L’Afrique peut-elle s’inspirer de l’Asie du sud-est pour accroître son intégration régionale ?

UEMOA, CEDEAO, SADC, CEMAC, CEEAC, UMA, UA ; autant  d’organisations qui bien qu’importantes par leur nombre présentent une efficacité discutable et ont eu peu d’impact sur l’intégration régionale en Afrique notamment en raison de batailles de leadership entre les poids lourds économiques et politiques de ces régions.  [1]

Cet article analyse  les causes du retard africain en termes d’intégration régionale et appelle à la diversification des partenaires commerciaux du continent. S’appuyant sur le modèle de développement sud-asiatique les Etats africains auraient tout intérêt à intensifier les flux  commerciaux intra-continentaux et à développer les relations économiques qu’ils entretiennent avec leurs voisins.

 

  1. Le partage d’une monnaie commune ne permet paradoxalement pas aux pays membres de la CEDEAO de renforcer leurs liens commerciaux.

L‘exemple de la CEDEAO illustre ce phénomène. Cette zone est composée de quinze pays dont la moitié utilise une monnaie commune, le franc FCFA. Si l’objet de cet article n’est pas de débattre sur les avantages ou les inconvénients du FCFA, une question concernant cette monnaie attire l’attention : En plus de 70 ans d’utilisation, pourquoi le FCFA  n’a-t-il pas permis de faciliter le commerce entre les pays de la CEDEAO ?

En matière d’exportations et d’importations, les principaux partenaires économiques des membres de la CEDEAO sont aujourd’hui extra-continentaux et majoritairement européens. Les principaux pays de destination de produits tels que le cacao, le café, le coton et même les produits de pêche, sont en majeur partie des pays européens. Concernant les importations, en 2014, environ 40 % des biens importés viennent d’Europe et seulement 18 % des importations viennent d’Afrique. Ces biens importés incluent même des produits alimentaires basiques comme le blé ou le lait.[2]

Ce problème peut être généralisé sur l’ensemble de l’Afrique. En effet, les pays africains commercent peu entre eux. En 2013, seuls 12% des exportations africaines étaient dirigées vers d’autres pays africains. En dépit de ses zones monétaires et des tentatives de régionalisation, l’Afrique demeure un continent commercialement cloisonné.[3]

 

  1. Les pays africains ne bénéficient pas toujours d’accords commerciaux favorables et devraient diversifier l’origine de leurs partenaires.

La  crise du secteur avicole en Afrique du sud suite à l’importation massive de poulet à bas prix en provenance de l'Union européenne, pose plusieurs questions.[4] En effet il convient de s’interroger sur le réel impact économique et social que peuvent avoir des accords tels que l’Accord de partenariat économique (APE) sur les populations et les agriculteurs locaux.

Depuis la fin des années 1960 l’Afrique continue à privilégier les relations marchandes avec l’Union Européenne sans achever son intégration régionale pourtant nécessaire pour peser dans le commerce internationale.

Dans Les damnés de la terre, Frantz Fanon proposait déjà une analyse des difficultés qu’affronteraient les Etats africains au lendemain de leur indépendance. En effet du fait d’un manque de coordination et d’une volonté de développement court-termiste les dirigeants africains auraient bâti leur stratégie commerciale sur les circuits existant par le passé espérant ainsi faire face à la fuite des capitaux. Ceci pourrait partiellement expliquer les liens commerciaux forts existant entre les pays d’Afrique notamment de la CEDEAO et l’Europe.

  1. Les Etats africains ont tout intérêt à s’inspirer de la stratégie de développement des pays d’Asie du sud-est en intensifiant leur commerce intra-continental.

Le Japon, Singapour ou la Corée du sud, pays ayant peu de matière première ont pu développer fortement leur économie après la seconde guerre mondiale. Par exemple, la Corée du Sud qui en 1960 avait un PIB par habitant de 260 dollars, soit le même niveau que de nombreux pays africains, a réussi à devenir la septième puissance mondiale en 2016.

La très forte intégration économique en vigueur dans la région est l’un des facteurs du développement de ces pays asiatiques. En effet, la Chine continentale compte parmi ses dix premiers partenaires commerciaux, cinq Etats asiatiques (Hong-Kong, le Japon, la Corée du Sud, Taïwan et la Malaisie).

De même, le Japon a mis en place un système d’aide publique au développement. Celle-ci qui se situait au 1er ou 2e rang mondial selon les années, était pour plus de la moitié destinée à l’Asie. Dans les années 2000, le Japon était le premier investisseur étranger dans la plupart des pays asiatiques.[5]

En dépit de rivalités et de rancœurs historiques les liens économiques sont très forts entre les trois piliers de l’économie sud-asiatiques que sont la Chine, le Japon et la Corée du Sud. En effet, la Chine et le Japon s'échangent technologies, capitaux et même main d'œuvre.  Et la Corée du Sud grâce à sa stabilité économique permet de recueillir les capitaux de ces deux pays. [6] Afin de faciliter les échanges économiques, le Japon a toujours mené une politique de stabilisation de ses voisins via des investissements ou des aides.

  1. Recommandations

L’Asie du sud-est est un excellent exemple pour l’Afrique dans la mesure où elle illustre depuis cinquante ans l’intérêt qu’ont les pays en développement à renforcer leurs relations commerciales avec leurs voisins afin d’être plus puissants économiquement et d’avoir une plus grande influence dans le monde.  En effet, les similitudes culturelles entre Etats d’une même région garantissent la stabilité et l’équité des relations économiques et diplomatiques.

Pour l’heure cependant, le tissu industriel africain et notamment ouest-africain est encore dominé par des entreprises extra-continentales qui logiquement ne font pas du commerce intra-africain une priorité. L’émergence de champions nationaux tels que l’entreprise nigériane Dangote ainsi que les efforts de coopération sud-sud menés actuellement par le Maroc permettront d’accentuer l’intégration régionale.

Les plans d’émergence qui se multiplient à travers l’Afrique doivent prendre en compte cette donnée. Une croissance exclusivement basée sur l’exportation de matières premières ou de ressources naturelles vers les régions occidentales avec peu de création d’emploi [7] n’est ni souhaitable ni efficace sur le long terme comme l’illustrent les crises actuellement engendrées par l’effondrement du prix des matières premières. L’exemple asiatique montre qu’une émergence est très complexe sans un minimum d’intégration régionale.

Sans verser dans le protectionnisme ou le repli sur soi, l’Afrique doit songer à limiter sa dépendance commerciale à l’égard des régions occidentales et accroître de façon significative les flux commerciaux intra-continentaux  afin de garantir une plus grande stabilité régionale.

Une meilleure confiance entre les africains permettra d’établir une véritable intégration régionale comme l’appelaient déjà de leurs vœux les dirigeants Kwame Nkrumah ou Sekou Touré au lendemain des indépendances.

 

Souleymane Coulibaly

[1] http://www.jeuneafrique.com/165089/politique/cedeao-cemac-sadc-quels-sont-les-points-forts-et-les-faiblesses-des-organisations-africaines/

[2] http://www.bceao.int/IMG/pdf/rapport_sur_le_commerce_exterieur_de_l_uemoa_en_2014.pdf

[3] http://terangaweb.com/quelle-integration-regionale-pour-le-developpement-et-la-stabilite-en-afrique/

[4] http://www.jeuneafrique.com/399169/economie/aviculteurs-sud-africains-rue-contre-dumping-europeen/

[5] https://www.tresor.economie.gouv.fr/File/413946

[6] http://www.lexpress.fr/actualite/monde/chine-japon-coree-les-freres-ennemis-d-extreme-orient_472394.html 

[7] https://www.contrepoints.org/2014/02/14/156636-le-paradoxe-de-la-croissance-africaine

 

L’état de l’intégration régionale : De criantes disparités entre l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique Centrale

Les théories économiques classiques nous informent que l’ouverture des pays aux échanges régionaux et internationaux permet une réduction des coûts de transaction et de production. Cette tendance à s’ouvrir aux marchés ne se fait cependant pas sans heurts. Elle est en défaveur des pays les plus pauvres et marginalisés. En ce sens, l’intégration régionale peut être vue comme une tentative coordonnée de lutte contre les chocs aussi bien endogènes qu’exogènes et asymétriques.  

Sur le plan politique, les défenseurs de l’intégration régionale soutiennent que celle-ci permet de créer une dynamique d’ensemble, favorable à la cohésion, à la paix et à la sécurité de la région.

 

Dans un environnement coopératif et libre-échangiste grandissant, l’Afrique n’a pas voulu être à la traîne. C’est ainsi que dès 1963, l’OUA, ancêtre de l’UA a été créée. À la suite de cette organisation panafricaine, diverses organisations subrégionales ont été mises en place pour renforcer et dynamiser la coopération intra régionale.

Dans cette analyse, nous nous intéressons à l’intégration sur les plans politique et économique en Afrique Centrale sous le leadership de la CEEAC (et la CEMAC)[1] et en Afrique de l’Ouest en ayant comme point de repère la CEDEAO (et l’UEMOA)[2].

Afrique centrale : un espace sous-intégré

L’intégration en Afrique Centrale se heurte encore à des résistances nationales. La liberté de circulation bien qu'existant dans les textes fondateurs de la zone CEEAC n'a jamais  été véritablement mise en oeuvre. Une situation assez surprenante puisqu’au sein de la CEDEAO les efforts sont mis en œuvre pour rendre effectif cette liberté de circulation; condition importante pour un véritable décollage des économies de ces sous régions. A titre illustratif, un gabonais souhaitant se rendre au Cameroun voisin peut encore faire face à des lourdeurs procédurières et consulaires.  Le projet de mise en œuvre d’un « passeport communautaire » est restée sans suite; la faute à un manque de volonté des décideurs politiques de la sous-région.

L’initiative de création d’une compagnie aérienne de la sous-région lancée par la CEMAC a également fait faux bond, les principaux protagonistes décidant de faire marche arrière en mettant fin au projet en 2015. Il faut dire que ce fiasco a été lourd de dommages financiers. En effet,  Air Cemac qui n’a pas effectué le moindre vol avait un siège à Brazzaville ainsi qu’un personnel dirigeant et un conseil d’administration et de ce fait, cette compagnie a dû débourser des frais non-négligeables pour son fonctionnement au quotidien.

L’existence de deux marchés boursiers concurrents n’est pas non plus un facteur d’intégration régionale: il existe en effet la BVMAC siègeant à Libreville et la DSX de Douala alors même que le Gabon et le Cameroun sont tous deux membres de la CEMAC. Il va sans dire que cette situation n’est guère de nature à favoriser l’éclosion d’un marché financier résilient et prospère à l’échelle de cette sous-région. Ainsi que le note le cabinet Roger Berger dans un rapport – cité par Jeune Afrique (2016)-  portant justement sur cette question, la fusion des deux bourses permettra de «  maximiser la profondeur, la liquidité et l’attractivité́ du marché tout en minimisant les coûts opérationnels et les risques » Le rapport soutient que : « Concrètement, cela doit passer par l’harmonisation des réglementations des deux Bourses et par le rapprochement des infrastructures technologiques en vue de la création d’une plateforme commune ». Le texte de Jeune Afrique cite aussi un dirigeant d’une firme d’intermédiation qui affirme que «la convergence rapide des Bourses est un impératif pour le développement de la sous-région et permettra de créer des palliatifs aux modes de financement classiques ». [3] En effet, dans le cas de ces embryonnaires économies de la CEMAC,[4]il sied d’harmoniser les réglementations existantes et de mettre en place une bourse régionale efficace et solide. Un tel effort serait à tout le moins un pas vers la bonne direction.

Si l’intégration économique de la sous-région est loin d’être un succès, les pays de la CEMAC ont réussi la gestion de certaines crises. La CEEAC a joué un rôle prépondérant dans la gestion du dernier conflit centrafricain à travers sa médiation entre la séléka et les milices anti-baraka.. En effet, le forum centrafricain de réconciliation nationale en 2014 à Brazzaville, tenu sous la médiation du Président congolais Sassou Nguesso, les différents sommets extraordinaires et les autres rencontres formelles et informelles dans la sous-région consacrés à la crise que connaissait l’ex Oubangui-Chari sont entre autres des actions à mettre à l’actif de l’entité sous régionale. Cette dynamique proactive de la CEEAC a été d’une portée considérable dans l’issue heureuse que constituent l’accord de cessation des hostilités et l’accord de désarmement des parties prenantes au conflit signés respectivement à Brazzaville et à Bangui en 2015.[5]  Outre la Centrafrique, la CEEAC a aussi mené des médiations, aux résultats mitigés pour tenter de juguler des crises ou différends politiques au cours des dernières années, notamment à Sao-Tomé et Principe (2006) en RDC (2008), et au Tchad (2008-2009), Burundi ( 2015) entre autres.[6]

Afrique de l’Ouest : une dynamique d’intégration volontariste et progressive

Au rebours de l’Afrique Centrale, l’Ouest de l’Afrique connaît un processus d’intégration plus dynamique. La libre circulation des personnes, bien qu’imparfaite au sein de la CEDEAO, est néanmoins opérationnelle. Un citoyen sénégalais n’a pas besoin de visa pour aller au Mali et vice versa; ce sont les textes légaux qui le prévoient.

En outre, la part du commerce intra-régional en proportion des échanges totaux est plus importante en Afrique de l’Ouest qu’en Afrique Centrale. Selon un rapport de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) publié en 2013, au niveau de la CEDEAO cette part est de 10.4% entre 1996 et 2010, 10.9% entre 2001 et 2006 et 9.4% pour la période 2007-2011 alors que pour les mêmes périodes, la part du commerce intra régional en proportion du commerce total au sein de la CEEAC est respectivement de 1.7%, 1.5% et 1.9%.[7] Toutefois, les pays de la CEDEAO devraient continuer à renforcer leurs échanges commerciaux pour booster leurs économies car ces pourcentages sont tout de même hautement négligeables en comparaison à la part du commerce régional au sein des grandes zones économiques comme l’UE, L’ALÉNA ou l’ASEAN. A ce propos, il y a nécessité de promouvoir une plus grande coopération régionale, à l’échelle même du continent. 

L’efficacité de la bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM) de la zone UEMOA est aussi un bon indicateur des progrès au niveau de l’intégration en Afrique de l’Ouest. Comme le relève le rapport du cabinet Roland-Berger susmentionné, « Avec une progression de 17,77 %, le BRVM Composite s’est ainsi classé en tête des indices boursiers du continent en 2015. D’ailleurs, des assureurs et des fonds souverains de la CEMAC préfèrent investir sur la place ouest-africaine, relève Roland Berger ».[8]

Sur le plan politique et institutionnel, la CEDEAO, tout comme la CEMAC se sont dotées d’instruments juridiques et de règles communes pour réguler la coopération sous régionale. Il existe une cour de justice de la CEDEAO qui a condamné de nombreux États dans la sous-région, notamment le Togo dans l’affaire du coup d’État manqué de 2009. Il y a également l’adoption d’un protocole au sein de la CEDEAO qui interdit toute réforme importante de la loi électorale dans les six mois qui précèdent la tenue d’une élection présidentielle à défaut d’un accord consensuel.

La CEDEAO s’est aussi illustrée par son rôle de médiateur et par ses interventions militaires lors des différentes crises ouest-africaines. L’ECOMOG (Brigade de surveillance du Cessez-le-feu de la CEDEAO) aussi connu sous le nom de « casques blancs » est intervenue au Libéria mais aussi en Sierra Leone et en Guinée Bissau lors des guerres civiles qui ont secoué ces pays. Plus récemment, la CEDEAO a été sous le feu des projecteurs, du fait de sa médiation à succès en Gambie. Mais elle n’a pas toujours connu la même fortune. Ses médiations en Côte d’Ivoire lors de la crise post-électorale de 2010 ou au Mali lors de la crise qui a suivi le départ du pouvoir du président Amadou Toumani Toure en 2012 ont été pour le moins infructueuses.

Au niveau de la CEEAC, un Conseil de paix et de sécurité de l’Afrique Centrale (COPAX) dont la mission est de prévenir les conflits et maintenir ou rétablir la paix dans la sous-région a été créé. Il y a également une brigade régionale de maintien de la paix (FOMAC).

Il importe, somme toute, que les différentes organisations régionales avancent vers une plus grande intégration communautaire pour limiter un tant soit peu l’extraversion des économies africaines. Plusieurs mesures doivent être prises en ce sens; notamment une diversification de la production, un allègement de la fiscalité, une réduction des barrières douanières et frontalières, le tout porté par une réelle volonté politique de changement.

 

                                                                                                                                                                           Thierry SANTIME

 


[1] La Communauté Économique des États de l’Afrique Centrale (CEEAC), créée en octobre 1983.La Communauté Économique et Monétaire des Etats de l'Afrique Centrale (CEMAC) regroupe 6 pays, à savoir le Cameroun, le Congo, le Gabon, la Guinée Équatoriale, la République de Centrafrique et le Tchad

 

 

 

 

 

[2] La Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CÉDÉAO) est une organisation intergouvernementale ouest-africaine créée le 28 mai 1975. L’Union économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) a pour objectif essentiel, l’édification, en Afrique de l’Ouest, d’un espace économique harmonisé et intégré…

 

 

 

 

 

[3] Omer Mbadi et Stéphane Ballong. Jeune Afrique. 2016 « Afrique Centrale : cinq idées pour dynamiser le marché financier ». http://www.jeuneafrique.com/mag/303852/economie/5-idees-dynamiser-marche-financier/

 

 

 

 

 

[4] Embryonnaires en termes de développement financier et industriel et dont l’extraversion tous azimuts- ou presque-confine à une subordination économique vis-à-vis des grandes puissances économiques et des marchés émergents,

 

 

 

 

 

[5] Cyril Bensimon. « À Bangui, la fin troublée du Forum de réconciliation nationale ». Le Monde Afrique. 2015.  http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/05/12/a-bangui-la-fin-troublee-du-forum-de-reconciliation-nationale_4631850_3212.html

 

 

 

 

 

[6] Madeleine Odzolo Modo, « Fiche d’information de l’organisation : CEEAC ». Réseau de recherche sur les opérations de paix de l’Université de Montréal. http://www.operationspaix.net/3-fiche-d-information-de-l-organisation-ceeac.html

 

 

 

 

 

[7] CNUCED. Rapport 2013 sur le développement économique en Afrique. « Commerce intra-africain : libérer le dynamisme du secteur privé », p.18. http://unctad.org/fr/PublicationsLibrary/aldcafrica2013_fr.pdf 

 

 

 

 

 

[8] Omer Mbadi et Stéphane Ballong. Jeune Afrique. 2016 « Afrique Centrale : cinq idées pour dynamiser le marché financier ». http://www.jeuneafrique.com/mag/303852/economie/5-idees-dynamiser-marche-financier/

 

 

 

 

 

Quel bilan pour l’intégration régionale en Afrique ?

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Depuis les années 1990, à la faveur d’un nouveau contexte international marqué par la fin de la Guerre froide et l’avènement d’une économie mondialisée, la régionalisation est en vogue sur le continent africain. Les chefs d’État africains, prenant conscience de l’intérêt de se réunir au sein d’entités économiques plus grandes, ont multiplié leurs efforts pour créer des communautés régionales. Des organisations régionales moribondes ont été revitalisées par de nouveaux traités plus ambitieux, comme la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en 1993 ; d’autres ont vu le jour, comme l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) dans la Corne de l’Afrique en 1996.  

Aujourd’hui, les avancées de l’intégration régionale alimentent le discours sur une Afrique émergente, en plein éveil. Quelles formes prennent la régionalisation en Afrique, et quelle est sa portée réelle, à la fois sur le plan économique et sur le plan politique ?

Les formes de la régionalisation

L’Union africaine (UA) supervise le processus d’intégration régionale au niveau continental, avec pour ambition de former une Communauté économique africaine à l’horizon 2028. Les communautés économiques régionales (CER) ont un rôle fondamental à jouer: huit d’entre elles ont été identifiées par l’UA comme les piliers de l’intégration régionale. 

Aujourd’hui, l’intégration au-delà du domaine économique et la création d’une union politique restent un horizon lointain. C’est par le marché que les États africains cherchent à réaliser l’intégration : la formation d’ensembles économiques plus puissants et la réduction du coût des échanges transfrontaliers sont les priorités des communautés régionales. La régionalisation en Afrique est avant tout une régionalisation économique. Elle vise la libéralisation du commerce des biens, avec un modèle d’intégration largement inspiré de l’expérience européenne : l’intégration est envisagée comme une progression pas à pas, de la création d’une zone de libre-échange à la formation, à terme, d’une union économique et monétaire. Si certaines organisations accordent une plus grande attention aux questions politiques, c’est souvent parce qu’elles y ont été contraintes : la CEDEAO a dû faire face à de nombreuses crises politiques et a développé en réponse à celles-ci des mécanismes innovants de prévention des conflits et de promotion de la bonne gouvernance.

Quels résultats ?

Plusieurs initiatives prometteuses ont été mises en œuvre depuis le début des années 2000, mais les progrès sont disparates. À l’heure actuelle, la Communauté d’Afrique de l’Est est l’organisation régionale la plus avancée, avec un marché commun établi depuis juillet 2010. La CEDEAO est plus en retard sur le plan économique : l’union douanière n’est envisagée que pour 2015, et l’objectif de lancer une monnaie unique en 2020 paraît difficilement tenable. En Afrique centrale, l’intégration économique en est encore à ses balbutiements. Des avancées ont également été enregistrées dans le sens d’une plus grande liberté de circulation des personnes : la CEDEAO délivre désormais un passeport commun pour faciliter les voyages intra-régionaux. Les États africains progressent aussi dans le sens d’une meilleure coordination de leurs politiques sectorielles (électricité, eau, transports…). Enfin, certaines organisations ont initié des projets d’infrastructure majeurs: un exemple phare est la construction du port de Lamu, au Kenya, et du corridor de transport Lamu-Sud-Soudan-Éthiopie avec le soutien de la Communauté d’Afrique de l’Est. 

Le bilan économique de l’intégration reste mitigé. Le volume du commerce intra-africain a constamment augmenté au cours des vingt dernières années, mais ne représente toujours que  12% du commerce total en Afrique (contre 60% pour l’Union européenne). Au sein de la CEEAC, les exportations intra-régionales ne dépassent pas 0,8%, ce qui témoigne d’une intégration quasi-inexistante. Plusieurs obstacles, comme le manque d’infrastructures, la lourdeur des procédures administratives et des contrôles aux frontières ainsi que la corruption continuent de s’opposer à une meilleure intégration des économies africaines, et méritent plus d’attention de la part des communautés régionales.

L’intégration politique : la longue marche vers la supranationalité…

La politique en Afrique se joue désormais, plus qu’auparavant, à un niveau régional. Mais l’impact des organisations régionales sur l’exercice du pouvoir et l’organisation politique du continent africain reste relativement limité. Certaines organisations ont fait preuve de volontarisme pour s’attaquer aux crises politiques dans leurs régions. La CEDEAO s’est ainsi distinguée par son activisme face aux conflits armés et aux coups d’État en Afrique de l’Ouest. Elle fait régulièrement appel à des hautes personnalités ouest-africaines comme Blaise Compaoré ou Olusegun Obasanjo pour  des missions de médiation, et  dispose même d’une composante militaire (l’ECOMOG, devenue Force en attente), qu’elle a déployé au Libéria et en Sierra Leone dans les années 1990, ou plus récemment au Mali. 

Au fil des interventions, les communautés régionales et l’Union africaine ont progressivement rompu avec la norme de non-ingérence qui régulait les relations entre États africains depuis les indépendances. Les organisations régionales revendiquent maintenant un droit d’intervention dans les affaires politiques intérieures. La CEDEAO ou la SADC n’ont pas hésité à brandir la menace de sanctions contre les juntes militaires au Mali, en Guinée ou à Madagascar. Des textes régionaux, comme le Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance, contribuent également à diffuser un ensemble de normes, qui délimitent les contours de l’acceptable et orientent l’exercice du pouvoir. La contribution des organisations régionales à la démocratisation doit cependant être nuancée : comme les dirigeants nationaux conservent la main haute dans les instances de décision, elles restent très timides lorsqu’il s’agit de dénoncer des cas de fraude électorale ou de répression policière organisée par les États. 

La régionalisation, dans sa forme actuelle, ne représente pas un tournant majeur dans l’organisation politique du continent. La supranationalité est encore embryonnaire: les intérêts des États – voire même des régimes en place – restent prédominants, et les organisations régionales ne sont pas encore perçues comme des entités légitimes pour imposer leurs propres règles. L’intégration régionale en Afrique continue aussi de souffrir de la fragilité des États et de leur hétérogénéité. L’Afrique de l’Ouest qui veut s’unir, c’est aussi bien le Ghana anglophone, aux  alternances démocratiques réussies, que la Guinée-Bissau lusophone, où les coups d’État sont récurrents. La SADC, c’est aussi bien le Botswana, cinquante ans de développement économique, et démocratique, que le Zimbabwe, à peine remis d’une grave crise économique provoquée par un régime décadent. Le dynamisme économique du Kenya et de l’Ouganda a favorisé l’intégration est-africaine, mais généralement les organisations régionales africaines manquent de pays moteurs, capables d’insuffler une véritable dynamique d‘intégration, à l’instar du « couple franco-allemand » dans l’Union européenne. La régionalisation en Afrique centrale pâtit du manque de stabilité en République démocratique du Congo. Au sein de la CEDEAO, le poids lourd démographique, politique et militaire qu’est le Nigeria doit faire face à des défis internes importants, qui l’empêchent de jouer un rôle moteur au niveau régional. La région compte certes des États stables et économiquement performants (comme le Cap-Vert ou le Ghana), mais ceux-ci sont soit trop faibles soit pas assez volontaristes pour dynamiser et orienter le processus d’intégration.  

Vers une régionalisation par le bas ? 

Si l’idéal panafricain continue d’avoir un appel certain, il peine à se manifester dans la configuration actuelle des organisations régionales, construites sans engouement populaire. Aucune organisation régionale n’est aujourd’hui le vecteur d’un projet populaire d’union politique africaine, puisqu’elles se focalisent en premier lieu sur l’intégration économique. Le régionalisme en Afrique souffre également d’une absence de personnalités d’envergure régionale, capables de donner corps et voix au projet d’intégration. Les commissaires de la CEDEAO ou de la CEEAC sont des anonymes, qui n’existent qu’à l’arrière-plan de chefs d’États dominants. Ces organisations ont pris conscience de leur manque de légitimité, et tentent aujourd’hui de se rapprocher des populations africaines en adoptant un message plus populaire. La Vision 2020 de la CEDEAO prévoit ainsi de faire évoluer l’organisation en une « CEDEAO des peuples ». 

Au-delà des initiatives d’intégration formelles, la régionalisation informelle est une réalité trop souvent négligée. Les échanges transfrontaliers informels jouent un rôle majeur et sont porteurs d’une régionalisation « par le bas ».  Qu’il s’agisse de la région des Grands Lacs ou de la frontière Niger/Nigeria/Bénin, ces flux informels de marchandises, d’hommes et de  capitaux créent des bassins économiques intégrés, et donnent naissance à des micro-régionalismes transfrontaliers. Les organisations régionales doivent reconnaître cette régionalisation par le bas et à lui faire une place dans leurs stratégies d’intégration. Sa prise en compte est la clé d’une régionalisation inclusive, productrice de richesses et de sécurité.

 

WAAPP : Aider les agriculteurs et redonner du souffle à l’intégration régionale ouest-africaine !

57522021L’Afrique Subsaharienne continue d’afficher des performances macroéconomiques intéressantes avec une croissance économique réelle 4,9% en 2012 (FMI) malgré la récession qui frappe actuellement l’économie mondiale. Cependant, le niveau de vie demeure encore assez faible. En effet,  le PIB/habitant y est le plus faible dans le monde même s’il a augmenté de 3,9% en 2012 pour se situer à 2365,9 Dollars US (PPA internationaux courants).

Les ressources extractives et minières, les services ainsi que l’agriculture comptent parmi les moteurs de cette croissance économique. Cette dernière a contribué à hauteur de 12% du PIB de l’Afrique Subsaharienne en 2012 et se pratique notamment dans les zones rurales qui concentrent près de 63,2% de la population. Seulement 43,8% des terres arables  sont destinées à la pratique de l’agriculture (Banque Mondiale, WDI 2012). Les conditions de vie des populations rurales en Afrique Subsaharienne ne sont pas les meilleures. Il faut dire que l’agriculture en Afrique est encore rudimentaire et loin du niveau technologique observé en occident. Ce qui limite les performances de ce secteur. A cela, il faut ajouter les facteurs climatiques comme les inondations, la sécheresse, une pluviométrie capricieuse et des sols parfois surexploités et un déficit en matière de techniques culturales modernes.

Décidés à ne pas laisser perdurer cet état de chose, les Etats ouest africains ont pris l’initiative de soutenir le secteur en mettant en œuvre une réponse à l’échelle régionale en vue de rendre l’agriculture plus productive et pérenne en Afrique de l’Ouest. A cet effet, un programme conjoint entre les pays de la CEDEAO, le Programme de Productivité Agricole en Afrique de l’Ouest (PPAAO ou WAAPP-West Africa Agricultural Productivity Program) avec l’appui financier de la Banque Mondiale et d’un coût total de 51 millions de Dollar US, a été mis en place.

Cet  article se propose de présenter et d’analyser les enjeux du  WAAPP à travers ses objectifs et ses composantes. Il met en exergue ses particularités par rapport à d’autres programmes déjà en cours initiés dans la sous-région ouest-africaine en vue de rendre le secteur agricole plus performant.

WAAPP/PPAAO : un prolongement par continuité !

Le WAAPP met l’accent sur les filières prioritaires de la région notamment les racines et tubercules au Ghana, le bétail, le riz au Mali, les céréales au Sénégal, la banane plantain en Côte d’Ivoire, le maïs au Togo, ainsi que fruits et légumes, oléagineux et les principales spéculations d’exportations comme le coton, le café, le cacao. Il vise à contribuer à l’atteinte des objectifs du PDDAA du NEPAD à travers une croissance importante du PNB agricole mais également à l’atteinte des Objectifs du Millénaire pour le Développement.

Chaque pays constitue une unité indépendante et sera donc chargé de gérer les activités du programme sur son territoire en fonction des spéculations cultivées dans le pays et entrant dans le cadre du WAAPP avec des bilans périodiques en collaboration avec toutes les institutions partenaires.

Le WAAPP n’est pas la première réponse sous régionale apportée aux problèmes que connait le secteur agricole ouest-africain. On peut évoquer le Cadre stratégique de sécurité alimentaire porté par le CILSS, Programme d’action sous régional de lutte contre la désertification mis en place depuis 1973, la Politique Agricole de  l’UEMOA (PAU) lancée en 2001. En 2005, les chefs d’État et de gouvernement des pays membres de la CEDEAO ont adopté  la politique agricole régionale, l’ECOWAP dans le but de créer un cadre régional de politique agricole et dont les objectifs sont entre autres la sécurité alimentaire, l’intégration des producteurs aux marchés, la création d’emplois garantissant des revenus à même d’améliorer les conditions de vie des populations rurales ainsi que les services en milieu rural, l’intensification durable des systèmes de production ou encore l’adoption de mécanismes de financement appropriés.

Un nouveau souffle pour l’intégration régionale

Si le WAAPP ne diffère pas fondamentalement des projets existant déjà dans la sous-région ouest-africaine en ce qui concerne ses objectifs, c’est plutôt l’approche adoptée et les composantes du WAAPP qui font la différence. En effet, le projet est axé sur quatre composantes à savoir : la création de conditions propices à la coopération régionale en matière de développement et de diffusion de technologies, le développement de Centres Nationaux de Spécialisation (CNS), le financement de la création et l’adoption de technologies axées sur la demande en vue de renforcer et de rendre plus transparents les mécanismes de financement des activités prioritaires de R&D agricole axées sur la demande dans les pays participants et enfin la Coordination, Gestion et Suivi-Evaluation du programme.

Dans le cadre du WAAPP, des filières sont considérées comme prioritaires au niveau de chaque pays dans le but de mettre sur pied des Centres Nationaux de Spécialisation. Mais l’étude des autres filières n’est pas pour autant négligée. Par la suite, les résultats obtenus, concernant les filières non prioritaires dans chaque pays, seront diffusés et partagés avec les autres centres nationaux. Ceci dans le but de favoriser une circulation de l’information et une meilleure coopération au niveau sous régional.

Cet aspect du programme vise à pallier au manque de collaboration constatée entre les chercheurs, les services d’appui-conseils et universitaires, afin de leur permettre de travailler en partenariat avec les producteurs agricoles, le secteur privé et la société civile ; ceci en vue de mieux répondre aux besoins et aux opportunités d’innovation dans le secteur. La réhabilitation des équipements essentiels des CNS retenus,  le renforcement des capacités des chercheurs, l’Appui des programmes de R&D des CNS sont également au programme. A cela, il faut ajouter, une accélération du processus de mise en place d’un cadre commun des règles et législations sur les semences et les pesticides, la mise en place d’un cadre commun en matière de Droits de Propriété Intellectuelle (DPI) et autres comme les droits des paysans et l’Indication Géographique (IG) ainsi que la révision des procédures nationales afin de les aligner aux directives régionales.

L’approche retenue pour le WAAPP se base donc d’une part, sur l’intégration et l’harmonisation des politiques agricoles nationales et d’autre part, sur l’établissement de liens étroits entre la recherche, la vulgarisation, les producteurs et les opérateurs privés.

 Une aubaine pour les agriculteurs et les filières ciblées

Les agriculteurs sont les premiers bénéficiaires de ce programme. En effet, il sera établi un diagnostic sur les performances des exploitations agricoles et des filières retenues sur la base d’indicateurs bien précis qui seront calculés comme le rendement, la production agricole, les superficies emblavées ainsi que le revenu moyen des ménages, le type de financement des exploitations agricoles. Ensuite seront mise en place, des actions bien ciblées afin de mieux accompagner les exploitants agricoles dans leurs activités de production en mettant à leur disposition plus de moyens techniques et financiers, ce qui leur permettra d’améliorer leur productivité et leur compétitivité ainsi que leurs revenus et leurs conditions de vie. En effet, dans un contexte international instable marquée par l’insécurité alimentaire, la volatilité des prix, la récession et la baisse de la demande de certains produits comme le coton, les aléas climatiques, les agriculteurs sont de plus en plus tournés vers les cultures pouvant leur assurer des revenus réguliers comme l’hévéa, dont la saignée peut se faire durant toute l’année aux détriments de la culture du cacao dont la récolte est ponctuelle. Ce projet est donc salutaire pour peu qu’il puisse redynamiser le secteur agricole ouest-africain. Il faut dire que l’agriculture est l’un des principaux moyens de subsistance dans la région ouest-africaine, employant 60% de la population active d’après l’Institut International de Recherche sur les Politiques Alimentaires (IFPRI).

Le WAAPP en mettant l’accent sur la recherche, apporte un plus et  offre de nouvelles perspectives au secteur agricole ouest-africain. Cependant, il montre que l’intégration régionale totale a encore du chemin devant lui et se trouve confronter à un manque de coordination apparent et un fédéralisme encore poussif conjugué à un paysage institutionnel dense marqué par une multiplication de programmes et de propositions de politiques, dont la cohérence et l’efficacité globales sont limitées. Ce qui suppose que le WAAPP, ainsi que les autres programmes ne seront efficaces que s’il y a une meilleure collaboration entre les Etats et moins de barrières à l’application des réglementations sous régionales.

Koffi ZOUGBEDE

“Le Commerce interafricain et ses piliers: relais de croissance face à la crise économique mondiale”

Le Club Diallo Telli et Dauphine Alumni Afrique ont organisé le 28 septembre dernier à l’université Paris Dauphine, en partenariat avec Terangaweb-L’Afrique des Idées, un colloque sur le thème : « Le Commerce Interafricain et ses piliers : Relais de Croissance face à la crise économique mondiale ». Le but de cet événement a été de sensibiliser le grand public aux défis du commerce interafricain et de présenter des propositions pour son renforcement. Plusieurs sous-thèmes ont été abordés au cours des quatre tables rondes qui ont ponctué le colloque et qui ont enregistré la participation de plus de 150 personnes.

infrastructure« Infrastructure et superstructure, prérequis indispensables au développement des échanges »

Ayant pour thème « Infrastructure et superstructure, prérequis indispensables au développement des échanges », la première table ronde a vu la participation de trois intervenants: Laurance Daziano, Maître de conférences en économie à Sciences Po Paris spécialisée sur l’Afrique, Pascal Agboyigor, Avocat spécialisée sur l’énergie et l’infrastructure et Paul-Harry Aithnard, Directeur de Recherche et Gestion d’Actif au sein du groupe Ecobank.

Laurance Daziano a souligné l’importance du manque des infrastructures urbaines et énergétiques de même que celui des infrastructures de l’extraction des matières premières en Afrique. Elle a mis notamment l’accent sur le rôle des partenariats public-privé dans l’investissement des infrastructures et sur le rôle croissant des entreprises chinoises dans le financement des infrastructures, par exemple en Mozambique.

Pascal Agboyigor a axé son intervention sur la nécessité d’une superstructure afin de coordonner et organiser le financement des infrastructures. Il a affirmé que l’un des défis les plus importants pour le gouvernement concerné était l’adaptation des règles de concurrence pour pouvoir permettre l’émergence d’acteurs locaux et régionaux.

Paul-Harry Aithnard a quant à lui expliqué les raisons pour lesquelles le déficit d’infrastructures constitue un handicap pour le développement de l’Afrique, davantage que le déficit observé en matière d’éducation et de santé. Il a en effet souligné son effet dévastateur sur l’économie : inégalités sociales, baisse de la rentabilité, faible productivité. Il a ainsi rappelé que selon les estimations de la Banque Mondiale, entre 6% et 20% de la perte de chiffres d’affaires des entreprises africaines était liée au manque d’infrastructures. Dans ce sillage Paul-Harry Aithnard a ajouté que les infrastructures ont un effet multiplicateur sur l’économie, notamment en termes de développement de l’industrie extractive, des PME, de l’emploi et du commerce interafricain. Il a enfin mis l’accent sur le transport et l’énergie comme les deux pôles d’infrastructures les plus importants.

« Eriger l’intégration régionale au rang de catalyseur des échanges : quels leviers ? »

La deuxième table ronde a porté sur cette question « Eriger l’intégration régionale au rang de catalyseur des échanges : quels leviers ? ». Elle a vu la participation de Bakary Traoré, Economiste au sein du centre de développement de l’OCDE, Sidy Diop, Economiste au sein du cabinet de conseil Microeconomix, Jean-Jacques Lecat, Avocat associé chez Francis Lefebvre et Président de la Commission juridique et fiscal du CIAN[1] et Abdoulaye Tine, Docteur en droit et avocat.

Bakary Traoré est d’abord revenu sur la forte croissance africaine au cours des 10 dernières années, avec un taux de croissance des dix premières économies africaines proche de celui de la Chine. Il a cependant souligné que les échanges interafricains, de l’ordre de 10%, étaient plus faibles que le commerce entre la Chine et l’Afrique (13% en 2011).

Sidy Diop a évoqué l’importance de l’impact des échanges non seulement sur la croissance économique mais aussi sur la pauvreté. Le véritable enjeu résiderait donc, non pas sur l’impact du commerce sur la croissance nominale, mais plutôt sur le développement humain et l’amélioration des conditions de vie des populations du continent. Il a enfin souligné l’importance du prix dans l’accessibilité aux infrastructures par les entreprises qui engendre une faible concurrence.

Jean-Jacques Lecat a présenté brièvement les unions économiques et douanières ainsi que les traités juridiques en Afrique mis en place pour l’harmonisation des règles juridiques et l’intégration régionale. Il a attiré l’attention du public sur le grand nombre de ces organisations, on en dénombre 26, et sur les chevauchements qui existent entre elles et qui sont susceptibles d’en altérer l’efficacité. Le nouvel accord de libre-échange tripartite COMESA-SADC-EAC a été présenté comme une nouvelle piste pour redonner un nouveau souffle à l’intégration régionale en Afrique. Quant à Abdoulaye Tine, il est revenu sur les entraves qui existent sur le terrain à l’harmonisation effective du droit, en dépit d’initiatives salutaires comme l’OHADA (Organisation pour l’harmonisation en Afrique du Droit des Affaires).

« Promouvoir le développement des PME africaines, colonne vertébrale des économies africaines : enjeux et perspectives »

Deux intervenants ont pris part à la 3ème table ronde : Laureen Kouassi-Olson, Directrice d’investissement chez Amethis France et Abderhamane Baby, Directeur administratif et juridique du Groupe Azalai Hotels.

Laureen Kouassi-Olson a d’abord rappelé que les PME représentent 90% du secteur privé en Afrique, avant de mettre en lumière leurs difficultés d’accès au financement, en particulier pour les plus petites entreprises. Elle a insisté sur l’importance des PME dans une croissance économique durable et inclusive. Cette place reste cependant tributaire de l’existence d’un tissu de banques locales prêtes à les financer. Quant à Abderhamane Baby, il est revenu sur l’expérience du Groupe Azalai Hotels, présents dans plusieurs pays africains et de façon plus générale sur les nouvelles tendances qui amènent les banques à s’intéresser de plus en plus aux PME.

« Croissance du commerce interafricain : opportunité pour l’intégration de la jeunesse dans le marché du travail ? »

La dernière table ronde avait pour particularité de donner la parole à la jeunesse, en l’occurrence à Laetitia Sagno, Chargée de Mission Afrique au CEPS[2], Quentin Rukingama, Président du Club Diallo Telli et Georges-Vivien Houngbonon, Economiste en chef du think-tank Terangaweb- l’Afrique des Idées.

Si la croissance du commerce interafricain constitue une opportunité pour l’intégration de la jeunesse dans le marché du travail, Laetitia Sagno a cependant mentionné deux conditions nécessaires : une formation adaptée aux besoins locaux et des politiques favorisant l’initiative privée chez les jeunes. Elle a regretté que cette culture de l’entreprenariat se manifeste davantage dans l’Afrique anglophone que dans l’Afrique francophone. Après avoir partagé ses expériences de terrain concernant des pays comme le Kenyan et le Mozambique, Quentin Rukingama a mis l’accent sur l’importance de la formation technique non seulement dans le domaine de l’industrie mais aussi du management. Quant à Georges-Vivien Houngbonon, il a présenté des études statistiques laissant transparaitre une relation légèrement négative entre le degré d’intégration d’un pays dans le commerce interafricain et son taux de chômage. Autrement dit, les pays les plus intégrés dans le commerce interafricain sont ceux qui ont les taux de chômage relativement les moins élevés, à l’instar du Sénégal et du Bénin.

Le Club Diallo Telli a prévu de consigner l’ensemble des échanges qui ont eu lieu lors ce colloque dans un Livre Blanc qui sera publié dans les prochains mois.

 

Ecem Okan


[1] Conseil Français des Investisseurs en Afrique

[2] Centre d’Etude et de Prospective Stratégique

Le tarif extérieur commun de la CEDEAO : un nouveau pas vers l’intégration ?

La prochaine adoption par la communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) d’un règlement visant à mettre en place un tarif extérieur commun (TEC) à partir du 1er janvier 2014 sera sans doute une avancée majeure vers l’intégration économique et politique de l’espace Cedeao.
 


CEDEAO

Cependant, l’adoption d’un TEC peut avoir des conséquences sur le pouvoir d’achat des consommateurs et sur la productivité des entreprises locales qu’il convient d’examiner au regard de ses avantages.

Qu'est-ce que le TEC-Cedeao ?

Initialement en vigueur au sein de l’Uemoa depuis le 1er janvier 2000, le TEC sera étendu à l’espace Cedeao qui, en plus des huit pays membres de l’Uemoa, regroupe les sept pays d’Afrique de l’Ouest ne partageant pas la monnaie commune, le franc CFA.

Le TEC consiste à appliquer le mêmes droits et taxes aux marchandises entrant dans l’espace Cedeao indépendamment de leurs points d’entrée et de leur destination.

Par exemple, l’importation de volailles surgelées sera taxée de 20% qu’elle soit à destination du Bénin ou du Nigéria alors que ce taux est actuellement de 20% pour le Bénin et 10% pour le Nigéria. La construction du TEC répond au double objectif de favoriser la transformation des produits agricoles et l’importation de produits « sociaux » dits essentiels comme les médicaments, livres, etc. 

Ainsi, les produits ont été regroupés en quatre catégories suivant leur niveau de transformation industrielle et leur importance dans la consommation des ménages pauvres. A priori, la structure du nouveau TEC devrait être similaire à celle de l’Uemoa présentée dans le tableau ci-après. 

tec_cedeao1
Source : Présentation LARES

Cette structure est complétée par des mesures de sauvegarde dont la Taxe Dégressive de Protection destinée à protéger les productions locales d’une concurrence déloyale et la Taxe de Sauvegarde destinée à protéger la production locale contre les fluctuations des prix internationaux. En dépit de ces mesures, l’uniformisation des droits et taxes est un changement significatif dans la fiscalité en Afrique de l’Ouest qui engendrera des gains et des pertes aux niveaux national et régional.

Qu’est ce qui va changer ?

Source : Repris d’un article du European Centre for Development Policy Management, 2013. Ce graphique présente la moyenne non pondérée des droits de douane en fonction des catégories de produits (chapitres). La liste des produits inclus dans un chapitre peut être trouvée en suivant ce lien.

Source : Repris d’un article du European Centre for Development Policy Management, 2013. Ce graphique présente la moyenne non pondérée des droits de douane en fonction des catégories de produits (chapitres). La liste des produits inclus dans un chapitre peut être trouvée en suivant ce lien.

L’une des spécificités du TEC actuellement en vigueur dans l’Uemoa est que les droits de douanes sont très bas par rapport aux tarifs en cours dans d’autres pays ou communautés économiques. Typiquement, le taux moyen dans l’Uemoa est de 8,8% avec un maximum de 20% alors qu’il atteint jusqu’à 50% au Nigéria voisin. L’objectif est d’étendre cette spécificité à l’ensemble des pays de la Cedeao à travers l’instauration du TEC-Cedeao.

Toutefois, compte tenu des objectifs de politique sectorielle spécifiques à chaque pays, le TEC-Cedeao a subi une légère augmentation par rapport au TEC-Uemoa. Comme le montre le graphique ci-contre, cette augmentation est plus prononcée pour la viande et le cacao (chapitres 2 et 18 respectivement). Par ailleurs, on note également une baisse importante des tarifs pour les produits des chapitres 1 et 9 constitués respectivement des animaux vivants d’une part et du café, thé et épices d’autre part. Les effets de ces changements vont se refléter dans les économies nationales de même qu’à l’échelle de la Cedeao

Quels sont les effets à l’échelle nationale ?

A court terme, on devrait s’attendre à une baisse des recettes douanières pour les pays importateurs des produits dont les tarifs ont été réduits. Cependant, cette baisse est susceptible d’être compensée par une hausse du volume des importations de ces produits si la baisse du droit de douane se traduit dans les prix de détail. Cet effet de neutralisation dépend aussi de l’ampleur de la réaction des consommateurs face à une baisse éventuelle des prix de détail. Dans le cas d’espèce, ces effets sont à craindre par les pays importateurs d’animaux vivants, de café, de thé ou d’épices. Dans le cas où la baisse des droits de douane entraînerait une baisse nette des recettes douanières, certains pays peuvent envisager de la compenser par une augmentation de la TVA ou des droits d’accises (ex. taxes sur l’alcool et le tabac). Cela conduirait donc à une augmentation des prix de détail, surtout sur les produits de grande consommation. A revenu constant, cela correspond à une baisse du pouvoir d’achat des populations. A long terme, l’uniformité des droits de douane devrait entraîner un gain de productivité à cause d’une meilleure réallocation des facteurs de production, i.e. dans les pays où ils sont les plus compétitifs. Par exemple, avec le TEC-Cedeao, une entreprise de fabrication de meubles préférerait s’installer dans un pays où la main d’œuvre est le moins cher puisqu’il n’a plus d’arbitrage à faire sur l’importation du bois. Cependant, cet effet de long terme est conditionné par l’existence d’infrastructure de transports et de communication permettant de vendre n’importe où dans l’espace Cedeao indépendamment du pays de production.

Quels sont les effets à l’échelle régionale ?

Le bilan de cette réforme à l’échelle régionale est mitigé parce qu’elle comporte des effets bénéfiques sur le court terme ; mais potentiellement néfastes sur le long terme. L’ampleur de ces effets dépend surtout du degré d’ouverture de l’espace Cedeao par rapport au reste du monde. Comme le montre le tableau ci-dessus, en s’alignant sur la structure tarifaire du TEC-Uemoa, la Cedeao sera l’espace économique le plus ouvert au monde avec des taux compris entre 0 et 20%.

 

Source : Note d’Analyse de la Platforme ANE du Sénégal, 2009.

Source : Note d’Analyse de la Platforme ANE du Sénégal, 2009.

Une telle ouverture économique dans un marché d’environ 300 millions de consommateurs (presque la taille du marché USA) et dans un contexte d’adoption des accords de partenariat économique avec l’Union Européenne est à la fois source d’opportunités et de pauvreté. En effet, la mise en œuvre du TEC-Cedeao constitue un élargissement du marché pour les importateurs étrangers. Ceux-ci seront donc inciter à entrer sur le marché Cedeao compte tenu des économies d’échelle induites par cet élargissement du marché. Ils seront plus compétitifs que les producteurs locaux. Il devrait s’en suivre une baisse des prix et une diversité des produits pour le consommateur.

Cependant, cette concurrence est de nature à évincer les producteurs locaux des marchés nationaux et même à décourager le développement agricole et industriel. Cette conséquence se traduira par une augmentation du chômage dans une population majoritairement jeune et une persistance du secteur informel. Dès lors, il en résulte que la mise en place d’un TEC-Cedeao aussi décalé par rapport à la moyenne mondiale est potentiellement source de pauvreté.

Par ailleurs, l’absence de développement industriel est susceptible de freiner la mobilité des travailleurs et des capitaux à travers l’espace, gage d’une intégration économique effective. Au regard de ces effets potentiels du TEC-Cedeao, il s’avère nécessaire d’évaluer précisément à travers une étude empirique l’impact de cette mesure sur l’économie de la Cedeao. A notre connaissance, une telle étude n’avait pas été faite pour l’Uemoa. Il importe de ne pas l’occulter dans le cadre de la Cedeao compte tenu des enjeux de développement que la mise en place d’un tarif extérieur commun représente.

Comment relever le défi des infrastructures en Afrique ?

Comme développé dans un précédent article paru sur Terangaweb et intitulé Le défi des infrastructures en Afrique, le continent fait face à un déficit considérable d’infrastructures dans des secteurs tels que l’énergie, les transports, l’eau et l’assainissement. Ce défi est d’autant plus crucial que le déficit en matière d’infrastructures est accentué par les perspectives de croissance de l’Afrique, d’où la nécessité de répondre aux besoins immédiats tout en s’inscrivant dans une perspective à long terme. Parce que les enjeux se posent à l’échelle régionale et que les besoins en financement sont immenses, l’approche régionale et la mobilisation de financements innovants constituent les deux principaux leviers pour relever le défi des infrastructures en Afrique.

La nécessité d’une approche régionale

La balkanisation politique de l’Afrique a eu comme conséquence économique directe la juxtaposition de petits marchés isolés et inefficaces. C’est ainsi que dans le secteur de l’énergie par exemple, au sein d’une vingtaine de pays africains, la taille du réseau électrique national reste inférieure à l’échelle d’efficacité minimale d’une seule centrale électrique. A cet égard, l’approche sous régionale permettrait de se doter d’infrastructures communes à plusieurs pays et suffisamment grandes pour prendre en charge de manière efficace les besoins des populations tout en réduisant le coût de l’électricité qui est l’un des plus chers au monde.

Des initiatives de ce type existent en Afrique de l’ouest avec le projet de mise en place du système d’échanges d’énergie électrique ouest africain (West African Power Pool – WAPP) qui a déjà fait l’objet d’un article sur Terangaweb. Il s’agit d’ « un système d’intégration des réseaux électrique de 15 pays » (tous les pays de la Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest à l’exception du Cap Vert) et de « gestion du marché unifié régional ainsi créé ». Outre l’accroissement des capacités des installations de production, une telle approche régionale à travers la constitution d’un marché de l’électricité d’environ 300 millions de consommateurs, est à même de favoriser davantage d’investissements dans des infrastructures aussi bien de production que de transport d’énergie électrique.

La mobilisation de financements innovants

Pour les pays africains, la couverture des besoins en infrastructures nécessite la mobilisation de financements considérables. Le diagnostic des infrastructures nationales en Afrique(1) a estimé que pour combler le déficit d’infrastructures en Afrique, il est nécessaire d’investir 93 milliards de dollars par an. Par ailleurs et de façon sans doute plus réalisable, le programme d’actions prioritaires (PAP), adopté dans le cadre du Programme de Développement des Infrastructures en Afrique (PIDA) (2), estime les besoins de financements des infrastructures prioritaires sur la période 2012-2020 à 68 milliards de dollars. Au regard de l’envergure des investissements requis et dans un contexte de tension des finances publiques des Etats, il est nécessaire de s’appuyer des modes de financements innovants.

Certains pays tels que l’Afrique du Sud et le Kenya utilisent « les obligations d’infrastructures » pour financer la construction de routes à péage, d’infrastructures de production d’énergie, de gestion des eaux ou encore d’irrigation. Quant à certaines institutions sous régionales telles que la Communauté du Développement de l’Afrique Australe, le Marché commun de l’Afrique orientale ou encore la Communauté de l’Afrique de l’est envisagent aussi d’émettre des obligations d’infrastructures.

D’autre part, les partenariats public-privé constituent un mode de financement intéressant pour relever le défi des infrastructures en Afrique. Largement utilisé en Afrique du Sud, de loin la première économie du continent, des PPP ont aussi été dernièrement mis en œuvre au Sénégal (autoroute à péage Dakar – Diamniadio) et en Côte d’Ivoire (Pont Henri Conan Bédié d’Abidjan). Les PPP restent cependant peu développés en Afrique, notamment dans les pays francophones. Il semble aussi qu’une mauvaise compréhension de l’allocation des risques dans les PPP constitue un frein à leur recours.

L’une des clés du développement des PPP en Afrique réside dans la constitution, aussi bien au sein des Etats que des institutions sous régionales, de cellules PPP chargées d’identifier et de mettre en œuvre les projets d’infrastructures susceptibles d’être financés sous ce mode. Ce travail nécessitera un renforcement des compétences locales au sein des administrations publiques de sorte à avoir davantage de fonctionnaires qui maîtrisent la problématique des investissements en matière d’infrastructures et les stratégies des investisseurs aussi bien publics que privés. Il devra aussi s’appuyer sur le recours à l’expertise internationale des cabinets de conseil et d’avocats. Dans une interview accordée à Terangaweb, Barthelémy Faye, Avocat Associé au sein du Cabinet international Clearry Gottlieb, a à cet égard insisté sur « la nécessité pour l’autorité publique de moderniser son cadre juridique et réglementaire pour faire face aux contraintes spécifiques du secteur privé lorsqu’il intervient dans un projet aux côtés du secteur public (…) en permettant à l’Etat de préserver certaines prérogatives légitimes liées à son statut de service public et aux investisseurs de satisfaire leur besoin de rentabilité ».

L’autre clé réside dans la participation des partenaires au développement tels que la Banque Africaine de Développement (BAD) et la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD) au tour de table des projets financés sous le mode PPP aux côtés des pouvoirs publics nationaux et des investisseurs privés.

L’impératif du défi des infrastructures : au-delà de la croissance, l’amélioration des conditions de vie des africains

De façon générale, il est nécessaire pour l’Afrique de relever le défi des infrastructures, ne serait-ce que pour leur contribution à l’essor du PIB qui a été absolument phénoménal au cours des dernières décennies comme l’indique une étude de la Banque Mondiale (3).

L’importance des infrastructures s’apprécie de façon encore plus prégnante à la lumière de leur rôle d’impulsion en faveur du développement humain et l'amélioration des conditions de vie des populations africaines. Des infrastructures énergétiques efficaces favoriseront les services de santé et d’éducation pour les enfants du Bénin ; davantage infrastructures pour l’eau et l’assainissement faciliteront l’accès à l’eau et favoriseront l’hygiène publique à Kinshasha, Lagos et Casablanca ; des infrastructures de transport suffisants permettront aux agriculteurs maliens de mieux atteindre les marchés économiques et propulseront l’intégration africaine version Nkosazane Dlamini-Zuma.

Nicolas Simel

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1- Diagnostic des infrastructures nationales en Afrique, 2010

2- Le PIDA a été élaboré à l’initiative de l’Union Africaine et constitue le cadre prioritaire pour les investissements continentaux et régionaux dans quatre secteurs jugés fondamentaux : l’énergie, le transport, l’eau et les TIC (Technologies de l’Information et de la Communication)

3- « Infrastructures africaines, une transformation impérative », Banque Mondiale, 2010. Cette étude cite notamment les travaux de Caldéron (2008) qui explique qu’entre 1990 et 2005, les infrastructures ont apporté 99 points de base à la croissance économique par habitant en Afrique, contre 68 points de base pour les autres politiques structurelles. Cette contribution est notamment le fait de la forte augmentation des infrastructures de télécommunications sur cette période.

Le WAPP : le système d’interconnexion électrique ouest africain

De manière générale, il est important de souligner les actions positives menées en faveur du développement économique partout dans le monde, mais cela revêt une importance capitale lorsque ces actions sont posées dans la zone de turbulence qu’est l’Afrique de l’Ouest. En termes de développement énergétique, la réalisation de plusieurs projets de production électrique (barrages de Soubré en Côte d’Ivoire, de Bui au Ghana, de Kaléta en Guinée, etc..) dans cette zone est à saluer. Cependant, au delà de ces ouvrages de production électrique, le projet sur lequel nous voulons attirer l’attention est celui de l’interconnexion des réseaux électriques des pays de la zone. Produire de l’électricité c’est bien, mais l’acheminer vers tous les lieux de consommation l’est tout autant. C’est pourquoi la mise en place du système d’Echanges d’Energie Electrique Ouest Africain (EEEOA ou WAPP –West African Power Pool) constitue une avancée notable dans le développement de cette partie du monde.

Le WAPP est une institution spécialisée de la CEDEAO chargée dans un premier temps d’intégrer les réseaux électriques des 14 pays membres (tous les pays de la CEDEAO à l’exception du Cap Vert) et dans un second temps de gérer le marché unifié régional ainsi créé. Ces deux missions (le volet technique et le volet économique) sont très importantes pour assurer un approvisionnement en énergie électrique régulier, fiable et à des coûts compétitifs. Les avantages que présente ce système sont nombreux.

D’abord, avec l’EEEOA, l’intégration régionale se retrouvera renforcée. Le déficit de production d’un pays pourra être compensé par les excédents des autres. L’interconnexion entre le Ghana et la Côte d’Ivoire (CI) en est une parfaite illustration. Au départ, cette interconnexion a été réalisée dans le but de permettre au Ghana d’être alimenté par la CI. Mais en 2010, lors de la crise énergétique qui a secoué cette dernière, c’est plutôt le Ghana qui fournissait de l’électricité à la CI. Ainsi l’EEEOA favorisera la coopération entre les sociétés de production, de transport et distribution ainsi que la concertation entre les autorités de régulations du secteur.

Ensuite il est important de souligner qu’avec cette interconnexion, le rêve de marché commun de la CEDEAO va devenir une réalité, au moins dans le domaine électrique. L’EEEOA, c’est la création d’un marché de l’électricité de près de 300 millions de personnes. Certes le taux de couverture est relativement faible (le taux de couverture de la population en CI est de 40%, c’est pourtant l’un des plus importants de la sous-région), mais cette perspective est de nature à attirer plus d’investissement dans le secteur tant au niveau des installations de production et de transport qu’au niveau du développement du réseau dans chaque pays.

De plus l’interconnexion électrique permettra d’accroitre les capacités des installations de production envisagées par les sociétés productrices d’électricité. Selon les normes internationales, une seule installation de production d’électricité ne doit pas produire plus de 10% de la capacité d’un réseau. Ainsi plus le réseau est important et plus les puissances unitaires installées des unités de production d’électricité (barrages hydroélectriques, centrales thermiques, etc…) peuvent être élevées.

Ce projet permettra aussi de clarifier les coûts de transport et d’échange d’électricité. Les producteurs d’électricité pourront être mis en concurrence, ce qui devrait réduire le coût du kWh pour le consommateur final. Les activités de trading pourront ainsi être développées par les entreprises du secteur. Le marché de l’électricité sera donc hautement concurrentiel et très moderne.

Le seul bémol, si on peut l’appeler ainsi, c’est le financement du budget de fonctionnement du WAPP. Ce sont les états membres qui doivent financer les frais de fonctionnement de cette structure. Certains Etats ne règlent pas leurs quotes-parts, ce qui entraine des arriérés considérables. Cette situation peut engendrer la démotivation des équipes et ralentir la réalisation des projets. Il reste à espérer que l’irresponsabilité de nos dirigeants ne mette pas à mal ce beau projet.

 Stéphane MADOU