Stimuler le commerce intra-africain

ob_923c49_d-commerce-intermaghrebin-que-de-barriCompte tenu de la situation économique mondiale, le développement des échanges entre les pays africains devient un enjeu majeur. La structure du commerce mondial, « oblige » les pays africains à traiter entre eux. Les partenaires principaux de l’Afrique, sur le plan économique, sont les Etats-Unis et surtout l’Union Européenne. Deux zones géographiques gravement touchées par la crise, qui sévit depuis plus de quatre ans maintenant, mais qui ravagé leur économie tout particulièrement en 2011. Maxwell Mkwezambala, Commissaire aux Affaires économique de l’Union Africaine, estime que les 5,2% de croissance moyenne (2011) sur le continent sont intéressants, compte tenu de la crise. Néanmoins, commercer essentiellement avec des économies en récession doit pousser, selon lui, les pays africains à revoir leurs prévisions de croissance, à la baisse pour 2012. Par ailleurs, la croissance appelant la croissance, la combinaison d’économies en bonne santé permettrait de connaître un développement plus rapide. L’UA escompte donc une intensification des échanges intra-africains pour réduire le recours à la solution exogène pour régler les problèmes économique internes au continent noir.

Comment faire ?

Les politiques macroéconomiques doivent être orientées vers l’attraction d’investisseurs étrangers, selon Cyril Enweze, ex-vice président de la Banque Africaine de Développement, interrogé pour l’occasion par Afrique Relance. L’attraction de grands groupes du continent, ou étrangers à celui-ci, sont indispensables pour donner de la consistance à ce projet. En complément de cela, il est nécessaire pour les différents gouvernements, de créer des conditions favorables à l’entreprise privée locale. Les TPE et PME sont trop peu développées sur le continent et le caractère dirigiste des économies africaines ne facilite en rien ce développement. Pour Jean Ping, Président de la Commission de l’Union Africaine, il faut se servir des fruits des échanges avec le reste du monde pour intensifier le commerce intra-africain. Pour exemple, en 2010, les produits miniers, qui représentent 66% des exportations des pays africains, ont rapporté 500 milliards de dollars au total. L’objectif 2012 de l’UA est d’augmenter la part des échanges intra-africains dans les échanges globaux des pays d’Afrique, la faisant passer de 12,5% à 25%.

Quelles barrières au projet ?

Les freins à l’intensification des échanges intra-africains sont nombreux et de natures différentes. Le poids de l’Histoire est un premier blocage au développement du projet. La colonisation a habitué les pays africains à traiter en premier lieu avec leurs ex-colonies avant de commercer ensemble. Le premier partenaire du Sénégal est la France. Celui de la Gambie : la Grande-Bretagne. Or, les échanges entre Sénégal et Gambie sont très faibles alors même qui le second est enclavé dans le premier. Des raisons économiques et politiques viennent également remettre en cause le projet. Du fait des nombreuses contraintes douanières, engendrées en grande partie par la corruption, les coûts de transports des matières et produits manufacturés sont en moyenne 63 fois plus élévés lors des échanges intra-africains que lors d’échanges Afrique-Union Européenne. De plus, si la libre circulation des biens et des personnes est officiellement acceptée, elle ne se vérifie pas dans la réalité ; la faute notamment aux pots de vin et à la faiblesse des infrastructures.

C’est précisément ce dernier point qui suscite le plus de questionnement. En effet, si les villes côtières sont très bien aménagées, les infrastructures restent très largement insuffisantes en ce qui concerne l’intérieur des terres. Que l’on parle de la jonction entre villes d’un même pays ou la liaison entre deux pays limitrophes. Selon la Banque mondiale, 75% du commerce intra-africain est assuré par 5 pays : Ghana, Côte-d’Ivoire, Nigéria, Kenya, Zimbabwe. C’est également ce déséquilibre que le continent doit s’attacher à résoudre. Faire de tous les pays africains des acteurs et des partenaires du développement du continent. La régionalisation économique est la clef de la réussite. L’extension des prérogatives pour des organisations telles que la CEDEAO ou encore la Coopération de l’Afrique de l’Est, peut être la solution.

Giovanni Djossou

Le commerce intra-africain : un levier pour l’emploi des jeunes ?

uneAujourd’hui l’emploi des jeunes est au cœur de tous les débats économiques en Afrique. Alors que les recommandations se focalisent sur les politiques classiques de formation, d’entreprenariat et de création de « pôles emploi », le rôle du commerce intra-africain reste occulté. Dans cet article, nous examinons le lien qu’il peut exister entre l’accroissement du commerce entre les pays africains et l’emploi des jeunes. Cet exercice est en prélude au colloque du Club Diallo Telli sur le commerce intra-africain.

A l’échelle d’un pays, nous mesurons l’intensité du commerce intra-africain en utilisant la part des exportations de ce pays en direction de l’Afrique dans le total de ses exportations. Autrement dit, plus un pays Africain exporte vers une destination africaine, plus il est impliqué dans le commerce intra-africain. Quant à l’emploi des jeunes (15 à 24 ans), il est mesuré à travers deux indicateurs. D’une part, le taux de chômage des personnes ayant entre 15 et 24 ans ; et d’autre part le taux de participation de cette même catégorie de la population au marché du travail. La note technique ci-dessous donne plus de détails sur le calcul de ces indicateurs tout en précisant la source des données de même que les références temporelles.

Commerce intra-africain et chômage des jeunes

graph1Les résultats de cette analyse montrent qu’il existe un lien négatif entre le commerce intra-africain et le chômage des jeunes. En effet, comme le montre le graphique ci-contre, les pays qui exportent plus vers l’Afrique ont un plus bas taux de chômage des jeunes.

Ce résultat est davantage conforté lorsqu’on considère la variation de l’intensité du commerce intra-africain entre deux périodes, notamment 1996-2000 et 2007-2011. C’est ce que montre le graphique ci-contre qui présente la relation entre le taux de chômage des jeunes sur la verticale et la variation de la part des exportations vers l’Afrique entre les deux périodes. On y voit en effet que les pays ayant le plus augmenté la part de leurs exportations vers l’Afrique ont les plus bas taux de chômage chez les jeunes.

graph2Cependant, le taux de chômage peut être faible dans des pays où très peu de jeunes participent au marché du travail. Pour cela, nous regardons aussi le lien entre le commerce intra-africain et la participation des jeunes sur le marché du travail.

Commerce intra-africain et participation des jeunes sur le marché du travail

graph3Le graphique ci-contre montre que globalement les pays qui exportent davantage vers l’Afrique ont des taux plus faible de participation des jeunes au marché du travail. Cependant, lorsqu’on y regarde de plus près on constante que la relation n’est pas linéaire ; mais plutôt en U-inversé. Cela signifie qu’il existe un niveau de participation au commerce intra-africain qui maximise la participation des jeunes au marché du travail. D’après nos résultats, ce niveau est de 20%. Autrement dit, les pays dont moins de 20% des exportations sont à destination de l’Afrique peuvent encore augmenter le taux de participation des jeunes sur le marché du travail en s’impliquant davantage dans le commerce intra-africain. Toutefois, lorsque ce niveau est dépassé, une implication plus forte du pays est associée à une plus faible participation des jeunes sur le marché du travail.

graph4En réalité, la partie descendante de la courbe est tirée par quelques pays dont plus de 40% des exportations sont à destination de l’Afrique. Ainsi, nous examinons plutôt ce qui se passe lorsqu’un pays augmente ou diminue la part de ses exportations vers l’Afrique entre 1996-2000 et 2007-2011. Le graphique ci-contre montre que les pays ayant le plus augmenter leur participation au commerce intra-africain enregistrent les plus fort taux de participation des jeunes au marché du travail.

S’agit-il de liens causals ?

Alors que les graphiques ci-dessus décrivent à priori des relations de corrélation entre le commerce intra-africain et l’emploi des jeunes, la question qui survient est de savoir si ces relations peuvent être interprétées comme des liens de cause à effet. Peut-on dire que le commerce intra-africain réduit le chômage des jeunes tout en augmentant leur participation au marché du travail ?

Pour répondre à cette question, nous avions pris quelques précautions dans le choix des indicateurs et des références temporelles. Comme on peut le constater, les données sur l’implication des pays dans le commerce intra-africain datent de la période 1996-2000 pour le premier et le troisième graphe ; alors que les mesures du taux de chômage et de participation des jeunes ont été faites après les années 2000. On ne peut donc pas raisonnablement soutenir que c’est parce qu’un pays a un faible taux de chômage ou une forte participation des jeunes au marché du travail qu’il s’implique davantage dans le commerce intra-africain.

Par ailleurs, le choix de la variation de la part des exportations en direction de l’Afrique entre deux périodes permet de se débarrasser d’éventuels facteurs tiers qui pourraient être à l’origine des relations observées. Il peut s’agir par exemple de l’importance des activités manufacturières, de la position géographique (enclavement), ou de la part du secteur informel qui déterminent à la fois le niveau d’emploi des jeunes et l’implication d’un pays dans le commerce intra-africain.

Il en résulte donc que ces relations sont très probablement causales. Dans le cas échéant, le commerce intra-africain est effectivement un levier de réduction du chômage des jeunes et d’augmentation de leur participation au marché du travail. Concrètement, les résultats indiquent qu’une augmentation de 1 point (en%) de la part des exportations en direction de l’Afrique permet de réduire le taux de chômage des jeunes de 0.1 point et leur taux de participation au marché du travail de 0.3 point.  Ceci étant, ces résultats peuvent être limités par la qualité des données quoique nous ayons restreint l’échantillon sur les pays ayant les meilleures données. De plus, il reste à mettre en lumière les mécanismes qui sont à la base de l’impact du commerce intra-africain sur l’emploi des jeunes en Afrique.

 

Georges Vivien Houngbonon

 

Note technique :

Les données sur la part des exportations en directions des pays Africains sont tirées du rapport 2013 de l’UNCTAD sur l’état du commerce intra-africain. Ces données fournissent en pourcentage la part des exportations de chaque pays africain en direction de l’Afrique d’une part entre 1996 et 2000 et d’autre part entre 2007 et 2011.

Quant aux données sur l’emploi des jeunes, elles proviennent de la sixième édition de la base de données du BIT sur les indicateurs clés du marché du travail. Nous avons choisi les données les plus récentes pour chaque pays, puisque la date de disponibilité diffère suivant les pays. Cependant, la plupart des données datent de la période post-2000.

Pour le calcul des taux de chômage et de participation, se référer au document explicatif du BIT.

Le coût de l’enclavement – Un périple sur les routes d’Afrique

Deux économistes de la Banque Mondiale ont accompagné Albert, chauffeur Burkinabé au long des 750 kilomètres qui séparent Ouagadougou et Tema. Ce prériple est l'occasion de rendre compte des difficultés administratives et des faiblesses infratsructurelles en Afrique de l'Ouest. A ce témoignage, Terangaweb joint un bref mais assez parlant ensemble de graphiques sur l'état des infrastructures en Afrique.

 


landlocked-blog_roadL’axe Ouagadougou-Accra-Tema, qui part de Ouagadougou, au Burkina Faso, en Afrique de l’Ouest, traverse Accra, la bouillonnante capitale du Ghana, pour atteindre la ville portuaire de Tema, est l’un des corridors routiers les plus connus d’Afrique. [N]ous avons accompagné Albert, un chauffeur burkinabé de 50 ans, le temps d’un périple long de 750 kilomètres. Notre objectif ? Rendre compte des lourdeurs administratives qui accompagnent le passage des frontières et entravent le commerce et dénoncer le lourd préjudice économique que subissent les pays enclavés. Il nous a fallu 17 heures pour effectuer ce trajet, au lieu des sept heures prévisibles compte tenu de la distance à parcourir. Nous avons franchi une frontière et 20 postes de contrôle.

Les troubles des pays enclavés

Il y a 37 ans, les dirigeants de 16 pays ont instauré une zone régionale de libre-échange, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (ECOWAS). Cette organisation a pris des mesures visant à réduire les obstacles au commerce. Les droits de douane ont certes été significativement revus à la baisse, mais d’autres obstacles demeurent, qui nuisent aux pays enclavés : leurs échanges commerciaux sont de ce fait inférieurs de 30 % en moyenne à ceux des pays côtiers, alors qu’ils comptent parmi les États les plus pauvres de la planète. Les prix à l’importation sont plus élevés et les pays enclavés reçoivent également moins d’investissements directs étrangers avec, pour conséquence, une croissance économique plus faible, moins d’emplois et une population plus pauvre — L’économiste Jean-Francois Arvis et ses collègues ont d’ailleurs rédigé un rapport intéressant à ce sujet [PDF- Anglais].

Il faut donc, de toute urgence, trouver des solutions pour aider ces pays à participer pleinement aux échanges mondiaux de biens et de services. En entreprenant ce voyage, nous voulions notamment constater par nous-mêmes les difficultés auxquelles se heurtent les activités commerciales, afin de pouvoir en tenir compte dans la suite de nos travaux sur la compétitivité de la région.

Lourdeurs administratives

Sur une route à voie unique et à travers des régions peu peuplées, le trajet qui nous a menés de Ouaga jusqu’à la frontière avec le Ghana a été étonnamment facile. Deux heures et demie après avoir quitté la ville, nous nous sommes arrêtés au poste de gendarmerie burkinabé, où notre chauffeur a fait viser son passeport. Le trafic était dense à la frontière, et nous avancions à une allure d’escargot vers le point de passage. Là, des files de dizaines de camions attendaient leur tour.

Une fois sur le sol ghanéen, nous nous sommes arrêtés pour faire contrôler nos passeports puis pour faire valider nos documents, ce qui nécessite l’obtention de trois visas, apposés par trois bureaux différents. Cela nous a pris une heure et demie… Les routiers auraient trouvé ça rapide, eux qui doivent souvent patienter plusieurs heures, voire, dans les cas extrêmes, plusieurs jours, à la frontière avec leur marchandise.

Nous avons ensuite poursuivi notre route dans le nord du Ghana, où la végétation est incontestablement plus verte et les habitations et les villages nettement plus riches. Cette région a bénéficié d’efforts particuliers pour faciliter les transports. La chaussée est en bon état, les voies suffisamment larges et la signalisation est claire. À Tamale, aux alentours de midi, nous avons pu voir que se tenait ce dimanche un marché animé.

En quittant la ville, nous avons vu des camions surchargés de marchandises. Comme nous, ces camions, qui empruntent l’axe Ouagadougou-Accra-Tema, doivent franchir pas moins de 20 postes de contrôle douanier ou de police, certains semblant avoir été implantés de manière totalement arbitraire. Selon les chauffeurs, en moyenne, les retards pris à la frontière et aux postes de contrôle peuvent allonger leur voyage d’une journée et demie. Beaucoup sont alors obligés de passer la nuit à dormir sous leur camion.

Infrastructures inadaptées

La traversée de Kumasi, deuxième ville du Ghana, nous a également pris une heure et demie. Les routes dans cette région sont pour la plupart en excellent état, à l’exception des 40 derniers kilomètres qui séparent Apedwa d’Accra. Sur ce tronçon, la chaussée n’est pas revêtue et des nids-de-poule gros comme des cratères ralentissent la progression, qui devient cahotante et difficile. En bordure de route, nous avons vu de nombreux camions arrêtés pour une réparation ; d’autres menaçaient de percuter notre véhicule en slalomant dangereusement de droite à gauche pour éviter les cratères.

Après 16 heures de route et une halte pour le déjeuner, la dernière heure de notre trajet nous a conduits d’Accra à Tema, le plus important des deux ports du Ghana. Chaque année, quelques 2 000 ouvriers chargent et déchargent les 10 millions de tonnes de marchandises qui transitent par ce port.

Malgré une certaine organisation et une gestion apparemment opérationnelle, une escale au port de Tema requiert de venir à bout de procédures administratives complexes. Selon les statistiques, il faut en moyenne 19 jours pour faire déplacer un conteneur de 20 pieds entre le port et un terminal dans les terres. Au total, notre trajet depuis Ouagadougou jusqu’au port ghanéen de Tema aura duré 17 heures, sur des routes cahoteuses et aura été entrecoupé de multiples arrêts. Pour les chauffeurs de camions, il peut facilement durer jusqu’à 48 heures.

Si l’on veut simplifier les trajets sur cet axe commercial de première importance, il faudrait réduire le nombre de points de contrôle, revoir la politique régionale et mettre en place des initiatives de facilitation des échanges qui suppriment les goulets d’étranglement. La Banque mondiale s’emploie à collaborer avec les pays d’Afrique et à trouver des solutions grâce au partage de connaissances et à la réalisation de projets associant infrastructures portuaires et réforme des politiques.

 

Ali Zafar  & Valerie Nussenblatt

Blogs.WorldBank.Org

Reproduction sous licence CC 2.0

 


Pour prolonger le sujet : Etat des Infrastructures en Afrique – Idées Générales (Terangaweb – Juillet 2013)