2014 dans le temps court et le temps long

20142014 ne débute pas sous les meilleurs auspices pour l’Afrique. Pour ne reprendre que les titres qui font l’actualité : début de guerre civile au Sud-Soudan ; guerre civile en République Centrafricaine ; tentative de coup d’Etat en RDC ; situation institutionnelle bloquée en Tunisie ; situation politique délétère en Egypte… Et il faudrait encore citer des réalités moins visibles mais non moins réelles, comme le climat de défiance entre les citoyens et leurs représentants politiques dans nombre de pays africains, au premier rang desquels le géant Sud-africain ; la proportion quasi industrielle et systématique des détournements de biens publics dans certains pays, comme l’a illustré en fin d’année 2013 le scandale au Malawi ayant occasionné la révocation du gouvernement ; un marché de l’emploi qui reste encore trop faible et trop fermé face aux arrivées toujours plus nombreuses de jeunes diplômés. 

Mais le plus pernicieux des maux qui guettent l’Afrique est peut-être le manque de créativité et d’innovation. La créativité et l’innovation ne peuvent être l’apanage de l’art et de la fiction ; ils doivent aussi être le ciment de l’action dans notre réalité, sociale, économique et politique. Il y a tellement de choses qui pourraient marcher mieux que l’on ne peut pas se permettre de subir le présent et de l’accepter tel quel ; il faut non seulement inventer des alternatives à ce qui se fait et se pense aujourd’hui, mais se donner les moyens de mobiliser les ressources pour donner vie à ces alternatives. 

Les membres de ma génération, qui ont aujourd’hui entre 20 et 40 ans, regardent en spectateur plus ou moins concernés l’éventail des problèmes qui se succèdent sur le continent. Nous avons peu prise sur le temps court de l’Afrique, celui des grands évènements qui feront l’actualité de 2014. Mais nous sommes les premiers acteurs du temps moyen de l’Afrique, celui qui définira les décennies à venir d’ici au milieu du siècle, en 2050. A ce titre, nous pouvons faire de 2014 une année charnière où seront posés des jalons qui un jour feront date.    

C’est une résolution que nous nous appliquons à nous-mêmes à Terangaweb – l’Afrique des idées. Notre principal objectif sera, pour l’année 2014, de rendre enfin opérationnel le think-tank que nous imaginons depuis plusieurs années et que nous pensons nécessaire au débat public et à la vie de société dans nos pays africains. Pour rappel, lorsque nous avions créé le site terangaweb.com il y a quatre ans, nous voulions créer un espace gratuit de dialogue, d’échanges d’idées et d’analyses rigoureuses sur l’Afrique, parce que nous considérions que cela manquait sur le web, la plupart des sites étant surtout orientés actualité. 

Nous identifions un même manque dans l’offre actuelle de laboratoire d’idées. Le terme think-tank, ou laboratoire d’idées, désigne une structure indépendante à but non lucratif regroupant des experts produisant des études et des propositions dans le domaine des politiques publiques, afin d’enrichir le débat public et influencer la prise de décision. 

L’espace Afrique subsaharienne francophone se caractérise par un faible nombre de laboratoire d’idées, alors même que le besoin d’expertise manque considérablement à l’animation du débat public et à l’orientation des politiques publiques. Les deux principaux think-tank de l’espace Afrique subsaharienne francophone sont le CODESRIA (basé à Dakar) et le CEDRES au Burkina Faso. Il s’agit de laboratoires d’idées en sciences sociales, très académiques, qui s’inscrivent dans un mode de fonctionnement de l’ancienne génération de laboratoires d’idées, qui vise plus un public expert et académique que le grand public via la diffusion dans les médias et auprès des décideurs de notes d’analyses.

Tout en continuant à améliorer notre site internet terangaweb.com, nous comptons mobiliser notre temps et notre énergie en 2014 pour réaliser l’ambition d’un think-tank, L’Afrique des idées, qui répondrait à ce besoin d’un acteur indépendant créateur, innovant et rigoureux, qui propose des solutions et se mobilise pour leur mise en œuvre, sur des sujets comme l’emploi des jeunes, la protection sociale, la rénovation des fonctions publiques africaines, la préservation et la valorisation durable de l’environnement et du patrimoine écologique, l’inclusivité de la croissance et la réduction des inégalités sociales, la politique monétaire des zones franc CFA, entre autres sujets importants… 

Telle est donc la bonne résolution collective de l’association l’Afrique des idées. Meilleurs vœux de réussite à tous pour 2014 ! 

Emmanuel Leroueil

L’Afrique et ses quatre anomalies

Terangaweb : Quelles sont, selon vous, les perspectives générales de développement de l’Afrique.

Lionel Zinsou : Il a fallu 50 ans à la Corée du Sud pour passer d’un stade de développement proche de celui des pays africains au niveau de développement des pays de l’OCDE. Il faudra sans doute au moins  encore 50 ans pour que l’Afrique noire atteigne ce niveau de développement.

Les décennies 70 et 80 ont été des années de recul pour l’Afrique. La guerre froide a son importance dans ce phénomène. Par exemple, le Bénin s’est considéré comme République populaire marxiste juste par alignement à l’URSS. Cela nous a fait régresser en termes de développement entre 1974 et le début des années 1990.  Et il y a eu pire comme parcours que le Bénin. Les régimes illégitimes soutenus par les uns et les autres étaient exogènes à l’Afrique. 

Pendant longtemps, on pensait que l’on ne pouvait aller que vers plus de sous-développement. C’est ce que professait par exemple l’école de Dakar de Samir Amin, avec sa théorie des « industries industrialisantes ». Mais les accomplissements algériens se sont effondrés. La pensée de la théorie de l’anti-impérialisme est en ruine.

On est donc tenté de regarder les pays qui sont sortis du sous-développement. Il y a des leçons que l’on peut tirer de ces réussites. La première, c’est que le développement n’est pas possible sans l’enseignement pour tous. Et il n’est pas hors de portée d’investir dans l’éducation. On a des économies très hétérogènes, mais nous partageons des anomalies caractéristiques, qui ont été résolues très tôt par les pays asiatiques.

Terangaweb : Quelles sont ces anomalies communes à l’ensemble des économies africaines ?

Lionel Zinsou : La première de ces anomalies, c’est que nous ne faisons pas de commerce avec nous-mêmes. Il n’y a que 12% des exportations africaines qui va vers d’autres pays africains, ce qui est une anomalie mondiale : le chiffre est de 50% pour l’Asie, 75% pour l’Europe. Il n’y a donc aucune forme d’intégration continentale réelle. C’est en train de changer dans la zone Afrique de l’Est, ainsi que dans la zone d’influence de l’Afrique du Sud. Sans régler ce problème, on ne pourra pas aller de l’avant. Nous franchirons sans doute ce handicap, il n’y a pas d’autres moyens pour se développer.

Si vous remarquez, les secteurs qui sont en pleine expansion en Afrique sont ceux qui ne souffrent pas beaucoup des barrières douanières. Ainsi des Télécom, une technologie intégrée qui se développe facilement. Les solidarités entre les diasporas, les migrations internes, sont autant de questions qui évolueront aussi avec cette intégration, et c’est une anomalie qui disparaîtra. Le simple fait de l’intégration de l’Afrique, même si le monde stagnait, serait en soit un facteur de croissance.

La deuxième anomalie, c’est la propriété de l’Afrique.

Terangaweb : Qu’entendez-vous par le problème de la propriété de l’Afrique ?

Lionel Zinsou : Qui possède l’Afrique ? Des gens qui ne s’y intéressent pas. Il y a une série de gens qui ne savent pas que l’Afrique leur appartient. Si on identifie le stock de capital productif africain, on s’aperçoit que la propriété est britannique, française, américaine, espagnole, libanaise. Les anciennes puissances coloniales et leurs auxiliaires, ce sont eux les principaux propriétaires. Il y a quelques groupes africains qui appartiennent à des Africains, en Egypte, au Maroc, en Afrique du Sud, mais sur la masse, ils sont en dixième position. L’Afrique appartient à l’Europe surtout, qui ne le sait pas et qui s’en fout, puisque c’est une partie de son capitalisme le plus archaïque. La France ne connait pas Castel, qui est propriétaire de beaucoup d’entreprises de boissons et d’eau en Afrique. De même en ce qui concerne la CFAO. Les vrais grands intérêts de l’Europe en Afrique ne se définissent pas comme tels : Total tire sa première source de brut en Afrique, son premier pays d’extraction est le Nigéria, et l’Afrique génère 40% de ses profits. Mais personne ne s’en vante. Air France ne se raconte pas comme ayant pour principal centre de profit l’Afrique, de même pour Vivendi ou France Télécom. Ces entreprises ne se décrivent pas comme des entreprises africaines. L’Europe possédait l’Afrique. Mais aujourd’hui, les flux de capital sont chinois, indiens, brésiliens : il y a une dépossession par ces pays, mais aussi une dépossession par les Africains. Le taux d’épargne est de 20% et s’oriente vers le logement, donc l’urbanisation va exploser.

Terangaweb : Quelle sera l’impact de cette urbanisation de l’Afrique en termes de développement ?

Lionel Zinsou : Le vrai pays qui va compter, c’est l’agglomération qui va de Lagos (Nigeria) à Accra (Ghana), qui est un pays transversal. Aujourd’hui, le grand Casablanca, c’est une économie plus importante que le Bénin. Les pays qui comptent dans notre région Ouest, c’est la conurbation Ibadan-Lagos, qui prend tout le sud du Bénin, du Togo et du Ghana. C’est là qu’on retrouve les universités, les aéroports, les ports, les bureaux internationaux. C’est là qu’il va y avoir un gazoduc qui ira d’un bout à l’autre de la conurbation et qui, à partir de l’hydroélectricité du Ghana, pourra fournir en énergie l’ensemble de la zone. C’est ce pays urbanisé transversal aux quatre Etats de la sous-région qui sera le moteur de la croissance en Afrique.

Terangaweb : Après la faiblesse du commerce intra-africain et la non propriété de l’Afrique par les Africains, quelle est la troisième anomalie ?

Lionel Zinsou : L’anomalie du commerce et l’anomalie que le continent n’appartienne pas à ceux qui y habitent, d’où le fait que l’épargne ne se transforme pas en investissements productifs, sont aggravées par le fait que les banques restent faibles et qu’il y a peu ou pas de marché financiers. On est le continent qui a le moins d’instruments financiers modernes. L’épargne n’est pas tournée vers l’investissement productif. L’ensemble des actifs financiers mondial  représente 4 fois 60 000 milliards de dollars, qui est le PIB mondial. En Afrique, ces actifs financiers ne représentent que 125% de son PIB, alors que la moyenne mondiale est de 400% du PIB. Et encore, il faut prendre en compte que la bourse de Johannesburg représente à elle seule 2/3 des actifs financiers africains. Donc il y a encore beaucoup à faire dans le reste de l’Afrique, qui est dans le néolithique financier. Si on retire l’Afrique du Sud, l’Algérie, le Maroc, le Nigeria, le Kenya, on se rend compte qu’on n’a pratiquement aucun instrument financier moderne dans le reste du continent.

Nous avons le moins d’instruments financiers, mais nous sommes le continent qui va le plus vite en bancarisation et qui intègre le plus vite de nouveaux instruments financiers. Pour tirer le parti du fait qu’on a une des épargnes les plus élevées au monde, il faut qu’on développe nos instruments financiers.

Terangaweb : Pensez-vous que les dirigeants actuels sont conscients de ce défi de la financiarisation ?

Lionel Zinsou : Un dirigeant conscient d’un pays d’Afrique francophone constaterait qu’il y a un besoin absolument urgent de modernisation financière.  On risque de voir le Ghana, le Nigeria et le Kenya devenir des grandes puissances, et les pays francophones d’Afrique laissés sur place. L’environnement d’affaire africain est l’un des plus médiocres au monde, sauf pour Maurice ou l’Afrique du Sud.  Partout dans le monde, les banques centrales forcent et incitent à financer les Petites et Moyennes Entreprises, sauf en Afrique de l’Ouest, où cela ne se fait pas. Ces gens là ne font pas leur métier. Qu’ils aillent voir ce qui se fait en Ile Maurice et à Pretoria. Il faut réveiller les banques centrales d’Afrique de l’Ouest, parmi les plus conservatrices au monde.

Terangaweb : Et quelle est la quatrième anomalie qui caractérise les économies africaines ?

Lionel Zinsou : C’est notre secteur primaire, dans lequel on a très peu investi. L’agriculture n’a jamais servi à la mise en valeur du continent ; elle servait à vendre des produits manufacturés à des coûts élevés, en situation de rente. L’agriculture servait à produire du revenu pour les produits manufacturés. D’où le fait qu’il n’y ait pas eu de capital dépensé dans l’agriculture. Les Etats modernes africains indépendants n’ont pas pallié ce défaut, alors que la Thaïlande, le Vietnam, ont commencé par ce chantier comme base de leur développement. Aucun Etat africain indépendant ne s’y est attelé, notamment pour des questions de fiscalité. Nous avons une fiscalité de porte, nous n’avons pas de TVA ni d’impôt sur le revenu, ni d’impôt sur les sociétés. Nous avons donc peu de contribuables,  avec des prélèvements obligatoires parmi les plus faibles du monde. Pour compenser, on pénalise nos exportations par des droits de sortie, ce qui tue la ressource sous-jacente.

C’est l’exemple de la palmeraie à huile au Bénin, qui en était le deuxième pays exportateur au monde. Mais trop de prélèvements fiscaux ont tué ce secteur. Le Sénégal était le deuxième pays producteur d’arachides au monde en 1960, mais les gouvernements successifs ont tué l’arachide par les taxes sur l’exportation, par la fiscalité de porte. La Côte d’Ivoire est le seul régime agrarien de la région qui a su préserver ses exportations agricoles. Ne rien investir dans son agriculture et la tuer par la fiscalité : c’est la meilleure voie pour continuer dans le sous-développement. On peut s’assurer deux siècles de sous-développement comme cela, en créant des émeutes de la faim et des problèmes politiques majeurs. L’exode rural n’est plus un effet de l’augmentation de la productivité agricole, mais de la misère.

Terangaweb : Alors, que faire ?

Lionel Zinsou : Il faut investir dans l’agriculture, et faire la même chose sur l’énergie. Quand on n’investit pas dans la production et le transport d’énergie, et bien on n’a pas d’énergie. C’est notre situation actuelle : on n’a pas d’électricité pour répondre à la demande pendant 15 ans. L’énergie est le deuxième secteur le plus intensif en capital après l’agriculture.

Certaines choses se sont débloquées. Les privatisations ont amélioré la gestion des entreprises, et favorisé la création de valeur. Le passage des PTT publiques à des entreprises de télécom efficaces a ajouté un point de croissance dans plein de pays. Au Bénin, notre organisme de PTT est en faillite, j’avais donné comme conseil au président béninois de ne pas essayé de redresser lui-même l’entreprise. Entre temps, se sont installés des concurrents privés.  Cette gestion privée dynamique a permis de sauver le continent et de créer de la croissance. Dans certains secteurs, télécom et financier, on a fait ce qu’il y avait à faire. Au Kenya, on va avoir un système de paiement par téléphone mobile parmi les plus évolués au monde. 

Il faudrait baisser les prix des aliments de moitié, ce qui est possible en augmentant la productivité agricole. Le litre de lait est à 500 francs CFA au Bénin alors qu’il serait possible avec une hausse de productivité de le vendre à 250 francs. Le programme de développement est très connu, il n’y a pas grand-chose à inventer, il faut voir ce qui a marché chez les uns et les autres, et le faire chez nous.

Terangaweb : Pensez-vous que les diverses économies africaines s’orientent toutes dans la même dynamique de développement ?

Lionel Zinsou : Il y a un vrai risque de dualité entre les pays qui vont choisir ce chemin de développement et les pays francophones qui s’en remettent au secteur informel, à leur diaspora. Il risque d’y avoir un gap au sein de l’Afrique. Il y a une vraie impuissance publique notamment au Sénégal ou au Bénin. L’Afrique francophone a un vrai problème à ce niveau, un vrai risque de décrochage par rapport à l’Afrique anglophone et arabophone. S’il n’y a pas de mode d’emploi du développement, il y a des sujets génériques. On aurait gagné 2 à 3 points de croissance en réglant ces problèmes, ce qui va aider à résoudre des problèmes d’emploi.

Mais certains problèmes anémiques de la croissance perdureront. Le fait d’avoir de la croissance ne suffit pas, notamment concernant le problème de l’emploi des jeunes, ferment révolutionnaire assez fort, qui peu nourrir pas mal de troubles potentiellement. Ce ne sont pas des problématiques simples, car les investissements que j’ai mentionnés sont des secteurs intensifs en capital qui ne créent pas beaucoup d’emploi : investir dans l’agriculture libère de la main d’œuvre. Si on développe l’équipement, on va libérer du travail : ce n’est vraiment pas simple. Il faudra aussi parallèlement investir dans des industries et services de main d’œuvre, il faut que les gens acceptent de payer les services à leur prix.

Terangaweb : Comment ces investissements dans les services de main d’œuvre pourraient-il se traduire concrètement ?

Lionel Zinsou : J’ai personnellement participé à la création au Bénin d’une société de service de nettoyage, manutention, etc. On est dans le secteur formel, on paye impôt et charges sociales, qui accroissent le coût du travail. On est cher, donc on fait du travail spécialisé, pour des sièges sociaux de banque, d’entretien de cliniques, des hôtels, de façon à ce qu’on arrive à faire accepter le concept, avec des gens stables, bien payés, formés, avec formation continue. En 4 – 5 ans, on a équilibré les comptes, créé 200 emplois, donc ce n’est pas désespérant. Ce qui est intéressant, c’est le scepticisme et le cynisme qui nous ont accueillis au début qui commencent à disparaître.

Dans le secteur informel, il y a une exploitation brute des gens avec des conditions d’insécurité exceptionnelles. Il y a un degré de non-respect des standards incroyable par l’économie au noir, qui pose de vrais problèmes macroéconomiques. Le rendement moyen du capital dans le secteur informel est de 15%, donc ils en profitent vraiment, c’est une véritable rente qui explique aussi la perduration de leurs comportements très dangereux. Il faut des organisations capables de faire qualifier les gens, qui peuvent les former, mais c’est beaucoup de changements de comportements. Au Rwanda, il y a une politique d’incitation pour convaincre les entreprises de passer de l’informel au formel. C’est une expérience qui gagnerait à faire école. Dans le secteur informel, il y a des gens qui font de l’exploitation barbare mais aussi des gens qui seraient prêts à rentrer dans le secteur formel pour peu que l’Etat leur garantisse un certain nombre de droits et de prestations. Au Rwanda, il en a résulté une explosion des recettes fiscales grâce à cette politique d’incitation. Tout cela fait partie des politiques à prendre en compte d’urgence. Il faut arriver à inciter.

Il faudra changer des comportements sociaux, parce que la croissance à elle seule ne pourra pas régler les problèmes de développement. Il faut faire sauter les rentes et faire jouer la concurrence pour que les choses marchent.  C’est le b-a.-b-a de l’économie.

Propose recueillis par Emmanuel Leroueil, Nicolas Simel Ndiaye et Tite Yokossi

L’Afrique : nouvelle « Arabie » des Etats-Unis (1ère partie)

]Dans les colonnes de The Economist daté du 24 octobre 2002, Walter Kansteiner, ancien courtier en matières première devenu sous-secrétaire d’Etat américain aux Affaires Africaines sous le régime de Georges W. Bush déclarait: « Le pétrole Africain est devenu une question d’intérêt national stratégique pour nous et son intérêt ira croissant ». Alors que l’air du temps est plutôt marqué par des efforts pour réaliser la «révolution verte», le pétrole, source d’énergie fossile qui a été tenue pour partiellement responsable du réchauffement climatique, est l’objet de toutes les convoitises en Afrique, continent doté de réserves pétrolières importantes. Elle est à l’origine d’une compétition larvée entre grandes puissances présentes sur le continent, au premier rang desquels les Etats-Unis.

La révolution énergétique en est encore à ces balbutiements et il semble qu’elle le sera tant que des réserves de pétrole seront découvertes. Or ces dernières années, c’est en Afrique que les prospections pétrolières ont été les plus fructueuses, ce qui pousse AL Stinton, analyste en marché pétrolier à la Deutsch Bank à dire : « The opportunities of expansion are trumendous»[1].

Plus que jamais, les Etats-Unis sont présents sur le continent et mènent une politique africaine dans laquelle le pétrole a pu, au fil des années, acquérir une place prépondérante. Il en est ainsi car les Etats-Unis perçoivent bien que les problèmes énergétiques sont une menace à leur propre sécurité et peuvent sensiblement perturber l’équilibre mondial. Washington mène donc la politique africaine la plus susceptible de répondre à ses intérêts en matière de pétrole.

En réalité, tout part du rapport qu’entretiennent les Américains avec l’or noir. C’est en effet dans ce pays que fut exploité au XIXème siècle le premier gisement pétrolier de l’histoire. Ils ont ainsi pu bénéficier de l’abondance de cette matière première tout au long de ce siècle pour assurer leur expansion économique mais aussi durant toute la première moitié du XXème siècle, avant que ne se posent à eux les difficultés liées à la satisfaction de la demande.

Au lendemain de la Grande Guerre, leur production nationale assurait encore plus de 150% de leur demande intérieur[2]. Mais rappelons que durant les deux guerres mondiales, le rang de grand producteur dont le pays jouissait a contribué de manière décisive à la victoire finale. Le pétrole est aux yeux des Américains une préoccupation d’ordre militaire et stratégique mais aussi et surtout un outil essentiel dans leur vie de tous les jours.
En ce sens, retenons que les Etats-Unis sont un pays à taille continentale avec une superficie de 9,6 millions de Km². Cela n’est pas sans conséquence sur leur mode de vie. D’abord, les variations de température sont très marquées d’un bout à l’autre du territoire causant une grande demande en électricité soit pour le chauffage, soit pour la climatisation. Ensuite, dans l’«American way of life », les moyens de transport individuels, et plus précisément l’automobile, ont une place prépondérante non seulement du fait des longues distances à parcourir fréquemment, comme le trajet domicile-lieu de travail, mais aussi parce que la voiture est un des signes de leur liberté. S’ajoute à tout ceci que les Américains ont traditionnellement eu un penchant pour les voitures de grande taille de type véhicules 4X4 et Pick Up –conformément à leur croyance populaire qui soutient que « when it’s big, it’s good ». Ces véhicules consomment davantage de carburant que la moyenne mais avec la conjoncture actuelle, cette préférence tend à disparaître progressivement.

L’association de ces deux éléments, à savoir l’abondance et les caractéristiques de leur mode de consommation, a ainsi conduit les citoyens de ce pays à percevoir quasiment comme un droit le fait d’avoir à leur disposition un carburant à bas prix. La fiscalité sur les produits dérivés du pétrole est ainsi 6 fois moins élevée aux Etats-Unis qu’en Europe par exemple[3] et pour cause, toute atteinte à cet état de fait est considérée par les citoyens comme une menace à leur qualité de vie voire à leur identité. Les autorités politiques ne peuvent donc utiliser l’outil de la fiscalité pour changer les comportements sans courir le risque d’essuyer de vives protestations et d’être sanctionnés par les urnes.

Or la tendance qui a été observée à partir de l’entre deux guerre fut une évolution inverse entre la production nationale et la demande intérieure américaine. Depuis 1950, la production nationale peine à satisfaire la moitié de la demande et elle ne couvre aujourd’hui que 40% de la consommation. En valeur absolue, on note qu’en 1975 la production nationale était de 550 millions de tonnes ; celle-ci est passée à 375 millions en 2004[4]. A contrario, durant la première moitié de la décennie 2000, la demande en pétrole des Etats-Unis a cru en moyenne de 5% par an mais elle décélèrera avec la crise à partir des années 2006-2007. La consommation journalière du pays est d’environ 25 millions de barils par jour et chaque Américain consomme en moyenne 20 barils par an, la moyenne mondiale se situant autour de 4 barils par personne[5].
De cet état de fait, il est possible de déduire l’équation suivante :
Baisse de la production nationale + Hausse de la consommation nationale = Hausse des importations.
Il revient aux décideurs politiques de la résoudre. L’outil primordial demeure pour eux leur politique étrangère, au service de leur intérêt national qui, en l’occurrence, se définit en termes d’assurance des approvisionnements à moindre coût.

Alioune Seck

——————————————————————————–

[1] DJOUMESSI Didier, The Political Impacts of the Sino-US Oil Competition in Africa, Adonis & Abbey, London, January 2009

[2] CHAUTARD Sophie, Géopolitique et Pétrole, Studyrama Perspectives, Paris, 2007

[3] Ibid.

[4] SEBILLE-LOPEZ Philippe, Géopolitique du Pétrole, Armand Colin, Paris, janvier 2006

[5] CHAUTARD Sophie, Géopolitique et Pétrole, Studyrama Perspectives, Paris, 2007

 

 

« Le Temps de l’Afrique », une lecture critique : quelles politiques publiques pour l’Afrique ?

Cet article issu du numéro 47 du magazine « Economie Politique » est une analyse critique de l’ouvrage de Jean-Michel Severino et Olivier Rey Le Temps de l’Afrique paru en 2010 Chez Odile Jacob. Le magazine utilise en réalité analyse pour livrer sa propre vision de l’Afrique du XXIe siècle et des enjeux qui l’attendent. La palette des thèmes abordés est très large. Il en va aussi bien de la démographie et de la nécessaire gestion de l’ « explosion urbaine » en cours, que de la nouvelle structuration sociale africaine où les analyses sociologiques ont délaissé le modèle d’identité ethnique pour celui d’ « identité plurielle ».

 

Cela dit, le thème central reste l’économie. Le magazine revient notamment sur les raisons des crises africaines des décennies 1980 et 1990 ainsi que sur les « sources internes de la croissance » du continent depuis le début des années 2000.

 

En toile de fond de cette analyse, le magazine cherche surtout à expliquer comment l’Europe est en train de passer à côté de la croissance de l’Afrique à l’inverse de la Chine de l’Inde et du Brésil, se posant du même coup la question du réel poids des pays africains dans les négociations  de contrats avec ces nouvelles puissances.

http://www.leconomiepolitique.fr/-le-temps-de-l-afrique—une-lecture-critique—quelles-politiques-publiques-pour-l-afrique-_fr_art_942_50118.html

Giovanni C. DJOSSOU

« Le marché bancaire en Afrique n’est plus un exotisme »

Le secteur bancaire en Afrique subsaharienne connaît actuellement ce que l’on n’hésite déjà plus à qualifier de « révolution ». Dans un article paru aux Echos, Daniel Bastien offre une analyse très pertinente de ce formidable essor naissant.

Le siège de la Zenith Bank au NigériaL’auteur explique qu’en raison de la faible implantation d’agences bancaires de proximité et de règles souvent trop rigides (solde minimum, frais élevés), le taux de bancarisation de la population s’est maintenu au niveau particulièrement faible de 10%. Le patrimoine des ménages ruraux est ainsi détenu à 80% sous forme d’actifs non financiers ; le bétail est largement utilisé comme réserve de valeur.

Parallèlement, les pays de la région connaissent un fort dynamisme économique. L’auteur désigne quatre causes principales à cela :

  • la croissance démographique
  • le boom des échanges
  • les délocalisations vers le continent
  • les transferts des migrants

Cette expansion, ainsi que les perspectives de croissance à venir, font de la région une zone privilégiée par les banques. Celle-ci était jusqu’alors un secteur cloisonné où quelques gros acteurs (Barclays, Standard Chartered) monopolisaient l’activité, accordant de petits prêts coûteux. Cependant, l’augmentation récente des rendements anticipés par les institutions financières a ouvert le marché à la concurrence. Nombre de banques africaines comme la United Bank for Africa (Nigeria) ou la BIM (Mali) déploient désormais leur activité dans toute la région.

Daniel Bastien met en évidence les retombées positives de cette concurrence nouvelle. Elle « nettoie le marché », permet des regroupements (et partant, des économies d’échelles) ; elle suscite également la création de nouveaux métiers, tout en professionnalisant les populations.

Vous trouverez l’intégralité de l’article de Daniel Bastien ici : www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/finance-marches/actu/020979573863.htm

Tidiane Ly

Sud-Soudan : la famille s’agrandit

Le grand vent de l’Histoire souffle sur les terres africaines en ce début d’année 2011. Au terme d’une semaine de scrutin référendaire, du 9 au 16 janvier, les électeurs sud-soudanais se sont mobilisés à plus de 90% pour affirmer l’indépendance de leur territoire. Le territoire en question est vaste, d’une superficie supérieure à la France métropolitaine (environ 590 000 km²), mais faiblement peuplé (environ 9 millions d’habitants). Le pays qui ne naîtra officiellement qu’en juillet 2011 et dont on ne connaît pas encore le nouveau nom, sera l’un des plus pauvres du monde : très faiblement doté en infrastructures, un indice de développement humain parmi les plus faibles (85% d’adultes analphabètes), il dispose cependant d’un certain nombre d’atouts parmi lesquels des terres agricoles fertiles et ses ressources pétrolières (80% des réserves pétrolières du Soudan estimées à 6 milliards de barils, pour une production actuelle aux alentours de 450 000 barils/jour).

Sur la situation sociale du Sud-Soudan : la note de l’ONG Oxfam présente sur le terrain : http://www.oxfam.org/sites/www.oxfam.org/files/apres-referendum-soudan_note-oxfam_110107.pdf

Continue reading « Sud-Soudan : la famille s’agrandit »

L’Afrique du Sud ou les immenses défis du développementalisme (2)

Comment juger du succès d’une politique économique ? Longtemps, la réponse a été simple : la forte croissance du PNB, à savoir l’augmentation du volume total de la production économique nationale. Si l’on s’en tient à ce seul critère, il nous faut nous rendre à l’évidence : la politique économique de l’Afrique du Sud, sur les dix dernières années, a été couronnée d’un relatif succès. En effet, depuis 1999, le taux de croissance moyen du PNB a été de 3%, avec un pic ces derniers temps (moyenne de 5% depuis 2006). Il faut aussi rappeler que l’Afrique du Sud était en récession économique (de 1988 à 1993) quand l’ANC a pris le pouvoir, ce qui porte la comparaison à son avantage. Succès relatif toutefois, parce que l’Afrique du Sud pouvait, structurellement, mieux faire. Comme toute économie émergente en phase de rattrapage économique, ce pays sort d’un état de sous-exploitation de ses ressources économiques (main d’œuvre, ressources naturelles, marché intérieur, opportunités d’investissements, etc.), ce qui lui permet normalement de connaître de forts taux de croissance, comparés aux économies développées matures. Or, des taux de croissance à 3% ou 5% sont dans la fourchette basse des résultats des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine), groupe auquel l’Afrique du Sud aspire à faire partie.

Il n’en demeure pas moins que la plupart des analystes salue le « miracle économique sud-africain », sorte de locomotive d’une Afrique à la traîne. Deux hommes sont crédités du mérite de ce succès : l’ancien président Thabo Mbeki et son ministre des finances Trévor Manuel. Continue reading « L’Afrique du Sud ou les immenses défis du développementalisme (2) »

L’actualité de la Négritude: être et demeurer métis

La Négritude est de nos jours trop vite évacuée quand on ne finit pas de reprocher aux écrivains qui en furent les pionniers d’avoir écrit en français. Pourquoi les poètes de la Négritude ont-ils écrit en français? Fut-ce-t-elle un classique, cette question semble la plus à même de laisser transparaitre en l’occurrence l’actualité de la Négritude dont elle révèle d’ailleurs la quintessence.

Léopold Sédar SENGHOR lui-même répondait à cette question dans la postface d’Ethiopiques[1]

Voici (et on y reviendra) ce qu’en dit le poète de la Négritude et non moins futur membre de la prestigieuse Académie française : « Mais on me posera la question : pourquoi, dès lors, écrivez-vous en français? – Parce que nous sommes des métis culturels… ». Continue reading « L’actualité de la Négritude: être et demeurer métis »

Quel chemin vers l’Union Africaine ? (2)

Quel serait l’intérêt d’une union africaine structurée ? Trois objectifs semblent aujourd’hui primordiaux : construire un vaste marché intérieur réglementé, à même de produire la richesse nécessaire pour sortir l’Afrique du sous-développement économique ; pacifier les relations entre Etats et consolider les liens entre les différentes sociétés internes au continent africain, à travers des institutions politiques représentatives et intégrantes ; ancrer l’Afrique dans l’espace mondial et le processus de globalisation.

Pour répondre à ces défis, l’espace continental africain est pertinent à plusieurs égards : en plus de sa cohérence géographique, il existe une communauté de destin historique que l’on ne peut ignorer. Encore plus qu’au passé, l’Histoire africaine se conjugue au présent et au futur : le défi du développement socio-économique et du vivre-ensemble s’impose à l’ensemble des pays du continent.

Ceci étant dit, quel chemin vers l’union africaine ? J’ai déjà indiqué ma préférence pour la stratégie « gradualiste » par rapport à la vision « maximaliste » de l’unité africaine ; j’en expliquerai les raisons en me référant aux trois objectifs identifiés précédemment. Continue reading « Quel chemin vers l’Union Africaine ? (2) »