Les nouveaux modèles de financement du développement en Afrique

fonds-souverainsDambisa Moyo, William Easterly, ou encore Jeffrey Sachs sont des noms qui reviennent souvent dans les débats sur l’aide au développement. À coup de théories économiques et d’exemples de cas d’école, chacun d’entre eux, et de nombreux autres économistes du développement, apportent leurs perspectives à la question de l’efficacité de l’aide, et son impact réel sur le développement. Pourtant, les alternatives à l’aide au développement attirent également de plus en plus l’attention des économistes comme substitut ou complément à l’aide au développement, car ayant le potentiel de limiter la dépendance à l’aide ou de combler certaines de ses lacunes. Cet article a donc pour objectif de présenter certains de ces nouveaux moyens de financement du développement, notamment les partenariats publics privés,  et l’autofinancement à travers le recours aux ressources internes et à l’endettement sur les marchés financiers. Ces modèles ont également leurs limites, qui seront présentées dans un second temps.

 

 

  1. Quels nouveaux modèles de financement pour le développement ?
  1. Les Partenariats Public–Privé (PPP)

Les Partenariats Public–Privé (PPP) sont principalement utilisés pour financer des infrastructures, et ont été imaginés pour éviter certaines difficultés posées par les modèles traditionnels de financement des infrastructures. En effet, le modèle de marché public, dans lequel une entreprise produit une infrastructure qui sera ensuite gérée par l’État, fait peser sur celui-ci des risques liés à un manque de contrôle sur la qualité de l’infrastructure, et sur les coûts que cela peut engendrer. Le modèle de la concession publique, où c’est l’État qui est en charge de la construction de l’infrastructure qui sera gérée par une entreprise, fait peser ces risques entièrement sur l’entreprise.

 Les PPP représentent donc un nouveau modèle de financement, censé permettre une meilleure répartition des risques. Même si le terme de PPP peut être utilisé pour désigner différents type de projets, c’est en général la réalisation et l’entretien par une entreprise, pour le compte de l’État d’un ouvrage ou un service public, qui produit ensuite des recettes qui servent à rémunérer l’entreprise. C’est par exemple le cas de l’autoroute à péage Dakar-Diamniado, réalisée par la société Eiffage au Sénégal ou le pont Henry Konan Bédié réalisé par la Socoprim en Côte d’Ivoire. Dans les deux cas, l’entreprise a été chargée par le gouvernement de concevoir et réaliser l’ouvrage, ainsi que de l’exploiter et de l’entretenir, pour une durée de 30 ans.

Le modèle des PPP permet un meilleur équilibre des risques, avec un État garantissant des compensations au cas où l’équilibre financier prévu pour le projet, n’est pas atteint. Ce modèle de financement assure également en général des ouvrages de qualité, dans les délais, d’une part car le partenaire privé qui le réalise possède une expertise en la matière, de l’autre car elle doit bénéficier des recettes qui en découlent.

  1. Les marchés financiers

L’autofinancement du développement représente une autre alternative à l’aide au développement. Elle permettrait aux États de rompre une situation de dépendance à l’aide, souvent critiquée, et de moins subir les chocs externes. On peut s’intéresser d’une part à l’emprunt sur les marchés financiers, et d’autre part  aux ressources que sont l’épargne privée intérieure (c’est-à-dire celle des populations), et l’épargne publique, qui découle des impôts sur les particuliers et les entreprises.

L’émission d’emprunts sur les marchés se développe depuis quelques années, avec de plus en plus de pays africains qui se tournent vers l’émission d’emprunts sur les marchés financiers, comme moyen de financer leur développement. Ces émissions consistent en des titres de créances émis par les États africains, sur des marchés étrangers, qui seront remboursés en totalité et avec intérêts. Le Ghana était ainsi le premier à émettre des obligations souveraines d’un montant total de 750 millions de dollars à un taux d’intérêt de 8,5%. En Octobre 2015, il émettait à nouveau des obligations, cette fois pour un montant de 1 milliard de dollar US, à un taux d’intérêt de 10,75%.

D’autres pays ont rapidement suivi le Ghana, parmi lesquels la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Gabon, le Cameroun ou encore le Tchad. Derniers en date, le Sénégal en  Mars et l’Algérie en Avril. Avec des taux de croissance importants et des profils de risque qui se sont améliorés, les États africains peuvent apparaitre comme particulièrement attractifs pour certains investisseurs. Du côté des États, l’intérêt de ces émissions d’emprunt est qu’elles les laissent autonomes dans la gestion des fonds obtenus, contrairement aux prêts bilatéraux et multilatéraux. Cependant, ce modèle remplace les créanciers traditionnels des États africains que sont les bailleurs de fonds, par de nouveaux créanciers.

  1. Les ressources internes

En revanche, d’autres ressources internes gagneraient à être davantage exploitées par les États africains, notamment l’épargne. D’après le rapport économique sur l'Afrique 2010, publié par la Commission économique pour l’Afrique, « le taux d’épargne en Afrique est très faible par rapport à ceux d’autres parties du monde en développement », avec moins de 20% du PIB. Les ressources comme l’épargne privée ou les impôts sont donc clairement sous exploitées par les États, malgré le potentiel important qu’elles représentent.

C’est notamment le cas de l’épargne privée, alors que la microfinance a montré que même les populations les plus pauvres sont capables d’épargner. En cause : des systèmes financiers qui excluent la majorité des citoyens. À cause d’un nombre d’agences insuffisant surtout dans les zones rurales, de versements minimum demandés trop élevés, de taux d’intérêt peu intéressants ou encore une documentation à fournir, trop importante, les conditions nécessaires à l’ouverture d’un compte d’épargne sont souvent des barrières rendant ceux-ci peu attractifs pour les particuliers.

Du côté des ressources publiques, les systèmes fiscaux gagneraient à être développés. Les impôts collectés par les États africains ont pourtant augmentés, selon le rapport Perspectives Économiques en Afrique publié en 2010. Le rapport montre ainsi qu’ils sont passés de 113 milliards de dollars USD en 1996, à 479 milliards en 2008. Cependant, ces impôts sont souvent issus de la taxation des ressources minières et naturelles. Or, les crises successives des matières premières ont montré les limites de ce type de fiscalité ; de plus, cette source de revenus est souvent montrée du doigt comme facteur contribuant à la mauvaise gouvernance et à l’instabilité politique. Enfin, elles peuvent représenter un obstacle à la mise en place de systèmes fiscaux plus complexes, car représentant une source de revenus faciles.

En revanche, la mise en place d’impôts directs sur les populations et les sociétés, et indirects (TVA et autres taxes commerciales) permettrait de mobiliser de nouvelles ressources. Certains économistes argumentent par ailleurs que la taxation des particuliers peut rendre la population plus regardante sur la gestion des ressources publiques lorsque celles-ci sont issues de ses propres revenus, en comparaison avec l’aide extérieur, qui n’exerce pas la même pression sur les populations.

 

  1. Limites et risques des nouveaux moyens de financement

Ces nouveaux moyens de financement du développement ne sont pas exempts de risques et de coûts, qu’on ne retrouve pas forcément avec l’aide au développement.

  1. Les Partenariats Public–Privé (PPP)

Dans le cas des PPP, les États ne maitrisent pas forcément les risques liés à la demande. En effet, le niveau futur de demande ou d’utilisation par les usagers de l’ouvrage, est estimé lors de la signature du PPP. Si ce niveau n’est pas atteint, l’État doit verser des compensations financières au partenaire privé, ce qui représente donc des dépenses supplémentaires pour l’État. Par ailleurs, le risque de mauvaise gouvernance, liés aux marchés publics et aux concessions lorsque ceux-ci ne sont pas attribués de manière transparente et équitable, reste présent dans les PPP. Pour limiter ces risques, le développement d’un cadre réglementaire des PPP pourrait favoriser leur réussite. La Banque Africaine de Développement et la Banque Mondiale encouragent les États africains à aller dans ce sens, et c’est de plus en plus le cas. Les États de l’UEMOA travaillent ainsi à la mise en place d’un cadre régional des PPP, et nombreux sont les États qui ont déjà un cadre national, comme le Sénégal, le Niger ou la Côte d’Ivoire. Pour que ce cadre devienne réellement opérationnel, il sera important de renforcer les capacités des organismes en charge de gérer les PPP, et l’aide au développement pourrait y contribuer directement en facilitant des transferts de compétences dans ce domaine.

  1. Les marchés financiers

Les émissions d’emprunt sur les marchés financiers, elles, si elles représentent une alternative intéressante à l’aide au développement, envoyant des signaux positifs quant au développement économique de l’Afrique, peuvent également être à double tranchant. Dans un article publié en 2013 dans le journal les Échos, l’économiste Joseph Stiglitz met en garde contre un enthousiasme exagéré vis-à-vis de ces émissions. En effet, elles ont un coût supérieur à celui des prêts bilatéraux ou multilatéraux, car ces derniers ont des taux d’intérêts bas voir nuls, ce qui n’est pas le cas des obligations. Elles contribuent ainsi à l’endettement des pays africains : alors qu’il y a une dizaine d’années, les émissions d’obligations des États africains représentaient 1% de la dette extérieure des pays en développement, elles sont passées aujourd’hui à 4%.

  1. Les ressources internes

Le développement d’un système fiscal efficace parait de loin plus avantageux, car permettant à l’État de rester autonome et de mobiliser sa population. Le potentiel parait énorme, notamment avec la possibilité de taxer le secteur informel. Pourtant les réformes du système administratif devraient être profondes, avec notamment un besoin de décentralisation de l’administration pour assurer une collecte dans toutes les zones des pays. Les nouvelles technologies peuvent ici jouer un rôle efficace dans cette collecte, avec le potentiel de systèmes comme les paiements mobiles ou la plateforme eZwick au Ghana qui permet à ses utilisateurs d’atteindre des instruments financiers peu importe leur situation géographique. 

Cependant, la mise en place d’une fiscalité efficace nécessitera des réformes plus profondes des systèmes en place. Parmi celles-ci, l’allocation d’une part plus importante des ressources collectées aux des dépenses productives, plutôt que pour couvrir les dépenses de fonctionnement, qui représentent aujourd’hui 85% des ressources internes collectées. Enfin, pour qu’un tel système fiscal fonctionne, la confiance de la population dans le système et une gestion transparente des fonds seront des prérequis, ainsi qu’une société civile engagée et vigilante par rapport à l’utilisation des fonds. Cette évolution ne pourra se faire qu’avec des États prêts à dialoguer davantage avec leurs populations, et des populations plus regardantes sur le modèle de gouvernance de leurs États.

 

MC 

 

Sortir le Sahel de l’impasse: interview de Serge Michailof

JPG_SergeMichailofLe Sahel va-t-il se transformer en un nouvel Afghanistan ? C’est la question provocatrice que pose Serge Michailof, ancien directeur opérationnel à la Banque mondiale et à l’Agence française de développement (AFD), dans son récent ouvrage Africanistan (Fayard). Terrorisme, explosion démographique, sous-emploi et agriculture en déshérence, le tableau qu’il dresse de la région est inquiétant et aux antipodes d’un discours afro-optimiste béat. Ce spécialiste du développement réclame un électrochoc aussi bien chez les bailleurs internationaux que du côté des élites africaines. Relancer l’agriculture et consolider des États encore bien fragiles nécessite un engagement de longue haleine comme il l’explique à L’Afrique des idées.

Votre livre Africanistan repose sur une comparaison entre la situation en Afghanistan et celle qui prévaut au Sahel. En quoi ce parallèle est-il pertinent ?

Bien évidemment, le Sahel n’est pas l’Afghanistan. Les différences géographiques et culturelles sont considérables. En revanche les points de similitude sont aussi très nombreux. Je citerai en particulier l’impasse démographique avec des taux de croissance de la population exceptionnels, sans rapport avec la capacité du milieu naturel à soutenir cette population, une agriculture en panne par suite des destructions en Afghanistan mais aussi dans les deux cas de l’insuffisance criante d’investissement publics et une misère rurale dramatique. Mais aussi une absence quasi-totale d’industrie, l’importance croissante des fractures ethniques et religieuses, un État absent dès que l’on quitte les villes, le développement de mafias contrôlant des trafics illicites, la circulation des armes, une expansion de l’idéologie salafiste qui se substitue à un islam autrefois très tolérant, les tentatives de déstabilisation par des groupes djihadistes et enfin le manque dramatique d’emplois pour les masses de jeunes, qui risque de les pousser vers l’économie des trafics ou chez les insurgés. Ce n’est pas rien comme vous pouvez le constater….      

Selon vous, le principal défi pour la région est démographique. Pourquoi et comment réguler les naissances, compte tenu des résistances religieuses ou traditionnelles ?

La population des pays du Sahel double en gros tous les 20 ans, ce qui n’est pas tenable. Sur la base des taux de fécondité actuels qui n’ont pas de raison de changer si aucune action n’est entreprise, le Niger qui avait 3 millions d’habitants en 1960 en aura 89 millions en 2050 ce qui est parfaitement impensable au vu de ses ressources agricoles. D’autres pays pauvres musulmans se sont aussi trouvés dans cette situation, je pense par exemple au Bangladesh. Il faut s’inspirer des politiques conduites par ces pays pour lancer des programmes de planning familial ambitieux. Le problème est essentiellement politique. Un effort plus poussé d’éducation des filles, et la simple mise à disposition des femmes de moyens de contraception modernes auraientt déjà un impact significatif.

Vous signalez à plusieurs reprises que le développement agricole est crucial pour l'avenir du Sahel et qu'il est le grand absent de l'aide internationale. Les principaux bailleurs ont-ils oublié l'agriculture africaine ?

Depuis le départ de Robert McNamara de la Banque mondiale à la fin des années 1970, les bailleurs extérieurs ont effectivement oublié l’agriculture. Ils suivent les urgences conjoncturelles et de véritables modes. Ils ont ainsi lancé l’ajustement structurel dès la fin des années 1970 pour payer aux banques des dettes non remboursables que l’on ne voulait pas annuler – ce qui rappelle singulièrement la Grèce aujourd’hui – puis ils sont passés au tout social avec les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) qui, c’est quand même incroyable, avaient oublié l’agriculture. Maintenant la mode est à la croissance verte. Au milieu de tout ceci la part de l’aide mondiale affectée à l’agriculture n’a cessé de décliner depuis la fin des années 1970 et stagne aujourd’hui à moins de 8 %. La plupart des grands bailleurs ont laissé disparaître leurs équipes d’agronomes, remplacés par des économistes qui ne savent pas distinguer un plan de sorgo d’un plan de manioc.

Non sans anticonformisme, vous considérez que les dépenses de sécurité, pour renforcer l’armée et la police, devraient être intégrées à l'aide au développement. Pour quelles raisons ?

Tout le monde répète comme un disque rayé qu’il n’y a pas de développement sans sécurité, ce qui est vrai, mais personne ne veut payer pour cette sécurité. L’une des raisons du désastre en Afghanistan est que personne ne voulait payer le fonctionnement d’une armée afghane dimensionnée pour faire face aux talibans, car le Pentagone considérait qu’il n’avait pas de budget pour cela, l’USAID (l’Agence américaine de développement) que ce n’était pas son boulot, la Banque mondiale que ses statuts lui interdisaient pareille chose… Résultat : quand les Américains ont décidé en 2008 de mettre en place une telle armée, il était déjà trop tard. Or deux enseignements peuvent être tirés du désastre actuel dans ce pays. Primo, une armée étrangère se transforme vite aux yeux de la population en armée d’occupation. La sécurité exige la reconstruction dans ce type de contexte de tout l’appareil régalien national, allant de l’armée à la justice et à l’administration territoriale. Secundo, des États fragiles aux économies faibles ne peuvent supporter des dépenses de sécurité à la hauteur de menaces externes telles celles posées aux pays sahéliens par Boko Haram et l’implosion de la Libye.    

Sur le plan politique, vous insistez sur le piège des divisions ethniques et préconisez un système institutionnalisé de partage des pouvoirs entre ethnies ou partis. Comment cela se passerait-il concrètement ?

Ce problème est fondamental et en  même temps extrêmement complexe. Ce que l’on peut dire aujourd’hui c’est qu’une « démocratie » dans laquelle un parti ou un groupe ethnique arrivé au pouvoir avec 51 % des votes mais qui se comporte de manière sectaire vis-à-vis du ou des autres groupes ethniques ou religieux est profondément instable et a toute chance de créer des conditions susceptibles de conduire à la guerre civile. Il n’y a peut-être pas de meilleur exemple que le cas de l’Írak où la majorité chiite arrivée au pouvoir parfaitement légalement a ostracisé les sunnites au point que ceux-ci se sont massivement ralliés à Daesh. Il est donc indispensable de laisser un rôle aux oppositions, de ne pas la chasser systématiquement de tous les postes, de développer des contre-pouvoirs et finalement de partager les rentes…  

 

Dans votre ouvrage, vous êtes plutôt élogieux sur le rôle d'Idriss Déby à la tête du Tchad. Un pouvoir fort est-il incontournable dans des pays qui restent fragiles ?

Je ne suis pas un inconditionnel de Deby loin de là. Mais on ne peut espérer diriger un pays aussi complexe et déchiré que le Tchad avec une main qui tremble. Ceci dit ne me faites pas dire que je suis un partisan des dictatures dans les pays fragiles. Le Niger et le Mali sont, et c’est heureux pour ces pays, des démocraties.

Côté français, vous stigmatisez une aide au développement diluée dans le multilatéralisme et qui ne vise plus les pays les plus fragiles. Pourquoi la France serait-elle plus efficace seule qu'avec ses partenaires, comme vous le faisait remarquer il y a deux ans et demi le ministre du développement Pascal Canfin ?

Je ne veux pas être trop critique d’un ministre pour lequel j’ai de l’estime mais qui était et c’est normal, peu au fait de ces questions et qui je pense a été mal conseillé. Je lui avais fait une note avec mon ami Olivier Lafourcade, comme moi ancien directeur opérationnel à la Banque mondiale. Je pense qu’il était donc difficile de trouver meilleure expertise sur cette question que celle que nous pouvions offrir et quand nous lui avons écrit pour lui dire que la Banque mondiale n’avait aucune expertise particulière sur le Sahel et avait depuis longtemps dispersé ses experts en développement rural, point fondamental, il aurait au moins pu nous recevoir et nous écouter. Hors d’Afrique,  la seule expertise disponible sur le Sahel et en particulier en matière de développement rural dans cette région se trouve en France, à l’AFD, dans les centres de recherche que sont le CIRAD et l’IRD et dans les ONG françaises. N’oublions pas que la Banque mondiale au Sahel a fait d’énormes bêtises, en particulier cette tentative de démanteler le programme coton monté sur 30 ans par la coopération française. Là où elle a réussi à démanteler la filière comme au Bénin regardez le désastre. Là ou elle a heureusement échoué comme au Burkina voyez aussi le résultat. Cette filière fait vivre au Sahel 15 millions de personnes.

"Montagnes de problèmes", "probables catastrophes" humanitaire et écologique, “impasse”… Votre ouvrage paraît bien sombre quant à l’avenir du Sahel. N'y a-t-il aucun motif d'espoir ?

Je fais partie de ceux qui pensent comme Toynbee que c’est l’ampleur des problèmes qui fait que certaines sociétés y font face avec vigueur et parviennent à les résoudre ou au contraire se laissent submerger par eux. Mon livre a pour objectif de secouer nos propres élites qui sont focalisées sur le court terme et perdent toute perspective. Il a aussi pour ambition de secouer les élites africaines qui croient trop facilement que les remarquables taux de croissance économique de l’Afrique depuis 15 ans signifient que le continent est sur la voie de l’émergence et que ses problèmes seront bientôt derrière lui. Le grand problème de l’Afrique au XXIème siècle sera celui de l’emploi et de la stabilité politique et sociale dans un contexte où comme au Moyen Orient les emplois, sur la base des tendances actuelles, ne suivent pas la démographie. Mais rien n’est perdu. Chacun sait qu’un problème correctement posé est partiellement résolu. Mon livre ne manque pas sur ce plan de propositions…   

Parmi ces raisons d'espérer, quel regard portez-vous sur l'alternance au Nigéria et le retour à la stabilité en Côte d'Ivoire, deux pays qui selon vous furent longtemps des locomotives pour toute la région ?

Toute cette période passée au Nigéria sous Goodluck Jonathan et son chapeau est consternante. Cela peut donc difficilement être pire. Au moins Buhari est du Nord et ne peut manquer de s’y intéresser, de tenter d’apporter des solutions au désastre économique et environnemental qui explique l’essor de Boko Haram. Il va aussi remettre un minimum d’ordre dans l’armée, y réduire la corruption et tenter de modifier son comportement au nord. De là à ce que le Nigéria redevienne une locomotive régionale il y a encore beaucoup à faire dans un contexte où le prix du pétrole restera pour un bon moment très bas et certaines des décisions économiques récentes comme les restrictions aux importations et le refus d’ajuster le taux de change sont plutôt néfastes. Sur la Côte d’Ivoire je suis plus optimiste. Le tandem Alassane Ouattara – Daniel Kablan Duncan est d’une grande compétence et l’économie est repartie. Le problème sera essentiellement le maintien de la stabilité politique qui suppose après Ouattara la poursuite du deal reposant sur un partage du pouvoir entre les grands partis.

Propos recueillis par Adrien de Calan

Le retour russe en Afrique subsaharienne : enjeux, vecteurs et perspectives

Russie_-_Moscou_-_kremlin_cathedraleDepuis les années 2000 la Russie cherche à reprendre pied en Afrique Subsaharienne. Si l’Union soviétique a été active dans la région, la jeune Russie des années 1990 a en effet dû s’en désengager dans un contexte de manque criant de ressources.

Au plan politique, ce regain d’intérêt a vocation à démontrer la dimension mondiale de la puissance russe, Moscou souhaitant afficher sa capacité à projeter de l’influence dans « l’étranger lointain », bien au-delà de son seul « étranger proche ». Au plan économique, les entreprises russes cherchent quant à elles à étendre leurs positions dans les secteurs des matières premières et de la défense, où elles disposent d’avantages comparatifs, et à tirer profit de la croissance de certains leaders régionaux (Afrique du Sud, Nigéria).

Dans ce contexte, la présente note entend dresser une cartographie des intérêts russes en Afrique subsaharienne. Après avoir brièvement rappelé les contours historiques de la présence russe dans la région, elle y décrypte le réengagement de Moscou en matière politique, sécuritaire et de développement avant de proposer une analyse de la relation économique que la Fédération de Russie entretient avec l’Afrique subsaharienne. En tout état de cause, le renouveau de l’engagement russe conduit sous la bannière du pragmatisme et dénué d’affect, ne semble pas encore avoir permis à Moscou de retrouver l’acquis soviétique ni de rivaliser sérieusement avec ses concurrents directs, au premier rang desquels figurent les autres grands émergents tels que la Chine ou le Brésil. Lisez l’intégralité de cette Note d’Analyse.

N.B. Le manuscrit de la présente note a été achevé au cours de l’été 2015. Ce texte n’engage que son auteur qui en assume la responsabilité exclusive.

Une nouvelle vision de l’aide au développement

adp« Nous ne voulons pas de vos poissons, apprenez nous à pêcher tout simplement » aurait été certainement la réponse de Confucius s’agissant de l’aide au développement.

Le philosophe chinois Confucius (Kong Fuzi) avait très vite cogité et compris que : « Quand un homme a faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher que de lui donner un poisson ». Cette vieille leçon d’un demi-millénaire avant Jésus Christ, n’était certainement pas adressée à l’aide publique au développement que nous connaissons, mais elle n’a rien à envier aux réponses récemment formulées à l’égard de celle-ci.

On aurait pu se passer volontiers de définir ici cette aide au développement, on la connaît si bien ! D’une part, parce que c’est la chose la mieux défendue par les nations dites « pauvres » sur les tables de négociations internationales. Et d’autre part, parce que tout simplement, c’est aussi l’un des débats les plus abordés dans la littérature économique récente. Du best seller mondial de Joseph E. Stiglitz (2002) « La grande désillusion », s’agissant des « faux objectifs de façades de lutte contre la pauvreté au Sud» menés par le Fond Monétaire International (FMI), au non moins best seller, très osé, et surtout très controversé ouvrage de la zambienne Dambisa Moyo (2009) « L’aide fatale », sans parler de la panoplie d’articles en tout genre sur la question, comme la critique de Marc Raffinot (2009) sur Dambisa Moyo.

Il n’y a quasiment plus rien qu’on puisse dire sur cette aide au développement, qui soit vraiment nouveau, aussi bien dans le fond, que sur la forme. C’est connu et reconnu que l’aide publique au développement n’aide pas vraiment, elle ne serait pas non plus une fatalité, c’est un flou total quant à son efficacité. Curieusement, l’aide persiste et même s’accroit (Figure 1), malgré les crises financières très sévères, les crises de la dette, et la très forte pression sociale au Nord, d’Irlande en Grèce, en passant par le Portugal et l’Espagne,…, sans oublier les Etats-Unis hyper endettés auprès de la Chine, et à ce propos, Jacques Attali (2013) n’y va pas par le dos de la cuillère : « Les Etats-Unis sont  donc dans une situation bien pire que celle de  l’Union Européenne, et même que les plus endettés des pays de l’Union. Ils sont en faillite ». La morosité des économies du Nord laisse difficilement croire, dans la débâcle absolue actuelle, que l’aide, c’est vraiment pour aider !

Figure 1 : Evolution des montants de l'APD des cinq gros donateurs entre 2001 et 2011 (Source : diplomatie.gouv.fr)

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Cet article s’inscrit au cœur du débat sur l’aide publique au développement de façon « terre-à-terre », et s'adresse au grand public. Il tente de trouver des alternatives pour la croissance inclusive pour les pays de l’Afrique Sub-saharienne, que l’aide pourrait accompagner comme une mise en orbite, puis s'arrêter progressivement avant de l’être définitivement dans un horizon temporel le plus court possible.

Qu’est-ce que l’aide au développement ?

Jean-Michel Servet (2010) souligne que l’aide trouve son origine dans le discours d’investiture (le 20 janvier 1949) d’Harry Truman, alors président des Etats-Unis.

L’aide était perçue en Amérique comme étant une véritable « arme de guerre » qui devait servir les intérêts américains contre l’influence communiste, jadis en pleine guerre froide. Vingt ans plus tard, en 1969, le Président Nixon n’en faisait guère l’amalgame, comme le rappelle Yolande S. Kouamé (2002). Nixon disait clairement : « Rappelons-nous que le but de la coopération au développement n’est pas d’aider des pays tiers, mais de nous aider nous mêmes » !  

Déjà au départ, elle n’était d’aide que de nom ! Au fil des ans, elle a changé de visage, et s’est toujours adaptée au contexte, jusqu'à intégrer plus récemment celui du développement durable. Si d’aucuns murmurent que même l’aide humanitaire se crée, nous autres au Sud en doutons de moins en moins.

Formellement, l’Aide Publique au Développement (APD) est une part du revenu national brut (RNB) d’un pays développé membre du Comité d’Aide au Développement (CAD). Elle est consacrée au financement de programmes de coopération au développement des pays pauvres et des pays à revenu intermédiaire, suivant une liste mise à jour annuellement. Actuellement, 26 pays membres de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE)  ont rejoint le CAD, dont justement : la Grèce, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne, les Etats- Unis, … L’aide à consacrer est fixée à 0,7% du RNB, avec une date butoir d’atteinte des 0,7% en 2015, conformément à l’objectif des Nations- Unies en 1970. Ce taux est reconduit en 2000 au Sommet du Millénaire des Nations- Unies à travers les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD).

Jusqu’en 2011 (Figure 2), aucun des plus grands donateurs à savoir : les Etats-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France et le Japon, n’avait atteint 0,6% du RNB. Les  Etats-Unis consacraient à l’aide 0,2% du RNB, ce qui représentait 23% du total des APD, soit 22,2 milliards d’euros !

Figure 2 : L’Aide publique au Développement en chiffres, en 2011 (Source : diplomatie.gouv.fr)

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L’aide au développement et le développement

Selon François Perroux : « le développement est la combinaison des changements mentaux et sociaux d'une population qui la rend apte à faire croître, cumulativement et durablement, son produit réel global». Ce qui signifie que, le développement est extrêmement complexe, il ne s’atteint d’aucune façon en empruntant des raccourcis, or l’aide est une sorte de voie rapide littéralement illusoire, qui mène tout droit au perpétuel recommencement.

D’une décennie à l’autre, d’un programme à un autre, on finit toujours par se rendre compte qu’il fallait allouer l’aide autrement, parce que ses effets pervers l’emportent toujours sur ses bénéfices. A ce propos la thèse de Dambisa Moyo (2009) pour un arrêt progressif de l’aide, de sorte à se sevrer totalement, le plus rapidement possible semble pertinente. Il faut d’urgence explorer d’autres pistes pour une croissance soutenue, durable, et surtout responsable.

Nicolas Lemay-Hébert et Stéphane Pallage (2012) ont démontré avec brio les effets pervers de l’aide, ils disent en ces termes que : «  Il est difficile de concevoir que de tels afflux d’aide n’aient pas donné d’importants résultats. Pourtant de nombreux pays récipiendaires d’aide ont connu de véritables tragédies du développement. Le plus célèbre d’entre eux est la République démocratique du Congo, dont le revenu par habitant en 2007, corrigé pour l’inflation, représentait 20 % de ce qu’il était, en unités comparables, en 1960 ». Le tableau ci-dessous présente le PIB par habitant, exprimé en dollars US constants de 2005, et corrigé pour les différences de coûts de la vie (ppp ou parité du pouvoir d’achat) en 1960 et 2007. Tout facteur inférieur à un, implique une baisse du niveau de vie entre les deux dates. Le tableau parle de lui-même !

Évolution du PIB par habitant entre 1960 et 2007

Penn World Tables (Heston, Summers et Aten, 2011), via Lemay-Hebert et Pallage (2012)

L’aide n’est pas plus qu’une folle mise en compétition des nations face à la pauvreté, ce qui a pour conséquence de les engouffrer davantage. Si les donateurs y trouvent un intérêt certes, les véritables responsables, il faut le dire, sont les gouvernements des pays récipiendaires. Marc Raffinot (2009) le dit de la meilleure manière : « De nombreux gouvernements africains cherchent à maximiser l’aide, considérée comme une ressource permanente, plutôt que d’élaborer et de mettre en œuvre des stratégies pour accélérer la croissance et réduire les inégalités ». Ont-ils encore le choix de passer outre? Le très cupide ver, « sournois » de surcroit, n’est-il pas déjà profondément enfoui dans la très juteuse pomme « pauvre » ?

L’aide a cette fâcheuse tendance à se transformer en une machine adaptatrice à volonté des modes de vie, créant une société consommatrice de biens finis qu’elle ne produit pas, et productrice de biens qu’elle ne peut pas consommer. Le but étant de servir une mondialisation à deux vitesses, toujours sous le prétexte de lutter contre la pauvreté. Un jeu appauvrissant auquel on vous invite bon gré, mal gré, et dont vous ne pouvez que prendre acte des règles. On se souviendra du très cauchemardesque film documentaire d’Hubert Sauper (2004) : « Le Cauchemar de Darwin ».

Malheureusement, s’agissant de la pauvreté, il est plus facile d’en dresser des statistiques, d’en définir un seuil (absolu et/ou relatif) selon une quantité de monnaie par jour, que de sortir un peuple de la pauvreté par l’aide. Lubrano (2008), et Davidson & Duclos (2000) sont revenus largement sur les techniques quantitatives de mesure de la pauvreté et des inégalités.

Vers une croissance inclusive, excluant peu à peu l’aide extérieure sous toute forme.

Si l’aide a permis de financer certes une part non négligeable des infrastructures des pays qui en sont tributaires, on est littéralement incapable de dire ce qu’auraient été ces pays sans aide. A l’évidence l’aide n’a non seulement pas permis le développement qu’elle a longtemps promis, bien au contraire, elle a fortement contribué à appauvrir ces pays, en décourageant quasi-systématiquement toute incitation interne de développement. Par exemple, il y’a moins d’un mois le Rwanda a lancé avec succès un emprunt obligataire d’environ 300 millions d'euros dans le marché international des capitaux, pourtant très exigeant, après un refus d’aide par le Royaume-Uni de prés de 26 millions d’euros en fin 2012. Pour peu importe le motif de ce refus, son effet a été de permettre au Rwanda de battre de ses propres ailes, en prenant davantage ses responsabilités.

L’Afrique sub-saharienne a besoin d’une sérieuse intelligence économique qui lui soit propre, incluant toute les couches, d’une stratégie large de communication innovante, se diffusant en profondeur, de sorte à refonder un espoir de sortie de pauvreté sans aide à long terme, soutenu par les masses populaires. C'est-à-dire, en misant davantage sur la croissance inclusive. Ce message est de plus en plus porté par de jeunes africains, à l’image du think-tank l'Afrique des idées, où justement d’imminentes réflexions sont menées en faveur de la croissance inclusive Nicola Simel (Juillet 2012).

Mahamadou BALDE

Bibliographie :

  • Dambisa
Moyo, l’aide fatale. Les
ravages
d’une
aide
inutile et de
nouvelles
solutions
pour
l’Afrique. JC
Lattès, 
2009, 
250
p.
  • Davidson, R. et Duclos J.-Y. (2000), Statistical inference for stochastic dominance and for the measurement of poverty and inequality ; Econometrica, 68, 1435–1464
  • Hubert Sauper, Le Cauchemar de Darwin (Darwin's Nightmare), Arte et WDR  2004
  • Jacques Attali (Blog) http://blogs.lexpress.fr/attali/2013/02/11/les-etats-unis-sont-en-faillite/
  • Jean-Michel Servet, « Aide au développement : six décennies de trop dits et de non dits », Revue de la régulation [En ligne], 7 | 1er semestre / Spring 2010
  • Joseph E. Stiglitz, La Grande Désillusion, Fayard, juillet 2002, 324 p.
  • Marc Raffinot « Dambisa Moyo, L'Aide fatale. Les ravages d'une aide inutile et de nouvelles solutions pour l'Afrique », Afrique contemporaine 4/2009 (n° 232), p. 209-216.
  • Michel Lubrano, Introduction à l'économétrie des mesures de pauvreté, Document de Travail n°2008-09, GREQAM, Mars 2008
  • Nicolas Lemay-Hébert et Stéphane Pallage (2012). Aide internationale et développement en Haïti: bilan et perspective. Haïti Perspectives 1(1), 13-16.
  • Nicola Simel, Pour une croissance inclusive en Afrique, Terangaweb (Juillet 2012)
  • Yolande S. Kouamé, Coopération : vers la fin de l’aide liée, MFI HEBDO : Economie Développement 08/11/2002, rfi.

Le débat sur l’aide au développement

Depuis le discours de Harry Truman du 29 Janvier 1949, l’aide au développement est devenue l’une des politiques majeures des institutions internationales et un sujet important du débat public global. Naturellement, la question de l’efficacité de l’aide au développement des pays les plus pauvres s'est posée. Les opinons sur ce sujet sont diverses et variées; hommes politiques, économistes, activistes d’ONGs et philanthropes n’ont pas hésité à se positionner pour ou contre la croyance selon laquelle l’aide au développement serait un facteur de croissance pour les pays sous-développés. Dans cet article qui est une revue de la littérature économique sur le sujet, nous verrons que les économistes du développement sont partagé sur l’utilité de l’aide. Deux camps s’opposent : le camp Contre l’aide mené par William Easterly et Dambisa Moyo et le camps Pour l’aide incarné par Jeffrey Sachs.

Contre

Les macroéconomistes ont commencé à s’intéresser à la question de l’aide extérieure très tôt. Dès les années 1960, le chef de fil de l’Ecole de Chicago Milton Friedman a exprimé son pessimisme et ses doutes quant à l’efficacité de l’aide. Pour Peter Bauer et lui, l’aide publique au développement est un « excellent moyen de transférer l’argent des pauvres des pays riches aux riches des pays pauvres. » Easterly et Moyo héritent de cette tradition Friedmanienne dans leurs études néoclassiques et estiment que l’aide fait plus de mal que de bien aux pays pauvres d’Afrique. De leur point de vue, au lieu d’espérer que l’aide tombe dans nos comptes nationaux, nos gouvernements devraient encourager la privatisation des sociétés et favoriser l’ouverture de marchés libres.

Beaucoup d’études économétriques corroborent leurs doutes. En effet, des études montrent que l’aide au développement n’aurait pas d’effet sur la vitesse de développement des pays sous-développés. Au contraire cet aide a même laissé des traces néfastes pour les pays qui en ont bénéficié. Quelques effets secondaires sont par exemple une appréciation inexacte de la monnaie du pays receveur, l’augmentation de la corruption mais aussi un certain laxisme sur les réformes économiques à mener. Par ailleurs, d’autres formes d’aide comme l'importation des excédents agricoles de l'occident ont affaibli les producteurs locaux. Enfin, malgré les exigences des plans d’ajustement structurels en matière de bonne gouvernance, une étroite corrélation a été faite dans certains cas entre la mal-gouvernance et l'aide bilatérale (au point de se demander si ce n'était pas l'aide qui encourageait la corruption et non la corruption présente dans certains pays pauvres qui diminuait l'efficacité de l'aide.) Mobuto, par exemple, avait, à sa mort, assez d'argent dans des banques suisses pour couvrir la totalité de la dette extérieure du Zaïre.

Examinons l’argumentaire d’Easterly et Moyo plus dans le détail.

William Easterly est sceptique sur l’aide au développement qu’il considère comme un phénomène de mode. Dans Le fardeau de l'homme blanc – l'échec des politiques occidentales d'aide aux pays pauvres, Easterly donne sa vision de l’aide extérieure. Il suspecte les missions messianiques de bienfaisance d'être intimement des missions colonisatrices. Il réfute la thèse selon laquelle les pays pauvres sont coincés dans un « piège de la pauvreté » (poverty trap) d’où il ne serait possible de les faire sortir qu'en leur envoyant massivement de l'argent. Pour appuyer ses propos, il montre des évidences statistiques qui, dit-il, prouvent que certains pays émergents ont atteint leur statut de pays développés sans apport massif d’argent de l’extérieur. Il critique notamment l’annulation de la dette des pays pauvres en soulignant les résultats négatifs qui ont été observés en lieu et place de la relance escomptée de ces pays pauvres aprés l'annulation de leur dette.

Dambisa Moyo une écrivaine et économiste zambienne (et accessoirement présentée par les médias comme « étant passée chez Goldman Sachs ») est l’auteure de L'Aide Fatale : Les ravages d'une aide inutile et de nouvelles solutions pour l'Afrique. Dans cet essai devenu best-seller, elle soutient radicalement que l’aide extérieure est mauvaise pour l’Afrique et qu’elle devrait être arrêtée. Pour Moyo, l’aide sans limites aux gouvernements africains a créé la dépendance, encouragé la corruption et enfin perpétué la mal-gouvernance et la pauvreté. Elle estime que l’aide extérieure contribue au cercle vicieux de la pauvreté et cache la vraie croissance économique de l’Afrique. Pour elle, la fin de l'aide inciterait les gouvernements à agir et à chercher des sources de financement plus durables et plus efficaces. Le livre de Moyo a eu un écho favorable auprès de certains dirigeants africains comme le président rwandais Paul Kagamé qui estime que « [L’Aide Fatale] a fourni une évaluation précise des enjeux de l’aide aujourd’hui ». Par ailleurs, le président sénégalais Abdoulaye Wade a exprimé un jugement similaire à celle de Moyo sur l'aide.

POUR

Le camp favorable à l’aide au développement tourne autour de la personne de Jeffrey Sachs économiste et conseiller spécial du secrétaire général de l’ONU Ban Ki Moon. Dans La Fin de la Pauvreté son ouvrage paru en 2005, Sachs écrit : « la gouvernance africaine est pauvre parce que l’Afrique est pauvre ». Pour Sachs, en prenant les mesures adéquates, la pauvreté peut être éradiquée d'ici 20 ans (notons que 1,1 milliard de personnes vivent avec moins de l'équivalent d'1$/jour). La Chine et l'Inde ont valeur d’exemples; la Chine a « sauvé » 300 millions de ses habitants de la pauvreté au cours des deux dernières décennies. Des personnes « sauvées », car pour Sachs, il y a un seuil de pauvreté en deçà duquel les individus sont piégés dans un cercle vicieux et ne peuvent en sortir qu'avec un apport d’argent extérieur suffisant. C’est la notion de « poverty trap » dont l’existence est réfutée par Easterly. Sur la courbe en S ci-dessous, on peut voir qu’un individus a besoin d’un revenu supérieur à un certain niveau pour que ses revenus futurs soient supérieurs à son revenu présent et pour qu’il sorte de la zone de pauvreté.

Le constat de Sachs est que dans une nation, il suffit qu’une génération sorte de la zone de pauvreté pour que les générations suivantes prospèrent. Ainsi, Il recommande aux organismes d’aide de fonctionner comme des sociétés de capital-risque (« venture capital ») c’est-à-dire qu’ils donnent la totalité de l’aide prévue à un pays et non juste une fraction comme c’est communément fait. Ainsi, comme tout autre start-up, les pays qui commencent leur développement doivent absolument recevoir le montant de l'aide nécessaire (et promis au sommet du G-8 en 2005). Cependant, alors qu’une start-up peut se déclarer en faillite lorsqu'elle n’a plus assez de fonds, des habitants des pays pauvres continuent à mourir massivement ce qui aurait pu être évité par une augmentation de l'aide. Pour Sachs, l'aide au développement doit donc passer de 65 milliards (en 2002) à 195 milliards de $ en 2015 afin que les pays en voie de développement entrent dans des cercles vertueux de croissance.

En résumé, pour Sachs il faut plus d’aide et pour Easterly et Moyo il ne faut plus d’aide. Pour marquer son désaccord avec les conclusions d'Easterly, Sachs l'accuse de pessimisme excessif, de surestimation des coûts de vie des pauvres dans ses recherches et d’aveuglement par rapport aux leçons tirées du passé. Par ailleurs, le philosophe et économiste nobélisé Amartya Sen félicite Easterly pour son analyse des problèmes de l’aide au développement mais il critique le jugement négatif qu’il porte sur tous les programmes liés à l’aide et le peu de crédit qu'il accorde aux organismes d’aide alors que des résultats positifs ont parfois été obtenus grâce à ceux-ci.

Quant à Moyo, les solutions de libre marché qu’elle préconise sont dans la pratique plutôt des solutions de long terme. Cinq ans ne seront peut être pas suffisants pour mettre en place ses solutions qui en plus nécessitent un cadre adéquat pour que l’échange soit propice au développement (hypothèses de la concurrence parfaite, bonne gouvernance). En outre, arrêter l’aide pour que les africains cherchent à se financer eux même comme le pense Moyo est, pour l’économiste Paul Collier une idée séduisante mais trop optimiste en ce que « ça exagère les opportunités de financement alternatifs des pays africains et sous-estime les difficultés auxquelles les sociétés africaines font face. »

Enfin, on peut se demander si on peut dire avec certitude que l’aide au développement est défavorable à la croissance ? Sur la figure ci-contre, le PIB/h des pays aidés est représenté par la courbe en rouge. Savons-nous ce qui se serait passé sans les programmes d’aide enclenchés dans les années 60 ? Aurions-nous décollé vers la courbe verte comme le pense Easterly et Moyo ? Aurions-nous régressé en dessous de la courbe jaune ? Nous ne saurons peut être jamais ; il est difficile de simuler une expérience à l’échelle des pays et il n’y a qu’une seule Afrique !

CE QUI COMPTE N’EST PAS « LA GRANDE QUESTION » MACROECONOMIQUE

Sachs, souvent désigné en « rêveur pragmatique » ne croit pas que l’augmentation de l’aide est la panacée à tous les maux. Il a clairement souligné la nécessité d'une approche non simplificatrice et unique sur le développement des pays les moins avancés ; et dans cette approche, la responsabilité des pays étrangers ne peut qu’augmenter par rapport aux solutions basées sur l’aide et non diminuer. Il propose des méthodes concrètes d’éradication de la pauvreté comme, par exemple, le financement de l’agriculture grâce à l’aide au développement (avec de meilleures semences , une irrigation améliorée et l’utilisation d’engrais, les cultures en Afrique et en d'autres endroits peuvent augmenter de 1 tonne / hectare à 3-5 tonnes/hectare). Il préconise également, sur le plan financier, les politiques de microcrédit et, sur le plan de la santé, la distribution gratuite de moustiquaires qui font souvent défaut dans les régions pauvres. L'impact économique du paludisme a été estimé en Afrique à 12 milliards $/an. Sachs estime que le paludisme peut être éradiqué avec 3milliards$/an ce qui montre que l’aide pour les projets contre le paludisme est un investissement économiquement justifié.

Comme pour le cas du paludisme, il y a beaucoup de problèmes liés au développement qui ne peuvent se résoudre actuellement avec l’aide. De fait il vaudrait mieux se focaliser sur l’efficacité des différentes politiques faisant intervenir l’aide que de débattre si dans l’absolu l’aide est bonne ou si elle ne l’est pas. C’est exactement ce que font Abhijit Banerjee et Esther Duflo du Jameel Poverty Action Lab auteurs de Repenser la pauvreté. Ils ont fait des expériences en situation réelle sur des sujets microéconomiques simples et ont pu montrer que les formes d’interventions suivantes que peut prendre l'aide au développement sont très efficaces:

– les subventions accordées aux parents et exclusivement réservées à l'éducation des enfants et à leurs soins de santé,
– Les subventions des uniformes scolaires et des manuels
– l'enseignement correctif des adultes analphabètes afin qu’ils sachent lire et écrire
– Les subventions des médicaments vermifuges, vitamines et suppléments nutritionnels
– Les programmes de vaccination et de prévention du VIH/SIDA
– Les subventions des pulvérisateurs contre le paludisme et des moustiquaires
– L’approvisionnement en engrais adaptés
– L’ approvisionnement en eau potable

Tout compte fait, la question de l’aide au développement n’est pas une question de souveraineté mais bien une question économique qui doit répondre à des exigences d’efficacité. L’aide existe encore mais elle a changé vers une autre forme prenant en compte de plus en plus les recommandations venant d’évidences microéconomiques des différentes sous-questions du développement. Nous devrions donc parler d’aides au pluriel et examiner leurs utilités séparément. Néanmoins, nous devrons reconnaitre qu’à long-terme, l’Afrique devra trouver dans ses propres fonds, les moyens pour maintenir sa croissance.

Abdoulaye Ndiaye

Autres articles sur l’aide au développement parus sur Terangaweb :

La dette, un frein au développement

Vers l’autofinancement du développement en Afrique ?

 

Mes autres articles sur le développement :

3 façons d’améliorer l’éducation

La féminisation de la pauvreté Partie I et Partie II

 

Comment mettre fin à la « françafrique » ?

Dans un récent essai, Quelle politique africaine pour la France en 2012 ?, Thomas Mélonio, responsable de l’Afrique au sein du Parti Socialiste français, tente de définir les contours d’une politique de rupture vis-à-vis de la « françafrique ». Ce terme décrié aussi bien en Afrique qu’en France désigne des liens néocolonialistes d’un autre âge, un copinage politico-affairiste entre les élites responsables de la coopération entre la France et l’Afrique. Comme l’explique T. Mélonio, la françafrique « s’appuyait sur la défense d’une certaine idée de la France, volonté de puissance très spécifique à notre pays qui suppose de pouvoir mobiliser des pays amis en grand nombre, à l’ONU ou ailleurs, pour faire entendre puissamment la voix nationale ». Sytématisée par Jacques Foccart, elle est la continuation du lien privilégié entretenu avec les élites d’Afrique francophone insérées dans les réseaux d’influence métropolitains. Renforcée par la logique des deux camps propre à la guerre froide, la françafrique perdure de nos jours alors même que le contexte international et les réalités du continent africain ont énormément évolué. L’Afrique a diversifié ses partenariats économiques et politiques internationaux, elle connait des enjeux de développement différents des décennies précédentes, sa sociologie a profondément changé ainsi que ses revendications politiques. Fort de ce constat, et dans la perspective d’une potentielle alternance qui verrait le Parti socialiste au pouvoir à partir de 2012, Thomas Mélonio définit des axes de réforme à l’actuelle politique de la France envers l’Afrique.

Tout d’abord, il propose un changement de discours par rapport à celui que Nicolas Sarkozy a donné à Dakar en 2007. Il s’agirait de mettre en exergue la diversité des réalités africaines, de sortir d’une vision en bloc des problèmes et des solutions à apporter à l’Afrique. Et de reconnaître le dynamisme actuel du continent africain. Thomas Mélonio propose également un changement de discours et un important travail de mémoire sur la colonisation, sur le traitement non républicain d’Africains ayant participé à l’histoire de France notamment lors des guerres mondiales, et également sur le génocide rwandais et le rôle que y aurait joué la France.

Le second axe de proposition, qui concerne le soutien à la démocratie et à la défense des droits de l’homme, est plus convenu. L’auteur propose de nouer des liens privilégiés avec les dirigeants vertueux au regard de la démocratie et de l’Etat de droit, sans toutefois priver les populations mal dirigées de l’aide internationale. Il s’agirait alors de faire transiter le soutien par des ONG et des acteurs dignes de confiance. T. Mélonio propose d’augmenter la part de l’aide française transitant par les ONG d’1% actuellement à 5%, ainsi que celle allant aux fondations politiques, toutes sensibilités confondues.

Au-delà du soutien logistique en période électorale qu’il souhaite renforcer, le « monsieur Afrique » du PS interroge la nature de l’interventionnisme voire de l’ingérence française dans les processus démocratiques en Afrique. C’est en effet l’un des aspects les plus décriés et polémiques de la françafrique aujourd’hui, notamment après ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire. Pour éviter les images aux relents néocolonialistes, il propose de « mettre fin aux accords de défense dans les anciennes colonies et n’y conserver que les troupes et sites logistiques strictement nécessaires à la protection et à l’évacuation éventuelle des ressortissants français ». Cette protection des ressortissants pourrait d’ailleurs être mutualisée au niveau européen. Cela reviendrait à transformer les cinq bases françaises stratégiques en Afrique en bases militaires européennes. Selon l’auteur, cela ne serait pas une perte d’influence pour la France mais au contraire un marge de manœuvre supplémentaire pour ses militaires et son gouvernement.

La question du franc CFA est un autre symbole de la françafrique écorné. Si le choix de l’émancipation du CFA de l’euro incombe selon l’auteur avant tout aux dirigeants africains concernés, il reconnait cependant que la justification économique de l’arrimage de l’euro au CFA ne tient plus vraiment et qu’elle pénalise au contraire la zone CFA.

La dernière partie de l’essai critique la politique d’aide au développement de la France vis-à-vis de l’Afrique. Une critique sur le manque de lisibilité de cette aide, plus proche de 0,3% du PIB que du 0,5% affiché par le gouvernement (qui y rajoute les garanties sur les prêts ainsi que certains financements sur le contrôle migratoire), sur son manque d’efficacité et sur les trop nombreux objectifs qu’on lui assigne injustement, notamment sur le contrôle migratoire. Thomas Mélonio appelle à augmenter réellement l’aide au développement au niveau de 0,7% du PIB auquel la France s’est engagée, de renforcer l’aide bilatérale de la France, d’améliorer la transparence des accords de partenariat et de mieux s’appuyer sur les acteurs du changement en Afrique, et non plus sur les forces conservatrices.

Ces différentes propositions, et notamment celles sur la fin des accords de défense secrets, l’européranisation des bases militaires françaises, l’accord de principe sur le désalignement du Franc CFA sur l’euro et la fin de la gestion de ses réserves de change par le Trésor français, constituent des amendements importants à la politique traditionnelle de la France en Afrique francophone. Toutefois, on pourrait regretter que l’auteur ne pose pas les bases de ce qui pourrait constituer une nouvelle politique d’aide au développement de l’Afrique. L’auteur se contente d’appeler à une augmentation de l’aide française au développement sans s’aventurer sur la question de sa réorientation. Au-delà du discours droitdelhommiste sur l’implication plus grande des ONG dans la politique d’aide au développement, d’autres pistes gagneraient à être développées. Les mutations en cours sur le continent africain créent des conditions sans précédents d’un développement endogène, comme l’ont souligné Jean-Michel Severino et Olivier Ray dans Le temps de l’Afrique. Le défi principal de développement est d’accueillir sur les différents marchés de l’emploi africains les cohortes de jeunes à venir. Comme le soulignait de manière radicale et polémique Dambisa Moyo dans Dead Aid, les formes traditionnelles d’aide au développement tendent à créer un « syndrome hollandais » proche de celui d’une rente en matières premières, avec à la clé une faible compétitivité des facteurs de production internes.

Dans ce contexte, la France gagnerait à capitaliser sur la qualité du réseau entrepreneurial et sur la connaissance du tissu économique africain développé par l’Agence française de Développement (AFD, où travaille d’ailleurs M. Mélonio) pour fonder un nouveau type de coopération entre d’une part les PME et entreprises françaises ayant un fort capital technologique, des facilitées de financement, et d’autre part les jeunes entreprises africaines qui animent un marché en forte croissance de plus 100 millions de personnes solvables. Ces entreprises africaines à fort potentiel de croissance sont encore à la recherche de partenariats stratégiques pour des transferts de technologies et une plus grande facilité d’accès aux capitaux. Contrairement à la coopération chine-afrique, ce nouveau partenariat entre les entreprises françaises et africaines privilégierait l’emploi de la main d’œuvre locale et l’amélioration de sa productivité. Il s’agirait alors d’un vrai partenariat gagnant-gagnant, les entreprises françaises développant leur participation financière et stratégique dans des entreprises en forte croissance, au moment même où la croissance européenne est atone. Cette nouvelle politique de partenariat répondrait à une forte demande de realpolitik des pays africains vis-à-vis de leurs partenaires.

 

Emmanuel Leroueil

La Chinafrique, ou De l’intérêt bien entendu

 

A l’heure où la coopération Sud-Sud semble être la panacée selon les dirigeants africains, il est un pays émergent qui allie intérêts stratégiques et aide au développement sur le continent : la Chine. Le pays a en effet développé une stratégie d’intervention très efficace dans de nombreux pays d’Afrique, en sécurisant son accès à des ressources naturelles vitales pour sa croissance, mais également en contribuant au développement du continent à travers des financements à des projets que les banques traditionnelles hésitent à soutenir.

Le rapport de l’ONU intitulé La coopération de l’Afrique avec les partenaires de développement nouveaux et émergents : options pour le développement en Afrique  paru en 2010 analyse les intérêts chinois en Afrique, qui relèvent à la fois d’impératifs économiques et  d’un pragmatisme politique incontestable. La Chine a en effet multiplié  les investissements dans le secteur de l’énergie (pétrole, minéraux) et a redoublé d’efforts pour maintenir  de fortes relations commerciales sur le continent afin de s’assurer d’un accès privilégié aux matières premières et de  garantir des débouchés à ses exportations, principalement des technologies  à bas niveau ou intermédiaire. L’essentiel de la politique de coopération chinoise se concentre sur les pays riches en ressources naturelles (Angola, Nigéria, Afrique du Sud), et le modèle de développement intègre à la fois l’importation de matières premières et une coopération technique diversifiée (infrastructures, logements).  Le rapport montre que l’Afrique profite elle aussi de l’intérêt de la Chine pour ses richesses naturelles, le montant de l’aide au développement chinoise étant en constante augmentation depuis vingt ans.

Toutefois l’idée d’un pillage des ressources naturelles par la Chine est souvent évoquée par les médias occidentaux, affirmation remise en question dans un papier publié par la Banque africaine de développement en mai dernier, intitulé China’s engagement and aid effectiveness in Africa . L’auteur note ainsi que contrairement aux idées reçues, la coopération chinoise a joué un rôle globalement positif dans le développement du continent africain, en intervenant dans des secteurs où les acteurs du développement étaient peu présents, tels que les transports ou les NTIC. Il est pourtant difficle de faire la part entre aide et IDE et de schématiser le modèle de l’aide chinoise, compte tenu de ses composantes très diverses, allant de l’assistance technique à des allègements de dette.  Les tests économétriques publiés dans le rapport montrent une forte corrélation entre l’aide chinoise et deux autres facteurs, à savoir le montant de l’investissement direct à l’étranger chinois et la nature des relations diplomatiques avec le pays bénéficiaire.  En revanche, le montant du PIB par tête ou même les insuffisances en matière de gouvernance ne constituent pas des facteurs déterminants pour  l’attribution  de l’aide.

Les publications de recherche divergentes montrent qu’il  est encore tôt pour mesurer l’impact de la Chinafrique sur le développement en Afrique.  Face à la progression chinoise dans le pré carré des acteurs traditionnels du développement , un autre enjeu de long terme se dessine : la coordination entre les donneurs occidentaux et la Chine en matière d’aide au développement sur le continent .

 

Leïla Morghad

Vers l’autofinancement du développement en Afrique ?

Vers l’autofinancement du développement en Afrique ?

Avec un PIB[1] par habitant 17 fois inférieur à celui des pays avancés, l’Afrique Sub-saharienne représente aujourd’hui la région la plus pauvre au Monde. Les populations de cette région ont un niveau de vie largement en dessous de ceux des pays avancés. Par ailleurs, les diagnostics sur les défis liés au développement sont connus de tous. Qu’ils soient dans le domaine de l’éducation, de la santé, de l’agriculture et des infrastructures de communication et de transport, les besoins sont énormes. Dès lors, l’exécution des projets d’investissement publics identifiés requiert la disponibilité de moyens financiers importants. Où trouver ces moyens financiers dans un pays pauvre ?

La réponse évidente à cette question semble être les sources de financement extérieures. Qu’elles proviennent d’accords de prêts bilatéraux avec d’autres pays développés ou des prêts multilatéraux gérés par des institutions internationales telles que la Banque Mondiale ou le FMI, la principale question demeure l’autofinancement du développement. Or, le poids du financement extérieur demeure élevé en Afrique sub-saharienne. C’est le cas des pays de l’UEMOA où le taux[2] de financement des investissements publics sur ressources propres ne dépasse pas 50%. Toutefois, comme l’indique la figure ci-dessus, cet indicateur croît d’une année à l’autre indiquant une participation plus importante de l’Etat dans les investissements publics. Le taux de financement sur ressources propres est ainsi passé de 35% en 2000 à 50% en 2005, et cette tendance continue après 2005 bien que les données récentes ne soient pas disponibles pour l’extension du calcul.

Au regard de cette tendance continue à la hausse, l’on pourrait s’interroger sur les nouvelles sources de financement sur fonds propres des Etats Africains. Sachant que la valeur des investissements est également en constante augmentation, s’agit-il alors d’une amélioration de la fiscalité dans ces pays ? Dans le cas échéant, de quel type de fiscalité s’agirait-il? Ces questions constituent des points de réflexion qui ne seront pas abordés ici, faute d’information. Dorénavant, ce résultat constitue une note très positive dans l’appréciation du financement du développement en Afrique sub-saharienne.

En effet, abstraction faite des chiffres, les ressources financières actuelles de l’Etat sont très insuffisantes en Afrique. Cela est dû en premier lieu à la défaillance du système fiscal et en second lieu à la faiblesse de la croissance économique par rapport à son niveau potentiel. Malgré cette situation, si les Etats Africains parviennent de plus en plus à financer les projets de développement sur davantage de ressources propres, cela révèle une meilleure prise de conscience des dirigeants africains des conditions de vie des populations.

Par ailleurs, l’aide extérieure n’est pas mauvaise en soi, mais elle ne doit pas engendrer une situation de passivité et de dépendance chez les bénéficiaires que sont les Etats Africains. Au contraire, elle devrait servir de tremplin vers l’autofinancement des projets de développement à long terme. Fondamentalement, l’aide au développement ne peut se substituer à l’autofinancement dès lors que sa contribution dans le processus de développement est marginale. Comme l’a montré l’économiste zambienne Dambisa Moyo[3], l’efficacité de l’aide au développement est très faible et elle conduit à renforcer davantage une situation de dépendance, de corruption et de défaillance des  marchés.

En plus, les théories de l’économie politique nous enseignent que les populations sont susceptibles d’être plus engagées dans le contrôle de l’exécution des projets de développement – à travers le parlement et les organisations de la société civile – si les ressources financières proviennent de leurs taxes et donc de leurs efforts. Par conséquent, le financement sur ressources extérieures a tendance à renforcer davantage la mauvaise gouvernance. La mauvaise gestion de l’aide extérieure entraîne l’échec des projets de développement, ce qui n’assure pas le remboursement des emprunts. On assiste finalement à un rééchelonnement de la dette ou à son annulation.

En général, les motivations de l’aide au développement ne sont pas toujours d’ordre économique, comme ce fût le cas durant toute la période de la guerre froide. De plus, la mauvaise gouvernance encouragée par l’image de gratuité que porte l’aide extérieure n’assure pas les résultats escomptés. C’est ainsi que seulement une infime partie du montant de l’aide extérieure parvient aux populations. La majeure partie est destinée aux prestations de services administratives dans le transfert des ressources mobilisées. Le phénomène du « leaking bucket » frappe ainsi l’aide au développement : une bonne partie des ressources initiales est « perdue » dans le processus de leur mise à disposition.

Il est également possible d’envisager l’argument de l’efficacité économique des prêts bilatéraux entre pays ayant une large capacité de financement, comme la Chine actuellement et un pays en besoin de financement. Toutefois, il ressort de plus en plus que l’aide extérieure est fortement conditionnée par la situation économique dans le pays donateur. C’est ainsi que la crise financière de 2008 a incité les pays développés à davantage contrôler leur déficit budgétaire et à mettre en place des fonds de sécurité capables de financer les déficits budgétaires en cas de crise. Dès lors, les accords de prêts portent sur des montants moins importants.

Somme toute, il résulte que le financement du développement sur l’aide extérieure ne peut être qu’une phase transitoire vers l’autofinancement. La tendance vers l’autofinancement observée est une lueur d’espoir dans ce sens. Dès lors, il est souhaitable qu’une partie de l’aide extérieure soit allouée à la mise en place progressive d’un système d’autofinancement du développement.

 

Georges Vivien Houngbonon


[1] Source FMI WEO. Données en Parité du Pouvoir d’Achat, ce qui nous permet d’avoir une comparaison du niveau de vie économique.

[2] Il s’agit du rapport entre le montant des investissements financé par les ressources de l’Etat et celui des investissements financés sur appui extérieur.

[3] Dambisa Moyo, « Dead Aid : Why Aid is not Working and How There is a Better Way for Africa », éditions JC Lattès, 2009.

Faut-il mettre fin à « l’aide au développement »?

Telle est en substance la question posée dans son livre Dead Aid par Dambisa Moyo. Cette dernière est considérée par les grands médias anglo-saxons comme l’intellectuelle africaine de l’année 2009 ; le Time magazine l’a placé dans son dernier classement des 100 personnalités les plus influentes au monde, et elle est régulièrement invitée sur les plateaux des grandes télévisions internationales comme la BBC ou CNN, pour tout sujet ayant trait à la situation socio-économique africaine. Dambisa Moyo ? Zambienne, économiste titulaire d’un master à Harvard et d’un PhD à Oxford, elle a travaillé à la Banque mondiale ainsi qu’à la célèbre banque d’affaire américaine Goldman & Sachs.

Son constat est le suivant : sur les soixante dernières années, l’Afrique aurait reçu un trillion (1000 milliards) de dollars d’aide au développement de la part des pays développés (une petite partie sous forme de dons, le gros du reste sous forme de prêts à taux censément faibles). Or, la situation économique et sociale du continent africain est toujours dramatique. Elle en tire comme conclusion que cette aide aura été inefficace d’un triple point de vue : économique, social et politique. Continue reading « Faut-il mettre fin à « l’aide au développement »? »