Sortir le Sahel de l’impasse: interview de Serge Michailof

JPG_SergeMichailofLe Sahel va-t-il se transformer en un nouvel Afghanistan ? C’est la question provocatrice que pose Serge Michailof, ancien directeur opérationnel à la Banque mondiale et à l’Agence française de développement (AFD), dans son récent ouvrage Africanistan (Fayard). Terrorisme, explosion démographique, sous-emploi et agriculture en déshérence, le tableau qu’il dresse de la région est inquiétant et aux antipodes d’un discours afro-optimiste béat. Ce spécialiste du développement réclame un électrochoc aussi bien chez les bailleurs internationaux que du côté des élites africaines. Relancer l’agriculture et consolider des États encore bien fragiles nécessite un engagement de longue haleine comme il l’explique à L’Afrique des idées.

Votre livre Africanistan repose sur une comparaison entre la situation en Afghanistan et celle qui prévaut au Sahel. En quoi ce parallèle est-il pertinent ?

Bien évidemment, le Sahel n’est pas l’Afghanistan. Les différences géographiques et culturelles sont considérables. En revanche les points de similitude sont aussi très nombreux. Je citerai en particulier l’impasse démographique avec des taux de croissance de la population exceptionnels, sans rapport avec la capacité du milieu naturel à soutenir cette population, une agriculture en panne par suite des destructions en Afghanistan mais aussi dans les deux cas de l’insuffisance criante d’investissement publics et une misère rurale dramatique. Mais aussi une absence quasi-totale d’industrie, l’importance croissante des fractures ethniques et religieuses, un État absent dès que l’on quitte les villes, le développement de mafias contrôlant des trafics illicites, la circulation des armes, une expansion de l’idéologie salafiste qui se substitue à un islam autrefois très tolérant, les tentatives de déstabilisation par des groupes djihadistes et enfin le manque dramatique d’emplois pour les masses de jeunes, qui risque de les pousser vers l’économie des trafics ou chez les insurgés. Ce n’est pas rien comme vous pouvez le constater….      

Selon vous, le principal défi pour la région est démographique. Pourquoi et comment réguler les naissances, compte tenu des résistances religieuses ou traditionnelles ?

La population des pays du Sahel double en gros tous les 20 ans, ce qui n’est pas tenable. Sur la base des taux de fécondité actuels qui n’ont pas de raison de changer si aucune action n’est entreprise, le Niger qui avait 3 millions d’habitants en 1960 en aura 89 millions en 2050 ce qui est parfaitement impensable au vu de ses ressources agricoles. D’autres pays pauvres musulmans se sont aussi trouvés dans cette situation, je pense par exemple au Bangladesh. Il faut s’inspirer des politiques conduites par ces pays pour lancer des programmes de planning familial ambitieux. Le problème est essentiellement politique. Un effort plus poussé d’éducation des filles, et la simple mise à disposition des femmes de moyens de contraception modernes auraientt déjà un impact significatif.

Vous signalez à plusieurs reprises que le développement agricole est crucial pour l'avenir du Sahel et qu'il est le grand absent de l'aide internationale. Les principaux bailleurs ont-ils oublié l'agriculture africaine ?

Depuis le départ de Robert McNamara de la Banque mondiale à la fin des années 1970, les bailleurs extérieurs ont effectivement oublié l’agriculture. Ils suivent les urgences conjoncturelles et de véritables modes. Ils ont ainsi lancé l’ajustement structurel dès la fin des années 1970 pour payer aux banques des dettes non remboursables que l’on ne voulait pas annuler – ce qui rappelle singulièrement la Grèce aujourd’hui – puis ils sont passés au tout social avec les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) qui, c’est quand même incroyable, avaient oublié l’agriculture. Maintenant la mode est à la croissance verte. Au milieu de tout ceci la part de l’aide mondiale affectée à l’agriculture n’a cessé de décliner depuis la fin des années 1970 et stagne aujourd’hui à moins de 8 %. La plupart des grands bailleurs ont laissé disparaître leurs équipes d’agronomes, remplacés par des économistes qui ne savent pas distinguer un plan de sorgo d’un plan de manioc.

Non sans anticonformisme, vous considérez que les dépenses de sécurité, pour renforcer l’armée et la police, devraient être intégrées à l'aide au développement. Pour quelles raisons ?

Tout le monde répète comme un disque rayé qu’il n’y a pas de développement sans sécurité, ce qui est vrai, mais personne ne veut payer pour cette sécurité. L’une des raisons du désastre en Afghanistan est que personne ne voulait payer le fonctionnement d’une armée afghane dimensionnée pour faire face aux talibans, car le Pentagone considérait qu’il n’avait pas de budget pour cela, l’USAID (l’Agence américaine de développement) que ce n’était pas son boulot, la Banque mondiale que ses statuts lui interdisaient pareille chose… Résultat : quand les Américains ont décidé en 2008 de mettre en place une telle armée, il était déjà trop tard. Or deux enseignements peuvent être tirés du désastre actuel dans ce pays. Primo, une armée étrangère se transforme vite aux yeux de la population en armée d’occupation. La sécurité exige la reconstruction dans ce type de contexte de tout l’appareil régalien national, allant de l’armée à la justice et à l’administration territoriale. Secundo, des États fragiles aux économies faibles ne peuvent supporter des dépenses de sécurité à la hauteur de menaces externes telles celles posées aux pays sahéliens par Boko Haram et l’implosion de la Libye.    

Sur le plan politique, vous insistez sur le piège des divisions ethniques et préconisez un système institutionnalisé de partage des pouvoirs entre ethnies ou partis. Comment cela se passerait-il concrètement ?

Ce problème est fondamental et en  même temps extrêmement complexe. Ce que l’on peut dire aujourd’hui c’est qu’une « démocratie » dans laquelle un parti ou un groupe ethnique arrivé au pouvoir avec 51 % des votes mais qui se comporte de manière sectaire vis-à-vis du ou des autres groupes ethniques ou religieux est profondément instable et a toute chance de créer des conditions susceptibles de conduire à la guerre civile. Il n’y a peut-être pas de meilleur exemple que le cas de l’Írak où la majorité chiite arrivée au pouvoir parfaitement légalement a ostracisé les sunnites au point que ceux-ci se sont massivement ralliés à Daesh. Il est donc indispensable de laisser un rôle aux oppositions, de ne pas la chasser systématiquement de tous les postes, de développer des contre-pouvoirs et finalement de partager les rentes…  

 

Dans votre ouvrage, vous êtes plutôt élogieux sur le rôle d'Idriss Déby à la tête du Tchad. Un pouvoir fort est-il incontournable dans des pays qui restent fragiles ?

Je ne suis pas un inconditionnel de Deby loin de là. Mais on ne peut espérer diriger un pays aussi complexe et déchiré que le Tchad avec une main qui tremble. Ceci dit ne me faites pas dire que je suis un partisan des dictatures dans les pays fragiles. Le Niger et le Mali sont, et c’est heureux pour ces pays, des démocraties.

Côté français, vous stigmatisez une aide au développement diluée dans le multilatéralisme et qui ne vise plus les pays les plus fragiles. Pourquoi la France serait-elle plus efficace seule qu'avec ses partenaires, comme vous le faisait remarquer il y a deux ans et demi le ministre du développement Pascal Canfin ?

Je ne veux pas être trop critique d’un ministre pour lequel j’ai de l’estime mais qui était et c’est normal, peu au fait de ces questions et qui je pense a été mal conseillé. Je lui avais fait une note avec mon ami Olivier Lafourcade, comme moi ancien directeur opérationnel à la Banque mondiale. Je pense qu’il était donc difficile de trouver meilleure expertise sur cette question que celle que nous pouvions offrir et quand nous lui avons écrit pour lui dire que la Banque mondiale n’avait aucune expertise particulière sur le Sahel et avait depuis longtemps dispersé ses experts en développement rural, point fondamental, il aurait au moins pu nous recevoir et nous écouter. Hors d’Afrique,  la seule expertise disponible sur le Sahel et en particulier en matière de développement rural dans cette région se trouve en France, à l’AFD, dans les centres de recherche que sont le CIRAD et l’IRD et dans les ONG françaises. N’oublions pas que la Banque mondiale au Sahel a fait d’énormes bêtises, en particulier cette tentative de démanteler le programme coton monté sur 30 ans par la coopération française. Là où elle a réussi à démanteler la filière comme au Bénin regardez le désastre. Là ou elle a heureusement échoué comme au Burkina voyez aussi le résultat. Cette filière fait vivre au Sahel 15 millions de personnes.

"Montagnes de problèmes", "probables catastrophes" humanitaire et écologique, “impasse”… Votre ouvrage paraît bien sombre quant à l’avenir du Sahel. N'y a-t-il aucun motif d'espoir ?

Je fais partie de ceux qui pensent comme Toynbee que c’est l’ampleur des problèmes qui fait que certaines sociétés y font face avec vigueur et parviennent à les résoudre ou au contraire se laissent submerger par eux. Mon livre a pour objectif de secouer nos propres élites qui sont focalisées sur le court terme et perdent toute perspective. Il a aussi pour ambition de secouer les élites africaines qui croient trop facilement que les remarquables taux de croissance économique de l’Afrique depuis 15 ans signifient que le continent est sur la voie de l’émergence et que ses problèmes seront bientôt derrière lui. Le grand problème de l’Afrique au XXIème siècle sera celui de l’emploi et de la stabilité politique et sociale dans un contexte où comme au Moyen Orient les emplois, sur la base des tendances actuelles, ne suivent pas la démographie. Mais rien n’est perdu. Chacun sait qu’un problème correctement posé est partiellement résolu. Mon livre ne manque pas sur ce plan de propositions…   

Parmi ces raisons d'espérer, quel regard portez-vous sur l'alternance au Nigéria et le retour à la stabilité en Côte d'Ivoire, deux pays qui selon vous furent longtemps des locomotives pour toute la région ?

Toute cette période passée au Nigéria sous Goodluck Jonathan et son chapeau est consternante. Cela peut donc difficilement être pire. Au moins Buhari est du Nord et ne peut manquer de s’y intéresser, de tenter d’apporter des solutions au désastre économique et environnemental qui explique l’essor de Boko Haram. Il va aussi remettre un minimum d’ordre dans l’armée, y réduire la corruption et tenter de modifier son comportement au nord. De là à ce que le Nigéria redevienne une locomotive régionale il y a encore beaucoup à faire dans un contexte où le prix du pétrole restera pour un bon moment très bas et certaines des décisions économiques récentes comme les restrictions aux importations et le refus d’ajuster le taux de change sont plutôt néfastes. Sur la Côte d’Ivoire je suis plus optimiste. Le tandem Alassane Ouattara – Daniel Kablan Duncan est d’une grande compétence et l’économie est repartie. Le problème sera essentiellement le maintien de la stabilité politique qui suppose après Ouattara la poursuite du deal reposant sur un partage du pouvoir entre les grands partis.

Propos recueillis par Adrien de Calan

Afrique : le continent des pauvres ?

bm pauvreteDans un communiqué récent, la Banque Mondiale annonçait que le nombre de pauvres dans le monde aurait diminué de 3,2 points de pourcentage entre 2012 et 2015 pour s’établir à 702 millions de personnes, soit un peu moins de 10% de la population mondiale, et qu’à cette allure l’extrême pauvreté pourrait être éradiquée d’ici 2030. Cette donnée est d’autant plus impressionnante que le seuil a été révisé à la hausse, passant de 1,25 USD par jour à 1,90 USD.

Avant toute chose, il faut préciser qu’en termes réelles, ce seuil n’a point changé. La méthodologie utilisée par les analystes de la BM conserve le pouvoir d’achat réel et l’actualise au prix de 2011. En d’autres termes, il est considéré que la quantité de biens et services qu’une personne peut s’offrir n’a pas changé mais que ce sont les prix qui ont évolué. Ce nouveau seuil ne traduit donc qu’une augmentation de prix plutôt qu’une variation (à la hausse des capacités réelles) et c’est tant mieux. Les résultats des estimations effectuées par la Banque ne seraient donc pas liés à la méthodologie.

En ce qui concerne l’Afrique subsaharienne, le taux de pauvreté est passé de de 56% en 1990 à 35% en 2015. Une donnée qui tend à prouver que les pays africains luttent effectivement contre la pauvreté. Or sur les 702 millions de personnes concernés, 346 millions seraient d’Afrique subsahariennes contre 285 millions en 1990.

Le 35% annoncé comme taux de pauvreté en Afrique subsaharienne serait donc lié à un effet de base ; la population africaine ayant fortement cru sur la période passant de 523 millions en 1990 à près d’un milliard en 2015. Comparé à d’autres régions du monde (notamment ceux affichant un niveau de pauvreté similaire à celui du continent en 1990), le constat est que de façon absolue, la croissance de la population africaine s’est accompagné d’une augmentation de la population des pauvres mais à un rythme moins prononcée de sorte qu’il paraît négligeable. En effet, en Asie du sud ou en Asie de l’Est-Pacifique, le nombre de personnes en situation d’extrême pauvreté est passé de 583 millions et 1 milliard en 1990 respectivement à 225 millions et 84 millions en 2015.

Bien sûr la situation est très hétéroclite suivant les pays. Certains ayant subi plusieurs années de crises socio-politiques qui ont inhibé la mise en œuvre de toutes politiques susceptibles d’améliorer les conditions de vie des plus pauvres. En outre, les données discutées ici ne sont que des estimations et pourraient être révisées à la  hausse ou à la baisse quand seront disponibles des données plus précises. Au-delà de ces considérations méthodologiques, ces données traduisent un certain échec des différents programmes (y compris OMD), des initiatives privées (d’ONG) visant à réduire la pauvreté. Un contexte africain pourrait-il expliquer cette situation, d’autant plus que les mêmes programmes exécutés ailleurs dans le monde semblent aboutir à des résultats satisfaisants ?

Une tentative de réponse avait été fournie dans un article précédent en insistant sur la conception de ces programmes qui se focalisent davantage sur la croissance, occultent les canaux de transmission et ne sont pas parfois adaptées aux réalités locales. La corruption (qui se traduit par des détournements de fonds) et les tensions socio-politiques sont autant de facteurs qui obèrent l’efficacité des programmes de développement. Le manque de planification autonome du développement constitue, par ailleurs, un facteur entravant. Plusieurs pays du continent subissent l’évolution de leur population, sans pouvoir y apporter une réponse adéquate. A titre d’exemple, le manque de politique d’urbanisation se traduit par une concentration des ruraux (qui se sont déplacés vers les centres urbains) dans des zones non adaptées pour l’habitation. A termes, ces personnes font face à des problèmes récurrents d’inondation, qui à leur tour induisent des problèmes d’assainissement, retardent les rentrées scolaires, etc., qui obèrent toutes perspectives d’élévation du niveau de vie de ces personnes, qui seront tout naturellement comptabilisées comme étant pauvres. En outre, les économies africaines sont extraverties sur l’extérieur de sorte que les performances économiques récentes du continent n’ont eu que des impacts limitées sur la situation des plus pauvres, qui ne participent pas du tout ou que très peu à cette embellie économique. Il apparaît donc que la résolution de la question de la pauvreté repose fortement sur la capacité des pays en mettre en place de façon autonome des politiques économiques susceptibles d’améliore la situation les plus pauvres comme l’ont fait les autres[i].

Rien n’a-t-il donc été fait depuis plus de 20 ans ? A cette question, la réponse serait : beaucoup mais pas assez. De toute évidence, si rien n’avait été fait, le nombre de pauvre sur le continent serait bien plus important. Il faudrait davantage approfondir la lutte contre la pauvreté et cela passerait sans doute par une politique (économique, sociale et de gestion) plus responsable et qui s’attache à l’amélioration du bien-être globale de la société. Si la mesure de la pauvreté, via l’approche monétaire, est discutable, elle ne peut en aucun cas constituer un argument. Certes le modèle utilisé se base sur une conception occidentale du mode de vie mais « un mode de vie à l’africaine » (encore qu’il faudrait pouvoir en donner une définition dans le contexte actuel de mondialisation) ne stipule pas non plus  une vie sans accès aux fondamentaux d’une vie décente (éducation peu importe la forme qu’on lui donne, accès aux soins, nutrition, etc.).

Foly Ananou

 


[i] Cas des BRICS ?

Peut-on parler d’émergence d’une classe moyenne en Afrique ?

185298136La dynamique économique actuelle de l’Afrique entraine des transformations de sa structure sociale avec l’émergence d’une classe moyenne qui devrait accompagner le processus de développement du continent. L’émergence de cette classe pourra engendrer une hausse significative et diversifiée de la demande, le développement du secteur financier, l’urbanisation et une demande plus forte d’institutions démocratiques. Cependant, sur la base des données disponibles, notre analyse indique que cette classe ne porte pas encore les propriétés qui feraient d’elle l’un des moteurs du développement de l’Afrique.

Néanmoins, elle est actuellement composée de personnes dont les besoins de consommation ne cessent de croître et de se diversifier. C’est certainement cette dynamique qui va lui permettre de se muter en une véritable classe moyenne capable de contribuer  pleinement au développement de l’Afrique. Lisez l’intégralité de cette Note d’Analyse.

Le coût de l’enclavement – Un périple sur les routes d’Afrique

Deux économistes de la Banque Mondiale ont accompagné Albert, chauffeur Burkinabé au long des 750 kilomètres qui séparent Ouagadougou et Tema. Ce prériple est l'occasion de rendre compte des difficultés administratives et des faiblesses infratsructurelles en Afrique de l'Ouest. A ce témoignage, Terangaweb joint un bref mais assez parlant ensemble de graphiques sur l'état des infrastructures en Afrique.

 


landlocked-blog_roadL’axe Ouagadougou-Accra-Tema, qui part de Ouagadougou, au Burkina Faso, en Afrique de l’Ouest, traverse Accra, la bouillonnante capitale du Ghana, pour atteindre la ville portuaire de Tema, est l’un des corridors routiers les plus connus d’Afrique. [N]ous avons accompagné Albert, un chauffeur burkinabé de 50 ans, le temps d’un périple long de 750 kilomètres. Notre objectif ? Rendre compte des lourdeurs administratives qui accompagnent le passage des frontières et entravent le commerce et dénoncer le lourd préjudice économique que subissent les pays enclavés. Il nous a fallu 17 heures pour effectuer ce trajet, au lieu des sept heures prévisibles compte tenu de la distance à parcourir. Nous avons franchi une frontière et 20 postes de contrôle.

Les troubles des pays enclavés

Il y a 37 ans, les dirigeants de 16 pays ont instauré une zone régionale de libre-échange, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (ECOWAS). Cette organisation a pris des mesures visant à réduire les obstacles au commerce. Les droits de douane ont certes été significativement revus à la baisse, mais d’autres obstacles demeurent, qui nuisent aux pays enclavés : leurs échanges commerciaux sont de ce fait inférieurs de 30 % en moyenne à ceux des pays côtiers, alors qu’ils comptent parmi les États les plus pauvres de la planète. Les prix à l’importation sont plus élevés et les pays enclavés reçoivent également moins d’investissements directs étrangers avec, pour conséquence, une croissance économique plus faible, moins d’emplois et une population plus pauvre — L’économiste Jean-Francois Arvis et ses collègues ont d’ailleurs rédigé un rapport intéressant à ce sujet [PDF- Anglais].

Il faut donc, de toute urgence, trouver des solutions pour aider ces pays à participer pleinement aux échanges mondiaux de biens et de services. En entreprenant ce voyage, nous voulions notamment constater par nous-mêmes les difficultés auxquelles se heurtent les activités commerciales, afin de pouvoir en tenir compte dans la suite de nos travaux sur la compétitivité de la région.

Lourdeurs administratives

Sur une route à voie unique et à travers des régions peu peuplées, le trajet qui nous a menés de Ouaga jusqu’à la frontière avec le Ghana a été étonnamment facile. Deux heures et demie après avoir quitté la ville, nous nous sommes arrêtés au poste de gendarmerie burkinabé, où notre chauffeur a fait viser son passeport. Le trafic était dense à la frontière, et nous avancions à une allure d’escargot vers le point de passage. Là, des files de dizaines de camions attendaient leur tour.

Une fois sur le sol ghanéen, nous nous sommes arrêtés pour faire contrôler nos passeports puis pour faire valider nos documents, ce qui nécessite l’obtention de trois visas, apposés par trois bureaux différents. Cela nous a pris une heure et demie… Les routiers auraient trouvé ça rapide, eux qui doivent souvent patienter plusieurs heures, voire, dans les cas extrêmes, plusieurs jours, à la frontière avec leur marchandise.

Nous avons ensuite poursuivi notre route dans le nord du Ghana, où la végétation est incontestablement plus verte et les habitations et les villages nettement plus riches. Cette région a bénéficié d’efforts particuliers pour faciliter les transports. La chaussée est en bon état, les voies suffisamment larges et la signalisation est claire. À Tamale, aux alentours de midi, nous avons pu voir que se tenait ce dimanche un marché animé.

En quittant la ville, nous avons vu des camions surchargés de marchandises. Comme nous, ces camions, qui empruntent l’axe Ouagadougou-Accra-Tema, doivent franchir pas moins de 20 postes de contrôle douanier ou de police, certains semblant avoir été implantés de manière totalement arbitraire. Selon les chauffeurs, en moyenne, les retards pris à la frontière et aux postes de contrôle peuvent allonger leur voyage d’une journée et demie. Beaucoup sont alors obligés de passer la nuit à dormir sous leur camion.

Infrastructures inadaptées

La traversée de Kumasi, deuxième ville du Ghana, nous a également pris une heure et demie. Les routes dans cette région sont pour la plupart en excellent état, à l’exception des 40 derniers kilomètres qui séparent Apedwa d’Accra. Sur ce tronçon, la chaussée n’est pas revêtue et des nids-de-poule gros comme des cratères ralentissent la progression, qui devient cahotante et difficile. En bordure de route, nous avons vu de nombreux camions arrêtés pour une réparation ; d’autres menaçaient de percuter notre véhicule en slalomant dangereusement de droite à gauche pour éviter les cratères.

Après 16 heures de route et une halte pour le déjeuner, la dernière heure de notre trajet nous a conduits d’Accra à Tema, le plus important des deux ports du Ghana. Chaque année, quelques 2 000 ouvriers chargent et déchargent les 10 millions de tonnes de marchandises qui transitent par ce port.

Malgré une certaine organisation et une gestion apparemment opérationnelle, une escale au port de Tema requiert de venir à bout de procédures administratives complexes. Selon les statistiques, il faut en moyenne 19 jours pour faire déplacer un conteneur de 20 pieds entre le port et un terminal dans les terres. Au total, notre trajet depuis Ouagadougou jusqu’au port ghanéen de Tema aura duré 17 heures, sur des routes cahoteuses et aura été entrecoupé de multiples arrêts. Pour les chauffeurs de camions, il peut facilement durer jusqu’à 48 heures.

Si l’on veut simplifier les trajets sur cet axe commercial de première importance, il faudrait réduire le nombre de points de contrôle, revoir la politique régionale et mettre en place des initiatives de facilitation des échanges qui suppriment les goulets d’étranglement. La Banque mondiale s’emploie à collaborer avec les pays d’Afrique et à trouver des solutions grâce au partage de connaissances et à la réalisation de projets associant infrastructures portuaires et réforme des politiques.

 

Ali Zafar  & Valerie Nussenblatt

Blogs.WorldBank.Org

Reproduction sous licence CC 2.0

 


Pour prolonger le sujet : Etat des Infrastructures en Afrique – Idées Générales (Terangaweb – Juillet 2013)

La dette, un frein au développement

La dette extérieure des pays classés Pays En Développement (PED) est de 2800 milliards de dollars. La dette extérieure des pays d’Afrique est de 215 milliards de dollars. Quel avenir pour des pays comme la Côte-d’Ivoire dont la dette atteint près de 11 milliards de dollars ? Ces chiffres paraîtraient à coup sûr moins alarmants si l’endettement croissant des pays africains était généré par des politiques de développement audacieuses, nécessitant des emprunts faramineux. Il n’en est rien. L’Afrique s’endette mais reste hors du jeu de la mondialisation. Alors d’où vient cet endettement ? Qu’est-ce que cela implique pour le devenir économique du continent noir ? On cherchera ici les réponses au travers du Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde (CADTM). Le CADTM est une organisation fondée en 1990 en Belgique, dont l’action principale est de lutter contre la dette des pays du tiers monde. Le mouvement prendre sa source au discours de T.Sankara lors de la 25e conférence de l’OUA de 1987, où le président du Burkina Faso d’alors, demanda l’annulation de la dette de tout le continent. Cet objectif se retrouve dans l’article 4 de la charte de l’organisation : « annulation pure et simple de la dette ».

Pour le CADTM, la dette publique africaine est le résultat de trois événements. Tout d’abord, la décolonisation. Suite à leurs indépendances, les pays africains ont besoin de liquidités pour se développer alors que dans le même temps, les pays européens doivent trouver des débouchés aux dollars amassés grâce au Plan Marshall, lancé quelques quinze années plus tôt. Des prêts massifs vont donc être accordés par les Etats européens aux Etats nouvellement indépendants d’Afrique. Ensuite, le choc pétrolier. Suite à la multiplication par 30 du baril de pétrole en 1973, les membres de l’OPEP placent leurs pétrodollars dans les banques occidentales privées. Ces dernières en profitent pour accorder des prêts avantageux aux pays africains afin qu’ils investissent plus massivement. Encore aujourd’hui, les pétrodollars constituent une grande partie de la dette extérieure privée du continent. Enfin, la crise économique du milieu des années 1970. Cette crise va obliger les pays d’Europe à trouver de nouveaux débouchés pour leurs produits manufacturés. Ils se rabattent sur le continent africain, alors globalement en forte croissance. Le système des crédits d’exploitations est alors employé. Les crédits d’exploitation sont des crédits accordés à taux très faibles à condition que les pays emprunteurs consomment exclusivement des biens du pays préteurs, dans le domaine prédéfini dans le contrat. Pour le CADTM, les crédits d’exploitations sont les principaux responsables de la dette des pays africains aujourd’hui et par là même, de leur incapacité à se développer.

C’est en effet bien de cela qu’il s’agit. La dette n’aurait que peu d’importance s’il elle n’était pas un frein à la croissance des Etats africains, comme c’est le cas aux Etats-Unis, par exemple. Sur ce point précis, si les dirigeants africains sont les premiers responsables, ils sont, par ailleurs, bien aidés par les instances internationales. Le Fond Monétaire International (FMI) et la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement (BIRD ou Banque mondiale) travaillent aujourd’hui de concert à la lutte contre l’endettement des PED. Mais que cache en réalité cette lutte ? Lorsqu’un pays se retrouve au bord de la faillite, car dans l’incapacité d’honorer ses dettes, il est placé à sa demande (mais a-t-il vraiment le choix ?) sous la tutelle du FMI. L’instance prend alors les mesures nécessaires pour permettre le recouvrement de la dette. C’est le Plan d’Ajustement Structurel (PAS). Seulement, le PAS n’est appliqué que pour permettre aux pays de rembourser leurs dettes et non de se développer. Les changements apportés à l’économie locale, qu’ils soient conjoncturels ou structurels, sont souvent incompatibles avec une stratégie facilitant l’essor économique : politiques de rigueur, dévaluation monétaire etc.

Dans le même ordre d’idée, en 1996, le FMI et la BIRD ont créé l’initiative Pays Pauvres Très Endettés (PPTE) qui consiste à encadrer économiquement les pays les plus endettés au monde. La charte de l’initiative PPTE stipule que les pays membres doivent avoir « parfaitement mis en œuvre des réformes et de saines économies dans le cadre de programmes soutenus par le FMI et la BIRD ». Mais qu’est-ce qu’une réforme saine ? Les mêmes ressorts ne sont pas à utiliser selon que l’on soit un pays endetté et riche ou un pays endetté et exsangue. Et quels sont ces programmes soutenus par les deux instances ? Joseph E. Stiglitz, prix Nobel d’Economie en 2001 et ancien économiste pour le compte de la BIRD, explique dans Globalization and its discontents (2002), que des programmes tels que les PAS ou les PPTE sont des stratégies en trompe-l’œil, car le FMI, comme la BIRD ne servent que les intérêts de leur actionnaire majoritaire : les Etats-Unis. Face à une telle situation le CADTM tente de riposter intelligemment en essayant d’aider les pays concerner à mieux satisfaire les besoins de leurs populations : «encourager les alternatives économiques et sociales locales (…)en fonctions des situations » art.4 . Il tente également la synergie avec les mouvements sociaux et réseaux africains ayant le même but que lui.

En juin 2005, la Banque Mondiale, en concertation avec les PAI les plus puissants (Pays Anciennement Industrialisés), a décidé une annulation partielle de la dette du Tiers Monde. 40 milliards de dollars effacés de l’ardoise, pour 18 pays dont 14 africains. Cette annulation avait pour but de donner plus de souplesse dans les politiques budgétaires des pays concernés, afin de leur permettre de se développer. Paul Wolfowitz, alors président de la BIRD, avait déclaré que cette annulation serait cruciale dans le renouveau économique du Tiers Monde et qu’il serait attentif au fait que ce « gain » profite bien aux populations. Si les pays africains ont aujourd’hui un ratio dette/PIB qui améliore leur classement mondial, il n’en reste pas moins que plus 6 ans après les propos de Wolfowitz, les résultats concrets, sur le plan social, se font toujours attendre. L’exemple de la dette des PED permet d’observer à nouveau que les instances internationales semblent avoir pour but premier de figer les positions entre les puissantes nations et les autres. Sans compter qu’en 20 ans, les taux d’intérêt de la dette sont passés de 5% à 16% en moyenne, la situation n’est donc pas prête de s’arranger.

Giovanni Djossou

Vers l’autofinancement du développement en Afrique ?

Vers l’autofinancement du développement en Afrique ?

Avec un PIB[1] par habitant 17 fois inférieur à celui des pays avancés, l’Afrique Sub-saharienne représente aujourd’hui la région la plus pauvre au Monde. Les populations de cette région ont un niveau de vie largement en dessous de ceux des pays avancés. Par ailleurs, les diagnostics sur les défis liés au développement sont connus de tous. Qu’ils soient dans le domaine de l’éducation, de la santé, de l’agriculture et des infrastructures de communication et de transport, les besoins sont énormes. Dès lors, l’exécution des projets d’investissement publics identifiés requiert la disponibilité de moyens financiers importants. Où trouver ces moyens financiers dans un pays pauvre ?

La réponse évidente à cette question semble être les sources de financement extérieures. Qu’elles proviennent d’accords de prêts bilatéraux avec d’autres pays développés ou des prêts multilatéraux gérés par des institutions internationales telles que la Banque Mondiale ou le FMI, la principale question demeure l’autofinancement du développement. Or, le poids du financement extérieur demeure élevé en Afrique sub-saharienne. C’est le cas des pays de l’UEMOA où le taux[2] de financement des investissements publics sur ressources propres ne dépasse pas 50%. Toutefois, comme l’indique la figure ci-dessus, cet indicateur croît d’une année à l’autre indiquant une participation plus importante de l’Etat dans les investissements publics. Le taux de financement sur ressources propres est ainsi passé de 35% en 2000 à 50% en 2005, et cette tendance continue après 2005 bien que les données récentes ne soient pas disponibles pour l’extension du calcul.

Au regard de cette tendance continue à la hausse, l’on pourrait s’interroger sur les nouvelles sources de financement sur fonds propres des Etats Africains. Sachant que la valeur des investissements est également en constante augmentation, s’agit-il alors d’une amélioration de la fiscalité dans ces pays ? Dans le cas échéant, de quel type de fiscalité s’agirait-il? Ces questions constituent des points de réflexion qui ne seront pas abordés ici, faute d’information. Dorénavant, ce résultat constitue une note très positive dans l’appréciation du financement du développement en Afrique sub-saharienne.

En effet, abstraction faite des chiffres, les ressources financières actuelles de l’Etat sont très insuffisantes en Afrique. Cela est dû en premier lieu à la défaillance du système fiscal et en second lieu à la faiblesse de la croissance économique par rapport à son niveau potentiel. Malgré cette situation, si les Etats Africains parviennent de plus en plus à financer les projets de développement sur davantage de ressources propres, cela révèle une meilleure prise de conscience des dirigeants africains des conditions de vie des populations.

Par ailleurs, l’aide extérieure n’est pas mauvaise en soi, mais elle ne doit pas engendrer une situation de passivité et de dépendance chez les bénéficiaires que sont les Etats Africains. Au contraire, elle devrait servir de tremplin vers l’autofinancement des projets de développement à long terme. Fondamentalement, l’aide au développement ne peut se substituer à l’autofinancement dès lors que sa contribution dans le processus de développement est marginale. Comme l’a montré l’économiste zambienne Dambisa Moyo[3], l’efficacité de l’aide au développement est très faible et elle conduit à renforcer davantage une situation de dépendance, de corruption et de défaillance des  marchés.

En plus, les théories de l’économie politique nous enseignent que les populations sont susceptibles d’être plus engagées dans le contrôle de l’exécution des projets de développement – à travers le parlement et les organisations de la société civile – si les ressources financières proviennent de leurs taxes et donc de leurs efforts. Par conséquent, le financement sur ressources extérieures a tendance à renforcer davantage la mauvaise gouvernance. La mauvaise gestion de l’aide extérieure entraîne l’échec des projets de développement, ce qui n’assure pas le remboursement des emprunts. On assiste finalement à un rééchelonnement de la dette ou à son annulation.

En général, les motivations de l’aide au développement ne sont pas toujours d’ordre économique, comme ce fût le cas durant toute la période de la guerre froide. De plus, la mauvaise gouvernance encouragée par l’image de gratuité que porte l’aide extérieure n’assure pas les résultats escomptés. C’est ainsi que seulement une infime partie du montant de l’aide extérieure parvient aux populations. La majeure partie est destinée aux prestations de services administratives dans le transfert des ressources mobilisées. Le phénomène du « leaking bucket » frappe ainsi l’aide au développement : une bonne partie des ressources initiales est « perdue » dans le processus de leur mise à disposition.

Il est également possible d’envisager l’argument de l’efficacité économique des prêts bilatéraux entre pays ayant une large capacité de financement, comme la Chine actuellement et un pays en besoin de financement. Toutefois, il ressort de plus en plus que l’aide extérieure est fortement conditionnée par la situation économique dans le pays donateur. C’est ainsi que la crise financière de 2008 a incité les pays développés à davantage contrôler leur déficit budgétaire et à mettre en place des fonds de sécurité capables de financer les déficits budgétaires en cas de crise. Dès lors, les accords de prêts portent sur des montants moins importants.

Somme toute, il résulte que le financement du développement sur l’aide extérieure ne peut être qu’une phase transitoire vers l’autofinancement. La tendance vers l’autofinancement observée est une lueur d’espoir dans ce sens. Dès lors, il est souhaitable qu’une partie de l’aide extérieure soit allouée à la mise en place progressive d’un système d’autofinancement du développement.

 

Georges Vivien Houngbonon


[1] Source FMI WEO. Données en Parité du Pouvoir d’Achat, ce qui nous permet d’avoir une comparaison du niveau de vie économique.

[2] Il s’agit du rapport entre le montant des investissements financé par les ressources de l’Etat et celui des investissements financés sur appui extérieur.

[3] Dambisa Moyo, « Dead Aid : Why Aid is not Working and How There is a Better Way for Africa », éditions JC Lattès, 2009.