Comment pouvons-nous lutter contre la corruption en changeant notre comportement?

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En tant que jeune marocaine souhaitant m'engager dans la vie publique de mon pays, je me pose quelques questions. Qu'est-ce qui m'empêcherait d'être une politicienne corrompue? Qu'est-ce qui pré-dispose des gens à être des leaders corrompus? Comment faire en sorte que les citoyens n'abusent pas de leur pouvoir à des fins personnelles? Je n'ai pas trouvé de réponse satisfaisante à ces questions mais ma mission de consultante pour le projet Transparency International au Niger* m'a permis d'obtenir quelques éléments de réponse. J'ai eu la chance d'interviewer Mme Salifou Fatima Bayèze qui est une des femmes les plus puissantes de ce pays. En tant que Présidente de la Cour constitutionnelle, son intégrité fait d'elle le symbole de l'état de droit. A la question “qu'est-ce qui vous fait résister à la corruption?”, elle répond: “mes valeurs”.

En effet, la lutte contre la corruption présente plusieurs aspects. Les actions des institutions et la volonté politique ont un rôle important dans cette lutte. Mais on a tendance à sous-estimer l'importance de la culture et des valeurs. Sans traiter des politiques et des mécanismes de lutte contre la corruption menés par les institutions, nous verrons comment le système de valeurs est un outil qui permet de lutter contre ce fléau. L'organisation Transparency International et l'Association Nigérienne pour la lutte contre la corruption (ANLC) ont adopté des pratiques efficaces pour encourager la transparence et le mérite dans le système de valeurs actuel.

L'ANLC: la section de Transparency International au Niger

L'ANLC joue un rôle clé dans la société nigérienne en luttant contre un fléau qui touche tout le pays, la corruption. Depuis sa création en 2001, l'ANLC encourage la mise en oeuvre de réformes pour garantir la transparence dans la gestion privée et publique des transactions aux niveaux national et international. Une autre mission importante de l'ANLC est d'impliquer les citoyens directement dans la dénonciation des actes et la lutte contre la fraude.

En 2010, le Centre d'assistance juridique et d'action citoyenne de l'ANLC a été créé pour rendre la lutte contre la corruption plus efficace en impliquant les citoyens directement dans le processus. En ce sens, l'association a mis en place une série d'activités comme des rencontres, des campagnes de sensibilisation du public, des conférences universitaires, des ateliers de travail et de formation de jeunes, de femmes, de juges et d'élus et la publication d'études et de rapports.

La lutte contre la corruption nécessite des changements de fond au niveau des comportements et des institutions.

L'ANLC tente de lutter contre les corruptions à toutes les échelles, qu'elles soient petites, grandes ou systémiques.

Au niveau local, l'ANLC joue un rôle clé dans la renégociation des contrats avec les entreprises étrangères et dans la mise en place des pétitions et des campagnes de sensibilisation. L'association dirige aussi des missions d'inspection dans les grandes industries. Les citoyens nigériens savent que le corruption fait partie de la structure même du système. La plupart des personnes interrogées ont dit que la corruption est principalement liée à l'industrie extractive. En effet, il y a un grand décalage entre les ressources naturelles extraites au Niger (comme l'uranium, le pétrole, l'or, les ressources agricoles) et le développement humain. Le Niger est classé à la dernière place par l'indicateur de développement humain**. Les Nigériens savent que les grandes sociétés étrangères exploitent les ressources du pays en complicité avec l'élite politique corrompue.

Et pourtant, l'ANLC rejette l'attentisme et met en oeuvre des mesures pour promouvoir des changements au niveau des institutions et de notre comportement. L'association appelle les citoyens à promouvoir le changement et représente les valeurs d'intégrité pour l'avenir du pays. Elle déploie des efforts conséquents pour impliquer les citoyens dans cette démarche en les encourageant à contrôler, condamner et dénoncer toute tentative de corruption à travers un système de valeurs.

5 pratiques pour impliquer les citoyens

L'ANLC adopte 5 principes fondamentaux.

1 – L'Autonomie

Le principe d'autonomie est au coeur du Centre d'assistance juridique et d'action citoyenne (ALAC). Le rôle de cette organisation est d'informer et d'aider les citoyens à lutter contre la corruption. L'objectif n'est pas de remplacer les efforts des citoyens mais de mettre à leur disposition des moyens juridiques pour les guider et les conseiller. L'association a mis en place une ligne d'Assistance Juridique Directe (le 7777) par laquelle les personnes peuvent déposer leur plainte anonymement. En plus de cela, elle reste en contact avec le public à travers les moyens de communication traditionnels et modernes comme les discours sur la place publique, la radio et les annonces télévisuelles. A travers la musique, le théâtre et les arts, elle promeut la transparence auprès des jeunes.

2- L'Intégration

L'ANLC organise régulièrement des campagnes de sensibilisation dans les zones rurales. J'ai eu l'opportunité de participer à 6 missions de terrain dans les communes rurales et je pense que ce sont les activités les plus intenses et les plus puissantes de l'organisation. Ces visites sont très importantes car elles allient participation et intégration.

L'ANLC fait participer les acteurs traditionnels comme les chefs religieux qui ont une influence sur l'éducation. Les chefs de village ont un rôle majeur dans la mobilisation des habitants. Les chefs religieux utilisent les principes religieux (Hadiths, Coran et Sunna) pour soutenir l'ANLC et promouvoir l'honnêteté, la transparence et la justice. De plus, ils encouragent les citoyens à dénoncer, rejeter et condamner des actes de corruption sur la base des principes religieux.

En outre, les campagnes de sensibilisation ciblent particulièrement les femmes et les jeunes. L'ALAC a mené à bien ses stratégies de communication en se basant sur des considérations de genre et de classes sociales. En effet, les femmes sont directement impliquées dans ces campagnes. Les femmes arrivent à bien s'organiser dans ces structures et relaient ce qu'elles apprennent au sein de leur famille. Elles sont “les enseignantes morales” de leur famille.

Les campagnes de sensibilisation ne sont pas organisées de manière unilatérale. Au contraire, les citoyens s'engagent dans des échanges interactifs. Ils sont encouragés à définir la corruption, à donner des exemples, partager leur expérience, identifier les causes des problèmes et chercher des solutions. Leurs témoignages sont d'une importance cruciale pour les participants. Ils sont encouragés à parler ouvertement de la corruption en donnant des exemples concrets.

3- La Responsabilité

Transparency International encourage les citoyens à prendre conscience de leur rôle et de leur responsabilité et à ne pas être des victimes passives de la corruption. Les animateurs ciblent directement les pratiques néfastes des citoyens: “Vous voulez que l'Etat fasse quelque chose. Mais qu'avez-vous fait pour l'Etat?” (facilitateur de Transparency International lors d'une campagne de sensibilisation). Ils soutiennent que les petits actes de corruption profitent aux personnes et appauvrissent l'Etat qui, en conséquence, ne peut pas agir en faveur des citoyens.

De ce fait, les nigériens doivent prendre conscience de leur statut de citoyen qui implique des devoirs dont le respect de la loi. Par exemple, les faciliateurs de l'ANLC ont souligné que le fait de vendre ses votes pendant les élections libèrent les leaders politique de toute forme de redevabilité. De ce fait, le changement doit commencer au niveau des citoyens eux-mêmes.

4- Un Modèle Positif

Les facilitateurs ont donné des exemples de personnes qui ont dénoncé et lutté contre la corruption. Ces exemples positifs permettent de rejeter l'attitude défaitiste et les contre-modèles qui réussissent par des moyens déloyaux. Le parcours de Mme Salifou Fatimata, ancienne présidente de la cour constitutionnelle qui a résisté à la corruption et l'intimidation est vu comme un symbole de réussite. Selon M. Nouhou, secrétaire de Transparency International au Niger, “au début de sa carrière, un homme a tenté de la corrompre. Mais elle l'a mis en prison et après cela, personne n'a osé la corrompre. Donc, cela prouve que c'est possible.” L'ANLC insiste qu'il faut saluer les bons exemples.

5- Délégation

L'ANLC termine ses campagnes de sensibilisation en créant un club anti-corruption qui sont des antennes locales de l'ANLC permettant d'assurer la pérennité de la sensibilisation.

Le bureau des clubs anti-corruption est élu par les participants locaux le jour de la campagne de sensibilisation. Ils sont formés ultérieurement à informer et aider les habitants à dénoncer et lutter contre la corruption. Il est intéressant de constater que la majorité des membres du bureau de ces clubs sont des femmes, contrairement aux idées reçues que l'on peut avoir du Niger et d'autres pays de la région.

Je ne cherche pas ici, à sous-estimer l'importance cruciale des politiques et des mécanismes de lutte contre la corruption déployées par les institutions. J'ai voulu traiter la question à travers une perspective locale. J'estime que les leaders et les habitants que j'ai interviewés apportent des réponses que nous ne pouvons ignorer. La “crise des valeurs” est un des facteurs du développement de la corruption. Mais les lois seules ne pourront pas arrêter la corruption. Il faut éveiller les consciences et promouvoir des normes positives au sein de la société.

Traduit par Bushra Kadir

* Je faisais partie des six étudiants de l'Ecole des Affaires Publiques et Internationales de l'Université de Columbia qui ont été choisis pour travailler sur le projet Genres et Corruption. La mission a duré 7 mois (de novembre 2013 à mai 2014) avec des missions au Niger et au Zimbabwe.

** Le Niger a l'Indice de Développement Humain le plus bas dans le monde (0,337).

 

How can behavioral change support the fight against corruption?

 

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As a young Moroccan woman who aspires to participate in the management of public affairs in my own country, I often wondered: what would prevent me from becoming a corrupt political leader? What pre-disposes so many transparent young individuals to become corruptible decision-makers? How to ensure that citizens will not abuse entrusted power for private gain? I could not obtain a complete and satisfying answer to these questions. However, my engagement in a consultancy project with Transparency International[1] gave me some elements of answer. It is particularly during my visit to Niger that I got the most insightful perspective. Indeed, I got the chance to interview Mrs. Salifou Fatimata Bazèye; one of the most powerful women in the country. In addition to her achievements as the president of the Constitutional Court, her integrity made her an icon for the promotion of rule of law. When I asked her: What made you resist to corruption? She answered: My values.

Indeed, the fight against corruption is a multidimensional process. If institutional capacity and political will are indispensable to prevent and combat corruption, we often tend to underestimate the role of culture and values. In this post, I have decided to bypass -indispensable- institution-building mechanisms and anti- corruption policies, and rather shed light on system of values as both an asset and a tool in the fight against corruption. Therefore, I will share some of the best practices adopted by Transparency International (TI) and its Nigerien chapter, the Nigerian Association for the Fight against Corruption (ANLC), in its effort to highlight transparency and merit within the existing system of values.

The ALNC: the Transparency International chapter in Niger

The ANLC plays a key role in the Nigerian civil society. It is the driving force behind national efforts to fight corruption, which is endemic in the country. Ever since its creation in 2001, the ANLC promotes reforms in favor of transparency in public and private management as well as transparency in national and international transactions. However, one of the most important dimensions of the ALNC is its activities that directly engage citizens to report and fight fraud.

In 2010, the Advocacy and Legal Advice Center within the ALNC was established with the rationale that the fight against corruption would be more effective if ordinary citizens were engaged in reporting. In that sense, the association has conducted panoply of activities including meeting and exchanges; public awareness campaigns; conferences in universities; workshops and trainings targeting youth, women, judges and elected officials; as well as the publication of studies and reports.

The fight against corruption requires both institutional and behavioral change

Hence, the ANLC attempts to tackle corruption at all scales; thereby addressing petty, grand, and systemic corruptions.

At the macro-level, it plays a key role in supporting national efforts to renegotiate exploitation contracts with foreign companies. It initiated petitions and campaigns. It also spearheads inspection missions in major industries. Even Nigerien citizens are well aware that corruption is intrinsically structural and mainly linked to systemic causes. The majority of locals I interviewed emphasized that the heart of corruption lies in the extractive industry. Referring to the big gap between Niger's natural endowment (uranium, oil, gold, vast land) and its poor human development (ranked at the bottom of the Human Development Index[2]), most Nigeriens are aware that the  terms of exploitation by foreign companies and the complicit acceptance of a corrupt political elite are the root causes that shape corruption in the country.

Nonetheless, the ANLC rejects “the wait and see attitude”, and undertakes measures that promote both institutional and behavioral change. It calls for citizens to promote change, but also to embody the values of integrity that they foresee for their country. The association deploys considerable effort to involve citizens. It aims to activate a system of values that encourages the people to control, condemn, and reject corrupt acts in all aspects of life.

Five best practices in engaging citizens

In that sense, the ALNC adopts five key principles:

1- Autonomy

The ALAC embraces the principle of “autonomization”. Its role is to inform, assist, and build citizens’ capacity to counter corruption. It does not aim to create a relation of dependency and refuses to substitute for the individuals. It rather provides citizens with juridical tools, instruments, and guidance. That includes Direct Juridical Assistance through a hot line “7777” (to foster anonymity) and through in-person complaint reception.

In addition, it mobilizes traditional and modern media such as public speak-outs, radio and television commercials to reach out to the public. It also relies on music, theater, and arts to appeal to youth and promote transparent behavior among them.

2- Inclusiveness

Furthermore, the ALNC staff organizes regular awareness campaigns in rural areas. I had the chance to participate in six field missions in rural communes, and I personally think that these are the most intense and powerful activities for the organization. In fact, these visits are impactful because they are both participatory and inclusive.

First, the ANLC integrates traditional actors and capitalizes on their educational influence. For instance, religious and traditional leaders are integrated as partners. On the one hand, chiefs of villages often play a key role in mobilizing the locals and maximizing their attendance. On the other hand, religious leaders use religious references (such as Hadiths, Quran, and Sunna) to support the ALNC’s promotion of honesty, transparency, and justice; and do even encourage citizens to report, reject, and condemn corrupt acts; as part of religious practices.

Moreover, sensitization campaigns particularly target women’s groups and youth. The ALAC's outreach strategies have been effective thanks to its gender and social considerations. Indeed, women are included –and often the major targets- of the campaign. Not only do women tend to be well organized in these structures, but they also have a spillover effect. Women’s educational role within families is leveraged by the organization; thereby aiming to capitalize on their role of “moral teachers”.

Second, awareness campaigns are not organized in a unilateral and one-way conversation. On the contrary, the locals are engaged in interactive discussions.  They are invited to define corruption, give examples, share their experiences, identify causes and find potential solutions. There personal testimonies and analyses are eye opening for participants. They are encouraged to think of corruption and directly identify with concrete examples.

3- Responsibility

TI staff encourages consciousness of the role and responsibility of the citizens. Breaking away from the discourse of passive victims, the facilitators directly point to the harmful practices of citizens: “You want the state to deliver, but what do you do for the state?” (TI facilitator, during sensitization campaign). They stress that petty corruption benefits to individuals and impoverishes the state; which consequently is less able to deliver for the citizens.

Hence, Nigeriens—women and men—are called to understand themselves as real citizens; thereby, comply with the law and respect their obligations. As an example, the ANLC facilitators highlight how the act of selling one's votes during political elections frees political leaders from any accountability. Thus, they call for a commitment of citizens at the grass-root. The power of change is put within the citizens.

4- Role Modeling

The facilitators also give positive examples of people who denounce and fight corruption. These successful cases are emphasized in order to fight defeatism and reject counter-models of people who succeed through dishonest means. For instance, the case of Mrs. Salifou Fatimata, ex-president of the constitutional court, who resisted to corruption and intimidation, is raised as a success story:  “At the beginning of her career, a man attempted to corrupt her. She sent him to jail. After that no one approached her and attempted to corrupt her. So, it is possible! “(Mr. Nouhou, secretary of TI in Niger). The ALNC asserts the need to celebrate the right examples.

5- Delegation

Last but not least, the ALNC ends every sensitization campaign with the creation of local anti-corruption clubs. These are community-based entities and local branches of the ALNC that ensures the durability of the sensitization campaign.

The boards of the anti-corruption clubs are elected by the local participants the day of the sensitization campaign. Later, they are trained to inform and assist locals in their reporting and fight against corruption. Interestingly, women do often dominate in terms of seats, which might challenge many assumptions with regard to Niger and other countries in the region.

Conclusion

To conclude, this short post does not aim to undermine the crucial importance of policies and institutional anti-corruption mechanisms. It rather aims to voice a local perspective on the question. Indeed, I consider that the leaders and locals I interviewed are pointing to a direction we should not neglect. What they refer to as “a crisis of values” is a deep factor in the spread of corruption. Thus the fight against corruption cannot be won through laws alone, it requires us to raise awareness and re-activate positive norms within society.

Lamia Bazir


[1]    I was one of the six students from the School of International and Public Affairs (Columbia University) who were selected to work on a project on Gender and Corruption. The consultancy lasted for a period of seven months (Nov. 2013 to May 2014). It involved field visits in Niger and Zimbabwe.

 

[2]    Niger was the country with the lowest Human Development Index in the world  in 2014 (0,337) 

 

Quel est le coût économique d’Un coup d’Etat ?

Le 22 mars dernier, l’Afrique s’est réveillée sur un nouveau coup d’Etat. Il ne s’agit plus cette fois-ci de la Guinée, ni du Niger, mais plutôt du Mali ; un pays admiré pour sa démocratie avec la perspective d’un Président qui s’apprêtait à quitter le pouvoir dans moins d’un mois. Les raisons évoquées par la junte semblent ne convaincre personne à l’exception d’une partie de la population Malienne ; ce qui suscite davantage de questionnements quant à l’opportunité et la justification de ce coup d’Etat particulièrement lorsqu’on ne dispose pas de toute l’information sur les événements en cours au Mali.

A cet effet, beaucoup de débats ont été menés jusqu’à présent sans qu’un consensus clair ne se dégage sur l’appréciation de ce coup d’Etat. Qu’il s’agisse des genèses de la rébellion touareg, ou de  l’insuffisance des réactions du gouvernement, ou même des discussions informelles à l’issue du coup d’Etat, la question qui demeure est de savoir ce qu’il apporte comme bénéfice à la population Malienne. Loin d’apporter davantage de confusion au débat en suggérant ce qui aurait été meilleur, il serait plus utile d’évaluer de manière générale le coût d’un coup d’Etat ; non pas pour les organisateurs, mais pour la nation entière en termes de développement économique. Sachant que le but avoué des organisateurs est souvent l’amélioration substantielle du bien-être des populations, il en résulte qu’une évaluation du gain net est à même de justifier de manière objective l’opportunité d’un coup d’Etat.
A priori, il serait quasiment impossible d’évaluer avec exactitude et exhaustivité le coût d’un coup d’Etat à cause des multiples dimensions qui le composent. En effet, un coup d’Etat peut affecter plusieurs dimensions de la vie d’une nation ; notamment la politique, l’économie, la culture et de façon générale le développement humain. Puisque les chocs économiques qui résultent d’un coup d’Etat sont susceptibles d’affecter l’ensemble de ces dimensions, il est possible d’avoir une meilleure approximation du coût sur la base de l’ampleur, de la structure et de l’évolution de ces chocs. Par ailleurs, pour éviter la prise en compte de chocs circulaires  qui ont eux-mêmes induit l’avènement du coup d’Etat, cette évaluation se restreint aux seuls coups d’Etat qui n’ont pas une origine économique ; bien qu’il soit toujours possible d’établir un lien entre la situation économique et les autres raisons ayant conduit au coup d’Etat. Comme le montre le graphique suivant, les exemples portent sur le Mali, la Mauritanie et le Niger durant les 20 dernières années.
 
 

Source : Données Banque Mondiale. Calculs de l’auteur. Les carrés rouges indiquent l’avènement d’un coup d’Etat post-1990.

Deux constats ressortent du graphique ci-dessus. D’une part, les pays ayant eu des coups d’Etat sont plus pauvres que la moyenne d’Afrique Sub-saharienne (ASS). Cela peut être dû à une faiblesse des institutions, à la fréquence des coups d’Etat antérieurs aux années 90 ou à des conditions initiales liée à l’histoire ou à la position géographique de ces pays. Toutefois, il existe peu de différence entre la qualité des institutions des pays d’Afrique sub-saharienne à l’exception des pays anglophones où elle est meilleure. Par ailleurs, les conditions initiales, qu’elles relèvent de l’économie ou du développement social, étaient similaires. L’ensemble de ces pays étaient des colonies avec une majorité ayant obtenu son indépendance durant la même période. On pourrait donc envisager la fréquence des coups d’Etats comme une possible explication au faible niveau du PIB par habitant.

D’autre part, les pays ayant connu un coup d’Etat n’enregistrent pas une chute de leur PIB par habitant mais décrochent par rapport au reste à l’ASS. En effet, comme le montre le graphique ci-dessus, l’ASS enregistre globalement une croissance de son PIB par habitant depuis 1990. Cependant, le Mali qui a connu un coup d’Etat en 1991 n’a pas suivi cette tendance avant 1996. En l’absence de coup d’Etat depuis cette année, le Mali a suivi la même tendance croissante que l’Afrique sub-saharienne. Ce qui implique qu’en absence de coup d’Etat, le PIB par habitant d’un pays comme le Mali évoluerait de la même manière que celui de l’ASS. Cette même conclusion est applicable à la Mauritanie  où le PIB par habitant a également suivi la même tendance que celui de l’ASS avant l’avènement du premier coup d’Etat de la période en 2005. A partir de cette année, on ne note pas une régression mais plutôt un décrochage par rapport à la croissance enregistrée par l’ASS. Quant au Niger, qui a enregistré cinq coups d’Etats depuis son accession à l’indépendance dont trois après 1990, son PIB par habitant est resté constant contrairement à celui de l’ASS.

De façon quantitative , l’occurrence d’un coup d’Etat conduit en moyenne à un décrochage du PIB par habitant de 1 à 18% par rapport à celui de l’ASS. Plus précisément, les coups d’Etat répétitifs au Niger ont contribué à faire décrocher son PIB par habitant de 15%, alors que celui de la Mauritanie en 2008 a engendré un décrochage de 43% par rapport au PIB par habitant de l’ASS. On note par contre que pour les trois pays objet de cette analyse, l’occurrence des coups d’Etat n’a pas eu d’impact sur l’inflation, ni sur les investissements directs étrangers (IDE). Ces résultats expliquent bien la stagnation du PIB par tête. Toutefois, le résultat obtenu sur les IDE, dont dépendent fortement l’ensemble des pays d’ASS, reste à nuancer. En effet, dans les conditions économiques de ces pays, les IDE devraient connaitre une tendance croissante. Dès lors, leur stagnation peut être le résultat d’un retrait des nouveaux investisseurs à cause du risque élevé.

En définitive, il ressort que les coups d’Etat constituent un frein au développement économique. Ils n’ont pas un impact significatif sur le bien-être des populations dans le court-terme, ce qui pourrait expliquer le soutien d’une certaine partie de la population aux mutineries. En réalité, le coût d’un coup d’Etat se retrouve dans le long terme à travers une stagnation du niveau de vie et une paupérisation relativement aux autres pays. Il faut donc qu’à l’avènement d’un coup d’Etat, la résistance citoyenne devienne le plus sacré des droits et le plus impératif des devoirs. Plusieurs autres alternatives existent dans une démocratie pour régler les contentieux, le Sénégal en est un bel exemple.

Georges Vivien Houngbonon

Article initialement publié le 3 avril 2012

Crédit photo : Source: Belga