L’Afrique: nouvelle « Arabie » des Etats Unis (2ème partie)

 A priori et sans pour autant être négligée, l’Afrique a toujours semblé une région en marge dans la politique étrangère des Etats-Unis. En conséquence de quoi entre 1945 et 1990, le continent africain ne constituait guère plus, aux yeux des Américains, qu’un terrain d’affrontement avec le bloc soviétique; ce fut une région, parmi d’autres, où s’appliquait la politique du Containment. Il ne s’agissait donc pas à proprement parler de politique africaine de Washington mais d’une simple politique anti Kremlin.


Avec l’effondrement du bloc communiste au début de la décennie 1990, l’enjeu géopolitique va progressivement perdre du terrain au profit de l’enjeu économique, mais avec là encore quelques hésitations. De 1990 à 2001, La politique de Washington semble d’abord en retrait, chancelante et sans principes directeurs. Dans la première moitié de cette période, le gouvernement américain hésite à s’impliquer dans les problèmes du continent. Mais dans la seconde phase de la décennie, les Etats-Unis définissent une nouvelle stratégie axée sur la progression des positions économiques américaines en Afrique. Ainsi, en 1996, B. Clinton réoriente les priorités diplomatiques générales du pays, accordant une primauté de l’économique sur le militaire, conformément à une vision du «Trade, not Aid ». 


B. Clinton va ainsi jeter les bases de ce qui va constituer la ligne directrice d’une véritable politique africaine de Washington. Mais c’est véritablement sous l’ère Bush que l’Afrique prend une nouvelle dimension. A partir de 2001, l’accent fut mis sur la lutte contre le terrorisme islamiste moyen-oriental, la recherche de la stabilité régionale et enfin la garantie des approvisionnements pétroliers afin de réduire la dépendance énergétique des Etats-Unis à l’égard du Moyen Orient notamment.

 

Pourquoi l’Afrique ?

Selon le BP Statical Review of World Energy[1], l’Afrique détenait en fin 2004 112,2 milliards de barils de réserves prouvées. Cela représente 9,4% des réserves mondiales[2].

Cependant, comparativement à des régions comme le Moyen Orient où se concentre 66% des réserves mondiales, ces chiffres peuvent paraître peu significatifs à première vue. Mais ce serait ne pas savoir qu’une large partie de ces réserves sont encore inexploitées. « En 2001 déjà, sur 8 milliards de barils de réserves découvertes dans le monde, 7 l’ont été en Afrique […] »[3]. On comprend dés lors pourquoi la question du pétrole a été inscrite parmi les priorités de la politique africaine outre atlantique. Pour beaucoup d’analystes, les  opportunités d’expansion sont en effet immenses. Pour preuve, le seul golfe de Guinée, qui comptait déjà 24 milliards de barils de réserves en 2003, devrait devenir à terme le premier pôle mondial de production en offshore très profond[4].
Cela fait que le continent occupe désormais une place importante dans la géopolitique énergétique et notamment pétrolière mondiale.

Aujourd’hui, l’Afrique assure 11,4% de la production pétrolière internationale et avec les importantes découvertes de gisements inexploités, ce chiffre est amené à croître dans les années à venir. Par ailleurs, entre 1990 et 2004, la production du continent a augmenté de 40% passant de 7 à 10 millions de barils par jours. Selon les premières estimations pour la période allant de 2004 à 2010, cette production aurait augmenté de 50%[5].

L’Afrique suscite donc les convoitises américaines du fait d’un fort potentiel pétrolier. La répartition de ce potentiel se fait grosso modo autour de deux grandes sous-régions du continent. L’Afrique du Nord, avec principalement l’Algérie et la Libye, concentre 4,8% des ressources pétrolières du continent. C’est en Algérie que se trouve le plus grand gisement africain, à savoir Hassi Messaoud, dans le bassin pétrolier de Berkine. Les réserves pétrolières de ce pays sont estimées à 9,2 milliards de barils. La Libye dispose de son côté de la plus grande  réserve du continent estimée à 41,5 milliards de barils. La majeure partie des gisements découverts se trouve dans le bassin de Syrte et fournit un pétrole de grande qualité. Seulement, les Etats-Unis ont gelé leurs relations avec Tripoli depuis les attentats Lockerbie. Cela fut d’ailleurs formalisé par l’Iran And Libya Sanctions Act en 1996, interdisant aux sociétés américaines d’investir dans ces deux pays. 

Mais la sous-région la plus riche demeure le golf de Guinée, qui attire d’ailleurs particulièrement l’attention de Washington. C’est là que l’on retrouve le plus grand producteur africain qui est le Nigéria avec une production de prés de 2,5 millions de barils par jours, talonné par l’Angola qui est le second producteur en Afrique sub-saharienne.

Ce dernier pays a une large partie de ses réserves qui sont situées en mer ; elles s’élèvent à 5,4 milliards de barils et sa production tourne autour du million de barils par jour. La relative stabilité du gouvernement depuis la fin de la guerre civile et l’absence de menace terroriste (hormis la rébellion de l’enclave de Cabinda) crée un climat de confiance favorable aux investissements étrangers, dont ceux de la firme américaine Exxon Mobil[6].

Le golfe de Guinée constitue justement le cœur de la stratégie américaine, et ce pour raisons 5 raisons:

– Le golfe de Guinée, qui compte 24 milliards de barils, est encore sous exploité.

– Les pays producteurs de cette sous-région, excepté le Nigeria, ne sont pas membres de l’OPEP, organisation « que l’Amérique, engagée dans une stratégie à long terme, cherche à affaiblir[7]».

– Le pétrole de cette région est de très haute qualité et dispose d’un bas taux de soufre ; c’est un pétrole léger, comme le BONNY LIGHT, qui donne de bons rendements en essence, produit dérivé le plus demandé aux Etats-Unis[8].

– Une grande partie de ce pétrole est exploitée en Off-shore, ce qui isole les plateformes des troubles sociaux ou politiques qui pourraient frapper les pays concernés.

– Enfin le transport par voie maritime vers les USA est facilité car la région donne déjà sur les raffineries de la côte Est américaine; les dangers liés au transport du pétrole sont donc amoindris du fait de l’absence de détroit ou de canal à traverser.

La stratégie de Washington

La politique de Washington a davantage pris en considération le pétrole africain grâce aux  pressions  des entreprises pétrolières comme les deux géants Exxon Mobil et Chevron Texaco mais aussi des plus discrètes telles Amerada Hess ou Ocean Energy.

Le plaidoyer de l’Institute for Advanced Strategic and Political Studies (IASPS) a aussi été prépondérant lors de cette rencontre. Créé en 1984 à Jérusalem, ce think tank proche du parti de la droite israélienne Likoud et des néoconservateurs américains, est un traditionnel partisan d’une stratégie de désengagement à l’égard du pétrole saoudien. Cependant, durant les années Clinton, IASPS a eu peu d’influence sur l’administration en place.

Mais en novembre 2000, la victoire de George W. Bush aux présidentielles va changer la donne. Il convient de rappeler que Bush fils est un proche des compagnies pétrolières texanes : il fut donc particulièrement disposé à répondre favorablement à leurs demandes. Combinée aux attentats du 11 septembre, cette victoire des Républicains sur les Démocrates crée un climat favorable à la prévalence des idées de l’IASPS qui commencent à gagner les conseillers en énergie de la Maison-Blanche. Le 25 janvier 2002, elle a organisé un séminaire en présence de plusieurs membres de l’administration Bush, de membres du Congrès et de responsables de l’industrie pétrolière. De ce séminaire  va naître l’African Oil Policy Initiative Group (AOPIG), qui est l’interface entre la sphère privée et publique, et qui publie dans la foulée un livre blanc intitulé African Oil, A Priority for US National Security and African Development[9].

 Ces différentes péripéties vont progressivement donner un cadre général aux actions qui vont être menées par  Washington dans le domaine pétrolier en Afrique. La traduction en acte ne se fera pas attendre : des efforts seront consentis pour donner une plus grande place au pétrole africain dans les importations américaines. Ainsi, en 2001, alors que les importations américaines en pétrole provenaient à 15% de l’Afrique, le rapport Dick Cheney recommandait de les faire passer à 25%. Aujourd’hui, les exportations combinées du Nigéria et de l’Angola dépassent celles de l’Arabie Saoudite vers les USA qui couvrent 18% de leur consommation. D’ici à l’horizon 2015, un quart de la consommation pétrolière des USA devrait donc être assurée par l’Afrique.

D’autre part, des investissements sont aussi engagés sous la direction combinée du secteur privé américain et de la diplomatie américaine. Ainsi a pu voir le jour l’oléoduc Tchad-Cameroun d’un montant 3,5 milliards de dollars afin d’exploiter les champs pétroliers du sud tchadien, dont les réserves sont estimées à un milliard de barils. Cet oléoduc a été inauguré le 10 octobre 2003. Les Américains encouragent aussi l’entière libéralisation du  secteur pétrolier comme ils le font en Algérie, qui envisage de privatiser le puissant groupe d’Etat SONATRACH. Mais gardons à l’esprit que l’objectif est d’abord d’ordre stratégique et sécuritaire pour les Américains. Ainsi, ont-ils l’intention d’établir une base militaire sur Sao Tomé et Principe afin de protéger de près leurs intérêts. En ce sens, en juillet 2002, le général Carlton Fulford, commandant en chef adjoint de la US Navy, s’est rendu sur l’île et il aurait été question durant sa visite de construire une base navale sur « l’autre golfe ». La décision des autorités politiques ne s’est pas faite attendre…

Alioune Seck


[1] BP Statical Review of World Energy 2004, Juin 2005

[2] SEBILLE-LOPEZ Philippe, Géopolitique du Pétrole, Armand Colin, Paris, janvier 2006

[3] DIANGITUKWA Fweley, Les grandes puissances et le pétrole africain, Etats-Unis-Chine : une compétition larvée pour l’hégémonie planétaire, L’Harmattan, Coll. Etudes Africaine, Paris, juillet 2009

[4] Ibid.

[5] CHAUTARD Sophie, Géopolitique et Pétrole, Studyrama Perspectives, Paris, 2007

[6] Ibid.

[7] SEBILLE-LOPEZ Philippe, Géopolitique du Pétrole, Armand Colin, Paris, janvier 2006

[8] LAFARGUE François, « Etats-Unis, Inde, Chine : rivalités pétrolières en Afrique », in Politique Etrangère, 2005/4 (n°216)

[9] SEBILLE-LOPEZ Philippe, Géopolitique du Pétrole, Armand Colin, Paris, janvier 2006

L’Afrique : nouvelle « Arabie » des Etats-Unis (1ère partie)

]Dans les colonnes de The Economist daté du 24 octobre 2002, Walter Kansteiner, ancien courtier en matières première devenu sous-secrétaire d’Etat américain aux Affaires Africaines sous le régime de Georges W. Bush déclarait: « Le pétrole Africain est devenu une question d’intérêt national stratégique pour nous et son intérêt ira croissant ». Alors que l’air du temps est plutôt marqué par des efforts pour réaliser la «révolution verte», le pétrole, source d’énergie fossile qui a été tenue pour partiellement responsable du réchauffement climatique, est l’objet de toutes les convoitises en Afrique, continent doté de réserves pétrolières importantes. Elle est à l’origine d’une compétition larvée entre grandes puissances présentes sur le continent, au premier rang desquels les Etats-Unis.

La révolution énergétique en est encore à ces balbutiements et il semble qu’elle le sera tant que des réserves de pétrole seront découvertes. Or ces dernières années, c’est en Afrique que les prospections pétrolières ont été les plus fructueuses, ce qui pousse AL Stinton, analyste en marché pétrolier à la Deutsch Bank à dire : « The opportunities of expansion are trumendous»[1].

Plus que jamais, les Etats-Unis sont présents sur le continent et mènent une politique africaine dans laquelle le pétrole a pu, au fil des années, acquérir une place prépondérante. Il en est ainsi car les Etats-Unis perçoivent bien que les problèmes énergétiques sont une menace à leur propre sécurité et peuvent sensiblement perturber l’équilibre mondial. Washington mène donc la politique africaine la plus susceptible de répondre à ses intérêts en matière de pétrole.

En réalité, tout part du rapport qu’entretiennent les Américains avec l’or noir. C’est en effet dans ce pays que fut exploité au XIXème siècle le premier gisement pétrolier de l’histoire. Ils ont ainsi pu bénéficier de l’abondance de cette matière première tout au long de ce siècle pour assurer leur expansion économique mais aussi durant toute la première moitié du XXème siècle, avant que ne se posent à eux les difficultés liées à la satisfaction de la demande.

Au lendemain de la Grande Guerre, leur production nationale assurait encore plus de 150% de leur demande intérieur[2]. Mais rappelons que durant les deux guerres mondiales, le rang de grand producteur dont le pays jouissait a contribué de manière décisive à la victoire finale. Le pétrole est aux yeux des Américains une préoccupation d’ordre militaire et stratégique mais aussi et surtout un outil essentiel dans leur vie de tous les jours.
En ce sens, retenons que les Etats-Unis sont un pays à taille continentale avec une superficie de 9,6 millions de Km². Cela n’est pas sans conséquence sur leur mode de vie. D’abord, les variations de température sont très marquées d’un bout à l’autre du territoire causant une grande demande en électricité soit pour le chauffage, soit pour la climatisation. Ensuite, dans l’«American way of life », les moyens de transport individuels, et plus précisément l’automobile, ont une place prépondérante non seulement du fait des longues distances à parcourir fréquemment, comme le trajet domicile-lieu de travail, mais aussi parce que la voiture est un des signes de leur liberté. S’ajoute à tout ceci que les Américains ont traditionnellement eu un penchant pour les voitures de grande taille de type véhicules 4X4 et Pick Up –conformément à leur croyance populaire qui soutient que « when it’s big, it’s good ». Ces véhicules consomment davantage de carburant que la moyenne mais avec la conjoncture actuelle, cette préférence tend à disparaître progressivement.

L’association de ces deux éléments, à savoir l’abondance et les caractéristiques de leur mode de consommation, a ainsi conduit les citoyens de ce pays à percevoir quasiment comme un droit le fait d’avoir à leur disposition un carburant à bas prix. La fiscalité sur les produits dérivés du pétrole est ainsi 6 fois moins élevée aux Etats-Unis qu’en Europe par exemple[3] et pour cause, toute atteinte à cet état de fait est considérée par les citoyens comme une menace à leur qualité de vie voire à leur identité. Les autorités politiques ne peuvent donc utiliser l’outil de la fiscalité pour changer les comportements sans courir le risque d’essuyer de vives protestations et d’être sanctionnés par les urnes.

Or la tendance qui a été observée à partir de l’entre deux guerre fut une évolution inverse entre la production nationale et la demande intérieure américaine. Depuis 1950, la production nationale peine à satisfaire la moitié de la demande et elle ne couvre aujourd’hui que 40% de la consommation. En valeur absolue, on note qu’en 1975 la production nationale était de 550 millions de tonnes ; celle-ci est passée à 375 millions en 2004[4]. A contrario, durant la première moitié de la décennie 2000, la demande en pétrole des Etats-Unis a cru en moyenne de 5% par an mais elle décélèrera avec la crise à partir des années 2006-2007. La consommation journalière du pays est d’environ 25 millions de barils par jour et chaque Américain consomme en moyenne 20 barils par an, la moyenne mondiale se situant autour de 4 barils par personne[5].
De cet état de fait, il est possible de déduire l’équation suivante :
Baisse de la production nationale + Hausse de la consommation nationale = Hausse des importations.
Il revient aux décideurs politiques de la résoudre. L’outil primordial demeure pour eux leur politique étrangère, au service de leur intérêt national qui, en l’occurrence, se définit en termes d’assurance des approvisionnements à moindre coût.

Alioune Seck

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[1] DJOUMESSI Didier, The Political Impacts of the Sino-US Oil Competition in Africa, Adonis & Abbey, London, January 2009

[2] CHAUTARD Sophie, Géopolitique et Pétrole, Studyrama Perspectives, Paris, 2007

[3] Ibid.

[4] SEBILLE-LOPEZ Philippe, Géopolitique du Pétrole, Armand Colin, Paris, janvier 2006

[5] CHAUTARD Sophie, Géopolitique et Pétrole, Studyrama Perspectives, Paris, 2007

 

 

Education et développement

« Il y a un lien évident entre le niveau de développement économique d’un pays et le rang mondial de ses universités. » Cette assertion est de Bill Gates et elle finit de mettre en étroite relation l’économie et l’éducation mais il nous est permit de légitimement élargir la réflexion en ajoutant un troisième terme à la relation à savoir le politique.

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