“Le Commerce interafricain et ses piliers: relais de croissance face à la crise économique mondiale”

Le Club Diallo Telli et Dauphine Alumni Afrique ont organisé le 28 septembre dernier à l’université Paris Dauphine, en partenariat avec Terangaweb-L’Afrique des Idées, un colloque sur le thème : « Le Commerce Interafricain et ses piliers : Relais de Croissance face à la crise économique mondiale ». Le but de cet événement a été de sensibiliser le grand public aux défis du commerce interafricain et de présenter des propositions pour son renforcement. Plusieurs sous-thèmes ont été abordés au cours des quatre tables rondes qui ont ponctué le colloque et qui ont enregistré la participation de plus de 150 personnes.

infrastructure« Infrastructure et superstructure, prérequis indispensables au développement des échanges »

Ayant pour thème « Infrastructure et superstructure, prérequis indispensables au développement des échanges », la première table ronde a vu la participation de trois intervenants: Laurance Daziano, Maître de conférences en économie à Sciences Po Paris spécialisée sur l’Afrique, Pascal Agboyigor, Avocat spécialisée sur l’énergie et l’infrastructure et Paul-Harry Aithnard, Directeur de Recherche et Gestion d’Actif au sein du groupe Ecobank.

Laurance Daziano a souligné l’importance du manque des infrastructures urbaines et énergétiques de même que celui des infrastructures de l’extraction des matières premières en Afrique. Elle a mis notamment l’accent sur le rôle des partenariats public-privé dans l’investissement des infrastructures et sur le rôle croissant des entreprises chinoises dans le financement des infrastructures, par exemple en Mozambique.

Pascal Agboyigor a axé son intervention sur la nécessité d’une superstructure afin de coordonner et organiser le financement des infrastructures. Il a affirmé que l’un des défis les plus importants pour le gouvernement concerné était l’adaptation des règles de concurrence pour pouvoir permettre l’émergence d’acteurs locaux et régionaux.

Paul-Harry Aithnard a quant à lui expliqué les raisons pour lesquelles le déficit d’infrastructures constitue un handicap pour le développement de l’Afrique, davantage que le déficit observé en matière d’éducation et de santé. Il a en effet souligné son effet dévastateur sur l’économie : inégalités sociales, baisse de la rentabilité, faible productivité. Il a ainsi rappelé que selon les estimations de la Banque Mondiale, entre 6% et 20% de la perte de chiffres d’affaires des entreprises africaines était liée au manque d’infrastructures. Dans ce sillage Paul-Harry Aithnard a ajouté que les infrastructures ont un effet multiplicateur sur l’économie, notamment en termes de développement de l’industrie extractive, des PME, de l’emploi et du commerce interafricain. Il a enfin mis l’accent sur le transport et l’énergie comme les deux pôles d’infrastructures les plus importants.

« Eriger l’intégration régionale au rang de catalyseur des échanges : quels leviers ? »

La deuxième table ronde a porté sur cette question « Eriger l’intégration régionale au rang de catalyseur des échanges : quels leviers ? ». Elle a vu la participation de Bakary Traoré, Economiste au sein du centre de développement de l’OCDE, Sidy Diop, Economiste au sein du cabinet de conseil Microeconomix, Jean-Jacques Lecat, Avocat associé chez Francis Lefebvre et Président de la Commission juridique et fiscal du CIAN[1] et Abdoulaye Tine, Docteur en droit et avocat.

Bakary Traoré est d’abord revenu sur la forte croissance africaine au cours des 10 dernières années, avec un taux de croissance des dix premières économies africaines proche de celui de la Chine. Il a cependant souligné que les échanges interafricains, de l’ordre de 10%, étaient plus faibles que le commerce entre la Chine et l’Afrique (13% en 2011).

Sidy Diop a évoqué l’importance de l’impact des échanges non seulement sur la croissance économique mais aussi sur la pauvreté. Le véritable enjeu résiderait donc, non pas sur l’impact du commerce sur la croissance nominale, mais plutôt sur le développement humain et l’amélioration des conditions de vie des populations du continent. Il a enfin souligné l’importance du prix dans l’accessibilité aux infrastructures par les entreprises qui engendre une faible concurrence.

Jean-Jacques Lecat a présenté brièvement les unions économiques et douanières ainsi que les traités juridiques en Afrique mis en place pour l’harmonisation des règles juridiques et l’intégration régionale. Il a attiré l’attention du public sur le grand nombre de ces organisations, on en dénombre 26, et sur les chevauchements qui existent entre elles et qui sont susceptibles d’en altérer l’efficacité. Le nouvel accord de libre-échange tripartite COMESA-SADC-EAC a été présenté comme une nouvelle piste pour redonner un nouveau souffle à l’intégration régionale en Afrique. Quant à Abdoulaye Tine, il est revenu sur les entraves qui existent sur le terrain à l’harmonisation effective du droit, en dépit d’initiatives salutaires comme l’OHADA (Organisation pour l’harmonisation en Afrique du Droit des Affaires).

« Promouvoir le développement des PME africaines, colonne vertébrale des économies africaines : enjeux et perspectives »

Deux intervenants ont pris part à la 3ème table ronde : Laureen Kouassi-Olson, Directrice d’investissement chez Amethis France et Abderhamane Baby, Directeur administratif et juridique du Groupe Azalai Hotels.

Laureen Kouassi-Olson a d’abord rappelé que les PME représentent 90% du secteur privé en Afrique, avant de mettre en lumière leurs difficultés d’accès au financement, en particulier pour les plus petites entreprises. Elle a insisté sur l’importance des PME dans une croissance économique durable et inclusive. Cette place reste cependant tributaire de l’existence d’un tissu de banques locales prêtes à les financer. Quant à Abderhamane Baby, il est revenu sur l’expérience du Groupe Azalai Hotels, présents dans plusieurs pays africains et de façon plus générale sur les nouvelles tendances qui amènent les banques à s’intéresser de plus en plus aux PME.

« Croissance du commerce interafricain : opportunité pour l’intégration de la jeunesse dans le marché du travail ? »

La dernière table ronde avait pour particularité de donner la parole à la jeunesse, en l’occurrence à Laetitia Sagno, Chargée de Mission Afrique au CEPS[2], Quentin Rukingama, Président du Club Diallo Telli et Georges-Vivien Houngbonon, Economiste en chef du think-tank Terangaweb- l’Afrique des Idées.

Si la croissance du commerce interafricain constitue une opportunité pour l’intégration de la jeunesse dans le marché du travail, Laetitia Sagno a cependant mentionné deux conditions nécessaires : une formation adaptée aux besoins locaux et des politiques favorisant l’initiative privée chez les jeunes. Elle a regretté que cette culture de l’entreprenariat se manifeste davantage dans l’Afrique anglophone que dans l’Afrique francophone. Après avoir partagé ses expériences de terrain concernant des pays comme le Kenyan et le Mozambique, Quentin Rukingama a mis l’accent sur l’importance de la formation technique non seulement dans le domaine de l’industrie mais aussi du management. Quant à Georges-Vivien Houngbonon, il a présenté des études statistiques laissant transparaitre une relation légèrement négative entre le degré d’intégration d’un pays dans le commerce interafricain et son taux de chômage. Autrement dit, les pays les plus intégrés dans le commerce interafricain sont ceux qui ont les taux de chômage relativement les moins élevés, à l’instar du Sénégal et du Bénin.

Le Club Diallo Telli a prévu de consigner l’ensemble des échanges qui ont eu lieu lors ce colloque dans un Livre Blanc qui sera publié dans les prochains mois.

 

Ecem Okan


[1] Conseil Français des Investisseurs en Afrique

[2] Centre d’Etude et de Prospective Stratégique

Portrait de Quentin Rukingama, président du club Diallo Telli, think-tank sur l’Afrique (1)

QR - ProfileC’est autour d’un déjeuner italien que nous nous retrouvons avec Quentin Rukingama, Burundais, dans la ville de Nairobi, à parler de l’Afrique et de l’Europe et à deviser sur le monde. Voici le fruit de nos échanges lors d’une paisible après-midi Kenyane.

Cette interview est divisée en deux parties : 1) le parcours de Quentin Rukingama et 2) son point de vue sur l’Afrique .

I. QUI ES-TU ?

A. Du Burundi à Lille, Du Saint-Esprit à l’Université

Je suis né dans ce beau pays qu’est le Burundi à Bujumbura sa capitale. J’y ai vécu jusqu’à 18 ans avec quelques aller-retour en France (dont 2 années entières : une en Bretagne et une à Versailles en internat). De cette enfance au Burundi, je garde en tête et dans le cœur ma scolarité au lycée jésuite du Saint-Esprit. Les jésuites sont une congrégation tournée vers la formation. Ils forment l’Homme à tous points de vue : la scolarité y est riche et très compétitive mais on y développe également des valeurs humaines telles la fraternité. Cette approche était particulièrement intéressante dans un pays qui a connu la guerre, synonyme de déchirure sociale. Je me rappelle que nous célébrions la Journée de la Fraternisation, une fois par an, où élèves de tous niveaux et corps professoral partageaient et échangeaient via le sport, la culture (spectacles de danses traditionnelles entre autres) et un bon repas (cuisiné collectivement).

Au Saint-Esprit, j’ai également suivi des cours de religion. J’ai même découvert la religion musulmane via l’enseignement d’un père jésuite. Mon école était catholique mais nous invitait à la découverte d’autres religions et accueillait également des élèves issus d’autres confessions. Cette ouverture et cette harmonie étaient merveilleuses et constituaient un enseignement de taille sur la tolérance dont notre monde à vraiment besoin.

En 2004, je quitte le Burundi et je m’installe à Lille. Même si la température qui m’y attendait n’était pas des plus chaudes, les gens que j’y ai rencontrés étaient particulièrement chaleureux et ouverts. La ville est jeune et très étudiante. Rajouter à cela, je profite alors de la proximité d’autres grandes villes européennes que j’ai le plaisir de visiter : Paris, Bruxelles, Cologne, Amsterdam et Londres. Lors de mes années universitaires, en parallèle de cette découverte de l’Europe, j’ai effectué plusieurs voyages en Afrique pendant mes vacances : Sénégal, Ethiopie, Kenya, Zimbabwe et Rwanda. Ces visites m’ont permis de comprendre l’étendue de la diversité africaine, de sa richesse et ont stimulé en moi l’envie d’y retourner. Ces découvertes de deux parties du monde bien différentes au même moment de ma vie m’ont notamment appris à cultiver l’humilité devant l’immensité du monde et à ne pas juger autrui a priori. Le fait de voyager ouvre véritablement les horizons, la réflexion et la tolérance.

B. Les études supérieures : l’éco-gestion, puis la comptabilité pour finir par la finance

Cette période universitaire en France, m’a d’abord mené en Eco-Gestion à l’université de Lille I puis à l’Ecole Supérieure des Affaires (Lille II) où j’ai obtenu ma licence en comptabilité. J’ai continué avec une première année de master en Finance dans la même université pour finir par un master de recherche dans la même matière. J’effectuais alors un double cursus avec l’école de commerce SKEMA en Analyse Financière Internationale. Ce master de recherche a pris un sens tout particulier puisque j’ai commencé à m’y plonger au moment même de l’effondrement de la banque d’investissement Lehman Brothers. Le retour vers les fondamentaux économiques et financiers, la remise en contexte de ces derniers en pleine crise, la réflexion sur les changements nécessaires pour en sortir ont été autant d’étapes qui se sont révélées, pour moi, particulièrement riches en apprentissage. Je n’aurais certainement pas eu le même regard vis-à-vis de ce master dans un autre contexte.

C. Le monde du travail !

J’ai eu assez rapidement envie de mettre les mains dans le cambouis et d’entrer dans la vie active. Ma découverte du monde professionnel s’est faite via un premier stage chez Grant Thornton à Lille en comptabilité puis en audit. J’ai ensuite enchaîné par ma première expérience parisienne chez Peugeot Citroën, au sein de Banque PSA Finance. Le rôle de cette banque est de proposer des financements aux grosses sociétés clientes de la marque et également de financer les voitures des showrooms appartenant au réseau (Peugeot Citroën se faisant donc banque de ses concessionnaires). A cette occasion, j’ai également pu travailler avec des pays émergents tels que l’Argentine et le Brésil via le soutien aux réseaux locaux de vente. Ce fut donc ma première expérience bancaire, plutôt singulière et originale.

J’ai ensuite découvert le monde de la « corporate finance » via mon expérience chez Investisseur et Partenaire (fonds de private equity focalisé sur l’investissement dans les PMEs Sub-sahariennes). Me revoilà donc à travailler pour un continent qui m’est cher et exerçant un des métiers qui m’intéressent. Je découvre alors les énormes opportunités du continent africain. Le plus grand enseignement que je retire de cette expérience, quand on parle d’investissement, c’est que ce qui compte c’est l’Homme. On a tendance à l’oublier, à se perdre dans les chiffres mais c’est le point fondamental à garder en ligne de mire. L’investissement est alors une vraie aventure humaine basée sur la confiance et la détermination. Et pour en revenir à ce mot de « confiance » il a une importance particulièrement grande en Afrique. Perdre la confiance de quelqu’un c’est très lourd de sens et ressenti comme une vraie blessure. En fait, en Europe la confiance a été remplacée par un système et des lois se traduisant par des partenariats et des contrats alors qu’en Afrique on se repose encore essentiellement sur l’humain. 

Après cette découverte très enrichissante de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique Centrale chez I&P, j’ai voulu acquérir une expérience financière encore plus technique (faire de la modélisation, des valorisations d’entreprises…). Je suis alors rentré chez Axior Corporate Finance, une boutique de fusions et acquisitions. J’y découvre l’amour du travail parfaitement effectué et le rythme effréné du métier. Arrivé au terme de cette expérience je me mets en recherche d’un emploi. J’y est consacré un an qui s'est révèlé être une des périodes les plus enrichissantes de ma vie. J’en ai profité pour réfléchir à mes vraies envies, me poser des questions existentielles (sur mon désir de revenir en Afrique notamment) et je me suis retrouver extrêmement occupé par mes différents engagements, dont le Club Diallo Telli ! 

D. Le club Diallo Telli, force de proposition !

Au cours de cette année sabbatique, j'ai repris avec des amis la direction d’une association : le club Diallo Telli, club de réflexion (Think Tank) sur l’Afrique. Il est créé en 1991 par des cadres africains soucieux de fédérer leur capacité d’action pour leurs pays d’origine et le continent africain. L’objectif du club peut se résumer par le raffermissement des liens de solidarité entre africains, le développement économique des pays présents sur le continent et leur rayonnement culturel. L’activité de « Think tank » du Club consiste à : 1) Développer une capacité d’analyse et de réflexion prospective sur les enjeux auxquels font face les pays africains ; 2) Disposer d’une vision et de solutions relatives aux problématiques étudiées ; 3) Mettre à disposition des outils d’analyse de l’évolution du continent africain et peser dans le débat public (auprès d’acteurs clefs). 

diallo telli

Le Think Tank s’organise autour de deux axes :
a) L’organisation d’évènements favorisant le débat. En effet, le Club Diallo Telli se veut moteur de rencontres, agitateur d’idées et fédérateur d’échanges à travers : 1) des rencontres entre membres et sympathisants (créer une solidarité et intéresser le public à nos réflexions) ; 2) l’organisation de dîners-débats en invitant des spécialistes sur des questions bien déterminées (exemple de sujet déjà traité: « en quoi la crise de la zone euro peut représenter une opportunité pour l’Afrique ») ; 3) des conférences regroupant des acteurs variés pour favoriser de riches échanges ; 4) L’organisation d’un grand colloque qui s’attaque à un thème majeur (choisi avec attention tout au long de l’année) et aboutit à des propositions concrètes regroupées dans un livre-blanc.

b) La production éditoriale sous la forme : 1) du livre-blanc bien sûr; 2) mais aussi de notes d’analyse sur des problématiques d’actualité, 3) et d’études sur des thèmes spécifiques (qui peuvent être menées par un expert entouré de membres du club). Le but étant donc d’être force de propositions. 

Pour atteindre ses objectifs, le Club tient énormément à la diversité, car de la diversité née la richesse. Nous essayons de brasser un maximum de nationalités (africaines ou non) et de gens aux expériences diverses qui permettent d’aborder différents sujets et de nourrir la réflexion plus largement. 

african-guarantee-fundE. L’African Guarantee Fund et le retour aux sources

Après avoir passé cette année à chercher ma voie, à m’engager dans une association et à écrire une thèse (« Les pôles de compétitivité en Afrique de l’Est »), je trouve une opportunité qui provoque mon enthousiasme : travailler dans le Fonds Africain de Garantie (African Guarantee Fund : AGF), qui me permet de découvrir le tissu des petites et moyennes entreprises (PME) africaines via les produits de garanties que l’institution propose. 

AGF a été créé en 2011 à l’initiative de la Banque Africaine de Développement (BAD), et jouit également de financements du gouvernement hollandais via Danida et du gouvernement espagnol via l’Aecid. L’idée de ce fonds est de promouvoir le financement des PME (le « missing middle » – pour un article sur cette notion cliquez ici,). La mission d’AGF est de soutenir les infrastructures de financement qui existent déjà (ex : banques traditionnelles, banques de développement, fonds d’investissement, institutions de microfinance) afin d’augmenter leur volume d’investissement (en dette ou équity) vers les PME. Il s’agit pour AGF de partager avec ces institutions leurs risques via des produits de garantie. AGF est basé à Nairobi et a pour ambition de couvrir toute l’Afrique. Le fonds de garantie représente actuellement 50M€ et devrait aboutir, à terme, à une enveloppe de 500 M€. Il s’agit donc de ma première expérience professionnelle en Afrique et, à cette occasion, je reviens à mes origines en déménageant en Afrique de l’Est !

(A suivre, mardi prochain : la vision de l'Afrique de Quentin). 

Entretien réalisé par Léa Guillaumot