Au-delà de l’aspect ludique du sport

On ne saurait parler d’activités sportives à l’échelle mondiale sans mentionner l’Afrique, représenté partout dans le monde par les talents de ses sportifs, dans presque toutes les disciplines. Néanmoins le continent n’est lui même qu’est spectateur et un consommateur de toute cette industrie. Il semble impératif pour l’Afrique, qui dispose d’un potentiel énorme en matière de sport, d’inclure ce secteur dans sa stratégie de développement. Il faudrait à cet effet, une dynamique de groupe et s’appuyer sur le secteur privé.


une_sportLe sport est un secteur qui subit plusieurs mutations, qui connaît une croissance assez rapide et qui ne laisse personne indifférent. Cependant son incidence macroéconomique est sous–estimée. Il est selon PricewaterhouseCoopers, le seul secteur qui n’a pas connu la crise et son marché à l’échelle mondiale devrait connaître une croissance annuelle moyenne de 3,7 % d'ici à 2015[1]. Du fait du manque de données sur ce secteur, il serait difficile de chiffrer son poids et son impact dans une économie. Toutefois, s’il intéresse autant de monde c’est qu’il revêt une certaine importance. Sur le plan économique, il peut influencer positivement la valeur ajoutée de certains secteurs et le pouvoir d’achat notamment à travers les grandes manifestations sportives mais aussi être créateur d’emplois (directs et indirects). En effet, la mondialisation, la commercialisation et la professionnalisation du sport ont placé ce secteur au centre même de l’activité économique : la vente de droit de diffusion, les ventes de billets, l’augmentation du mécénat sportif, la construction et l’installation de structures sportives et de loisirs se sont développés un peu partout dans le monde.

Dans cette dynamique, l’Afrique reste en retrait et maintient son statut de « livreur » de matières premières. Un article[2] de Radio France Internationale recensait en 2008 près de 260 joueurs africains évoluant dans des championnats de haut niveau (1ère division) en Europe, sans compter ceux qui se font former et ceux évoluant dans des catégories inférieurs. Nombreux sont ceux qui évoluent en Amérique du Nord (notamment Etats-Unis) et très récemment dans les pays du Golfe (notamment le Qatar et Emirats Arabes Unis). Et là encore, il ne s’agit que du football. Même si des compétitions existent au niveau local, y compris des compétions à l’échelle africain, il n’en demeure pas moins que les sportifs africains sont plus portés par une aventure à l’extérieur quand ils en ont l’opportunité. De fait, le sport est d’abord perçu en Afrique comme une activité ludique et dans une moindre mesure comme une certaine fierté nationale mais très rarement comme une opportunité d’affaires.

Loin d’être le secteur porteur de développement pour l’Afrique, le sport a aussi une partition à jouer dans le concert du développement en Afrique. Si le talent et le potentiel de l’Afrique en matière de sport n’est plus à démontrer, il serait nécessaire de repenser la stratégie africaine concernant ce secteur afin de répondre à ses besoins et de bénéficier de façon effective de ses retombées.

Avoir une meilleure visibilité du secteur : les statistiques

Si le secteur du sport est capable de contribuer aux objectifs de développement, notamment en termes d’emplois, dans les pays africains ; il est nécessaire de rendre explicite cette contribution. Cette visibilité permettrait d’orienter les actions à mettre en œuvre afin de tirer profit de son potentiel. En Afrique, des statistiques sur le secteur du sport sont complètement inexistantes. Il faudrait dès lors identifier des méthodes et des mécanismes pouvant permettre la prise en compte du sport dans la définition des politiques de développement. Ceci devrait être possible sans pour autant avoir à engager des fonds supplémentaires pour créer des structures spéciales ou des mécanismes supplémentaires. Le dispositif pourrait déjà se reposer sur les structures statistiques existant. Autant, il est possible de disposer des informations sur le secteur agricole et touristique, il devrait être possible de disposer d’informations directement et indirectement liées au sport, auprès des services dédiés (Fédérations, Ministère, etc.). Il conviendrait avant toute chose, de considérer le sport comme une activité économique et d’en déterminer une définition qui permettrait de couvrir les activités de base du sport (exploitation d’installation sportive et les services) et les autres acteurs économiques directement ou indirectement touchés par ce secteur (les centres de formation, les sociétés de publicité, les fabricants d’articles, les commerçants, le secteur touristique, le secteur de la santé et etc.).

Ceci ne suppose pas que le secteur du sport n’est pas pris en compte dans l’établissement des gradeurs économiques des pays mais stipule juste que le manque de données spécifiques à ce secteur empêche sa visibilité et d’accéder aux opportunités qu’il offre.

Financer les activités sportives

Afin de profiter au maximum des retombées du secteur du sport, il est impératif d’y investir. Si nous élargissions le champ du sport à tous les secteurs qui de façon direct ou indirect y sont impliqués, il serait impératif aux pays africains de s’imposer un cadre d’investissement dans le secteur du sport. Cela permettrait à ce secteur d’émerger à un niveau de compétitivité économique de classe mondiale. La principale source de financement des organisations sportives en Afrique est constituée des cotisations d’adhésion, des subventions provenant des fédérations sportives internationales (FIFA pour le football, FIBA pour le basket, …) et des Etats, et dans une moindre mesure de partenaires privés très irréguliers, qui se servent occasionnellement des compétitions pour faire de la publicité ; plaçant ainsi le sport en Afrique à un niveau amateur, bien que les clubs sportifs se disent « professionnels ». Pour preuve, pour un match de 1re division de football ou de basket en Afrique, les spectateurs peu nombreux ne sont pas aptes à payer leur ticket et quand l’entrée est payante la contrepartie est insignifiante. Dans certains cas, quand le spectateur doit choisir entre un match d’une ligue européenne et une ligue africaine, le choix est vite fait. Ceci appelle à définir une stratégie devant permettre de professionnaliser le sport afin d’y attirer des investissements novateurs ; et cela nécessitera une forte implication des Etats. 

Si l’on perçoit le sport comme une industrie du divertissement avec comme intrants les sportifs et les structures, les consommateurs ne seront prêts à dépenser que si le produit final (la prestation) est de bonne qualité. Il s’agira alors pour l’Etat de développer les infrastructures, à travers des partenariats public-privé par exemple. Cette approche incitera à la recherche de la rentabilité des sites. Pour ce faire, le rendement des intrants (les sportifs) sera renforcé en leur fournissant des équipements adaptés en plus d’une meilleure rémunération, engendrant de facto une meilleure qualité des prestations. Il s’en suivra le développement de tout un ensemble d’activités connexes, qui elles-mêmes pourront se muter en des entités plus importantes : équipementiers, audiovisuelle, compagnie publicitaire, industrie de l’automobile et secteur du transport, industrie agro-alimentaires, immobilier ; favorables à la création d’emplois. Les pays pourront ainsi se positionner pour organiser des compétitions de classe mondiale, faisant ainsi par le même temps la promotion touristique du pays. En retour, les Etats pourront percevoir des revenus, au travers des mécanismes de taxation et l’exploitation des structures, qui pourront être réinvestis dans d’autres secteurs comme le tourisme.

Une approche communautaire

Compte tenu du caractère variable du sport en fonction des spécificités locales, ce secteur peut constituer un instrument de développement à l’échelle nationale et continentale, s’il s’insère dans une dynamique communautaire. En effet, il existe une synergie assez considérable entre le sport et le tourisme, favorisant la modernisation des infrastructures et suscitant la mise en place de nouveaux mécanismes de financement. Compte tenu de la situation économique actuelle des Etats africains, ils ne pourraient engager seuls à l’échelle nationale le développement des infrastructures sportives. Ainsi, il serait profitable aux pays africains d’engager de façon communautaire au travers de fonds communs, même si l’objectif première n’est pas la promotion du sport. Des projets de nature sportive pourraient être greffés à des projets visant à la promotion du tourisme, à l’urbanisation, à la compétitivité ou encore plus simplement dans des projets de coopération. De plus, certaines actions mis en place ou à mettre en place au niveau régional (libre circulation des personnes et des biens, harmonisation des droits fiscaux, …) peuvent servir dans la préparation et dans la pérennisation de manifestations sportives importantes et peuvent en retour profiter de ces manifestations pour consolider l’intégration. Tel peut être le cas avec la CAN ou l’Afrobasket, où des projets communs peuvent être cofinancés pour assurer le transport des compétiteurs, leur hébergement ou même faciliter leur passage d’un pays à un autre.

Ces dernières années, le secteur du sport s’est magistralement transformé en une industrie qui acquiert de plus en plus d’importance économique un peu partout dans le monde mais l’Afrique semble plutôt désintéressée par ce secteur. Si le secteur est difficilement maitrisable empêchant toute prise de décision, il semble impératif pour l’Afrique, qui dispose d’un potentiel énorme en matière de sport, d’inclure ce secteur dans sa stratégie de développement. Pour ce faire, il faudrait une dynamique de groupe et s’appuyer sur le secteur privé tout prenant soin de définir un cadre réglementaire et d’information afin de circonscrire la pratique du sport mais aussi de mesurer d’autre part, la contribution de ce secteur aux économies africaines.

Foly Ananou

Réduction de la pauvreté et des inégalités : quelques leçons des BRICS ?

4brics2234Un article précédent discutait de la trajectoire des BRICS en matière de réduction de pauvreté et des inégalités. S’il dépeint une situation plutôt mitigée, l’expérience de ces pays constitue néanmoins une source d’enseignements pour les pays africains, qui aspirent tous à améliorer leur situation socio-économique. De cette précédente analyse, il ressort essentiellement trois points qui méritent une attention particulière pour garantir que les plans et autres stratégies de développement dressés par les pays puissent favoriser une croissance robuste, inclusive et suffisante pour soustraire les populations de leur situation de précarité. Il faut préciser que les points discutés dans les lignes à suivre, relèvent davantage de l’expérience de la Chine, de l’Inde et dans une moindre mesure du Brésil, la situation de l’Afrique du Sud étant assez particulière. Il ne s’agit pas ici de donner un canevas pour les stratégies de développement mais plutôt d’attirer l’attention sur des dispositions à observer pour que ces stratégies ne contribuent pas à approfondir la pauvreté et les inégalités.

Premièrement, laccès aux ressources apparaît comme lun des facteurs clés permettant de garantir que la main d’œuvre locale contribue et tire profit de sa richesse. En Afrique subsaharienne où l’agriculture demeure un secteur prépondérant, faciliter l’accès à la terre devient donc crucial. A cela, il faudra ajouter les compétences permettant de valoriser cette ressource. Les performances chinoises en termes de croissance et de réduction de pauvreté montre à juste titre que les efforts des autorités pour garantir l’accès à la terre tout en mettant en place un réseau d’infrastructures performantes en milieu rural (électricité, centre de santé, réseau routier, école) ont permis aux ruraux de valoriser leurs terres, en ne se limitant pas à la production de culture de subsistance et en s’impliquant aussi dans d’autres activités génératrices de revenus. Les deux sont indissociables. En effet, garantir l’accès aux ressources (financières ou foncières) sans renforcer le capital humain conduit à la situation de l’Inde : une croissance forte (portée par des secteurs intensifs en capital) mais non génératrice d’emplois, canal principal de diffusion de la richesse créée.

Si en Chine la stratégie visant à assurer une distribution quasi-équitable des ressources a été portée par la politique communiste des autorités ; en Inde, ce fut plutôt la réforme du secteur financier qui a favorisé l’accès aux ressources (notamment financières). Au Brésil, la mise en œuvre de la politique de redistribution conditionnée à une meilleure prise en charge de la santé et de l’éducation des enfants a permis de relever le niveau du capital humain (pour les générations futures) tout en permettant aux parents d’accéder à des ressources financières qui leur ont permis de financer des activités génératrices de revenues.

Deuxième, il est nécessaire dintensifier les investissements dans les secteurs à forte valeur ajoutée et générateurs demplois. De fait, les nouvelles aptitudes de la force de travail ne garantissent pas à elles seules qu’il y ait de la croissance, et encore moins qu’elle soit inclusive, si l’économie ne s’y prête pas. La main d’œuvre doit être absorbée afin de contribuer effectivement à l’accroissement de la richesse. Il faut donc pour se faire, identifier et promouvoir les secteurs porteurs de croissance capables de générer suffisamment d’emplois pour absorber la main d’œuvre. C’est le cas aujourd’hui dans certains pays d’Afrique où la jeunesse est suffisamment qualifiée mais au chômage. Une situation qui peut trouver son explication dans le fait que les secteurs pouvant absorber cette main d’œuvre ne sont pas ceux qui bénéficient le plus des investissements. L’expérience des BRICS est particulièrement édifiante sur la question. Si en Chine, la stratégie d’amélioration des conditions d’accès aux ressources et de renforcement du capital humain s’est accompagnée d’une politique d’intensification des investissements dans des secteurs intensifs en ressources humaines, notamment dans le secteur agricole; en Inde, les investissements étaient plus orientés dans les secteurs intensifs en ressources financières. On pourra toujours avancer l’argument de l’entreprenariat mais la réalité est que l’intensification des investissements dans les secteurs intensifs en capital (très généralement tournée vers l’exportation) crée ou maintient les obstacles à l’entreprenariat et contraint la main d’œuvre à s’orienter vers l’informel où les salaires sont très bas et la productivité très faible.

Enfin, la sécurité sociale constitue une mesure importante qui permet une redistribution de la richesse. Si en Chine et en Inde, la question n’est pas au centre des stratégies socio-économiques, au Brésil, elle a permis de réduire considérablement la pauvreté et les inégalités. Comme le signale Lagassane, un système de protection sociale qui fonctionne bien, permet de soustraire les plus vulnérables de leur situation tout en favorisant une relance continue de l’économie par la demande[1]. Cette sécurité sociale peut prendre plusieurs formes (un revenu minimum aux chômeurs et aux retraités, facilitation de l’accès à l’éducation et aux services de santé, etc) mais elle doit : (i) se positionner comme un complément au revenu et non un substitut, (ii) affecter les ménages et non l’individu, (iii) être conditionné à des mesures visant soit à renforcer le capital humain (inscription des enfants à l’école, santé maternelle, etc.), soit à encourager l’entreprenariat.

Au-delà de ces différents aspects, la croissance ne serait inclusive si elle ne relève pas dune détermination politique. En effet, différents modèles peuvent permettre d’atteindre des taux de croissance forts sur une longue période mais ceci ne garantit pas qu’ils puissent profiter aux populations. Il faut que le caractère « inclusif » soit une priorité des autorités. C’est le cas en Inde et en Afrique du sud, où les autorités accordaient beaucoup d’importance à la croissance, espérant que cela suffise pour réduire la pauvreté et les inégalités, s’attachant donc moins à savoir « comment » cette croissance était générée et à « qui » elle profitait. Au Brésil et en Chine (d’avant 1978), la question de l’inclusion sociale était au centre de la stratégie des autorités; une importance moindre étant accordée aux performances économiques. Il revient donc aux autorités, selon le contexte de chaque pays, de définir la stratégie optimale qui puissent permettre, non pas de faire des taux de croissance à deux chiffres (comme l’indique de nombreux « plan d’émergence ») mais plutôt d’avoir des performances socio-économiques portées par le potentiel réel (potentiel qui peut considérablement être amélioré) du pays et par son capital humain, afin que le développement des pays africains s’assimilent davantage à une course d’endurance plutôt qu’à une course de vitesse.

Foly Ananou


[1] Les ménages disposant plus de revenus, augmentent leur propension à consumer, ce qui se traduit par une hausse de la demande globale et donc à augmenter l’offre (à produire plus), à la condition que les habitudes de consommations du pays ne soient pas satisfait par des produits importés. 

Les zones économiques spéciales : un outil de développement encore mal utilisé

UntitledLes performances économiques actuelles de l’Afrique ne s’accompagnent pas systématiquement d’une mutation de sa structure économique et dans une moindre mesure des conditions sociales, notamment l’accès à l’emploi. De fait, les chiffres de croissance publiés sur l’Afrique sont portés notamment par la consommation privée et par les activités d’exploitation des ressources naturelles. Pour pérenniser ces performances, la création d’emplois et la transformation structurelle constituent un défi considérable pour les stratégies de développement des pays africains. La complexité de ce processus nécessitera l’action de l’Etat. Ces stratégies intègrent donc des politiques visant à générer des emplois et à consolider de façon pérenne les performances économiques du pays. L’une de ses stratégies est la mise en place de zones économiques spéciales (ZES).

Les ZES sont des enclaves territoriales qui fournissent un cadre plus avantageux (infrastructures et fourniture de services publics impossible à réaliser à l’échelle nationale) pour les entreprises et destinées à attirer les investisseurs locaux et étrangers. Si ces zones semblent attractives, rien ne garantit qu’elles puissent effectivement favoriser l’installation d’entreprises et générer des emplois ou avoir des effets d’entrainement sur le reste de l’économie. De toute façon, de nombreux pays africains y ont déjà recours, sans que leur impact ne soit vraiment significatif.

Selon le FIAS (2008), les emplois générés en Afrique subsaharienne par les zones économiques spéciales représenteraient à peine 0.2% des emplois formels alors qu’elles contribueraient à près de 50% du total des exportations, avec un effet de ricochet très limité sur le reste de l’économie. De fait, des travaux du CNUCED (2003) révèlent que les entreprises installées dans ces zones, en Afrique, utilisent des inputs importés et une main d’œuvre locale non qualifiées et produisent des biens destinés à l’exportation. Cette situation n’en appelle pas à supprimer les ZES mais plutôt à repenser leur structure. De fait, elles ont été un succès en Asie et dans certains pays africains (en particulier l’île Maurice et dans une moindre mesure le Kenya). Le défi serait donc d’identifier les composantes essentielles qui puissent permettre d’optimiser l’impact que pourrait avoir cette politique.

Selon la littérature, il existe trois types de ZES qui pourraient permettre d’atteindre les objectifs de développement. Afin de bénéficier des avantages liées à une préférence commerciale (AGOA des Américains ou encore Tout sauf les Armes de l’UE, par exemple), un pays peut mettre en place une ZES. L’objectif serait dans ce cas d’importer des matériaux, assurer leur transformation et exporter des produits finis définis dans le cadre des accords. Il présente cependant l’inconvénient d’être limité dans le temps à la mesure où les termes de l’accord relatif aux préférences commerciales peuvent changer. Un pays ne devrait donc utiliser cette mesure que s’il dispose des capacités lui permettant de tirer le maximum de profit de la période de validité de l’accord mais aussi de s’adapter assez rapidement quand les termes des accords préférentiels changent. C’est donc un risque considérable.

Malheureusement, c’est ce type de ZES que l’on retrouve dans la majorité des pays d’Afrique subsaharienne (avec les zones franches) et les expériences ont prouvé que leurs contributions à l’économie, notamment en matière de transformation structurelle et de création d’emplois, sont très limités. En outre, selon les travaux de Cling et al (2007) la fin du MFA (Multi Fibre Arrangement)[1] a eu des impacts négatifs sur les pays ayant mis en place des clusters spécialisés dans l’assemblage de vêtements, notamment l’île Maurice, le Kenya et le Madagascar où l’industrie textile est composée essentiellement d’entreprises étrangères (françaises ou chinoises). 

Les deux autres formes de ZES se bâtissent en fonction des avantages comparatives : soit en conformité avec celles-ci ou en les considérant comme un défi. Dans le premier cas, il s’agit de créer une zone économique qui permettrait d’exploiter au mieux les dotations en ressources naturelles du pays. Le second cas, plus complexe, consiste à créer les conditions afin de doter le pays d’avantages comparatifs. Ce genre de ZES tend à spécialiser les entreprises dans un domaine leur permettant d’approfondir et d’accélérer le processus d’industrialisation, en partant d'un seul secteur. Les entreprises apprennent l’une de l’autre, profitent des économies d’échelles, renforçant ainsi la concurrence et l’innovation.

Ce type de ZES a produit des résultats encourageants comme le montre les travaux de Nadvi et Barrientos (2004). Elles génèrent des emplois et ont un véritable effet de ricochet sur le reste de l’économie. La littérature identifie certains sucess stories comme le cluster de Tema (Ghana) qui s’est spécialisé dans l’agro-alimentaire, celui de Jurong Park de Singapour spécialisé dans l’industrie pétrochimique ou encore celui de Penang en Malaisie qui a développé tout une industrie sur l’électronique. Le succès de ces zones économiques ne tient pas seulement au fait qu’elles se soient spécialisées sur la base des avantages comparatifs mais surtout parce que les entreprises installées dans cette zone entretiennent d’importantes relations entre elles mais aussi avec l’administration publique, ce qui facilitent les partagent d’expérience, de connaissance et de technologie avec les autres entreprises du pays non installées dans la zone.

Les autorités devraient ainsi créer en marge de la mise en place des ZES un cadre favorable au partage entre les entreprises. Par ailleurs, il faut mettre en place des mécanismes pouvant permettre d’assurer le développement continue et pérenne de ces ZES. Au Singapour et en Malaisie, les autorités ont mis en place en marge du ZES, des mesures visant à renforcer le capital humain et à promouvoir le développement technologique. La mise en place de ces mesures, portées par le  secteur privé local, a permis de garantir le succès de ces zones.

En outre, pour optimiser l’apport des ZES à l’économie, leur mise en place devrait s’inscrire dans une stratégie globale de développement. Les politiques économiques mis en place ne devraient pas s’articuler autour de la zone mais devraient tenir compte de leur particularité tout en demeurant propres à toute l’économie. Ainsi, si la mise en place d’une ZES nécessite la levée de certaines barrières réglementaires, il faudrait pouvoir identifier tout ce qui constituerait des barrières à toute l’économie et y apporter des solutions appropriées. Si la mise en place d’une ZES nécessite la mise en place d’un cadre favorable visant à favoriser l’accès au financement bancaire, par exemple, toute politique visant à atteindre cet objectif, ne devrait pas se limiter aux seules entreprises installées dans la zone mais devrait être élargie à toutes les entreprises de l’économie.

La mise en place de ZES ne renforce donc pas systématiquement l’entreprenariat mais y contribue en favorisant la mise en œuvre de réformes qui rendent l’environnement favorable pour des investissements productifs. La mise en place de ZES devrait donc s’accompagner de mécanismes destinées à renforcer le capital humain, à assurer le développement technologique et à améliorer le climat des affaires entres autres.

Un autre point très important, est la localisation géographique. Une ZES ne devrait pas s’articuler autour du développement d’une localité ou d’une région mais devrait s’inscrire plutôt dans une logique de mis en place d’un poumon économique capable de rythmer et de dynamiser l’activité.

L’utilisation des zones économiques spéciales en Afrique comme outil de développement économique n’est pas problématique mais nécessite au regard des performances qu’elles génèrent d’être revue. Si les ZES en Asie ont été d’un grands succès, c’est surtout parce qu’elles ont été pensées avant tout comme partie intégrante de la stratégie de développement du pays et non comme outil de promotion des exportations, comme c’est le cas de nombreux pays africains aujourd’hui.

Somme toute, afin de profiter effectivement des capacités des ZES à générer de l’emploi et à impulser la transformation structurelle (primordiale pour la pérennisation de la croissance), les autorités devraient en plus d’intégrer cet outil dans leur stratégie de développement, mettre en place des mécanismes permettant de renforcer la résilience de l’économie à la conjecture internationale, s’appuyer sur les acteurs locales (les entrepreneurs) afin d’identifier les réformes à entreprendre pour rendre l’environnement des affaires favorables et pour appuyer le développement technologique et l’innovation.

Ce faisant, la dynamique au sein de la ZES pourrait se diffuser au reste de l’économie. Aujourd’hui, l’intégration de cet outil dans les stratégies de développement semble déjà une réalité : dans le cadre de son plan Sénégal Emergent (PSE), le Sénégal souhaiterait mettre en place une ZES à Diamniado non loin du nouvel aéroport et le Gabon est en train d’en mettre une en place à Nkok, selon les directives de son « Plan Stratégique Gabon Emergent ». La question qui demeure, est de savoir si la mise en place de ces ZES s’accompagnera des réformes nécessaires et autres mesures devant garantir leur rôle en tant qu’outil de développement. Pour l’heure, le FMI s’inquiète de la lenteur des réformes dans les pays d’Afrique subsaharienne et estime que sans elles, les plans de développement produiraient un impact très limité.

Foly Ananou

Références :

AfDB, OECD, UNECA, and UNDP (2011). African Economic Outlook Report 2011.

FiAS (2008). Special Economic Zone : Performance, lessons learned and implication for Zone Development. Washington, World Bank

CNUCED (2003). Export processing zones at risk ?

Farole Thomas (2011). Special Economic Zones in Africa : Comparing Performance and learning from global experience. Washington, World Bank.

J.P.  Cling, Roubaud F. and Razafindrakoto M. (2007). Export processing zones in Madacasgar : the impact of the dismantling of clothing quotas on employment and labour standards. DIAL.

Nadvi K. and S. Barrientos (2004). Industrial clusters and proverty reduction. UNIDO Report

Lall S. (1996). Foreign Direct Investment Policies in the Asian NIEs


[1] Le MFA était un accord dans l’industrie du textile à l’échelle mondiale entre 1974 et 1994, qui définissaient les quotas que les pays sous-développés pourraient exporter vers les pays développés.