’enseignement primaire. Ce qui laisse une marge de manœuvre très limitée pour amorcer de réelles actions de refondation de l’enseignement supérieur et de la formation professionnelle.

Sur la  question de l’éradication de la  corruption en Afrique en général et au Mali en particulier,  l’éducation de la population est incontournable selon les propos du premier ministre. Le premier ministre s’est également exprimé sur la place des femmes au Mali, dont l’amélioration ne se fera pas sans une évolution générale des mentalités. Il a par la suite évoqué la question des impôts et de la difficulté pour l’Etat de générer de véritables recettes fiscales en raison d’un secteur informel très présent.

Enfin, il a exprimé la nécessité selon lui que la diaspora malienne s’implique davantage dans le leadership malien.

Giaini Gnassounou

Rencontr’Afrique avec Khadidiatou, Fondatrice du réseau médical NEST

rencontrafrique_khadidiatou_1Ceux qui ont participé à la Rencontr’Afrique du dimanche 23 novembre 2014 ont eu l’opportunité de découvrir le parcours d’entrepreneuriat social de Khadidiatou Nakoulima, qui diplômée de l’Ecole des Mines de Paris en 2009, ne s’est pas tournée vers un parcours professionnel classique de jeune diplômée, mais est rentrée dans son pays d’origine, le Sénégal, pour y créer un réseau médical dédié aux femmes enceintes et aux enfants en bas âge.

Tout est venu d’une idée…

Alors qu’elle termine ses études, son frère lui fait part de l’existence, en Inde, d’un réseau médical destiné aux classes moyennes, spécialisé dans l’accouchement et la pédiatrie. Tous deux sont conscients de la binarité du marché sénégalais dans ce secteur : il y a soit le secteur public, son engorgement et ses insuffisances, soit le secteur privé, très onéreux et destiné aux classes sociales les plus favorisées. Khadidiatou et son frère Ousseynou se lancent alors dans un défi de taille : créer au Sénégal un réseau du même type, assurant un suivi médical de la grossesse, de l’accouchement et du nourrisson, et pas seulement accessible aux élites. Ce projet se veut d’une qualité irréprochable, avec d’excellents services médicaux appuyés par une technologie de pointe, tout en étant abordable pour les classes moyennes. C’est donc un projet d’entreprenariat social, en ce qu’il combine deux objectifs : créer un système profitable d’un point de vue économique, tout en contribuant à l’amélioration des conditions de vie de la population au Sénégal.

A laquelle il a fallu donner vie…

Khadidiatou et son frère établissent un Business Plan, qu’ils font concourir dans des compétitions d’entreprenariat internationales. Ces évènements leur donnent l’occasion de rencontrer des investisseurs et de leur présenter leur projet. Ce dernier gagne en visibilité en arrivant en finale de la Global Social Venture Competition, la plus prestigieuse compétition d’entrepreneuriat réservée à des projets alliant viabilité économique et impact social positif.

L’étape des concours terminée, Khadidiatou décide d’apporter une nouvelle dimension à son projet en allant s’immerger pendant trois mois au sein d’une clinique indienne. Cette immersion lui permet de mieux s’imprégner du modèle avant de se lancer au Sénégal.

rencontrafrique_khadidiatou_2Et à laquelle il a également fallu donner corps…

De retour au Sénégal en 2011, Khadidiatou ouvre un premier plateau médical avec son père pédiatre qui assure les services médicaux. Pour donner plus d’envergure à son projet, il lui faut des autorisations administratives, notamment celle du ministère de la santé, qu’elle n’obtiendra qu’au bout d’un an, grâce à l’appui de l’APIX, l’Agence sénégalaise de promotion des investissements.

Quand on lui demande si elle a vécu des obstacles en tant que femme au Sénégal, Khadidiatou répond que la principale difficulté était plutôt liée à son jeune âge. Ses interlocuteurs la prenaient souvent pour l’incarnation d’une jeunesse utopique… En outre, le fait de vouloir ouvrir un réseau médical tout en étant ingénieur, et non médecin de formation, était une démarche innovante au Sénégal.

Après l’obtention des autorisations nécessaires, Khadidiatou peut véritablement développer son projet. En discussion avec la société d’investissement Investisseurs et Partenaires (IetP) depuis un certain temps, elle obtient un financement qui lui permet de mettre en place les infrastructures qui vont fournir les services médicaux et accueillir la clientèle. Ce financement lui permet également de lancer les premiers recrutements. Ces recrutements portent non seulement sur le personnel support administratif, mais aussi sur le personnel médical : sages-femmes, infirmières, aides-soignants et bien sûr médecins ; ces derniers qui s’associent aux premiers promoteurs pour le développement du projet. Au-delà du financement, IetP lui permet aussi d’avoir accès à de l’assistance technique là où les compétences locales font défaut. Enfin, Khadidiatou peut s’appuyer sur un comité stratégique qui compte parmi ses membres des conseillers dont l’expertise est reconnue et indispensable à NEST.

Nest est désormais un réseau médical, composé d’un plateau médical, qui offre un pôle de consultations et de soins d’urgences pédiatriques ouvert 24h/24 et 7J/7, ainsi qu’une clinique permettant la réalisation d’échographies obstétricales, du monitoring materno-fœtal, des analyses de laboratoire ainsi que des interventions chirurgicales. La clinique dispose également d’un bloc opératoire.

Aujourd’hui, Nest voit sa clientèle croître de jour en jour, et, bien qu’encore fragile en raison de sa jeunesse, le réseau affiche tous les signes positifs pour s’installer durablement sur le marché médical sénégalais.

Espérons que le parcours courageux et exemplaire de Khadidiatou inspire d’autres talents, issus de la diaspora africaine ou non, et nous la remercions vivement d’avoir bien voulu le partager avec l’Afrique des Idées.

Rouguyatou Touré

Vue panoramique sur le 4ème FIFDA, Paris

Pour sa rentrée, l'Afrique des idées vous propose de revenir sur quelques unes de ses réalisations de l’été.

5588755031_1d8cfef16e_bPartenaire de la 4ème   édition du Festival International de Film de la Diaspora Africaine, l'Afrique des idées a déployé un petit dispositif pour couvrir l’événement qui s’est tenue à Paris du 05 au 07 septembre dernier. Le temps d’un week-end plusieurs lieux ont accueilli des films que l’on ne voit pas forcément, des productions qui, sans ce genre d’organisation auront beaucoup de mal à rencontrer un public. Un week-end de voyage, de rencontre, de débat pour donner à voir d’autres univers et à entendre un autre discours.

Installé à Paris en 2009, prolongement d'une expérience qui se poursuit aux Etats-Unis, le Fifda est un espace de visibilité pour des productions cinématographiques en lien avec l’Afrique et ses diasporas. C’est un domaine d’intervention très large dans lequel se croisent des sensibilités différentes, plusieurs esthétiques et une diversité de public. Sous la direction de Diarah N’daw-Spech et Reinaldo Barroso-Spech, au fil des années le festival prend ses galons. L’évolution se lit à la fois par les nombres des films et des lieux proposés. Chaque année, la programmation s’élargit autant qu’elle gagne un nouveau bastion, un nouveau territoire. Au cinéma  la Clef (75005) qui était le seul à « ouvrir » ses portes au FIFDA en 2012, se sont progressivement ajoutées les salles Etoiles Lilas, Le Brady, Le Comptoir général, et Le Lucernaire. Ce développement dans l’espace permet de créer plusieurs spots qui mettent en lumière la très riche activité cinématographique des Afriques. Croissance également pour le festival lui-même qui, selon la codirectrice Diarah N’daw-Spech, intéresse un public plus important, bénéficie d’une bonne couverture médiatique et arrive à fédérer plus de partenaires. Ainsi, le parcours de cette 4 è édition, traversant presque Paris, nous a mené dans 4 lieux à la découverte d’un cinéma vivant, ambitieux et très contemporain.

La soirée de lancement a eu lieu au Cinéma Etoile le vendredi 05 septembre. En ouverture, la première européenne de Freedom summer, le dernier film de Stanley Nelson, un réalisateur connu du Fifda. En 2012, sa précédente réalisation et pendante de l’actuelle, était déjà dans la programmation du Festival. Cette soirée co-organisée en partenariat avec l’Observatoire de la diversité et l’Ambassade des Etats-Unis en France a connu une participation active de l’Afrique des idées, dans le débat après la projection. Stanley Nelson (réalisateur) et Lareus Gangoueus (Afrique des idées) ont conversé avec Fulvio Caccia (modérateur/ Observatoire de la diversité) sur l’historique du film, son contenu et surtout son importance pour la jeunesse actuelle, pour les minorités en France et ailleurs. Dans ces prolongements, Awa Sacko publiera très prochainement un entretien avec Stanley Nelson dont le film (une présentation dans le dossier) a enthousiasmé le public venu nombreux.

Ce départ réussi augurait de la bonne tenue d’un festival qui, en dépit de la diversité des films proposés, gardait une grande cohérenceHomeAgain. Le cycle migration-transmigration autour duquel gravitaient plusieurs films, pas forcément récents, était le noyau de la programmation. Le fait de faire se côtoyer des œuvres de différents âges est bien méritoire à plusieurs égards. Il permet de (re)découvrir des pièces du patrimoine cinématographique d’Afrique et  de sa diaspora rappelle la trajectoire du septième art dans ces contrées tout en soulignant la permanence de certains questionnements. Tout ce qui a trait au départ, à l’exil, à la vie ailleurs est alors appréhendé dans un dynamisme entre le présent et le passé. Dynamique est aussi le changement de prisme : les allers retours entre la fiction et le documentaire sont un double éclairage qui permettent de saisir la complexité des phénomènes. Dans ce sens, Home again de Sudz Sutherland et Expulsés de Rachèle Magloire et Chantal Regnault sont deux faces de la même pièce. Ces films qui passaient pour la première fois en France, traitent autant de la difficulté du retour que de la citoyenneté instable de la diaspora africaine dans plusieurs pays occidentaux. L’un comme l’autre met l’accent sur l’absurdité des systèmes judicaires à l’égard des ces « migrants de l’intérieur » qui, pour la plus part, ont toujours vécu dans les pays qui les expulse, après qu’ils aient purgé une peine de prison pour un délit mineur.

Mais le Fifda c’est surtout l’Afrique avec laquelle l’équipe entretient des liens de travail à travers les festivals : elle se rend régulièrement au Fespaco et Diarah N’daw Spech a participé en tant que membre du jury au dernier festival de Durban. C’est aussi l’Afrique à l’écran dans toute sa diversité, dans sa contemporanéité. Et quoi de plus contemporain que les rues, celle de Douala ou celles encore plus tumultueuses de Kinshasa ? Trois films, trois regards (dynamisme et multiplicité de point de vue) nous ont fait vivre la pulsation kinoise à travers sa musique, ses contradictions. De la figure de Papa Wendo, l’immortel interprète de Marie-Louise, chanson récemment samplée par le jeune rappeur Alex Finkelstein, à Kinshasa la pieuvre du sculpteur Freddy Tsimba, nous avons ici aussi l’idée de transmission, la recherche de ce lien entre le passé, le présent et l’avenir.

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Le festival s’est achevé avec la projection du documentaire de Dom Pedro dans lequel  le cinéaste effectue une plongée dans les profondeurs du Tango et remonte à la surface l’africanité de cette musique.

Pour ceux qui auront raté l’un ou l’autre de ces films, le fifda assure travailler de concert avec les salles pour qu’ils soient reprogrammés tout en essayant de les rendre disponibles en DVD. En session rattrapage, il y a les ciné-clubs à Paris tout au long de l’année mais aussi l’équipe d’Afrique des idées. Claudia Soppo Ekambi, analysera pour nous le film W.A.K.A. de Françoise Ellong et Touhfat Mouhtare, en amatrice des (mé)tissages entreprendra une conversation avec Dom Pedro autour de son film, Les racines africaine du Tango.

Ramcy Kabuya

Rencontr’Afrique avec Stéphane Brabant


brabantPour la quatrième édition des Rencontr’Afrique qui a eu lieu le 13 juin 2014, une quinzaine de personnes a été reçue par l’avocat international Stéphane Brabant. 


Répondant ainsi à l’invitation de L’Afrique des Idées, il nous a accueillis dans son cabinet pour un échange riche d’enseignements dont nous résumerons la substance. La tâche n’est pas aisée, tant la richesse de ses propos témoigne d’une grande curiosité intellectuelle. « Stéphane » – comme il aime qu’on l’appelle – apparaît comme un homme enrichi par ses expériences ponctuées d'anecdotes qu’il a accepté de partager avec nous.


« Je n’avais jamais mis les pieds en Afrique. J’y suis arrivé, j’étais bien, on ne peut pas dire mieux » 


Lillois d’origine, il y étudie le droit avant de s’envoler pour le Vanuatu pour son service national de coopération et d’y devenir procureur de la République, à la faveur d’un concours de circonstances (« le plus difficile à passer »). Il poursuit ensuite des études de 3ème cycle en droit international public en Australie. Ayant toujours voulu être avocat international – vocation rare à l’époque-, mais conscient de la pauvreté, à cette époque-là, de l’enseignement en faculté de droit en finance et en comptabilité, il passe deux années au service d’une banque pour compléter sa formation. 


Il découvre l’Afrique en rejoignant le réseau international juridique et fiscal de PricewaterhouseCoopers. La prégnance de l’oralité et l’importance de la confiance dans les rapports lui rappellent son Nord natal. Là-bas, il découvre le droit pétrolier, champ d'activité en friche dans lequel peu de juristes – occidentaux en majorité – étaient spécialisés. Lui qui en ignorait tout, y est introduit par M. Samuel Dossou-Aworet, à la faveur d'un nouveau concours de circonstances qu’il passe avec hardiesse, et surtout grâce à l'ouverture d'esprit et la générosité de ce dernier. C’est le point de départ d’une longue amitié entre les deux hommes, et de l'engagement de l’avocat sur et envers le Continent. 


Après 7 ans au Gabon, il rentre à Paris chez PwC puis s’engage chez Herbert Smith Freehills en 1998.  Aujourd’hui, il a développé une expertise en matière pétrolière, minière et d’infrastructures. S’il n’est plus étrangement regardé par ses confrères qui, lorsqu’il s’aventurait en Afrique, l’imaginaient déjà condamné à des « fusions tamtam » et un statut d’éternel collaborateur, c’est parce que « le regard sur l’Afrique a changé. Ce n’est pas Stéphane qui a changé ». 


Un engouement pour l’Afrique avant tout économique 


L'engouement actuel pour l’Afrique est une « bonne chose » («  Enfin ! »). Selon Stéphane, il s'explique par la conjugaison de plusieurs facteurs, au premier rang desquels l'augmentation des investissements internationaux vers l'Afrique. Les banques et les fonds ainsi s'intéressent beaucoup plus à l'Afrique qu'auparavant. En outre, il faut noter l'influence positive de la Chine qui a révélé la nécessité de réinventer les relations politiques et commerciales avec les pays africains.


Autre facteur, mais non des moindres, «  le regain d’intérêt des africains pour leur propre continent » et l’émergence de personnes de très haute qualité professionnelle, en raison, notamment, du retour de certains éléments de la diaspora formés dans les meilleures écoles du monde. 


Enfin, le mouvement en faveur de plus de transparence financière et la pénalisation en Occident de certains comportements des entreprises, tels que la corruption active d'agents publics à l'étranger.


rencontrafrique4« Il faut être africain-réaliste » 


Néanmoins, il ne se dit « ni africain-optimiste, ni africain-pessimiste », car même si de nombreux indicateurs deviennent verts, des problèmes de gouvernance demeurent dans certains pays dont la première cause reste la corruption. Il faut reconnaître la part de responsabilité tant des entreprises qui profitent de la corruption que celle de certains responsables africains. « Le droit est bon, aussi perfectible qu’ailleurs. Son respect strict est la condition nécessaire mais souvent pas suffisante pour réussir, il convient aussi, en Afrique, d'être juste ».


Il cible également les difficultés héritées de l'histoire, et plus particulièrement des suites du Traité de Berlin. « Il faut un modèle institutionnel africain », propre aux structures sociales africaines et qui ne soit pas l’imitation des modèles des anciennes métropoles. Il préconise de solliciter des juristes africains pour mieux réfléchir sur les institutions de demain et prend le risque de dire que, selon lui, le mieux pourrait être un système centralisé capable de juguler les velléités séparatistes de certaines communautés ethniques, associé à un pouvoir local « assez fort pour que les identités locales se sentent respectées ». Stéphane a par ailleurs souligné l'importance que les contrats signés avec les investisseurs soient équilibrés entre les intérêts des Etats, des populations et de la société. Il regrette parfois aussi une certaine insécurité juridique et fiscale qui n'est pas toujours justifiée (« certains adaptations peuvent être nécessaires mais les changements brutaux et imprévus sont toujours dangereux »).


Les voies possibles du développement de l’Afrique 


Pour y remédier, il cible quelques priorités:

  • L’éducation.  L'industrialisation requiert une main d’œuvre qualifiée, qui par certains endroits fait défaut. Certains Etats souffrent parfois d'un manque d'experts nationaux dans les négociations et Stéphane rappelle sur ce sujet l'apport du programme de facilité africaine de soutien juridique (ALSF) mis en place sous l'égide de la Banque Africaine de Développement.

  • La prise de conscience des communautés locales. Ces dernières s’imposent peu à peu comme un véritable contre-pouvoir sur lequel il faut compter avant tout projet.  Dans ce processus, l’intégration des femmes, qu’il juge très conscientes de certains enjeux tels que l’éducation et la santé, est essentielle. 

  • Enfin, il évoque l'idée croissante que, au-delà du respect « indispensable » du droit, il faut agir dans un esprit de justice. Et sur ce point, « l’Afrique influence positivement le monde ». Il dénonce ainsi les contrats déséquilibrés, et se réjouit de l’émergence de principes qui, quoique non contraignants juridiquement, s’imposent aux entreprises. Ces principes proviennent de sources telles que les Nations Unies, l'Union Africaine, l'Organisation de coopération et de développement économiques, la Banque Mondiale, la Société Financière Internationale et d'autres institutions internationales ou organisations professionnelles. Ainsi, « les manquements viendront un peu à la fois de moins en moins des entreprises mais risquent encore de rester trop souvent le fait de certains Etats ; les entreprises n’auront plus d’autre choix que de se conformer à ces principes, et les populations ne manqueront pas de les y encourager, dans l'intérêt de tous ».

En bref, cette Rencontr'Afrique, menée sans langue de bois, aura été l'occasion de découvrir un homme humble, chaleureux et disponible. Surtout, elle nous aura permis de rencontrer un véritable amoureux de l’Afrique, et des Idées. 

 

François Adao Cissé

Rencontr’Afrique avec Henri Lopes, Ecrivain et Diplomate

Lopes

La 3ème édition des Rencontr’Afrique a eu lieu le 28 février dans les locaux de l’Ambassade du Congo à Paris, avec Henri Lopes. Premier Ministre de 1973 à 1975 et plusieurs fois Ministre (en charge de l’Education Nationale, des Affaires Etrangères, des Finances), Henri Lopes a aussi été fonctionnaire international de l’UNESCO (entre 1982 et 1998) dont il a été Directeur Général Adjoint, avant de devenir, à partir 1998, Ambassadeur de son pays en France. Il est donc un homme politique et un diplomate aguerri. Parallèlement, Henri Lopes demeure l’un des principaux romanciers de la littérature africaine des 40 dernières années. Ses œuvres, comme Le Pleurer-rire (1982), sont étudiées dans de nombreux lycées d’Afrique francophone ; son dernier roman, Une enfant de Poto-Poto, est paru en 2012 chez Gallimard et a obtenu le Prix de la Porte Dorée (Musée de l’Immigration). Henri Lopes a accepté de recevoir une vingtaine de personnes, à l’invitation de L’Afrique des Idées, pour partager sa riche expérience d’homme politique et d’écrivain, qui est aussi celle de toute une génération (« Quand je dirai je, c’est de toute une génération dont je parle »).             

Le Métis de Maloukou

Né dans un hôpital de Léopoldville (actuel Kinshasa) d’une mère du Congo français (Brazzaville) et d’un père du Congo belge (Kinshasa), Henri Lopes a grandi à Maloukou, petit village de l’actuel République du Congo. Il est alors déjà le fruit d’un métissage biologique en attendant un métissage culturel puisque sa mère épouse en secondes noces un français qui deviendra son père nourricier. De cette époque, il dira que « toutes les colonisations avaient leur apartheid avant la lettre ». La disposition géographique de Pointe-Noire illustre ce propos : il s’agit d’une ville en éventail avec un poste de police au point goulot, et juste derrière, les quartiers réservés aux colons et auxquels les noirs ne peuvent accéder qu’en journée avec une autorisation de travail. Henri Lopes est alors très jeune et la prise de conscience de la colonisation n’arrivera qu’ultérieurement, lorsqu’il arrive en France en 1946. Il est alors âgé de 11 ans.

La prise de conscience de la colonisation

Après un voyage en bateau de 3 semaines qui le mène tour à tour à Abidjan, Dakar et Casablanca (« Je découvre Casablanca et Casablanca est un émerveillement pour moi »), Henri Lopes débarque à Marseille un jour de Pâques 1949. Alors que dans son Congo colonial, les activités manuelles étaient strictement l’apanage des noirs, il découvre, stupéfait, que les dockers du Port de Marseille sont blancs. Ses parents, qui l’ont accompagné pour ce voyage, le laissent alors dans un collège-internat à Nantes où il est très bien traité par ses camarades de classe et par sa famille d’accueil. Il se paie même le luxe, aux heures de récréation de jouer au foot, chaussures au pied, avec ses camarades blancs. De ce « décalage entre l’attitude des français de France en France et celui des français colons en Afrique » naît la prise de conscience de la colonisation et de la nécessité d’y mettre fin. Les rencontres avec d’autres jeunes africains, d’abord au lycée à Nantes et ensuite à l’université à Paris, amènent Henri Lopes à prendre part au mouvement de lutte pour l’indépendance. « A l’époque, on était tous des communistes. Notre conscience politique était ancrée à gauche, sur une ligne communiste » dira-t-il.

Deux événements marquent cette période. En 1958, la Guinée prend son indépendance et de nombreux étudiants africains en France vont s’y installer. La désillusion sera grande pour bon nombre d’entre eux. Certains seront emprisonnés, d’autres exécutés. En 1960, la plupart des pays d’Afrique noire accèdent à l’indépendance. Beaucoup d’étudiants en France décident de rentrer dans les années qui suivent ; c’est aussi le cas d’Henri Lopes car « il faut être utile au pays ».

Le temps des responsabilités politiques

De retour dans une République du Congo indépendante, Henri Lopes devient professeur d’Histoire à l’Ecole Normale Supérieure. Il est alors proche du premier noir Directeur de l’Enseignement, poste qu’il occupera d’ailleurs de 1966 à 1968. A peine 10 ans après son retour au Congo, Henri Lopes devient à son tour Ministre de l’Education Nationale, puis des Affaires Etrangères, Premier Ministre et enfin Ministre des Finances. De cette époque entre 1960 et 1982, qui correspond aussi à une forte période d’instabilité politique pour le Congo, il dira : « Nous avons été propulsés à des postes de responsabilité comme vous ne pourrez jamais l’être. C’était à la fois fascinant et dangereux ». A partir de 1982, Henri Lopes quitte son pays pour devenir fonctionnaire international à l’UNESCO dont il reviendra par la suite Directeur Général Adjoint. 1982, c’est aussi l’année au cours de laquelle Henri Lopes publie son 4ème livre, Le Pleurer-rire, qui deviendra un grand classique de la littérature africaine. C’est qu’Henri Lopes est d’abord et surtout un homme de culture, un grand écrivain.

Lopes, L’écrivain

De son recueil de nouvelles Tribaliques (1972), pour lequel il reçoit le grand prix de littérature d’Afrique noire, à son dernier roman Une enfant de Poto-Poto (2012), en passant par Le Pleurer-Rire (1982) ou Le Chercheur d’Afriques (1992), Henri Lopes, dans un français mêlé de français-congolais, s’est toujours lancé dans une quête identitaire à travers ses différents personnages. Pour lui, nous avons « trois identités, comme les cordes d’une guitare ; il faut utiliser l’une ou l’autre, quelquefois les trois à la fois ».

De son métier d’écrivain, il dira aussi que « c’est un travail quotidien, qui se fait en cachette, comme l’amour », ce qui est du reste difficile pour l’écrivain car l’isolement est mal compris et mal perçu dans les sociétés africaines.

Henri Lopes reste d’ailleurs globalement lucide sur la place de l’écrivain en Afrique puisqu’il estime que c’est la politique qui permet, in fine, de changer les choses, et non la fiction.

 

Nicolas Simel Ndiaye

“Le Commerce interafricain et ses piliers: relais de croissance face à la crise économique mondiale”

Le Club Diallo Telli et Dauphine Alumni Afrique ont organisé le 28 septembre dernier à l’université Paris Dauphine, en partenariat avec Terangaweb-L’Afrique des Idées, un colloque sur le thème : « Le Commerce Interafricain et ses piliers : Relais de Croissance face à la crise économique mondiale ». Le but de cet événement a été de sensibiliser le grand public aux défis du commerce interafricain et de présenter des propositions pour son renforcement. Plusieurs sous-thèmes ont été abordés au cours des quatre tables rondes qui ont ponctué le colloque et qui ont enregistré la participation de plus de 150 personnes.

infrastructure« Infrastructure et superstructure, prérequis indispensables au développement des échanges »

Ayant pour thème « Infrastructure et superstructure, prérequis indispensables au développement des échanges », la première table ronde a vu la participation de trois intervenants: Laurance Daziano, Maître de conférences en économie à Sciences Po Paris spécialisée sur l’Afrique, Pascal Agboyigor, Avocat spécialisée sur l’énergie et l’infrastructure et Paul-Harry Aithnard, Directeur de Recherche et Gestion d’Actif au sein du groupe Ecobank.

Laurance Daziano a souligné l’importance du manque des infrastructures urbaines et énergétiques de même que celui des infrastructures de l’extraction des matières premières en Afrique. Elle a mis notamment l’accent sur le rôle des partenariats public-privé dans l’investissement des infrastructures et sur le rôle croissant des entreprises chinoises dans le financement des infrastructures, par exemple en Mozambique.

Pascal Agboyigor a axé son intervention sur la nécessité d’une superstructure afin de coordonner et organiser le financement des infrastructures. Il a affirmé que l’un des défis les plus importants pour le gouvernement concerné était l’adaptation des règles de concurrence pour pouvoir permettre l’émergence d’acteurs locaux et régionaux.

Paul-Harry Aithnard a quant à lui expliqué les raisons pour lesquelles le déficit d’infrastructures constitue un handicap pour le développement de l’Afrique, davantage que le déficit observé en matière d’éducation et de santé. Il a en effet souligné son effet dévastateur sur l’économie : inégalités sociales, baisse de la rentabilité, faible productivité. Il a ainsi rappelé que selon les estimations de la Banque Mondiale, entre 6% et 20% de la perte de chiffres d’affaires des entreprises africaines était liée au manque d’infrastructures. Dans ce sillage Paul-Harry Aithnard a ajouté que les infrastructures ont un effet multiplicateur sur l’économie, notamment en termes de développement de l’industrie extractive, des PME, de l’emploi et du commerce interafricain. Il a enfin mis l’accent sur le transport et l’énergie comme les deux pôles d’infrastructures les plus importants.

« Eriger l’intégration régionale au rang de catalyseur des échanges : quels leviers ? »

La deuxième table ronde a porté sur cette question « Eriger l’intégration régionale au rang de catalyseur des échanges : quels leviers ? ». Elle a vu la participation de Bakary Traoré, Economiste au sein du centre de développement de l’OCDE, Sidy Diop, Economiste au sein du cabinet de conseil Microeconomix, Jean-Jacques Lecat, Avocat associé chez Francis Lefebvre et Président de la Commission juridique et fiscal du CIAN[1] et Abdoulaye Tine, Docteur en droit et avocat.

Bakary Traoré est d’abord revenu sur la forte croissance africaine au cours des 10 dernières années, avec un taux de croissance des dix premières économies africaines proche de celui de la Chine. Il a cependant souligné que les échanges interafricains, de l’ordre de 10%, étaient plus faibles que le commerce entre la Chine et l’Afrique (13% en 2011).

Sidy Diop a évoqué l’importance de l’impact des échanges non seulement sur la croissance économique mais aussi sur la pauvreté. Le véritable enjeu résiderait donc, non pas sur l’impact du commerce sur la croissance nominale, mais plutôt sur le développement humain et l’amélioration des conditions de vie des populations du continent. Il a enfin souligné l’importance du prix dans l’accessibilité aux infrastructures par les entreprises qui engendre une faible concurrence.

Jean-Jacques Lecat a présenté brièvement les unions économiques et douanières ainsi que les traités juridiques en Afrique mis en place pour l’harmonisation des règles juridiques et l’intégration régionale. Il a attiré l’attention du public sur le grand nombre de ces organisations, on en dénombre 26, et sur les chevauchements qui existent entre elles et qui sont susceptibles d’en altérer l’efficacité. Le nouvel accord de libre-échange tripartite COMESA-SADC-EAC a été présenté comme une nouvelle piste pour redonner un nouveau souffle à l’intégration régionale en Afrique. Quant à Abdoulaye Tine, il est revenu sur les entraves qui existent sur le terrain à l’harmonisation effective du droit, en dépit d’initiatives salutaires comme l’OHADA (Organisation pour l’harmonisation en Afrique du Droit des Affaires).

« Promouvoir le développement des PME africaines, colonne vertébrale des économies africaines : enjeux et perspectives »

Deux intervenants ont pris part à la 3ème table ronde : Laureen Kouassi-Olson, Directrice d’investissement chez Amethis France et Abderhamane Baby, Directeur administratif et juridique du Groupe Azalai Hotels.

Laureen Kouassi-Olson a d’abord rappelé que les PME représentent 90% du secteur privé en Afrique, avant de mettre en lumière leurs difficultés d’accès au financement, en particulier pour les plus petites entreprises. Elle a insisté sur l’importance des PME dans une croissance économique durable et inclusive. Cette place reste cependant tributaire de l’existence d’un tissu de banques locales prêtes à les financer. Quant à Abderhamane Baby, il est revenu sur l’expérience du Groupe Azalai Hotels, présents dans plusieurs pays africains et de façon plus générale sur les nouvelles tendances qui amènent les banques à s’intéresser de plus en plus aux PME.

« Croissance du commerce interafricain : opportunité pour l’intégration de la jeunesse dans le marché du travail ? »

La dernière table ronde avait pour particularité de donner la parole à la jeunesse, en l’occurrence à Laetitia Sagno, Chargée de Mission Afrique au CEPS[2], Quentin Rukingama, Président du Club Diallo Telli et Georges-Vivien Houngbonon, Economiste en chef du think-tank Terangaweb- l’Afrique des Idées.

Si la croissance du commerce interafricain constitue une opportunité pour l’intégration de la jeunesse dans le marché du travail, Laetitia Sagno a cependant mentionné deux conditions nécessaires : une formation adaptée aux besoins locaux et des politiques favorisant l’initiative privée chez les jeunes. Elle a regretté que cette culture de l’entreprenariat se manifeste davantage dans l’Afrique anglophone que dans l’Afrique francophone. Après avoir partagé ses expériences de terrain concernant des pays comme le Kenyan et le Mozambique, Quentin Rukingama a mis l’accent sur l’importance de la formation technique non seulement dans le domaine de l’industrie mais aussi du management. Quant à Georges-Vivien Houngbonon, il a présenté des études statistiques laissant transparaitre une relation légèrement négative entre le degré d’intégration d’un pays dans le commerce interafricain et son taux de chômage. Autrement dit, les pays les plus intégrés dans le commerce interafricain sont ceux qui ont les taux de chômage relativement les moins élevés, à l’instar du Sénégal et du Bénin.

Le Club Diallo Telli a prévu de consigner l’ensemble des échanges qui ont eu lieu lors ce colloque dans un Livre Blanc qui sera publié dans les prochains mois.

 

Ecem Okan


[1] Conseil Français des Investisseurs en Afrique

[2] Centre d’Etude et de Prospective Stratégique

Rencontr’Afrique n°2 : Takeaways

cogneau-denis

Ce samedi 23 novembre 2013, L’Afrique des Idées a organisé la deuxième édition des Rencontr’Afrique à Paris. Cette rencontre a été l’occasion d’échanger avec Denis Cogneau sur l’histoire économique de l’Afrique et les perspectives qu’on peut envisager au regard des performances économiques actuelles du continent. Voici quelques idées qui ont émergé des échanges :

  1. Les vagues d'afro-optimisme et d'afro-pessimisme sont nourries par la méconnaissance des réalités africaines. C’est pour cela qu’il est nécessaire d’entreprendre un travail d’éclairage sur l’histoire économique de l’Afrique et d’identification des enjeux du continent.
  2. Les comparaisons qui sont faites entre l’Afrique et d’autres régions du Monde peuvent être fallacieuses dans la mesure où chaque région à de très fortes spécificités historiques qui caractérisent ses institutions et ses performances économiques.[1] Il est bien sûr possible que de nouvelles dynamiques économiques se mettent en place, comme c'est cas dans les pays d’Asie, mais cela implique des changements assez profonds et radicaux.
  3. La colonisation a joué un rôle ambigu dans le développement de l’Afrique. Si elle a bien correspondu à l'introduction de l'école et de la culture écrite, ainsi qu'à certains progrès en matière de santé, il convient de rappeler que de nombreux investissements coloniaux ont été financés par les impôts prélevés sur les colonies elles-mêmes, et cela quel que soit le colonisateur. Dans le cas français, il y a certes eu des investissements massifs en infrastructures juste avant les indépendances; cependant, ces derniers avaient aussi pour but de conserver l’emprise de la métropole sur ses ex-colonies.
  4. Dans la plupart des cas, les élites locales ont conservées les institutions extractives mises en place par les colonisateurs, sources d'une perpétuation des inégalités. Dans un cas comme la Côte d’Ivoire, il y a eu toutefois des investissements majeurs dans les infrastructures et la mise en place d'une administration publique relativement efficace.
  5. La forte dépendance des recettes fiscales vis-à-vis des exportations de matières premières et le train de vie élevé de l’Etat ont conduit aux ajustements structurels à partir des années 80. Quoique ces politiques aient été plus ou moins mises en œuvre dans la plupart des pays, elles ont généralement conduit à une dégradation des conditions sociales. Cette situation a été à l’origine des visions pessimistes sur l’avenir de l’Afrique jusqu’au milieu des années 90.
  6. Depuis le début des années 2000 les taux de croissance observés en Afrique sont surtout tirés par les matières premières (mines et produits agricoles).[2] Il faut donc prendre un peu de recul face aux chiffres actuels de la croissance car tout dépendra de sa distribution dans l’ensemble des couches de la société.
  7. L’intensification agricole va devenir un enjeu majeur pour les pays Africains. Aujourd’hui nous sommes dans une phase où des terres fertiles inexploitées existent encore. Dans quelques années, il sera nécessaire de rendre l’agriculture plus productive afin d’accommoder les perspectives démographiques du continent. Cependant, cette nécessité risque d’être compromise par le dérèglement climatique. Il est donc essentiel pour l’Afrique d’envisager les politiques d’adaptation afin de limiter les effets du dérèglement climatique.
  8. Un aspect clé du développement de l’Afrique sera la mise en place d’une fiscalité transparente et détachée des fluctuations du cours des matières premières. Cela requiert d’une part que la structure des économies soit plus détachée de l’exploitation des matières premières, et d’autre part une vigilance accrue de la part d’organisations de la société civile pour s’assurer que les recettes issues des ressources naturelles soient utilisées de manière efficace.
  9. Enfin, le concept de développement peut être dit "étranger à l’Afrique" si on le considère comme une mutation du concept colonial de "mise en valeur". Cependant, si l’on voit le développement comme relevant de l'innovation sociale et conduisant à une augmentation des libertés, notamment celles permises par l'accroissement de l'espérance de vie, alors il devient une aspiration à part entière des Africains. Ceux-ci souffrent autant que tout le monde de la mort de leurs enfants, contrairement à ce qu'un certain discours colonial a parfois prétendu.

Plusieurs autres questions ont été abordées et davantage de réponses ont été apportées. Nous vous renvoyons vers la vidéo de la rencontre qui sera prochainement disponible sur ce site internet.

 


[1] Par exemple, avant la période coloniale, le développement agricole a été extensif en Afrique et en Amérique contrairement à l’Europe et à l’Asie où il était plutôt intensif. De même, l’apport du capital a été beaucoup plus faible dans les régions comme l’Afrique sub-saharienne ou l'Asie qui n’ont pas connu de colonisation de peuplement. Pour cela, il faut relativiser les comparaisons entre grandes régions, et ne pas chercher à tirer mécaniquement des leçons pour l'Afrique des "exemples" asiatiques ou latino-américains, comme cela est parfois fait.

[2] En effet, l’exploitation des ressources naturelles et l’augmentation des cours des matières premières agricoles a encouragé les investissements dans les infrastructures, le développement des services de transport et d’assurances, le développement de la consommation des classes moyennes et par ricochet des grandes chaînes de distribution.