Chers ministres, le code n’est pas l’avenir de l’Afrique!

Depuis un certain nombre d’années, on voit se multiplier partout en Afrique des “Journées  Nationales des TIC”, portées et promues par des ministres de l’Economie Numérique qui veulent de plus en plus nous faire croire que le numérique ou le digital serait la réponse à tous les maux de l’Afrique.

Ces ministres laissent penser que l’éducation à la programmation informatique serait la solution miracle pour le développement de l’Afrique ; des thèses sûrement inspirées des réussites des géants du net tels que Facebook, Google, Amazon et autres. Toutefois, chers ministres de l’Economie Numérique africains, ces entreprises sont portées par des personnes ayant bénéficiés de systèmes de formation performants. Or, aujourd’hui, 38% des adultes dans nos pays (soit 153 millions d’habitants) sont analphabètes. Pour ceux ayant accès à une école, il faut très souvent faire face à un fort taux d’absentéisme du personnel enseignant ou au défaut des infrastructures.

Au-delà de l’accès, la qualité des formations est aussi à interroger. On trouve énormément de jeunes qui entament des études secondaires sans réellement savoir lire et compter, éléments de base pour l’apprentissage. L’offre de formation en Afrique aussi serait à revoir car pour former de bons codeurs, peut-être qu’il faille déjà donner une meilleure visibilité aux formations scientifiques et non pas celles qui ont pignon sur rue dans nos universités : sociologie, psychologie, anthropologie, philosophie et autres. On assiste ainsi chaque année à l’arrivée sur le marché de l’emploi de plus de 12 millions d’africains dont la formation est très souvent inadéquates aux besoins des entreprises.

Chers ministres, même si nous devons former nos jeunes aux codes, il faudrait d’abord mettre en place des politiques publiques favorisant leur formation et insertion professionnelle. Certains d’entre vous lancent des campagnes “Un étudiant, Un ordinateur” qui ne sont en réalité que des initiatives conçues à des fins électoralistes. De fait, la qualité du matériel distribué aux étudiants, soulève des interrogations quant à l’opportunité d’un tel investissement. Les plus fortunés qui souhaitent ou peuvent faire venir des équipements informatiques de qualité de l’étranger, doivent désormais faire face aux barrières tarifaires, avec la levée des exonérations de TVA.

Si tant bien que l’on ait accès à de l’équipement de pointe, sans énergie, tout cela ne servira à rien. Il est encore bien fréquent de subir des délestages de plusieurs heures, voire plusieurs jours dans certaines grandes capitales africaines. Selon la Banque Africaine de Développement, ce sont plus de 600 millions d’africains qui n’ont pas accès au réseau électrique, soit 50% de la population africaine. L’accès en lui-même ne garantie rien, il faudrait encore que le service soit fiable, stable et continue ; ce qui n’est pas le cas dans la grande partie de nos pays.

Chers ministres, comme le disait feu Felix Houphouet Boigny concernant la Côte d’Ivoire :  “le succès de ce pays repose sur l’agriculture”. Il ne serait pas imprudent d’étendre cette citation à l’Afrique entière tant ce secteur est fournisseur d’emploi sur le continent (environ 60%). L’Afrique dispose de 60% des terres arables inexploitées mais importe encore plusieurs dizaines de milliards de produits alimentaires chaque année. L’une des causes étant le faible taux de rendement de nos exploitations agricoles et de l’obsolescence des pratiques et outils.

Chers ministres, comment se lancer dans le code lorsqu’il manque des infrastructures médicales pour soulager le mal de dos, le mal de tête, la baisse de la vue,etc… ; maux fréquents chez les développeurs informatiques ? Qui deviendra codeur quand on assiste encore à des centaines de milliers de décès pendant l’accouchement, liés très souvent au manque d’équipements ou personnels adéquats ? En 2014, l’OMS publiait un rapport révélant qu’il y a 90 infirmières et sage-femmes pour 10.000 habitants dans les pays à revenus élevés contre seulement 2 pour plusieurs pays d’Afrique.

Oui le numérique peut contribuer à combler certains manques mais il ne faut pas mettre la charrue devant les boeufs. Aucune économie n’a connu un développement durable sans assurer certaines bases : sécurité alimentaire, offre de formation de qualité, accès à l’énergie et aux infrastructures sanitaires, etc. Commençons à assurer un accès à une éducation de base et de qualité à tous. Développons des cursus qualifiants en accord avec les défis actuels du continent, notamment les formations techniques : agricoles, médicales, énergétiques, etc. Nous avons besoin de jeunes formés dans les Sciences, la Technologie, l’Ingénierie et les Mathématiques. Ceux-là pourront ensuite penser l’innovation africaine, une innovation au prise avec les réalités des populations autour d’eux et non pas une énième copie d’une quelconque plateforme américaine. Ils pourront utiliser le numérique et le code comme les outils qu’ils sont et non pas comme une fin en soi.

A force de parler de “Numérique en Afrique”, on pourrait croire que des 1 et des 0 une fois plantés peuvent donner du manioc.

LD

Boom du e-commerce dans le monde : l’Afrique est-elle préparée ?

ecomDans le monde, 1 462 milliards d’euros ont été générés par l’e – commerce en 2014 avec en tête la Chine et les États – Unies[1]. En parallèle, l’e – commerce pourrait atteindre plus de 50 milliard en 2018 en Afrique[2]. Cette activité correspond à l’achat et ventes  de biens et services sur internet. Malgré la fracture numérique en Afrique- 26% seulement de la population africaine a accès à internet[3]-, la population africaine très jeune et l’essor de la classe moyenne sont autant d’atouts qui permettent au e – commerce d’avoir de beaux jours devant lui en Afrique. Toutefois beaucoup reste à faire pour donner une véritable impulsion au e-commerce en Afrique. Cet article revient sur l’écosystème du e-commerce et les défis à relever pour booster le commerce en ligne en Afrique.

L’écosystème du e – commerce

Le fameux clic sur un site marchand confirmant l’acte d’achat de biens physiques ou immatériel déclenche une multitude d’activités pour que la livraison se déroule dans les meilleures conditions.
Un écosystème gravite autour de la chaîne de distribution. Cette dernière est composée d’intermédiaires ayant pour rôle de produire, de stocker, d’expédier et de livrer les marchandises.
L’écosystème, est composé de quatre éléments :

  • Infrastructure : axes routiers et réseaux internet
  • Économie numérique : Site internet adaptés/ applications mobiles/ gestion de la données et éditeurs de systèmes d’informations
  • Moyens de paiement : carte de bancaire ou par espèce
  • Outils de connexion internet : Les téléphones portables, tablettes et ordinateurs

C’est la combinaison et l’interdépendance de ces éléments qui permettront le développement du e – commerce et par conséquent qui donnera naissance aux prochains champions du secteur. Charge aux entreprises de se différencier grâce aux produits vendus.  

Le développement se fera dans un premier temps dans les villes fortement peuplées et situées à proximité des principaux axes routiers. En effet, c’est dans ces zones où l’infrastructure est développée, où les axes routiers sont dans un meilleur état et  c’est avec une connexion internet rapide  que le délai entre l’achat en ligne et la livraison se feront plus rapidement.

En effet, les coûts sous-jacents au e – commerce sont bien moins élevés que la distribution traditionnelle. Le réseau logistique sera moins complexe puisque contrairement aux distributeurs, les e – commerçants n’ont pas besoin de boutiques physiques pour proposer leurs produits car un site internet suffit pour que le client puisse visualiser des produit, sélectionner un produit et l’acheter. Les e – commerçants économisent des ressources financières car ces derniers n’ont pas à sécuriser des droits de terre pour implanter un point de vente.

Le client dispose de plusieurs moyens de paiements pour régler sa commande à savoir le paiement en espèces ou le paiement en ligne. Ces différentes possibilités auront un impact sur la chaîne de distribution. En effet, un dispositif de sécurité doit être mis en place afin d’éviter les tentatives d’arnaques si le paiement se fait en ligne.
Il faut savoir que le taux de bancarisation reste faible en Afrique. En revanche, les transferts d’argent via le téléphone mobile ne nécessitent pas forcement la possession d’un compte bancaire. Nous pouvons prédire que les moyens privilégiés seront les paiements par espèces et les transferts d’argent via le téléphone mobile.

Le portable sera le support à privilégier pour les achats en ligne!

Le e – consommateur dispose de plusieurs outils afin d’effectuer son achat tels que l’ordinateur, le téléphone  ou la tablette. En Afrique, 12% des consommateurs ont déjà achetés via leur mobile[1].

En effet, le secteur des smartphones a le vent en poupe sur le continent africain. D’une part, nous avons un continent qui a dépassé la barre du milliard d’habitant. En 2050, trois pays à savoir le Nigéria, la République Démocratique du Congo et l’Éthiopie[2] feront partie des 10 pays les plus peuplés du monde. En plus d’être peuplée, la population a la particularité d’être jeune avec une forte propension d’utilisation des TIC et du téléphone portable en particulier.

D’une autre part, la classe moyenne ne fait que croître et s’enrichir. Les constructeurs de téléphone portable africain et groupes internationaux proposent des téléphones entré de gamme à des prix raisonnables avec des fonctionnalités proches voir semblables aux portables haut de gamme. Ce n’est pas étonnant si 97% des africains auront un téléphone mobile en 2017 contre 82% en 2016[3].

Cependant, le principal challenge des e – commerçants sera de convertir les surfeurs en consommateurs grâces à des applications et sites internet adaptés pour les smartphones.

L’Etat, acteur clé du développement du e-commerce!

Tous les éléments précédemment cités permettront l’essor du e – commerce. En revanche, un dernier acteur à savoir l’État pourra accélérer ou ralentir ce développement. Le cadre législatif n’est pas à négliger puisque ce dernier pourra être propice à l’amélioration des infrastructures ainsi qu’à l’accès à internet. Prenons l’exemple du Sénégal avec le Plan Sénégal Émergent (PSE) initié par l’actuel président Macky Sall. Un des grands chantiers de ce plan est l’énergie. Ceci permettra d’améliorer la performance du secteur et de réduire la dépendance du pays. Ces ambitions auront un impact positif sur le e-commerce.
Des infrastructures développées permettront une circulation plus fluide des produits. La distribution continue d’électricité et d’un réseau de télécommunication sont des éléments nécessaires pour que le consommateur puisse effectuer une commande sur un site marchand sans interruption. 

Deux principales compétences seront requises pour lancer un site commerçant. La première compétence est la logistique. L’objectif sera de distribuer le produit le plus rapidement. Pour cela, il faudra définir un réseau de distribution adéquat et performant.
La seconde est informatique et technique. Cette compétence fait partie actuellement des compétences les plus recherchées du marché du travail. Celle-ci permettra non seulement de concevoir un site internet ergonomique ainsi qu’un back office capable de traiter les données mais aussi de comprendre le consommateur pour proposer des produits et d’établir une cartographie de la région livrée au fil des livraisons.  
L’interaction de ces compétences permettra de suivre le produit dans toute la chaîne de distribution. L’état aura la responsabilité de promouvoir cette discipline afin de profiter des retombés économiques.

En conclusion, le boom se fera en plusieurs vagues sur le continent Africain selon le degré de maturité des éléments précédemment cités. Plusieurs scenarios sont envisageables pour l’e-commerce en Afrique :

  • L’e – commerce amènera le développement d’une économie local : Cdiscount avant de s’implémenter en Afrique a fait appel à Bolloré Africa Logistics pour déléguer les activités logistiques. Les prochains e – commerçants locaux devront faire confiance aux acteurs locaux afin de créer un écosystème et faire en sorte que l’essor du e-commerce puisse aussi profiter aux acteurs locaux.
  • L’e – commerce produira des groupes nationaux : Les entreprises de commerce électronique ne proposeront pas seulement des services de ventes mais aussi des services annexes tels que la logistique, informatiques ou des services de cartographie. À titre d’exemple, Jumia, e – commerçant nigérian et 1er e – commerçant du continent africain propose désormais des services logistiques grâce à une expérience gagnée avec le temps. Les entreprises pourront aussi proposer des services plus complexes tels que des points de retrait plus nombreux, retour du produit et remboursements plus rapide. Lorsque le secteur du e – commerce aura atteint un niveau de maturité, les entreprises seront tentées par l’internationalisation. C’est à moment que l’état pourra intervenir afin de faciliter cette démarche en proposant un régime fiscal favorable tout en protégeant les entreprises nationales des entreprises étrangères.

Néanmoins, le commerce électronique sera confronté à plusieurs challenges.
La cybercriminalité sera un fléau qu’il faudra combattre. Ce dernier affecte autant les particuliers que les entreprises. En effet, les consommateurs seront découragés pour renseigner leurs identifiants bancaires et par conséquent d’effectuer une commande sur un site marchand non sécurisé.
Enfin, la mondialisation est une opportunité à double tranchant pour le e – commerce en Afrique. Quand bien même ceci permet aux entreprises de vendre leurs produits à d’autre pays, si l’état ne met pas en place un régime protégeant ces mêmes entreprises, le pays ne sera pas à l’abri de la concurrence étrangère. Des entreprises étrangères proposeront des produits présents localement mais de meilleure qualité ou avec des prix plus intéressants.

 

Issa KANOUTE


[1] Deloitte

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[2] RFI